1689

Mercure galant, juin 1689 (première partie) [tome 6].

2017
Source : Mercure galant, juin 1689 (première partie) [tome 6].
Ont participé à cette édition électronique : Nathalie Berton-Blivet (Responsable éditorial), Anne Piéjus (Responsable éditorial), Frédéric Glorieux (Informatique éditoriale) et Vincent Jolivet (Informatique éditoriale).

Mercure galant, juin 1689 (première partie) [tome 6]. §

Au Roy, sur ce qu’on ne peut luy donner de nom qui réponde à sa Grandeur §

Mercure galant, juin 1689 (première partie) [tome 6], p. 7-20.

 

Je ne sçaurois commencer cette Lettre par un Ouvrage plus estimé que celuy que vous allez lire, ny qui soit plus à la gloire de Sa Majesté.

AU ROY,
Sur ce qu’on ne peut luy donner de nom qui réponde à sa Grandeur.

Grand Roy, Maistre du sort des Souverains du monde,
Sur qui seul le repos de l’Univers se fonde,
Et de qui la vertu penetrant jusqu’aux Cieux
Les force à soûtenir vostre bras glorieux,
Sous quel surnom fameux nostre Muse fidelle
Pourra-t-elle chanter vostre gloire immortelle,
Puis qu’Apollon confus n’ose mesme nommer
Un Heros, que le Ciel à peine a sceu former ?
Les beaux titres de Grand, de Sage, Pacifique,
D’Invincible, Hardy, Liberal, Magnifique,
De Conquerant, de Fort, & de Victorieux,
De Clement, & de Bon, de Juste, & de Pieux,
Partagez à cent Rois honorent leur memoire,
Et ne suffisent pas à vôtre seule gloire.
Les noms de ces Heros qu’on met au rang des Dieux,
Trop indignes de vous n’y conviennent pas mieux.
Leur éclat, il est vray, rend leur memoire illustre,
Mais toujours quelque vice en a terny le lustre.
Il semble que le Ciel s’éprouvoit sur eux tous
A faire un vray Heros qu’il n’acheva qu’en Vous.
Jupiter se rendit redoutable à la guerre,
Son bras sembloit lancer tous les feux du Tonnerre,
Ce qui persuada les aveugles Humains
Que ce faux Dieu portoit les foudres dans ses mains,
Mais il noircit l’éclat d’une si belle vie,
Mettant Saturne aux fers par son injuste envie.
Hercule terrassant tant de Monstres divers
En a bien moins que Vous garanty l’Univers.
Le Ciel vous preparoit une plus noble guerre,
Il sembloit que l’Enfer se joignist à la terre,
Pour vous faire en nos jours surmonter à la fois
L’Impieté, l’Erreur, les Peuples & les Rois.
Quels Hydres renaissans, quels Dragons redoutables,
Quels Taureaux, quels Lions ne furent plus domptables
Que tous les Sectateurs de Luther, de Calvin.
Qui vouloient ébranler jusqu’au Trône divin !
Les Autels renversez, l’Eglise partagée,
Les Peuples soûlevez, la France ravagée,
Et les Rois massacrez, furent les attentats
De ces fiers ennemis du Ciel & des Etats.
Nous soupirons encor de cette tirannie,
Sans espoir de la voir entierement finie,
Quand le Seigneur touché de nos trop longs malheurs,
Vous choisit pour tarir la source de nos pleurs.
Grand Roy, digne du Ciel qui vous soumet la terre,
Vous terminez enfin cette sanglante guerre ;
Vous desarmez l’enfer ; ses malheureux suppots,
Ne pourront desormais troubler nostre repos.
Achevez ce grand coup impossible à tout autre,
C’est l’interest du Ciel, ce n’est pas moins le vostre,
L’Infidelle à son Dieu l’est toujours à son Roy,
Il ne faut à l’Etat qu’un Prince & qu’une Foy.
Les malheurs où l’on voit l’Angleterre plongée,
Sont les tristes effets d’une Foy partagée.
Si l’erreur y combat contre la verité,
Elle y sert de pretexte à l’infidelité,
Suivez donc, ô grand Roy, vos belles destinées ;
Chassez de l’Univers les erreurs obstinées,
Et faites voir à tous, par vos faits inoüis,
Qu’Hercule mesme auroit tremblé devant Loüis.
Enfin de ce Heros la gloire fut bornée,
La vostre est tous les jours de nouveau couronnée,
Alexandre suivit ses glorieux exploits,
Il fut grand Conquerant, mais où voit-on ses Loix ?
Si sa rare valeur qui luy soumit la Terre,
Le flatta d’estre Fils du Maistre du Tonnerre,
Elle le fit rougir du sang de ses Amis,
Souvent à son couroux ce Vainqueur fut soumis ;
Mais, grand Roy, vous joignez à la valeur suprême,
Le titre glorieux de Vainqueur de vous-mesme,
Et la clemence, rare à ceux de vostre rang.
Des Peuples & des cœurs vous fait le Conquerant.
Loin de verser le sang de vos Sujets fidelles,
Vous pardonnez à ceux qui vous furent rebelles,
Et toujours genereux comme toujours Vainqueur,
En épargnant le sang vous triomphez du cœur,
Et devenez ainsi le Maistre de la Terre
Par les beaux droits du sang, d’amour, & de la Guerre,
La Grece n’a donc point de nom si glorieux
Dont le vostre ne soit toujours victorieux,
Voyons si les Romains, si vantez dans l’Histoire,
Pourront en trouver un digne de vostre gloire.
Ils offrent fierement un Cesar à nos yeux ;
Un Pompée, un Auguste élevé jusqu’aux Cieux,
Mais on vit le premier pour regner seul au monde,
Du plus beau sang Romain rougir la terre, & l’onde,
Perdre ses Alliez, ses Amis & l’Etat,
S’en rendre le tiran par un lâche attentat.
La liberté de Rome en ses mains confiée,
A son ambition se vit sacrifiée,
L’Aigle combatit l’Aigle, & les Drapeaux Romains
Contre eux-mesmes levez virent leurs Chefs aux mains.
Qu’on ne vante donc plus son injuste victoire,
Qui ne peut le placer au Temple de la gloire ;
Vous seul pouvez remplir un si superbe rang,
Vous regnez par les droits de vostre illustre sang.
Vous poussez, il est vray, vos fameuses Conquestes
Par tout où le Soleil peut briller sur nos testes,
Mais toujours la justice accompagne vos pas,
Vous rentrez dans des biens que vous n’usurpez pas,
Abaissez le Croissant, & les Aigles Romaines,
Soumettez des Lions les superbes Domaines,
La justice soutient ces glorieux exploits,
Puis que le droit du sang soumet tout à vos Loix,
Toujours heureux, & grand, toujours Vainqueur, & juste,
Vous effacez les noms de Pompée, & d’Auguste,
Le premier juste & grand eut un sort rigoureux,
Et l’autre fut injuste & cruel, quoy qu’heureux.
Que de sang répandu pour fonder la Puissance,
Qui ne peut s’affermir que par la violence.
Il est vray que lassé de tant de cruautez,
Le trop heureux Cinna ressentit ses bontez ;
Mais s’il fit quelquefois ce que toujours vous faites,
On ne le vit jamais, grand Roy, ce que vous estes.
Estre un Heros Chrestien, brave sans cruauté,
Triomphant sans orgüeil, grand sans impieté ;
C’est estre revestu d’une immortelle gloire,
Dont on ne peut d’Auguste honorer la memoire.
C’est en vain qu’il se mit au dessus des Mortels,
Et qu’il receut l’encens qui n’est deu qu’aux Autels,
Puis que le juste Ciel pour punir son audace,
Finit en mesme temps & sa vie & sa race,
Refusant à son nom cette immortalité
Qu’il accorde aux humains par leur posterité ;
Mais par la vostre il veut couronner vostre gloire,
Par elle il fournira cent Heros à l’Histoire,
Et par elle on verra dans tous les temps divers,
Les Illustres Bourbons regner sur l’Univers.
A l’ombre des Laurriers dont vous couvrez leurs testes,
Ils joüiront en paix de toutes vos Conquestes,
Et l’un & l’autre pôle estant par vous soumis,
Ils regneront sans crainte estant sans Ennemis.

