1689

Mercure galant, mars 1689 (première partie) [tome 3].

2017
Source : Mercure galant, mars 1689 (première partie) [tome 3].
Ont participé à cette édition électronique : Nathalie Berton-Blivet (Responsable éditorial), Anne Piéjus (Responsable éditorial), Frédéric Glorieux (Informatique éditoriale) et Vincent Jolivet (Informatique éditoriale).

Mercure galant, mars 1689 (première partie) [tome 3]. §

Au Roy, sur l’azile donné au Roy d’Angleterre §

Mercure galant, mars 1689 (première partie) [tome 3], p. 7-10.

 

Il y a des actions si genereuses, & qui font voir tant de grandeur d’ame, qu’elles n’ont pas besoin qu’on les fasse remarquer, pour attirer des loüanges à ceux qui les font. La maniere dont le Roy a receu Leurs Majestez Britanniques dans ses Etats, est de ce nombre, ainsi qu’elle est au dessus de toutes sortes d’expressions, & vous avoüerez que Mr Marcel a eu raison d’en parler comme il a fait dans le Sonnet que vous allez lire.

AU ROY,
Sur l’azile donné au Roy
d’Angleterre.

Aprés mille hauts faits d’éternelle memoire,
Qui porteront ton nom au bout de l’Univers ;
Aprés mille Ennemis vaincus, & mis aux fers,
Monumens immortels de ton auguste Histoire.
***
Aprés avoir détruit la Secte la plus noire
Que l’on ait jamais veu s’élever des Enfers,
Le Ciel pour couronner tant de travaux divers,
Vient d’ajoûter encore un rayon à ta gloire.
***
Quelque grands qu’à nos yeux paroissent tels exploits,
Un Heros tel que Toy peut imposer des loix,
Aux mains des Conquerans la victoire est facile.
***
Mais d’un Roy détrôné, qu’on poursuit en tout lieu,
Te declarer l’appuy, luy donner un azile,
C’est estre quelque chose entre les Rois, & Dieu.

Sur l’Arrivée du Prince de Galles en France. Ode §

Mercure galant, mars 1689 (première partie) [tome 3], p. 11-15.

 

Il est vray que nous ne voyons point de Souverains qui puissent estre comparez à LOUIS LE GRAND, & que ceux mesmes qui sont le plus jaloux de sa gloire, n’en mettent aucun en paralelle avec luy. Puis que j’ay commencé cette Lettre en vous en parlant à l’occasion de l’Angleterre, je crois que vous ne serez pas fachée de voir ces autres Vers du Pere Buffier, Jesuite.

SUR L’ARRIVÉE
DU PRINCE DE GALLES
en France.
ODE.

 Lors que je sens à vostre vuë,
Prince, je ne sçay quoy qui m’agite le cœur,
Est-ce le doux effet d’une joye impreveuë ?
Est-ce le mouvement d’une tendre douleur ?
***
 Dans un sejour seur & tranquille
Nous vous voyons enfin ; c’estoient là tous nos vœux ;
Mais, helas ! quelque beau que puisse estre un asile,
Un asile toujours nous marque un malheureux.
***
 Ne tirons pourtant point d’augures
De l’injuste destin qu’ont eu vos premiers mois ;
Dans les plus grands Heros les tristes avantures
Ont souvent devancé les plus heureux exploits.
***
 En un estat plus pitoyable
Se trouva sur le Nil l’Enfant, par qui le Ciel
Vouloit executer le dessein adorable
De confondre l’Egypte, & vanger Israël.
***
 Tous deux perdus en apparence,
Vous estes exposez à la mercy des flots,
Mais une main divine a pris vostre défense
Contre un Peuple infidelle, & le danger des eaux.
***
 Vous estes loin du precipice,
Malgré tous les efforts de l’Enfer en couroux ;
Il se déchaîne en vain ; LOUIS vous est propice,
Prince, il n’est plus permis de rien craindre pour vous.
***
 Sage Monarque de la France,
Que le Ciel fit sur terre arbitre des destins,
Il vous a confié la suprême puissance,
Vous l’employez toujours pour ses justes desseins.
***
 Renversez un projet impie,
Soûtenez d’un grand Roy les droits les plus sacrez,
Domptez encor l’erreur, domptez la perfidie,
C’est ce que veut le Ciel, c’est ce que vous ferez.

Sur les Conquestes de Monseigneur le Dauphin. Ode §

Mercure Galant, mars, première partie [tome 3], 1689, p. 15-22.

 

Vous voulez bien qu’aprés vous avoir parlé d’un jeune Prince, heureux d’avoir trouvé retraite auprés d’un grand Roy, je vous parle d’un autre encore plus heureux de l’avoir pour Pere. C’est de Monseigneur le Dauphin. Je n’ay pu depuis quatre mois vous faire part de tous les Vers que l’on a faits à sa gloire, parce que j’en avois assez pour remplir toutes mes Lettres ; ainsi j’ay cru vous en devoir donner moins à la fois, & vous en envoyer plus souvent. En voicy de Mr Magnin, de l’Academie Royale d’Arles. Cet illustre Auteur a souvent remporté des Prix, & merité les éloges que vous luy avez donnez.

SUR
LES CONQUESTES
DE
MONSEIGNEUR
LE DAUPHIN.
ODE.

Autrefois lors que la Gloire
Me demandoit quelques Vers,
J’allois, Filles de Memoire,
Consulter vos chants divers.
Je voyois par mille exemples
Que tout couroit à vos Temples
Implorer quelque secours ;
Mais je vous le dis sans feindre,
Non, vous ne sçauriez atteindre
A la carriere où je cours.
Je ne sçay si je m’égare,
Mais dans mon vol sans pareil,
Si j’ay le destin d’Icare,
Je vais plus prés du Soleil.
J’apperçois l’Aigle timide
De la hauteur où me guide
L’ardeur dont je suis épris ;
Ses foibles aisles s’abaissent,
Et ses regards me paroissent
Epouvantez & surpris.
***
 C’est la conqueste étonnante
De tout le Palatinat,
Qui sans doute l’épouvante,
Et fait que le cœur luy bat.
La lâcheté de Bisance
Ayant enflé sa puissance,
Elle ne s’attendoit pas
D’avoir en cherchant querelle
Par une audace nouvelle,
Deux Grands LOUIS sur les bras.
Elle croyoit, affermie
Par quelques exploits guerriers,
Trouver la France endormie
A l’ombre de ses Lauriers ;
Mais on ne peut la surprendre,
Philisbourg vient de l’apprendre
En dépit de ses marais,
Et l’Europe en ces alarmes
Pourra juger si nos armes
S’enroüillent pendant la Paix.
***
 Le Heros dont la vaillance
A cimenté son repos,
La met par sa vigilance
A couvert de ses Rivaux ;
Et formé par sa sagesse
Le Dauphin qui s’interesse,
Et qui s’expose pour nous,
Par sa premiere conqueste,
Fait déja tourner la teste
A nos superbes Jaloux.
 Peut-estre l’ont-ils pû croire,
Que ce Dauphin genereux
Voudroit toujours de sa gloire
Goûter le repos heureux ;
Que le Grand Loüis luy-mesme
Dont la sagesse est extrême,
Craindroit de le hazarder ;
Mais voicy comme il raisonne,
S’il veut porter la Couronne,
Qu’il apprenne à la garder.
***
 Qu’il aille sur la frontiere
Où l’on ne le connoist pas,
Montrer de quelle maniere
Il défendra ses Etats.
Il est vray que de la France
J’ay redoublé la puissance
Par mille exploits glorieux,
Mais la grandeur de courage,
Que je luy laisse en partage
Vaut encor mille fois mieux.
 A ces mots pour se resoudre
Perdit-il un seul moment ?
L’Aigle qui porte la foudre
Fend les airs moins brusquement.
A peine il part de Versailles,
Qu’on apprend que les murailles
Ont fait bréche à Philisbourg.
Tout se rend, les Places fortes
Ouvrent à l’envy les portes,
Et le voilà de retour.
***
 Tandis que la Renommée
Par des recits étonnans
Conte à l’Europe alarmée
Tous ces exploits surprenans,
LOUIS prepare des Festes
Pour honorer les Conquestes
Du Heros qu’il a formé.
Il l’embrasse, il le carresse,
Et de sa tendre jeunesse
Voit tout le monde charmé.
 Cent fois plus heureux qu’Auguste,
Que Trajan, que Constantin,
Faveur rare, mais tres-juste,
Il renaist dans son Dauphin.
S’il monte dans sa carriere,
Et de son char de lumiere
S’il luy cede le Timon,
Son coup d’essay nous enseigne
Qu’il ne faut pas que l’on craigne
La cheute de Phaëton.

