1688

Mercure galant, décembre 1688 (première partie) [tome 16].

2017
Source : Mercure galant, décembre 1688 (première partie) [tome 16].
Ont participé à cette édition électronique : Nathalie Berton-Blivet (Responsable éditorial), Anne Piéjus (Responsable éditorial), Frédéric Glorieux (Informatique éditoriale) et Vincent Jolivet (Informatique éditoriale).

Mercure galant, décembre 1688 (première partie) [tome 16]. §

[Philisbourg pris par Monseigneur le Dauphin en 20. jours de tranchées ouvertes] §

Mercure galant, décembre 1688 (première partie) [tome 16], p. 25-36

 

Aprés vous avoir fait part d’un éloge du Roy en Prose, je vous envoye un Ouvrage en Vers, où vous trouverez les loüanges de ce Prince ingenieusement meslées avec celles de Monseigneur le Dauphin.

PHILISBOURG
Pris par Monseigneur le Dauphin, en vingt jours de Tranchées ouvertes, le premier Novembre 1688.

La Paix faisoit sentir ses douceurs & ses charmes ;
 Loin du tumulte & des alarmes
 Nous cultivions tous les beaux Arts,
 Et nostre Muse, qui de Mars
 Ne craignoit plus la violence,
 Ne s’occupoit en son loisir
 Que de LOUIS, & du plaisir
Que répand en tous lieux son auguste presence.
***
Luy-mesme joüissoit de cet heureux repos
 Qu’aux despens de sa propre gloire
Avoient produit par tout ses soins & ses Travaux ;
Luy-mesme qui pouvoit grossir encor l’Histoire
 De ses Heroïques Exploits,
Et porter bien plus loin ses armes & ses loix ;
Luy-mesme, dis-je, enfin qui voyoit la Victoire
 Toûjours attachée à ses pas,
Moderoit son ardeur & retenoit son bras.
***
 Content, Jaloux de son Ouvrage
Ce grand Roy, ce Heros qui dés ses jeunes ans
Avoit jusques icy fait voir tant de courage,
Ne se démentoit point, & propre à tous les temps,
Se montroit dans son Louvre aussi prudent & sage,
 Qu’intrepide & plein de valeur
Quand de l’Europe entiere il domptoit la fureur.
***
Son repos n’estoit point un repos de paresse,
 Qu’une humeur oisive autrefois
Faisoit, & fait encor chercher à tant de Rois ;
 La nonchalance & la molesse
Virent leurs doux plaisirs, & leur attrait flatteur
Faire de vains efforts pour seduire son cœur,
Et pendant cette paix sa noble vigilance
Reformoit les Abus, & bannissoit l’Erreur,
Qui depuis plus d’un siecle empoisonnoit la France.
***
 Son active tranquillité
Contre luy fait enfin agir le mesme ombrage
Qu’il vit naistre autrefois de sa prosperité ;
De ses vieux ennemis elle excite la rage
 Et quelque utile qu’à l’un d’eux
Ait esté ce repos qui leur blesse les yeux,
Loin de continuer d’en tirer avantage,
Il aime mieux du Turc exposer au ravage
 Ses nouveaux & foibles Sujets,
 Que ne pas troubler cette paix
Dont LOUIS a sceu faire un si pieux usage.
***
 Mais ce Heros de ce jaloux
 Deconcerte, previent les coups,
Et, pour les faire enfin retomber sur luy-mesme,
 Fait marcher sur les bords du Rhin,
 L’Heritier de son Diademe.
 Pouvoit-il mieux choisir ? En vain,
 La nature & la politique
Vouloient, loin des dangers, qu’il tinst ce fils Unique ;
 Voyant éclater dans ses yeux
Ce beau, ce noble feu, cette ardeur heroïque
Qu’il sentit dés l’Enfance, & qui de ses Ayeux
 Coule encor dans ses propres veines,
Il crut ne risquer rien ; & que tous ses combats
 Seroient, en marchant sur ses pas,
 Autant de Victoires certaines.
***
 Le soin qu’à le former LOUIS luy-mesme prit
 Luy répondoit de ce présage,
Et, quoy que Philisbourg fust son apprentissage,
Il ne s’est point trompé dans le choix qu’il en fit.
 Quelque forte que fust la Place,
 Ce digne Fils, qui dans la Chasse
Tant de fois de la Guerre avoit fait des essais,
En ordonne l’attaque, & malgré ses Marais
Dont pendant plus d’un an elle crut se défendre,
 La force en vingt jours de se rendre.
***
 La terreur qu’en tous lieux répand son jeune bras,
Cause à nos Ennemis une telle surprise,
Que tremblant par avance, Heidelberg ne veut pas
Voir, à sa propre gloire, ensanglanter sa prise ;
Il se rend de luy-mesme, & Manheim tient si peu,
 Que par sa foible resistance,
On diroit que pour luy la Guerre n’est qu’un jeu,
Et qu’au bruit de son nom chacun soit sans deffense.
***
A ce début, grand Roy, tu reconnois ton sang,
 Et tu vois à l’air qu’il s’y prend
 Qu’à vaincre instruit sur ton modelle
Ce Fils suit à grands pas la gloire qui l’appelle.
 Sans chercher des perils si loin
 Il pouvoit, content de la tienne,
Remettre sur un autre un si penible soin,
 Et sur les Rives de la Seine
Tranquille & sans travail joüir de travaux ;
 Mais, fuyant ce honteux repos,
 Il en veut une qui soit sienne,
 Et tel que cet ambitieux
Qui pleuroit en secret des exploits de son Pere,
Il croyoit que LOUIS, plus grand que tous les deux,
 Ne luy laisseroit rien à faire.
***
 Ah ! s’il commence ainsi, grand Roy,
 Et si son ardeur heroïque
 Met ainsi toûjours en pratique
 Les leçons qu’il receut de toy,
Quels miracles un jour n’en dois-tu pas attendre !
 Ces redoutables Ennemis
 Qui, fiers d’avoir reduit en cendre
Bude, Belgrade, Essech, vouloient flêtrir nos Lys,
 Bien-tost n’oseront plus l’attendre ;
 Ils le prendront pour le Dieu Mars,
Ils fuiront, & malgré leurs orgueilleux ramparts,
Ton Fils ira plus viste, & plus loin qu’Alexandre.
***
 Puisse dans ton pieux loisir
 Le Ciel te donner ce plaisir
Et jusqu’au siecle entier porter ta belle vie !
 Tes Lauriers t’avoient déja mis
 Au dessus des coups de l’envie ;
Il ne te restoit plus qu’à voir ce digne Fils,
 Par ceux qu’il te moissonne encore,
 Forcer ton Peuple qui t’adore
A redoubler pour toy ses vœux & ses souhaits.
 Par là si la reconnoissance
Qu’impriment dans nos cœurs les biens que tu nous fais,
 Peut te plaire, toute la France
 Est preste à signer de son sang
 Qu’elle doit à LOUIS LE GRAND
Son bonheur, son repos, & sa magnificence.

[Réjoüissances faites à Grenoble pour la prise de Philisbourg] §

Mercure galant, décembre 1688 (première partie) [tome 16], p. 38-52, 75, 77-80, 91-94

 

Le 17. du mesme mois, la Ville de Grenoble, Capitale du Dauphiné, s'interessant particulierement à la gloire de Monseigneur le Dauphin, dont cette Province a l'honneur de porter le nom, se mit sous les armes pour marquer la joye que luy donnoit la reduction de Philisbourg. Mr le Marquis de Saint André-Virien, premier President, & Commandant dans le Dauphiné en l'absence de Mrs les Gouverneur & Lieutenant General, toujours zelé pour tout ce qui regarde le Roy, fit le jour précedent la harangue ordinaire à l'ouverture du Parlement. Il representa d'abord les qualitez necessaires aux Magistrats pour bien administrer la Justice, & s'étendit ensuite sur les loüanges de Sa Majesté & de Monseigneur, en faisant voir que la justice, la moderation, la sagesse & la prudence de nostre Auguste Monarque devoient estre leur modelle. Il finit par tous les sujets d'admiration que Monseigneur le Dauphin a donnez pendant le Siege, & n'oublia aucune de ces manieres pleines de grandeur & toutes charmantes, qui luy ont acquis l'estime & l'amour de toutes les Troupes. Mr le Marquis de Saint André traita ce jour-là le Parlement avec sa magnificence ordinaire, & donna ses ordres à l'Hostel de Ville & à la Milice pour les réjoüissances que l'on remettoit au lendemain. Les Tambours s'estant assemblez dés sept heures du matin, battirent la Generale dans tous les quartiers. Les Boutiques furent fermées, & à midy les onze Compagnies ayant Mr Reynaud qui faisoit la fonction de Colonel à leur teste, avec les autres Capitaines, se rendirent à la Place du Breüil, où elles furent rangées par Mr de la Frey, Major. De là elles allerent occuper les rues qui sont depuis le Palais jusques à l'Eglise Cathedrale, où elles firent deux hayes, au milieu desquelles passerent les Corps qui assisterent au Te Deum. Mrs de l'Hostel de Ville en Robes Consulaires furent les premiers à s'y trouver, avec leurs Valets de Ville & Pertuisaniers, & des Violons, & des Hautbois. Un peu après le Parlement arriva en robes rouges, ainsi que Mrs de la Chambre des Comptes avec leurs robes de velours noir. Chaque Corps estoit devancé de ses Huissiers & Secretaires. La Compagnie des Archers de la Mareschaussée se trouva aussi à cette ceremonie. Mr le premier President de S. André estoit à la teste du Parlement, & Mr Bouchu, Intendant de la Province, aussi en robe rouge, marchoit à son rang. M. le Comte de Ferrieres, President aux Comptes, estoit à la teste de ce Corps qui suivoit immediatement le Parlement. Si tost qu'ils furent placez, Mr le Cardinal le Camus, Evesque de Grenoble, avec sa Crosse, son Massier, & plusieurs Chanoines qui estoient allez le prendre, vint occuper sa place ordinaire sous son Dais, d'où il entonna le Te Deum. Lors qu'il fut fini, & qu'on eut fait les prieres accoustumées pour le Roy, les Compagnies de la Milice se camperent à la Place de S. André où estoit un bucher, construit des plus hauts Pins que l'on avoit pû trouver dans les Montagnes voisines. Les rameaux de ces Arbres toûjours vers & d'une hauteur extraordinaire, faisoient un tres-bel effet. Ils estoient ornez de plusieurs figures de Dauphins, le tout de l'invention de Mr Honnord, l'un des Consuls de la Ville. Sur les quatre heures, Mr le Marquis de S. André, en robe rouge & avec le mortier de President, mit le feu à ce Bucher. Il y vint suivi de la Maison Consulaire, avec les Valets de Ville, Pertuisaniers, Violons & Hautbois, & devancé des Officiers de la Milice en cet ordre. Les Capitaines marchoient immediatement avant luy, precedez des onze Drapeaux & des Tambours, devant lesquels on voyoit les Lieutenants. Vingt deux Sergens alloient deux à deux avec leurs Hallebardes devant ces derniers, & ceux cy estoient devancez de la Compagnie des Archers, ayant Mr Reymond leur Officier à leur teste. Tout cela formoit un cercle qui tournant trois fois d'un pas grave & majestueux autour du bucher, attiroit les regards d'un nombre infini de peuple qui s'estoit placé jusque sur les toits. La Mousqueterie fit plusieurs salves, & les Violons & les Hautbois se firent long-temps entendre. Le feu fini, Mr le Comte de Marcieux, Gouverneur de Grenoble, & de la Vallée voisine, alla à l'Arsenal, où il fit tirer les Canons, les Boëtes & la Mousqueterie de la Garnison. Le soir on vit des Illuminations à toutes les fenestres de la Ville, & l'on remarqua entre autres celles de Mr le Cardinal le Camus, de Mr le premier President de Saint André, de l'Hostel de Ville, de Mr le Comte de Vireville, de Madame la Marquise de la Baume, de Madame de Mistral, de Mr de Bagnol, son Fils, Officier aux Gardes, de Mr de Serviens, Fils du défunt Ambassadeur à Thurin, & du Clocher de Saint André. Celles de Mr de Serviens estoient de bougies en grand nombre, & avec une figure faite en simmetrie sur son portail. Sur les dix heures il y eut bal à l'Hostel de Ville, avec un concert d'Instrumens, & l'on tira quantité de fusées volantes. La pluspart de Mrs du Chapitre de S. André, fondez par un des anciens Princes Dauphins, se croyant particulierement obligez de prendre part à la joye publique, se trouverent à ce concert dans un appartement particulier.

Le 14. les Consuls d'Avignon, qui avoient donné leurs ordres pour une pareille rejoüissance, firent chanter le Te Deum, en Musique dans l'Eglise de Nostre-Dame au bruit des boëtes & de la Mousqueterie. Une fontaine de vin coula tout le jour & un grand Arc de Triomphe orna la face de l'Hostel de Ville. On alluma le soir un Feu devant le Palais, & toute la Ville fut illuminée. On vit un nombre infini de lumieres à la Maison de Ville avec douze girandoles, chacune de cent fusées sur le haut de la Tour de l'Horloge. Le lendemain Mr Crozet-Buisson, Primicier de l'Université de la mesme Ville, fit rendre de pareilles actions de graces à Dieu dans l'Eglise de S. Didier qui en est la paroisse. Il s'y rendit sur les cinq heures du soir, accompagné des Docteurs & Regens des trois Facultez de Theologie, Droit Civil & Canon, & Medecine, & precedé d'un grand nombre de Hautbois. Cette Eglise estoit éclairée d'une infinité de flambeaux, & ornée de riches Tapisseries, & de ce que Mrs du Chapitre avoient de plus precieux en argenterie. Le Te Deum fut chanté par une Musique composée de voix choisies, & aprés les Oraisons accoustumées pour la prosperité de Sa Majesté, on donna la Benediction du saint Sacrement au bruit de l'Artillerie. De là Mr le Primicier alla dans le mesme ordre à la Place de l'Université, où il mit le feu à un grand bucher qui avoit esté dressé vis-à-vis les Ecoles publiques. Les cris de Vive le Roy poussez de tous costez par le Peuple, furent meslez avec le son des Hautbois, des Tambours & des Trompettes. Quantité de fusées volantes parurent en l'air, & il y eut le soir une grande illumination par toute la Ville. [...]

