1690

Mercure galant, juillet 1690 [tome 7].

2017
Source : Mercure galant, juillet 1690 [tome 7].
Ont participé à cette édition électronique : Nathalie Berton-Blivet (Responsable éditorial), Anne Piéjus (Responsable éditorial), Frédéric Glorieux (Informatique éditoriale) et Vincent Jolivet (Informatique éditoriale).

Mercure galant, juillet 1690 [tome 7]. §

Hommage §

Mercure galant, juillet 1690 [tome 7], p. 14-15, 27-28.

 

Je viens à ce qui regarde l'hommage prêté depuis peu de temps à Mr l'Electeur de Brandebourg, par les Etats de la Prusse Ducale. Je vous en aurois parlé il y a un mois, si l'abondance de la matiere ne m'en eust pas empesché mais nous sommes dans un temps où quantité d'Articles indispensables font le sujet de mes Lettres, ce qui m'oblige à reculer ceux qui peuvent avoir en tout temps quelque chose de nouveau. Celuy-cy est de ce nombre, puis que vous le trouverez accompagné de plusieurs choses curieuses par elles-mesmes, & que je puis vous apprendre à l'occasion de cette Ceremonie ; quoy qu'elles en soient détachées. Elle se fit le 24. de May dernier à Konigsberg, Ville de Pologne, grande, belle, renommée par son commerce, & qui appartient à l'Electeur de Brandebourg. [...]

 

La Ceremonie estant achevée, on jetta un grand nombre de Medailles d'or & d'argent, & il se fit trois salves, tant du Canon de la Ville que de la Soldatesque, meslées des fanfares de vingt-quatre Trompettes avec quatre Timbaliers. Cela fut suivi d'un magnifique repas, dans la grande Salle appellée des Moscovites, pendant lequel on entendit un fort beau Concert. Plusieurs fontaines de vin coulerent dans la Place qui est devant le Chasteau, & le lendemain on fit tirer un Feu d'artifice qui reussit admirablement.

Le Faune foudroyé par Jupiter §

Mercure galant, juillet 1690 [tome 7], p. 39-43.

Voicy une Fable dont les Affaires du temps ont fourny la matiere à Mr de Calvy qui en est l’Auteur.

LE FAUNE
Foudroyé par Jupiter.

Au pied d’un mont jadis regnoit en paix
 Un jeune Faune aimé de ses Sujets.
 Dans ses Etats tout songeoit à luy plaire,
Dehors on le craignoit. Le Souverain des Dieux
  Estoit son Dieu tutelaire ;
 Mais écoutant des avis factieux,
 Il se perdit, ce Faune ambitieux.
Maint petit Dieu jaloux du Maistre du Tonnerre,
 Osa luy declarer la guerre,
 Et non contens de partager les Cieux,
Ils vinrent dans leur Ligue interesser la Terre.
 Tout fut seduit, tout prit party.
Le Faune dans son cœur depuis longtemps rebelle,
 A la revolte eut bien-tost consenti.
Ce qu’on luy dit alors, mille fois l’infidelle
 Se l’estoit dit. Ne pouvez-vous regner,
 Sans que Jupin vous tienne sous son aisle ?
  Apprenez à le dédaigner,
 Regner tout seul est un bonheur suprême.
 Il les suivit ; sans cette audace extrême
 Faune jamais n’eust eu destin plus beau.
Sous un si grand appuy l’on craignoit sa puissance ;
Avec ces Factieux cherchant l’independance
Il se couvrit de honte, & trouva son tombeau.
Car dés que Jupiter vit sa cabale preste
 Pour cette grande & fameuse conqueste ;
Comme Geans, dit-il, vous attaquez les Cieux,
 Vous perirez, Troupe insolente.
 Il dit, & sa main triomphante
Foudroya sur le champ le Faune & tous ces Dieux.
***
 Toy qui trahis un Prince Auguste,
 Le ferme appuy de tes Etats,
 Tu vas perir dans cette Ligue injuste ;
Déja pour t’accabler LOUIS leve le bras.
 Du coup fatal que je te viens predire
 Rien ne te sçauroit garantir,
 Et la foudre qui va partir,
Doit terrasser encore & l’Espagne & l’Empire.

[Madrigal]* §

Mercure galant, juillet 1690 [tome 7], p. 43-44.

Le Madrigal que vous allez lire a esté fait sur la reconciliation d’une jeune Dame avec un homme fort avancé en âge, qui avoit fait quelque médisance d’elle.

En sortant d’un Sermon plein d’art & d’éloquence,
Sur l’amour du prochain, & contre la vangeance,
 Iris qui me hait à la mort,
Mais de qui l’ame est genereuse & bonne,
Me cherche dans la foule, & par un noble effort
 Me dit, Monsieur, je vous pardonne.
Ce n’est pas tout, luy dis-je, & le Predicateur
Vous a dit qu’il falloit aimer du fond du cœur,
Voyez à quoy ce Sermon vous engage.
 Il faut un discours bien touchant
Pour vaincre du beau Sexe & la haine & la rage,
Et l’obliger, malgré son naturel panchant,
D’aimer son Ennemy, quand il est de mon âge.

Air nouveau §

Mercure galant, juillet 1690 [tome 7], p. 44-45.

Un des plus habiles Maistres que nous ayons en Musique, a mis en Air ces paroles sur un départ.

AIR NOUVEAU.

Avis pour placer les Figures : l’Air qui commence par, Vous vous en allez, belle Iris, doit regarder la page 45.
Vous vous en allez, belle Iris,
Et les Jeux, les Amours, les Plaisirs & les Ris
Vont partir avec vous, & vous suivront sans cesse.
Vos appas vous feront mille Amans en tous lieux,
Ils mourront de plaisir en voyant vos beaux yeux,
Et pour ne les plus voir je mourray de tristesse.
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[Suite du Traité touchant les maniere d’écrire en chifres] §

Mercure galant, juillet 1690 [tome 7], p. 45-80.