Priere pour le Roy §

Mercure galant, juin 1689 (première partie) [tome 6], p. 20-22.

 

PRIERE POUR LE ROY.

Dieu qui fit de LOUIS ta plus fidelle image,
En le rendant le Maistre & l’amour des humains,
Conserve le Chef-d’œuvre accomply de tes mains,
Elles n’ont rien formé de si grand, de si sage :
Son bras victorieux abat tes Ennemis,
Sa puissance à tes Loix rend l’Univers soumis,
A son Char pour jamais attache la Victoire,
Retranche en sa faveur les plus beaux de mes jours,
Augmentez-en les siens consacrez à ta gloire,
Et s’il se peut, Seigneur, fais le vivre toujours.

Ces Vers ont esté faits par une personne fort estimée pour sa pieté, & qui a toujours fait voir beaucoup de zele pour les interests & pour la gloire de nostre Auguste Monarque. C’est une Religieuse de S. Pierre de Lion, appellée Madame de Chevry. Il semble que Madame de Chaune qui est Abbesse de ce Monastere, & dont la naissance & le merite particulier, vous sont connus, inspire de l’esprit & de la vertu à toutes celles qui ont l’avantage de vivre sous sa conduite.

[Prix de l’Eloquence & de la Poësie distribuez à l’Academie d’Angers] §

Mercure galant, juin 1689 (première partie) [tome 6], p. 22-25.

Le Samedy 14. du mois passé, jour auquel Sa Majesté entroit dans la quarante septiéme année de son regne, l’Academie Royale d’Angers distribua les prix d’Eloquence & de Poësie, qui estoient deux belles Medailles d’or, données par Mr d’Autichamp, Lieutenant de Roy des Villes & Chasteau d’Angers. Mr Magnin, Conseiller honoraire au Presidial de Mâcon, & l’un des Academiciens de l’Academie d’Arles, remporta le prix d’Eloquence, & Mr l’Abbé Maumenet, Chanoine de Baune, celuy de Poësie. Il l’avoit encore remporté l’année derniere, & Mr Magnin l’avoit eu l’année precedente dans la mesme Academie. Mr l’Abbé le Pelletier, Auteur des Traductions de la Vie de Sixte V. de la Guerre de Chipre & de l’Histoire de la Chine, qui est encore sous la presse, y prononça l’Eloge du Roy avec beaucoup d’applaudissement, Mr de Constantin, Grand-Prevost d’Anjou, fut choisi pour le prononcer à pareil jour l’année prochaine, suivant l’usage & l’intention de Mrs du Corps de Ville qui ont fondé cet Eloge. On y lut ensuite d’autres Ouvrages qui furent tres-bien receus. Le mesme jour Mr le Comte de Serrant, cy devant Chancelier de Monsieur, fut nommé Directeur de l’Academie en la place de Mr de Nointel, Intendant de Champagne, & auparavant de Touraine, & Mr Grandet, Maire de la Ville d’Angers, fut fait Chancelier de la Compagnie, dans laquelle on fit succeder Mr le Comte de Miribel, & Mr le Marquis de Perdic, à Mrs Verdier & Hunaut, Academiciens morts depuis peu de temps.

Lettre du Berger de Flore à la belle Marthesie §

Mercure galant, juin 1689 (première partie) [tome 6], p. 28-56.

 

Je vous ay déja envoyé divers Ouvrages du Berger de Flore, & vous m’en avez toujours paru si contente, que je croy vous obliger en vous faisant part de celuy qui suit.

LETTRE
DU BERGER DE FLORE
à la belle Marthesie.

S’Il suffit à une personne éclairée de voir une seule Lettre d’une autre personne, pour en connoistre l’esprit & l’humeur, il ne se peut, Madame, que je ne sois beaucoup plus connu de vous que vous ne le témoignez, puis que vous avez vû dans le Mercure, non seulement plusieurs Lettres de ma façon, mais encore d’autres Pieces, & principalement deux assez considerables, dont l’une regarde l’Amitié, & l’autre l’Amour. La lecture de ces deux dernieres vous ayant fait connoistre les qualitez que j’attribuë à un bon Ami, & à un sincere Amant, n’avez-vous pas dû juger favorablement pour moy, que ce sont celles que la nature a mises dans mon ame, & dont j’ay eu soin de me parer, quand il m’a fallu joüer l’un ou l’autre de de ces personnages, si frequens dans le monde ? Vous n’estes pourtant pas contente de ces lumieres, & à ce que je vois, vous voulez sçavoir l’usage que j’ay fait de ces qualitez, puis que vous m’ordonnez de vous apprendre les agreables Societez dont j’ay esté, les charmantes personnes qui ont regné dans mon cœur, les manieres dont j’ay signalé mes affections ; & en un mot, tout ce qui regarde ma vie galante. Je ne vous déguise point, Madame, que j’ay un grand panchant à vous obeir, mais vous me dispenserez de de ce détail, il seroit trop long, & peut-estre ennuyeux. Agréez donc que je vous en conte seulement quelques circonstances, & que j’abandonne à vostre esprit la penetration des autres.

J’ay esté de six Societez galantes qui ont fait quelque bruit dans le monde. La premiere estoit nommée Le Cordon vert, ou les Celadons, à cause d’un Cordon de cette couleur que chaque personne de la Societé estoit obligée de porter, à peine de bannissement. Sa Devise estoit, Plus d’esperance que de crainte. Cette Societé fut toute Pastorale, les Dames y furent changées en Bergeres. les Cavaliers en Bergers, & nos demeures en hameaux. On y donna le nom d’Astrée à la principale de ces Dames, & celle à qui j’adressay mes affections, portoit le nom de Filis. Il en est des premieres Amours, comme des premieres amitiez ; elles ne s’oublient presque jamais, tant leur douceur, dont l’ame n’a point encore goûté de semblables ny d’approchantes, fait d’agreables impressions sur elle. Je commençay donc à aimer dans cette Societé, & ayant ouvert trop curieusement les yeux aux charmes de la jeune Filis, je m’apperceus en fort peu de temps que le plaisir de la regarder m’alloit couster mon repos. On met les Muses à la suite d’Apollon, & il me semble qu’elles seroient mieux placées à la suite de l’Amour, parce qu’il est bien difficile d’avoir le cœur échauffé sans que l’imagination s’en ressente. On le voit par la forte envie & par la grande facilité qu’on a de faire des Vers, d’abord qu’on est amoureux. J’en composay de plusieurs sortes pour Philis, & voicy par où je débutay.

 Que de graces, que de ris,
Que de Roses, que de Lis ?
Forment les appas de Filis !
***
 Le Printemps & l’Aurore
Ne sçavent pas si bien charmer.
Pardon, grands Dieux-si je l’adore.
Ce n’est pas assez de l’aimer.
***
 Elle a divinement faits
L’esprit, le corps & les traits ;
Elle brille de mille attraits.
Le Printemps, &c.
***
 L’azur qui pare les Cieux
Cede à celuy de ses yeux ;
Ce sont les Astres de ces lieux.
Le Printemps, &c.