 

Le 11. de ce mois le Te Deum fut chanté pour la reduction de Philisbourg dans l'Eglise Cathedrale de Vannes en Bretagne. Le Parlement y assista avec le President, le Corps de Ville, & toutes les Communautez. On avoit élevé un grand bucher, où Mr le Marquis de Coetlogon, Lieutenant de Roy des Eveschez de Rennes, Vannes, St Malo, Dol, & Gouverneur de Rennes, Mr Dondel Seneschal & President du Presidial, & Mr de la Coudraye Ragot, Sindic de la Ville, mirent le feu en presence d'un nombre infini de personnes que cette Feste avoit attirées des environs. Elle fut accompagnée de feux d'artifice, & de quantité de coups de canon. Les belles & magnifiques fontaines qu'on a faites depuis peu à Vannes , & dont les sources en sont éloignées de plus de deux lieuës, furent converties en vin pendant vingt-quatre heures.

La mesme Ceremonie se fit le 14. à Nogent-le-Roy. La plus grande partie des Bourgeois se mit sous les armes, & aprés qu'on eut chanté le Te Deum, dans l'Eglise, le Prestres revestus de chapes & precedez par la Croix allerent mettre le feu à une haute Pyramide qui avoit esté élevée dans le Carrefour. Toute la Ville fut illuminée presque en un moment, & pendant que le feu de joye bruloit, on chanta l'Exaudiat pour la conservation du Roy & de toute la Maison Royale, au bruit des canons du Chasteau & de la décharge de la mousqueterie, qui ne cessa point tant que l'action dura.

Le Jeudy 18. Mr Thouret, Procureur du Roy à Clermont en Beauvoisis, & Subdelegué de Mr l'Intendant de Soissons, fit faire des réjoüissances publiques. Tous les bourgeois se mirent sous les armes, & firent une décharge generale de la Mousqueterie pendant le Te Deum, qui fut chanté dans la principale Eglise, où le Bailliage, l'Election, & les autres Corps assisterent. On fit ensuite un Feu de joye dans la grande Place de Clermont, sans parler des Illuminations, & des autres feux que firent les particuliers. La Feste se termina par des Festins publics & par des Bals, où Madame Thouret, Femme de Mr le Procureur du Roy, parut beaucoup par son agrément & par ses manieres honnestes.

Le 28. il y eut des rejouissances extraordinaires à Dijon pour cette mesme conqueste. Au milieu d'un grand Theatre percé de huit Arcades, & enrichy de tous les ornemens de l'Architecture, s'élevoit sur une grande base un piedestal octogone, sur lequel estoit posée la figure Equestre de Monseigneur le Dauphin, couronné de Lauriers, & conduit par la Victoire. [...]

 

Le Feu qui avoit esté dressé sur ce Theatre, fut tiré apres qu'on eut chanté le Te Deum dans l'Eglise de la Sainte Chapelle avec beaucoup de ceremonie, à laquelle la Simphonie & la Musique donnerent un grand éclat. Les Bourgeois se mirent sous les armes par ordre de Mr Joly, ancien Maistre des Comptes, & Vicomte Majeur de la Ville. Dans les quatre Magistratures que son merite luy a procurées, il a eu l'honeur de presider souvent à de pareilles réjoüissances, & d'y marquer son zele, qui n'est pas moins grand pour le service du Roy que pour le bien du Peuple. Il mit le feu au Theatre, estant à la teste des Magistrats, qui tous en general & en particulier, ont sceu parfaitement soutenir en cette occasion, comme ils ont fait en toutes les autres, ce caractere d'amour, de tendresse & de veneration pour la personne sacrée de Sa Majesté, par lequel, ainsi que par une fidelité inviolable la Ville de Dijon a toujours cherché à se distinguer. La ceremonie du Feu fut accompagnée du bruit des Tambours, & du son des Trompettes, et suivie d'Illuminations, & de décharges frequentes de la Milice, & d'une infinité d'autres marques d'allegresse. J'ay oublié de vous dire que le dessein de ce Feu, les Emblêmes & les Vers estoient de Mr Moreau. Avocat General de la Chambre des Comptes de Dijon.

[Ce qui s’est passé à l’Academie de Ville-Franche à la reception de M. de Chassebras de Cramailles] §

Mercure galant, décembre 1688 (première partie) [tome 16], p. 54-75

 

Je vous parlay il y a quelque temps de la distribution des prix d’Eloquence & de Poësie que Mr l’Archevesque de Lion, Protecteur de l’Academie de Villefranche en Beaujollois, & ceux qui composent cette Academie firent le jour de St Louis dernier à Mr Magnin, Ancien Conseiller au Presidial de Macon, & à Mr Livonier Pocquet, Conseiller au Presidial d’Angers. Ces prix sont une Medaille d’or à chacun. Elle represente d’un costé le Buste du Roy, & autour Ludovicus magnus, & au revers il y a une rose de diamans avec ces mots, mutuo clarescimus igne, qui est la devise de l’Academie.

Mr de la Barmondiere de Saintsfons, recommandable par sa vertu & par sa pieté, qui estoit frere de Mr de la Barmondiere Curé de S. Sulpice à Paris, ayant laissé par sa mort une place vacante en cette Academie, Mr Chassebras de Cramailles, dont vous avez veu plusieurs Ouvrages, a esté éleu en sa place au retour de son voyage d’Italie. Voicy le compliment qu’il a envoyé à ces Illustres Academiciens.

MESSIEURS,

Quand je considere le rang où vous venez de m’élever, & la place avantageuse que je tiens de vostre generosité, je suis étonné de la hardiesse que j’ay euë d’accepter ces marques de bien-veillance dont vous m’honorez. Vous n’avez consulté que vostre inclination bien-faisante quand vous m’avez admis dans vostre illustre Compagnie ; mais cela ne m’empesche pas de voir tout l’éclat qui l’environne, & connoissant ma foiblesse, j’ay sujet d’apprehender d’estre ébloüy de vos lumieres pour avoir voulu m’en approcher de trop prés.

Je vous avoüe, Messieurs, qu’ayant toûjours eu une affection particuliere pour les belles Lettres, je vous ay regardez comme des modelles parfaits que je devois suivre, & j’ay connu qu’il falloit venir en ce lieu pour apprendre la vertu & l’éloquence, & que vostre celebre Academie estoit la source où l’on pouvoit puiser seurement ce qu’il y a de plus pur & de plus poly dans nostre Langue. Je sçavois bien que vous rendiez justice au merite. cependant je n’osois me promettre que vous deussiez couronner si genereusement mes desirs & mes intentions. En effet, ne sont-ce pas là des marques d’une bonté toute particuliere ? Vous me recevez au nombre de vos Illustres Confreres dans le temps que je m’adresse à vous comme à mes Maistres. Vous me faites joüir des fruits & des avantages de la Victoire avant que d’avoir combattu, & vous me placez dans le Temple de la Gloire quand je n’osois presque en aborder. Oüy, Messieurs, vostre Academie se peut appeller le Temple de la Gloire, de quelque costé qu’on la considere, l’on n’y voit rien que de merveilleux. Son institution est des plus nobles ; elle est établie non seulement pour la pureté de la Langue & pour celle des mœurs, mais encore pour éterniser les actions glorieuses du plus grand Monarque de l’Univers. Vous, Messieurs, qui formez cette Compagnie, vous en soutenez admirablement l’éclat ; l’on vous a choisis parmy les plus beaux esprits du siecle, & vostre digne Protecteur acheve de luy donner le brillant ; il attire le respect & l’admiration de tout le monde.

Aussi, Messieurs, falloit-il des Sujets de vostre merite pour la rendre si fameuse. Le Public regarde vos belles productions comme autant de trésors dont vous avez fait une nouvelle découverte. Vos Poësies ont cet avantage qu’elles plaisent & qu’elles instruisent, on y remarque un feu divin qui penetre jusqu’au fond de l’ame. On trouve dans vos manieres d’écrire la justesse des sentimens, des expressions claires & brillantes, un stile noble & relevé, & generalement tout ce qui donne de la grace & de la beauté aux Ouvrages ; mais ce que l’on admire encore plus, c’est l’adresse que vous avez de donner un tour galant aux sujets les plus serieux.

Je me trouve agreablement engagé à parler icy de vostre illustre Protecteur qui soûtient si dignement la grandeur de son caractere. Son sçavoir, sa prudence & sa conduite l’ont rendu digne des grands emplois dont Sa Majesté l’a honoré ; quand il n’auroit pas toutes les qualitez qui font un grand Prelat, son nom seul feroit son éloge. Il est d’une Maison qui a fourny à l’Etat plusieurs sujets de remarque, qui ont esté toûjours fidelles à leur Prince, & qui ont donné des preuves de leur courage dans toutes les occasions. François I. & les autres Rois ses Successeurs ont reconnu en ces grands hommes un esprit si desinteressé & un attachement si fort au service de la Couronne, qu’ils leur ont confié les affaires du Royaume les plus importantes, & les ont honorez des principales Charges & des plus hautes Dignitez.

Il estoit à propos que des Genies aussi rares que les vostres, Messieurs, fussent unis à un Protecteur si accomply pour instruire la renommée des Exploits glorieux de Loüis le Grand. Comme tout ce qu’il fait est au dessus du merite des Heros que l’Histoire nous vante, il falloit aussi des personnes au dessus du commun pour transmettre à la posterité par leurs écrits les faits surprenans de ce grand Prince. Toute sa vie est un tissu de merveilles qui confond ses Ennemis, & qui les met dans la derniere surprise. Ils s’étonnent de le voir marcher tranquillement dans des endroits perilleux malgré la rigueur des saisons les plus facheuses ; ils ne peuvent comprendre que les Nations les plus éloignées traversent les mers pour venir rendre les hommages & les soumissions deuës à sa grandeur suprême, & à son Auguste Majesté, & ils voyent avec envie que tous les Souverains unis ensemble ont esté obligez de luy ceder, & de le reconnoistre pour l’arbitre de la Paix & de la Guerre.

Ils ne doivent point estre surpris de ces prodiges, sa prudence & sa justice attirent la benediction du Ciel sur son Royaume & sur sa Personne sacrée. Ses Sujets le cherissent & le reverent, parce qu’il a gagné leur cœur, & qu’il ne cherche qu’à procurer leur felicité. Les gens de Lettres & les Sçavans abandonnent leur Patrie pour le venir chercher, parce qu’il est le Protecteur des Sciences & des Arts. Les Catholiques le reconnoissent pour le Défenseur de la Religion, parce qu’il a terrassé l’Heresie.

Je ne puis finir ce discours, Messieurs, sans regreter la perte de cet Academicien si zelé dont j’ay l’honneur d’occuper la place. Il estoit considerable par son érudition autant que par sa sagesse & par sa pieté, qui sont des vertus hereditaires dans sa Famille. Son affabilité & sa probité le faisoient rechercher de toutes les personnes de merite, & l’on peut dire sans le flater qu’il vivoit dans le monde selon l’Esprit de Dieu.

A present, Messieurs, comment vous témoigner ma reconnoissance pour tant de graces que vous m’avez faites ? Je n’ay pas de termes assez forts ny proportionnez à la grandeur du bienfait que j’ay receu de vous, mais j’espere que vous recevrez en recompense un cœur entierement soumis, & que vous imiterez la conduite de ce Roy de Perse, qui disoit qu’il n’estoit pas moins genereux aux ames bien nées de recevoir de petits presens que d’en faire de grands.

Mr de la Roche-Poncié, Directeur de l’Academie a fait la réponse suivante à ce compliment.

MONSIEUR,

La qualité de Directeur que le sort m’a fait avoir depuis peu dans nostre Academie, mesle, avec le plaisir & l’honneur qu’elle me procure, beaucoup de défiance & d’apprehension. En effet, comme dés les premiers pas de mon employ je me trouve obligé de répondre à vostre Discours, je me sens si foible pour le faire dignement, que j’ay tout sujet d’en craindre le succés. Vostre Piece est si belle & si forte, que j’auray peine à rencontrer des ornemens & des pensées qui luy Soient proportionnées, & le peu de lumieres que j’ay va sans doute cesser par l’éclat surprenant des vostres.

Quand nostre Compagnie, Monsieur, a voulu vous donner des Lettres, elle n’a pas couronné seulement des desirs & des intentions, comme vous dites, mais en vous rendant justice elle a couronné le vray merite qui éclate depuis si longtemps dans vostre ancienne Maison, & elle ne vous fait jouir des fruits de la victoire, pour me servir du nom que vous donnez à ses presens, qu’aprés de longs travaux ; elle ne vous place dans le Temple de la Gloire, qu’aprés que vostre vertu s’en est fait l’ouverture.

Il est vray que nostre Institution n’est pas des moins nobles, puis que nostre Academie est établie non seulement pour la pureté de la Langue, & pour celle des mœurs, mais encore pour sacrifier ses veilles & ses plus grandes occupations à immortaliser la gloire du plus grand Roy de la terre ; & nous reconnoissons qu’une si haute entreprise seroit d’un poids sous lequel nous succomberions, si nous n’estions soutenus par la force de nostre incomparable Protecteur, dont le genie si rare & si relevé peut par un seul de ses rayons communiquer les qualitez necessaires à la Compagnie dont il est le Chef, pour la conduite & l’execution d’un si beau dessein. En effet, sa penetration accompagnée de tant de vertus morales, politiques & Chrestiennes, & soutenuë d’une si longue experience, l’ont rendu digne des plus grands Emplois de l’Etat & de la Religion. Son illustre Maison toujours fidelle à nos Princes, en a affermy la tranquillité & le rétablissement dans le siecle où les revolutions sembloient tout renverser.

