1690

Mercure galant, mai 1690 [tome 5].

2017
Source : Mercure galant, mai 1690 [tome 5].
Ont participé à cette édition électronique : Nathalie Berton-Blivet (Responsable éditorial), Anne Piéjus (Responsable éditorial), Frédéric Glorieux (Informatique éditoriale) et Vincent Jolivet (Informatique éditoriale).

Mercure galant, mai 1690 [tome 5]. §

Air nouveau §

Mercure galant, mai 1690 [tome 5], p. 32-33.

Jamais Chanson ne fut plus du temps que celle que je vous envoye, puis qu'elle regarde, non seulement la belle Saison, mais encore le commencement de la Campagne. L'Air & les paroles sont de Mr de Bacilly, dont le merite vous est si connu.

AIR NOUVEAU.

Avis pour placer les Figures : l’Air qui commence par, Dans ce charmant sejour que de fleurs vont renaistre, doit regarder la page 32.
Dans ce charmant sejour que de fleurs vont renaistre !
Mais las ! en mesme temps
Que l'aimable Printemps
Recommence à paroistre,
Tous les Amans s'en vont, & changent en soupirs
Les innocens plaisirs.
***
Que nous sert que des fleurs la Saison renouvelle ?
Ceux qui charment nos yeux,
S'éloignant de ces lieux
Vont où Mars les appelle.
L'amour faisoit leur gloire, & la gloire à son tour
L'emporte sur l'amour.
images/1690-05_032.JPG

Eglogue §

Mercure galant, mai 1690 [tome 5], p. 33-36.

Tous les Ouvrages que vous avez vûs de Mr Magnin, ont esté de vostre goust. L’Eglogue qui suit est de sa façon, & je suis persuadé que vous la lirez avec plaisir.

EGLOGUE.

Lors que l’on dit à Tircis
Que son Iris est coquette,
Il répond, à mon Iris
On dit aussi que je suis
Tout basti comme elle est faite.
Doit-elle moins me charmer ?
Point du tout ; toute ma vie
C’est par cette simpathie
Que je pretens de l’aimer.
Elle est belle, elle est aimable,
Elle en dit autant de moy.
Le mal paroist incurable
A ceux qui manquent de foy ;
Mais lors que l’amour assemble
Coquette & Coquet ensemble,
Ne sçait-il pas bien pourquoy ?
Souvent la coqueterie
Finit par cette union ;
La friponne & le fripon
Font troc de friponnerie,
On est las de tromperie,
Et l’on s’aime tout de bon.
C’est à tort qu’on trouve étrange
Qu’on se dégage & qu’on change,
Souvent c’est pour trouver mieux.
On est tendre, on est fidelle,
On fait une amour nouvelle,
Le trafic est serieux.
Quand on quitte un cœur volage,
C’est estre prudent & sage
De sçavoir se dégager ;
C’est aimer jusqu’à la rage
De ne pouvoir pas changer.
Le Berger & la Bergere
S’aiment fort, ils sont contens,
Sans cesse sur la fougere
Ils font mille passe-temps.
Chacun dit, laissez-les faire,
Cette tendresse legere
Ne durera pas long-temps.
Cela ne les trouble guere,
Ils laissent dire les gens.
Qu’on glose sur leur affaire,
Leurs plaisirs iront leur train ;
De tout ce qu’on pourra dire
Ils ne feront que se rire,
De leurs feux on glose en vain.
Sur cette petite histoire,
Amans, voulez-vous m’en croire ?
Voicy le sens & le fruit ;
Si vos cœurs à la tendresse
Sont enclins, aimez sans cesse,
Et ne craignez point le bruit.

L’art d'écrire & de parler occultement & sans soupçon §

Mercure Galant, mai 1690, p. 36-38, 101-104.

Le sçavant Mr Comiers tout aveugle & maltraité de la fortune qu'il est, continuë de travailler, & fait voir toujours les lumieres de son esprit. C'est luy qui a fait le Traité que vous allez lire. Quoy que cet Ouvrage puisse estre utile en tout temps, il l'est particulierement pendant la guerre, qui est le vray regne des Lettres en Chifres.

L'ART D'ECRIRE
& de parler occultement
& sans soupçon.
AV R. P. DE LA CHAISE,
Confesseur du Roy.

[...]