Je ne vous ay encore envoyé que le commencement de la seconde partie du Traité de Mr Comiers, touchant l’art d’écrire occultement ; en voicy la fin.

AUTRE MANIERE tres-facile d’écrire occultement, mesme par les lettres ordinaires de l’Alphabet, qu’on peut ensuite envoyer en chifres.

Convenez avec vostre Amy d’une clef en nombres, comme de 113. 355. ces six chifres comprenant la raison du diametre du cercle à sa circonference de 113. à 355. qui est plus précise que celle d’Archimede ; ou bien convenez du nombre 452. 355. lesquels six chifres contiennent la raison du quarré du diametre du cercle à sa superficie de 452. à 355. qui est plus précise que celle d’Archimede de 14. à 11.

Ayez ensuite devant vous l’Alphabet de dix-huit lettres dans leur ordre naturel, que vous devez concevoir comme écrites en chapelet, ou autour de la circonference d’un cercle.

Supposons donc qu’il faille écrire ces trois mots, Comiers Aveugle Roial, & que vous soyez convenu pour clef du nombre 113. 355.

Ecrivez de suite sur les lettres des trois mots les chifres de la clef 113. 355.

 

1 1 3 3 5 5 1 1 3 3 5 5 1 1 3 3 5 5 1.

C o m i e r s a v e u g l e r o i a l.

 

Maintenant pour la lettre C. du secret, vous écrirez au dessous la lettre D. parce que le chifre 1. est au dessus, qui indique qu’il faut prendre dans l’Alphabet la premiere lettre qui y suit la lettre C.

De mesme pour la lettre O. qui a le chifre 1. au dessus, vous écrirez la lettre P. laquelle dans l’Alphabet est la premiere aprés la lettre O. Par la mesme raison pour la lettre M. qui a le chifre 3. au dessus, vous écrirez encore la lettre P. qui est dans l’Alphabet la troisiéme aprés la lettre M. Pour la lettre I. laquelle a au dessus le chifre 3. vous écrirez la lettre N. laquelle dans mon Alphabet de dix-huit lettres est la troisiéme aprés la lettre I. Pour la lettre E. qui a au dessus le chifre 5. vous envoyerez la lettre M. laquelle dans l’Alphabet de dix-huit lettres est la cinquiéme aprés la lettre E. & pour la lettre R. qui a au dessus le chifre 5. vous compterez depuis cette lettre exclusivement sur l’Alphabet consideré écrit en chapelet, ou en cercle, cinq lettres, sçavoir S.T.V.A.B. en recommençant l’Alphabet. C’est pourquoy pour la lettre R. vous écrirez la lettre B. qui est la cinquiéme aprés R. De mesme pour la lettre S. qui est la derniere du mot, Comiers, parce qu’elle a au dessus le chifre 1. écrivez la lettre T. qui est la premiere aprés S.

Par la mesme raison pour la lettre A. du mot, Aveugle, écrivez la lettre B. & pour la lettre V. qui a au dessus le chifre 3. qui est la derniere de l’Alphabet, qu’il faut par consequent recommencer, écrivez la lettre C. parce qu’elle est la troisiéme aprés la lettre V. Pour la lettre E écrivez la lettre I. Pour la seconde lettre V. écrivez la lettre E. qui est la cinquiéme aprés la lettre V. Pour la lettre G. écrivez la lettre O. Pour la lettre L. écrivez la lettre M. & pour la lettre E. écrivez la lettre F.

Pour la lettre R. écrivez la lettre V. Pour la lettre O. écrivez la lettre R. Pour la lettre I. qui a le chifre 5. au dessus, écrivez la lettre P. laquelle dans l’Alphabet de dix huit lettres est la cinquiéme aprés la lettre I. De mesme pour la lettre A. écrivez F. qui est la cinquiéme aprés A. & enfin pour la lettre L. écrivez la lettre M. Par là vous aurez de suite pour les trois mots, Comiers Aveugle Roial, les dix-neuf lettres suivantes.

 

D. P. P. N. M. B. T. B. C. I. E. O. M. F. V. R. P. F. M.

 

Remarquez que cette maniere est tres-facile, & tout-à fait indechifrable à l’esprit humain, puis que dans les sept premieres lettres pour le mot Comiers, la lettre P. est employée tout de suite pour la lettre O. & pour la lettre M. & que la mesme lettre P. est employée pour la lette I. du mot Roial.

Remarquez encore que la lettre M. signifie la lettre E. du mot Comiers, & la lettre L. du mot aveugle ; que le B. signifie la lettre R. du mot Comiers, & la lettre A. du mot Aueugle ; que la lettre F. signifie la derniere lettre E. du mot Aveugle, & la lettre A du mot Roial, & que dans le mot Aveugle les deux lettres E. y sont signifiées par les lettres I. & F. & les deux lettres V. du mesme mot par les deux lettres C. E.

On peut se servir des chifres de la datte de la Lettre, comme de 28. Février 1690. en observant qu’il faut rejetter le zero, car il ne faut icy que des chifres simples.

Observez que les cinq lettres H. K. X. Y. Z. que j’ay rejettées de mon Alphabet, peuvent estre employées à la fin des mots pour les distinguer, ou bien on les mettra devant la derniere lettre de chaque mot, ou aprés la premiere, suivant qu’on en sera convenu.