Air nouveau §

Mercure galant, mars 1689 (première partie) [tome 3], p. 83-85.

Comme nous sommes dans un temps de Sainteté, je croy que vous ne serez pas faschée que je vous envoye un Air conforme à ce temps.

AIR NOUVEAU.

Avis pour placer les Figures : l’Air qui commence par, Bienheureux celuy qui n'aspire, doit regarder la page 84.
Bien-heureux celuy qui n'aspire
Qu'à vivre sous le doux empire
D'un Dieu, dont il reçoit la lumiere du jour ;
Qui prend toûjours la loy de sa volonté sainte,
Et pour luy dans son ame entretient une crainte
Qui n'empesche point son amour.

Ces paroles sont de feu Mr Godeau, & Mr de Bacilly qui les a mises en air, les a choisies dans ses Ouvrages, par la difficulté qu'il y a d'en pouvoir trouver de cette nature.

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[Livre nouveau de Mr Bacilly]* §

Mercure galant, mars 1689 (première partie) [tome 3], p. 85-86.

 

Vous sçavez qu'ilI a parfaitement réüssi dans ces sortes d'Airs II, & qu'il en a fait plus de cinquante avec de seconds couplets en diminution. La nouvelle Edition qui en a esté faite depuis quelques mois n'est pas reconnoissable, tant elle differe des precedentes, tant pour les corrections que pour les augmentations. Ce sont deux Livres parfaitement bien gravez, que debite le Sr Guerout. Tous les petits Airs à trois Parties avec leurs seconds couplets. Le nombre des grands est fort augmenté ; & presque tous ceux qui avoient paru auparavant, sont changez de bien en mieux, & mesme pour les paroles. Il y a entre autres un Recit de trente Vers dont tout le monde est charmé. On le compare aux plus belles Scenes des Opera, sur tout quand il est chanté par l'Auteur, qui invite les Curieux à venir entendre ces Airs de vive voix, pour en avoir une entiere intelligence.

A Monseigneur le Dauphin, sur son Retour des Conquestes d’Allemagne. Ode §

Mercure galant, mars 1689 (première partie) [tome 3], p. 86-95.

 

Il faut vous faire encore part de quelques Ouvrages qui ont esté faits à la gloire de Monseigneur le Dauphin. Ainsi ceux qui manquent au Recüeil que j’en ay fait à la fin de la Relation que je vous ay envoyée de la Campagne de ce jeune Prince, vous les trouverez répandus dans mes Lettres ordinaires. En voicy un de Mr de Maumenet, Chanoine de Beaune.

A MONSEIGNEUR
LE DAUPHIN
Sur son Retour des Conquestes
d’Allemagne.
ODE.

Vous de qui les nobles veilles,
Ont éternisé LOUIS,
Doctes Sœurs, à ses merveilles
Meslez celles de son Fils.
Aujourd’huy brillant de gloire,
Sur le char de la Victoire,
Il revient ce Fils Vainqueur ;
Sur son front que ceint Bellone,
Ajoûtez une couronne,
Qu’attend de vous sa Valeur.
 Et vous, Naïades plaintives,
Dont Mars troubla le repos,
Quand la Seine de ses rives,
Vit éloigner ce Heros.
Vous, Nymphes de nos Bocages,
Qui sous leurs sombres feüillages,
Soupiriez pour son retour ;
Calmez vos vives alarmes,
Et ne versez plus de larmes,
Dans ce tranquille séjour.
***
 Le puissant Dieu des batailles,
Qui présidoit à son sort,
Au milieu des funerailles,
L’a garanty de la mort.
Le voicy ce jeune Alcide,
Qui d’un courage intrepide,
Vole au milieu des hazards,
Et qui dans une Campagne,
De l’orgueilleuse Allemagne
Abbat les plus hauts ramparts.
 Qui n’eust crû, voyant les ligues
De tant d’Ennemis jaloux,
Que d’en rompre les intrigues
C’estoit faire assez pour nous ?
Et toutefois, sans attendre
Qu’ils osent rien entreprendre
Sur nos climats fortunez,
Mon Héros porte la guerre,
Et fait gronder son tonnerre
Chez ces Peuples étonnez.
***
 A peine on le voit paroistre
Sur les Rivages du Rhin,
Que son bras s’y fait connoistre
A l’injuste Palatin.
Philisbourg de qui l’audace
Veut du coup qui la menace
Sauver ses superbes Tours ;
Philisbourg que tout l’Empire
Eut tant de peine à reduire,
Est reduit en peu de jours.
 Confessez, Germain, Ibere,
Que les douceurs de la Paix,
De son invincible Pere
N’ont pas borné les hauts faits ;
Que pour vous reduire en poudre,
Il n’a qu’à prêter sa foudre
A son Fils victorieux,
Et que malgré les tempestes,
On ne vit jamais nos testes
S’élever si prés des Cieux.
***
 En vain la Hollande ingrate
Ose attenter sur les Rois,
Malgré l’espoir qui la flatte,
Ils sçauront vanger leurs droits.
Déja la Mer mutinée,
D’une triste destinée
Menace son armement,
Et mieux que les vents & l’onde,
Le plus puissant Roy du Monde
En promet le châtiment.
 Dauphin, c’est par ta vaillance,
Que tous ces fiers Ennemis,
A l’Empire de la France
Se verront bien-tost soumis.
Ils doutoient que ton courage,
Fist pour son apprentissage
De si rapides projets ;
Mais la prompte Renommée,
De ta Valeur animée,
Leur a montré les effets.
***
 Philisbourg qu’elle a vû prendre
En est l’assuré garant.
Manhein n’attend pour se rendre
Que l’aspect du Conquerant.
Frankendal ouvre ses portes
Et tes superbes Cohottes
Alloient fondre en cent climats,
Si ta Valeur équitable,
Autant qu’elle est redoutable,
N’avoit arresté leurs bras.
 C’est ce noble caractere
De puissance & d’équité,
Qui te rend digne d’un Pere,
Si digne d’estre imité ;
Et si ton cœur magnanime,
Qu’un si beau modele anime,
Ne bornoit point tes grandeurs,
Tu n’aurois pas l’avantage,
D’estre la parfaite image
Du plus juste des Vainqueurs.
***
 Bon Prince, & grand Capitaine,
Comme luy dans les combats,
Tu vas partager la peine,
Et le danger des Soldats ;
Et tandis que la Victoire,
Couronnant leur front de gloire,
Paye leurs travaux guerriers,
Tes dons redoublent l’envie,
Qu’ils ont d’immoler leur vie,
Pour acquerir des Lauriers.
 C’est ainsi que sur la terre
Jupiter ne fait jamais
Tomber son bruyant tonnerre,
Sans y verser ses bien-faits.
De sa dextre menaçante,
Part une pluye abondante
Pour fertiliser les Champs,
Tandis que ses coups terribles,
Sur des rocs inaccessibles,
Vont foudroyer les Titans.
***
 Unique but de ma Lyre,
LOUIS, le plus grand des Rois ;
Que ne doit point cet Empire,
A tes glorieux exploits ?
C’est peu de voir l’abondance,
L’ordre & la magnificence,
Y triompher sous ta loy :
Tu fis pour nous davantage
En inspirant ton courage
A ce Fils digne de toy.
 Permets que ma main fidelle,
Dans une illustre Avenir,
De sa grandeur immortelle,
Consacre le souvenir.
Quand du bruit de sa loüange,
De la Seine jusqu’au Gange,
Je fais retentir les airs,
J’en dis plus pour ta memoire,
Que si je traçois l’histoire
De tes triomphes divers.