 

Avec une bonne trompette que le commun appelle parlante, avertissez premierement vostre Ami par quelque chanson, ou autre parole, de se préparer à vous écouter, & quand vous aurez connu par le bruit de sa trompette, ou par quelque autre signal, qu'il est préparé, prononcez fortement & bien distinctement la valeur des chifres de chaque classe, en parlant ainsi, Quatre mille cent dix, & un moment aprés prononcez aussi ces mots bien articulez, Deux mille trente, puis prononcez Mille six cens quarante-six, puis cinq mille soixante & neuf, &c. Vostre Ami écrira en mesme temps en chifres les mêmes nombres à mesure que vous les prononcerez par paroles ; & ainsi il trouvera avoir écrit tout de suite le nombre 4. 1. 10. 20. 30. 1. 6. &c. que par le mot du guet, 28a die Februarii 1690. il interpretera & trouvera signifier les trois mots Comier, Aveugle Roial.

On peut facilement faire cet essay de parler par chifres mesme par la voye naturelle. Vostre Ami estant dans un pavillon, ou au bout d’une longue allée, & vous dans l’autre, où la Compagnie vous donnera quelques mots pour les luy faire sçavoir en parlant par les nombres, il déchifrera & redira à haute voix. Par exemple, Je suis vostre, &c. Comiers, Aveugle Roial.

Vous trouverez dans ma Lettre du mois prochain ce qui reste de cet Ouvrage, selon les articles que Mr Comiers a marquez au commencement de ce Traité.

[Histoire] §

Mercure galant, mai 1690 [tome 5], p. 137-159.