Observez principalement que pour oster tout soupçon, vous pouvez au lieu de ces lettres envoyer les chifres simples ou disenaires qui leur appartiennent dans cet Alphabet.

 

P a n t o u f l e b c d g

1. 2. 3. 4. 5. 6. 7. 8. 9. 10. 20. 30. 40.

i m q r s.

50. 60. 70. 80. 90.

 

Ou dans tout autre Alphabet dont l’ordre naturel des lettres sera changé, suivant qu’on sera convenu, comme dans l’Alphabet suivant.

 

P r o f e t i s a n d u m

1. 2. 3. 4. 5. 6. 7. 8. 9. 10. 20. 30. 40

b c g l q.

50. 60. 70. 80. 90.

 

Par lequel au lieu des lettres D. P. P. N. M. B. T. B. C. F. E. O. M. F. V. R. P. F. M. vous aurez les chifres suivans 20. 1. 1. 10. 40. 50. 6. 50. 60. 7. 5. 3. 40. 4. 30. 2. 1. 4. 40. que vous pourrez envoyer à vostre Confident en forme de compte ou calcul, comme nous avons déja dit.

Remarquez que la lettre P. ou le chifre 1. est envoyé pour trois differentes lettres, sçavoir pour les lettres O & M du mot Comiers, & pour la lettre I. du mot Roial, & que la lettre M. ou le chifre 40. signifie aussi deux differentes lettres, sçavoir E. du mot Comiers, & L. du mot Aveugle. De mesme la lettre B. ou le chifre 50. signifie la lettre R. du mot Comiers, & la lettre A. du mot Aveugle. Les mesmes lettres R. & A. dans le mot Roial sont signifiées par la lettre V. ou le chifre 30. & par la lettre F. ou le chifre 4. Dans le mot Aveugle le premier V. est signifié par la lettre C. ou le chifre 60. & le second V. par la lettre E. ou le chifre 5. Dans le mesme mot Aveugle, le premier E. est signifié par la lettre I. ou le chifre 1. & le dernier par la lettre F. ou chifre 4. Cette lettre F. ou chifre 4. est encore employée pour l’A du mot Roial, bien que la lettre A du mot Aveugle soit signifiée par la lettre B ou chifre 50.

D’où je conclus que bien que cette maniere d’écrire, ou de parler en ces chifres par la Trompette parlante, soit tres-facile, mesme en employant une triple clef, sçavoir le nombre convenu, l’ordre des lettres de l’Alphabet sur lequel on écrit ce nombre pour avoir les lettres secretes, & enfin l’ordre irregulier des lettres de l’Alphabet dans lequel on prend des chifres pour ces lettres, elle est neanmoins indéchifrable à tout esprit humain. Quand mesme on donneroit au déchifreur les lettres que chaque chifre signifie, il faudroit encore qu’il pust deviner le nombre qui sert de premiere clef, & qu’aprés cela il devinast encore l’ordre de l’Alphabet qui a donné ces lettres par le moyen du nombre convenu pour clef ; de quoy on peut faire facilement l’essay avec ceux qui se piquent de pouvoir déchifrer ; fust-ce avec Mr Viette, le Pere de nostre Algebre specieuse, & le grand Déchifreur de son temps, s’il pouvoit revenir au monde.

Maniere facile de lire ces chifres ou lettres.

Ecrivez en ligne droite horizontale les chifres qu’on vous a envoyez en articles de compte, puis sous ces chifres écrivez les lettres qui leur appartiennent dans l’Alphabet, P r o f e t i s a n d u m b c g l q, & vous aurez les lettres secretes que vostre Amy avoit trouvées sur le premier Alphabet par le moyen des chifres de la clef ; ainsi pour

 

20. 1. 1. 10. 40. 50. 6. 50. 60. 7. 5.

D. P. P. N. M. B. T. B. C. I. E.

3. 40. 4. 30. 2. 1. 4. 40.

O. M. F. V. R. P. F. M.

 

Ecrivez aprés cela sur ces mêmes lettres les chifres de la clef, sçavoir.

 

1 1 3 3 5 5. 1 1 3 3 5 5.

D. P. P. N. M. B. T. B. C. I. E. O.

1 1 3 3 5 5. 1.

M. F. V. R. P. F. M.

 

Ayant ensuite devant vous nostre Alphabet de dix-huit lettres A B C D E F G I L M N O P Q R S T V. vous trouverez les veritables lettres du secret qu’on vous a envoyées, si vous faites reflexion qu’au lieu de la lettre du secret, on vous a envoyé la lettre qui la suivoit, mais qui en estoit autant éloignée que le chifre de la clef qui estoit au dessus, contenoit d’unitez. C’est pourquoy par une raison contraire il faut autant retrograder en avant que le chifre a d’unitez, & vous trouverez la veritable lettre du secret.

Ainsi, puis que la lettre D a 1 par dessus, prenez la lettre C qui precede, & vous aurez la premiere lettre du secret ; & parce que la lettre P a le chifre 1 au dessus, retrogradez, & prenez la premiere lettre O qui est avant le D. De mesme pour l’autre P, parce qu’il a le chifre 3. au dessus, prenez la lettre M. qui est la troisiéme avant la lettre P. &, puis que la lettre N a sur soy le chifre 3. retrogradez de trois lettres dans l’Alphabet, & vous trouverez la lettre I. du secret. Par la mesme raison, parce que la lettre M a sur soy le chifre 5. retrogradez de cinq lettres sur l’Alphabet, & vous trouverez la lettre E. Et pour la lettre B. puis qu’elle a au dessus le chifre 5. il faut aussi de la mesme lettre B exclusivement retrograder sur l’Alphabet qu’on doit concevoir écrit en chapelet ou cercle, c’est à dire, prendre la cinquiéme lettre en retrogradant, comptant A.V.T.S.R. c’est pourquoy la lettre R qui se trouve la cinquiéme, sera la lettre requise du secret ; & parce que la lettre T a sur soy le chifre 1. reculez d’une lettre, & vous aurez la lettre S. du mot secret Comiers.