Nous avions besoin de cet appuy pour oser entreprendre de publier les exploits glorieux du Heros qui efface toute la gloire de ceux que l’Histoire a si fort élevez, du Heros qui n’a point d’égal parmy les hommes vivans, du Heros enfin à qui les plus grands Princes de la terre envoyent faire des hommages, & que les Nations des climats les plus reculez viennent voir par admiration ; mais nous avions besoin d’un Academicien comme vous, Monsieur, qui par ses curieuses & sçavantes Relations nous fait voir les divers Pays & les differens Peuples sur lesquels ont regné les Cesars & les Alexandres, pour découvrir en mesme temps leur abaissement, par une reflexion avantageuse sur l’élevation de Loüis le Grand, & pour faire connoistre par la difference de leur domination & de celle de nostre Prince, l’avantage que nous avons sur les Nations ausquelles les Heros de l’Antiquité ont commandé.

C’est par ce genre singulier d’écrire qu’une Plume comme la vostre fera voir le nom de nostre Compagnie par toute l’Europe. Ce sont les avantages que nous commençons à tirer de vostre talent, par la communication de vos lumieres, suivant le sens de nostre Devise, & c’est une grande consolation pour elle, que la place de Mr de la Barmondiere Saint Fonds, homme de naissance, d’une solide science, & d’une pieté exemplaire, soit remplie par une personne qui luy succede avec tant de belles qualitez, que nous n’avons qu’à faire des vœux pour vous posseder plus longtemps, pour le soutien de nostre Societé. & pour la gloire des Lettres.

Ode à monseigneur le Dauphin §

Mercure galant, décembre 1688 (première partie) [tome 16], p. 94-95, 103-105

 

Le détail de cette Feste ne peut estre mieux suivy que de l'Ode que je vous envoye. Elle est de Mr de Hautmont de l'Academie de Villefranche.

ODE
A MONSEIGNEUR
Sur la Prise de Philisbourg.

Deja les Filles de Memoire,
Se lassant d'un trop long repos,
Se plaignoient à tous les Heros
Qu'ils ne couroient plus à la Gloire.
LOUIS de ses vaillantes mains
Avoit desarmé les Humains,
Et donné la paix à la Terre ;
On ne cueilloit plus de Lauriers,
Et les Peuples loin de la Guerre
Reposoient sous les Oliviers.

[...]

 Du son des Tambours, des Trompettes,
On entend retentir les Airs,
Icy resonnent les Concerts
Et des Flûtes & des Musettes.
La timide Echo dans les bois
Commence à reprendre sa voix
Pour y publier ses merveilles ;
Et par tout l'éclat de ses faits
Charme les coeurs & les oreilles
Dans la Ville & dans les Forests.
 Calliope alors étonnée,
Grand Prince, du bruit de ton Nom,
Court & vole au sacré Vallon
Pour y chanter ta destinée.
Elle me trouva sur ses pas
Tout ravy des brillans appas
De ta jeune & divine audace.
J'avois encor la Lyre en main ;
Viens, suis-moy, dit-elle, au Parnasse,
Je veux t'en montrer le chemin.
***
 La sçavante Troupe animée
Déjà sur des tons differens
Qu'on chantera dans tous les temps
Travailloit à ta renommée.
Déjà l'heroïque Clio
Traçoit aux Heros pour tableau
L'histoire de ta belle vie,
Therpsicore, Euterpe, Eraton,
Composoient avecque Thalie
De pompeux Balets en ton Nom.
 La magnifique Melpomene,
Par des traits & vifs & nouveaux,
Preparoit d'illustres Travaux,
Dont tu verras briller la Scene.
Mais Calliope dans ses Vers
Qui raviront tout l'Univers
L'emportoit avec Polymnie,
Et d'un accent melodieux
S'accordant avec Uranie
Elevoit ton Nom jusqu'aux Cieux.
***
 Ton Destin que les Muses chantent
Sur des tons si forts & si grands,
Effacera les Conquerans
Que Rome & qu'Athenes nous vantent.
Tu sçauras mesler aux Lauriers
Les Myrtes & les Oliviers,
D'un bras vainqueur calmer la Terre ;
Et tu feras par tes hauts faits
Plus qu'Alexandre dans la Guerre,
Et plus qu'Auguste dans la Paix.

[...]

Voyage de Hollande §

Mercure galant, décembre 1688 (première partie) [tome 16], p. 125-129

 

La situation des affaires me permet de vous envoyer des Vers d’un des hommes de France qui a le plus d’esprit. Il les fit à son retour d’un voyage de Hollande. Je ne doute point qu’ils ne vous plaisent, puis que ceux qui ont le goust le plus delicat se sont empressez pour en avoir des copies.

VOYAGE
DE HOLLANDE.

 Quand dans ces Pays au niveau
Dont la terre en peril est plus basse que l’eau,
 Je vis trente Villes rustiques
Former un seul Estat d’autant de Republiques,
 Où chacun est Maistre chez soy,
Ce Peuple me parut dans ces lieux aquatiques
Un reste libertin des Grenoüilles antiques,
 Qui ne voulurent point de Roy.
***
 L’Etat est si chargé de dettes
Et les Sujets d’Imposts, de Tailles & de Traites,
 Qu’asseurement c’est à bon droit
 Que le sage Etranger s’étonne,
Que l’un puisse payer tous les ans ce qu’il doit
 Et l’autre fournir ce qu’il donne.
 La Terre ingrate à leur égard
 Ne leur a fait aucune part
De ces biens dont ailleurs on la trouve remplie,
 Et cependant ces bonnes gens
 Ont tant fait par leur industrie,
Qu’ils ont abondamment les besoins de la vie
 En dépit des quatre Elemens.
***
 Sans faste & sans magnificence,
Contents d’une agreable & simple propreté,
On voit ce qui ne peut ailleurs estre imité,
 Et qui passe toute croyance,
 Les richesses sans vanité,
 La liberté sans insolence,
 La Maltote sans pauvreté.
***
 De maudits Chariots, invention du Diable,
 Sont la voiture abominable
 Où l’on vous rouë impunément ;
 Mais quelle qu’en soit la misere,
 Cette torture est necessaire
Pour preparer les gens à souffrir constamment,
 L’inévitable barbarie
 Qu’on éprouve infailliblement
 Arrivant à l’Hostellerie.
***
 Chacun y croit ce qu’il luy plaist,
 Et peut paroistre tel qu’il est,
Sans craindre, en l’expliquant, la censure publique ;
 Et l’exacte soûmission
 Au gouvernement politique,
 Est la seule Religion
 Dont on exige la pratique.
***
En un mot sans perdre le temps
En descriptions inutiles,
Rien n’est si joly que les Villes,
Plus grossier que les Habitans.

[Sonnet] §

Mercure galant, décembre 1688 (première partie) [tome 16], p. 129-131

 

J’ajoûte un Sonnet de Mr l’Abbé Flanc, qui s’adresse aux Hollandois.

 Peuples, dont la raison dans l’orgueil s’est perduë,
Vous dont les noirs projets sont enfin découverts,
Quel azile aurez-vous lors qu’un triste revers
Rendra de vos desseins l’audace confonduë ?
***
 Vostre temerité par tout est répanduë,
Ces intrigues, ces soins, ces mouvemens divers,
Ce nombre de Vaisseaux dont vous couvrez les Mers,
Irritent de LOUIS la foudre suspenduë.
***
 Ce Roy dont la valeur vous a déja soûmis
Ne vous regardoit plus comme ses Ennemis,
De ce rare bonheur vous perdez la memoire.
***
 Perfides, redoutez son invincible bras,
Asseuré des succés, chery de la Victoire
Il plantera ses Lys au cœur de vos Etats.

Ouvrage allegorique de la Guerre du Dauphin & de l’Aigle §

Mercure galant, décembre 1688 (première partie) [tome 16], p. 131-232

 

Je vous envoye un Ouvrage Allegorique, dont la lecture vous doit donner beaucoup de plaisir. Elle a de quoy attacher ; aussi cet Ouvrage est-il d’un homme qui a l’esprit aussi inventif, que son sçavoir est profond, & qui ayant fort souvent loüé le Roy, l’a toujours fait avec des manieres ingenieuses, nouvelles, & remplies d’invention. Il ne part rien de sa Plume qui ne divertisse, & n’instruise en mesme temps, parce qu’il y mesle beaucoup d’érudition.

HISTOIRE
ALLEGORIQUE
De la Guerre du Dauphin
& de l’Aigle.

La Paix regnoit depuis long-temps parmy les Dieux. Ils n’avoient rien omis de ce qu’ils pouvoient, afin de profiter des beaux jours, qu’ils tenoient uniquement de la bonté du Soleil. Cet Astre incomparable, infiniment plus grand & plus puissant que tous les autres, faisoit l’admiration & le charme de toute la terre. Il y estoit parfaitement connu, & l’on sçavoit qu’il est le maistre des temps, de la nature & des saisons ; qu’il donne le mouvement principal à ce qui se fait d’excellent dans le monde ; qu’il bannit les tenebres, qu’il chasse la tristesse des Cieux mesmes, qu’il dissipe le chagrin des esprits des hommes par ses influences favorables : enfin, que les autres Astres empruntent de luy leur clarté ; qu’il voit tout ; qu’il penetre toutes choses, & que c’est à la faveur de ses lumieres qu’on peut dire que l’on découvre beaucoup.

Tout cela estoit connu des Dieux, qui s’accoutumerent peu à peu à concevoir du chagrin de voir dans un autre ce merite qu’ils n’avoient pas eux-mesmes. La jalousie est de toutes les Assemblées, & se trouve aussi-bien dans celle des Dieux que parmy les hommes. On sçait que lors que les personnes celestes écoutent une fois le murmure des passions, elles les laissent agir dans la suite avec toute la vigueur possible.

Aussi la jalousie dont je parle, & qui s’éleva contre le Soleil fut violente, mais elle fut secrete. On usa de toute sorte de ruses & d’artifices pour la cacher, & on se resolut de ne la faire éclater qu’à coup seur.

Promethée fut chargé du soin de faire réussir toutes les intrigues, dont on est capable de se servir lors que l’on n’écoute que sa passion. Cet Infidelle n’eut point d’égard aux punitions qu’il avoit receuës du Ciel, pour avoir esté si peu sincere, & de si mauvaise foy. Comme son esprit le portoit à broüiller, & mesme lors qu’il paroissoit agir de meilleure foy, il entra avec joye dans cette nouvelle Ligue, dont il fut l’ame & le principal mouvement.

Il ne s’agissoit plus que de trouver des Dieux qui voulussent y entrer, ce qui estoit assez difficile, parce qu’elle se formoit contre le Soleil. Ceux qui estoient assez injustes pour ne le pas aimer, le craignoient, & tous sçavoient par experience qu’on n’avoit jamais attaqué cet Astre impunément. On ne laissa pas de gagner l’Aigle, en luy inspirant d’abord, que de tout le Ciel personne n’avoit plus d’interest que luy à s’opposer aux grandes prosperitez du Soleil ; qu’il avoit en sa disposition les foudres & le credit de Jupiter ; que l’un de ses plus beaux appanages estoit de pouvoir regarder fixement le Soleil, & que ses aisles luy pourroient estre d’un grand secours pour s’élever au dessus de cet Astre.

L’Aigle cependant ne pouvoit entrer dans ces raisons. Il se souvenoit encore de ce qu’il luy en avoit coûté pour avoir voulu approcher trop prés du Soleil. Les grandeurs apparentes dont on le flattoit pour l’engager dans une guerre sanglante, ne l’aveugloient point tellement qu’il ne reconnust sa propre foiblesse. Sa premiere réponse fut, que tous les honneurs dont on l’amusoit n’estoient pas capables d’affoiblir sa raison ; qu’il se faisoit justice ; qu’à la verité on l’avoit flatté depuis long-temps de pouvoir soûtenir les regards du Soleil ; Mais à dire vray, que c’étoit un pur compliment que cela ; qu’il se trouvoit obligé de leur declarer de bonne-foy qu’ayant voulu presenter cinq ou six Aiglons vis à vis le Soleil, il avoit esté témoin non seulement de leur foiblesse, mais encore de la sienne propre. De plus, qu’il avoit une méchante proprieté qu’ils luy cachoient avec soin, qui est que si-tost que son fiel paroissoit au dehors, on s’en servoit pour découvrir avec plus de facilité les choses ses plus cachées. a Qu’au reste ils devoient faire attention, qu’il estoit de leur Societé, non pas par nature, mais seulement par Election, ce qui le faisoit souvenir du respect qu’il estoit obligé d’avoir pour les Dieux du premier rang, & de sa propre foiblesse qui ne luy permettoit pas de pouvoir rien entreprendre de luy-mesme. Qu’il estoit de plus trop occupé à soûtenir la querelle qu’il avoit depuis long-temps avec la Lune, & qu’on l’avoit asseuré que le Soleil avoit de grandes forces en main, entre autres celles d’Hercule qui luy avoit toûjours esté fatal, & que s’ils estoient capables de se laisser vaincre par une raison de generosité, il les prioit de se souvenir que le Soleil luy avoit autrefois procuré de grands avantages b dans une guerre qu’il avoit eu à soûtenir contre la Lune, & que mesme depuis peu cet Astre si bien-faisant l’avoit voulu assister dans sa disgrace, & l’avoit plaint dans son malheur.

