1689

Mercure galant, mai 1689 (première partie) [tome 5].

2017
Source : Mercure galant, mai 1689 (première partie) [tome 5].
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Mercure Galant, mai 1689 (première partie) [tome 5]. §

Au Roy. Madrigal §

Mercure galant, mai 1689 (première partie) [tome 5], p. 7-10.

 

Dans la situation où sont presentement les affaires, je ne puis commencer ma Lettre d’une maniere qui convienne mieux aux grandes Actions de Sa Majesté, qu’en vous faisant part des Vers que vous allez lire.

AU ROY.
MADRIGAL.

 Vous que Bellone & la Victoire
 Accompagnent toujours par tout,
Qui n’entreprenez rien sans en venir à bout,
 Mettez, grand Roy, le comble à vostre gloire.
Vos plus fiers Ennemis les armes à la main,
Ont éprouvé toujours un funeste destin,
Ils n’ont pû resister à la force des vostres.
 Aprés tant d’exploits si fameux,
Remettez sur le Trône un Prince malheureux,
Ce triomphe pour vous sera plus glorieux,
 Que d’avoir vaincu tous les autres.

Ce Madrigal est de Mr Diereville, dont je vous ay déja envoyé divers Ouvrages qui ont toujours eu l’avantage de vous plaire.

[Inscriptions au sujet de la statue du roi de Mr du Bois]* §

Mercure galant, mai 1689 (première partie) [tome 5], p. 10-15.

 

Voicy encore des Inscriptions faites au sujet de la Statuë du Roy de Mr du Bois. Vous vous souvenez de celles que je vous ay déja envoyées dans mes deux dernieres Lettres. Comme les plus courtes ne sont pas les plus mauvaises, & qu’il y a de la grace à faire entendre beaucoup en peu de mots, Mr le President de Varoquier a eu raison de choisir ceux cy, Hercule major. Hercule a dompté des Monstres, & en a-t-on jamais vû de plus redoutables que l’Heresie, qui est le sujet de la Figure, au bas de laquelle l’Inscription doit estre placée ?

En voicy une autre qui dit aussi beaucoup en un seul Vers.

Monstrum, Aquilâ victâ, victoque Leone, subegit.

Mr de Vertron qui en est l’Auteur, l’a traduit ainsi.

De l’Aigle & du Lion Loüis victorieux,
Dompte un Monstre ennemy de la Terre & des Cieux.

Il a fait cette autre Inscription pour un Buste de Sa Majesté.

Hir Vir hic est, Regum Exemplar, morumque Magister,
 Orbi qui vivo Cæsare jura daret.
Voicy la traduction de ces deux Vers.
 C’est là ce grand Heros, le Modelle des Rois.
 C’est luy qui pour les mœurs est un Maistre fidelle,
 Tout l’Univers charmé de sa gloire immortelle,
 Du temps de Cesar mesme eust reconnu ses loix.

Ces quatre autres Vers Latins ont esté faits à la gloire de cet auguste Monarque, par Mr des Hommeaux Hardy, Avocat Angevin. Ils presagent ce que l’Empereur doit attendre de la guerre qu’il entreprend sur le Rhin, dont le succés diminuëra fort la gloire que ses armes luy ont acquise par les conquestes qu’elles ont faites sur les Othomans.

 Victrices venient Aquilæ, victæque redibunt,
 Terribilem Gallum laurea certa manet.
Non semper Violæ, sed semper Lilia florent,
 Perpetuus labor est, ô Lodoice, tuus.

Je finis par une plus longue Inscription, au bas de laquelle vous trouverez le nom de l’Auteur. Elle a esté faite pour une Statuë du Roy, en quelque lieu qu’elle puisse estre élevée.

LUDOVICO
  Invictissimo præliis,
  Augustissimo triumphis,
 Religione Christiniassimo,
  Bis Europæ Pacatori,
 Optimarum legum Autori,
   Morum Censori ;
Decori Galliæ, Sæculi ornamento,
  Populorum fælicitati,
Hæreseon Destructori sapientissimo,
Fidei Propagatori ardentissimo,
 Ecclesiæ Defensori acerrimo,
  Victori moderatissimo,
Regi dilectissimo, Patri felicissimo,
  In omnibus Maximo.
Raimundus Bonet, primus in
 Præsidiali Sarlatensium Curiâ Patronus,
  Fidei hoc monumentum
Affectu devotissimo consecravit.