[Deux Sonnets de L.D.M.C.D.B.]* §

Mercure galant, mars 1689 (première partie) [tome 3], p. 95-99.

 

Les deux Sonnets que j’ajoûte sont sur la mesme matiere. L’Auteur n’a voulu marquer son nom que par ces Lettres, L.D.M.C.D.B.

A MONSEIGNEUR.

Dauphin impatient de courir à la Gloire,
Tu goûtois à regret les douceurs de la Paix,
Quand Bellonne propice à tes nobles souhaits
Les palmes à la main t’appelle à la Victoire.
***
 Tu cours, & ce Rampart si fameux dans l’Histoire,
Philisbourg en tombant surpris de tes hauts faits
Confesse que ton bras par ses premiers essais
Montre à nos Ennemis ce qu’ils ne pouvoient croire.
***
 Le Rhin, à ton aspect, croyant voir ce Heros,
Qui la foudre à la main osa fendre ses flots,
Tremble que ta Valeur ne s’y fraye un passage ;
***
 Et bien-tost le Germain par ton bras surmonté
Pour sauver ses Etats, & fléchir ton courage,
N’aura que le moyen d’implorer ta bonté.

A Mr le Duc de Montausier.

Illustre Montausier, qu’une Gloire solide
Fit voler pour ton Prince au milieu des hazards,
Et qui toûjours chery de Minerve & de Mars,
Sceus joindre au bel esprit le courage intrepide.
***
 Voy ce jeune Dauphin, de qui tu fus le guide,
Les armes à la main défier les Cesars.
L’orgueilleux Philisbourg luy soûmet ses ramparts,
Et tout tremble à l’aspect de ce nouvel Alcide.
***
 Que ne fera-t-il point dans la suite des temps,
Si déja sa Valeur par cent faits éclatans
A sur les bords du Rhin consacré sa memoire ?
***
 Il ne manquoit plus rien à ton sort fortuné,
Aprés avoir brillé dans le sein de la Gloire,
Que d’y voir ce Heros de palmes couronné.

La Fontaine de Jouvence. §

Mercure galant, mars 1689 (première partie) [tome 3], p. 147-155.

 

Je vous envoye un Ouvrage fort galant sur une Fontaine, qui attireroit un grand nombre de Beuveurs, si l’on sçavoit où ses eaux se trouvent, mais on n’en a que d’artificielles, & leur usage ne donne pas un secours de longue durée.

LA FONTAINE
de Jouvence.

Jupiter qui de l’Empirée
 Avoit chassé Saturne & Rhée ;
Qui par un attentat doublement criminel
S’estoit saisi sur eux du Trône paternel,
Et qui, suivant le cours de sa bonne fortune,
Soumettoit, en Tyran, tout le Monde à ses loix,
Se vit enfin forcé par Pluton & Neptune
 De le partager entre eux trois.
Neptune pour son lot eut le Sceptre Aquatique,
 Et regna sur toutes les Mers ;
Pluton, content du sien, prit le tiltre emphatique
 De grand Monarque des Enfers ;
 Jupiter, pour son droit d’aisnesse,
 Eut le reste de l’Univers,
 Et feignit mesme avec adresse
De s’en voir sans chagrin despoüillé des deux tiers.
Cependant, en secret outré de cette perte,
De ceux qui la causoient il vouloit se vanger.
Mais quoy ? les attaquer tous deux à force ouverte,
 Il y trouvoit trop de danger.
 Ainsi recourant à la ruse,
 Il flatte Neptune, l’abuse,
Et, d’accord avec luy, fait l’establissement
 De la fontaine de Jouvence.
Cette Source d’abord parut sans consequence,
On s’en loüa par tout, & l’on crûs seulement,
 Que propice à la race humaine,
 Il luy faisoit ce nouveau don :
Mais elle estoit un fruit de son adroite haine,
Il se vangeoit par elle, & par elle Pluton
Eust insensiblement veu sapper & détruire
 Le fondement de son Empire ;
 Car l’homme, quoyque né mortel,
 S’y dépouilloit de sa vieillesse,
Et trouvoit dans ses eaux une verte jeunesse
 Qui le rendoit comme eternel ;
De sorte qu’à la fin les droits de ce Monarque,
Se trouvant affoiblis par le peu de Mourans,
Et par l’oisiveté de la fatale Barque,
Il eust esté facile au Vainqueur des Géans
De reprendre sur luy, sans Sujets, sans finance,
 Ce que la seule violence
 Avoit arraché de sa main.
 Pluton détruit, Neptune en vain
 Eust voulu faire resistance ;
 Ses Monstres marins, ses Tritons,
Ses rochers menaçans, ses abysmes profonds,
 L’auroient veu forcer de luy rendre
Ces humides Estats qu’ils n’auroient pû deffendre.
 Mais Pluton s’estant apperceu
Du tort que son Royaume avoit déja receu
 De cette fameuse Fontaine,
 Consulta le prudent Minos.
 Vostre Majesté souterraine,
 Repondit-il en peu de mots,
Sçait que jamais un Dieu n’est en droit de défaire
 Ce qu’une autre Deité fait,
Et qu’il peut seulement en détruire l’effet ;
 Ainsi pour vous tirer d’affaire,
Mon avis est, grand Roy, qu’il seroit à propos
De commettre au plus viste un Dragon à la garde
 De ces rajeunissantes eaux.
Alors je ne crois pas que quelqu’un se hazarde
D’en approcher encor ; la peur qu’on en aura
Surmontera bien-tost celle de la vieillesse,
 Et, quelque attrait qu’ait la jeunesse
Tel qui courroit aprés, sur ses pas reviendra.
 Ce conseil estoit salutaire ;
 Le sage Pluton le suivit,
Et les hommes enfin que la frayeur saisit
 Moururent, comme à l’ordinaire.
 Ce Monstre affreux les fit trembler ;
 Les infirmitez du vieil âge
Leur parurent bien moins funestes que sa rage,
 Et, trouvant à s’en consoler
 Par cette conduite prudente
 Qui suit, ou que donnent les ans,
 On les vit, mesme en cheveux blancs,
 Sortir d’une façon riante
 De la jeunesse petulante.
 Mais le beau sexe moins poltron,
 Alla toûjours à la Fontaine,
 Et de cet infernal Dragon
 Sans craindre la brûlante haleine,
Crût qu’il valoit autant s’exposer à perir
 Que voir, mesme avant son Automne,
Refroidir les Amans que son Printemps luy donne,
 Et que luy seul peut retenir.

Cet Ouvrage est de Mr de Vin, dont vous en avez déja veu plusieurs. Celuy qui vous a tant pleu au commencement de ma Lettre de Decembre, & qui a pour titre, Philisbourg pris par Monseigneur le Dauphin, en vingt jours de tranchées ouvertes, estoit encore de luy. Je ne l’ay appris qu’aprés que je vous l’ay envoyé, & je prens cette occasion de vous le dire, afin de luy rendre la justice qu’on luy doit.

[Paroles sur les Conquestes de Monseigneur] §

Mercure galant, mars 1689 (première partie) [tome 3], p. 155-158.