Ces raisons de l’Aigle étoient tres-justes, mais lors qu’on a dessein de broüiller, on ne s’arreste pas à la justice. Un Aiglon entre autres qui n’avoit pu regarder le Soleil, & qui s’estoit voulu faire un établissement considerable aux dépens de ce bel Astre, se lia plus que jamais avec Promethée, & les autres Jaloux de la gloire du Soleil. Avec toutes les précautions que l’on prit pour engager l’Aigle dans la querelle, on n’auroit jamais réüssi dans ce dessein, si l’on ne se fust avisé d’un moyen infaillible.

La Riviere de Lethé estoit d’un usage merveilleux pour favoriser la malice de ceux qui vouloient la guerre. On ne la pouvoit recommencer avec succés contre le Soleil, puis qu’on avoit tant perdu toutes les fois qu’on avoit osé l’entreprendre. Mais il falloit oublier tout cela, & le faire oublier à tous ceux qu’on vouloit engager dans le party. Les maux passez devoient estre affacez de la memoire, & on estoit contraint pour attaquer le Soleil de ne se plus souvenir de toutes les bontez qu’on venoit d’en recevoir, & mesme qu’on devoit la Paix parmy les Dieux à la generosité de cet Astre.

On fit donc couler adroitement dans les Etats de l’Aigle un bras de la Riviere de Lethé, si fameuse de tout temps parmy les Dieux. Tous les Autheurs conviennent de la proprieté qui est naturelle à cette eau, qui est de faire oublier à ceux qui en boivent le bien & le mal passé, afin que les ames que l’on vouloit envoyer dans des corps mortels ne pussent se souvenir des biens qu’ils avoient déja goûtez dans l’autre vie, ou du mal qu’ils avoient endure pendant qu’ils animoient d’autres corps.

Voilà justement la source du malheur de l’Aigle, c il s’amusa luy & ses Aiglons à boire de l’eau de Lethé, qui sembloit si douce, & qui luy fit oublier entierement ce qu’il avoit receu de la gene du Soleil, & ce qu’il luy en avoit coûté lors qu’il l’avoit offensé.

Il se laissa donc aller au torrent, & cette petite troupe de Dieux s’estant assemblée, on convint des moyens d’attaquer le Soleil, sans avoir la précaution d’examiner si l’on pourroit en venir à l’execution. d

Le Soleil cependant qui donne le mouvement à tous les corps Celestes, & qui leur sert de regle, n’avoit garde d’ignorer ce qui se meditoit contre luy. Il fut averty de tout, & ses lumieres mirent en évidence les tenebres les plus profondes d’un projet si injuste. Il se contenta d’en punir les auteurs autant qu’il estoit necessaire seulement, pour leur faire reconnoistre leur faute. Il fit sentir son feu à des Divinitez ingrates, e & se rendit Maistre de plusieurs demeures qui estoient de l’appanage de ces mesmes Divinitez. f

C’en estoit assez pour faire rentrer les mutins dans leur devoir ; mais quand on court de soy-mesme à sa perte, que ne fait-on point pour l’avancer ? Ces aveugles reconnoissoient leur foiblesse, ils la venoient de sentir plus que jamais, & rien n’estoit capable de leur apprendre leurs propres interests que le Soleil mesme. Il leur avoit déja donné la paix, & il la leur rendit encore malgré eux ; il le fit parce que c’estoit l’avantage de ses Ennemis.

Ainsi aprés un orage qui ne promettoit que des foudres & des tonnerres, on vit le Ciel plus beau & plus serein que jamais, & le Soleil envoyant des rayons favorables forma de nouveau un Arc-en-Ciel, qui fut le gage & la marque asseurée de la paix qu’il vouloit donner. g

On admira avec justice une si grande moderation, & le Ennemis mesmes, quoy que fort jaloux de la gloire du Soleil, ne purent s’empescher de le combler d’éloges. A la faveur de cette paix l’Aigle continua de s’établir avec succés dans l’empire de la lune, & selon toutes les apparences, les Dieux alloient goûter long temps les fruits d’un repos qu’ils tenoient de la generosité de leur Bienfaicteur ; mais que ne peut pas une Divinité maligne, qui ne cherche qu’à regner aux dépens de tout ce qu’il y a de plus sacré dans le monde ? Promethée estoit toujours luy-mesme, & il ne put souffrir plus long temps que les Dieux fussent en paix, parce qu’il trouvoit son profit dans la guerre. L’Aigle & les Aiglons retournerent au Fleuve de Lethé qui arrosoit leurs Etats ; ils oublierent tout le passé, & les Divinitez jalouses recommençant leurs cabales & leurs brigues, on s’assembla dans les contours de la maison de l’Aigle, à peu prés vers l’endroit où Promethée a esté relegué, pour avoir voulu prendre du feu au Chariot du Soleil.

Ce fut là h que l’on convint de s’attaquer à la Majesté de cet Astre incomparable. Les Dieux liguez s’accorderent à se secourir mutuellement, & promirent de ne point desister qu’ils ne se fussent saisis de toute la lumiere du Soleil. A peine cet accord fut-il fait, que Promethée qui dans le fond ne se recherchoit que luy-mesme, & qui n’étoit pas en luy-mesme fort Amy de l’Aigle, portant encore i des marques de la persecution qu’il avoit autrefois endurée de sa part ; cet infidelle, dis-je, trompa toute la Troupe avec qui il avoit traité, & tournant tout d’un coup les forces qu’il avoit juré d’employer au service de ses Alliez, il s’avisa d’entreprendre un nouveau larcin.

Les Dieux liguez reconnoissant trop tard qu’ils avoient esté joüez, ne se corrigerent pas pour cela, & faisant une nouvelle cabale, k ils se determinerent à poursuivre leur entreprise contre le Soleil. Cet Astre en eut avis, & ne voulant pas laisser impunie la temerité de ces broüillons, il resolut de les prévenir dans l’execution.

Une jeune Divinité remplie de merite luy parut digne de servir à un si glorieux dessein. C’estoit le Dieu Dauphin dont on relevoit les belles qualitez dans toutes les assemblées du Ciel, & par toute la Terre. Outre sa naissance Royale qui luy avoit procure le rang parmy les Dieux, il avoit encore acquis cet honneur par sa propre vertu. l Le Soleil le choisit donc pour estre le Défenseur de sa gloire. Il espera beaucoup de ce choix, & il ne se trompa point dans l’attente où il estoit de luy voir operer de grandes choses.

Aussi, le Dieu Dauphin a mille belles perfections qui le rendent incomparable. Il n’a point de fiel, toûjours bien faisant envers les hommes, qu’il cherit tendrement, & dont il est reciproquement aimé, avec une reconnoissance qu’il n’est pas facile d’exprimer. Mais sans m’arrester icy à décrire les admirables perfections du Dieu Dauphin, que le détail de ses grandes actions prouvera mieux dans la suite, il suffit presentement de marquer le veritable motif qui porta le Soleil à se servir de luy dans la guerre de l’Aigle.

On sçait qu’Apollon, qui n’est autre que le Soleil, porte luy-même le nom de Dauphin, & affecte de le prendre en plusieurs rencontres principalement lors qu’il se fit voir à ceux de Gnose m qui luy dresserent un Temple-Heliodore attribuë à cet astre le nom de Dauphin à cause de ses Victoires. Il y a plus ; Apollon sous la forme du Dauphin, ou selon ceux qui pretendent sçavoir cette histoire dans son veritable sens, ce Dauphin envoyé par luy fut le conducteur de la flote des Grecs, qu’il preserva du naufrage, & qu’il conduisit heureusement au Golphe de Crisse en la Phocide, n où l’on conserve par des monumens publics la reconnoissance de cette merveille.

Tout cela fait voir le rapport qu’il y a du Soleil avec le Dauphin ; sans-parler de la justice qu’il y avoit de se confier à la bravoure de celuy qui est l’ennemy declaré des o Crocodiles, qu’il deffait toûjours, & des Bises, qu’il a si glorieusement vaincuës autant de fois qu’il les a combattues ; principalement dans l’Hellespont, comme nous l’apprenons de Bellonius, qui assure avoir esté témoin de ce fameux combat.

C’en est assez pour justifier le choix que le Soleil fit du Dauphin pour mettre l’Aigle à la raison. Pendant que Promethée éprouvoit les injures du temps & les atteintes facheuses d’un remords qui le rongeoit, le Dauphin disposoit ses troupes pour n’estre pas surpris de l’Aigle, & mesme afin de le prevenir.

Il ne s’amusa pas tant à en lever de nombreuses, qu’à faire une armée d’élite & remplie de Divinitez qui eussent un parfait merite, sçachant que le courage & l’experience sont plus utiles à un Chef que le grand nombre. La resolution fut prise d’attaquer les Estats de l’Aigle par l’endroit où le fleuve Alphée p les sépare de ceux du Soleil. Le Dauphin marqua cet endroit pour le theatre de ses premieres conquestes, parce que l’eau de ce fleuve estant tres-propre à la nourriture des Oliviers qui croissent sur ses bords avec une facilité merveilleuse, ce Dieu bien faisant vouloit faire comprendre à ses ennemis, que ses démarches n’étoient que pour les contraindre à demeurer en paix, s’ils avoient encore quelque soin de leurs avantages.

La Flote fut équipée en tres-peu de temps, & on ne doit pas s’étonner que le Dieu Dauphin estant le Roy de la mer, comme il paroist par plusieurs monumens qui nous restent, tout ce qu’il y a de propre à la guerre luy fut apporté presqu’aussitost qu’il eut declaré son dessein. Toute sa Flote estoit composée de vingt-trois Vaisseaux de Guerre sans parler des Barques, Brulots, Bastimens de charge, & autres propres à son entreprise.

De tous les Dieux qui s’offrirent à son service, & qu’il voulut bien associer à la participation de sa gloire, il composa son Armée, dont chaque Divinité eut un Vaisseau à commander.

CHEFS ET VAISSEAUX
DE L’ARMÉE DAUPHINE.

  • L’Amiral, commandé par le Dieu Dauphin, ayant pour Pavillon, d’azur à un Dauphin d’argent.
  • L’Invincible, commandé par Mars, ayant pour Pavillon, d’azur au Soleil d’or. Ce Pavillon estoit commun à tout le reste de la Flote.
  • L’Eclairé, commandé par Mercure.
  • Le Vigoureux. commandé par Neptune.
  • L’Ardent, commandé par Vulcain.
  • Le Sage, commandé par Pallas.
  • Le Liberal, commandé par les Graces,
  • La Subordination, commandé par Esculape.
  • L’Equitable, commandé par les Heures.
  • L’Abondance, commandé par Ceres.
  • Le Vaillant, commandé par Thesée.
  • Le Fort, commandé par Hercule.
  • L’Intrepide, commandé par les Cyclopes.
  • Le Prudent, commandé par Protée.
  • Le Pacifique, commandé par Iris.
  • Le Reconnoissant, commandé par Melicerte.
  • L’honneste Homme, commandé par Orphée.
  • Le Calme, commandé par Eole.
  • Le Vigilant, commandé par Ulisse.
  • La Probité, commandé par Deucalion.
  • Le Vengeur, commandé par Nemesis.
  • La Recompense, commandé par Arion.
  • La Constance, commandé par Ocean.

Aprés que l’on eut ainsi distribué les Vaisseaux à chaque Chef, le Dieu Dauphin alla prendre congé du Soleil, pour recevoir ses ordres touchant l’ouverture de la Campagne. Cet Astre admirable estoit alors revêtu d’une majesté extraordinaire, & environné d’un brillant sans pareil. Sa chevelure estoit répanduë avec profusion, pour assurer le Dauphin que ses lumieres & ses conseils ne luy manqueroient pas. Une maniere de Couronne d’or en forme de panier luy couvroit la teste, q ce qui estoit un symbole du feu tout spirituel dont le Soleil est composé, sa cuirasse le faisoit voir comme un Mars. Une Victoire representée au bout d’une lance qu’il tenoit de la main droite, pour faire entendre que tout est soûmis à la vertu du Soleil, qui tient la Victoire entre ses mains. De la main gauche il presentoit au Dauphin un bouquet de fleurs, ce qui luy promettoit l’abondance & la satisfaction qu’il alloit goûter dans son entreprise. Des Aigles qui estoient à ses pieds donnoient déja une esperance fort juste de la prochaine défaite de l’Aigle & des Aiglons.

Le Soleil voulant honorer le merite de chaque Chef, d’une marque de distinction particuliere, leur fit present à tous d’une riche rondache ou écu, representant leurs armes, qu’il avoit fait peindre par le conseil de Mercure.

Le Dauphin trouva sur son Ecusson, qui estoit orné de pierreries, un Soleil d’or en champ d’azur. Il n’est pas besoin d’expliquer pourquoy ces Armoiries luy furent données en partage.

Mars, d’or à un foudre de gueules posé en pal. On sçait assez que l’or signifie l’éclat, qui est aussi marqué par le foudre, dont on a voulu distinguer le Dieu Mars, invincible & veritable foudre de guerre ; il est de gueules, qui signifie Chevalerie.

Mercure, d’argent à un caducée dont la verge est d’or, & les deux serpens d’azur. Le fond d’argent marque la verité des lumieres & des avis que doit avoir un General, la verge d’or avec combien de fidelité il est servy, & l’azur des serpens la reputation de ses belles actions.

Neptune d’or à la fasce de gueules. On peut avec justice attribuer une vigueur infatigable à Neptune, qui est toujours au milieu des eaux. L’or est le symbole de cette force ou vigueur, tres-bien representée par la fasce & par la couleur rouge.

Vulcain, d’argent à un brasier de feu au naturel, l’écu semé de boulets de Canon de sable, au chef cousu d’or à une épée & une pique posées en sautoir, au naturel.