De mesme pour la lettre B, parce qu’elle a sur elle le chifre 1. vous prendrez sur l’Alphabet la lettre A. qui précede la lettre B. & de cette maniere vous trouverez les trois mots secrets, Comiers Aveugle Roial.

ARTICLE III.
Envoyer en mesme temps le
Secret & la Clef en Lettres
ou en Chifres.

Cecy est de la derniere importance, lors qu’il est necessaire de faire sçavoir des ordres pressants à trois personnes, mais en telle sorte que les unes sans les autres ne puissent penetrer dans le Secret que vous envoyez, si elles n’agissent toutes trois de concert, car à deux des trois vous envoyerez les deux differentes clefs qui ne consisteront si vous voulez qu’en 3. ou 4. sillabes ou aux chifres de leurs Lettres, & à la troisiéme personne vous envoyerez le secret en chifres, ou en lettres de l’Alphabet sans aucune Clef.

Ainsi pour faire sçavoir que la clef consiste à prendre de suite dans la table en descendant perpendiculairement depuis les lettres ou chifres envoyez pour le secret sept fois de suite 1. on écrira GA ou son nombre 71. parce que la lettre G. appartient au nombre 7. & la lettre A. au nombre 1.

Pour indiquer que par les lettres ou chifres de la clef, il faut encore prendre de suite cinq fois la lettre D. ou son chifre 4 on écrira ED, ou bien le nombre 54. parce qu’à la lettre E appartient le chifre 5. & à la lettre D appartient le chifre 4.

De mesme pour indiquer que par les lettres ou chifres de la clef, il faut prendre encore de suite sept chifres 5. on écrira GE. ou 75. parce qu’à la lettre G. appartient le chifre 7. & à la lettre E appartient le chifre 5. de sorte que pour la clef on aura ce mot barbare de trois syllabes, GAEDGE, ou ces six nombres 71. 54. 75. qu’on envoyera à l’un des deux Confidens, Que s’ils sont trois, au premier on envoyera les trois premieres lettres GEG, ou leurs chifres 7, 5. 7. & à l’autre on envoyera les dernieres lettres A.D.E. ou leurs chifres 1. 4. 5.

Supposons maintenant que par cette clef 71. 54. 75. il faille écrire en secret Comiers Aveugle Roial. Puis qu’il faut envoyer de suite sept fois le chifre 1. prenez dans la rangée perpendiculaire qui est à main gauche dans ma grande Table, chaque lettre du secret que vous voulez envoyer. Allez horizontalement jusqu’au chifre 1. & ensuite marquez la lettre ou chifre qui est au dessus dans la rangée superieure de la Table. Ainsi pour le mot Comiers, vous aurez ce mot Timored, ou ses chifres 80. 8. 10. 30. 60. 5. 4. que vous envoyerez, & parce que suivant la seconde partie de la clef ED, il faut employer cinq fois de suite le chifre 4, vous aurez par la mesme maniere pour les cinq premieres lettres Aveug du mot secret Aveugle, le mot Deves, ou ses chifres, 4. 5. 90. 5. 70.

Pour les sept lettres restantes du secret le Roial, parce qu’il faut employer suivant la derniere syllabe GE de la clef sept fois de suite le chifre 5. vous aurez le mot Raloser ou ses chifres 60. 1. 9. 30. 70. 5. 60.

Enfin vous envoyerez à un des Confidens la clef en lettres Gaedge, ou ces chifres 71. 54. 75. ou bien vous luy envoyerez au long ces dix-neuf chifres 1111111. 44444. 5555555. & vous envoyerez à l’autre Confident ces mots, Timored Deves Raloser, ou ces chifres 80. 8. 10. 30. 60. 5. 4. 4. 5. 90, 5. 70. 60. 1. 9. 30. 70. 5. 60.

Les deux Confidens s’estant assemblez, trouveront facilement le secret que vous leur aurez envoyé, car prenant dans la rangée superieure de ma Table chaque lettre du mot Timored, ou de ses chifres 80. 9. 10. 30. 60. 5. 4. ils descendront perpendiculairement jusqu’aux chifres 1. vis à vis desquels à main gauche ou à main droite des Alphabets perpendiculaires de ma Table, ils trouveront les lettres du secret. Ainsi de la lettre T. ou de son chifre 80. ils descendront jusqu’au chifre 1. vis à vis duquel ils trouveront la lettre C. De mesme de la lettre I. ou de son chifre 8. descendant perpendiculairement jusques au chifre 1. ils trouveront vis à vis la lettre O. du secret, & de la lettre M. ou de son chifre 10. descendant jusqu’au chifre 1. ils trouveront la lettre M. du secret vis à vis de ce chifre. Ainsi par le mot Timored & par les sept 1 ils auront le mot Comiers.

Par la mesme raison descendant des cinq lettres du mot Deves, ou de ses chifres 4. 5. 90. 5. 70. jusqu’aux chifres 4. ils trouveront vis à vis les lettres du secret Aveug.

De mesme descendant perpendiculairement de chacune des sept lettres du mot Raloser, ou de ses chifres 60. 1. 9. 30. 70. 5. 60. jusqu’aux chifres 5. ils trouveront vis à vis dans l’Alphabet perpendiculaire les lettres le Roial. Voicy le tout dans l’exemple.

 

GA. ED. GE.

1111111. 44444. 5555555.