 

Il est vray que les paroles dont vous me parlez sur les Conquestes de Monseigneur, sont chantées icy de tout le monde. Comme elles sont devenuës par là presque populaires, j’avois negligé de vous en donner une copie, quoy que dans leur genre elles ayent leur agrément. Cependant puis qu’elles sont souhaitées avec tant d’empressement dans vostre Province, voicy de quoy satisfaire ceux qui les demandent.

Monseigneur est donc de retour
Du voyage de Philisbourg,
Le Palatin ne le tient guere.
Laire la, laire lan laire
Laire la, laire lan la.
***
Quel plaisir pour ce nouveau Mars
De voir qu’affrontant les hazards,
Tout luy cede comme à son Pere !
Laire la, &c.
***
Le cœur charmé de ses hauts faits,
Mille Beautez plus que jamais
Vont prendre le soin de luy plaire.
Laire la, &c.
***
Mais pour elles je crains bien fort
Qu’animé d’un plus beau transport,
La gloire ne luy soit plus chere.
Laire la, &c.
***
Que les Bergers de nos cantons
Craindront pour leurs pauvres moutons !
De Loups il ne prendra plus guere.
Laire la, &c.
***
Ce Jeune Mars dans les combats
S’en va faire plus de fracas,
Qu’Achille autrefois n’en put faire.
Laire la, &c.
***
Le Rhin dans ses flots écumeux
Craint de sentir encor des feux.
Il tremble comme un pauvre here.
Laire la, &c.
***
On dit qu’au milieu de ses eaux
Le front tout couvert de rozeaux,
Ce grand Fleuve se desespere.
Laire la, &c.
***
Ses yeux ont esté les témoins
Des Exploits fameux, & des soins
Du Fils aussi bien que du Pere.
Laire la, &c.
***
Ce beau coup d’essay sur ses bords,
Fait voir que de plus grands efforts
Vont suivre cette ardeur guerriere.
Laire la, &c.

[Histoire de l’Accademie de Soissons] §

Mercure galant, mars 1689 (première partie) [tome 3], p. 171III-180.

 

L’exemple de Mr Pelisson qui nous a donné l’Histoire de l’Academie Françoise, vient d’estre suivy par Mr de Hericourt, Academicien de Soissons, à l’égard de celle de sa Compagnie. Elle est écrite en Latin, & il explique dans sa Preface ce qui l’a obligé de se servir de cette Langue plûtost que de la Françoise, à la pureté & à l’embellissement de laquelle il semble que toutes les Academies ayent pour but de travailler. Ceux qui aiment la belle Latinité prendront beaucoup de plaisir à la lecture de cette Histoire, Le stile en est vif, aisé & serré, & fait connoistre que c’est avec beaucoup de justice que ceux qui ont le bon goust de cette Langue, disent qu’elle a esté autrefois une source feconde de la plus fine politesse & de cette urbanité tant vantée, dont il seroit à souhaiter que l’on s’appliquast à renouveller le caractere. Mr de Hericourt nous fait voir d’abord l’Academie de Soissons dans sa naissance, lors qu’estant entré dans un commerce d’étude particulier avec Mr Bertrand, Bailly, du Comté de Soissons, Mr Guerin, Avocat du Roy au Presidial, & Mr Morant, Officier de l’Election, ils commencerent en 1650. à s’assembler tous les Mercredis, pour parler ensemble de tout ce qu’ils avoient leu & composé pendant la semaine. Ils se prescrivoient les matieres sur lesquelles ils devoient écrire, & de si loüables occupations ne pouvoient manquer de produire un bon effet. En 1652. ils associerent à leurs Conferences Mr Hebert, Tresorier de France ; Mr Hasterel de Preaux, Conseiller au Presidial, Mr le Sueur, Avocat au Parlement, & ensuite Mr Paret, Capitaine de Cavalerie, & Mr Arnoul Ecclesiastique. Leurs assemblées firent bruit, & Mr Patru, de l’Academie Françoise, qui en entendit parler, les exhorta par ses Lettres à continuer ce qu’ils avoient commencé si heureusement, & mesme il contribua par ses conseils à les mettre dans le vray chemin de l’Eloquence. Le nom d’Academiciens qu’il leur donnoit les flatoit extremement, & cela les fit penser à obtenir des Lettres du Roy pour avoir la permission de s’assembler en un certain nombre. Ils engagerent Mrs de l’Academie Françoise à leur estre favorables dans cette entreprise, en les assurant qu’ils choisiroient un Protecteur dans leur Corps. Mr le Chancelier Seguier ne voulut point consentir à leur établissement, & ce refus ne fut point capable de les rebuter. Ils associerent encore Mrs Gilluy & Hebert, Chanoines de l’Eglise Cathedrale ; Mrs de Preaux & Quinquet, Conseillers au Presidial, Mrs Durand & Berthemet, Avocats au Parlement, Mr Cousin, Docteur de Sorbonne, Mr de Froidour, Lieutenant general au Bailliage de la Fere, & Mr Delfault, President au Presidial. Enfin au mois de Juin 1674. le Roy leur accorda des Lettres patentes, par lesquelles il leur fut permis de s’assembler au nombre de vingt sous le nom de l’Academie de Soissons, à la charge d’envoyer tous les ans le jour de la Feste de S. Loüis, à l’Academie Françoise, un Ouvrage en Vers ou en Prose sur telle matiere qu’ils voudroient choisir, comme par une maniere de tribut. Mr le Cardinal d’Estrées, l’un des quarante de la mesme Academie, fut nommé par ces mesmes Lettres, pour Protecteur de celle dont ils obtenoient l’établissement. Ce Cardinal avoit assisté souvent à leurs Assemblées lors qu’il n’estoit encore qu’Evesque de Laon, & ils l’avoient toujours souhaité pour Chef, s’ils pouvoient jamais réussir dans leurs desseins. En 1679. Mr Morant Ecclesiastique, fut receu au nombre de ces illustres Academiciens. Mr le Vasseur, Prieur d’Ouchies en 1681. & Mr l’Abbé de Hericourt en 1682. Cet Abbé est Fils de celuy qui a donné au Public l’Histoire dont je vous parle, & dans laquelle vous trouverez toutes ces choses rapportées au long avec beaucoup de netteté & de grace, aussi-bien que plusieurs autres particularitez de la mesme Academie. Mr de Hericourt a grossi son Livre, de quantité de Lettres Latines écrites à ses Amis, ausquelles il en a ajoûté plusieurs en Grec avec la traduction Latine. Je ne vous dis rien de sa profonde érudition. Outre un fort grand nombre de Sçavans qui en rendent témoignage, tout ce qui part de sa plume est un éloge qui passe toutes les loüanges que je pourrois luy donner.

[Entretiens touchant l’entreprise du Prince d’Orange sur l’Angleterre] §

Mercure galant, mars 1689 (première partie) [tome 3], p. 180.

 

Quant au Livre intitulé, Entretiens touchant l’entreprise du Prince d’Orange sur l’Angleterre, dont vous me demandez des nouvelles, je ne suis point étonné que vous ayez cru qu’il renferme la mesme matiere que j’ay traitée dans les Affaires du temps.

[Guerre des Turcs avec la Pologne, la Moscovie, & la Hongrie] §

Mercure galant, mars 1689 (première partie) [tome 3], p. 191-194.