Si tost que j’eus composé ces Vers, & plusieurs autres sur les mesmes mesures. Je les fis mettre en air par un de mes Amis qui sçavoit la Musique, & je cherchay l’occasion de les faire chanter à propos devant cette Belle. La fortune me la fit trouver. Les jeunes personnes n’aiment rien tant que ce qui les flate ; Filis fut charmée de cette chanson, & voulut sçavoir le nom de l’Auteur. Le Musicien se défendit longtemps de l’en éclaircir pour allumer davantage sa curiosité ; puis il luy fit promettre qu’elle n’en témoigneroit rien, quand elle l’auroit appris ; & enfin il luy dit que l’Air venoit de luy, mais que les paroles venoient de moy, ou plûtost d’elle, puis que sa beauté me les avoit inspirées. Elle ne se gendarma pas de cette declaration, comme les Dames des Romans ont accoûtumé de faire. C’estoit une petite prude de qualité, d’humeur honneste, mais un peu froide. Elle répondit seulement que je ne devois pas penser à elle, puis qu’elle n’estoit pas destinée à estre à moy, & en effet sa Mere la vouloit mettre en Religion, je ne discontinuay pourtant pas de l’aimer ; & voicy la maniere respectueuse, dont je luy demanday aprés quelque temps, l’explication de ses sentimens sur mon amour.

Depuis que vos beaux yeux m’ont fait sentir leurs coups,
Filis, vous connoissez mon ardeur, ma constance,
 Et le respect que j’ay pour vous.
Moy, j’ignore l’effet de cette connoissance,
Et dans ce triste estat, incertain de mon sort,
Nuit & jour inquiet, je voudrois estre mort.
De grace soulagez par un aveu sincere
 Un tourment qui me desespere.
***
 Quoy, voudrez-vous toûjours, loin de me secourir,
Estre aveugle à mes maux, estre sourde à ma plainte,
 Je veux vaincre ou je veux mourir,
Il est temps de m’oster l’esperance ou la crainte.
Si vous m’aimez, Filis, je beniray mon sort,
Si vous ne m’aimez pas, je chercheray la mort.
Parlez donc sans façon, vous ne sçauriez rien dire
 Qui ne termine mon martire.
***
 Si vous m’aimez, Filis, vostre extrême pudeur
Vous oblige peut-estre à garder le silence,
 Ne pouvant hors de vostre cœur
Pousser le mot d’amour, sans trop de violence,
Ne le prononcez pas, s’il vous choque si fort ;
Dites-moy seulement, Berger benis ton sort.
Ces paroles, Filis, n’ont rien que de modeste,
 Vos beaux yeux me diront le reste.
***
 Si vous ne m’aimez pas, vostre extrême douceur
Vous peut faire cacher le malheur de ma chaîne,
 Ne pouvant hors de vostre cœur
Pousser le mot de mort, qu’avec beaucoup de peine.
Ne le prononcez pas, s’il vous choque si fort ;
Dites-moy seulement, Berger je plains ton sort.
Ces mots, belle Filis, suffiront à mon ame
 Pour finir mes jours & ma flâme.
***
 Mais enfin, beniray-je, ou plaindrez-vous mon sort ?
Sera-t-il un objet de misere, ou d’envie ?
 Je vois l’écüeil, je vois le port ;
Où me conduirez-vous, bel astre de ma vie ?
Ah, Filis, mon amour trop honneste & trop fort,
Oste de mon esprit, la crainte de la mort,
Le Ciel doit à mon cœur un destin moins severe,
 Et c’est par vous que je l’espere.

Ces Vers, Madame, emeurent son jeune cœur ; il fut attendry, & elle me dit quelques jours aprés qu’elle m’en donnoit la moitié. J’avois obtenu d’elle la permission de luy écrire ; je me servis de ce privilege pour luy mander mes pensées sur la grace qu’elle avoit bien voulu m’accorder. Voicy la maniere dont je m’expliquay.

Il est donc vray, belle Filis, que vous commencez à faire justice à mon amour, & que je tiens de vostre bonté, la moitié de vostre aimable cœur. Ce n’est pas peu pour une personne aussi ménagere de ses faveurs que vous l’estes, & c’est sans doute payer au delà de leur merite, mes services & mes soins. Que je suis heureux d’avoir place au plus noble endroit du monde Je m’imagine qu’il n’y a point de Monarque qui ne cedast volontiers son Trône pour un avantage si glorieux, ny de Divinité qui ne trouvast pour le moins autant de douceurs & de vertus dans cet aimable lieu, que dans le Ciel mesme.

 Mais quand bien les Rois & les Dieux,
M’offriroient pour avoir ma place,
 Leurs Trônes & leurs Cieux
Ils me verroient d’humeur à leur en rendre grace.

Ah, divine Filis, si un bien que je ne possede qu’à demy, m’est si cher, & me rend si content, que ne seroit-ce point si je le possedois tout entier ! Il n’est point d’expression assez forte pour vous bien marquer quelle seroit la grandeur de ma joye ; vous ne pouvez mesmes la concevoir, à moins que de la comparer à la grandeur de mon amour, ou à celle de vostre beauté,

Comme pour ce grand bien, je me meurs de desir,
Helas, sans doute alors, je mourrois de plaisir.

De grace, Filis, ne differez pas à me causer une mort si douce. Montrez que vous n’aimez pas à faire les choses à demy, & souvenez-vous de ce que Silvandre disoit ces jours passez à Madonte,

Que jamais dans un cœur, à moins d’un grand hazard,
Sans l’avoir tout entier, un Amant n’avoit part ;
Qu’Amour ne fait compte, ny mise
D’un bien qui n’est pas tout à luy,
Et que ce n’est pas d’aujourd’huy
Que tout ou rien est sa Devise.

Beaucoup de temps se passa encore, au moins selon mon impatience, avant que ma jeune Maistresse augmentast le don qu’elle m’avoit fait, mais comme l’assiduité, les complaisances & les soins menent à bout de ce qu’il y a de plus difficile, il arriva que joüant à des petits jeux avec elle, & avec cinq ou six autres personnes de cette Societé, elle fut condamnée à me reveler un secret ; & celuy qu’elle s’avisa de me dire dans la belle humeur où elle se trouva, fut qu’elle m’aimoit de tout son cœur, elle ne put prononcer ces mots sans rougir, & elle me les dit si bas, que tout ce que je pus faire fut de les entendre. Je vous laisse à juger de la joye que me causa cette charmante declaration. Je ne me vis pas plûtost en liberté de luy écrire, n’ayant pas eu celle de luy parler en particulier, que je luy marquay ma reconnoissance par ce Billet.

Ce que vous m’avez dit pour secret, au jeu des Commandemens, n’est-ce point simplement par jeu, belle Filis, & quand vous avez prononcé ces paroles, les plus douces que j’oüis jamais ; Je vous aime de tout mon cœur, vostre cœur estoit-il bien d’accord avec vostre langue ? En verité plus j’y pense, & moins je trouve sujet de me le persuader.

 Que faites-vous pour moy
Qui me puisse flater d’un si grand avantage ?
Ah ! je ne sçay que trop qu’en l’amoureuse loy,
Il faut croire aux effets, & peu croire au langage.

D’ailleurs, le moyen que vous m’aimiez de tout vostre cœur, puis que vous ne m’en avez accordé que la moitié ? M’auriez-vous donné l’autre sans que je m’en fusse apperceu ?

Non, non, un bien de cette consequence
 A pour moy trop d’appas,
Pour estre mis en ma puissance,
  Et ne me faire pas
Par cent douceurs ressentir sa presence.

Vous ne m’aimez sans doute qu’à demy ; je le connois trop sensiblement aux peines que je souffre.

 Nuit & jour je languis, nuit & jour je soupire,
Je ne dors point la nuit, je resve tout le jour.
 J’endure plus que je ne sçaurois dire.
Si vous aviez une parfaite amour,
Je n’aurois pas tant de martire.