Pallas, d’hermines au chef d’or. La sagesse s’exprime par l’hermine. Le chef marque la conduite ; il est d’or, qui montre que cette sagesse ou conduite a la justice avec elle.

Les Graces, d’argent à une main adextrée & ouverte d’or. Quoy que l’on se serve pour l’ordinaire des graces pour exprimer l’agrément, qui étoit tres-asseurement dans sa perfection parmy nostre illustre Armée, nous nous arrestons icy à marquer par les Graces la liberalité, qui est signifiée par la main ouverte d’or, fondée aussi sur l’argent qui luy sert de champ.

Esculape, de Sable à trois Abeilles au naturel. 2.1. Esculape signifie temperament de l’air & subordination reciproque de tous les membres au Chef. Voilà un des plus forts ressorts qui est absolument necessaire pour le mouvement regulier d’une Armée. Le Sable & les Abeilles sont la figure de cette subordination si generale dans l’Armée du Dauphin.

Les Heures, d’or à un Laurier au naturel. L’or represente la justice, dont le Laurier est aussi le Hieroglyphe.

Cerés, d’argent à une Gerbe d’or, à enquerir. Lors qu’il y a dans une Armoirie une couleur sur une autre couleur, ou un metal sur un autre metal, comme dans l’exemple present, que la Gerbe d’or est sur un fond d’argent, on dit que c’est une Armoirie à enquerir, ce qui signifie que ce concours de deux metaux, ou de deux couleurs, estant extraordinaire & contre les regles du Blason, l’Armoirie a esté accordée pour quelque évenement extraordinaire. C’est aussi ce qui obligea le Soleil de donner à Cerés ces Armes de grande distinction, pour marquer l’abondance d’argent, & de toutes provisions, qui estoit admirable dans son Armée, pendant que les Partisans de l’Aigle & des Aiglons affectoient de publier par tout, que le Soleil ne pourroit jamais soûtenir la dépense necessaire pour faire la Guerre.

Thesée, de sable à un Alerion d’azur, à enquerir. Tous conviennent que la vaillance de Thesée parut principalement dans les Victoires qu’il remporta contre ceux qui prenoient ce qui ne leur apparténoit pas. L’Alerion est un petit Aigle sans bec & sans ongles, destiné particulierement pour signifier la défaite de quelque Prince de l’Empire. L’azur est le simbole de la Victoire, & le sable de la grandeur de Thesée.

Hercules, d’or à deux colomnes posées en pal. Les colomnes d’Hercules sont trop fameuses pour qu’il ne les ait pas euës pour en composer ses armes. L’or est aussi le symbole de la force, de mesme que le sinople.

Les Cyclopes, de gueules, un Lion d’or passant ou leoparde. L’intrepidité est ordinairement exprimée sous la figure du Lion, les émaux sont aussi choisis pour marquer cette vertu.

Prothée, de sable à un Serpent tortillé au naturel, la teste entourée du reste de son corps. Le Sable marque la prudence, dont le Serpent est la figure.

Iris, coupé d’or de gueules & d’azur à une branche d’Olive de sinople en pal brochant sur le tout. Ces émaux favoris de l’Iris avec l’Olive sont des signes de paix que le Soleil offre à l’Aigle.

Melicerte, d’azur à un Dauphin. Melicerte à de trop grandes obligations au Dieu Dauphin pour n’en avoir pas la reconnoissance qui est exprimée dans ses Armes. L’azur & l’argent témoignent sincerité & la noblesse de ce Heros qui doit la vie à celuy pour qui il est prest par un juste retour de tout sacrifier.

Orphée, de Vair. Cette fourure est le simbole de ce que nous appellons honneste homme, & dont Orphée fait gloire.

Eole, de Sable à un Griffon d’argent. Ce Dieu est le Hieroglyphe de la moderation & du calme, puis qu’estant Roy des vents & des tempestes, c’est luy qui les fait rentrer dans leur demeure, pour rendre le repos à tous les Elemens. L’ennemy qu’Eole r avoit à combattre estant fort dans toutes ses demarches, il fut arresté qu’on prendroit le Griffon pour armes ; parce que cet animal, soit qu’on le croye fabuleux ou veritable, est destiné pour marquer la tromperie des ennemis. Le sable & l’argent signifient la tranquillité.

Ulisse, d’argent à un Coq d’azur. Le Coq est le simbole de la vigilance, qui est aussi exprimée par les émaux.

Deucalion, d’argent à un cœur ouvert au naturel. Ce que l’on appelle probité consiste dans un cœur au naturel, & incapable de tromper.

Nemesis, de gueules à un Lezard de sinople posé en pal. Le Lezard ennemy du Serpent & vangeur de la perfidie avec laquelle il conspire contre la vie de l’homme, fut donne à Nemesis, pour l’animer à concourir avec les autres Divinitez, à la gloire du Dauphin. Le gueules, ou couleur rouge, avec le sinople marque la vaillance & la force.

Arion, de gueules à un chevron d’argent. Le Chevron signifie protection & recompense qui anime le Soldat. La richesse est exprimée par l’argent, & l’amour qui est l’effet de la recompense par le rouge, ou gueules.

Ocean, d’argent à un Pal de sable. La constance & la fermeté sont marquées par le Pal, & par la couleur noire ou de sable ; mais cette constance & cette fermeté doivent estre fondées sur la verité ; c’est ce qui est signifié par l’argent.

Toute la Troupe ayant receu ses armes, chacun selon son caractere, on fut plûtost sur les frontieres de l’Aigle qu’il n’eut pensé à se mettre en défense. Toute la terre fut extrémement étonnée, que cet oiseau de Jupiter eust choqué le Soleil avec tant de hauteur, sans prendre plus de seuretez pour sa conservation. S’il estoit pourtant permis de l’excuser dans cette faute, on pourroit dire qu’il fut seduit par les Divinitez avec qui il avoit fait alliance.

Junon s estoit Fille de Saturne, qui estoit d’une ambition & d’une ingratitude sans exemple. Ses manieres étoient imperieuses, & elle faisoit voir dans toutes ses actions une certaine confiance que l’on appelleroit avec raison temerité. Elle se vantoit d’avoir les pluyes & les gresles en sa disposition, en sorte qu’elle esperoit avec un secours si foible éteindre tout le feu du Soleil.

Pluton, t qui estoit aussi Enfant de Saturne, & Frere de Jupiter, estoit amy de l’Aigle ; & ne cherchoit pas la guerre, parce qu’il trouvoit son principal credit & soutien u dans la paix. C’est pour cela qu’afin de demeurer en repos chez luy, il tâchoit d’exciter le trouble autre part. Il y a plus, il n’aimoit pas le Soleil, qui l’avoit mis à la raison dans un differend particulier qu’ils avoient eu, & comme les vaincus conservent toujours une secrete envie contre le vainqueur, Pluton fut meslé dans beaucoup de parties qui se formerent contre le Soleil, & promit toujours de fournir une partie des frais.

La Fortune fut le troisiéme soutien de l’Aigle, mais comme c’est l’inconstance mesme, quoy qu’elle eust témoigné assez de bonté pour l’Aigle & pour les Aiglons, dans un voyage qu’ils venoient de faire dans l’Empire de la Lune, cette infidelle ne les vit pas plûtost attaquez de l’Armée Dauphine, qu’elle leur tourna le dos.

Ainsi le Dauphin, qui est le Prince des Dieux Marins, & le plus prompt & le plus rapide de tous x dans sa course, estant heureusement secondé de ses Chefs, fit une diligence incroyable, & descendit sans peine dans les Etats de l’Aigle avec sa Flote, qui estoit aussi belle qu’on en eust vû de longtemps.

Avant que de m’engager dans le détail du débarquement de la Flote Dauphine, il est necessaire de donner une peinture de la frontiere des Etats de l’Aigle. Le Fleuve Alphée y l’arrosoit, parce que le Soleil l’y avoit fait venir.

La Riviere de Lethé traversoit entre deux montagnes, & venoit se perdre dans le fleuve Alphée. On découvroit d’abord la Citadelle d’Orion, qui estoit à droite de la Riviere de Lethé, & un peu plus loin que les bords du Fleuve. Trois Tours qui avoient assez d’apparence, mais tres-foibles en effet, faisoient le principal de cette Citadelle.

Un peu au dessus on voyoit le fort de Promethée, qui estoit un polygone. On avoit placé au dessous un Bataillon des Troupes de Pandion, z pour garder les dehors. C’est tout ce qui faisoit la force des Etats de l’Aigle. Il est vray qu’une montagne d’une hauteur prodigieuse avoit dequoy donner de la crainte à ceux qui se laissent tromper par les apparences. On l’appelloit la Montagne de Tantale.

Un peu à droite on en découvroit une autre qui n’étoit pas si haute, & que l’on nomme, Mont de Chimere, & dans l’extremité encore plus à droite paroissoient les Monts de Fortune.

A la gauche de la Montagne de Tantale, s’élevoient de petits monts appellez de la satyre & des libelles, dont on avoit beaucoup vanté la force & la défense, aussi bien que des autres fortifications de la frontiere des Estats de l’Aigle ; mais les coureurs que le Dieu Dauphin envoya, & que l’on appelloit Equité, Lumiere, Verité & Amour du Prince, reconnurent sans peine qu’il n’y pourroit avoir que le prejugé qui fust capable de faire valoir la force de ces monts de libelles & de Satyre.

Il estoit aussi fort à propos, avant que de faire le débarquement, de sçavoir des nouvelles plus certaines de l’estat des Monts de Fortune. L’Aigle faisoit un grand fond sur les forces de cette Reyne. Pour ne pas déguiser la verité elle estoit à craindre, puis qu’il est assez difficile de la gagner quand elle est contraire, soit qu’on s’y prenne par la douceur, ou qu’on luy déclare une Guerre ouverte.

Nemesis fut dépeschée avec son Vaisseau pour aller sur le bord du rivage qui termine les Monts de Fortune ; elle fit voir un Drapeau blanc pour signal de paix. La Fortune parut, Nemesis luy dépescha la Prosperité, avec qui la Fortune avoit lié amitié depuis le commencement. Celle-cy qui est toûjours fort éloquente, fit valoir le mépris que l’Aigle avoit fait de la puissance du Soleil, & de la valeur de ses Troupes, aprés en avoir receu des marques si sensibles. On n’oublia pas l’alliance qui avoit esté jurée depuis si long-temps, entre le Soleil & la Déesse Fortune, dont le Dieu Dauphin venoit demander la continuation, avec des promesses solides de reconnoistre sincerement les services rendus.

Ce Traité n’avoit garde de manquer ; il se faisoit entre des Déesses qui estoient amies depuis long-temps, outre qu’il n’y a rien de si facile au Soleil que de gagner les cœurs. La Fortune, pour marquer qu’elle agissoit de bonne-foy, passa dans le Vaisseau du Dieu Dauphin, pour ne le point quitter, voulant avec la Prosperité combattre à ses costez.

Nemesis cependant fut laissée avec son Vaisseau au pied des Monts de Fortune, pour tenir cet Estat dans le respect, & le Dauphin estant asseuré de son entreprise, en commença l’execution de cette maniere.

Cerés qui commandoit l’Abondance, fut envoyée à la teste du débarquement, afin que rien ne manquast aux Troupes. C’est ainsi que le Soleil a coutume d’en user dans toutes ses entreprises, qui sont infaillibles, parce qu’avant que de les commencer, il n’omet rien de ce qui peut en asseurer le succés.

Mercure alloit ensuite, montant l’Eclairé, dont toutes les Troupes avoient soin d’observer exactement toutes choses, & d’en donner avis au Dauphin, qui jugea à propos d’envoyer Thesée aa qui commandoit le Vaillant. Il eut ordre d’observer le Fort de Promethée, ce qu’il fit avec tant de vaillance & de conduite, qu’ayant fait une décharge de tout son canon, il mit en deroute les Troupes de Pandion, qui couvroient le Fort, dont on ne reçeut aucun dommage.

Hercules bb montoit la Force, & s’avança au bord du Fleuve pour commencer le débarquement. Il le fit avec beaucoup de succez, faisant d’abord descendre le Bataillon de Bondroit, qui alla aussi-tost se poster entre la Riviere de Lethé, & la Citadelle d’Orion, où il se fortifia parfaitement. Il estoit à peine disposé en ordre de Bataille, qu’il vit devant luy un grand front, qui grossissoit à mesure, & qui faisoit mine de vouloir combattre. On vint au qui vive, & le Soleil qui éclairoit de ses lumieres le Champ de Bataille, reconnût que c’estoit le Bataillon des Halcions, cc qui avoient eu si peu de moderation que de se vouloir égaler aux Dieux. C’est ce qu’il regarda d’un œil de pitié & de compassion pour leur aveuglement, & il les changea en Aiglons afin de les punir de leur hardiesse.

L’Amiral monté par le Dieu Dauphin, paroissoit ensuite, soutenu d’un costé de Mars, qui commandoit dd l’Invincible, & de Prothée, Capitaine du Prudent. Celuy-cy estoit un Dieu de grande vertu, & qui avoit cela de propre, qu’il changeoit de forme selon qu’il le jugeoit à propos. C’est pour cela que le Dauphin voulut toujours l’avoir avec soy, & il en fit un usage admirable dans toute la suite de cette guerre ; estant grand & remply de Majesté, lors qu’il avoit à traitter avec les Dieux, un peu plus ouvert avec les Officiers, & populaire avec les Soldats qu’il cherissoit, & dont il estoit aimé & reveré jusqu’à l’adoration, s’il leur eust esté permis.

Mais ce qui étonna beaucoup tous les Dieux, & même les Ennemis du Soleil, ce fut de voir qu’Iris commandant le Pacifique estoit toujours aux costez du Dauphin pour offrir la Paix à l’Aigle, en cas qu’il la voulust accepter, se montrant par tout avec tant d’apparence & de distinction qu’il estoit libre de la trouver pour peu qu’on s’empressast de le faire.