[Inscription au sujet d’un portrait du roi]* §

Mercure galant, mai 1689 (première partie) [tome 5], p. 15-16.

 

Le mesme a fait les six Vers suivans, pour mettre au bas d’un Portrait, où le Roy est peint tout entier en habit de ceremonie. On en a fait tirer une Estampe, & Sa Majesté y est representée dans le Temple de la Gloire. La Fortune, la Valeur, la Sagesse, & la Pieté l’y couronnent.

 Estre le refuge des Rois,
 Le Protecteur de l’Eglise & des Loix,
 Toujours Conquerant, toujours juste,
 Pere d’un Fils par tant d’exploits fameux,
C’est sans comparaison estre plus grand qu’Auguste,
 Et plus puissant, & plus heureux.

Eglogue §

Mercure galant, mai 1689 (première partie) [tome 5], p. 57-79.

 

Le plaisir que vous avez trouvé à lire les Poësies Pastorales de Mr de Fontenelle, vous doit aisément persuader qu’elles ont esté receuës par tout avec de grands aplaudissemens. C’est ce qui a engagé Mr Magnin, de l’Academie Royale d’Arles, à luy adresser l’Eglogue que je vous envoye. Son nom vous est si connu par tous les Ouvrages que vous avez vûs jusqu’icy de sa façon, qu’il est impossible qu’il ne vous dise beaucoup à l’avantage de celuy-cy.

EGLOGUE.

Toy qui d’un chalumeau plus touchant & plus doux
Que celuy dont l’heureuse & celebre Mantouë,
 Et se glorifie & se loüe,
 Et qui luy fait tant de jaloux,
Fontenelle, qui sçais avecque tant d’adresse
A la simplicité mêler la politesse,
Qui fais si bien parler nos Bergers amoureux,
Qu’à peine à la Cour mesme on parle aussi-bien qu’eux ;
Couronné par les mains des Filles de Memoire,
 Comblé de merite & de gloire,
Que diras-tu de voir que mon grossier Hautbois
S’efforce d’imiter les douceurs de ta voix ?
Par son hardy caquet souvent le Geay copie
Du sçavant Rossignol la douce melodie.
***
Tous les Bergers n’ont pas l’air poly comme toy,
 Mais s’ils avoient cet avantage,
 Je te le dis de bonne foy,
Supposé que l’on eust le mesme goust que moy,
 Tout le monde iroit au Village.
***
 Dans le desir de t’imiter,
 Que ma Muse seroit heureuse,
Si son adresse alloit jusqu’à bien raconter
 De cette avanture amoureuse
 L’histoire simple & serieuse !
***
Si tu n’y trouves pas cette facilité
Qui fait avec tes Vers distinguer ton merite,
Tu trouveras au moins dans ce que je debite,
Au defaut d’ornemens beaucoup de verité.
***
La Bergere Dorise, & la Bergere Aminte,
S’entretenoient un jour seules, & sans contrainte,
Et sous l’appas trompeur d’une longue amitié
Feignant d’ouvrir leurs cœurs, en cachoient la moitié.
Si jamais on a vû la fausse confidence
De la sincerité ménager l’apparence,
Si jamais en amour on se déguisa bien,
Pour piller un secret, en conservant le sien,
Avec un soin égal l’une & l’autre Bergere
Fit pour y réussir tout ce qu’il falloit faire.
L’une & l’autre estoit belle, & croyoit meriter
Le prix qu’elle feignoit de ne point disputer.
L’une & l’autre en secret desirant d’estre aimée,
Et de ne point aimer briguant la renommée,
Dans le ménagement d’une fausse rigueur,
N’occupoit son esprit qu’à déguiser son cœur.
Dorise estoit plus fine, Aminte plus discrete,
A cela prés au fond, autant qu’elle coquette.
Déja pour en juger ce portrait saute aux yeux,
Mais faisons-les parler, on en jugera mieux.
O ! vous qui connoissez le panchant de vos ames,
Si vous voulez garder le secret de vos flames,
Parlez discretement ; le feu de vos amours
Sans cela brillera par tout dans vos discours,
Le cœur pour se cacher ne prend qu’un soin frivole,
On neglige la langue, & le secret s’envole.
De cent mots ambigus le voile decevant
Offre une seureté qui manque tres-souvent,
Et pour dissimuler, quoy que l’on imagine,
La grande obscurité fait mesme qu’on devine.
De cette verité l’on ne pourra douter
En lisant l’entretien que je vais raconter.
***
Le jour estoit serein, & la plaine riante
Aux Troupeaux réjouïs montroit l’herbe naissante,
Et les Zephirs cueillant les premices des fleurs,
Répandoient dans les airs de nouvelles odeurs.
Sur le costeau prochain les Bergeres assises,
Du soin de se connoistre également éprises,
Aprés avoir un peu rêvé, pris des détours.
Dorise la premiere entama le discours.