Pourtant, divine Filis, la raison voudroit que vous me fissiez justice, & puis que je me suis donné à vous tout entier, & que l’amour ne se paye que par l’amour.

 Vous devez m’aimer sans partage,
Couronner ma constance & ma fidelité,
Et vous montrer des deux la veritable image,
  Autant par l’équité
 Que vous l’êtes par la beauté.

Mais quoy ? Peut-estre m’avez-vous accordé la justice que je vous demande ; peut-estre vos paroles sont-elles sinceres, & peut-estre m’aimez-vous de tout vostre cœur.

 O Dieux ! si j’ay tant de bonheur,
Pardon, divin objet de ma fidelle ardeur,
Si j’en goûte si mal le plaisir & la gloire,
Ce bonheur est si grand que je ne le puis croire.

Ces Vers & ces Lettres luy plurent trop. Elle voulut les garder pour les lire plus d’une fois ; sa Mere les trouva, & ils servirent malheureusement à avancer la resolution qu’on avoit prise de la mettre dans un Convent. On choisit un Monastere éloigné. Elle y fut conduite, & ce ne fut pas sans desolation de part & d’autre.

 Que les ouvertures des cœurs
Que font les premiers feux, abondent en douceurs ?
 Dieux ! qu’elles ont de puissans charmes ?
 Mais quand il faut renoncer sans retour
 Aux plaisirs d’un si tendre amour,
Helas ! que de douleurs, de sanglots & de larmes !

Nous éprouvâmes bien ces fâcheuses veritez dans cette occasion ; mais enfin il fallut qu’elle se soûmist à sa destinée, & moy à la mienne. Je partis pour l’Italie en mesme temps qu’elle fut mise dans son Convent ; & si je n’eus pas en ce voyage la satisfaction que j’en esperois, la malheureuse constellation sous laquelle je l’avois commencé, en fut sans doute la cause.

On m’imposa dans cette Societé le nom de Berger de Flore, que je prens encore aujourd’huy, & que j’ay toujours gardé, bien qu’on m’en ait donné d’autres dans les Societez suivantes. Il fut tiré de l’agreable vallée que j’habite. Cette vallée qui porte ce nom, le portoit dés le temps mesme des celebres de Bonnefons, comme on le voit dans un de leurs Poëmes, où ils décrivent le Pays des cinq Rivieres, ou de la Main. Ce Pays, Madame, est celuy d’où je vous écris, & où vous demeurez il y a quelques mois. C’est l’un des plus agreables du Royaume, & il en seroit un des plus beaux, s’il estoit encore embelly de vostre presence ; mais l’hymen vous l’a fait abandonner, & c’est un nouveau mal que je veux à ce Dieu qui ne sçauroit rendre un homme content qu’il n’en afflige toujours un grand nombre d’autres. En voilà, Madame, assez, ce me semble, pour une fois, & peut-estre trop. Pour ne vous pas ennuyer, vous trouverez bon que je reserve à d’autres Lettres la suite que vous desirez sçavoir de vostre, &c.

Le Berger de Flore.

[Mort de la Reyne de Suede] §

Mercure galant, juin 1689 (première partie) [tome 6], p. 67-70, 86-91.

 

La mort du Connestable Colonne fut suivie trois ou quatre jours aprés de celle de la Reyne Christine de Suede, causée par une recheute aprés une dangereuse maladie. Elle avoit receu tous les Sacremens, & fait paroistre une resignation à la volonté de Dieu, digne de la grandeur de courage qui l'avoit fait renoncer à l'éclat d'une couronne. Si-tost que le Pape eut appris sa mort, il ordonna que tous les saints Sacrifices qui se feroient pendant quelques jours dans toutes les Eglises de Rome, seroient appliquez pour le repos de son ame. Elle a fait son Testament, par lequel elle a institué le Cardinal Azzolini son Heritier universel, à la charge d'acquiter toutes ses dettes, de faire dire vingt mille Messes, & de satisfaire à la Fondation qu'elle a faite de trois Chapelles dans l'Eglise de Saint Pierre avec une Messe tous les jours. Elle a défendu qu'on luy dressast aucun Mausolée, & n'a voulu qu'une simple Inscription, qui fist connoistre son nom & son âge. Elle a laissé à Sa Sainteté un Christ de marbre de la main de Bernini, & fait d'autres legs à l'Empereur, au Roy Tres-Chrestien, au Roy Catholique, à l'Electeur de Brandebourg, & à quelques Cardinaux. Elle a aussi fait plusieurs dispositions en faveur de la Marquise Capponi, du Marquis del Monte, & de la Famille de l'un & de l'autre. Il y a encore divers legs pour les principaux Officiers de sa Maison, & par une clause speciale, elle a exempté tous ceux qui l'ont servie de rendre aucun compte. [...]

 

Quoy que par [son] Testament la Reyne Christine de Suede eust ordonné qu'elle seroit enterrée sans aucune pompe, le Pape n'a pas laissé de luy faire faire des Obseques proportionnées à la grandeur de son rang. Elle avoit choisi sa sepulture à la Rotonde, anciennement le Pantheon, où sont enterrez plusieurs grands hommes qui ont excellé dans les Arts, du nombre desquels est Raphaël, & son Corps y fut porté dans un de ses Carrosses le 21. d'Avril, aprés avoir esté exposé dans la Chambre de l'Audience depuis le 19. jour de sa mort. Ce Carrosse estoit couvert de drap violet, & onze autres le suivoient drapez de noir. Tous les Estafiers marchoient devant teste nuë. Ils estoient vestus de deüil, & avoient chacun un flambeau à la main. Le 23. on mit le Corps sur un lit de parade, couvert d'un drap de brocard d'or, où il demeura exposé, revestu d'un habit blanc, avec le Manteau Royal, le Sceptre à la main, & la Couronne à la teste. La Messe fut chantée par la Musique de la Chapelle en presence du Sacré College, & de la Maison du Pape, & le soir du mesme jour, on transporta le Corps à l'Eglise de Saint Pierre. Toute la Ville de Rome accourut pour voir cette lugubre ceremonie. Les Communautez & les Confrairies marchoient deux à deux, chacun un flambeau à la main, & precedoient les Estafiers, & les autres moindres Officiers de la Maison de cette Princesse. Ensuite venoit le Corps. Les coins du drap estoient soûtenus par les Genilshommes de la Chambre, & les Prelats les suivoient en Cavalcade. Vingt Cardinaux assisterent à cette Procession, ainsi que tout le Clergé des Basiliques & des Parroisses. Aprés que l'on eut fait les prieres ordinaires, on l'inhuma dans la mesme Eglise, où l'on tient que Sa Sainteté a resolu de faire dresser un Mausolée. Cette Illustre Reyne est morte dans son palais de la Longare qui estoit fort magnifique, & où il y avoit de tres grands Apppartemens richement meublez & ornez des plus beaux Tableaux de l'Europe. Ils étoient tous de la main des meilleurs Peintres des derniers Siecles. Outre une tres-bonne Bibliotheque, dans laquelle estoient quantité de Manuscrits, & entre autre celuy de Pyrro Ligorio, de l'Architecture, & celuy de Stephanus de Urbibus, noté de la main de Lucas Holstenius, elle avoit un Cabinet remply de Medailles les plus rares, d'Agates, & de pierres precieuses, avec des Statuës & plusieurs autres curiositez, dont elle avoit apporté une partie de Suede. Le reste avoit estoit achepté [sic] à Rome, où elle dépensoit tous les ans prés de quatre cens mille livres qu'elle avoit de revenu, ce qui accommodoit fort la Ville. [...]

A l'aimable Iris §

Mercure galant, juin 1689 (première partie) [tome 6], p. 103-108.