Les Cyclopes ee qui montoient l’Intrepide, estoient aussi fort proches de l’Amiral. Ils avoient soin de fournir au Dauphin les foudres ; les éclairs & les tonnerres, en sorte que leur Vaisseau estoit tout en feu.

On voyoit à gauche l’Equité que les Heures ff commandoient. Elles estoient appliquées principalement à faire observer l’exacte discipline dans l’Armée, & à maintenir la justice & la paix, sans parler de leur principale fonction, qui est d’apporter toujours aux hommes quelque chose de nouveau.

Esculape, montant la Subordination, estoit rangé sur la mesme ligne. Son employ estoit de regler tout dans un ordre égal, & d’avoir soin que son Epouse Hysiché, ou Santé (d’autres disent qu’elle est sa Fille) se trouvast par tout, & empeschast la maladie d’approcher de l’Armée du Dauphin.

Les Graces commandoient le Liberal. gg Elles sont Filles du Soleil aussi bien qu’Esculape. Ce n’estoit pas seulement pour maintenir le bon air & l’agrément dans la personne du Dieu Dauphin, qui les avoit dans son Armée, mais encore pour y faire regner la liberalité, qui est l’une de ses vertus favorites: leur Vaisseau estoit toujours en action, & combattoit avec beaucoup de bonheur la pauvreté de l’Aigle & des Aiglons.

Pallas hh qui commandoit le Sage, suivoit les Graces. La Milice de son Vaisseau estoit la Force mesme, puis qu’avec le secours de ces Troupes conduites par la Sagesse, elle avoit déja défait autrefois, & mis en déroute les Geans. Aussi ses Soldats estoient entierement armez depuis la tête jusqu’aux pieds, & ne contribuerent pas peu aux victoires du Dauphin, qui avoit raison de faire consister une bonne partie de ses forces dans sa propre sagesse.

Le Vigoureux monté par Neptune, fermoit cette premiere ligne de la gauche. On sçait assez combien ce Dieu est dévoüé ii au Dauphin, dont il a pris souvent la figure, & qu’il estoit venu servir pour asseurer toute son Armée contre les injures & les mauvais traitemens de l’eau.

Melicerte kk s’estoit posté avec son Vaisseau le Reconnoissant, à la droite du Dauphin, afin de mourir plûtost à ses costez, que de l’abandonner, estant trop penetré des obligations qu’il avoit à son Bienfaicteur, de qui il tenoit la vie, aussi-bien que toute sa troupe, qui estoit composée de Soldats enrichis des presens du Soleil ou du Dauphin.

Ocean estoit sur la mesme ligne un peu à costé, commandant la Constance, ayant Orphée auprés de luy qui montoit l’Honneste-homme. Ce Dieu si celebre pour avoir appaisé les Enfers, estoit Fils d’Apollon. Il fut tres-équitable, non seulement envers les autres, mais aussi envers soy-mesme, & fut choisi du Dauphin pour avoir l’inspection sur les Soldats, pour leur apprendre plusieurs choses tres-utiles, principalement l’honnesteté que l’on voit regner parmy les peuples du Soleil, sans parler du soin qu’il prit de chanter en Vers les glorieux faits du Dieu Dauphin & des autres Heros.

Arion s’estoit rendu fort agreable au Dauphin, qui en eut tant de reconnoissance, qu’il le sauva du naufrage. On peut dire que le soin que le Dauphin se donnoit de récompenser la vertu & le merite, luy acquit le cœur & les services de tous. Aussi c’est le secret de regner avec succés, & le Soleil sçait mieux que personne mettre cette vertu en usage.

Ulisse comuniquoit sa vigilance à toutes les Troupes, & Deucalion, ll qui montoit la Probité, conservoit par toute l’Armée cette sagesse que le Dieu Dauphin luy inspiroit.

Un si bel ordre ayant esté étably, & toutes choses estant preveuës d’une maniere si prudente, le Dauphin plus vif & plus diligent non seulement mm que l’oiseau, mais encore qu’une fléche, fit avancer ses troupes. L’Armée fit le débarquement sans peine, & se mit en bataille sur les bords du Fleuve, puis gagna petit à petit sur le haut de la montagne.

Tytie avec un petit corps d’armée voulut s’avancer pour nous faire teste ; mais ce Chef ayant trop bonne opinion de son merite & de sa puissance, avoit negligé l’équité & les autres vertus, ce qui le rendit odieux aux siens, qui lacherent pied aprés la premiere décharge. Ainsi l’imprudent Tytie nn fut contraint de ceder au Soleil, qui le regardant en face, l’abbatit à ses pieds.

On n’eut pas de peine ensuite de rompre le bataillon des Titans, qui s’estoient joints à Tytie. Jupiter qui n’estoit pas content d’eux, & même qui paroissoit outré de leur temerité, parce qu’ils s’étoient revoltez contre luy, se joignit au Soleil, les écrasa de ses foudres, & tout le mal qu’ils pretendoient susciter au Soleil retomba sur eux, & sur la terre seule, qui vit former du sang de leurs blessures, oo une quantité de viperes, de serpens, d’araignées, & d’autres animaux, qui ne firent tort qu’à ceux qui ne voulurent pas s’en donner de garde.

Vulcain cependant fut commandé pour aller bombarder les Monts-libelles & les Monts de Satyre. Il trouva dans son chemin une troupe de Soldats pp que Junon avoit postez pour luy disputer le passage dans le détroit. Vulcain répondit avec tant de vigueur par ses bombes, son canon & toute son artillerie, que Junon & toute sa troupe furent défaites. Ainsi on conduisit sans aucun empeschement les brulots, & tout l’artifice, afin de bombarder les Estats des libelles & de la satyre qui furent tous brûlez & reduits en cendre.

Aprés cette expedition, & lors que la Coste fut presque toute nettoyée, on vit accourir un secours d’Eumenides, qq qui ne venoient pas seulement pour estre témoins de la défaite de l’armée de Tytie, & du Bataillon des Titans, mais encore plus pour tourmenter l’Aigle & les Aiglons, en excitant en eux de sensibles remords, & les faisant repentir de leur entreprise témeraire.

C’est ainsi que le Dieu Dauphin remplissoit les Estats de l’Aigle de terreur, & qu’il travailloit à étendre l’Empire du Soleil. Les Dieux estoient ravis d’admiration & d’étonnement de luy trouver tant de vertus heroïques. Il est vray qu’ils sçavoient fort bien que les démarches de ce jeune Heros faisoient la regle certaine du calme rr & des tempestes de la mer, qu’il est plus grand dans l’Empire du Soleil ss que par tout ailleurs, & qu’on se sert de luy pour exprimer la vitesse & la prudence, tt mais ils n’avoient pas encore esté témoins par eux mesmes de sa force incomparable, & de l’intrepidité avec laquelle il vole au combat, en sorte que rien ne pouvoit resister à ses armes,

Aussi, ne fut il pas plûtost le maistre de cette Coste, qu’il fit combler le fleuve de Lethé, qui avoit esté si fatal à l’Aigle & aux Aiglons. Ils commencerent à se souvenir du passé, & à se le representer vivement, pendant que le Dauphin tourna ses armes du costé de la Citadelle d’Orion.

Nous avons déja remarqué qu’elle estoit défenduë par trois Tours uu qui ne firent pas peur à ceux qui furent commandez pour l’attaquer ; on s’en rendit maistre en peu de temps, à la faveur de la force & de la chaleur du Soleil, qui ne fut pas peu surpris devoir qu’une Place qu’il avoit élevée luy mesme, xx osast se revolter contre luy.

La Citadelle d’Orion estant reduite, on s’approcha d’un gros qui paroissoit à la hauteur du fort de Promethée, au dessous du Mont de Chimere. On le rompit facilement parce qu’il estoit commandé par Amphion, qui avoit fait grand fond sur sa prosperité, sans se mettre en peine de se fortifier, ou de prendre avantage du poste où il estoit. C’est ainsi que sa presomption le rendit temeraire, & luy attira justement son malheur.

Dans tous ces differens mouvemens il ne se pouvoit pas faire qu’on ne perdit du monde, où qu’il n’y en eust de blessé ; mais le Dauphin dont la tendresse est admirable envers les siens, & envers ceux qui sont ou foibles ou blessez, yy se trouvoit par tout pour secourir & pour consoler luy-mesme tous ceux qui en avoient besoin.

On admira avec justice une si grande bonté, dont on avoit peu vû d’exemples jusque-là, en sorte mesme que les Malades souhaitoient avec passion de s’exposer encore tout de nouveau, dans l’estat pitoyable où ils étoient, pour le service d’un Heros qu’ils aimoient sincerement, & qui les combloit de bienfaits & deliberalitez.

La Victoire zz cependant estoit dans des inquietudes mortelles pour son cher Dauphin. Cette incomparable Déesse avoit entierement quitté l’Aigle, pour s’attacher au Soleil, auprés de qui elle estoit demeurée pendant tous ces mouvemens. La Renommée luy disoit tous les jours cent belles choses de nostre jeune Heros ; elle en ressentoit une joye inconcevable, mais elle n’avoit aucun repos, jusqu’à ce qu’elle eust le plaisir de revoir ce qu’elle aimoit.

Pendant qu’elle estoit dans des inquietudes terribles pour la conservation de son cher Dauphin, elle reçeut une lettre que Mercure luy écrivoit, & qu’il luy envoyoit exprés par la Verité. Elle ouvrit cette lettre, & y trouva ce qui suit.

LETTRE DE MERCURE
a la Victoire.

Preparez, incomparable Déesse, des Lauriers & des Couronnes pour nostre jeune Heros, qui vous est si cher. Il acheve sa course glorieuse, dans laquelle nous ne l’avons suivi que de loin. La Renommée vous en aura sans doute beaucoup appris, mais la Verité, que je vous envoye, vous en dira encore davantage. Il n’y a que fort peu de temps qu’il fait la guerre, & il semble qu’il n’ait jamais fait autre chose, en sorte que tout ce que nous pouvons, c’est de l’admirer. Vous l’allez revoir aussi tendre que jamais pour vous aaa & pour les precieux gages de vostre chaste amour. Tout cede à la force de son bras, & c’est un digne Fils du Soleil.

La Victoire se rassura aprés la lecture de cette Lettre, & le Dauphin dont l’intelligence est bbb admirable, se trouvoit dans tous les lieux où sa presence estoit necessaire. Il donnoit ordre à tout, & il estoit le premier, non seulement aux attaques, mais aussi dans tout ce qu’il y avoit de plus perilleux. Son soin s’étendoit jusque sur les Morts, dont il faisoit luy-mesme ccc faire les funerailles selon le rang des personnes.

Rien ne s’opposoit plus à ses armes que le Fort de Promethée, & la Batterie de Borée. Il envoya reconnoistre le Fort de Promethée, on l’investit & on tailla en pieces un Bataillon, des Troupes de Pandion ; qui s’estoit avancé pour en disputer les dehors. On dressa d’abord les Batteries contre le Fort, qui ne se défendit presque point ; on monta en mesme temps à l’assaut, & on trouva qu’il n’y avoit aucunes Troupes pour garder le Fort ; & que Promethée s’en estoit servy pour aller s’emparer d’un autre Etat, pendant qu’il amusoit ses Alliez d’une protection puissante qu’il n’avoit pas envie de leur donner.

La Batterie que Borée avoit élevée au bord du Fleuve Alphée, voulut au moins avoir la gloire de se défendre, mais Eole, que le Dauphin avoit envoyé pour l’attaquer, la pressa tellement. qu’il s’en rendit le maistre en tres-peu de temps. On s’empara ensuite du mont ddd de Tantale avec autant de facilité que l’on dissipa quelques Avanturiers que l’on avoit postez aux avenuës du mont de Chimere.

C’est où se termina la défense de l’Aigle & des Aiglons, dont toutes les Forteresses furent prises, les Troupes vaincuës, & la défaite aussi generale & aussi parfaite que le Soleil le pouvoit souhaiter. On en verra mieux toutes les démarches & tous les mouvemens par la figure que nous en donnons.

Tout ayant cedé aux armes victorieuses du Dieu Dauphin, on ne parloit que de ses glorieux exploits. Il estoit souhaité avec ardeur du Soleil & de tous les Dieux, non seulement parce qu’il estoit generalement aimé, mais aussi parce que ses nouvelles conquestes l’avoient rendu plus cher aux Dieux & aux hommes, qu’il honore d’une amitié eee toute particuliere.

Aussi lors qu’il retourna tout couvert de gloire, le Soleil & la Victoire allerent au devant de luy ; il en fut receu avec toutes les marques de tendresse & de joye que l’on peut s’imaginer, sans les pouvoir décrire ; pendant que les Muses fff qui luy sont attachées d’une maniere toute particuliere, se mirent à chanter ses triomphes. On luy prepara des concerts parce qu’il les aime ggg beaucoup, & tous les Heros voulurent prendre dans la suite pour la distinction de leurs armes & boucliers la hhh figure du Dauphin dont la gloire est au dessus de nos éloges, non seulement dans l’Empire du Soleil, mais encore chez ses propres ennemis.

Je ne doute point, Madame que cette Relation Allegorique du Siege de Philisbourg ne vous ait encore paru plus agreable que je ne vous l’ay fait esperer en vous preparant à la lire. Tout ce qui est ingenieusement raconté a toujours esté de vostre goust, & il me paroist qu’il ne manque rien à cet Ouvrage de ce qui peut vous le faire aimer. On a fait encore de grandes réjoüissances pour cette Conqueste en beaucoup de Villes.