DORISE.

 Nos Bergers amoureux s’assemblent dans la plaine
Mais ce n’est pas le soin des Troupeaux qui les meine,
Les Bergeres en foule y courent à leur tour.
Qu’on est d’un grand loisir quand on n’a point d’amour !

AMINTE.

 On fait entrer l’amour dans toutes les affaires,
Des soins les plus communs on en fait des misteres ;
Il en est toutefois quantité d’innocens,
Mais je n’en puis juger que par ce que je sens.

DORISE.

 Je vous entens, Aminte, & vois la consequence.
Ce que j’ay dit pourtant n’est point ce que je pense,
Ma bouche auroit trahy mon cœur, & sans raison
Vous servez d’interprete à cette trahison.

AMINTE.

 C’est sans aucun dessein que j’ay dit ma pensée,
Et je n’y croyois pas Dorise interesée,
Mais vous parlez d’un air, à faire presumer
Que vous n’ignorez pas ce que c’est que d’aimer.

DORISE.

 Je connois de l’amour ce que j’en entens dire.
Pour en sentir les feux cela peut-il suffire ?
Aminte, aprenez-moy ce que vous en pensez,
Peut-estre pour m’instruire en sçavez-vous assez.

AMINTE.

 La défaite est adroite, & digne de Dorise.
N’est-ce point Dorilas qui vous l’auroit apprise ?
Par les soins qu’il vous rend il se fait remarquer,
Et quelquefois peut-estre il aime à s’expliquer.

DORISE.

Tous les soins qu’il me rend ne me font rien comprendre,
Mais ceux de Telamon, vous les devez entendre,
Ce Berger prés de vous est assez assidu ;
Tout le temps qu’il y passe, Aminte, est-il perdu ?

AMINTE.

 J’en tiens compte, Dorise, & n’en ay point de honte ;
Mais est-ce à l’amour seul que l’on doit rendre compte ?
Faut-il absolument qu’il se mesle de tout ?
Ne decide-t-on rien que sur ce qu’il resout ?

DORISE.

 Vostre cœur vous dira tout ce qu’il en faut croire,
Et vous voulez en vain en déguiser l’histoire ;
Mais pour moy, là-dessus j’ay peu d’attention,
L’on a beau m’en parler, je n’en sçay que le nom.

AMINTE.

 Que le nom ! C’est trop peu ; moy j’en sçay d’avantage,
Car je vois bien au moins que l’amour n’est pas sage,
Et si je vous disois, Dorise, que c’est vous
Qui me l’avez appris, vous mettrois-je en couroux ?

DORISE.

 Point du tout ; mais enfin d’où vous vient la pensée,
Que des traits de l’amour mon ame soit blessée ?
Sur quoy devinez-vous ma sensibilité ?
Trouvez-vous Dorilas par moy si bien traité ?

AMINTE.

 Non pas tant en effet qu’il merite de l’estre,
Mais que sert la froideur que vous faites paroistre ?
Sans cesse & sans raison par tout vous le blasmez,
Vous le maltraitez trop ; Dorise, vous l’aimez.

DORISE.

 Le nom de Telamon vous impose silence ;
On ne croit pourtant pas que ce nom vous offense ;
Dés qu’on parle de luy, vous changez d’entretien.
N’en dites-vous point trop, quand vous ne dites rien ?

AMINTE.

 Malheureux Dorilas, ta flame qu’on méprise,
Se dévroit rebuter, mais quelle est ma surprise,
De voir, quand on revient le soir dans le Hameau,
Dorise te charger du soin de son Troupeau !

DORISE.

 Aminte, Telamon avec indifference
Entend parler de toy, sans rompre le silence.
Dans cet état glacé, d’où vient donc que je vois
Que ton chien sçait si bien obeïr à sa voix ?

AMINTE.