Tous les cœurs ne sont pas également disposez pour les impressions de l’amour ; elles sont beaucoup plus vives dans les uns que dans les autres, & l’avanture dont je vais vous faire part en est un seur témoignage. Un Cavalier galant & bien fait, à qui son Pere, mort depuis deux ans, avoit laissé de grands biens, fut obligé d’aller passer quelques jours à une Terre fort considerable, où des bastimens à reparer rendoient sa presence necessaire. Il n’y fut pas plûtost arrivé qu’il donna ses soins pour ce qu’il vit qui pressoit le plus, & crut devoir prendre cette occasion pour visiter la Noblesse de son voisinage. Il alla sur tout chez une Dame extrémement estimée dans le Païs, & fut surpris de la beauté d’une jeune Niece qu’il vit auprés d’elle. A bien examiner tous ses traits on ne les pouvoit trouver entierement reguliers ; mais ils estoient tellement piquans, & la vivacité de son teint les faisoit briller avec tant d’éclat, qu’on ne voyoit en la regardant que des amours & des graces. Un sousrire gracieux la rendoit aimable en tout ce qu’elle disoit ; & quoy qu’elle n’eust encore que quinze à seize ans, son esprit estoit aussi formé que sa taille. Elle l’avoit doux & fort enjoüé, & son enjoüement estoit soustenu d’une grande modestie. Le Cavalier ne se lassa point de jetter les yeux sur elle, & en luy donnant beaucoup de loüanges, qui firent connoistre qu’il avoit autant d’esprit qu’il estoit galant, il felicita la Tante sur le bonheur d’avoir une Niece aussi accomplie qu’il la voyoit. On luy répondit fort civilement, & la conversation fut interrompuë par l’arrivée de deux ou trois Gentilshommes des environs, qui vinrent l’un aprés l’autre, & qui debiterent force douceurs à l’envy à cette belle Personne, mais d’une maniere assez campagnarde pour bien divertir le Cavalier & la Tante. La Niece à qui leurs hommages estoient adressez, se tiroit d’affaires admirablement, & sçavoit mêler dans la pluspart des réponses qu’elle leur faisoit, une fine raillerie qui faisoit voir que le foible de chacun luy estoit connu. L’un d’eux luy ayant parlé un moment tout bas, elle dit tout haut qu’elle n’écoutoit jamais rien de cette sorte, & que cependant elle vouloit bien luy répondre en general qu’elle avoit toujours entendu dire que les Filles ne sçavoient ce que c’estoit que d’avoir un cœur ; qu’on l’avoit remise entre les mains de sa Tante, & que quand on luy diroit quelque chose qui ne seroit pas de sa portée, ce seroit par elle seule qu’elle en recevroit l’explication. Ce discours fit connoistre au Cavalier que cette Tante avoit le pouvoir de disposer de sa Niece, & un sentiment secret qu’il ne pouvoit encore démesler, l’obligea d’avoir mille honnestetez pour elle. Comme il avoit un veritable merite, & qu’une longue habitude parmy le beau monde, luy en avoit fait acquerir la politesse, la Tante le voyoit avec plaisir, & le favorable accueil que la Niéce luy faisoit, le rendit fort assidu dans ses visites. Tout le chagrin qu’il avoit, c’estoit de la voir toujours environnée de ses Amans campagnards, mais cela n’empeschoit point qu’il ne luy dist fort souvent des choses flateuses, & il avoit la douceur de remarquer, que tout ce qu’il luy disoit en estoit receu d’une façon assez distinguée pour luy donner lieu de croire qu’elle se faisoit un plaisir de l’écouter. Cela dura quinze jours, & à force de la voir & de bien gouster son humeur & son esprit, le Cavalier qui estoit vif sur la passion, en devint si amoureux, que dans la crainte d’estre prevenu par quelqu’un de ses Amans, dont l’un estoit extrémement riche, il se resolut de se declarer. Il en prit l’occasion deux jours aprés, que s’estant rendu de bonne heure chez le Dame, il y fut receu par la Niéce seule tandis que sa Tante donnoit quelques ordres Domestiques. Il luy dit d’abord tout ce qu’une forte passion peut inspirer de plus tendre, & luy demanda ensuite s’il seroit assez heureux pour ne luy déplaire pas en parlant de mariage ; qu’il avoit assez de bien pour luy pouvoir faire un party avantageux, & que pourveu qu’elle l’asseurast que sa personne luy estoit pas desagreable, ses Parens seroient les maistres de tout. La Belle surprise d’une declaration si peu attenduë, luy répondit qu’elle voyoit bien par la maniere dont il s’expliquoit, qu’il luy falloit parler serieusement ; que les sentimens de consideration particuliere qu’il venoit de luy marquer luy faisoient honneur, & que mesme elle vouloit bien luy avoüer qu’elle l’estimoit assez pour ne douter pas qu’ils ne luy eussent fait plaisir si elle se fust trouvée dans un autre estat que celuy où elle estoit, mais qu’elle ne devoit plus luy cacher que ses Parens l’avoient mariée depuis six mois à un vieux Gentilhomme fort riche, dont la Terre estoit éloignée de trente lieuës ; qu’ayant esté appellé à Paris pour une affaire pressée, il l’avoit amenée chez sa Tante, où il la laissoit jusqu’à son retour ; que se voyant dans un lieu où elle n’estoit connuë de personne, & estant persuadée que sa jeunesse & un peu d’agrément dans sa figure, luy attireroient les vœux de quelques Provinciaux, elle l’avoit priée de soufrir, qu’elle passast pour Fille chez elle afin de se donner ce plaisir ; qu’il en avoit