1689

Mercure galant, octobre 1689 [tome 10].

2017
Source : Mercure galant, octobre 1689 [tome 10].
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Mercure galant, octobre 1689 [tome 10]. §

[Sonnet] §

Mercure galant, octobre 1689 [tome 10], p. 7-10.

 

Rien ne marque tant la grandeur du Roy que ce qu’on voit aujourd’huy. Toute l’Europe est en armes, & la jalousie qu’on a de sa gloire, est le seul motif qui les a fait prendre. Tant de Souverains ne se seroient pas unis contre ce Monarque, s’ils n’avoient sceu qu’il pouvoit seul résister à tous, & qu’il luy seroit facile d’en triompher, pour peu que leurs forces fussent divisées. Cette verité vient d’estre mise en son jour par Mr Magnin, dans le Sonnet que vous allez lire.

La grandeur de LOUIS, sa puissance suprême,
Ses Vertus, ses Explois, & ses travaux divers,
Ont-ils encor besoin du secours de nos Vers ?
Non, comme le Soleil il brille par luy-mesme.
***
On voit sur ce Heros, on voit le Diadême
Remplir de son éclat, & charmer l’Univers,
La fortune jamais, ny ses plus grands revers
N’ont pû donner atteinte à sa sagesse extrême.
***
Les plus heureux talens, les grandes qualitez
Que l’on voit distinguer les Rois les plus vantez,
Le Ciel en ce Monarque à la fois les assemble.
***
Mais sans vouloir pousser ce détail jusqu’au bout,
Cent Princes contre luy se sont liguez ensemble,
Pour prouver sa Grandeur, cette Ligue dit tout.

[Academie de belles Lettres établie à Toulouse] §

Mercure galant, octobre 1689 [tome 10], p. 21-48.

 

A l’égard des belles Lettres, on peut dire qu’elles n’ont jamais si bien fleury que sous le regne du Roy. Il s’est étably des Academies en plusieurs Villes de France, & les Conferences qui s’y tiennent produisant de tres-grands fruits. Toulouse qui s’est toujours maintenuë dans la qualité de sçavante que luy donnent les Auteurs, tant anciens que modernes, se voyoit privée avec regret des avantages qu’elle peut attendre de ces nobles exercices. Mr de Baville, Intendant de la Province, si connu par sa naissance & par son merite, ayant fait reflexion que dans cette Capitale du Languedoc il y avoit un grand nombre d’esprits nez pour toute sorte de Litterature, fit un projet d’Academie au commencement de cette année, où il proposa d’unir l’Eloquence & la Poësie aux plus curieuses recherches de l’Histoire, de la Phisique, & des Mathematiques. Ce projet fut si universellement approuvé, qu’on ne songea plus qu’à l’executer. Ainsi ceux qui se trouverent le moins occupez par leurs emplois, commencerent à s’assembler au nombre de vingt, & resolurent de consacrer leur loisir à des soins si dignes de gens qui ne recherchent rien avec plus d’ardeur que les belles connoissances. On ouvrit ces Conferences par un Discours sur les motifs qui doivent porter à faire des Assemblées, & sur les matieres qu’il est avantageux d’y traiter. Celles cy qui se tiennent regulierement une fois chaque semaine, ont continué pendant tout le cours de cette année sans interruption, & avec un succés si favorable, qu’on y a veu une grande affluence de personnes choisies, à qui on n’a pû honnestement refuser l’entrée. Elles s’ouvrent par un Discours que chacun est obligé d’y prononcer à son tour sur quelque sujets problematique que la Compagnie a proposé, & l’on y explique son sentiment avec netteté & avec justesse. Les Seances durent trois heures, & dans la suite de la Conference on s’entretient sur des Dissertations historiques, sur des points de Critique touchant les meilleurs Auteurs, ou sur des questions de Phisique, que l’on tâche d’éclaircir par les experiences qu’on y fait. On traite toutes ces matieres en differens jours & alternativement, pour éviter la confusion ; mais on s’attache sur tout à examiner la Langue Françoise, dont la pureté est le but principal de ces exercices.

Dans le temps de la mort de la Reine Christine de Suede, on fit l’Eloge de cette Princesse dans l’une de ces Assemblées, & ce fut Mr de Rocoles qui le prononça. Il prit ces paroles du Chapitre 11. de Judith, Magna eris, & nomen tuum nominabitur in universa terra. Il parla devant une Compagnie de cent personnes, tous gens choisis, Jesuites, Abbez, Conseillers du Parlement, & autres, & quoy que son Discours eust duré une heure & demie, on luy fit ce compliment tout d’une voix, qu’il avoit finy trop tost. Il fit voir que cette Reine estoit Grande pour avoir quitté de grands Estats afin d’embrasser la Religion Catholique ; pour avoir aimé les Sciences, & ceux qui en font profession, & enfin pour avoir marqué un fort grand attachement à la Nation Françoise, ce qui luy donna occasion de faire l’Eloge du Roy. Une autre fois il fit un fort beau Discours sur les avantages qu’on peut retirer de l’établissement des Academies, & il en a mesme fait un en Latin à la loüange de Mr Malapeire, principal Membre, & comme le Chef de celle qui est sur le point de s’établir à Toulouse. Il s’est aussi fait remarquer avec beaucoup de gloire pour luy, dans des Theses publiques des Jesuites, où il a harangué en presence du Parlement, & de quantité de personnes considerables.

Toutes sortes de matieres ont esté traitées dans les Conferences dont je vous parle. On y a fait des dissections Anatomiques. On y a examiné le sens de la veuë & son objet, qui est la lumiere ; on y a fait des dissertations sur les endroits les plus difficiles de l’Histoire & de la Chronologie touchant les premieres Epoques, & enfin on s’est attaché à des Questions fort utiles, la pluspart tirées de la Morale. Les plus curieuses ont esté celles qui suivent ; Si les femmes sont aussi propres que les hommes pour réussir dans les Sciences, & si on doit les admettre dans les Academies ; Laquelle de toutes les Sciences est la plus utile & la plus necessaire dans un Estat ; Si l’on peut plus facilement resister au plaisir qu’à la douleur ; Lequel est le plus à souhaiter, de posseder les richesses, ou d’estre Sçavant ; Lequel est le plus utile ou de bien écrire, ou de parler juste. Lesquels de tous les Philosophes ont esté ceux qui ont fait profession d’une vertu plus austere, ou les Epicuriens, ou les Stoiciens ; Si celuy qui peut pousser sa fortune fait mieux de vivre dans une condition mediocre, que de s’élever au dessus de son estat ; Lesquels sont les plus propres pour réussir dans les Sciences, ou les Melancoliques, ou les Enjouez ; laquelle de ces deux Disciplines a de plus grands avantages, ou l’Eloquence, ou la Poësie. Voilà une partie des questions qui ont esté agitées dans ces Conferences. Je vous feray part des Discours que je pourray recouvrer. Cependant comme les Muses qui aiment le repos ne peuvent souffrir les alarmes de la guerre, & que d’ailleurs la situation des affaires de l’Etat ne permet pas de penser encore à l’institution de l’Academie dont je vous parle, ceux qui forment ces Assemblées se contentent de continuer leurs Conferences, & de donner au Public des marques de leur attachement aux belles Lettres, en attendant une occasion plus favorable qui autorise leur établissement. Vous serez sans doute bien aise d’apprendre le nom & le caractere de quelques-uns de ces Messieurs. Je ne vous entretiendray aujourd’huy que de ceux qui ont le plus d’assiduité à se trouver à ces sortes d’exercices ; & dans la suite je vous parleray des autres, dont le merite n’est pas moins connu dans le Languedoc, & qui ont fait voir par des Discours fort éloquens, que l’esprit & le sçavoir sont de tout Pays.

Mr de Malapeire, Conseiller, de l’ancienne Famille de Vandages, estoit d’une Assemblée de gens de belles Lettres, que Mr Pellisson, de l’Academie Françoise, avoit commencé à former dans la Ville de Toulouse, dont il ne fut pas un des moindres ornemens. Il eut beaucoup de part dans l’amitié de Mr le President Donneville, & il entretient depuis long-temps un commerce de Lettres avec Mr du Plessis-Praslin, Evesque de Tournay, qui a rendu justice à son merite dans un Livre qu’il a écrit contre les Athées, les Heretiques & les Libertins. On voit peu d’esprits d’une si grande étenduë. Il parle de tout avec force & netteté ; il a penetré tout ce qui se rencontre d’obscur dans les Sciences les plus sublimes, & il n’ignore pas ce qu’il y a de plus recherché dans les Arts. Les Voyages qu’il a faits en Italie, l’ont rendu bon Connoisseur pour tout ce que la Peinture, la Sculpture & l’Architecture ont de plus regulier, & il a fait bastir une magnifique Chapelle à l’honneur de la Vierge, sous le nom du Mont Carmel, dont l’ordre & la simetrie que l’on y admire, sont de son invention. Il a écrit sur une infinité de matieres differentes. Son Livre sur les Planetes, & ses Ephemerides font assez voir qu’il a un genie propre à déveloper ce que la Physique & les Mathematiques ont de plus secret. Il est naturellement éloquent ; les Panegyriques qu’il a faits de la Vierge & de S. Joachim, en sont des témoignages qu’on ne sçauroit contester, & quoy qu’il ne s’occupe pas ordinairement à la Poësie, il ne laisse pas de faire de tres-beaux Vers.

Mrs de Carrieres sont trois Freres, aussi illustres par leur merite que par leur noblesse. Leurs Ancestres se sont rendus recommandables par l’inviolable fidelité qu’ils ont toujours fait paroistre pour leurs Souverains dans les temps les plus difficiles. Leur Mere étoit de l’ancienne Maison de Flotte, qui a eu l’avantage de donner deux Chanceliers à la France, & où l’on a vû plusieurs Ambassadeurs. René Flotte fut honoré de ce glorieux employ sous le regne de Philippe le Bel, dont il gagna par ses services l’estime & la confiance. Mr de Carrieres l’Aisné est un Gentilhomme qui a fait ses Etudes à Paris avec succés. Son discernement est vif & solide sur les Ouvrages d’esprit. Il a une fort belle Maison, & son amour pour les belles Lettres luy en a fait faire le sejour des Muses. Mr l’Abbé de Carriere, aprés avoir disputé glorieusement une Regence de Theologie, fait voir tous les jours qu’il sçait joindre dans la Chaire la veritable Eloquence avec une profonde intelligence de l’Ecriture. Mr de Carriere, Avocat, a une penetration & une étenduë d’esprit que l’on trouve rarement dans ceux de son âge. Outre la connoissance parfaite qu’il a du Droit Civil & Canonique, il sçait les Antiquitez, & parle la Langue Latine aussi naturellement & avec autant de pureté que la Françoise.