Timored Deves Raloser

Comiers Aveug le Roial.

 

Remarquez que pour écrire ainsi occultement par deux clefs à deux ou trois Amis separément, on peut se servir des deux rouës de la seconde Planche, mettant, par exemple, tout de suite les sept premieres lettres du secret prises sur la rouë mobile au dessous du chifre 1 de la rouë immobile, & écrivant à l’autre des Amis le chifre ou la lettre qui est dans la rouë immobile, au dessus de l’Index de la rouë mobile, &c. Ainsi pour lire on mettra l’Index de la rouë mobile sous les sept premieres lettres ou chifres qu’on aura envoyez à l’un des Amis, & on trouvera sous le chifre 1. de la rouë immobile, les sept premieres lettres du secret dans la rouë mobile. On peut aussi tres-facilement écrire & lire sans avoir besoin de la Table ny des rouës.

ARTICLE IV.
Ecrire occultement par des lettres
semblables à celles
des Hebreux.

Bien que cette maniere soit peut-estre triviale, neanmoins elle peut servir & passer pour indechifrable, si l’on convient d’un ordre des lettres de l’Alphabet, & qu’on observe que les voyelles y soient posées en differens endroits, afin qu’une mesme voyelle puisse estre exprimée, mesme dans un mesme mot, par differens caracteres. J’en dis autant des lettres R & S qui se rencontrent plus souvent. La seule inspection de la figure qui est à main gauche de ma Planche sous la Lunette, suffit pour comprendre tout l’artifice, observant que chaque caractere sert pour trois lettres ; pour la premiere, le caractere estant seul, & pour la seconde lettre, lors qu’il a un point, & enfin pour la troisiéme, lors que le caractere a deux points ; ce que j’ay observé dans les deux mots que j’ay donnez pour exemple, & qui sont dans ma Planche, l’un devant, & l’autre aprés ces deux mots Latins, Revelator Arcanorum.

Comiers d’Ambrun.

Je vous envoyeray le mois prochain la troisiéme Partie de l’Art d’écrire & de parler occultement de loin, mesme la nuit, sans Messager & sans bruit.

[Histoire] §

Mercure galant, juillet 1690 [tome 7], p. 80-115.