veu l’effet par les douceurs que luy debitoient certaines gens qu’elle n’avoit pas assez estimez pour se mettre en peine de les détromper, mais que pour luy, elle estoit fachée de voir qu’il eust pris pour elle une passion qu’elle n’avoit pas pretendu luy inspirer, puis qu’elle devoit luy être inutile, & qu’elle conserveroit un souvenir éternel de sa generosité sur les avantages qu’il auroit voulu luy faire si elle eust esté ce qu’il la croyoit. Le Cavalier demeura comme immobile à cette réponse, & voyant entrer la Dame, il se plaignit de la cruauté qu’elle avoit euë de consentir à le rendre le plus malheureux de tous les hommes, faute d’avoir voulu l’éclaircir. Ensuite il luy expliqua ses sentimens avec plus de force qu’il n’avoit fait à sa Niece, & elle fut étonnée de voir en si peu de temps une passion si vive. Cependant il fut contraint de la renfermer entierement dans son cœur. Cela le rendit plus mélancolique, mais il n’en eut pas moins d’empressement à continuer de voir la Belle, à qui n’osant plus parler d’amour, il ne laissoit pas de dire mille choses obligeantes qu’elle recevoit agreablement. Cet innocent commerce dura encore dix ou douze jours. Le Mary estant revenu un soir, emmena sa femme dés le lendemain, & le Cavalier partit presque en mesme temps. Il ne fut pas plutost à Paris, que pour éloigner l’image flateuse qui s’offroit à luy à tous momens, il voulut voir tout ce qu’il y connoissoit de belles Personnes, mais rien ne put effacer de son esprit les fortes impressions que la jeune Dame y avoit faites. Enfin trop rempli de son idée, il crut qu’il la banniroit en faisant quelque voyage. Il alla en Italie, & passa trois ans à voir ce qu’elle a de plus curieux. Son esprit distrait par tant d’objets differens, s’occupa moins de sa passion, & il revint à Paris, & plus tranquille du costé du cœur, & plus poly sur beaucoup de choses. Si-tost qu’il fut de retour, non seulement il reprit ses premieres habitudes, mais il en fit de nouvelles. Une Dame d’un fort grand merite, mais qui estoit extrémement laide, souhaita qu’il fust de ses Amis. Il luy trouva infiniment de l’esprit, & sa conversation luy faisant plaisir, sa laideur n’empescha pas qu’il ne la vist fort assidument. Elle avoit une Fille assez jolie, mais d’un genie mediocre, & le Cavalier naturellement honneste, luy parlant obligeamment, comme l’on fait à toutes les Filles qu’on flate toujours, on s’imagina que ses frequentes visites venoient de l’amour qu’il avoit pour elle. Le bruit en courut ; & un de ses Amis luy disant un jour qu’on ne doutoit pas qu’il n’en fust touché, il l’assura qu’il estoit fort à couvert d’un engagement de cette nature. Là-dessus il luy conta tout ce qui s’estoit passé entre luy & la jeune Dame qu’il ne pouvoit oublier, & porta si loin ce qui luy restoit dans le cœur pour elle, qu’il se tenoit seur de resister à la plus belle Personne. Son Ami se mit à rire, & le pria de l’accompagner chez une Veuve dont il vouloit luy donner la connoissance, l’asseurant que s’il pouvoit la voir quelque temps sans que son repos en fust troublé, il le croiroit aussi insensible qu’il prétendoit l’estre ; que pour luy il l’avoit aimée jusqu’à la folie, mais qu’enfin n’ayant pû vaincre son indifference, non plus que bien d’autres qui n’avoient pas esté plus heureux que luy, il s’estoit vû obligé de la voir plus rarement, & de se resoudre à n’estre que son Ami. Le Cavalier qui cherchoit luy-mesme tout ce qui pouvoit contribuer à sa guerison, suivit son Ami chez cette Veuve ; mais quelle surprise, lors qu’en entrant dans sa chambre, il la reconnut pour la jeune Dame qui l’avoit charmé ! Si la joye qu’il en montra parut excessive, l’accueil que luy fit la Dame fut si obligeant qu’il eut tout sujet d’en estre content. Son Ami ayant compris par leurs premieres paroles ce qu’ils n’eurent pas besoin de luy expliquer, leur dit en riant qu’ils se connoissoient assez pour se passer aisément de luy, & les laissa raisonner tout à loisir sur la rareté de leur avanture. Le Cavalier ne pouvoit trouver d’expression assez forte pour témoigner à la Dame le transport de joye où il estoit. Il apprit d’elle que quelque temps aprés qu’elle l’eut quitté, son vieux Mary estoit mort subitement ; que comme par son Contrat il luy avoit fait des avantages qui la mettoient en estat de mener une vie douce & commode, elle estoit venuë prendre maison à Paris où estoient tous ses parens ; qu’elle y avoit demandé de ses nouvelles ; qu’on luy avoit dit qu’il estoit en Italie, & qu’elle s’estoit si bien trouvée du Veuvage, que quoy que plusieurs Partis se fussent offerts, elle n’avoit voulu écouter personne. Le Cavalier ne manqua pas de parler pour luy, mais elle luy dit qu’il ne falloit pas aller si viste, & qu’outre qu’elle étoit assez irresoluë sur le changement d’estat qu’il luy proposoit, il seroit bon pour luy-même qu’il la connust un peu davantage. Deux mois se passerent sans qu’elle terminast rien, mais enfin ils estoient nez l’un pour l’autre, & le panchant l’emporta. Elle se souvint qu’il l’avoit aimée purement pour elle, & de la maniere la plus desinteressée, & sa constance obtint le consentement qu’elle ne pouvoit refuser à son amour.