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[Troisiéme Article des Réjoüissances faites pour la prise de Philisbourg] §

Mercure galant, décembre 1688 (première partie) [tome 16], p. 232, 236-237

 

Le 21. du mois passé le Chapitre & la Communauté de Morlaix, firent chanter le Te Deum dans l'Eglise Collegiale de Nostre-Dame du Mur. Mr Dizeul, Doyen du Chapitre, fit paroistre son zele, comme il l'a déjà fait en diverses occasions, par des desseins qui se rapportoient au temps, & qui furent representez dans de grands Cartouches environnez de Trophées. [...]

 

Le 22. Madame de Berthemet, Sœur de Madame de Saint Poüange, & Abbesse de Saint Loüis de Vernon, fit rendre les mesmes actions de graces dans son Eglise, qui estoit extremement parée & illuminée. Le Te Deum qu'on y chanta avec grande Musique & Simphonie, fut suivy de Motets & de Prieres pour la conservation de Sa Majesté. Le Corps de Justice s'y trouva en Robes de ceremonie, & toute la Ville s'y rendit en foule. [...]

[Le Medecin pour les Maladies du Temps. Dialogue] §

Mercure galant, décembre 1688 (première partie) [tome 16], p. 239-255

 

Je vous envoye une Piece que vous trouverez tres-agréable. Elle est de Mr l’Abbé de la Chaise. Il suppose qu’un fameux Medecin de Salerne fut consulté la veille de la Toussaint, par plusieurs personnes de differentes Nations. La premiere qu’il fait parler, est un Vieillard Romain qui marche avec grande peine, & qui entre dans la chambre du Medecin, soûtenu par deux hommes qui luy donnent la main Peut-estre que le changement de situation des affaires empeschera que la Piece ne vous paroisse aussi juste qu’elle estoit dans le temps qu’elle a esté faite ; mais à la regarder par rapport, à ce que nous avons veu, il ne se peut que vous ne la trouviez fort spirituelle, & pleine d’invention.

LE MEDECIN
Pour les Maladies du Temps.
Le Vieillard Romain.

Je ne puis plus faire aucune demarche de moy-mesme, & les personnes que vous voyez sur lesquelles je m’appuye, m’ont fait faire un faux pas, dont je commence à ressentir de grandes incommoditez. Quoy que je m’aperçoive bien que j’ay besoin de remedes, je ne puis me resoudre à vous en demander, car j’ay toûjours esté d’humeur à ne vouloir point m’en servir. Ainsi je vous prie seulement de me dire ce que vous pensez de mon mal.

Le Medecin.

Il sera long, les suites en seront facheuses, & ce qui va sans doute vous surprendre, c’est que je prevoy que si l’on n’y donne ordre promptement, elles pourront durer plus que vôtre vie.

Le François.

J’ay sans doute une santé bien confirmée ; mais cependant je voy qu’il se forme un certain amas d’humeurs, qui pourroit tomber avec le temps sur quelque partie de mon corps. J’ay déja pris quelques remedes de précaution. Ne seroit-il point bon de continuer ?

Le Medecin.

Continuez comme vous avez commencé. Il est plus facile de fermer la Bergerie que d’en chasser le Loup quand une fois il y est entré, & vous avez tant de fois éprouvé les pilules dont vous vous servez, que vous ne pouvez pas douter qu’elles n’ayent un bon effet.

Les Allemans paroissent en Troupe, l’un d’eux en conduit le Chef, & les autres le suivent.

Le Chef des Allemans.

J’allay autresfois sur le Rhin, où je me portay fort mal. Ma santé s’estoit rétablie sur le Danube ; mais on m’engage imprudemment à revenir sur le Rhin, & je m’aperçoy déja que mon mal recommence. Je trouvois sur le Danube d’une certaine huile de lauriers, qui me faisoit des merveilles, mais jamais je n’en ay pu trouver sur le Rhin. Se pourroit-il faire que j’y en rencontrasse, où n’y a-t-il point quelque autre sorte de medicament qui fust propre pour ma maladie ?

Le Medecin.

L’air du Rhin vous sera toûjours pernicieux ; il y croist des lauriers, mais il se trouve là des voisins qui ne manquent jamais de les enlever, & il n’y a pas jusqu’à leurs enfans qui ne s’en chargent. Cependant ils n’en font part qu’à ceux de leur cabale ; ainsi je ne voy rien qui puisse vous estre icy salutaire que l’huile d’Olives, dont je vous conseille l’usage autant que vous pourrez.

L’Allemand conducteur.

Ma maladie est subite, & ce ce qu’il y a de facheux c’est que les précautions, que j’avois prises pour l’empescher, me l’ont attirée. On m’a saigné d’abord, mais je ne m’en porte que plus mal. Je vous demande un prompt remede, parce que mes douleurs me pressent vivement.

Le Medecin.

Et moy, je ne puis si tost vous en donner. La saignée vous est contraire, & quant à vous purger, j’ay peur que la maladie d’elle mesme ne vous fasse que trop d’évacuation. Ce que je puis vous conseiller presentement, en attendant que j’en aye veu les suites, c’est d’user de rafraichissemens, autant que vous le pourrez, car j’ay grand’peur que vous ne soyez enfin tourmenté d’une grande chaleur d’entrailles.

Les Allemans de la suite.

J’ay la Fiévre bien forte.…
J’ay un grand mal de cœur…

Le Medecin qui les interrompt.

Messieurs, comme j’ay donné cette journée à toutes les Nations, je ne puis pas vous entendre chacun en particulier, par ce que vous estes trop grand nombre de la vostre, & demain je ne seray pas visible. Ainsi vous trouverez bon que je vous remette au jour des Morts.

L’Espagnol.

Je ne suis point encore malade, mais je crains extremement de le devenir, parce que je suis fort sujet à gagner le mal d’autruy, & il me souvient qu’il n’y a pas long-temps que voulant assister les autres, je fus non seulement pris de leur maladie, mais bien plus, chacun se tira, comme il put d’affaires, & l’on me fit payer pour tous. Ce que je vous demande donc, quant à present, ce sont des preservatifs contre la contagion.

Le Medecin.

Tenez-vous clos & couvert ; mangez vos chapons sans Oranges, & s’il y a quelques Aigles chez-vous, qu’on leur donne incessamment l’essor. Il n’y a rien qui soit si capable de vous apporter le mauvais air.

L’Anglois

Ma maladie est proprement une douleur d’entrailles, qui vient de deux causes ; l’une interne, & l’autre étrangere. Ce que je crains le plus, ce sont de ces maux, qu’on appelle traîtres ; c’est à dire de ces fluxions qui tombent tout d’un coup sur les parties où elles sont le moins attendues. Chacun dit que mon mal est grand, mais j’ay le cœur bon, & point de fiévre.

Le Medecin.

Il faut travailler differemment à la cure de vostre maladie. Ce qui vient d’une cause estrangere, se doit repousser par des remedes forts & vigoureux, & ce qui vient d’une cause interne, par des palliatifs. La saignée est le premier remede qu’il faudra tenter, & j’espere qu’elle vous sera favorable. Une bonne purgation vous gueriroit, car vous avez besoin d’une grande évacuation ; mais il n’en est pas encore temps.

On voit icy paroistre une Femme que conduit moitié par force un Cavalier qu’elle nomme son Fils, & c’est ce Cavalier qui parle le premier.

Le Fils aîné de Hollande.

C’estoit sans doute la Colique, que j’avois ces jours passez, car t’estois bien tourmenté des vents. mais le principal de mes maux, & celuy qui sans doute est la source de tous les autres, c’est un appetit extremement dereglé, qui fait que je m’aperçoy mesme assez souvent que sans y penser je prens des morceaux si gros que je ne sçaurois les avaler.

Le Medecin.

Cet appetit immoderé vous joüera sans doute d’un mauvais tour, quand vous y penserez moins, car comme vous en prenez plus que vous n’en pouvez digerer, une bonne fois la chaleur naturelle accablée d’un trop grand fardeau s’éteindra tout d’un coup en vous, & vous serez étouffé en un instant.

La Hollande.

J’eus il y a quelque temps une grande maladie dont je pensay mourir, & je voy que je commence à ressentir une agitation d’humeurs toute pareille à celle qui la preceda. Ce que je vous diray tout bas, c’est que celuy qui vient de parler à vous, qui est mon Fils aisné, sous pretexte de vouloir prendre soin de moy, pensa me faire mettre en curatelle, & je crains encore cela plus que mon mal.

Le Medecin.

Vous estes menacée d’une grande rechute, qui apparemment sera plus dangereuse que estoit la premiere Maladie. Pour ce qui est d’estre mise en curatelle, outre ce que je reconnois dans vostre phisionomie, je voy je ne sçay quel égarement dans vostre conduite, qui me fait assez juger que ce que vous craignez arrivera, mais je ne sçais pas quel sera vostre Curateur.

Le Suedois.

Je fus malade il y a quelque temps, mais je me trouvay bien-tost gueri par le soin d’un genereux Medecin, qui paya mesme du sien toute la dépense de mon rétablissement. Cependant je l’ay quitté mal à propos, & j’ay pris un regime de vivre tout contraire à celuy que je suivois autrefois. Je voy bien qu’une maladie nouvelle me menace. Que dois-je faire pour m’en garantir ?

Le Medecin.

J’ay sceu vostre premiere maladie, & je sçay comme vous avez recompensé vostre Medecin ; ainsi vous voudrez bien que je me dispense de l’estre, & que je vous prie de porter vostre consultation ailleurs.

Le Medecin se leve en tournant le dos au Suedois, & prend congé de la Compagnie.

[Histoire] §

Mercure galant, décembre 1688 (première partie) [tome 16], p. 256-288

 