 

Vous avez déja veu quelques Lettres en monosillabes. On avoit creu que ce nouveau genre d’écrire n’estoit pas propre à une matiere de galanterie, parce que les mots de tendresse, d’amour & de passion n’y peuvent entrer ; cependant ce qui suit vous fera voir qu’avec de l’esprit il n’y a rien dont on ne vienne aisément à bout.

A L’AIMABLE IRIS.

Je ne dors ny la nuit, ny le jour, je ne sçay ce que c’est ; je croy que c’est un mal, qui vient de ce que je vous vis, il y a huit jours, au bout du Cours qui est le long des bords du Clain, dont les eaux & les flots font un doux bruit. Prés de là il y a un beau lieu plein de fleurs, où le vent rend l’air fort frais ; là le chant de ceux dont les Corps sont tous les jours dans les airs, fait dans un bois qui n’en est pas loin, un tres-doux son, qui se joint au bruit de ces eaux ; en un mot les jeux & les ris s’y font voir. C’est là que l’on vous voit bien des fois le jour, sur tout vers le soir, & dans ces beaux jours du mois de May. C’est dans ce lieu où je me vis pris par des nœuds & sous des fers, dont le poids me fut bien doux, & qui m’ont mis sous vos loix. Dés ce temps-là mon cœur fit des vœux si purs & si forts que je n’ay des soins que pour vous ; mais ce n’est pas à tort, car vous voir, c’est voir tout ce qu’on peut voir de beau. Il sort de vos grands yeux bleus des traits si vifs & si doux que mon cœur en est tout de feu, & que quand je le sens, je ne sçay ce que je suis, ny ce que je fais ; je vais, je cours en tous lieux. Non, non, on ne peut voir ce teint si frais & de lys, ce front, vos dents si bien dans leur lieu, vos mains, vos bras ; en un mot ce port, cet air si gay, qu’on ne soit pris par tant de dons, dont le Ciel vous a fait part. C’est ce qui fait que quand j’ay le bien de vous voir, mon cœur se rend, & il n’en peut plus. Oüy, il en sort cent fois le jour des, ha ! je me meurs. Mais ce qui rend mon mal plus grand, c’est qu’en vous je ne vois rien que de dur & de fier pour moy ; pour moy, dis-je, qui ne vis que pour vous, qui n’ay un cœur que pour vous, & qui ne fais des vœux que pour vous. Dieux ! quel sort est le mien ? Peut-on rien voir de si dur ? On dit que le mal dont je me plains si fort, est un mal que fait un Dieu dont le nom n’est pas si court que les mots dont je me sers ; mais quel que soit ce Dieu, il est tres-vray qu’il fait, qu’il y a dans moy un je ne sçay quoy pour vous qui se sent mieux qu’il ne se dit. En un mot mon cœur est tout à vous, & je vous suis. x. x. x.

Aux bords du Clain le neuf du mois de May.

Consolation à Madame la Marquise de … sur un Fils unique qui luy est échapé pour se mettre dans le Service §

Mercure galant, juin 1689 (première partie) [tome 6], p. 108-114.

 

Vous venez de voir une Lettre en Prose d’un caractere particulier ; en voicy une autre en Vers qui a esté leuë icy avec assez de plaisir pour me faire croire qu’elle vous divertira. Vous connoistrez par son titre de quoy il s’agit.

CONSOLATION
A Madame la Marquise de… sur un Fils unique qui luy est échapé pour se mettre dans le Service.

N’est-il pas temps enfin que vostre douleur cesse ?
  Doit-elle incessamment durer ?
 Faut-il toujours gemir & soupirer,
Et par quelques revers que le destin nous blesse,
La raison, la vertu venant nous éclairer
  Et secourir nostre foiblesse,
Ne doivent-elles pas toutes deux operer
 Le prompt renvoy de la tristesse,
 Inutile & facheuse hostesse
Qui de chez nous trop tost ne peut se retirer ?
***
Cependant qu’est-ce donc ? Un Pere qu’on enterre,
Un Epoux expirant, font-ils vostre douleur ?
 Car, à voir combien elle serre
 Vostre bon & sensible cœur,
On croit qu’il est frapé du plus rude malheur
 Dont avec toute sa rigueur
Le Ciel puisse accabler une ame sur la terre.
 C’est un Fils party pour la guerre ;
Mais vous craignez pour luy ; les hazards, son ardeur
Jettent dans vostre esprit une affligeante peur.
***
Pourquoy de ces pensers qui rendent l’humeur noire
Vous fatiguer ainsi l’esprit & la memoire ?
 Pourquoy plûtost ne penser pas
 Que ce Fils marchant sur les pas
Que ses nobles Ayeux luy tracent dans l’histoire
Pourra cueillir comme eux, sans nul sinistre cas,
Une riche moisson de Lauriers & de gloire ?
 Mais c’est un Fils unique, helas !
***
J’entens ; voilà le point & la raison touchante
 Qui vous accable & vous tourmente.
 Dieux, il ne faut qu’un malheur, dites-vous.
Sur ce que peut le sort nous preparer de coups,
 Doit-on avoir l’ame si prévoyante
 Il ne faut à chacun de nous
 Qu’un malheur, & c’est fait de tous.
Mais quoy, faut-il toujours trembler dans son attente ?
***
 Sans vous tourmenter vainement,
Car que sert un esprit dolent, mélancolique ?
 Appliquez vous uniquement
A faire que ce Fils d’où vient vostre tourment,
 Ne soit plus vostre Fils unique.
 Faites-luy-moy bien promptement
 Cinq ou six Freres seulement.
 A quoy que vostre soin s’applique
 Pour luy marquer vostre ressentiment,
Et faire voir combien sa conduite vous pique,
Vous ne sçauriez trouver plus de contentement
 Qu’au moyen que je vous indique.
Vîte donc, travaillez à le mettre en pratique,
Et l’Epoux revenu, n’y perdez un moment.
Pour se vanger d’un Fils c’est un party charmant,
***
Vous l’alliez marier, & voyant qu’il préfere
 Le Service au plaisir de faire
 De petits poupons, faites-en
 De vostre chef, sans bruit & sans cancan,
Et lors qu’il ose ainsi refuser d’estre Pere,
 Soyez vous-mesme à nouveaux frais maman.
  Ce conseil est fort salutaire.
***
 Je vous parle de bonne foy ;
Et si dans le dessein qu’icy je vous propose
 Vous me jugez de quelque employ,
 Me faire de feste je n’ose,
 Mais vous sçavez assez, je croy,
 Que si par bonheur je connoy
 Qu’en grande ou qu’en petite chose,
 Vous pouvez vous servir de moy,
Mon panchant ne veut pas que je demeure coy,
Dans l’extrême douleur sur tout où je vous voy ;
 Et pour vous en oster la cause.
 Belle Marquise, helas ! de quoy
Ne serois-je pas prest à me faire une loy ?

Air nouveau §

Mercure galant, juin 1689 (première partie) [tome 6], p. 114-116.

Je vous envoye un Printemps plaintif. Il est assez ordinaire à ceux à qui l'amour n'est pas favorable, de voir à regret que les beaux jours renouvellent. Je ne sçay de qui sont les paroles, je sçay seulement que l'Air est de Mr Normandeau, Organiste du College de Navarre.

AIR NOUVEAU.

Avis pour placer les Figures : l’Air qui commence par, Cessez, beaux jours, doit regarder la page 115.
Cessez, beaux jours, cessez, Zephire,
Cessez de revenir desormais en ces lieux.
L'Objet dont les aimables yeux
Sont les Auteurs de mon cruel martire,
Vous bannit du sejour le plus delicieux.
C'est en vain que pour vous dés longtemps je soupire,
Vos charmes luy sont odieux.
Cessez, beaux jours, cessez, Zephire,
Cessez de revenir desormais en ces lieux.
Sa rigueur qui fait que j'expire
Feroit de vous les jours les plus affreux.
Son cœur est un rocher qui jamais ne respire
Que la glace & l'horreur d'un hiver rigoureux.
Ah n'est ce pas assez vous dire ?
Cessez beaux jours, cessez, Zephire,
Cessez de revenir desormais en ces lieux.
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[Histoire] §

Mercure galant, juin 1689 (première partie) [tome 6], p. 191-225.