Mr l’Abbé de Tournier, Frere d’un Conseiller au Parlement de ce nom, possede en un degré éminent, les Langues Hebraïque, Grecque & Latine. Il s’est acquis une si grande reputation par ses Predications dans les Chaires les plus celebres, que le Roy informé de son merite le choisit pour instruire les nouveaux Convertis de Xaintonge. Il y fit un tres-grand fruit, & l’on peut dire à son avantage qu’ayant joint l’étude du monde poly à celle du Cabinet, il debite agreablement ce qu’il y a de plus ennuyeux & de plus dégoutant dans les Sciences. Il est fort Amy de Mr l’Abbé de Cordemoy, assez connu par ses Ouvrages & par ses Conferences, qui attirent chez luy quantité de gens d’une profonde érudition. De pareilles liaisons ne se forment qu’entre les Personnes d’un veritable merite.

Mr l’Abbé Guilhemot, Frere de Mr Guilhemot celebre par les secrets dont il a fait part au public avec un succés si avantageux, s’est acquis beaucoup de gloire par les belles découvertes qu’il a faites dans la nature. La parfaite connoissance qu’il a de la Chimie, luy a fait penetrer ce que la Phisique a de plus obscur. Comme il possede les Mathematiques, il eut grande part dans les Inventions du Pere Maignan Minime, & il l’aida mesme à découvrir l’usage de ces Trompes qui servent si utilement sur Mer pour porter la voix fort loin. Il parle à fond des choses, & traite tout avec beaucoup de solidité.

Mr de Rocoles, que je vous ay déja nommé, Ancien Chanoine de Saint Benoist, est fort connu dans la Republique des Lettres. Les divers Ouvrages qu’il a mis au jour, & sur tout son introduction à l’Histoire, & le Monde de l’Abbé Botero traduit par Davity, qu’il a augmenté de trois gros Volumes, l’ont rendu Illustre parmy les Sçavans. C’est de cet Ouvrage que feu Mr de Mezeray a écrit en luy donnant son Approbation, que depuis vingt ans il n’avoit paru aucun Livre plus utile.

Mr de Vilespassans, petit Fils de Mr le premier President Bertier, Neveu de Mr l’Evesque de Rieux, & Frere de deux Conseillers au Parlement de Toulouse qui portent ce nom, parle avec justesse sur toutes sortes de matieres, & les Pieces de sa façon font reconnoistre sans peine, qu’il n’est pas moins distingué par son merite, que par sa naissance.

Mr de Mazades estoit autrefois d’un commerce de belles Lettres avec Mrs de Santussan, Marcel & Pader, dont les Ouvrages remplis d’érudition & de politesse ont esté si estimez du Public. Tout ce qui regarde l’exacte pureté de nostre Langue luy est fort connu. Il est né pour la conversation, & passe pour un Critique tres-judicieux, tant pour l’Eloquence & la Poësie que pour l’Histoire. Il sçait tous les beaux endroits des meilleurs Auteurs.

M. Massot, Avocat, marche sur les traces de son Pere, & soustient avec beaucoup de reputation & de gloire la profession qu’il a embrassée. On ne voit rien de mieux dirigé que tout ce qui part de luy, & l’on y remarque une Eloquence concise, pressante & naturelle, que l’on pourroit comparer à ce beau Feu de Demostenes, qui le rendoit Maistre des esprits dans les Deliberations publiques d’Athenes.

M. du Puy, Avocat, qui a disputé une Regence en Droit avec applaudissement, sçait tres-bien l’Histoire. Il possede les Lettres anciennes, & a fait des Oraisons Latines qu’on trouve si belles, que l’on a peine à les mettre au dessous de celles de Ciceron.

Mr Montaudié, Avocat, est de ceux que l’on peut dire nez pour le Barreau. Si Quintilien vivoit, il auroit trouvé en luy l’Orateur parfait, dont il ne nous a donné que l’idée. Il a sceu joindre la justesse de la composition avec l’art de bien parler, alliant l’interieur de l’Orateur, qui est la science, avec l’exterieur, c’est à dire, avec la beauté de la Declamation. Ainsi il fait naturellement ce que d’autres font par art, & avec étude.

Mr d’Arquesplats, Avocat, sçait de tres-belles choses, & il les débite avec beaucoup de brillant d’esprit. Il a le talent d’embellir ses discours de descriptions fort agreables, & quand il fait des Portraits il y réüssit admirablement. Il trouve le caractere de ceux dont il parle, & se sert heureusement des ressorts cachez des passions, qui peuvent faire dans le cœur humain les impressions qu’il veut faire prendre.

A l’indifferente Iris §

Mercure galant, octobre 1689 [tome 10], p. 48-60.

 

Je passe d’une matiere serieuse, à une Galanterie qui vous plaira, & que vous trouverez pleine d’enjoüement. Elle est d’un jeune Cavalier, qui tâche de persuader à Sa Maistresse qu’elle doit aimer, si elle veut éviter d’estre punie en l’autre monde.

A L’INDIFFERENTE
IRIS.

Vers le bord du Fleuve fatal
 Qui porte les Morts sur son onde,
Et qui roule son noir cristal
Dans les Plaines de l’autre monde ;
 Dans une Forest de Cyprés
Sont des routes froides & sombres,
Faites par la nature exprés
Pour la promenade des Ombres.
 Là, malgré la rigueur du Sort,
Les Amans se content fleurettes,
Et font revivre aprés leur mort
Leurs amours & leurs amourettes.
 Arrivé dans ce bas séjour,
Comme j’ay le cœur assez tendre,
Je resolus d’abord d’apprendre
Comment on y faisoit l’amour.
 J’allay dans cette Forest sombre,
Douce retraite des Amans,
Et j’en apperçûs un grand nombre,
Qui poussoient les beaux sentimens.
 Les uns se faisoient des caresses,
Les autres estoient aux abois
Auprés de leurs fieres Maistresses,
Et mouroient encore une fois.
 Là, des Beautez tristes & pâles,
Maudissant leurs feux violens,
Murmuroient contre leurs Galens
Et se plaignoient de leurs Rivales.
 Là, deffunts Messieurs les Abbez
Avecque leurs discretes flâmes,
Alloient dans les lieux dérobez
Cajoler quelques belles Ames.
 Parmy tant d’objets amoureux
Je vis une Ame desolée ;
Elle s’arrachoit les cheveux
Dans le fond d’une sombre allée.
 Mille soûpirs qu’elle poussoit
Montroient qu’elle estoit amoureuse ;
Cependant elle paroissoit
Aussi belle que malheureuse.
 Tout le monde disoit, voilà
Cette Ame triste & miserable,
Et quoy qu’elle fust fort aimable,
Tout le monde la laissoit là.
 Ombre pleureuse, Ombre crieuse,
Helas, luy dis-je en l’accostant
D’une maniere serieuse,
Qu’est-ce qui te tourmente tant ?
 Chez les Morts sans ceremonie
On se parle ainsi brusquement,
Et l’on renonce au compliment
Dés que l’on sort de cette vie.
 Qui que tu sois, dit-elle, helas !
Tu vois une Ame malheureuse,
Furieusement amoureuse,
Et qui n’aime que des ingrats.
 Dans l’autre Monde j’estois belle,
Mais rien ne pouvoit me toucher ;
J’estois fiere, j’estois cruelle,
Et j’avois un cœur de rocher.
 J’estois peste, j’estois rieuse,
Je traitois Abbez & Blondins
D’impertinens & de badins,
Et je faisois la Pretieuse.
 Ils venoient humblement m’offrir
Et leur estime & leur tendresse ;
Ils disoient qu’ils souffroient sans cesse,
Et moy, je les laissois souffrir.
 Je rendois leur sort déplorable
Lors qu’ils se rangeoient sous ma loy,
Et dés qu’ils se donnoient à moy
Je les faisois donner au Diable.
 C’estoit en vain qu’ils s’enflâmoient ;
Maintenant les Dieux me punissent,
Je haïssois ceux qui m’aimoient,
Et j’aime ceux qui me haïssent.
 Mon cœur n’y sçauroit resister,
Je n’ay plus ny pudeur ny honte,
Je cherche par tout qui m’en conte,
Personne ne m’en veut conter.
 En vain je soupire & je gronde ;
Les destins le veulent ainsi,
Les Prudes de ce premier monde,
Sont les folles de celuy-cy.
 Là, cette Ombre amoureuse & folle
Poussa mille soûpirs ardens,
Se plaignit, pleura quelque temps,
Puis en m’adressant la parole ;
 Pauvre Ame, dit-elle, à ton tour,
Te voilà peut-estre forcée
De venir payer à l’amour
Ton indifference passée.
 De nos cendres froides il sort
Une vive source de flâmes
Qui s’attache à nos tristes ames,
Et nous ronge aprés nostre mort.
 Si tu fus jadis des plus sages
Tu deviendras fou malgré toy,
Et tu viendras dans ces Bocages
Te desesperer comme moy.
 Ombre, luy dis-je, ce presage
Ne m’a pas beaucoup allarmé,
Je n’aimeray pas davantage,
Je n’ay déja que trop aimé.
 Mais je connois une Insensible
Dans le monde que j’ay quitté,
Plus cruelle & plus inflexible
Que vous n’avez jamais esté.
 On voit tous les jours la cruelle
A qui Galans, Blondins, Grisons,
A l’envy content leurs raisons,
Sans en tirer aucune d’elle.
 L’un luy donne des Madrigaux,
Des Epigrammes, des Devises,
Luy preste Carosse & Chevaux,
Et la mene dans les Eglises.
 L’autre admire ce qu’elle dit,
Luy sousrit d’un air agreable ;
Il la traite de bel esprit,
Et trouve sa juppe admirable.
 Tel la presche inutilement
Sur les doux plaisirs de la vie,
Et tel autre luy sacrifie
Ce qu’il connoist de plus charmant.
 Tel avec sa mine discrette,
Plus dangereux à ce qu’on croit,
Luy fait connoistre qu’il sçauroit
Tenir une faveur secrette.
 Jamais rien n’a pû la flechir,
Vers, Prose, soins & complaisance,
Discretion, perseverance,
Tout cela ne fait que blanchir.
 Elle se rit, cette cruelle,
Des vœux & des soins assidus,
Les soupirs qu’on pousse pour elle
Sont autant de soupirs perdus.
 On a beau luy faire l’éloge
De ceux qui l’aiment tendrement,
Cœurs François, Gascon, Allobroge
En sont traitez également.
 Que je plains, dit l’Ombre étonnée,
Cette Belle au cœur endurcy !
Nous la verrons un jour icy
Souffrir comme une ame damnée.
 Helas ! helas ! un jour viendra
Que la prude sera coquette ;
Et croit-elle qu’on luy rendra
Tous les Amans qu’elle rejette ?
 Mille soins la déchireront,
Elle sechera de tendresse,
Et ceux qui la suivoient sans cesse
Eternellement la fuiront.
 Ombres sans couleur, & sans grace,
Ombres noires comme charbon,
Ombres froides comme la glace,
Qu’importe, tout luy sera bon.
 Elle ira faire des avances
A tous les Morts qu’elle verra,
Leur dira mille impertinences,
Et pas un ne l’écoutera.
 Alors cette Fille perduë
Sans esperance de retour,
Sans pudeur & sans retenuë
Voudra toûjours faire l’amour.
 D’une si violente flâme
Peut-on trop craindre les efforts ?
Nous avons les peines de l’ame,
Sans avoir les plaisirs du corps.
 Malgré le feu qui nous devore,
Tous nos desirs sont superflus,
Les passions restent encore,
Mais il ne reste rien de plus.
 Tu sçais ce qu’elle devroit faire,
Et si tu peux l’en informer,
Dy-luy qu’elle soit moins severe,
Et qu’elle se haste d’aimer.
 Pour fuir ce decret si terrible
Qui sçauroit la forcer un jour
D’aimer quelque Mort insensible,
Qu’un bon Vivant ait son amour.
 A ces mots la malheureuse Ombre
Se teût resvant à son destin,
Et retombant dans son chagrin
Reprit son humeur triste & sombre.
 Les Dieux veulent vous exempter
Iris, de ce malheur extrême,
Et je viens de ressusciter
Pour vous en avertir moy-mesme.
 Quittez l’erreur que vous suivez,
Craignez que le Ciel ne s’irrite,
Et songeant que je ressuscite
Aimez pendant que vous vivez.
 Moy, qui sçus mourir & renaistre,
J’ay veu l’autre Monde de prés,
Et n’ay point veu le Myrthe y croistre
Parmy les funestes Cyprés.
 Jusqu’au bord de l’onde infernale
L’amour fait craindre son pouvoir,
Mais passé la rive fatale,
Le pauvre enfant n’a plus que voir.
 Là bas, dans ces demeures sombres,
Rien ne peut plus toucher un cœur,
Croyez-m’en plutost que les Ombres,
Car il n’est rien de si menteur.
 Il en est à mines discretes
Et d’un entretien decevant,
Mais fiez-vous à leurs fleurettes,
Autant en emporte le vent.
 Sans dessein, sans choix, sans étude,
D’autres soupirent tout le jour ;
Un certain reste d’habitude
Les fait encor parler d’amour.
 A de pareilles destinées
Grand nombre de gens est soumis ;
Si telles Ames sont damnées,
Malheur cent fois à nos Amis.
 Enfin la mort aux Morts ne laisse
De leur amour qu’un souvenir,
Sans que leur deffunte tendresse
Leur puisse jamais revenir.
 L’objet agreable ou funeste
Fait sur eux peu d’impression,
Ombres qu’ils sont, il ne leur reste
Que des ombres de passion.
 Blondin, Grison, rien ne differe,
Là, jamais aucun doux propos,
Ce n’est pas le moyen de plaire
Que d’estre sans chair & sans os.
 Souvent rien n’est plus detestable
Que l’entretien d’un Trépassé,
Car que sçait-il, le miserable,
Que des contes du temps passé ?