 

Le Sr Guerout, Libraire court-neuve du Palais, commence à debiter un Livre nouveau qu’on trouve fort curieux. Il porte pour titre, Guerres des Turcs avec la Pologne, la Moscovie, & la Hongrie ; & l’on doit d’autant plus ajoûter de foy à toutes les particularitez de ces Guerres, qu’elles sont décrites par Mr de la Croix, qui ayant esté Secretaire de l’Ambassade de France à la Porte, a esté témoin de la plus grande partie de ce qu’il rapporte. Il commence par l’Ambassade que le Roy de Pologne envoya à l’Empereur Othoman, pour demander l’abandonnement des Cosaques, à qui Sa Hautesse avoit promis sa protection. Il poursuit par le voyage de Wisoski, Internonce de Pologne, sa reception, ses audiences, ses negociations, décrit le Siege & la prise de Caminiek, & passant à l’élection du Roy Jean par la mort du Roy Michel, il en rapporte les circonstances, & fait la description de la Diette de Pologne, & de la maniere dont elle se tient. En parlant de la Guerre des Turcs avec la Moscovie, il donne l’Histoire de Georges Kemielniski qui s’estoit fait Caloyer, aprés avoir quitté le commandement des Cosaques, qu’il avoit eu par la mort du Prince son Pere. Ses diverses avantures y sont expliquées, & cette Guerre finit par la prise de Czegrim, & par la retraite des Turcs qui resolurent de la porter en Hongrie. L’Auteur explique les veritables motifs qui les obligerent à entreprendre le Siege de Vienne, & dit bien des choses qui n’ont point esté connuës jusques à present, touchant la mort du Grand Visir Cara Mustapha.

[Ouvrage de Mr le Pays] §

Mercure galant, mars 1689 (première partie) [tome 3], p. 195-202.

 

Il me reste à vous parler d’un Ouvrage dont vous pourrez juger par vous mesme, puis que je vous en envoye une copie. Il a receu icy beaucoup de loüanges, & je suis fort seur que vous le trouveriez d’un fort bon goust, quand je ne vous dirois pas que c’est Mr le Pays qui en est l’Auteur. Vous connoissez son stile enjoüé. Aprés beaucoup de poursuites pour l’obliger à payer une somme tres-considerable dont un Traitant pretendoit le rendre garant, il en a esté enfin déchargé par un Arrest du Conseil, & c’est là-dessus qu’il a fait les Vers que vous allez lire.

A M. Le CONTROLEUR
General.

Aprés de si longues allarmes
La paix est chez moy de retour,
Je dors la nuit, je ris le jour,
Du repos je sens tous les charmes.
Enfin me voila déchargé
Du procés où j’estois plongé.
Quand tout prest à faire naufrage
Le secours arrive à propos,
Plus on a tremblé dans l’orage,
Et mieux on goûte le repos.
Seigneur, puis-je sans vous deplaire
Vous faire un recit ingenu
De l’estat où je me suis vû
Pendant le cours de mon affaire ?
D’un air inquiet j’observois
Tous les Huissiers que je trouvois :
Certain Ecrit, signé Coquille,
M’ayant declaré debiteur,
Le Fort-l’Evesque & la Bastille
A tous momens me faisoient peur.
***
 Mon destin estoit déplorable.
Me connoissant, qui le croira ?
Je languissois à l’Opera ;
J’estois rêveur & triste à table.
Dans la peur d’une garnison
J’avois démeublé ma maison ;
Ma vaisselle craignant la guerre,
Estoit dans un Convent voisin :
J’estois reduit aux plats de terre
Ainsi qu’un pauvre Capucin.
 Au grenier ma Tapisserie
Estoit à la mercy des Rats :
Je n’avois chez moy que deux draps
Avec un lit de Friperie.
Dans ce lit, au lieu de dormir,
Je passois la nuit à gemir,
Ma frayeur n’avoit point de tréve
Le matin, dans mon Oraison,
Je disois, mon Dieu, je me leve
Pour coucher peut-estre en Prison.
***
 Quelquefois au fort de mes peines,
Me croyant déja prisonnier,
Avec de l’encre & du papier
J’esperois adoucir mes chaînes.
J’y pretendois tracer en vers
De mon Roy les Exploits divers :
Mais en prison peut-on écrire ?
Mon feu bien-tost s’y fût éteint ;
C’est-là justement qu’on peut dire,
Que le Poëte est fort contraint.
 Je ne sçay point chanter en cage,
Le grand air plaist aux vieux Oiseaux.
Les champs, les Bois & les ruisseaux
Excitent mon plus doux ramage.
On est toûjours deconcerté,
Si l’on ne chante en liberté.
La Prison arrestant ma veine,
Eût ensevely mon talent :
D’Hélicon la docte Fontaine
N’est pure & vive qu’en coulant.
***
 Pour fuir, je sentois quelque envie
D’aller à la Cour de Turin ;
J’y croyois pouvoir sans chagrin
Passer le reste de ma vie.
Le Prince m’y fit autrefois
L’honneur de me donner sa Croix ;
On m’y promettoit un azile
Avec des plaisirs sans effroy :
Mais un François est-il tranquile
Quand il est si loin de son Roy ?
 Je n’ay jamais pû m’y resoudre.
Quitter Paris m’affligeroit,
Et l’ordre qui m’en banniroit,
Pour moy seroit un coup de foudre.
Lors que je voy le Grand Loüis,
Quoy que mes yeux soient ébloüis,
Il me semble que je possede
Le bien qui fait tous mes desirs,
Et sa presence est un remede
Qui change mes maux en plaisirs.
***
 Le seul aspect de son visage
En sollicitant mon Procés,
M’en promettoit un bon succés,
Et fortifioit mon courage.
Je disois aprés l’avoir vû,
Dans ces lieux regne la vertu,
On n’y souffre point d’injustice ;
D’un Roy si bon, si doux, si grand,
Le Conseil me sera propice,
Et mon bon droit m’en est garant.
 Ainsi malgré la défiance,
Dont quelquefois j’estois surpris,
J’ay demeuré ferme à Paris
Entre la crainte & l’esperance ;
Trop heureux d’avoir attendu
L’Arrest qui vient d’estre rendu,
Qui finit ma peine cruelle,
Qui va rétablir ma santé,
Qui me rend mon lit, ma vaisselle,
Mon repos & ma liberté.
***
 Il est vray, mon bien est modique :
Mais puis-je me plaindre aujourd’huy ?
Seigneur, je suis sous vostre appuy,
J’exerce un Employ pacifique.
Fort peu sensible à l’interest,
Assez riche par mon Arrest,
Je ne porte envie à personne,
Et je me croy si bien traité,
Qu’il me semble que l’on me donne
Tout ce qu’on ne m’a point ôté.
***
 De mes Juges toute ma vie
Je pretens chanter l’équité
Si haut, que la Posterité
De leur vertu sera ravie.
Sous un Roy juste & genereux
Leur sort sera toûjours heureux :
On juge assez par leur conduite
Jusqu’où doit aller leur bonheur
Dans une Cour, où le merite
Ne peut manquer d’estre en faveur.

[Histoire] §

Mercure galant, mars 1689 (première partie) [tome 3], p. 202-233.