 

S’il est mal-aisé de n’aimer pas ce qu’on trouve aimable, il n’est pas moins difficile de renoncer à aimer quand on croit le devoir faire, & les sentimens d’indifference qu’on s’imagine avoir pris pour se dégager, sont quelquefois des sentimens déguisez qui ont d’autant plus de violence, qu’ils ont esté long-temps retenus par le dépit qui les a fait naistre. L’avanture dont vous allez lire les particularitez en pourra servir de preuve. Un Gentilhomme d’un veritable merite, & d’une naissance assez distinguée pour avoir pris le nom de Marquis sans qu’on pust dire qu’il l’eust usurpé, estant un jour allé entendre un concert où il fut mené par un Amy, trouva dans la Maison où il se faisoit, une jeune Demoiselle dont la beauté luy parut piquante. Elle estoit blonde, avoit les traits assez reguliers, le teint d’un éclat qui surprenoit, & une douceur toute charmante répanduë sur son visage. Il fit si bien qu’il se plaça auprés d’elle, & tandis que tout le monde prestoit l’oreille avec soin aux belles Voix dont le concert estoit composé, il eut les yeux toûjours attachez sur cette aimable personne. Les paroles qu’on chanta luy donnerent lieu de l’entretenir. Il en tira dequoy la flater sur son merite, & s’il la mit dans quelque embarras à force de luy donner des loüanges, il ne laissa pas de s’appercevoir qu’elle avoit l’esprit aisé, & que le silence qu’elle gardoit quelquefois estoit un effet de sa modestie. Il ne sortit point de l’Assemblée sans avoir appris qui elle estoit. Il sceut que sa qualité répondoit à son merite, & qu’ayant perdu son Pere & sa Mere dans son plus bas âge, elle demeuroit chez une Tante qui s’estoit chargée de sa conduite. Comme il l’avoit trouvée toute aimable, l’envie de la voir avec quelque liberté luy fit chercher accés auprés de la Tante, & vous jugez bien qu’ayant de l’esprit & du sçavoir faire, il n’eut pas de peine à y reussir. Dans les premiers soins qu’il s’attacha à luy rendre, son unique veuë fut le plaisir d’un amusement honneste qui l’occupast pendant quelques heures. Il dit force douceurs à la Belle, se preparant au triomphe d’attendrir un jeune cœur. Ce ne luy fut pas une chose aisée. Elle s’accoustuma à l’entendre, sans qu’aucun sentiment particulier luy fist découvrir qu’elle fust touchée, & cette espece d’indifference blessant le Marquis, qui estoit fier naturellement, il ne put souffrir sans beaucoup de peine qu’elle luy ostast la gloire de luy laisser remarquer en elle un commencement de passion. Ce n’est pas qu’elle n’eust pour luy des honnestetez, dont il eust eu lieu d’estre content, s’il n’eust souhaité que de l’estime, mais ce n’estoient point des honnestetez de distinction, & il regardoit comme une honte, qu’elle attendist son entier hommage pour se declarer, aprés que par tout ailleurs on l’avoit presque toujours prévenu par des avances. Cependant les manieres de la Belle, de quelque froideur qu’elles luy parussent, ne laisserent pas de l’enflâmer, & mesme on peut dire que ce fut ce qui porta son amour à toute la violence qu’il commença de sentir. Il s’y abandonna malgré luy, & à quelque prix que ce pust estre, il resolut de se donner le plaisir de se faire dire qu’il estoit aimé. Ses empressemens qu’il redoubla le firent voir le plus amoureux de tous les hommes. Il dit à la Belle les choses les plus flateuses, & ne douta point qu’en luy declarant qu’il la vouloit épouser, il ne luy causast toute la joye que luy devoit inspirer une alliance si avantageuse. La Belle receut cette declaration avec beaucoup de reconnoissance, & aprés luy avoir marqué en termes fort serieux qu’elle luy étoit sensiblement obligée de l’honneur qu’il luy faisoit, elle ajoûta que dépendant d’une Tante dont les volontez regloient les siennes, c’estoit à elle qu’il se devoit adresser. Une réponse si peu attenduë déplut au Marquis. Il dit à la Belle avec un peu de chagrin, qu’il ne songeoit à se marier que pour vivre heureux ; qu’il ne pouvoit l’estre s’il n’avoit son cœur, & que ne voulant le devoir qu’à elle-mesme, il seroit fort inutile de luy faire demander le consentement de ses Parens, tant qu’il la verroit dans cette reserve. Il fit ce qu’il put pour l’en tirer, & ses plus fortes prieres n’obtinrent rien de plus favorable pour sa passion, qu’une assurance qu’elle suivroit son devoir sans aucune peine, & qu’aussi-tost que sa Tante auroit parlé, il auroit sujet d’être content. Le Marquis tira de là une consequence qui fit souffrir sa delicatesse. Il s’en expliqua avec la Belle, & luy dit d’un ton de plainte qu’il luy devoit estre bien facheux de voir que si sa Tante s’opposoit à son bonheur, elle seroit preste à se degager pour la satisfaire. La Belle luy repliqua qu’il se faisoit tort de craindre qu’on n’eust pas pour luy les égards qui estoient dûs & à son merite & à sa naissance, & n’ayant pû l’obliger de se declarer plus precisement, il luy fit connoistre qu’il alloit remettre au temps le succés de ses desseins afin que l’impression que ses services feroient sur son cœur, luy fist tenir d’elle seule ce que son amour ne pouvoit devoir à d’autres. Il continua ses soins qui furent toujours receus d’une maniere assez engageante. L’estat où il se trouvoit avoit quelque chose d’extraordinaire. Il aimoit avec excés, & quoy que la Belle luy fist voir beaucoup d’estime, & qu’il ne remarquast rien qui luy fist apprehender que sa recherche ne luy fust pas agreable, il ne pouvoit se resoudre à presser de rien conclurre, parce qu’il ne voyoit pas qu’elle eust pour luy les empressemens dont il croyoit que sa passion le rendoit digne. Les choses ayant encore demeuré un peu de temps dans ces mêmes termes, elles changerent de face par un incident qui eut des suites qu’on n’attendoit pas. Le Marquis avoit un Frere qu’on nommoit le Chevalier. Il estoit à Rome depuis trois ou quatre années, & il en revint en ce temps là. Le Marquis qui avoit toujours vescu avec luy dans la plus étroite liaison que l’amitié ait jamais établie entre deux Freres, ne manqua pas un peu aprés son retour, de l’entretenir de sa Maistresse. Il ne luy parla ny de son esprit, ny de sa beauté, & voulant qu’il en jugeast par luy-mesme, il le mena chez cette jeune personne. Le Chevalier qui avoit acquis dans ses Voyages certaines manieres pleines d’agrément qui perfectionnent les heureux talens que l’on a receus de la nature, brilla fort avec la Belle dans une assez longue conversation qui fut aussi vive qu’enjoüée. Il fut touché de ce qu’il connut d’aimable en elle, & son Frere luy ayant demandé son sentiment, il luy en dit mille biens, & ne pouvoit se laisser de luy applaudir sur le choix qu’il avoit fait. Le Marquis ravi d’estre approuvé, & ne trouvant point de plus grand plaisir que d’entendre parler d’elle, engagea le Chevalier à la voir souvent. C’estoient toujours de nouveaux applaudissemens qu’il recevoit sur sa passion, & comme il estoit aisé de voir que le Chevalier luy parloit de bonne foy, & que rien n’enflâme tant que les loüanges qu’on entend donner à ce qu’on aime, le Marquis sans y penser prenoit des redoublemens d’amour dont il ne pouvoit démesler toute la force. Il trouvoit que sa Maistresse avoit plus d’esprit de jour en jour, & il ne comprenoit pas qu’il luy estoit inspiré par l’envie de plaire. La Belle ne sçavoit pas elle-mesme d’où luy venoient de certains je ne sçay quoy qui la rendoient plus charmante, & qui luy donnoient en tout une vivacité extraordinaire. Elle suivoit un panchant qu’elle ne connoissoit pas, & le Chevalier ne faisant rien qui ne parlast à son avantage, elle abandonnoit son cœur avec plaisir à des sentimens qu’elle n’avoit jamais eus. Elle ne s’apperceut mesme qu’ils estoient nouveaux pour elle, que lors que le Chevalier passa trois ou quatre jours sans la venir voir avec son Frere. Elle en montra quelque trouble, & l’empressement qu’elle avoit à demander ce qui l’occupoit ailleurs, estoit une marque qu’elle y prenoit interest. Elle estoit moins gaye le reste du jour, & quand le Chevalier revenoit, outre la joye qu’elle laissoit éclater sur son visage, elle luy faisoit de si obligeans reproches de sa negligence, qu’elle ne pouvoit luy dire plus ouvertement que rien ne lui plaisoit tant que ses visites. Elle ne cachoit rien de tout cela au Marquis, parce qu’agissant naturellement, & n’ayant jamais connu ce que c’estoit que l’Amour, elle estoit bien éloignée de penser qu’il y eust rien dans ses