Air nouveau §

Mercure galant, octobre 1689 [tome 10], p. 61-62.Le poème figure dans le Recueil des plus beaux vers, III (Ballard, ca 1667, p. 80) sous le nom de M. l'abbé Testu-Mauroy (cf. LADDA 1666-32).

Les paroles de l'Air nouveau que je vous envoye ont esté mises en air par Mr Goyer. Elles marquent un dépit d'amour, mais elles ne prouvent pas la guerison de l'Amant. C'est aimer toujours que de se plaindre, & qui ne peut cacher son chagrin, est bien éloigné d'estre indifferent.

AIR NOUVEAU.

Avis pour placer les Figures : l’Air qui commence par, Ingrate que j'ay tant aimée, doit regarder la page 61.
Ingrate que j'ay tant aimée,
Puis que d'un autre Objet tu te sens enflâmée,
Va jusqu'où peut aller ton injuste rigueur.
Ne songe plus à mon amour passée ;
Qui n'est pas digne de ton cœur,
N'est pas digne de ta pensée.
images/1689-10_061.JPG

[Article curieux touchant la Musique] §

Mercure galant, octobre 1689 [tome 10], p. 62-66.

 

Cet Article de Musique me fait souvenir de vous donner avis d'une chose, dont peut-estre vos amis profiteront. On a reconnu par experience que les plus belles Pieces & les mieux touchées sur le Clavessin, & sur les autres Instrumens à Clavier, n'ont leur plus grand effet pour enlever l'ame par l'harmonie, qu'autant que l'excellence de l'Accord répond à celle des sujets, & à la maniere de bien toucher les Instrumens de Musique. Ainsi leur meilleur effet dépend de la justesse de leur accord, & comme le Clavessin est un Instrument des plus accomplis, & le plus en usage parmy les personnes de qualité & le beau monde, Mrs Thibert & de Romare, experts en ces Instrumens de Musique, & qui d'ailleurs possedent dans toute sa perfection la regle des Consonances harmoniques de Mr D.L.B. par laquelle le point des affinitez essentielles, appellé Point élementaire, d'où naissent les causes de l'effet sublime & animant des Airs & de toute l'harmonie en general, est rendu sensible dans tous les Accords musicaux, ayant communiqué cette regle à Mr Comiers, l'un des premiers Mathematiciens du siecle, non seulement il l'a approuvée, mais il a encore reconnu que cette regle des consonances harmoniques, est tres-utile, & mesme de la derniere importance pour toutes les personnes qui touchent ces Instrumens de Musique, & sur tout pour ceux qui s'y veulent distinguer. Elle forme l'oreille aux personnes mesme qui n'y ont que peu de disposition naturelle, & exempte d'avoir besoin d'une profonde connoissance de la Musique pour exceller dans la pratique de l'Accord ; ce que les Dames pourront aussi experimenter facilement. Tous ceux qui souhaiteront apprendre cette regle, ou faire remettre leurs Clavessins ou Epinettes en bon ordre, n'auront qu'à voir là-dessus Mr Comiers, qui loge dans la court pavée des Quinze-vingt. Le nom de ce Sçavant homme que je vous ay promis ce mois-cy la conclusion de son Traité des Propheties & Devinations, mais quelques raisons l'ont obligé à la remettre jusqu'au mois prochain. Ce retardement ne peut servir qu'à vous donner cette fin dans une plus grande perfection.

[Lettre de Madame la Viguiere d’Alby à Messieurs de l’Academie des Ricovrati de Padouë] §

Mercure galant, octobre 1689 [tome 10], p. 66-76.

 

Je croy vous avoir mandé que l’Academie des Ricovrati de Padoüe, ayant donné des Lettres d’association à beaucoup de Dames d’un fort grand merite, ceux qui composent cet illustre Corps, en avoient aussi envoyé à Madame de Saliez, Viguiere d’Albi. Il y a long-temps que ses Ouvrages vous l’ont fait connoistre. La réponse qu’elle a faite à cette sçavante Compagnie, est tres-digne d’elle, & elle vous doit plaire d’autant plus, qu’outre qu’elle y soûtient noblement les avantages de son Sexe, elle a trouvé moyen d’y mesler l’éloge de nostre Auguste Monarque. En voicy les termes.

LETTRE
DE MADAME de Saliez, à Mrs de l’Academie
des Ricovrati de Padoüe.