 

L’Amour sincere est souvent récompensé, & les obstacles ne font quelquefois que mieux affermir le bonheur qu’il doit attendre. Une jeune Demoiselle, toute aimable par les agrémens de sa personne, & plus encore par la beauté de ses sentimens, menoit une vie assez retirée. Quoy que sa fortune fust fort peu considerable, on ne laissoit pas de la voir contente, & comme elle ne souhaitoit jamais que ce qui estoit proportionné aux esperances que son estat luy pouvoit permettre, elle estoit heureuse, parce qu’elle sçavoit se regler. La douceur de son esprit répondoit à celle qu’on voyoit sur son visage, & il eust esté fort malaisé que son merite ne luy eust pas attiré grand nombre d’Amans, si elle eust voulu le faire connoistre, mais sa Mere qui ne luy avoit jamais donné que des leçons de vertu, luy en inspiroit l’heureuse pratique, & les Coquettes, dont elle trouvoit la conduite insupportable, estoient pour elle un miroir qui luy apprenoit à ne pas tomber dans leurs defauts. Ainsi elle passoit la pluspart des jours à travailler auprés de sa Mere, & ne recevoit aucunes visites par le peu de soin qu’elle prenoit à s’en procurer. Elle eut pourtant beau se tenir cachée ; le hazard la découvrit à un Cavalier d’une Province des plus éloignées, qui estant venu loger vis à vis de sa maison, l’apperceut un jour à la fenestre. Il la trouva toute aimable, & l’ayant veuë ainsi plusieurs fois, quoy qu’elle se retirast si-tost qu’elle remarquoit qu’on s’attachoit à la regarder, il ne put plus resister à l’envie de la connoistre. Il y fut porté avec beaucoup plus d’ardeur, lors que l’ayant entenduë chanter un soir que la nuit avoit déja commencé, il se sentit entraîné vers elle par ce nouveau charme. Comme il avoit de l’esprit, & de cet esprit du monde qui se fait aimer par tout, ce luy fut assez pour s’introduire chez cette aimable personne, que le pretexte du voisinage. Sa Mere crut que l’honnesteté demandoit d’elle qu’elle accordast à un Etranger qui ne devoit passer à Paris qu’un mois ou deux, ce qui auroit pû tirer à consequence, si elle l’eust souffert à un autre. Il alloit chez elle la pluspart des soirs, & la conversation se faisant toujours en presence de la Mere, sans qu’il semblast souhaiter du particulier avec la Fille, ny l’une ny l’autre ne s’imagina qu’il eust autre veuë dans l’empressement qu’il leur témoignoit, que de passer quelques heures avec moins d’ennuy qu’il n’eust fait dans une Auberge. Il y fut trompé luy-mesme, & il ne connut les sentimens qu’il avoit pour cette charmante Fille, que lors que la Mere luy demanda son avis sur un mariage qu’on luy proposoit. Elle ne luy en parla que comme le croyant assez de ses Amis pour luy donner un conseil sincere. En effet elle estoit bien éloignée de croire qu’il y deust prendre interest que par le seul avantage de sa Fille. Il n’avoit marqué pour elle que ce qu’un homme galant fait paroistre en general pour tout le beau Sexe. Elle n’avoit que fort peu de bien à luy donner, & elle sçavoit que le Cavalier estoit fort riche. Outre une Terre tres-considerable dont il joüissoit, il avoit pour plus de cent mille écus de pretentions fort bien fondées, & il n’estoit à Paris que pour recouvrer des Pieces qui luy estoient necessaires pour en assurer l’effet. Il parut embarassé sur le conseil qu’on luy demandoit. Il s’informa du bien de l’Amant, & le trouvant mediocre, il dit qu’avec du merite, de la jeunesse & de la beauté, il n’y avoit rien qu’on ne dust attendre, quand on pouvoit ne se pas haster de faire un choix. Le lendemain, il pria la Fille de ne luy point déguiser si elle sentoit son cœur porté à ce mariage. Elle ne fit point difficulté de luy avoüer, qu’ayant besoin de quelque établissement pour reparer son peu de fortune, cette seule veuë l’engageoit à écouter les propositions qui luy estoient faites. Le Cavalier ne luy dit rien davantage, & passa encore trois jours sans luy expliquer ses sentimens mais enfin voyant la chose en estat de se conclure, il ne luy fut plus possible de mettre des bornes à sa passion. Il luy declara qu’il estoit éperduement amoureux d’elle, & que si elle vouloit rompre avec l’Amant qui se presentoit, & luy accorder le temps de venir à bout de son procés, il viendroit la rendre maistresse de sa fortune, comme elle l’estoit déja de son cœur. Il parloit de bonne foy, ainsi il ne faut pas s’étonner s’il persuada. La Belle luy representa le tort qu’il auroit de luy faire perdre ce qu’elle ne retrouveroit peut-estre pas aisément, & il luy mit l’esprit en repos, en luy faisant les plus tendres protestations de fidelité & de constance. Il l’obligea de consentir à se faire peindre pour luy donner son portrait, & elle voulut bien recevoir le sien. Il la quitta avec promesse de terminer ses affaires au plûtost, & de venir traiter d’une Charge qui l’attachant à la Cour, le dégageroit de la Province. Estant arrivé chez luy, il ne songea plus qu’à poursuivre son procés, dans lequel il s’agissoit de la meilleure partie de son bien. La violence de sa passion luy fit chercher les voyes les plus promptes de se mettre hors d’affaires, & si ses Parties eussent esté raisonnables, il leur eust esté aisé d’obtenir un accommodement avantageux, mais le credit de quelques personnes d’un rang distingué, qui prenoient leurs interests, leur faisant croire infaillible le gain de leur cause, il fallut qu’un Arrest de Parlement en décidast. Le Cavalier chercha de l’appuy contre une si forte brigue, & jetta les yeux sur l’homme de la Province, & le plus puissant & le plus consideré. Le moyen estoit fort seur, mais les mesures qu’il prit pour cela le jetterent dans un embarras terrible. C’estoit un Marquîs d’une Maison fort illustre, & qui ayant une Fille, eust esté bien-aise de la marier sans se dépoüiller de rien. Elle avoit plus d’esprit que de beauté, & on conseilla au Cavalier de feindre d’avoir de l’amour pour elle. Ces apparences plûrent au Marquis ; il s’employa de tout son pouvoir pour le Cavalier, qui ne croyant hazarder que des complaisances, rendoit à sa Fille des soins assez assidus. Ils estoient favorisez, & on luy donnoit les occasions les plus commodes pour le teste à teste. Les procedures avançoient toujours, & de la maniere qu’on avoit tourné les choses, les cent mille écus luy estoient presque assurez. Comme il ne faisoit aucune declaration précise, le Marquis, homme adroit & violent, l’ayant trouvé seul un jour dans la chambre de sa Fille, luy dit que la conduite qu’il avoit tenuë avec elle depuis quelque temps, faisoit courir des bruits dans la Ville qu’il estoit temps d’étouffer ; qu’elle estoit d’une naissance à ne pas souffrir qu’on l’exposast au soupçon d’aucune galanterie ; qu’il ne l’avoit receu favorablement chez luy, & servy dans son affaire que dans la pensée qu’il l’épouseroit ; qu’il n’avoit fait aucune démarche qui n’eust donné lieu de croire qu’il en avoit le dessein, & que le service qu’il luy rendoit en luy faisant gagner un procés de la plus haute importance, meritoit bien qu’il le reconnust par ce mariage, sur tout lors qu’il devoit tenir à honneur d’estre son Gendre, Le Cavalier étourdy du coup essaya de se remettre, en demandant au Marquis qu’il luy donnast quelques jours pour luy répondre positivement. Le Marquis luy en voulut bien accorder huit, mais à la charge que pendant ce temps il prendroit chez luy un appartement, & qu’il songeroit aux clauses qu’il trouveroit à propos que l’on employast dans le Contrat. Cette violence cachée sous