sentimens, dont il luy fallust faire mistere. Cependant comme un Amant veritablement touché a les yeux bien éclairez sur les moindres choses, le Marquis connut bien tost que Sa Maistresse sentoit pour le Chevalier ce qu’il n’avoit jamais pu luy faire sentir pour luy. Il en eut un depit secret qui fut soûtenu par sa fierté, & au lieu d’y donner ordre en l’empeschant de le voir, il s’en fit accompagner toutes les fois qu’il alla chez elle. Il estoit toûjours de bonne humeur, & sans laisser échaper aucun mouvement ny de jalousie, ny de chagrin, il montroit un esprit libre qui auroit trompé les plus clairvoyans. Le Chevalier y fut abusé, & ne crut point que par cette fausse liberté d’esprit, il se menageast celle d’observer ce qui se passoit dans le cœur de sa Maistresse ; mais comme la Belle avoit pour luy une honnesteté qui luy découvroit des sentimens plus fort que l’estime, & qu’il se seroit senty de grandes dispositions à y répondre sans l’engagement où il la voyoit, il resolut, & pour son repos, & pour s’acquiter de ce qu’il devoit à l’amitié du Marquis, de renoncer à une veuë agreable, mais qui pouvoit le mettre en peril d’aller plus loin qu’il ne luy estoit permis. Il avoit déja cessé de parler si fortement à son Frere du merite de la Belle, de peur que le plaisir d’en dire du bien ne découvrist trop ce qu’il eust voulu pouvoir se déguiser à luy-mesme, & le Marquis, homme attentif à tout remarquer, avoit jugé comme il le devoit de cette reserve. Ainsi quand le Chevalier luy dit qu’il avoit dessein de faire un voyage, il entra d’abord dans le motif qui en estoit cause, & ce que la Belle luy avoit laissé paroistre avec ingenuité de ses nouveaux sentimens, ne luy permettant point de douter que leurs cœurs ne s’entendissent sans s’estre expliquez, il fit un effort sur luy pour ne monstrer aucune foiblesse. Aprés avoir pris un visage gay, il dit à son Frere qu’il voyoit son embarras, que non seulement il aimoit la Belle, mais qu’il avoit deu s’appercevoir qu’il avoit touché son cœur, & que pour n’écouter pas une passion qui luy pouvoit attirer le blâme de s’estre fait son Rival, il se resolvoit à s’éloigner. Là-dessus il l’embrassa, comme luy estant fort obligé des égards honnestes qu’il avoit pour luy, & luy dit ensuite que le plus grand plaisir qu’il luy pouvoit faire estoit de ne point partir, & de continuer à voir sa Maistresse. Il ajoûta qu’il l’aimoit beaucoup par les belles qualitez qui la rendoient estimable, mais que son amour n’ayant jamais esté assez fort pour luy faire vaincre l’aversion qu’il avoit toujours sentie pour le mariage, il s’étoit tenu dans les seuls termes d’Amant sans avoir osé pousser les choses plus loin ; qu’aprés l’ouverture qu’il luy faisoit, c’estoit à luy à se consulter, & que s’il estoit assez amoureux pour vouloir bien épouser la Belle, il luy cederoit ses pretentions avec d’autant plus de joye, qu’il empescheroit en l’épousant qu’on ne se plaignist de luy. Ce discours surprit tellement le Chevalier qu’il en demeura embarrassé. Il répondit que n’ayant rien à se reprocher dans sa conduite, il ne se défendroit point des sentimens qu’on luy vouloit imputer ; qu’il ne desavoüoit pas que l’esprit & la beauté de la personne dont il s’agissoit ne l’eussent rendu sensible, mais que tout ce qu’il sentoit demeurant soumis à sa raison, il n’avoit point à s’expliquer là-dessus ; qu’il consentoit à ne point partir si l’on jugeoit à propos qu’il suspendist son voyage ; mais qu’il seroit inutile de luy demander qu’il fist encore des visites ; qu’absolument il n’en rendroit aucune à la Belle que sa fortune ne fust arrestée ; que le Marquis ayant tant de sujet de l’aimer, pouvoit satisfaire son amour, puis qu’il ne tenoit qu’à luy de se rendre heureux, & que s’il estoit vray qu’il fust assez ennemy du mariage pour estre bien aise de rompre l’engagement qu’il avoit pris avec elle, il pouvoit donner telle parole qu’il luy plairoit en son nom, avec assurance qu’il ne seroit point de avoüé. Le Marquis n’en voulut point sçavoit davantage. Il alla trouver la Belle, & luy dit qu’il estoit temps qu’il connust s’il estoit aimé veritablement. La Belle qui crut qu’il pretendoit encore la faire expliquer, & qui se sentoit moins disposée que jamais à se réjoüir des marques qu’il luy pouvoit donner de sa passion, luy répondit avec beaucoup de froideur, que sa Tante seule pouvoit disposer de ses volontez, comme elle l’en avoit déja asseuré, & qu’il n’estoit pas besoin qu’il la consultast sur ce qu’il avoit à faire. Le dépit qui animoit le Marquis depuis quelque temps, le fit passer par dessus l’aigreur de cette réponse. Il repliqua qu’elle n’estoit pas entrée dans ce qu’il avoit voulu luy dire ; que s’estant examiné dans les sentimens qu’il avoit pour elle, il s’estoit connu si mal disposé au mariage, que dans la crainte de ne la pas rendre aussi heureuse qu’elle meritoit de l’estre, il la prioit, si elle avoit un peu de bonté pour luy, de vouloir bien recevoir son Frere en sa place, & de trouver bon qu’il allast traiter cette affaire avec sa Tante. L’émotion que fit voir la Belle trahit tout le secret de son cœur. Elle ne sceut que répondre, tant la joye l’avoit saisie, & ce ne fut qu’aprés que le Marquis en continuant à luy parler, luy eut donné le temps de vaincre son trouble, qu’elle luy dit, quoy qu’un peu déconcertée, qu’elle se feroit toujours un sujet de joye de l’obliger, mais qu’elle n’avoit pas lieu de presumer assez d’elle-même pour se flater que le mariage qu’il luy proposoit fust agreable à son Frere. Le Marquis en répondit, & cette assurance mit la Belle dans un estat de plaisir, qui luy fit connoistre tout ce que l’amour avoit produit pour le Chevalier. L’entiere certitude qu’il en eut par là, le fit resoudre à ne plus songer à elle, & s’applaudissant de ce dessein comme s’il eust deu la punir & le vanger, parce qu’en effet le party du Chevalier luy estoit bien moins avantageux, il alla trouver la Tante. Elle fut surprise de ce changement, mais il luy parla d’un air si libre, & luy peignit avec tant de force le dégoust presque invincible qu’il avoit du mariage (ce qui l’avoit obligé d’amener son Frere chez sa Niece dont il avoit bien préveu qu’il deviendroit amoureux) qu’elle demeura persuadée qu’il ne disoit rien qui ne fust vray. Elle ne voulut pourtant luy donner aucune parole, qu’elle n’eust sceu les sentimens de sa Niece. Elle les avoit déja penetrez, & luy reprocha qu’elle perdoit le rang de Marquise pour ne s’estre pas assez possedée, mais c’estoit un jeune cœur surpris par l’amour, sans qu’il se fust fait connoistre. La Belle ne put s’empescher de parler du Chevalier d’une maniere fort avantageuse, & sa Tante la vit tellement satisfaite de ce choix, qu’elle y donna son consentement. Le Chevalier resista long-temps à ce que son Frere avoit fait pour luy. Il le pria de se mieux examiner, & de craindre qu’un peu de chagrin n’eust part à la resolution qu’il avoit prise ; mais plus il fit voir pour luy d’honnesteté là-dessus, plus le Marquis l’asseura que rien ne luy pouvoit faire tant de plaisir que son mariage & il luy reitera ces assurances avec des manieres si ouvertes & d’un esprit si content, qu’il ne laissa plus de scrupule au Chevalier. Il continua de se servir du mesme pretexte, & pour mieux faire paroistre que son cœur estoit entierement libre, il fit dresser le Contrat luy-mesme, & voulut faire les frais de la noce. Rien ne luy fit peine en tout cela, & il le protesta à tous ses Amis. Cependant on ne fut pas plûtost revenu de l’Eglise, où le Mariage venoit d’estre fait, qu’on fut surpris de le voir tomber dans un chagrin extraordinaire. Il dit qu’il se trouvoit mal, & en effet deux heures aprés, la fievre le prit avec une extrême violence. Cet accident troubla fort la joye des Mariez, & leur déplaisir augmenta beaucoup le lendemain, quand le transport au cerveau ne le laissant plus maître de sa raison, fit connoître la vraye cause de son mal. Il dit cent choses touchantes sur ce qu’il n’avoit pû se faire aimer de la Belle, & sur la necessité où il s’estoit veu de la ceder à son Frere. On connut par là qu’il s’estoit fait violence, & que la contrainte qu’il avoit tâché de s’imposer, l’avoit reduit au malheureux estat où il se trouvoit. Il vescut encore trois jours pendant lesquels ses agitations redoublerent, sans qu’il cessast de parler du desespoir où l’avoit jetté son trop de delicatesse.