[Avis] §

Mercure galant, mai 1690 [tome 5], p. 204-211.

Ayant à vous faire part d’un avis qu’on a donné icy au Public, je vous l’envoye dans les mesmes termes qu’il y a esté distribué. Mr Richard, Prestre de Saumur en Anjou, Auteur du Livre Du Choix d’un bon Directeur, dédié aux Demoiselles de l’Illustre Communauté de de S. Loüis, fondée par le Roy à S. Cyr prés Versailles, & d’autres Ouvrages imprimez à Paris, travaille presentement à l’Histoire des Fondations Royales, & des Etablissemens faits sous le Regne de Loüis le Grand, en faveur de la Religion, de la Justice, de la Guerre, des Sciences, des beaux Arts, & du Commerce, & comme il est beaucoup avancé dans son Ouvrage, il prie tous ceux qui ont des connoissances certaines des commencemens, des motifs, des progrés, de l’utilité, & de tout ce qu’il y a de remarquable, tant pour les personnes qui ont donné le dessein, ou qui s’y sont distinguées par leur vertu, que pour les lieux & le temps où ils ont esté établis, de seconder ce grand travail, en luy envoyant bien tost de fidelles copies de leurs Lettres Patentes, avec un abregé historique de ces Fondations & de ces Etablissemens, tel qu’on voudra qu’il soit inseré dans ce Livre. L’Auteur y parlera des Eglises nouvellement bâties, des Chapitres, des Seminaires, des Maisons Religieuses, de l’Institution des jeunes Gentilshommes, de la magnifique Maison de S. Cyr, du superbe Hostel des Invalides, des Maisons Royales, des nouvelles Communautez, des Hôpitaux, de l’Observatoire, des Academies Françoises, des Academies des Sciences, de Peinture & de Sculpture, des Aqueducs, des Ports de Mer, de la Jonction des deux Mers, & generalement de tout ce qui a esté fondé & étably par Lettres Patentes, Edits & Declarations de Sa Majesté, tant dans Paris que dans toute l’étenduë de ses Etats. On espere que tous ceux qui ont receu des marques éclatantes de la bonté & de la liberalité d’un si grand Roy, se feront un juste devoir de luy donner des témoignages assurez de leur reconnoissance, en fournissant à l’Historiographe de ses Fondations Royales & des Etablissemens nouveaux, les actes & les faits capables de laisser à la posterité un monument éternel de la gloire, de la sagesse, & de la pieté du plus grand Heros, du plus magnifique Monarque, & du Prince le plus Chrestien qui ait jusques à present gouverné l’Empire des François, puis qu’il a luy seul pendant son Regne, plus fait de Fondations & d’Etablissemens, que n’en ont fait tous ensemble avant luy les autres Rois ses Predecesseurs. Ceux qui envoyeront des Memoires les adresseront à Paris, chez Jacques le Févre, Marchand Libraire, au dernier pilier de la grande Salle du Palais, à costé de la Chambre des Eaux & Forests, pour les faire rendre à M. Richard, Prestre, Historiographe des Fondations Royales de Loüis le Grand, & auront la bonté d’affranchir les paquets du port, ou d’attendre l’occasion de quelques personnes seures qui viendront de Province à Paris.

Je croyois joindre icy un fort bel Ouvrage de l’Auteur. pour vous faire voir qu’il est tres-capable de soûtenir son entreprise ; mais me trouvant accablé de matiere, se suis obligé de le remettre jusqu’au mois prochain.

[Pompe funebre de Madame la Dauphine] §

Mercure Galant, mai 1690, p. 211, 224-225.

Je viens à l'article de la Pompe funebre de Madame la Dauphine, & je commence par le transport du Cœur de cette Princesse. [...]

 

Ce discours finy, le Corps & les Entrailles furent portez dans l'Eglise par les gardes du Corps, qui les poserent sur une estrade dressée au milieu du Chœur. Il estoit tendu de noir, ainsi que la Nef, avec des lez de velours chargez d'Ecussons. Lors que le corps fut posé, on fit les aspersions & encensemens, & la Compagnie ayant pris ses places, les Religieux commencerent les Prieres. Aprés qu'elles furent achevées, Mr l'Evesque de Meaux celebra la Messe, qui fut chantée par les Religieux, & ensuite on fit de nouveau les encensemens & les aspersions.

[Etablissement d'une Congregation faite à Bordeaux– §

Mercure Galant, mai 1690, p. 225-227.