Messieurs,

Les Lettres Patentes que vous avez fait expedier en ma faveur, pour me donner une place dans vostre celebre Academie, estant en Langue Italienne, il semble que les tres-humbles remerciemens que je vous fais, devroient estre aussi en Italien, mais outre que je n’en connois pas assez toutes les delicatesses, & qu’il est indifferent en quelle Langue l’on parle à des personnes qui les possedent toutes, quel moyen, quand on a le bonheur d’estre Sujette de LOUIS LE GRAND, de preferer un autre Langage à celuy qui regne dans ses Etats, & duquel il se sert pour nous donner de si justes & de si douces Loix ? Tandis que toutes les Nations du monde qui aiment ses vertus, ou qui craignent sa puissance, apprennent à parler comme nous, je ne puis m’attacher qu’à une Langue qui va devenir universelle, & que nostre sçavante Academie Françoise a mise en un si haut point de perfection, qu’elle est plus severe, plus modeste, & presque aussi serrée & aussi feconde que la Latine. J’avouë, Messieurs, que mes Ecrits ne peuvent pas vous prouver cette verité. Née dans la Province, & n’ayant point esté à Paris corriger les defauts de mon Langage, comme l’on alloit autrefois corriger à Athenes ceux de la Langue Asiatique, je ne puis écrire avec la mesme justesse que Mesdames de Scudery, des Houlieres, Dacier, & de Ville-Dieu, qui sont si dignes du rang que vous leur avez donné parmy vous. La hauteur de leur esprit a esté secondée d’une situation heureuse au milieu de Paris, & animée par la veuë & par l’usage du grand & du beau monde. Aussi ces Dames sont-elles devenuës un des miracles de ce Siecle, & leurs Ecrits étonneront bien plus la posterité, que ceux des Femmes des siecles passez ne nous étonnent. Je croy qu’il m’est permis de vous dire, Messieurs, afin que vous ne vous repentiez pas de l’honneur que vous m’avez fait, que bien que mes Ecrits soient infiniment au dessous des leurs, ils ont souvent d’heureux succés. L’on y voit la nature toute pure, & ce caractere aisé ne déplaist point. Enfin puis que mes Ouvrages m’ont attiré vostre estime, personne n’est plus en droit de les condamner. Vous tenez dans le monde la place de ces fameux Grecs qui décidoient du merite des Auteurs, aussi-bien que de celuy des Heros. Vous les surpassez mesme par une droiture de cœur qui vous fait rendre justice à mon Sexe, en me recevant dans vostre illustre Academie, & n’affectant point une distinction que le Ciel & la Nature n’ont jamais eu dessein de mettre entre les hommes & nous. Leur jalousie la fit naistre, nostre modestie l’a soufferte, & sans que nous ayons troublé le monde par nos plaintes, les hommes commencent à se repentir de leur usurpation, & leur empire tirannique va tomber de luy-mesme. Déja l’Academie Royale d’Arles a suivy vostre exemple à nostre égard, & de nos meilleurs Ecrivains ont traité à fond de l’égalité des Sexes, qui ne se conteste plus en France depuis que nostre juste Monarque estime & recompense le merite de l’un & de l’autre Sexe. N’oubliez pas Messieurs, cette marque de son équité dans les Eloges que vous luy donnez. Je sçay que cet auguste sujet remplit souvent vos sçavantes veilles. Quelle occupation pourriez-vous trouver plus digne de vous, & quels Homeres peut trouver ce Heros plus dignes de luy ? Mais quelques idées que la Renommée vous donne de ses vertus, vous n’en comprendrez jamais qu’une partie ; le bonheur de les connoistre toutes est reservé à ses heureux Sujets sur lesquels il regne par amour plus absolument que tous les autres Rois ne regnent sur les leurs par la terreur & par la crainte. Il gouverne avec tant de douceur un Peuple naturellement soumis à ses Monarques, & dont il fait les delices, que chacun sacrifieroit avec plaisir pour luy ses biens & sa vie. Il aime ses Sujets autant qu’il en est aimé, & c’est sans doute en cela que consiste la plus veritable & la plus seure felicité des Rois. Vous voyez, Messieurs, que je conserve mon caractere doux & simple, en ne vous parlant que de la bonté de son cœur. Je laisse au stile sublime à le representer tel qu’il est à la teste de ses Armées, portant la frayeur chez ses Ennemis. Cependant, Messieurs, toute la France vous est obligée de l’interest que vous prenez à sa gloire, & cette raison n’est pas moins puissante que la grace que vous m’avez faite, pour m’engager à estre toute ma vie, Messieurs, vostre, &c.

A Albi le 28. Sept. 1689.

[Ce qui s'est passe en quelques Villes du Royaume le jour de la Feste de Saint Loüis] §

Mercure galant, octobre 1689 [tome 10], p. 77-79.

 

Ma Lettre du mois passé vous a appris fort au long ce qui se passa à l'Academie Françoise le jour de la Feste de S. Loüis. Comme on la celebre solemnellement dans la pluspart des Villes de France, on n'oublia pas ce jour-là à Nismes les ceremonies accoutumées. Mr de la Mothe-Bailly, Lieutenant de Roy de la Ville & du Fort, fit tirer le Canon dés le point du jour, comme pour annoncer cette Feste. C'est un homme d'une tres-grande sagesse, & qui s'est rendu digne de ce poste, par une bravoure distinguée, & par une fidelité à toute épreuve. Mr l'Abbé Fléchier, nommé à l'Evesché de Nismes, & dont le merite est connu de tout le monde, se rendit sur les dix heures dans la Chapelle du Fort. Il y celebra la Messe, pendant laquelle il y eut une excellente Musique. Aussi-tost qu'elle fut dite, Mr l'Abbé Begault fit le Panegyrique de S. Loüis. Mrs de l'Academie Royale de Nismes, qui s'y trouverent, se firent beaucoup d'honneur de cette action, qui estant faite avec tout l'éclat possible par une personne de leur Corps, faisoit rejaillir sur tous la gloire qu'en retira cet Abbé. [...]

Pour la Feste de Monseigneur le Dauphin. Ode §

Mercure galant, octobre 1689 [tome 10], p. 98-102.

 

Le lendemain de la Feste de S. Loüis, Monseigneur le Dauphin estant allé chasser à Villeneuve S. Georges, Mr Marcel eut l’honneur de luy presenter à son retour les Vers que vous allez lire. Ils furent tres-bien receus de ce Prince.

POUR LA FESTE
DE MONSEIGNEUR
LE DAUPHIN.
ODE.

Muses, si tant de fois des plus brillantes fleurs
Que sur le Parnasse on voit naistre,
Pour peindre le Heros que la France a pour Maistre,
 Vous m’avez presté les couleurs ;
***
 A former un Bouquet que j’ose presenter
 Au digne Fils qui luy ressemble,
Secondez mon ardeur, & souffrez que j’assemble
 Les fleurs dont il doit éclater.
***
Ouy, dans mon noble orgueil je me croy tout permis,
 Et je veux consacrer sa Feste.
Du fameux Philisbourg je chantay la Conqueste
 Quand ses Armes l’eurent soûmis.
***
Prince, il faut l’avoüer, cet immortel Laurier
 Né dans le sein de ta victoire,
Des plus parfaits Heros consommeroit la gloire ;
 Et cependant c’est ton premier.
***
 Mais je te le predis, ton glorieux destin
N’est pas borné d’une Campagne ;
Bien-tost à ta valeur la Flandre, & l’Allemagne
 Ouvriront un nouveau chemin.
***
Laisse, laisse grossir le nombre & la fureur
 Des Ennemis qu’on te presente ;
Plus il en paroistra, plus ta main triomphante
 A les dompter aura d’honneur.
***
Attendant ce grand jour, l’objet de tes desirs,
 Fay toy de la Chasse une guerre.
Heureuses nos Forests ! heureuse nôtre Terre,
 Qui te fournit tant de plaisirs !
***
 Et vous, Loups, en mourant que vostre sort est doux !
 Ah, dans la saison où nous sommes,
Vous sauvez autre part la vie à cent mille hommes,
Qu’on verroit perir sous ses coups.

Eglogue §

Mercure galant, octobre 1689 [tome 10], p. 102-106.

 

Tout ce qui est pastoral vous a toûjours pleu, & cela m’oblige à vous envoyer les Vers suivans. Leur mesure semble estre propre aux Bergers. Ils sont naturels, & leur stile simple ne dement point la matiere.

EGLOGUE.

L’Herbe pousse à la prairie,
Allez paistre, mes Brebis ;
Voyez comme elle est fleurie
Sous les pas de mon Iris.
Profitez de la tendresse
Qu’elle a pour son cher Berger ;
Elle fait son allegresse,
Vous devez la partager.
Amours tendres & secretes,
Combien vous avez d’appas !
Allez, flâmes indiscretes,
Vous ne les connoissez pas.
Eloigné de sa Bergere
Le Berger parloit ainsi
De la tendresse sincere
Qui cause son doux soucy.
La paisible intelligence
De leurs desirs amoureux,
Enfante une confiance
Qui les rend toûjours heureux.
Point de chagrins dans l’absence,
Point de foible défiance,
Tout cela n’est point pour eux.
Il n’est rien qu’ils apprehendent,
Tout sert à les consoler :
D’un seul regard ils s’entendent
Et se voir, c’est se parler.
Dans cette ardeur mutuelle
La tendresse ne perd rien,
Elle est fine, elle est fidelle,
Et fait leur unique bien.
Cherchez à voir ma Bergere,
Parlez-luy, Rivaux jaloux,
En vain vous voudrez luy plaire,
Son amour n’est pas pour vous.
Elle est aimable, elle est belle ;
Malgré vos soins amoureux
Elle me sera fidelle,
Je seray toûjours heureux.
Dans cette tendre assurance
Si le Berger vit content,
La Bergere en fait autant,
Ce qu’il dit, elle le pense.
Sur le cœur de mon Berger
Que pretendez-vous, Coquettes ?
Tous les efforts que vous faites
Ne le feront pas changer.
Avant qu’il m’eust pu connoistre
Vous pouviez toucher son cœur,
Mais il a trouvé son Maistre,
Et l’amour que j’ay fait naistre
S’en est rendu le vainqueur.
En se quittant, ils n’aspirent
Qu’au plaisir de se revoir,
Tant l’amour dont ils soupirent
A pris sur eux de pouvoir.
Dans ces douces destinées
Rien ne trouble leur repos ;
Des amours si fortunées
Engraissent les deux Troupeaux.
Les Chiens mesme qui les gardent
Sont si robustes, si forts,
Qu’aucuns Loups ne se hazardent
D’en éprouver les efforts.
Les voit-on à quelque Feste,
Ces deux fortunez Amans,
N’ont-ils pas mille agrémens
Où tout le monde s’arreste ?
Par une allegresse honneste
La Bergere fait honneur
A cette chere Conqueste ;
Les fleurs qui parent sa teste,
Elles naissent dans son cœur.
Le Berger, d’un soin semblable
Sçait s’occuper à son tour,
Et s’il n’estoit pas aimable,
Seroit-ce faute d’amour ?
Personne dans le Village
Ne sçait encor leur secret,
Mais d’un commerce discret
La conduite la plus sage
Fait-elle tant de chemin,
Sans que l’on découvre enfin
Le mistere que l’on cele ?
On se contraint vainement,
L’amour mesme le revele ;
Et cache-t on aisément
Un fort grand embrasement
Comme on fait une étincelle ?

[Description tres-curieuse touchant ce qui se passe tous les ans au mois de Septembre dans la Ville d'Autun] §

Mercure galant, octobre 1689 [tome 10], p. 107-109, 112-127.

 

La Ville d'Autun, remarquable par tant de choses qui la distinguent, merite sur tout des loüanges, en ce qu'elle ne se contente pas d'envoyer à la guerre toute la jeunesse qu'elle a capable de porter les armes ; elle prend encore un soin particulier de donner tous les ans au Roy, le premier jour de Septembre, des marques éclatantes de son zele, en instruisant les jeunes gens & fortifiant les vieillards dans l'exercice des combats, afin de pouvoir contribuer au succés des entreprises de ce Monarque. Cette maniere de Feste est la suite d'une Cavalcade que font le jour precedent les Chanoines de l'Eglise Cathedrale. Cette Eglise, tres-belle par elle-mesme, & par son Chapitre, estoit autrefois sous le titre de S. Nazaire, & est aujourd'huy sous celuy de Saint Lazare. Les Chanoines s'y assemblent tous les ans en Corps le dernier d'Aoust, & aprés les Vespres qui se disent ce jour-là de meilleure heure qu'à l'ordinaire, ils se rendent au logis du Terrier, c'est à dire du Chanoine qui doit à son tour avoir soin du Territoire, & montez sur de beaux chevaux couverts de housses de velours, qui traînent à demy pied de terre, & qui sont rehaussez de broderie, ils vont au delà des anciens murs de la cité, dont le circuit estoit d'environ deux mille pas ; & là, ayant avec eux les Officiers de leur Justice, ils font un acte de prise de possession de la Juridiction de la ville. [...]