 L’autre jour qu’on railloit de vostre amour, Bergere,
Vous fustes sur le point de vous mettre en colere ;
Mais un moment aprés, avecque Dorilas
Je sçay qu’on vous vit rire, & luy parler tout bas.

DORISE.

 Telamon pour resver à l’écart se retire ;
Quoy qu’on dise de luy, vous n’avez rien à dire,
Mais toutefois vos yeux, si je les entens bien,
Luy font raison de tout, quand vous ne dites rien.

AMINTE.

 Dorise, il faut enfin que je vous desabuse ;
Ne ménagez plus tant un cœur que l’on refuse.
Déja depuis long-temps Dorilas s’offre à moy,
Mais pourrois-je l’aimer, s’il vous manque de foy ?

DORISE.

 Ah, vous me prevenez & commencez à croire
Que Telamon sur vous me donne la Victoire.
De cette trahison je serois de moitié,
Si j’osois lâchement trahir nostre amitié.

AMINTE.

 Une telle amitié sans doute est precieuse,
Je ne la croiois pas pourtant si genereuse,
Je la ménageray, Bergere, assurement,
Et vous conserveray vos droits sur vostre Amant.

DORISE.

 Je n’auray pas ce soin, car vous estes si belle
Que vous sçaurez assez guerir un infidelle.
Mais je le vois venir, ce malheureux Berger.
Sans doute qu’il vous cherche, & ne veut pas changer.

AMINTE.

 Quoy, vous le voyez seul ? ouvrez les yeux, Bergere,
Dorilas l’accompagne ; à quoy bon ce mistere ?
Si ce nom prononcé vous met dans l’embarras,
Je diray bien aussi que je ne le vois pas.

DORISE.

 Vous pouvez le nommer, & le voir sans contrainte,
Vos yeux & vostre cœur y perdroient trop, Aminte.
De tout cet embarras je vais vous délivrer,
Il arrive, & je vois qu’il faut vous le livrer.

TELAMON.

 Toutes deux à l’écart, & si long-temps, Bergeres !
Pourrions-nous demander quelles douces affaires
Ont pû vous occuper dans ce long entretien ?
Et Dorilas, & moy, n’y sommes-nous de rien ?

AMINTE.

 Je vous laisse à penser, demandez-le à Dorise ;
Hors de parler de vous, que voulez-vous qu’on dise ?
Mais ce qu’on en disoit nous pousseroit trop loin,
Songeons à nos Troupeaux, il en faut prendre soin.

DORILAS.

 Quoy, vous vous retirez si promptement, cruelles ?
Un peu plus de bonté pour des Bergers fidelles ;
Chacune peut laisser paistre encor son Troupeau,
La partie est heureuse, & le jour est si beau.

DORISE.

 Si vous entrepreniez de faire la partie,
Vous auriez de la peine à la rendre assortie.
Quand le cœur n’est pas libre à suivre son desir,
Il est bon d’éviter l’embarras de choisir.

DORILAS.

 Voilà ce qui s’appelle une Enigme parfaite.
En avez-vous la clef, Telamon ?

TELAMON.

   Je souhaite
Qu’au moins Aminte, avant que de quitter ce lieu.…

AMINTE.

 Je n’ay rien à vous dire ; adieu, Berger, adieu.
***
 Les Bergeres alors du costeau descendirent.
Inquiets, & réveurs, les Bergers les suivirent,
On ne se parla plus qu’en mots entre-coupez,
Les cœurs de l’avanture estoient trop occupez.
On amassa des fleurs dans la Plaine fleurie,
Victimes du dépit, & de la resverie ;
On en jetta soudain les feüilles à l’écart,
Les rameaux, du chagrin eurent aussi leur part ;
Tout ce qui se trouva sous la main au passage,
Fut brisé par l’effet d’une secrete rage,
Chacun se separa pour joindre son Troupeau,
Quoy qu’il ne fust point tard on gagna le Hameau ;
Mais malheur en chemin aux Brebis écartées,
Elles n’avoient jamais esté si mal traitées,
On repoussa du pied les caresses des Chiens,
On eust dit que chacun méconnoissoit les siens.
D’un air si froid enfin on finit la journée,
Qu’on vit bien qu’on alloit changer de destinée.
Sans doute les Bergers se raccommoderont,
On les écoutera si-tost qu’ils parleront,
Mais sur leur amitié, je crois que les Begeres,
Aprés ce démeslé, ne compteront plus gueres.
Déja l’une avec l’autre on les voit rarement,
L’aversion s’augmente en cet éloignement.
Que l’on apprenne donc, qu’une amitié fidelle
Finit assez souvent sur une bagatelle,
Et que si l’on pretend qu’elle dure toûjours,
Il ne faut point troubler les secretes amours.
Quand on veut trop avant foüiller dans ces misteres,
La curiosité fait de grandes affaires.