 

Le 7. de ce mois, Mr l'Abbé Bardin, Principal du College de Guienne, par un effet de sa pieté ordinaire, fit faire l'ouverture de l'establissement d'une Congregation, à l'honneur des Grandeurs de la Vierge. La Messe fut celebrée dans la Chapelle du College, par Mr l'Abbé Darche, Doyen de l'Eglise Metropolitaine St André. Il y avoit une excellente Musique meslée d'Instrumens, de la composition de Mr Blanche, Maistre de Musique de l'Eglise de Saint Severin. Le Pere de la Case prescha avec beaucoup d'éloquence, & aprés les Vespres, chantées aussi en Musique, on fit la Procession du Saint Sacrement dans la court du College. Le Corps de Ville y assista avec les Jurats, accompagnez de leurs Hallebardiers, & cette Feste finit par la Benediction, qui fut donnée dans une tres-belle Chapelle qu'on avoit preparée dans la mesme court, à cause du concours extraordinaire de monde.

[Discours concernant les œuvres scultpées d’Etienne le Hongre]* §

Mercure galant, mai 1690 [tome 5], p. 248-251.

Il y a à l’Arcenal du mesme M. le Hongre, quatre grandes Figures couchées, dont l’une est fonduë, & les trois autres sont prestes à fondre, pour mettre sur le bord des deux Canaux de Versailles, qui occupent la place où estoit auparavant le Parterre d’eau. Ces Figures representent un Fleuve, une Riviere & deux Nimphes. Elles sont tellement étudiées & finies, qu’elles ne peuvent produire que de la gloire à l’Auteur, à cause de la longueur du temps que demandent de tels Ouvrages, pour estre mis dans une grande perfection.

Les autres qu’a faits Mr le Hongre sont sept Bas-reliefs de Jeux d’Enfans à la Colonne de Versailles.

Deux Figures representant deux des douze mois de l’année, qui sont dans la piece octogone de l’appartement de Marbre du mesme lieu.

Deux Vases de metal dans la Salle du Bal du mesme lieu.

Un des Bas-reliefs qui sont à la Fontaine de la Piramide dans le mesme Jardin.

Je ne parle point de beaucoup d’autres Ouvrages de peu de consequence, mais distinguez par la main de l’Ouvrier, faits à Versailles, à Marly, & à l’ancien & au nouveau Trianon. Mr de Saint George, Historiographe de l’Academie de Peinture & de Sculpture, doit les nommer tous dans un Discours auquel il travaille pour y estre prononcé.

[Plaidoyer de Mr de Lamoignon à propos de la sculpture]* §

Mercure galant, mai 1690 [tome 5], p. 265-268.

Mr de Lamoignon estoit intarissable sur cette matiereI, comme vous le connoistrez par les Fragmens que vous allez lire.

On ne peut voir sans étonnement dans l’Histoire, qu’une Statuë de la main d’Aristides fut venduë trois cens septante cinq Talents, & une autre de Policlete six vingts mille Sesterces, & que le Roy de Nicomedie voulant affranchir la ville de Gnide de plusieurs tributs, pourveu qu’elle luy donnast une Venus de la main de Praxitele qui attiroit tous les ans un concours infini de curieux, les Gnidiens aimerent mieux demeurer toujours tributaires, que de luy donner cette Statuë.

Cependant Seneque qui condamne avec tant de severité les desordres du luxe & les folles depenses de son temps, dit que la profusion qui ne se peut assez blâmer dans les autres curiositez, parce qu’elles abattent le courage, & qu’elles ne s’attachent d’ordinaire qu’aux plaisirs qui peuvent charmer l’ennuy d’une molle oisiveté, estoit loüable dans l’amour de la Sculpture, à cause que rien n’eleve tant le cœur que les portraits des grands hommes & la veuë de ces témoins domestiques de nos actions, & qu’enfin ces images de la vertu de nos Peres sont autant d’aiguillons pressans qui nous piquent & qui nous excitent à les imiter. De-là vient que les Sculpteurs & les Peintres ont esté si fort honorez dans tous les temps, & que leur industrie estant au dessus des recompenses, il s’en est trouvé quelques-uns qui dédaignoient d’en recevoir, & qui consacroient aux Dieux tous leurs ouvrages, croyant que les hommes en estoient indignes.

[Mort de M. le Pays]* §

Mercure galant, mai 1690 [tome 5], p. 286-287.