 

Les Chanoines de la Cathedrale s'estant assemblez selon la coutume, le 31. du mois d'Aoust dernier, allerent en Corps chez Mr Binier, leur Terrier, au nombre de vingt-six, tant Chanoines que Chapelains, Chantres & Enfans de Chœur. Leur marche commença par vingt Hautbois, six Sergens de leur Chapitre, & dix petits Choristes. Les Sergens estoient revestus de leurs manteaux violest aux armes du Chapitre, & les Choristes, de leurs petites soutanes violetes doublées de rouge, avec le bonnet carré rouge sur la teste. Les Chapelains suivoient selon l'ordre de leur ancienneté, & les Chanoines marchoient aprés eux, tres-superbement montez, avec leurs soutanes & de longs manteaux de soye. La marche estoit fermée par les Dignitez, & au milieu estoit leur Terrier qui portoit le Baston de commandement, enrichi d'une infinité de Perles & de Pierres precieuses. Ce Baston est déposé dans le Tresor de l'Eglise, d'où il ne sort jamais que pour cette Ceremonie. Les Officiers de la Justice du Chapitre suivoient en longues robes, precedez par leurs Huissiers, & trente Violons marchoient à pied immediatement devant le Terrier. Les Chanoines passerent en cet ordre par les grande ruës de la ville, & allerent au delà du Pont d'Arroux, où ayant fait rendre la Justice par leurs Officiers, ils retournerent par d'autres ruës au logis de Mr Binier, après avoir passé par la court du Palais Episcopal, où Mr l'Evesque d'Autun, accompagné de quantité de personnes de qualité, souhaita les voir, n'ayant pû luy-mesme assister à cette Assemblée, comme il a fait quelquefois dans le temps que sa santé luy permettoit de le faire. On avait accoutumé de regaler la Compagnie d'un Souper, mais Mr Binier aima mieux donner à l'Eglise un fond de huit cens livres qui luy demeure à perpetuité, que de faire une dépense dont il ne reste rien le jour mesme qu'elle est faite. Il ne laissa pas de traiter quelques uns de ses Amis particuliers, & aprés le repas on sonna toutes les cloches pour avertir de l'heure du Te Deum. Les Chanoines se rendirent de nouveau chez luy en Corps, & le conduisirent à l'Eglise, precedez de vingt flambeaux, & de six de distance en distance. Le Te Deum fut chanté par trois Chœurs de Musique meslez de simphonie. Cela estant fait, Mr Binier alla mettre le feu à des Feux d'artifice, qui occupoient depuis la voûte de l'Eglise jusques à la pointe du clocher, qui est construit de pierre de taille à huit pans, & l'un des plus beaux qu'il y ait en France. On vit d'abord toute l'Eglise & toute le clocher en feu. Les fusées & les grenades faisoient un bruit continuel, & l'air se trouva rempli de lances à feu & de serpens qui rendoient une clarté admirable.

Le lendemain Mr de Leschalier, avocat du Roy au Bailliage qui avoit esté éleu Vierg, fit avertir Mr de Bart, Major de la Ville de donner ses ordres à tous les Capitaines d'assembler leurs Compagnies sous les armes pour en faire la reveuë. Ce mot de Vierg vient de celuy de Vergobrete, qui estoit le Souverain Magistrat de l'ancienne Bibracte. Quoy que cette Magistrature ne fust qu'annuelle, ceux qui l'exerçoient avoient un pouvoir absolu sur les biens, & sur la vie de leurs Sujets. Les Habitans d'Autun ayant accoutumé tous les ans de faire cet exercice, il ne fut pas difficile de les mettre dans l'estat où l'on souhaitoit qu'ils fussent. M. de Bart, monté sur un superbe Cheval, & suivy de vingt Cavaliers lestement vestus, fit le tour de la Ville. Il avoit un habit d'un drap brun tout couvert de Galons d'or ; sa Veste estoit en broderie, & son Echarpe de mesme. Lorsqu'il eut donné ses ordres, on vit M. de Montagu, Capitaine du Capitole, & à present du Chasteau, à la teste de cent Soldats vestus d'une mesme parure, avec des Armes luisantes, qui s'alla poster à la Porte de M. le Vierg. Il estoit vestu d'un habit bleu garny de Galons d'argent en plein, & portoit une demie-pique. Son Echarpe estoit à Frange d'argent. Six Tambours, six Fifres, & quatre Sergens avoient ses Livrées. Son Lieutenant estoit vestu comme luy, & l'Enseigne estoit d'un Taffetas blanc parsemé de Fleurs de Lys d'or, & de plusieurs L entre-lassées & couronnées. On voyoit les Armes du Roy aux quatres coins avec ces mots en lettres d'or, Lila sic sequimur, Solem ut sua Sydera norunt. Mr Maiziere, Capitaine du second quartier, suivoit à la teste de cent Soldats, avec six Tambours, six Fifres, & quatre Sergens. L'Enseigne de sa Compagnie estoit de Taffetas blanc parsemé de Fleurs de Lys d'or, avec les armes du Roy d'un costé, & celles de la Ville de l'autre. Il y avoit pour devise Fidus Lilia custos. M. de Siry, Seigneur de Noizeret, Capitaine du troisiéme quartier, vestu d'écarlate galonné par tout d'argent, avoit ses Soldats, vestus de drap brun avec un galon d'argent sur toutes les coustures. Six Tambours, six Fifres & quatre Sergens portoient ses Livrées ; leurs Chapeaux étoient bordez d'argent, & ornez de plumes blanches. L'Enseigne de la Compagnie estoit d'un taffetas blanc parsemé de plusieurs Couronnes & de Fleurs de Lys d'or ; au milieu les armes du Roy avec une Foy, & aux quatre coins des Trophées, & ces mots en broderie d'or, Vive la Fidelité. Les autres Compagnies vinrent les unes aprés les autres dans un équipage conforme à la grandeur d'ame des Autunois. Leurs Enseignes avoient, l'une un Dragon, & pour devise, tetigisse perisse est ; l'autre un Lion, & cette inscription, parcere subjectis & debellare superbos. Une autre avoit d'un costé l'Effigie de la Vierge, avec ces mots, in hoc signo vincam, & au revers un S. Simeon avec cette devise, dux ego vester ero. On voyoit un Soleil dans une autre, & pour devise, fulget & ardet. Dans une autre estoit une Bombe, avec ces mots, pereant dum frangar oportet ; & enfin la derniere avoit un Arc-en-ciel bordé, avec ses couleurs, & cette inscription, nuncia certa pacis. Les Officiers du Baillage en Robes longues, & bien montez, precedez par douze Huissiers, parurent ensuite Mr le Prevost avec ses archers, & autres Officiers se mit à leur teste, & au devant de luy douze Sergens de Ville, portoient des Faisseaux, avec des Manteaux rouges, & les Armes de la Ville en broderie sur les costez. Le Heraut d'armes marcha le premier, le casque en teste avec la cuirasse, & toutes les pieces qui rendent une armure complete, & le tout garny de mailles aux defauts. Son cheval estoit bardé & carapaçonné. Il avoit à son costé l'épée d'armes, l'estoc d'un costé de l'arçon, la masse de l'autre, & un Guidon vert avec ces paroles en lettres d'or, In me spes una recumbit. Mr de Leschalier estant sorti de son Hostel, toute la Mousqueterie le salüa. Mr de Montagu commença à marcher ; les autres Compagnies le suivirent. Mr le Prevost marcha ensuite à la teste de ses Archers, & toute la Justice suivoit Mr de Leschalier, estant au milieu de Mrs Darlay, Lieutenans Generaux du Bailliage, & de la Chancellerie, tous deux distinguez par leur naissance, par leur merite, & par leur sçavoir. Il montoit un tres beau cheval gris pommelé, & portoit le Baston de commandement garny de Pierres precieuses, qu'on garde dans le Tresor de la ville pour cette auguste Solemnité. Trente Violons & Basses de Violes marchoient à pied immédiatement devant luy. [...]

Songe d’Iris §

Mercure galant, octobre 1689 [tome 10], p. 143-150.

 

Toutes les productions d’esprit de Madame des Houlieres sont si recherchées, que je croy toujours que vous les avez, si-tost qu’il en court une copie. C’est ce qui m’a empesché de vous envoyer plûtost le Songe que vous me demandez. Cette Dame est admirable, & dans ses pensées, & dans la maniere de les exprimer.

SONGE D’IRIS.