Air nouveau §

Mercure galant, mai 1689 (première partie) [tome 5], p. 79-80.

La belle Saison a donné lieu a des Airs nouveaux sur le retour du Printemps. En voicy un de Mr Leger.

AIR NOUVEAU.

Avis pour placer les Figures : l’Air qui commence par, On peut enfin dans nos Bocages, doit regarder la page 79.
On peut enfin dans nos Bocages
Joüir des douceurs du beau temps.
Les Oiseaux par leur doux ramage,
Chantent le retour du Printemps.
Que mon bonheur seroit extrême,
Printemps, si ton retour
Rendoit la Bergere que j'aime
Plus sensible à mon amour !
images/1689-05a_079.JPG

[Histoire]* §

Mercure galant, mai 1689 (première partie) [tome 5], p. 238-254.

 

Jamais peut-estre l’amour n’a causé dans un cœur bienfait une irresolution aussi bien fondée que celle dont je vais vous marquer les circonstances. Une Dame ayant dit un jour à un Cavalier de ses Amis qu’elle avoit dessein de le marier, il luy répondit assez serieusement qu’il l’en laissoit la maistresse, & qu’il estoit fort persuadé qu’en choisissant par ses yeux, le choix qu’il feroit seroit approuvé de tout le monde. La Dame luy demanda là-dessus, ce qui le pouvoir toucher davantage d’une Blonde ou d’une Brune, parce qu’elle connoissoit deux Sœurs, en qui cette seule difference faisoit celle du merite, l’une & l’autre estant d’ailleurs si aimable, soit pour l’humeur & l’esprit, soit pour l’agrément de la personne, qu’il seroit fort difficile qu’il n’y trouvast de quoy contenter son goust. Elle ajoûta qu’elles estoient également jeunes, estant nées le mesme jour, & qu’afin de leur oster tout sujet de jalousie, leur Mere, de qui seule elles dépendoient, leur avoit toûjours caché qui des deux estoit l’aisnée, en sorte qu’il n’avoit qu’à consulter son panchant pour obtenir celle qui luy plairoit davantage. Le Cavalier prit jour avec son Amie, pour la visite dans laquelle il s’agissoit de disposer de son cœur. Il ne vit d’abord que la Blonde avec la Mere, & sa beauté luy parut d’un si grand éclat, que se laissant prévenir pour elle, il crut que le choix estoit tout fait. La Brune entra un moment aprés. Il l’examina avec plaisir, & une douce langueur répanduë sur son visage, luy fit éprouver en un moment que sa Sœur avoit en elle une Rivale des plus dangereuses. Comme il estoit enjoüé, la conversation fut vive & fort agreable, & lors qu’il les eut quittées, la Dame luy ayant demandé son sentiment, il avoüa que ses yeux estant également satisfaits de quelque costé qu’il les pust tourner, ils ne pouvoient luy donner aucun conseil, & qu’il avoit besoin d’un peu de pratique pour déterminer son cœur. Il vit les deux Sœurs avec assez d’assiduité, & le temps ne fit qu’augmenter son embarras. Chacune avoit de quoy meriter son entier attachement, & dans les soins qu’il prenoit pour réüssir à leur plaire, il sentoit bien qu’il auroit esté faché de chagriner l’une en obligeant l’autre. Cependant il connoissoit que toutes les deux estoient assez favorablement disposées pour luy, & plus il cherchoit à se fixer, moins il trouvoit sujet de le faire. S’il ne voyoit que l’une des deux, son cœur estoit prest de se donner, & quand l’autre paroissoit, il estoit touché de son merite, & s’accusoit d’estre injuste s’il luy préferoit sa Sœur. Quoy que cette incertitude luy causast beaucoup de peine, il ne laissoit pas de leur procurer tous les plaisirs qui font juger que c’est l’amour qui s’en mesle. Il leur disoit, selon que l’occasion s’en pouvoit offrir, tout ce qu’on peut dire de plus flateur & de plus galant ; & comme il avoit beaucoup d’esprit, toutes ses douceurs estoient bien receuës ; mais s’il leur estoit aisé de voir que toutes ses actions tendoient à s’en faire aimer, aucune des deux n’avoit lieu de se flater d’avoir obtenu la préference Enfin un jour la conversation estant devenuë badine, aprés leur avoir juré que chacune d’elles le touchoit sensiblement, il leur declara que ne pouvant les épouser toutes deux, & se sentant incapable de renoncer à aucune, c’estoit à elles à faire de luy ce qu’elles croiroient le plus à propos, puis qu’il n’y avoit que l’exclusion que l’une luy donneroit, qui pourroit enfin le déterminer pour l’autre. Cette declaration ayant donné lieu à de fort plaisantes choses qui furent dites pendant plusieurs jours, il pria la Mere de vouloir bien décider, l’asseurant