de beaux dehors mit le Cavalier au desespoir. Il connut la faute qu’il avoit commise, & il n’y voyoit aucun remede. Le Marquis aprés s’estre declaré comme il avoit fait, n’estoit point homme à se relâcher. Il pretendoit que ce qu’il devoit à son honneur, luy imposoit la necessité de ce mariage, & ce qu’il pouvoit auprés des Juges, faisoit voir au Cavalier la perte de son procés inévitable, s’il se défendoit d’épouser sa Fille, quand mesme on l’auroit laissé en liberté de le faire, ce qui n’estoit pas. Toutes ces raisons l’obligerent à ceder, sans faire connoistre qu’il ne cedoit qu’à la force. Le mariage se fit, & le procés fut jugé ensuite à son avantage. Il eut de grands biens, mais ils n’eurent point de quoy satisfaire un cœur tout remply d’amour. Il écrivit à la Belle les cruelles circonstances de ce qui venoit de luy arriver, & il le fit d’une maniere touchante qui l’auroit persuadée de ce qu’il souffroit, si la consideration de son malheur ne l’eust empeschée de s’occuper d’autre chose. Elle perdoit un Amant qui l’ayant fait renoncer à un établissement qui luy convenoit, l’avoit reduite à ne pouvoir plus s’arracher du cœur la passion qu’il y avoit mise, & qui l’abandonnant pour toujours, vouloit qu’elle crust qu’il fust encore plus à plaindre qu’elle. L’estat où elle se vit, la fit s’emporter contre tous les hommes, & rien n’eust pû la convaincre que le Cavalier ne l’eust pas trahie volontairement, s’il ne l’eust tirée d’erreur par un procedé qui n’a point d’exemple. Un Gentilhomme la vint trouver de sa part avec une Lettre, par laquelle il luy mandoit, que puis que sa mauvaise destinée ne luy avoit pas permis de s’unir à elle, il vouloit au moins luy faire voir que jamais amour n’avoit esté ny plus sincere ny plus veritable que le sien ; que pour l’indemniser de l’Amant qu’elle avoit perdu pour luy, il luy envoyoit dix mille écus, qui pourroient en peu de temps luy faire trouver un party plus digne d’elle ; qu’il la conjuroit par toute l’estime qu’elle luy avoit montrée, de ne les pas refuser, & que quelques marques qu’elle pust jamais luy demander de l’interest qu’il prenoit en elle, il feroit tout son bonheur de la satisfaire. Ce qu’elle lisoit luy parut si peu croyable, qu’elle ne sceut que répondre au Gentilhomme, & elle se vit le lendemain compter les dix mille écus sans être persuadée que ce ne fust pas une illusion. C’estoit pourtant un present réel, & le Cavalier estant fort riche, & la Demoiselle peu accommodée, elle jugea à propos de l’accepter. Elle s’en fit un merite auprés de luy, en luy répondant aprés beaucoup de loüanges sur sa generosité, qu’elle en feroit un usage contraire à celuy qu’il luy marquoit, & que puis qu’il la mettoit en estat, par le secours qu’il vouloit bien luy préter, de n’avoir besoin d’aucun établissement, le malheur de ne pouvoir estre à luy l’empeschoit d’estre jamais à personne. Cette asseurance qu’il n’eust osé demander, luy donna beaucoup de joye, mais en mesme temps elle redoubla sa passion, non pas que la Belle l’autorisast à la conserver ; mais plus il la connoissoit digne d’estre aimée, plus celle qui étoit cause qu’il n’avoit pu estre heureux, luy estoit insupportable. Il ne luy parloit jamais, & si le nom de sa Femme qu’elle portoit malgré luy, l’obligeoit d’avoir pour elle des égards d’honnesteté, il luy estoit impossible de luy donner des marques d’amour. Cette froideur estoit remarquée, & faisoit beaucoup de peine à ceux qui les souhaitoient dans l’union. La Belle en fut avertie par le Gentilhomme, & à peine elle eut appris cette espece de divorce, que jugeant bien qu’elle y avoit part, elle s’empressa d’y remedier. Ses premieres Lettres n’eurent point d’effet. Il luy opposoit toujours la violence qu’on luy avoit faite, & ne pouvoit concevoir qu’elle pust exiger de luy avec justice qu’il eust de l’amour pour une Femme qui le rendoit le plus malheureux de tous les hommes ; mais enfin elle luy peignit si vivement l’obligation où il estoit de vaincre l’aversion qui luy donnoit de l’éloignement pour elle, & luy fit si bien connoistre que ce n’estoit qu’à ce prix qu’elle pouvoit luy répondre d’une éternelle amitié, qu’il resolut de la croire. Ainsi l’envie de luy plaire luy fit obtenir sur son esprit ce que personne n’avoit encore pu gagner. Il commença à montrer plus de complaisance pour sa Femme, & on fut surpris de voir entre eux une liaison qu’on ne devoit plus attendre. La Dame elle-mesme ne sçavoit à quoy attribuer un si heureux changement, & un jour qu’elle pria son Mary de luy apprendre ce qui l’avoit engagé à luy rendre sa tendresse, il répondit qu’il vouloit luy faire voir la personne qui avoit fait ce miracle Aprés luy avoir conté en peu de mots son engagement avec la Belle, il luy montra son portrait, & luy leut toutes les Lettres qu’elle luy avoit écrites pour l’obliger à vivre avec elle dans une parfaite intelligence. La Dame fut charmée de sa vertu, & luy marqua l’admiration qu’elle luy causoit, en luy demandant son amitié par une Lettre aussi engageante que spirituelle. Vous jugez bien que la Belle répondit comme elle devoit à ces avances. Il s’établit entre elles en fort peu de temps un agreable commerce, & la Dame l’employa à mille commissions pour elle & pour ses Amies. Une simpatie secrete qu’augmentoit de jour en jour la connoissance qu’elles se donnoient de leurs sentimens, les attachoit l’une à l’autre, quoy que la grande distance des lieux les empeschast de se voir, & aprés que trois années se furent passées de cette sorte, sans que la Belle eust voulu songer à se marier, quelques partis qui se fussent presentez, une affaire assez pressante appellant le Cavalier à Paris, la Dame voulut l’y accompagner pour avoir la joye de voir l’Amie qu’elle s’estoit faite. Ce fut un redoublement d’estime qui ne se peut concevoir lors que la pratique leur eut fait connoistre l’une à l’autre tout le merite qui ne leur estoit qu’imparfaitement connu. La Dame loüa son Mary sur son bon goust, & comme l’estat où il se trouvoit demandoit de luy beaucoup de reserve, il se conduisoit auprés de la Belle d’une maniere obligeante, qui sans luy marquer une passion blâmable, luy faisoit voir le pouvoir qu’elle avoir toujours sur luy. Les deux Amies devinrent inseparables, & dans le temps que la necessité du retour leur faisoit sentir d’avance le chagrin de se quitter, la Dame fut attaquée d’une fiévre qui mit bientost sa vie en peril. La Belle en parut inconsolable, & ne s’empressa pas moins la nuit que le jour à luy rendre tous les soins qui la pouvoient soulager, mais la malignité de la fiévre vainquit l’art des Medecins, & on fut contraint de luy declarer qu’elle devoit songer à mourir. Dans ce triste estat, ne voyant plus rien à esperer, elle dit à son Mary, que puis que l’obstacle qu’elle avoit mis à l’engagement qu’il avoit avec la Belle, cessoit par sa mort, elle le prioit de l’épouser, n’y ayant personne qui fust plus digne de luy. Elle expira dans ce sentiment, & ce ne fut pas sans coûter beaucoup de larmes & à son Mary, & à la Belle. Ils donnerent à leur sincere douleur tout le temps que la bienseance pouvoit exiger, & l’amour qui estoit plûtost assoupy qu’éteint, s’estant réveillé sans peine dans le cœur de tous les deux, ils eurent enfin la joye de se voir unis comme ils l’avoient souhaité. Le mariage se fit un des derniers jours du Carnaval, & plusieurs personnes considerables qui se trouverent à cette ceremonie, peuvent répondre de la verité de l’avanture.

