1689

Mercure galant, février 1689 (seconde partie), Affaires du temps (tome 4).

2017
Source : Mercure galant, février 1689 (seconde partie), Affaires du temps (tome 4).
Ont participé à cette édition électronique : Nathalie Berton-Blivet (Responsable éditorial), Anne Piéjus (Responsable éditorial), Frédéric Glorieux (Informatique éditoriale) et Vincent Jolivet (Informatique éditoriale).

Mercure galant février 1689 (seconde partie), Affaires du temps (tome 4). §

[Sur les Affaires du temps]* §

Mercure galant, février 1689 (seconde partie), Affaires du temps (tome 4), p. 1-14.

 

Vous me l’ordonnez, Madame, & je vous obeïray. Quoy que je vous aye parlé assez amplement des Affaires d’Angleterre dans mes deux dernieres Lettres ordinaires, je ne laisseray pas d’ajoûter un quatriéme Volume aux trois que je vous ay déja envoyez sous le titre d’Affaires du Temps. Il contiendra tout ce qui s’est passé depuis la fin de Novembre 1688. jusqu’au premier jour de Mars prochain, & comme dans le premier de ces trois Volumes j’ay rappellé toutes les actions du Prince d’Orange depuis la Guerre déclarée par le Roy aux Etats Generaux en 1672. en continuant de la mesme sorte à vous les marquer de temps en temps, il se trouvera qu’insensiblement j’auray écrit toute la vie de ce Prince, & peut-estre sera-ce l’Histoire à laquelle la Posterité croira le plus, puis que ce que l’on publie du vivant de ceux qui ont part aux évenemens considerables, est toûjours beaucoup plus vray que ce que l’on fait paroistre quelque-temps aprés leur mort. La raison est que ces Histoires ne peuvent estre composées que de choses tres-connuës, dont ceux qui les lisent ont presque esté les témoins, parce qu’autrement l’Auteur seroit convaincu d’avoir dit des faussetez. Il n’en est pas de mesme de ceux qui écrivent dans un autre siecle sur des Memoires qu’ils ont recüeillis. Ils sont en pouvoir de nous raconter des fables, & ont une entiere liberté d’inventer des faits, sçachant que personne ne sçauroit les démentir, puis qu’on ne peut dire que les causes ou les circonstances de quelque action soient fausses pour avoir esté ignorées, comme ils ne manquent pas de le supposer. Ainsi ils sçavent se tirer d’affaires, & donner du poids à leurs Histoires, en disant que des Memoires secrets du temps dont ils écrivent sont tombez entre leurs mains, & cela les fait passer pour habiles, quoy qu’ils n’ayent eu souvent que l’esprit & l’adresse d’inventer. Pour peu qu’on fasse de reflexion sur ce que je dis, on demeurera d’accord, que ceux qui écrivent du vivant des Princes dont ils entreprennent de faire connoistre les actions, telles qu’elles sont, loüables ou condamnables, sont presque les seuls qui meritent d’estre creus ; mais il y a plus dans ce que je fais. Je donne des détails ; je rapporte les pieces & je les refute ; je marque les contrarietez des choses avancées ; je dis les sentimens du Public, & comme le tout est justifié par les pieces que je prens soin de produire, on ne sçauroit m’accuser de faux ny de supposition. J’empesche par là que la posterité ne se trompe. Il seroit aisé de la faire tomber dans l’erreur, en & supprimant beaucoup de choses, & en donnant de belles couleurs à celles dont la noirceur est connuë, comme l’on fait tous les jours quand on veut défendre de méchantes causes. Les faits ne se peuvent déguiser, puis qu’ils parlent par eux-mesmes ; il ne s’agit que d’en pouvoir penetrer les causes. Je rapporte tout, & donne les pieces qui font la base d’une Histoire veritable, mais j’y attache le contrepoison, afin d’empescher que dans les siecles futurs les faux pretextes que l’on y employe ne fassent passer pour de grands hommes ceux qui ne font bruit dans celuy-cy que par les grands crimes qu’ils commettent. Il est vray qu’ils ont de l’esprit, de la fermeté, du secret & du courage ; mais toutes ces choses, selon qu’elles sont employées pour le bien ou pour le mal, font le scelerat ou l’honneste-homme. La mesme épée peut servir à défendre les coupables, & à faire perir les innocens. Il n’y a rien qui ne puisse avoir deux faces, mais il est certain que l’entreprise du Prince d’Orange n’en sçauroit avoir d’avantageuse. On ne l’entend loüer que par ceux que la force ou la politique peut mettre de son party. Plusieurs ne laissent pas de s’en réjoüir, quoy que mal honnestement, dans le fond de l’ame, parce qu’ils croyent qu’elle leur sera utile ; mais comme de soy la chose est injuste, odieuse, & generalement condamnée, ils sont obligez de la blâmer, & de renfermer leur joye. Voilà ce qui doit décider de l’entreprise, & sur quoy la posterité doit regler ses jugemens. Ce qui est loüable reçoit des loüanges dans toutes sortes de lieux ; toutes les Nouvelles publiques en disent du bien, & mille écrits en parlent avec éloge ; mais en cette occasion le Prince d’Orange n’est loüé que par les siens, & le reste de l’Europe se taist par politique, & condamne en secret, ou desavouë hautement un procedé, qui non seulement est contre tout droit & toute raison, mais qui fait passer pour de nature celuy qui ne fait paroistre aucun égard pour les droits de l’alliance & du sang. Je ne dis pas, qui en manque pour ceux de l’honneur & de l’amitié. Quand on ne les connoist pas, il est impossible de s’appercevoir du mépris que l’on en fait, mais on ne peut se cacher l’alliance qu’on a prise, ny de quel sang on a l’avantage de sortir, & lors qu’on étoufe les sentimens qu’ils ont accoûtumé d’inspirer, & que reconnoissent les Peuples les plus barbares, on ne manque point de s’attirer l’indignation de toute la Terre. Elle est ordinairement suivie de la colere du Ciel, qui fait tost ou tard un exemple de sa justice sur ceux qui s’oublient assez eux-mesmes pour n’épargner pas leur propre sang.