de se soûmettre à ce qu’elle ordonneroit. La Mere à qui la décision fut renvoyée, tint conseil avec ses Filles, & leur demanda serieusement laquelle des deux vouloit ceder le pas à sa Sœur. Chacune prit le party, mais ce fut d’un air qui fit connoistre à la Mere que la bien-seance & la pudeur avoient plus de part à cette prompte resolution, qu’aucun sentiment d’indifference. Elle les aimoit toutes deux avec beaucoup de tendresse, & ce que le choix qu’elle auroit fait devoit donner necessairement de chagrin à l’une, l’embarrassa elle-même. Cela fut cause qu’on laissa l’affaire encore quelque temps sur le même pied. Le Cavalier qui se plaignoit en riant de ce que depuis qu’il les connoissoit, aucune n’avoit voulu relascher de ses belles qualitez, offroit quelquefois de les épouser l’une aprés l’autre, & enfin un de ses Amis intimes à qui il parla un jour de la plaisante situation où il se trouvoit, luy ayant dit qu’il ne croyoit pas possible que deux personnes fussent d’un merite assez égal pour tenir toûjours la balance juste, il le pria de venir voir ces charmantes Sœurs, l’asseurant qu’aprés qu’il les auroit étudiées quelque temps, il choisiroit celle qu’il luy jureroit de bonne foy qu’il auroit trouvée la plus aimable. L’Amy se laissa conduire chez elles, & estant fort satisfait de ce qu’il vit d’agrément dans leur personne, il s’attacha à ce qui pouvoit les faire connoistre du costé du cœur & de l’esprit. C’estoit un homme de fort bonne mine, qui avoit du bien & de la naissance, & que ses manieres aisées & insinuantes faisoient souhaiter par tout. Elles luy parurent d’un agreable commerce ; ainsi il n’eut pas de peine à avoir pour elles la mesme assiduité que le Cavalier. Elles la souffrirent avec assez de plaisir, & soit que chacune cherchast à gagner sa voix, ne doutant point qu’il ne pust beaucoup sur son Amy, soit qu’elles ne fussent pas insensibles à ce qu’il leur disoit d’obligeant, il n’eut pas sujet de regreter le temps qu’il donna à les bien connoistre. Un mois se passa de cette sorte, & le Cavalier le pressant souvent de choisir pour luy, il trouvoit toûjours à differer. Lors qu’il n’eut plus de raisons pour s’en deffendre, il le pria de choisir luy-mesme, & pour luy marquer combien il trouvoit les deux Sœurs aimables, il l’asseura qu’aussi-tost qu’il se seroit déclaré pour l’une, il employeroit toutes sortes de moyens pour obtenir l’autre. Le Cavalier ravy de cette réponse, dit à la Mere, du consentement de son Amy, qu’elle avoit deux Gendres, & qu’elle n’avoit qu’à faire dresser deux Contrats de Mariage, qui seroient signez selon le panchant qu’elle remarqueroit dans ses Filles. Cette declaration ne déplut point à la Mere. Aprés qu’elle l’eut receuë de la bouche mesme de l’Amy du Cavalier, elle consulta ses Filles, & voulut les obliger à tomber d’accord du choix que les deux Amans la pressoient de faire ; mais toute la réponse qu’elle en eut, fut que leur trouvant beaucoup de merite, chacune d’elles recevroit sans répugnance le Mary qu’elle voudroit leur donner. L’Incident estoit des plus extraordinaires. Les deux Cavaliers plaisoient aux deux Sœurs ; l’une & l’autre estoit aimée des deux Cavaliers, & comme la Mere ne vouloit point se charger du choix, & que les parties interessées refusoient de s’expliquer sur la preference, on ne pouvoit terminer cette double affaire. Cet embarras n’auroit point finy, si l’on ne fust convenu que le hazard en décideroit. On fit venir un Notaire, & le Cavalier signa deux Contrats de Mariage, l’un avec la Blonde, l’autre avec la Brune, aprés quoy on les mit pliez sur une table. Cela estant fait, on appella un Enfant à qui l’on en fit prendre un qu’on déchira sans le lire. Celuy qui demeura sur la table, estoit signé de la Brune, & le Cavalier l’ayant alors assurée du don entier de son cœur, la Blonde en signa un autre avec son Amy. Jamais satisfaction ne fut égale à celle que ces quatre Amans firent paroistre. La Mere eut de son costé tout sujet d’estre contente. La conduite de ses Filles l’avoit toujours obligée à les aimer tendrement, & ce luy fut une tres-sensible joye de les pouvoir marier dans le mesme jour. Je remets au mois prochain l’avanture de deux Freres qui m’auroit mené trop loin dans cette Lettre, où je dois reserver place pour beaucoup d’articles de Nouvelles.