[Tout ce qui s'est passé au voyage du Roy d'Angleterre depuis son depart jusques à Brest avec les Harangues qui luy ont esté faites] §

Mercure galant, mars 1689 (première partie) [tome 3], p. 233-241, 261-264.

 

Comme la derniere fois je ne vous dis que fort peu de chose des marques de piété que le Roy d'Angleterre donna deux jours avant son départ pour Brest, en venant faire ses Devotions à Nostre Dame, ce sera par là que je commenceray ce que vous attendez de moy sur son voyage, afin de vous le donner entier en un seul article. Ce Monarque vint à Paris le 25. du Mois passé, & il y entra accompagné des Gardes du Roy qui avoient l'épée nüe. Il se rendit à la Cathedrale, où Mr l'Archevesque en Chape & en Mitre, à la teste des Chanoines, & précedé de sa Croix & de sa Crosse, le receut à la grande porte de la Nef en dedans sous les Orgues. Sa Majesté s'estant mise à genoux sur un carreau que luy presenta un des Chanoines, ce Prelat luy donna l'Eau benite, puis la vraye Croix à baiser, que le Tresorier revestu d'étole tenoit toute preste, & luy fit ensuite une harangue avec l'éloquence qui luy est si naturelle. Le Roy répondit en peu de paroles, mais obligeantes, & alla au Chœur, où il se mit à genoux sur un Prié-Dieu preparé devant le grand Autel qu'on avoit orné d'un parement de velours brodé de Perles. Un peu aprés il alla au lieu nommé le Revestiaire, & descendit jusqu'en la derniere Sacristie des Chanoines, où l'on avoit mis un tapis de pied & des paremens au Confessionnal. Il y fut conduit par Mr l'Archevesque, qui tenoit la droite à cause de ses habits Pontificaux, On ferma la porte, & le Roy se confessa au Pere Freville, son Confesseur ordinaire estant party ce jour là pour Brest. Pendant ce temps, Mr l'Archevesque se mit en Rochet & en Camail, & en cet habit il accompagna le Roy de la Sacristie au Chœur, en tenant pour lors la gauche. Mr l'Abbé Parfait, l'Ancien Chanoine, commença la Messe qu'il celebra à voix basse, aprés avoir salüé Sa Majesté Britannique par une inclination. Là, le Roy s'appercevant que Mr l'Archevesque qui s'estoit mis à genoux à demy tourné prés le Prie-Dieu à gauche, estoit sans carreau, luy en fit apporter un, mais ce Prelat ne s'en voulut point servir. Aprés l'Evangile, les deux Beneficiers qui servoient d'Acolytes en Chapes, vinrent apporter le texte à Mr l'Archevesque, qui l'ayant ouvert le donna à baiser au Roy. A l'Offertoire les Acolytes revinrent au Prié-Dieu, & apporterent cinq petits Pains sur la Palle ; Mr l'Archevesque fit l'essay, rompant avec eux un de ces cinq Pains dont il mangea. Le Roy en designa un des autres, que l'un des deux Acolytes reporta seul au Celebrant sur la Palle. L'autre Acolyte porta au Chevecier les autres pains. On chantoit cependant un Pseaume en Musique, Quatre Enfans de Chœur estant venus pour l'Elevation avec des flambeaux firent ensemble une profonde inclination vers l'Autel, & s'estant retournez en dedans vers le Roy, ils luy firent tous une profonde genuflexion sans se courber. Après l'Agnus Dei, Mr l'Archevesque conduisit le Roy à l'Autel marchant à sa gauche. Sa Majesté ayant receu la Communion, fut encore reconduite au Prié-Dieu par ce Prelat. On songea trop tard à donner au Roy l'ablution dans un Calice, suivant l'usage de l'Eglise de Paris, ce qui auroit esté presenté par un Chanoine Diacre avec une serviette sur son bras gauche. Aprés la Communion, les Enfans de Chœur ayant fait les mesmes reverences à l'Autel & au Roy, se retirerent, & on chanta le Domine salvum. Le Celebrant, avant que de donner la benediction, fit une inclination à Mr l'Archevesque & au Roy ensemble, & lors qu'il eut achevé la Messe, il vint sans quitter sa Chasuble presenter au Roy le Corporal plié qu'il luy donna à baiser. Cela estant fait, Sa Majesté se leva, & toujours accompagnée de Mr l'Archevesque, & suivie des Chanoines, Elle alla prier à la Chapelle de la Vierge sur un Prié-Dieu preparé, aprés quoy Elle se rendit à l'Archevesché [...].

 

Au sortir de l'Eglise [des Prêtres de l'Oratoire d'Orléans] le Roy monta en chaise pour aller coucher à Tours, aprés avoir fait mille honnestetez à Mr de Creil. Il y fut receu le soir au bruit du Canon par Mr le Marquis de Rasilly, Lieutenant general pour le Roy en Touraine, qui estoit allé au devant de ce Monarque à trois lieuës de la Ville, accompagné de la Noblesse, & suivy de ses Gardes & de la Maréchaussée. Mr l'Archevesque de Tours, & Mr de Miromenil, Intendant. estoient avec ce Marquis. Sa Majesté estant arrivée à la premiere porte de l'enceinte de la Ville, y receut les complimens & les presens des Echevins. La Bourgeoisie sous les armes formoit une double haye, & par tout où il passa il y eut des Illuminations aux fenestres. On luy avoit preparé un appartement au logis de Mr de Rasilly, & à la descente du Carosse il trouva Madame la Marquise de Rasilly, & Madame de Miromenil, qu'il salüa. Toutes les Compagnies en corps le vinrent complimenter ; aprés quoy on servit diverses tables pour Sa Majesté & pour les Seigneurs de sa suite. Le Mercredy 2. de ce mois, le Roy entendit la Messe au Convent des Jacobins avec la Musique de la Cathedrale, & partit de Tours à six heures du matin. La Bourgeoise estoit sous les armes comme le jour precedent, & Mr de Rasilly conduisit Sa Majesté avec le mesme cortege jusqu'au mesme lieu où il l'avoit esté recevoir. [...]

[Inscriptions pour la Statuë du Roy, que Mr. du Bois Guerin a fait faire] §

Mercure galant, mars 1689 (première partie) [tome 3], p. 290-293.

 

Je vous ay parlé de la Statuë de Sa Majesté, foulant l’Heresie aux pieds, que Mr du Bois, Contrôleur de la Maison de Madame la Dauphine, a fait faire. On a demandé des Inscriptions pour les graver sur le piedestal, selon le choix qui en sera fait. Voicy celles que cet avis m’a fait envoyer.

I.

Ses sublimes vertus, ses éclatans exploits,
Le rendoient des Heros le plus parfait modelle,
Lors que ce Monstre affreux expirant sous ses Loix,
Vint achever sa gloire, & la rendre immortelle.

II.

Terrarum pestem Lodoix dum mittit averno,
 Se terris munus sic probat esse Poli.

III.

LUD. XIV.
MAGNUS UNDIQUE.
Et verus
Super Hæresim
HEROS.

IV.

Sous ses pieds triomphans Loüis tient abaissée
L’Heresie à jamais par son bras terrassée.
Ce Monstre au desespoir, pour hâter son destin,
S’arrache les cheveux, boit son propre venin,
Mais malgré sa fureur, ce Heros immobile
Joüit de sa victoire, & demeure tranquille.

V.

LUDOVICUS XIV.
 Hoc Monstro domito,
Magnus, Rex, Christianissimus.
Il est par son haut rang, Roy,
 Grand, & Tres-Chrestien.
Il l’est encor bien plus par sa sage conduite,
Mais peut-il mieux unir tous ces grands noms au sien,
Que lors que par ses Loix l’Heresie est détruite ?

VI.

Hostibus, una fides, eversis, restat habenda,
 Nunc uno, Lodoix, numine Relligio.

Air nouveau §

Mercure galant, mars 1689 (première partie) [tome 3], p. 298-299.

Voicy un second Air, conforme à la sainteté du temps. Il est encore de M. de Bacilly, sur des paroles de M. Godeau.

AIR NOUVEAU.

Avis pour placer les Figures : l’Air qui commence par, Pressez de cruelles douleurs, doit regarder la page 299.
Pressé de cruelles douleurs
Qui ne font avec moy ny de paix, ny de tréve,
O Dieu, qui peux finir le cours de mes malheurs,
En cette extremité mon coœur à toy s'éleve,
J'implore ton secours, sans craindre qu'un refus
Rende mon visage confus.
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