[Départ de Brest de M. le Chevalier de Châteaurenault avec dix Vaisseaux du Roy] §

Mercure galant, juin 1689 (première partie) [tome 6], p. 296-299.

 

Mr de Château Renaud partit de Brest le 20. de ce mois, pour aller croiser avec dix Vaissaux, en attendant que le grand armement soit achevé. Toutes les choses dont je viens de vous parler, vous font connoistre le bon estat de la Marine. Aussi avons-nous fait prés de 150. prises depuis la declaration de la Guerre, sans qu’on en ait fait presque sur nous. Cela montre évidemment nostre superiorité, plus en courage qu’en force. Cependant quoy que les Ennemis nous ayent souvent menacez de nous accabler sous une Puissance formidable, ils n’ont jamais eu de desavantage qu’ils n’ayent publié que nous les surpassions en nombre. C’est par là qu’ils ont voulu justifier leur fuite dans l’attaque de Mr le Comte de Château Renaud. Ils n’ont pas eu lieu pourtant de se servir de cette raison, comme vous l’avez pu voir, tant par le nombre de leurs Vaisseaux, dont ils sont eux-mesmes demeurez d’accord dans ce qu’ils en ont écrit, que par l’ordre de Bataille, & par la Relation du Combat que je vous ay envoyée. Comme les François leur cedoient en nombre, leur victoire en a esté plus glorieuse, & les sept Vaisseaux Marchands qu’ils ont pris parlent hautement de la fuite des Anglois. Voicy d’agreables Vers qu’on a faits sur ce sujet.

 La Flote de LOUIS LE GRAND
 Ayant défait la Flote Britannique,
 Neptune envoya d'Amerique
 En faveur de ce Conquerant
Que sa valeur éleve au faiste de la gloire
Sept gros Vaisseaux, chargez du prix de la Victoire.

[Emblême] §

Mercure galant, juin 1689 (première partie) [tome 6], p. 312-316.

 

Pendant que Sa Majesté répand ses graces sur ses Sujets, & ses largesses sur les Etrangers, Elle est de tous costez comblée de loüanges, mais parmy celles qu'on luy donne, il y en a de plus ingenieuses les unes que les autres, celle de Mr Pompe Italien sont d'un caractere particulier. Dans le dessein d'exprimer d'une maniere symbolique la puissante protection que ce Prince a donnée au Roy d'Angleterre dans la retraite qu'il a faite en France & de marquer en mesme temps le succés que l'on en doit esperer, il a fait une Emblême en Tableau, & a pris pour corps une Harpe qui se trouve dans les armes d'Angleterre. Il presenta dernierement cette Emblême à Sa Majesté, avec ces six Vers Italiens.

Da rubelli, fellon, barbari suoni,
Sconcerto s'invola il Davico stromento,
E'n sen si reca a l'Apollico concento ;
Puoi tu sol, dice, rinovar miei tuoni ;
A cui, ei, con alma generosa e pronta,
D'infidi suoni accorderotti ad onta.

L'Auteur par une hardiesse Poëtique suppose que cette Harpe déconcertée par l'infidelité de ses cordes, vient en France, & que s'adressant à Apollon qui en a fait son sejour, elle luy dit,

C'est vous seul qui pouvez me rendre l'harmonie.
Puoi tu sol, dice, rinovar miei tuoni,

& continuant dans cette même figure, il luy fait répondre par Apollon,

Malgré tous tes faux sons je scauray t'accorder.
D'infidi suoni accorderotti ad onta.

En effet cette Harpe déconcertée nous fait voir assez au naturel l'estat de l'Angleterre, dans la situation où sont les Affaires, & Apollon qui accorde cette Harpe, nous represente le Roy, qui par sa sagesse & son assistance rétablira l'ordre dans l'Angleterre, & remettra des Peuples rebelles sous l'obeissance de leur legitime Souverain.

Air nouveau §

Mercure galant, juin 1689 (première partie) [tome 6], p. 343-344.

Quoyque le Printemps finisse, il faut encore vous faire part d'un des Airs nouveaux qui ont esté faits à l'occasion de cette saison charmante. Il est d'un excellent Maistre ; vous le connoistrez en le chantant.

AIR NOUVEAU.

Avis pour placer les Figures : l’Air qui commence par, Dans la Saison, doit regarder la page 344.
Dans la Saison la plus belle
Où l'Univers renouvelle,
Faudra-t-il gemir toûjours ?
En vain Printemps rameine
Les plaisirs & les amours.
Quand on aime une inhumaine,
Helas ! est-il de beaux jours ?
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