[Nomination de madame Deshoulières à l’Académie Royale d’Arles]* §

Mercure Galant, mai, première partie [tome 5], 1689 p. 258-267.

 

J’ay une nouvelle à vous dire, dont vous me devez assurement sçavoir gré puis-qu’elle est à l’honneur de vôtre Sexe. L’Academie Royale d’Arles a envoyé des lettres d’Academicienne à l’illustre Madame des Houlieres que ses excellens Ouvrages ont renduë si celebre, ce qui n’avoit point encore esté fait en faveur des Dames dans pas une des Academies, qui sont presentement en France. Ces lettres ont esté adressées à Mr Charpentier, Doyen de l’Academie Françoise, Academicien honoraire de celle d’Arles, & Deputé perpetuel de cette Compagnie, qui les a renduës à Madame des Houlieres avec Mr le Marquis de Chasteau Renard qui est aussi de l’Academie d’Arles, & dont le nom est si connu, & par le merite de l’esprit, & par ses services pendant 18. campagnes dans l’employ de Capitaine au Regiment Royal, où il s’est acquis la reputation d’un des meilleurs Officiers d’infanterie & d’un des plus braves hommes de nostre temps, ce qui est assez confirmé par le nombre de ses blessures. Ces lettres qui sont en parchemin & scellées du Grand Sceau de l’Academie Royale, estoient dans un sachet de satin bleu galonné & frangé d’or. Le sceau qui est de cire bleuë est enfermé dans une boëtte d’argent attachée au bas des lettres avec un double lacs de soye bleuë. Le Roy y est representé assis sur son Thrône environné de trophées d’armes sous un pavillon ouvert des deux costez, avec ces mots latins en haut, Academia Regia Arelatensis. Le tout estoit dans une boëtte couverte de maroquin de levant incarnat semé de fleurs de lys d’or, & doublée de satin de mesme couleur. Les raisons qui ont porté cette celebre Academie à rendre un honneur si singulier à Madame des Houlieres sont expliquées dans ces Lettres avec beaucoup d’éloquence & de dignité, & je croirois vous dérober une partie du plaisir que vous en devez ressentir si je ne vous en envoyois la copie que j’ay trouvé moyen d’avoir, car assurement elle est digne de vostre curiosité.