Les apparences passent souvent pour des veritez, & les sentimens du cœur sont si malaisez à penetrer, que les plus habiles prennent pour réel ce qui n’est que feinte. Une Demoiselle, ayant le teint vif, & tous les traits assez reguliers pour estre mise au nombre des belles personnes, joignoit à cet avantage un agrément d’humeur & d’esprit, qui la rendoit encore plus aimable qu’elle n’estoit belle. Entre les Amans qu’elle s’attira, il s’en trouva un qui écarta bien-tost tous les autres. Ceux cy n’avoient qu’une fortune proportionnée aux pretentions qu’elle pouvoit se permettre, & ce dernier, outre qu’il estoit fort honneste homme, joüissoit d’un bien tres-considerable, qui le mettoit en estat de luy procurer une vie douce & commode. Ce fut aussi ce qui obligea la Belle de luy marquer par beaucoup d’honnêtetez qu’elle luy donnoit la préference, & son choix n’eut pas plutost paru estre fait, qu’il demeura seul assidu dans ses visites. Les avantages qu’elle devoit rencontrer en l’épousant meritoient bien la distinction qu’elle avoit faite. Cependant elle recevoit ses soins sans avoir le cœur touché, & l’interest seul la faisoit agir. Elle demeuroit d’accord qu’il avoit des qualitez fort estimables, & que ses manieres pouvoient engager les plus difficiles à se laisser prévenir, mais il avoit pour elle un defaut qui dégoûtoit sa tendresse. Il s’estoit fait Conseiller, & les gens de robe ne luy plaisoient pas. Elle eust été pourtant fachée de le perdre, & comme elle estoit adroite à dissimuler, elle luy faisoit paroistre des sentimens dont son amour estoit satisfait, & qui luy persuadoient que l’engagement estoit sincere. La passion qu’elle luy avoit fait prendre, l’obligea souvent à la presser de conclure, mais elle trouvoit toujours moyen de gagner du temps par quelque retardement dont elle imputoit la cause à sa Mere. Quoy qu’elle vécût sous sa conduite, elle gouvernoit entierement son esprit, & cette Mere qui n’avoit des yeux que pour sa Fille, cherchoit uniquement à la satisfaire, & donnoit dans tout ce qui luy faisoit plaisir. La Belle en reculant la conclusion de son mariage, s’estoit flatée qu’il luy viendroit pour Amant quelque homme d’Epée qui estant aussi riche que le Conseiller, la mettroit dans un estat plus conforme à son inclination. En effet, il arriva qu’estant allée chez une Dame voisine qu’elle voyoit presque tous les jours, parce que les deux Maisons se touchant, il y avoit une porte de communication l’une dans l’autre, elle y rencontra un Cavalier fort bienfait, galant, enjoüé, & de ceux enfin que les Dames nomment aujourd’huy de jolis hommes. Le hazard l’avoit conduit chez la Dame pour laquelle il avoit eu autrefois beaucoup d’assiduité, & qu’il avoit veuë fort rarement depuis ce temps-là, sans que les emplois qui l’en avoient éloigné, eussent affoibly l’estime qu’il luy avoit toujours conservée. Il vit avec plaisir sa belle Voisine, & ayant sçeu qu’elle venoit chez elle à toute heure, il profita de ce qu’on luy avoit dit, & luy rendit des visites si frequentes, qu’il leur fut aisé à l’une & à l’autre de juger de son dessein. Comme il estoit extrémement riche, la Belle ne déguisa pas à son Amie que s’il prenoit feu, elle n’auroit nulle peine à le préferer au Conseiller. Ils ne se virent pas long-temps sans s’aimer, & si le Cavalier se plaisoit à faire de tendres protestations à cette aimable personne, elle luy marquoit par ses complaisances, & par tout ce qu’elle pouvoit faire d’obligeant pour luy, que les dispositions de son cœur luy estoient tres-favorables. La Dame qui estoit bien-aise de fortifier un engagement qu’elle voyoit si avantageux pour son Amie, favorisa le commerce. Il demeura d’autant plus secret que les assiduitez du Cavalier passoient sur son compte, sans que l’on en soupçonnast le veritable sujet. Le Cavalier s’enflâmoit toujours de plus en plus, sans songer à quoy sa passion devoit aboutir. Il aimoit la Belle par le seul plaisir d’aimer, & de joüir de l’heureux progrés que ses soins faisoient insensiblement sur son jeune cœur. Ils en firent en fort peu de temps plus qu’il n’avoit osé l’esperer, & l’amour qu’il luy inspira fut si violent qu’elle ne fut plus maistresse de luy en cacher la force. Vous jugez bien qu’elle ne put l’aimer avec tant d’ardeur sans trouver le Conseiller plus insuportable qu’il ne luy avoit paru jusque-là. Elle eut pour luy une froideur extraordinaire. Il s’en apperçeut, & s’en plaignit. Les raisons qu’elle apportoit pour excuse estoient si foibles, qu’il pouvoit voir aisément qu’elle se mettoit fort peu en peine qu’il fust content d’elle. Il ne sçavoit à quoy imputer ce changement. Le nouvel engagement qu’elle avoit pris, ne paroissoit aux yeux de personne, & il n’avoit pas le moindre soupçon du Cavalier. Ainsi il regarda comme l’effet d’une humeur bizarre qu’elle se lassoit de tenir cachée, l’inégalité qu’elle luy faisoit paroistre. Les reproches qu’il ne put s’empêcher de luy en faire, causerent entre eux de petites broüilleries, qui les aigrissoient assez pour se separer toujours mal satisfaits l’un de l’autre. Le Conseiller qui voulut essayer tout pour faire cesser sa méchante humeur, passa quelques jours sans aller chez elle, dans la pensée que la crainte de le perdre l’obligeroit à le rappeller. Elle attendit tranquillement qu’il revinst, & se contenta de dire en le revoyant, qu’on voyoit bien à son air resveur qu’il avoit été accablé d’affaires. Il fut faché qu’elle dédaignast de luy montrer du chagrin de ce qu’il sembloit qu’il pouvoit se passer d’elle, & continua de la voir plus rarement, ou pour rallumer en elle l’amour qu’il voyoit éteint, ou du moins fort assoupy, ou pour se guerir s’il estoit vray qu’il ne luy tinst plus au cœur. La Belle le laissa faire, & se donna toute à l’amour du Cavalier, qui luy expliquoit le sien d’une maniere delicate & fine, qui avoit toujours pour elle un charme nouveau. Cependant les choses demeuroient toujours dans le mesme estat, & le plaisir que le Cavalier marquoit de se voir aimé, ne l’obligeoit point à parler de mariage. La Belle n’oublioit rien pour l’engager à luy faire une declaration précise, & voyant que quelque tour qu’elle prist pour y réussir, il se contentoit de dire qu’il n’avoit jamais rien aimé tant qu’elle, elle luy dit enfin que sa Mere qui estoit entrée dans cette intrigue, s’impatientoit de voir traîner l’affaire en longueur, & demandoit qu’on prist des mesures pour luy donner une fin. Le Cavalier, ennemy mortel du mariage, & qui ne cherchoit que le plaisir d’amener les gens où il vouloit du costé du cœur, se trouva embarassé de la proposition qui luy estoit faite. On luy parloit clairement, & estant contraint de s’expliquer, il répondit d’une maniere flateuse, que comme il sçavoit aimer parfaitement, il ne pouvoit s’estimer heureux s’il n’estoit aimé de même, & qu’il avoüoit qu’il ne pouvoit se persuader qu’elle eust pour luy des sentimens d’amour aussi purs qu’il les souhaitoit, puis que les visites qu’elle recevoit toujours du Conseiller luy faisoient connoistre que les soins qu’il luy rendoit ne luy estoient pas tout-à-fait indifferens. La Belle luy repliqua qu’elle s’étonnoit d’une jalousie qu’il ne luy avoit jamais fait paroistre ; qu’il sçavoit qu’il ne l’avoit pas plûtost assurée de son amour, qu’elle avoit traité le Conseiller avec des froideurs qui luy avoient fait retrancher beaucoup de l’assiduité de ses visites, & que dés qu’il se seroit declaré Amant par des articles signez, il n’avoit pas à douter que son pretendu Rival ne quittast la place ; que pour elle il se devoit répondre assez de son cœur, pour estre assuré qu’elle renonceroit sans aucune peine à le voir jamais. Le Cavalier qui ne vouloit pas pousser la chose plus loin, luy dit qu’il reconnoissoit qu’il avoit tort ; que le chagrin qu’il venoit de luy marquer n’avoit rien que d’obligeant ; que c’estoit une delicatesse d’amour dont elle devoit luy sçavoir gré ; qu’il la prioit de luy accorder un peu de temps pour la vaincre, & qu’assurément il viendroit à bout de s’en défaire. Il crut par là s’estre mis en seureté, puis qu’il n’avoit plus qu’un mois ou deux à passer sans estre obligé par ses emplois de se rendre en Allemagne ; mais la Demoiselle qui ne vouloit pas qu’il luy échapast, rompit ses mesures en se résolvant de bannir le Conseiller. C’estoit luy oster toute sorte de pretexte, & aprés avoir receu une marque si certaine du sincere amour qu’elle avoit pour luy, il ne pouvoit plus luy rien opposer. Elle executa ce qu’elle avoit projetté, & deux jours aprés ayant pris l’occasion d’un fort leger démeslé arrivé entre elle & le Conseiller, elle luy dit des choses si rudes, que ne pouvant plus s’accommoder de ses manieres bizarres, il luy declara qu’il ne reviendroit jamais chez elle. Il luy tint parole, & leur rupture fut bien tost connuë de tout le monde. Aussi-tost qu’elle fut faite, elle en donna avec joye la nouvelle au Cavalier, comme de la chose du monde qui luy devoit estre la plus agreable. Ce n’estoit pas ce qu’il souhaitoit. Il se voyoit par cette rupture dans une nouvelle peine, & les premiers sentimens estant mal-aisez à déguiser, il laissa paroistre malgré luy un étonnement remply de chagrin, dont elle fut extrêmement étonnée. Neanmoins comme il avoit de l’esprit, il reprit bien-tost sa belle humeur, & soutint la chose en galant homme. Il se montra plus amoureux que jamais, & quelques jours s’estant écoulez, la Belle qui le voyoit dans des dispositions si favorables pour elle, luy demanda quand il vouloit luy faire changer le nom de Maistresse en celuy de Femme. Il luy répondit sans s’embarasser, que l’obligeante marque d’amour qu’elle avoit bien voulu luy donner en luy sacrifiant son Rival, ne le pouvoit plus laisser balancer à luy en donner une pareille ; qu’il se sentoit obligé de luy avoüer que sa parole estoit engagée à une jeune Provençale, qui avoit de luy quantité de Lettres qui confirmoient cet engagement ; qu’il luy estoit important de les retirer ; qu’il en sçavoit un moyen tres seur, & qu’il estoit resolu de prendre la poste pour aller rompre avec elle, aprés quoy il reviendroit à Paris luy prouver en l’épousant que tout son bonheur dépendoit d’elle. La Belle alarmée de la proposition de son départ, prit une autorité absoluë pour s’y opposer. Aprés avoir raisonné longtemps sur le pretendu engagement où il se trouvoit, elle luy dit qu’il n’avoit qu’à l’épouser ; que sa Mere & elle consentiroient à tenir le mariage secret, & que s’il avoit un moyen si seur de se dégager de la Provençale, il le feroit réussir également, puis qu’elle ne sçauroit point qu’il fust marié. Le Cavalier voulut appuyer de quelques raisons la necessité de son voyage, mais la Demoiselle luy disant toujours qu’elle ne souffriroit point qu’il allast triompher d’elle auprés de la Provençale, avec qui sans doute il se raccommoderoit, il prit le party de luy promettre qu’il ne s’éloigneroit point, & qu’il employeroit un de ses Amis qui sçavoit l’affaire, pour luy faire prendre un tour qui satisfist les souhaits de l’un & de l’autre. En effet il écrivit dés le lendemain une fausse Lettre, & la fit voir à la Demoiselle. C’estoit pour elle un peu d’adoucissement dans ce qu’elle avoit à craindre. Ses allarmes ne laisserent pourtant pas de continuer. Comme l’amour est fort clairvoyant, elle penetra dans le cœur du Cavalier, & vit malgré son déguisement que son dessein n’estoit pas d’en venir au mariage. Elle ne put s’empescher de luy expliquer ce qu’elle pensoit, & luy dit ensuite qu’elle ne luy voudroit jamais aucun mal de luy avoir fait bannir le Conseiller de chez elle, puis qu’elle croyoit n’avoir rien perdu en luy, mais qu’elle ne pouvoit luy pardonner d’avoir si bien engagé son cœur qu’elle sentoit bien qu’il luy seroit impossible de se défaire jamais des sentimens qu’il y avoit mis ; que c’estoit un crime qu’il auroit à se reprocher éternellement, & que rien ne dementoit davantage le caractere qu’il se donnoit d’honneste homme que d’avoir toujours manqué de sincerité pour une personne qui s’estoit attachée à luy de si bonne foy. Le Cavalier luy dit mille choses obligeantes pour luy faire perdre cette opinion, mais il n’y put reussir, & elle devint tellement chagrine, qu’il ne trouva plus dans sa conversation ce qui l’avoit charmé si long-temps. D’ailleurs, il n’avoit plus rien à souhaiter. Il estoit venu à bout de se rendre maistre de son cœur, ce qui estoit le seul triomphe où il avoit aspiré, & la vertu de la Belle ne luy laissant aucune esperance que par une voye qui n’estoit pas de son goust, il ne songea plus qu’à se retirer. Il en prit l’occasion un jour que la Dame qui avoit leur confidence, voulut l’entretenir en particulier pour sçavoir à fond ses vrais sentimens. Aprés estre tombé d’accord avec elle, que la Provençale n’estoit qu’un pretexte pour gagner du temps, il luy jura qu’il n’avoit jamais esté si fortement touché de personne qu’il l’estoit de son Amie ; que ses belles qualitez avoient fait sur luy une impression que rien ne seroit capable d’effacer jamais ; que dés le moment qu’il l’avoit veuë, il s’estoit senty forcé de l’aimer avec une violence qui auroit trompé tout autre que luy ; que dans la premiere ardeur de sa passion, persuadé qu’il ne pouvoit vivre heureux s’il ne passoit sa vie avec elle, il n’avoit fait aucun doute qu’il ne surmontast l’aversion naturelle qui l’avoit toujours éloigné du mariage ; qu’il n’y avoit point d’efforts qu’il n’eust faits pour se mettre en cet estat, surtout depuis le sacrifice obligeant qu’elle luy avoit fait du Conseiller, ce qui avoit tellement gagné son cœur qu’il s’estoit vingt fois resolu de l’épouser pour luy en marquer sa reconnoissance, mais qu’en s’examinant serieusement, il n’avoit pû se cacher que son mariage auroit des suites si desagreables pour une personne dont il se sçavoit veritablement aimé, qu’il en avoit esté effrayé pour elle ; que connoissant bien que toute aimable qu’elle luy avoit paru jusque-là, il la fuiroit dés qu’elle seroit sa femme, il valoit mieux qu’il l’exposast à essuyer un chagrin qui ne dureroit qu’un peu de temps, quoy qu’il fust au desespoir d’estre obligé de le faire, que de luy donner sujet de se repentir toute sa vie de s’estre engagée avec un homme si peu capable d’aimer par devoir ; que tant qu’il vivroit il conserveroit le souvenir des sentimens favorables qu’elle luy avoit marquez, & que si elle avoit besoin de son bien & de sa vie, elle pouvoit disposer absolument de l’un & de l’autre. Le Cavalier estoit aussi genereux que brave, & il n’auroit eu aucune peine à tenir parole sur ces deux Articles, mais ils n’avoient pas dequoy contenter la Belle. Elle vouloit un amour aussi constant que le sien, & c’estoit ce qu’il ne pouvoit promettre. La Dame luy dit tout ce qu’elle put s’imaginer de plus fort pour l’obliger à rendre justice à son Amie, mais elle vit bien qu’il n’estoit pas né pour estre mary, & aprés une conversation de plus de trois heures, ils se separerent sans qu’elle eust rien obtenu. Il se trouva extrémement soulagé de la declaration qu’il venoit de faire, & ne pouvant ny demeurer à Paris sans voir la Belle, ny la voir encore sans avoir à soustenir de justes reproches, il partit pour l’Allemagne, aprés avoir écrit à la Dame mille honnestetez pour son Amie, qui n’aboutissoient pourtant à rien autre chose, qu’à l’assurer que s’il avoit pû se vaincre sur le mariage, il n’auroit point balancé à la preferer à toute la terre. Elle fut inconsolable de se voir abandonnée par le Cavalier, non pas tant pour les avantages qu’elle perdoit du costé de la fortune, que parce qu’elle s’estoit veritablement attachée de cœur, & que les liens de cette nature ne sont pas aisez à rompre. Aussi tomba t-elle dans une mélancolie si profonde que rien n’estoit capable de l’en retirer. Les choses demeurant toujours secretes, on ne manqua pas de dire qu’elle estoit causée par la rupture où le Conseiller s’estoit resolu. Elle repoussa ce bruit, mais foiblement, aimant mieux qu’on imputast son chagrin à la perte d’un Amant dont la passion avoit éclaté, que de donner lieu à certaines gens qui veulent tout découvrir, d’en approfondir le veritable sujet. Deux mois se passerent sans que ce chagrin diminuast, & enfin on dit tant au Conseiller qu’on le blâmoit de faire paroistre tant d’insensibilité pour une belle personne qui le regrettoit, qu’on reveilla son amour. Si les froideurs de la Belle luy avoient fait craindre de n’en estre point aimé, le déplaisir qu’il pretendoit qu’elle eust marqué de sa perte reparoit cela d’une maniere fort satisfaisante, & ce fut assez pour l’obliger à luy faire demander si elle vouloit renoüer l’affaire. La desertion du Cavalier, si l’on peut parler ainsi, estoit un mal sans remede. Il y alloit de ses avantages d’épouser le Conseiller, & elle avoit assez de vertu pour se répondre que l’entiere application qu’elle auroit pour son devoir, arracheroit de son cœur un reste d’amour qui la tourmentoit. Ainsi elle accepta le party, & le mariage fut conclu en peu de jours. Elle vit fort honnestement avec son mary, qui estant tres-content de sa conduite, ne sçait pas qu’il doit au refus de son Rival le plaisir d’avoir une Femme toute aimable.