Que tu reviens diligemment !
Ne cesseras-tu point, impatiente Aurore,
 De courir aprés ton Amant ?
 Non, je te parle vainement.
 Demain tu reviendras encore ;
Lasse de ton Vieillard tu cherches tous les jours
 Ce Chasseur qui fait moins de compte
 De la folle ardeur qui te dompte,
 Que de la dépouille d’un Ours.
***
 Tu n’es pas la seule Deesse
Que l’Amour ait forcée â recevoir sa loy.
 Diane & Venus comme toy,
Pour de simples Mortels ont eu de la tendresse.
Mais enfin, si leurs cœurs se sont laissé charmer,
 Leurs Amans ont brûlé pour elles ;
 Toy seule entre les Immortelles
 N’as jamais sceu te faire aimer.
***
 Pour sauver l’honneur de tes charmes,
 Les Muses, ces sçavantes Sœurs,
 Nous ont imposé sur les larmes
Qu’au sortir de ton lit tu répans sur les fleurs.
Ce n’est point ton Fils mort qui cause tes douleurs,
 Un trait plus cuisant t’a blessée.
Le mépris que Cephale a fait de tes faveurs,
 Toujours present à ta pensée,
 C’est ce qui fait couler tes pleurs.
***
Elle fait plus encor, cette Troupe qui t’aime ;
 Elle dit que l’éclat vermeil,
Dont on voit l’Orient se peindre à ton réveil,
 Vient des Roses que ta main seme
 Dans la carriere du Soleil.
Quel conte ! Si le Ciel prend la couleur des Roses
Lors que tu viens ouvrir la barriere du jour,
C’est que le Ciel qui voit la honte où tu t’exposes,
 Rougit pour toy de ton amour.
***
Dans quelque autre Mortel plus jaloux que Cephale,
 Que n’as-tu trouvé des appas !
Il eust moins façonné sur la foy conjugale.
 Ordinairement icy-bas
 La plus belle Epouse n’est pas
 Une dangereuse Rivale.
***
Contente entre ses bras de ton heureux destin,
Tu n’aurois pas, des Mers où le Soleil se plonge,
 Fait sortir ton Char si matin,
 Et j’aurois achevé mon Songe.
Tu l’as interrompu par ton cruel retour
 Dans l’endroit le plus agreable.
Je croyois estre, helas ! dans un charmant sejour,
Où sur un vert gazon, de cent larcins coupable,
Je voyois à mes pieds l’Amant le plus aimable,
Le plus plein de respect, & le plus plein d’amour.
Le sommeil me rendoit, ce me semble, moins fiere,
Et quand ton vif éclat a frapé ma paupiere,
Il juroit de m’aimer jusqu’à son dernier jour.
***
 Pour la perte d’une chimere
Ne me reproche point que je fais trop de bruit.
 Je sçay que la raison conduit
A ne regreter point, ou ne regreter guere
Un faux bien qui dans l’air s’envole avec la nuit.
 Mais, reflexion importune !
 Où trouve-t-on des biens certains,
 Que rien n’arrache de nos mains,
Et ceux de la Nature, & ceux de la fortune,
 Que sont-ils que des songes vains ?
***
 Tout ce temps qu’un bon Songe dure,
 Si nous sommes aussi contens
Des biens que nous devons à sa douce imposture,
 Que s’ils estoient vrais & constans,
 Peut-on les perdre sans murmure ?
Helas ! n’est-ce donc point une heureuse avanture
Pour qui laisse au devoir conduire tous ses pas,
De pouvoir, sans blesser la vertu la plus pure,
Ecouter sur un lit de fleurs & de verdure
 Un Amant qui ne déplaist pas ?
***
A ces mots son depit cessant d’estre le maistre,
La jeune Iris se teut, poussa quelques soupirs,
 Rougit, & se livra peut-estre
 A de dangereux souvenirs.

[Ceremonie faite à Chastillon sur-Loin] §

Mercure galant, octobre 1689 [tome 10], p. 158-163.

 

Je croy vous avoir appris il y a déja un an, que Madame la Princesse de Meckelbourg avoit fondé un Monastere de Filles du S. Sacrement dans la Ville de Chastillon sur Loin, pour tâcher de reparer par l’adoration perpetuelle de ce Sacrement Auguste, l’injure qu’il y a receuë pendant plus d’un siecle. La bonne odeur que ce Monastere a déja répanduë dans la Province, y a attiré des Filles de beaucoup d’endroits ; mais cette Princesse n’ayant pu se rencontrer à la ceremonie de leurs vestures, elles s’estoient faites avec moins d’éclat. Une jeune Demoiselle eut l’honneur le 12. de ce mois, de recevoir l’habit de ses mains. Toute la Noblesse du Pays y avoit esté invitée, & Madame la Marquise de Briquemault, nouvelle Convertie, de la Maison de la Force, y assista avec une pieté tres-édifiante. Mr le Prieur de Briquemault, qui fit l’exhortation, parla avec une force & une éloquence dont tout l’Auditoire fut charmé. Il fit voir dans son discours que le Convent estoit un asile à la vertu persecutée, ou par les veritables tentations, ou par les fausses loüanges du monde, & que c’estoit dans cette pensée que Madame la Princesse de Meckelbourg avoit fait bastir un Monastere dans la Ville de Chastillon, afin de contribuer à la sainteté des Peuples, & de faire adorer le Sauveur du Monde dans le lieu mesme, où l’Heresie avoit triomphé pendant tant d’années. Il dit que si Noé avoit esté loüé par S. Paul d’avoir basti une Arche pour garantir sa Famille du Deluge, cette Princesse meritoit de grandes loüanges, de n’avoir rien épargné pour achever cette Arche mistique de la Vie Religieuse, où tant d’ames viendroient jusques à la fin des siecles, se sauver du deluge des crimes des hommes. Il ajoûta que sa pieté n’en demeuroit pas là ; que non contente d’avoir dressé un Temple à la misericorde d’un Dieu riche, elle vouloit encore élever un Autel à la misere d’un Dieu pauvre, (il designoit par là un Hospital qu’elle fait bastir) afin que ce Dieu, soit qu’il se cachast sous les voiles du Sacrement pour faire grace, soit qu’il se mist sous les haillons des Pauvres pour la demander, fust par tout également l’objet de ses liberalitez & de sa Religion. Lors qu’il eut finy, on fit les ceremonies accoutumées dans une pareille occasion, & la jeune Demoiselle qui prenoit l’habit, donna toutes les marques que l’on pouvoit souhaiter d’une veritable vocation.

[Histoire] §

Mercure galant, octobre 1689 [tome 10], p. 163-210.

 