L’Academie Royale d’Arles, à tous ceux qui ces presentes Lettres verront, Salut. L’établissement de nostre Compagnie par Lettres patentes du Roy, estant un effet des soins que Sa Majesté veut bien prendre pour faire fleurir les belles Lettres dans son Royaume, nous avons estimé que pour répondre efficacement à ses Royales intentions, nous devions non seulement remplir les places des Academiciens de Personnes d’une naissance distinguée & d’une capacité reconnuë, residentes en cette Ville pour assister à nos Assemblées ordinaires ; mais encore que nous devions nous associer d’autres personnes de dehors, qui par une érudition singuliere se soient acquis une reputation éclatante. Nous nous sommes persuadez que cette alliance qui se feroit entre eux & nous les attacheroit d’amitié & d’interest à nostre Corps, & que nous ne pourrions recevoir que de tres-grands avantages d’une semblable union. Nous avons creu mesme que nous ne devions pas en exclurre les Dames, puis qu’il y en a eu de tout temps qui se sont renduës tres celebres par la gloire des Lettres. Les Ecrits de Sapho, d’Erinne, de Telesilla, de Corinne, de Zenobie parmi les Anciens, & ceux d’Olympia Fulvia Morata, de Cassandra Fedele, de Lorenza Strozzi, des deux incomparables Reynes de Navarre Marguerite de Valois, de la Demoiselle de Schurman, de la Comtesse de la Suze, ont bien fait voir qu’il n’y a rien de si sublime dans les sciences où les Dames ne puissent penetrer, & qu’elles participent à toutes les richesses du plus beau & du plus noble Genie. L’exemple des Academies d’Italie où elles sont receuës, nous a aussi déterminez à les admettre dans la nostre, & comme la Renommée & la lecture des Poësies de Madame des Houlieres nous ont fait connoistre les excellentes qualitez de son esprit qui est au dessus de toute loüange, nous avons resolu de luy donner une marque publique de nostre estime, en l’aggregeant à nostre Compagnie, & faisant pour elle ce qu’a déja fait l’Academie des Ricorati de Padoüe qui luy ont envoyé des lettres d’Academicienne. C’est pourquoy aprés nous estre assemblez & avoir meurement deliberé sur ce sujet, nous avons d’un commun consentement éleu & nommé comme par ces presentes nous élisons & nommons ladite Dame des Houlieres Academicienne de l’Academie Royale d’Arles. Mandon au Secretaire perpetuel de la Compagnie d’ajoûter son nom selon l’ordre de sa reception au Catalogue des Academiciens, & qu’il fasse registrer ces Presentes dans les registres de la Compagnie, Car telle est nostre intention. Pour témoignage de laquelle nous avons fait expedier ces Lettres signées du Directeur & dudit Secretaire perpetuel & y apposer le sceau de l’Academie. Fait à Arles le 28. Mars 1689. Ainsi signé d’Arbaud Docteur, Robias Estoublon, Secretaire perpetuel de l’Academie Royale.

[Livres nouveaux]* §

Mercure galant, mai 1689 (première partie) [tome 5], p. 300-302.

 

Le Sr Jollain, Marchand Graveur, demeurant ruë Saint Jacques à la Ville de Cologne, a fait imprimer le Paralelle de l’Architecture antique & de la Moderne, du Sieur de Chambray. Cette seconde Edition est augmentée des Piedestaux de chaque Ordre, suivant l’intention des meilleurs Auteurs. On en a reduit toutes les mesures sur le Modelle ou Echelle generale, dont Mr de Chambray s’est servi dans tous les Profils de son Livre. Je ne vous en feray point un long éloge. Je vous diray seulement que sa rareté & son utilité l’ont rendu d’un prix excessif, & que l’on a dans un seul Livre ce qui nous est resté de plus beau de l’ancienne Rome, & ce que les plus habiles Maistres ont répandu dans de gros Volumes d’une maniere plus embarassée, & dans une Langue inconnuë à la pluspart des Ouvriers, avec des Notes judicieuses sur le dessein de chaque Auteur. On vend aussi chez le mesme Sr Jollain, La Maniere de bastir pour toutes sortes de personnes, contenant les moyens d’élever des Bastimens de toutes grandeurs, & d’y faire tous les ornemens, commoditez & détachemens qui s’y peuvent souhaiter. Cette Edition est augmentée des Plans & Elevations de plusieurs Bastimens de l’invention du Sr le Muet, Architecte du Roy. On trouve encore chez le mesme Marchand, Le grand Vignole, que l’on vendoit cy devant à Amsterdam, chez Justus Danekers.

[Annonce du prochain volume des Affaires du temps]* §

Mercure galant, mai 1689 (première partie) [tome 5], p. 371-372.

 

Je ne vous entretiendray point d’Angleterre, parce que je continueray le Journal de ce qui la regarde, dans ma septiéme Lettre sur les Affaires du Temps ; je vous diray seulement que j’ay veu des Lettres de personnes dignes de foy, qui portent que les Anglois ont eu neuf Vaisseaux fort endommagez dans le combat dont je vous envoye la Relation. Je suis, Madame, &c.

A Paris ce 31. May 1689.