On a beau s’imaginer sur differentes épreuves qu’on est à couvert des surprises de l’Amour, ou du moins qu’on n’aimera qu’autant qu’on pourra s’en faire un plaisir. Il est un moment fatal pour ceux-mesmes qui sçavent le mieux se servir de leur raison & quand ce moment est arrivé, on est la dupe de sa confiance, & ce qui n’avoit esté jusque-là qu’un amusement de galanterie, devient tout d’un coup un engagement de necessité. Un Cavalier fort bien-fait, ayant du bien & de la naissance, se sentit d’abord touché de la passion qui est naturelle aux jeunes gens ; il ne songea qu’à acquerir de la gloire. Ainsi la Guerre s’estant allumée en France, il y prit employ, & les actions d’éclat qu’il fit, le mirent bien-tost au nombre de ceux dont on parla avec le plus de distinction. Un certain air martial, qu’on ne manque guere d’acquerir en suivant la profession des Armes, commença à luy donner une fierté noble qui releva fort sa bonne mine, & la reputation qu’il s’acquit dans ses premieres Campagnes luy ayant fait prendre des sentimens de luy-mesme aussi élevez que son courage, il crut pouvoir aspirer à tout, & il ne s’arrestoit l’Hyver dans aucune Ville, où il n’entreprist auprés du beau Sexe quelque importante Conqueste. La facilité qu’il trouvoit à réüssir, luy persuada que les soûpirs estoient inutiles pour venir à bout d’un cœur, quand on l’attaquoit de bonne grace, & le triomphe ne luy coustant pas beaucoup, il ne se sentoit piqué en aimant que du plaisir de la nouveauté. La paix s’estant faite, il luy prit envie de voir differentes Cours. Il employa trois ou quatre années à ses voyages, & cette étude du monde fortifia son merite par des agrémens, qui le firent écouter favorablement de toutes les Belles à qui il voulut rendre quelques soins. Il revint en France dans le dessein de songer à un établissement. En passant par une Ville celebre, il se souvint qu’un Officier de ses intime Amis y avoit un employ considerable. Il alla le voir, & cet Amy le retint chez luy, en l’asseurant qu’il trouveroit dequoy s’occuper agreablement en ce lieu là, puis qu’il y verroit quantité de jolies Femmes. Deux jours aprés, comme c’estoit la saison du Carnaval, il le mena à un Bal qu’on donnoit à une Dame des premieres de la Ville. Ils n’y furent pas si-tost entrez, que le Cavalier parcourut des yeux toute l’Assemblée, & ayant esté frappé de la beauté d’une aimable Brune, il s’approcha d’elle, & s’attacha à l’entretenir pendant tout le Bal. Il luy trouva de l’esprit, des manieres fort honnestes, mais fieres en mesme temps, & quoy que ce fust un caractere tout nouveau pour luy, si sa vanité en fut choquée, il ne laissa pas de redoubler son estime pour cette belle personne. Leur entretien fut souvent interrompu, parce qu’on la faisoit danser à toute heure. La Belle s’en acquitoit admirablement, & aprés avoir dansé avec plusieurs autres, elle prit le Cavalier, en luy disant qu’elle vouloit le recompenser par là du temps qu’il venoit de perdre à luy conter des douceurs. Le Bal finit, & le Cavalier qui s’en retourna avec son Amy, luy demanda qui estoit cette agreable Personne. Il apprit de luy qu’elle demeuroit avec son Pere, qui l’avoit promise à un Marquis qu’elle devoit épouser à son retour d’un voyage où ses affaires l’avoient appellé. Son Amy luy dit encore, que quoy qu’elle eust mille belles qualitez, quand elle seroit sans aucun engagement, il ne luy conseilleroit pas de s’y attacher, parce que son Pere ne luy permettoit de recevoir aucune visite, & que d’ailleurs elle estoit d’une si grande fierté, que le Marquis qu’elle pouvoit regarder déja comme son Mary, tout plein de merite qu’il estoit, n’avoit encore pu obtenir d’elle de luy faire avoüer qu’elle estoit sensible à son amour. Toutes ces difficultez furent une amorce pour le Cavalier. Il entreprit de les vaincre, & ayant sceu que la belle Brune voyoit souvent une Dame chez qui son Amy alloit quelquefois, il le pria de luy en donner la connoissance. Il fut introduit chez cette Dame, & estant d’une humeur tres-agreable & insinuante, il s’y rendit si familier en fort peu de temps, qu’il y pouvoit aller à toute heure. Ainsi la Belle n’y venoit jamais qu’il ne s’y trouvast. Elle estoit fiere, il la combattit par la fierté & en se vantant avec enjoüement d’avoir un cœur aussi invincible que le sien, il luy fit naistre l’envie de mettre sa gloire à l’assujettir. Ils se dirent mille choses fines & spirituelles, & commencerent à s’aimer veritablement, lors qu’ils croyoient estre toujours libres, & ne faire que chercher à triompher l’un de l’autre. Le Marquis revint, & ce fut alors que le Cavalier se tint asseuré de sa victoire. Il vit la Belle dans un chagrin qu’elle n’avoit point encore fait paroistre, & l’ayant pressée de luy en dire la cause, elle ne put se défendre de luy avoüer qu’elle sentoit plus de repugnance pour le mariage qu’elle n’avoit encore fait. C’estoit assez luy en dire pour luy donner lieu de ne point douter de son bonheur. Elle voulut pourtant détourner ce qu’il pouvoit croire à son avantage, en luy disant qu’un peu de reflexion adouciroit le dégoust que luy causoit un engagement qui devoit estre éternel. Cependant elle continua de se chagriner. Le Cavalier demeura dans sa premiere pensée, & pour se mieux asseurer de ses veritables sentimens, il gagna une Demoiselle qui la servoit, & apprit d’elle qu’il ne luy déplaisoit pas. Aprés luy avoir donné trois ou quatre Lettres dont il ne put avoir de réponse, il ménagea si bien son esprit, qu’elle luy promit de le faire entrer secretement dans la chambre de sa Maistresse. Elle prit son temps pour cette entreveuë, & feignit qu’elle s’exposoit pour le servir au peril d’estre chassée. La Belle montra une fort grande colere, gronda la Suivante, querella le Cavalier, & enfin consentit à luy donner une fort longue audience. Il luy fit les plus tendres protestations, & vaincuë par tout ce qu’il luy dit de passionné, elle ne luy cacha pas qu’elle auroit beaucoup moins d’éloignement pour le mariage, si c’estoit à luy que son Pere l’eust promise. Il se jetta à ses pieds, luy jura un amour inviolable, & n’oublia rien de ce qui pouvoit l’en persuader. Il la vit encore trois ou quatre fois de la mesme sorte, & ils arresterent que tandis qu’elle tâcheroit de gagner du temps, il se serviroit de quelque Amy pour dégoûter le Marquis sur les froideurs qu’elle luy faisoit paroistre. Le Marquis à qui elles devenoient insupportables, voulut découvrir ce qui pouvoit les causer, & comme un Amant a les yeux ouverts sur tout, il s’apperceut que le Cavalier voyoit sa Maistresse chez la Dame qui s’estoit faite Amie de l’un & de l’autre. Il n’eut pas besoin d’en apprendre davantage pour demeurer convaincu qu’on le trahissoit. Il s’abandonna à toute la haine qu’un Rival peut inspirer, & un jour sur les onze heures du soir, lors qu’il passoit seul dans la ruë de sa Maistresse dans le dessein de se retirer, il vit un homme qu’on faisoit entrer chez elle Quoy que la Lune éclairast, il estoit trop loin pour en pouvoir distinguer les traits. Sa jalousie luy peignit ce que c’estoit, & il resolut de ne point partir de là qu’il n’eust vû la fin de cette avanture. Il demeura deux heures caché, & l’on vint remettre le Cavalier dans la ruë, sans que la porte fist presque aucun bruit. Il reconnut son Rival, & son desespoir ne luy laissant point garder de mesures, il courut à luy l’épée à la main Le combat fut rude, & ne finit que par deux grandes blessures qui laisserent le Marquis nâgeant dans son sang. Il passa du monde qui prit soin de luy, tandis que le Cavalier se retira. Il conta à son Amy ce qui venoit de luy arriver, & cet Amy qui étoit puissant & fort consideré dans la Ville, l’asseura qu’il n’avoit rien à craindre chez luy, pourveu qu’il se tinst caché. Le Marquis dont les blessures se trouvoient fort dangereuses, se condamna luy-mesme à mourir, & pour épargner la gloire de sa Maistresse, il cacha le sujet de son combat. Il excusa mesme le Cavalier autant qu’il luy fut possible, en se declarant l’agresseur, sur quelques paroles dont il s’estoit chagriné mal à propos ; mais cela n’empescha pas que ses Parens ne fissent faire de grandes informations, & qu’il n’y eust d’abord un Decret contre celuy qui l’avoit blessé. Chacun ressentit cet incident selon l’interest qu’il y prenoit. La Belle jugeant que le Cavalier seroit obligé de quitter la Ville, ne pouvoit se consoler d’avoir engagé son cœur inutilement. Son Pere qui perdoit un Gendre dont l’alliance luy eust fait honneur, entroit dans les sentimens de ceux qui eussent voulu voir perir le Cavalier, & le Cavalier dont les obstacles redoubloient la passion, demeura plus resolu que jamais de pousser à bout son entreprise. Il écrivit à la Belle par la voye de sa Suivante, & luy donna de si fortes asseurances d’une constance éternelle, qu’elle n’eut plus que le déplaisir de ne le point voir. Si sa veuë luy devoit estre un sujet de joye, elle n’en fut pas longtemps privée. Comme il estoit aussi hardy qu’amoureux, il manda à la Suivante qu’il se trouveroit au rendez-vous ordinaire à une certaine heure de la nuit, & quoy que son Amy luy pust dire pour l’empescher de sortir, il voulut satisfaire son amour. Il est vray qu’il se déguisa d’une maniere qu’il eust esté malaisé de le reconnoistre. Il prit l’habit d’un Valet, alla sans perruque avec des cheveux fort courts, & mit une large emplastre qui faisoit paroistre qu’il n’avoit qu’un œil. Dans cet équipage il parut charmant aux yeux de la Belle, qui ne cherchoit point d’autre bonheur que de s’en voir fortement aimée. Quelques jours aprés il se servit du même déguisement pour se procurer la mesme joye, mais l’évenement n’en fut pas heureux. A peine estoit-il avec la Belle, que des Dames qui arriverent lors qu’elles estoient le moins attenduës, les mirent tous deux dans un fort grand embarras. Il fut obligé pour n’estre point vû de se cacher promptement derriere une tapisserie qui laissoit du vuide entre la muraille. Comme la Belle avoit de la voix, & qu’elle aimoit la Musique, ces Dames la venoient prendre pour la mener avec elles à un Concert qui se faisoit dans le voisinage. Elle voulut se défendre de cette partie sur ce qu’il estoit tard, & que son Pere trouveroit mauvais qu’elle sortist ; mais les Dames entreprirent d’avoir son consentement, & deux d’entre elles estant allées le trouver, elles l’amenerent dans la chambre de sa Fille, à laquelle il ordonna d’aller prendre le plaisir qu’elles luy offroient. Toutes les raisons qu’elle apporta pour se dispenser d’avoir cette complaisance, ne luy servirent de rien ; elles l’enleverent malgré elle, & tout ce qu’elle put faire en les suivant, ce fut d’avertir sa Demoiselle par un coup d’œil qu’elle luy laissoit le soin de faire sortir le Cavalier. Malheureusement son Pere ayant trouvé sur sa table un livre nouveau dont il avoit entendu parler, il en voulut lire quelque chose, & pendant ce temps, un petit chien qui avoit toûjours dormy, s’avisa d’aller derriere la tapisserie, & sentant un homme qui luy estoit inconnu, il se mit à aboyer de toute sa force, La peur saisit si fort la Suivante, qu’elle demeura comme immobile. Le Pere prit la chandelle pour aller voir à qui le chien en avoit, & le Cavalier qui ne pouvoit se tirer d’affaire qu’en fuyant, sortit brusquement. & gagna la porte. Le Pere courut aprés criant au voleur sur le degré. Ses cris attirerent le Cocher, & tout ce qu’il y avoit de Domestiques qui mirent la main sur le Cavalier. L’éclat auroit perdu sa Maistresse, & il aima mieux se laisser prendre sans bruit, que de se défendre peut estre inutilement. Il crut qu’il en seroit quitte pour estre traité comme un voleur ; & qu’aprés qu’on l’auroit foüillé pour voir s’il n’emportoit rien, on se hasteroit de le mettre dans la ruë ; mais la chose tourna autrement qu’il ne pensoit ; le méchant habit qu’il avoit pris, l’emplâtre dont il s’estoit défiguré le visage, & le lieu où il venoit d’estre découvert, donnoient lieu de croire qu’il s’estoit caché pour quelque méchant dessein, & lors qu’il eut essuyé quantité d’injures qu’il écouta fort patiemment, il vit arriver un Officier de Justice que le Pere avoit envoyé querir secretement. Il fut mis entre ses mains, & quoy qu’il pust faire pour gagner cet Officier, il fallut qu’il se laissast conduire en prison. Jugez du desespoir de la Belle, quand à son retour elle apprit cette avanture. Le lendemain, elle en fit donner avis à l’Amy du Cavalier, & il chercha aussitost à remedier à ce malheur, mais estant accouru à la prison, il trouva que tout avoit changé de face. Le Cavalier avoit esté reconnu pour ce qu’il estoit, & on ne le retenoit pas comme voleur, mais comme ayant tué le Marquis, qui estoit mort le jour precedent. L’affaire qui auparavant avoit esté en termes d’accommodement, receut de grandes difficultez. Les Parens du Mort se voyant maistres de la personne du Cavalier, insisterent à luy faire faire son Procés, & si le credit de son Amy n’eust apporté quelque obstacle à la chaleur des poursuites, le Jugement eust pu estre prompt. L’Amour de la Belle ne put demeurer plus long temps secret. Le déguisement du Cavalier caché dans sa Chambre, & ce qui s’estoit passé entre luy & le Marquis, en estoient des preuves qu’on ne pouvoit contester. Son Pere luy fit de rudes reproches, & la menaça de se joindre à ceux qui poursuivoient son Amant. Elle soustint ce revers avec beaucoup de courage, & n’ayant à se reprocher du costé de sa conduite qu’un peu trop de complaisance où le vray merite l’avoit engagée, elle resolut de faire voir qu’elle estoit digne de l’attachement du Cavalier. C’estoit pour elle qu’il s’estoit mis dans le malheureux estat où il se trouvoit ; elle crut qu’il y alloit de sa gloire de n’epargner rien pour l’en retirer, & elle en fit son unique soin. Aprés avoir bien examiné quel en pouvoit estre le plus seur moyen, elle alla le voir dans la prison, accompagnée de la Demoiselle qui estoit entrée dans le secret de leur amour. Cette marque de tendresse mit le Cavalier dans une joye incroyable, mais il en receut encore une plus forte, puis qu’elle voulut qu’il prist les habits de sa Suivante qui devoit tenir sa place tandis qu’il sortiroit avec elle. Sa taille estoit propre à faire reussir ce hardy dessein. Il se déguisa, marcha derriere elle avec des coëfes baissées qui luy cachoient une partie du visage, & trompa ainsi les Guichetiers qui creurent que c’estoient les mesmes Femmes qu’ils venoient de voir entrer. Ils se separerent à deux rües de là, avec de nouvelles protestations de s’aimer jusqu’au tombeau, & la Belle qui n’avoit souhaité uniquement que de mettre son Amant en seureté, abandonna le reste à la destinée. La colere de son Pere estant à craindre pour elle aprés une affaire d’un si grand éclat, elle jugea à propos de ne point rentrer chez luy. Elle s’estoit asseuré une place dans un Convent, & estant allée s’y enfermer, elle luy fit dire que le seul party qu’elle avoit à prendre, estoit d’y passer sa vie s’il ne vouloit pas que le Cavalier devinst son Gendre. Cette declaration l’embarassa. Il aimoit sa Fille, & ne pouvoit se resoudre à s’en separer. L’affaire du Cavalier fut accommodée. Ses Parties le voyant hors de prison, voulurent bien écouter les propositions qui leur furent faites. Le Marquis avoit prié en mourant qu’on cessast de le poursuivre, & son Amy qui prenoit fortement ses interests, se servit si bien de son credit, qu’il mit la chose aux termes qu’il souhaitoit. Si-tost que le Cavalier fut libre, il fits parler au Pere de sa Maistresse, qui ne voyant point d’autre moyen d’obliger sa Fille à revenir, consentit enfin à son mariage. Il fut celebré avec une égale satisfaction des deux Amans. Elle ne s’est point encore dementie, & il seroit difficile de trouver une union plus parfaite.

[Mort du surintendant de la musique du roi]* §

Mercure galant, décembre 1688 (première partie) [tome 16], p. 304-305

 

[...] Il n'y a plus de Surintendant de la Musique du nom de Lully. Le Fils qui estoit revestu de cette Charge par la mort du fameux Mr de Lully, a déjà suivy son Pere, quoy qu'il fust encore tout jeune.

Air nouveau §

Mercure galant, décembre 1688 (première partie) [tome 16], p. 350-351.

Je remets l'article des Enigmes jusqu'au temps où j'auray moins à vous dire touchant la Guerre. Je vous ay déja envoyé une Chanson sur les Conquestes de Monseigneur le Dauphin dans la Relation de sa premiere Campagne. En voicy une seconde d'un habile Maistre.

AIR NOUVEAU.

Avis pour placer les Figures : la Chanson qui commence par, Helas ! que ces jours estoient beaux, doit regarder la page 351.
Helas ! que ces jours estoient beaux
Que je passois seul avec elle !
Mes yeux charmez en la voyant si belle
Promettoient à mon cœur mille plaisirs nouveaux,
Et je ne songeois pas qu'une absence cruelle
Me conservoit un jour dans une douleur mortelle.
Helas ! que ces jours estoient beaux
Que je passois seul avec elle.
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