Je vous ay envoyé divers Ouvrages de Mr le Pays, qui vous ont toujours extremement pleu, & il y en avoit mesme encore un de sa façon dans ma Lettre du mois passé, sur ce qu’un particulier avoit mis son argent à la Tontine sous le nom du Roy. Je ne croyois pas en vous l’envoyant, que ce seroit le dernier qu’on verroit de luy. Une fiévre continuë l’a emporté en fort peu de jours, & la mort n’a point respecté son heureux talent. Son Livre, intitulé, Amours, amitiez & amourettes, luy avoit donné de la reputation, & il l’avoit soustenuë avec beaucoup d’avantage, par un feu d’esprit qui luy estoit naturel. Sa conversation aussi aisée qu’agreable luy donnoit accés par tout, & il estoit malaisé de le connoistre, sans chercher à estre de ses amis.

[Harangues faites au Roy sur la mort de Madame la Dauphine] §

Mercure galant, mai 1690 [tome 5], p. 290-301, extrait p. 299-301.

L’Academie Françoise, qui est receuë avec les mesmes honneurs que les Compagnies Superieures, a esté faire les mesmes complimens au Roy, & à Monseigneur le Dauphin. Mr l’Archevesque de Paris, presentement Directeur de la Compagnie, estoit à la teste. La parole fut portée par Mr l’Abbé de Lavau, Chancelier de la mesme Compagnie. Son discours repondit à ce qu’on devoit attendre d’un Corps composé des maîtres de nostre Langue, & je ne vous sçaurois mieux marquer l’avantage qu’il eut de plaire, que par un fait constant, je veux dire, par les applaudissemens qu’il receut tant qu’il parla, & qui furent donnez assez haut pour estre entendus de tout le monde.

Le Grand Conseil s’est acquité du mesme devoir par la bouche de Mr Bignon son premier President. Son éloquence est si connuë qu’on n’aura pas de peine à croire, qu’il a remply cet employ avec beaucoup de succés.

[Epigramme de Mr de Vertron]* §

Mercure galant, mai 1690 [tome 5], p. 311-312.

Mr de Vertron a fait une Epigramme Latine pour luy servir d’EpitapheII, & Mr l’Abbé Saurin en a rendu la pensée en nostre Langue par les Vers qui suivent :

 Celuy qui sceut par sa prudence
Elever des François l’heroïque esperance,
 Dans ce tombeau repose enfin.
Un jour on connoistra ce que luy doit la France.
 Par la gloire de son Dauphin.

[Divers couplets de Chanson sur le départ de Monseigneur] §

Mercure Galant, mai 1690, p. 317-320.

 

Je vous envoye des Vers qui ont esté faits un peu avant le départ de Monseigneur le Dauphin, & dont les pensées sont fort agreables. Ils se chantent sur l'Air de Jean de VVert.

Partez jeune & vaillant Heros,
 La gloire vous appelle.
Devant vous le Roy des Oiseaux
 Ne battra que d'une aisle :
Vous ferez voir aux Allemans
Qu'on sçait les vaincre comme au temps
  De Jean de Wert, &c.
***
A vostre aspect ils diront tous,
 Evitons sa colere ;
Il va faire tomber sur nous
 Le foudre de son Pere.
Nos efforts seront impuissants
De mesme qu'ils l'estoient au temps
 De Jean de Wert, &c.
***
Ils sçavent par vos premiers coups
 Que tout vous est facile ;
Ils vous fuiront comme les Loups,
 Sans trouver un azile :
Et mettant tous les armes bas,
Ils feront comme les Soldats
  De Jean de Wert ; &c.
***
Vos guerriers pour vous pleins d'amour,
 Ne cherchent qu'à combattre !
Ils vont ainsi qu'à Philisbourg
 Faire le Diable à quatre.
Ils porteront par tout la mort ;
Heureux qui n'aura que le sort
  De Jean de Wert, &c.
***
La Ligue de tant d'Ennemis
 Qui contre vous s'assemblent,
Tiendra mal ce qu'elle a promis,
 Quand vous marchez ils tremblent ;
Vous n'irez point aux champs de Mars
Sans donner des Loix aux Cesars
  De Jean de Wert, &c.
***
C'est ce qu'on attend de vos faits
 Pendant cette Campagne,
Vous ferez demander la Paix
 Aux Princes d'Allemagne,
Et par vous on verra LOUIS
Triompher de tout le Pays
  De Jean de Wert, &c.