J’ay presentement à vous parler d’un engagement d’une autre nature. Une fort aimable personne, née avec beaucoup d’esprit, & qui en auroit eu encore davantage, si on eust voulu consentir à luy permettre quelque pratique du monde, a éprouvé depuis peu de temps que quelquefois l’amour se sert de voyes détournées, qui font que l’on passe en un moment de la plus grande infortune à l’estat le plus heureux. Sa Mere estant morte lors qu’elle estoit dans son plus bas âge, elle demeura sous la conduite d’un Pere, qui se voyant défait d’une Femme, naturellement aussi liberale qu’il estoit avare, & dont les dépenses luy avoient donné de grands chagrins, renonça pour toûjours au mariage, & ne songea plus qu’à reparer par de vilaines épargnes le desordre qu’il pretendoit qu’elle eust mis dans ses affaires. Il avoit beaucoup d’argent comptant, & n’estant point scrupuleux sur la maniere de le faire profiter, il en tiroit de gros interests qui luy firent bien-tost amasser des sommes considerables. Lors que sa Fille eut douze ans, il se resolut à luy donner une espece de Gouvernante pour avoir l’œil sur ses actions, & l’accompagner quand elle iroit à l’Eglise, ou chez une Tante qui demeuroit dans le Voisinage. C’estoit la seule visite qu’il luy permettoit de faire. Cette Tante qui l’aimoit avec tendresse, & qui voyoit que son Pere estoit en estat de la marier un jour avec de grands avantages, voulut l’obliger à luy choisir quelques Maîtres, tant pour la Danse & le Chant, que pour d’autres choses qui semblent donner du merite aux Filles, mais il trouva à propos de n’en rien faire, & crut que c’estoit avoir remply tous les devoirs d’un bon Pere, que d’avoir mis auprés d’elle une Fille sage, qui luy tenant toûjours compagnie, devoit l’empescher de s’ennuyer. Heureusement cette Gouvernante avoit des lumieres au dessus de celles qui se rencontrent ordinairement dans ces sortes de personnes, & ayant trouvé dans la jeune Demoiselle dont on luy confioit l’éducation, des dispositions tres-favorables, elle s’appliqua à regler ses sentimens, & n’eut pas de peine à y réüssir. En luy peignant les defauts qu’elle devoit éviter, elle luy fit prendre une égalité d’humeur, & une droiture d’ame qui la rendoient toute aimable. Cependant, comme elle avoit les traits assez reguliers & le teint fort vif, ce fut à seize ans une tres-belle personne. Tous ceux qui la rencontroient lors qu’elle alloit à l’Eglise ou chez sa Tante, prenoient plaisir à la regarder, & si elle estoit touchante par les agrémens de sa personne, elle plaisoit encore davantage par sa modestie. Plusieurs personnes, pour qui de si beaux dehors estoient un grand charme, tâcherent de trouver accés chez elle, dans le dessein de connoistre si son cœur & son esprit répondoient à sa beauté ; mais ils furent obligez de s’en rapporter au bien qu’en disoient les Domestiques. Il luy estoit défendu de voir personne, & elle avoit d’elle mesme de trop grands scrupules de vertu pour consentir à des visites secretes. Ainsi les plus amoureux prirent le party de se déclarer au Pere. Il avoit des yeux qui l’asseuroient de ce que valoit sa Fille, & d’ailleurs les loüanges que luy donnoient ceux de ses Voisins chez qui il se trouvoit quelquefois, l’avoient rendu si fier là-dessus, qu’il la regardoit comme un tresor dont il devoit retirer de grands avantages. Il écoutoit tous les Pretendans, & quand on luy demandoit quelle avance il avoit dessein de faire à sa Fille, il répondoit, que non seulement on n’en devoit point attendre d’autre que celle de sa beauté, mais qu’il pretendoit ne la marier qu’à des conditions tres-avantageuses. L’amour le plus échaufé se trouvoit fort refroidy par cette réponse ; & comme elle rebutoit tous les Amans qui se presentoient, ceux de la Famille qui voyoient avec chagrin qu’il refusoit de tresbons partis, tâcherent de l’obliger à parler une autre langue ; mais leurs remontrances ne gagnerent rien sur son avarice. Il leur disoit qu’il n’y avoit que les laides à qui il falloit donner de l’argent pour s’en défaire ; qu’il n’estoit point encore ennuyé de garder sa Fille ; qu’elle luy faisoit plaisir à voir ; que quand elle avanceroit en âge il prendroit soin de luy trouver un Mary, & que cependant il estoit juste qu’on le laissast joüir de son bien, puis qu’il avoit eu tant de peine à l’amasser. La Belle qui s’accoutumoit insensiblement à la retraite, & qui ne voyant personne, n’avoit encore fait nul usage de son cœur, menoit une vie tranquille qui n’estoit troublée de rien. Elle aimoit l’ouvrage & la lecture, & s’y occupant agreablement, elle passa encore trois ou quatre années sans avoir songé qu’elle deust jamais changer d’estat. Elle ne pensa à l’importance du choix qu’elle avoit à faire, que lors qu’il luy dit un jour qu’il estoit tout fait, & que tandis qu’elle se reposoit sur ses soins d’un établissement qui luy fust propre, il avoit veillé en bon Pere à luy chercher un party avantageux. C’estoit un homme d’une qualité considerable, qui ayant beaucoup de bien luy devoit donner un grand équipage, & qu’une grande reputation de probité & de sagesse faisoit estimer & considerer de tout le monde. Il l’avoit souvent examinée dans l’Eglise, & sa modestie l’avoit charmé. La Belle répondit en Fille d’esprit, qu’elle ne pouvoit douter qu’en choisissant par ses yeux, elle ne deust estre heureuse, mais qu’elle ne s’assuroit pas assez sur la bonne opinion que l’on avoit conceuë d’elle, pour ne trouver pas fort important que l’on jugeast par quelque entreveuë si elle estoit veritablement ce qu’on la croyoit ; que le merite regardé de loin brilloit sans peine sur des dehors un peu apparens, mais que regardé de prés, il n’estoit souvent rien moins que ce qu’il avoit paru ; que chacun avoit son goust ; que ce n’estoit pas assez que les yeux fussent contens ; qu’il falloit aussi que l’esprit le fust, ce qui demandoit qu’on ne précipitast rien dans une affaire qui engageoit pour toute la vie. Une réponse si sage ne plut pas au Pere, qui dit brusquement & d’un ton d’empire, que toutes les informations estoient faites ; que celuy qui la vouloit épouser estoit content d’elle ; que comme il la devoit mettre dans une grande fortune, il ne falloit pas luy laisser le temps de se repentir ; que plusieurs raisons l’avoient obligé de le prier que le mariage se fist au plûtost & secretement ; qu’il en avoit donné sa parole, & qu’il pretendoit se faire obeir. Ce secret, & cette précipitation à conclure firent comprendre à la Belle que le Mary qu’on luy proposoit n’avoit pas une entiere liberté de disposer de luy-mesme. Elle en témoigna de l’inquietude, mais fort inutilement. On refusa mesme de luy apprendre son nom. Son Pere devoit dresser des Articles entierement à son avantage, qu’elle signeroit aveuglement, aprés quoy elle choisiroit un jour pour se trouver de grand matin à l’Eglise. Tout ce mistere l’effraya si fort, qu’elle protesta que dans quelque rang que la pust mettre celuy qu’on vouloit qu’elle épousast, nulle autorité ne l’y feroit consentir qu’elle ne luy eust au moins parlé une fois. Elle se montra si ferme dans cette resolution, qu’il fut obligé de luy promettre de la satisfaire, & par consequent de luy avoüer que c’estoit un homme un peu avancé en âge. Il ne luy fallut rien dire de plus pour luy faire entendre qu’il estoit du moins sexagenaire. Elle en versa force larmes avec la Demoiselle qui avoit eu soin de l’élever, & qui connoissant le Pere d’une humeur fort absoluë, ne sceut que luy conseiller sur le party qu’elle devoit prendre. Il fut seulement resolu entre elles, que quand le bon homme luy viendroit rendre visite, on le feroit suivre en s’en retournant afin de sçavoir qui il estoit, & de voir ensuite ce qu’on auroit à resoudre. La Tante ayant sceu la chose fit ce qu’elle put pour rompre le coup, mais le Pere avare qui trouvoit son compte à vendre sa Fille, demeura inexorable, & aprés luy avoir dit d’un ton menaçant qu’elle prist bien garde à ne pas détruire par un accueil incivil ce qu’il avoit fait pour sa fortune, il luy amena un soir l’honneste Vieillard à qui elle avoit eu le malheur de plaire. C’estoit un homme qui alloit beaucoup au delà de soixante ans, mais à qui diverses conquestes qu’il avoit faites pendant son jeune âge, laissoient conserver encore je ne sçay quoy de galant qui le rendoit supportable. Il estoit aisé de voir à ses manieres qu’il estoit de qualité. Il parloit bien, & l’amour ajoûtant un nouveau feu à la vivacité qui luy estoit naturelle, il dit à la Belle mille jolies choses sur ce que l’amour luy faisoit faire. Il s’étendit fort sur son merite, & luy donna des loüanges qui auroient pu la flater dans une autre bouche. Elle y répondit modestement, & lors qu’il l’eut priée de ne point trouver mauvais qu’il pressast les choses, l’impatience estant pardonnable quand il s’agissoit d’un bien aussi precieux que celuy qu’il poursuivoit, elle luy dit sans luy témoigner aucun dégoust, qu’il ne devoit point estre surpris si ayant toujours mené une vie fort retirée, où elle n’avoit jamais esté occupée que de son ouvrage, elle ne pouvoit se resoudre tout d’un coup à changer d’estat ; qu’elle avoit besoin d’un mois pour se reconnoistre, & que s’il vouloit qu’elle fust persuadée des sentimens favorables dont il l’assuroit, il luy donneroit ce temps pour se disposer à ceux qu’elle devoit prendre. Il essaya d’accourcir le terme & estant enfin contraint de ceder, il la conjura d’agréer quelques Pierreries qu’il luy avoit apportées pour gages de son amour. Le Pere qui la vouloit engager, & qui jugeant d’elle par rapport à luy, croyoit qu’elle dust estre ébloüie de ce present, luy dit qu’elle pouvoit l’accepter, le mariage estant déja conclu de parole ; mais le Vieillard eut beau la presser ; elle resista toûjours en disant que ce seroit bien mal debuter, que de faire voir qu’elle eust l’ame interessée, & qu’ayant dessein de meriter son estime, elle vouloit luy donner sujet de la croire digne de son choix. Tout cela fut dit, & avec esprit, & d’une maniere honneste, & le bon homme aprés avoir laissé plusieurs fois ses Pierreries sur la table, fut obligé de les remporter. Il sortit fort amoureux, & en assurant la Belle que c’estoit luy faire un grand sacrifice que de consentir au retardement qu’elle demandoit. La Demoiselle qui s’étoit chargée du soin de le faire suivre, avoit donné de bons ordres. Ils furent executez sans qu’il pust le remarquer, & on sceut par là tout ce qu’on avoit envie de sçavoir. Il estoit riche & de qualité, & la cause du secret qu’il vouloit garder dans son mariage, venoit de l’obstacle qu’il craignoit de la part d’un Fils unique, qui joüissant du bien de sa Mere qui estoit considerable, faisoit dans le monde une assez belle figure. Il ne doutoit point que ce Fils estant aimé, n’employast des personnes d’un grand poids pour le détourner de son dessein, & il ne pouvoit éviter l’éclat que feroient ses brigues qu’en se mariant sans qu’on le sceust. La Belle alla porter ces nouvelles à sa Tante, & prit son avis sur ce qu’elle avoit à faire. Le Vieillard, comme Vieillard, n’avoit rien de dégoustant, mais la disproportion de l’âge estoit une chose sur laquelle il luy estoit impossible de se vaincre, & on luy parloit d’un ton si imperieux qu’elle ne sçavoit comment se défendre d’obeïr. Aprés un long examen, elles ne purent trouver de moyen plus seur pour rompre l’affaire, que d’en avertir le Fils. Elle estoit entierement contraire à ses interests, & il n’y a point de motif plus fort pour mettre un homme qui a du credit dans tout le mouvement necessaire. La Tante l’envoya prier de luy rendre une visite. Il alla chez elle dés le lendemain, & fut fort surpris d’apprendre l’engagement secret de son Pere. Il demanda qu’on fist traisner la chose en longueur, afin d’avoir plus de temps à ménager son esprit. Il le vouloit gagner par adresse, le respect qu’il avoit pour luy ne permettant pas qu’il fist un éclat qui pouvoit le rendre ridicule dans le monde. La Belle arriva lors qu’ils agitoient cette matiere, & ses traits vifs & piquans fraperent si fort le Cavalier, qu’aprés l’avoir regardée quelques momens, il fut forcé de luy dire, qu’il ne pouvoit plus condamner son Pere. Elle receut la galanterie d’un air modeste, & y répondit avec esprit. Elle entra ensuite dans le détail de l’affaire qui les regardoit également, & dit qu’elle ressentoit comme elle devoit l’honneur qu’on luy vouloit faire, & que si elle montroit de la repugnance à l’accepter, ce n’estoit pas dans la veuë de se conserver pour quelque Amant, à qui elle eust engagé son cœur ; qu’elle avoit toûjours vescu dans une retraite qui éloignoit d’elle l’ombre mesme du soupçon, mais que regardant le mariage comme l’affaire la plus importante de la vie, elle ne s’y resoudroit jamais que pour remplir son devoir, & rendre heureux par ses complaisances celuy qu’elle épouseroit ; qu’il n’estoit pas étonnant si une jeune personne avoit de l’éloignement pour un homme qui avoit prés de cinquante ans plus qu’elle ; qu’ordinairement l’inégalité de l’âge ne souffroit point de rapport d’humeur, sans quoy il n’y avoit point d’union à esperer, & qu’elle seroit d’ailleurs au desespoir d’entrer dans une Famille pour y mettre le desordre ; que le nom de Belle-mere estoit toûjours un nom odieux ; qu’elle avoit un Pere avare, qui apparemment ne la promettoit à un vieil homme que sur des conditions avantageuses pour elle, & qu’ainsi leurs interests estoient si meslez, qu’il ne devoit rien omettre pour l’empescher de luy faire tort. Le Cavalier ne trouva pas moins d’esprit que de sagesse dans tout son raisonnement, & en l’asseurant qu’il travailleroit de tout son pouvoir à son repos il luy promit d’oublier qu’il estoit interressé à la chose, pour n’avoir en veuë que le seul plaisir de l’obliger. Il prit jour pour la revoir, & trois ou quatre conversations, qu’il poussa toûjours fort loin, luy ayant fait découvrir tout son merite, il en fut assez touché pour ne pouvoir s’empescher d’en donner des marques. La Tante s’en apperceut, & conseilla à sa Niece de profiter du pouvoir qu’elle commençoit à prendre sur luy. La Belle luy répondit qu’elle seroit tres-fâchée de luy donner de l’amour, puis qu’il ne pourroit servir qu’à le rendre malheureux par l’obstacle de deux Peres, dont l’un ne cederoit pas ce qu’il demandoit pour luy, tandis que l’autre possedé par l’avarice s’attacheroit à des propositions déraisonnables. Cependant il se passa quinze jours sans que le Cavalier eust rien avancé. Il se contentoit de dire qu’il préparoit un obstacle qui renverseroit tous les desseins que l’on avoit faits, & plus il voyoit la Belle, plus il en étoit charmé. Le temps avançoit. Le bon homme aussi pressant qu’amoureux, luy rendoit souvent des visites dérobées, & elle craignoit que sa passion prenant tous les jours de nouvelles forces, ne l’aveuglast à la fin assez pour l’empescher d’entendre raison. Elle entretint le Cavalier de sa crainte, & il l’assura de l’en tirer, pourveu qu’elle luy permist de pretendre pour luy-mesme ce qu’il vouloit oster à son Pere. La Belle rougit, & cette rougeur accompagnée d’un aimable trouble, luy ayant assez marqué qu’il ne luy déplaisoit pas, il la conjura de luy découvrir ses sentimens. Elle luy dit d’une maniere agreable, quoy qu’embarassée, que quand elle voudroit croire qu’il luy trouvast assez de merite pour luy donner son attachement, elle luy conseilleroit de ne se pas embarquer dans une entreprise dont il ne pouvoit esperer aucun succés ; qu’un Pere estoit un Rival plus dangereux que tout autre, & qu’elle voyoit le sien d’autant plus à craindre, qu’il faisoit paroistre un amour tres-violent. Ce qu’elle dit ne put étonner le Cavalier. La voye qu’il avoit imaginée luy paroissoit seure, & il la pria de trouver bon qu’il l’expliquast à sa Tante dans un entretien particulier. La Tante trouva l’expedient admirable, & donna parole pour sa Niece, qui n’eut pas de peine à y consentir, que quand on luy permettroit de l’épouser, elle y seroit toute disposée. Il la quitta transporté de joye, & observa le moment qui luy pouvoit estre favorable. Il luy fut aisé de le trouver. Son Pere qui cherchoit à le gagner, avoit pour luy des honnestetez extraordinaires, & il ne luy eut pas plûtost dit, qu’estant devenu éperdûment amoureux d’une fort jolie personne, il alloit estre le plus malheureux de tous les hommes s’il desaprouvoit sa passion, qu’il se montra prest de faire tout ce qui pouvoit dépendre de luy. Il ajousta que loin de la condamner, quand la Demoiselle n’auroit aucun bien, il connoissoit trop combien l’amour estoit violent pour s’opposer à ce qui pouvoit le rendre heureux, & qu’à l’âge qu’il avoit il ne voudroit pas encore répondre d’avoir le cœur insensible. Le Cavalier qui estoit adroit, le conjura de ne se faire aucune contrainte pour ses interests, l’asseurant que s’il avoit quelque veuë pour un second mariage, il recevroit une Bellemere sans aucun chagrin. Rien ne pouvoit mieux flater le Pere, qui aprés luy avoir marqué toute sorte de tendresse, luy demanda ce qu’il souhaitoit qu’il fist pour asseurer le succés de son amour. Il répondit qu’il avoit besoin sur tout qu’il voulust bien luy pardonner une faute que l’emportement de sa passion luy avoit fait faire ; que la Demoiselle dont il estoit si charmé dépendant d’un Pere, qui pour ne luy faire aucune avance, quoy qu’il fust fort riche, avoit refusé obstinément de la marier, il s’estoit laissé conduire à une Parente qui avoit trouvé moyen de la luy faire épouser sans bruit ; qu’il y avoit quatre mois que le mariage estoit consommé ; qu’il n’avoit osé luy en rien dire à cause qu’il n’en pouvoit esperer de bien du vivant du Pere ; qu’il ne sçavoit pas comment il avoit esté gagné par un Gentilhomme de Campagne, dont sa Maistresse (car il feignoit de n’oser encore l’appeller sa Femme) ne luy avoit pu apprendre le nom, mais que ce Pere vouloit qu’elle l’épousast, ce qui la mettoit dans un embarras terrible, qui finiroit s’il vouloit bien l’aller demander pour luy ; qu’il ne seroit pas besoin de luy parler du mariage secret, & que pourveu qu’il le laissast maistre des conditions, il ne doutoit point qu’il ne consentist à le preferer au Gentilhomme, qui estant fort vieux, n’auroit pas de peins à s’en consoler ; qu’en tout cas, s’il vouloit absolument luy tenir parole, on declareroit le mariage, ce qui l’obligeroit de se rendre, pour n’exposer pas sa Fille à des contes qu’il est toujours avantageux d’éviter. Le bon homme étonné de l’avanture, y vit tant de choses qui convenoient à la sienne, qu’il apprehenda que la Femme de son Fils ne fust la belle personne qu’il n’avoit pu s’empêcher d’aimer. Il n’osa luy en demander le nom, pour n’apprendre pas si-tost ce qu’il craignoit de sçavoir, & il se contenta de luy faire differentes questions sur les circonstances de son mariage. Le Cavalier, aprés avoir répondu à toutes, le pria de vouloir bien venir avec luy chez une Tante qui avoit conduit toute l’affaire. Il y alla, & il apprit d’elle tout ce que son Fils luy avoit déja conté, sans que le nom de la Belle eust échapé encore à aucun. Le Cavalier le laissa avec la Tante, afin qu’ils prissent ensemble les mesures necessaires pour détourner le coup qu’ils apprehendoient. Le bon homme qui ne la connoissoit point, fut obligé de luy demander qui estoit celuy dont son Fils avoit épousé la Fille. Imaginez vous avec combien de douleur il entendit prononcer un Nom qui luy apprenoit qu’aucune esperance ne luy pouvoit plus estre permise. La Dame qui l’observoit, le vit changer de visage. Il demeura tout resveur, & la laissa parler quelque temps sans luy répondre. Ce silence luy donna lieu d’ajoûter que s’il balançoit à pardonner à son Fils ce que l’amour luy avoit fait faire, elle luy feroit connoistre sa Niece, ne doutant point que sa beauté, sa douceur, & les autres bonnes qualitez qu’il découvriroit en elle, ne luy fissent souhaiter de l’avoir pour Belle-fille, & que si elle n’avoit pas de bien present, elle estoit l’unique Heritiere d’un homme fort riche, qui en amassoit encore tous les jours. Il répondit qu’il la connoissoit sans avoir sceu qu’elle fust sa Niéce, & que peut-estre dés ce mesme jour, elle apprendroit quelque chose dont elle seroit surprise. Il retourna chez luy lors qu’il l’eut quittée, & passa deux heures dans son Cabinet. Apparemment il les employa à voir ce qu’un homme sage avoit à resoudre. Le mariage secret de son Fils qui luy venoit d’estre confirmé, rendoit inutiles les pretentions qu’il avoit euës, & il ne pouvoit s’y opposer aprés les démarches qu’il avoit faites, sans faire connoistre sa foiblesse à tout le monde. Il eust esté accusé, ou de jalousie, ou d’un sentiment ridicule de vangeance s’il eust éclaté, & c’eust esté apprester à rire à ceux qui prennent avidement l’occasion de faire un bon conte. Ainsi le seul party qu’il vit propre à le tirer d’embaras, ce fut de trouver un pretexte honneste pour se degager auprés de la Belle, & voicy enfin comment il s’y prit. Il l’alla trouver, & luy dit en presence de son Pere, qu’il avoit toujours pour elle la mesme tendresse & la mesme estime, mais qu’il n’avoit feint de la vouloir épouser, que pour s’asseurer si elle avoit un esprit flexible ; qu’il avoit esté ravy de voir, que toute sa resistance se fust bornée à demander un mois de délay, quoy qu’elle ne dust pas estre contente d’avoir à passer sa vie avec un vieil homme ; que comme il estoit d’un âge qui le garantissoit de l’amour, il n’avoit jetté les yeux sur elle que dans le dessein de la donner à son Fils aux mesmes conditions qu’il avoit déja offertes ; que ce Fils estant en possession du bien de sa Mere avoit dequoy soûtenir toute la dépense à quoy sa qualité l’engageoit ; que l’estime où il estoit dans le monde l’avoit fait assez connoistre, & qu’il n’y avoit guere d’emplois ausquels il ne pust pretendre. Le Pere n’eut point à se plaindre de ce changement. Au contraire il le trouva si avantageux, que faisant effort sur luy, il fit à sa Fille une avance raisonnable. Vous jugez bien qu’elle eut grande joye d’une déclaration si peu attenduë. Le Cavalier prit la place du bon-homme, & feignant de croire que le hazard avoit fait qu’il luy eust choisy pour Femme la mesme personne dont il s’estoit dit l’Epoux, il luy en fit des remercimens proportionnez à son amour. On fit les preparatifs du mariage, qui fut celebré quelques jours aprés, sans qu’on parlast de celuy qu’on pretendoit avoir esté fait secretement quatre mois auparavant.