Je viens de vous dire que je n’avançois rien sans preuves, & sans donner les Pieces Originales que je refute, & dont je fais voir les faux fuyans, les détours, quelquefois ingenieux, & quelquefois aussi fort grossiers, & enfin la fausseté de ce que l’on y expose sous de plausibles raisons. J’ay éclaircy tout cela dans la troisiéme partie des Affaires du Temps, à l’égard de deux de ces Pieces, dont l’une a pour titre, Extrait des deliberations des Etats Generaux des Provinces Unies, delivré par leurs Ambassadeurs dans toutes les Cours de l’Europe ; & l’autre, Priere prononcée à la Haye, & faite exprés pour le Prince d’Orange, un peu avant son depart pour l’Angleterre, mais je ne vous ay point envoyé ces Pieces, parce que l’abondance de la matiere m’accabloit, & qu’elles auroient grossi ce volume. Cependant j’ay cru à propos de les mettre icy, afin qu’il ne manque rien à cette Histoire, & qu’on ne soit pas en droit de m’imputer d’avoir rapporté les endroits que j’ay combattus, d’une autre maniere qu’ils ne sont dans les Originaux, ou d’en avoir alteré le sens. Voicy la Deliberation.

[Annonce du prochain volume des Affaires du temps]* §

Mercure galant, février 1689 (seconde partie), Affaires du temps (tome 4), p. 336-338.

 

Le temps me presse de vous envoyer ma lettre, & je la finis icy, parce que le Prince d’Orange a esté si viste, que quand je la poursuivrois, il me seroit impossible d’y enfermer tout ce qu’il a fait. Je le reserve pour une cinquiéme partie de cette Histoire que vous recevrez le premier d’Avril, & qui sera extremement curieuse. Les grands évenemens qui font tant de bruit, & ausquels je ne puis donner place dans cette Lettre, & ce qui arrivera encore jusqu’au dernier jour de Mars me fourniront une ample matiere. Je vois déja une infinité de choses à dire sur ce qui s’est fait, & elles sont si forte pour justifier le Roy d’Angleterre, que je ne croy pas qu’il soit possible d’y rien repliquer. Ainsi j’espere que si les premieres parties de cette Histoire des Affaires du temps, vous ont pleu, vous ne serez pas moins satisfaite de la cinquiéme que je vous promets.