[Voyage de la Cour à Fontainebleau] §

Mercure galant, octobre 1689 [tome 10], p. 247-249.

 

La Cour est de retour de la promenade à Fontainebleau. Jamais le Roy ne s'est si bien porté ; il ne s'est point passé de jour qu'il n'y ait eu Chasse, & souvent plûtost deux qu'une. Sa Majesté a pris plusieurs fois ce divertissement, malgré la fatigue que cet exercice donne. C'est une marque de sa parfaite santé. Ce Prince a traité magnifiquement les Dames qui avoient esté nommées pour estre de ce voyage, Il y a eu tous les soirs Comedie ou Appartement. Ces plaisirs estoient alternatifs.

Air §

Mercure galant, octobre 1689 [tome 10], p. 297-299.

Quoy que la Chanson que je vous envoye ne soit pas nouvelle, elle a presentement un si grand cours à Paris, qu'elle ne peut estre que favorablement receuë en Province. Les paroles sont de l'illustre Mr de la Fontaine, & l'air est du fameux Mr Charpentier, qui a une si grande connoissance de toutes les beautez de la Musique.

AIR.

Avis pour placer les Figures : l’Air qui commence par, Brillantes fleurs, naissez, doit regarder la page 298.
Brillantes fleurs, naissez,
Herbe tendre, croissez
Le long de ces Rivages.
Venez, petits Oiseaux,
Accorder vos ramages
Au doux bruit des Ruisseaux.
***
Climene sur ces bords
Vient chercher les tresors
De la Saison nouvelle.
Messagers du matin,
Quand vous verrez la Belle
Chantez sur son chemin.
***
Et vous, charmantes fleurs,
Douces filles des pleurs
De la charmante Aurore,
Meritez que la main
De celle que j'adore
Vous moissonne en chemin.
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