[Livres nouveaux] §

Mercure galant, juillet 1690 [tome 7], p. 115-123.

Il y a d’heureux genies que les grandes occupations n’embarassent point, & qui sçavent si bien ménager leur temps, que les emplois qui demandent le plus d’assiduité, ne peuvent les empêcher d’en trouver encore de reste pour les Ouvrages d’esprit à quoy ils se sentent propres. Mr le President de Silvecane, ancien Prevost des Marchands de Lion, est de ce nombre. Il est continuellement occupé pour le service du Roy, & pour les affaires du Public, & il semble que deux ou trois cens Vers, qui échaperoient quelquefois à un Magistrat aussi employé que luy, devroient estre regardez comme une chose extraordinaire. Cependant il a un talent si particulier & tant de facilité pour la Poësie, qu’en y donnant seulement ses heures de delassement & de loisir, il est venu à bout de traduire en Vers François, toutes les œuvres de Juvenal, de Perse, d’Horace, & de Lucrece ; & ce qu’il y a de plus surprenant, c’est que non seulement il a fait toutes ces traductions en six ou sept années, mais qu’il les a encore accompagnées de remarques pleines d’érudition, & aussi curieuses qu’elles sont utiles. Ce travail qu’on peut appeller en quelque sorte infiny, pourroit paroistre incroyable, si l’impression ne justifioit ce que je dis. Mr le President de Silvecane vient de donner au Public le premier Tome des Satires de Juvenal, & les autres suivront dans fort peu de temps. On le trouve chez le Sr Pepie, ruë S. Jacques, & chez le Sr Guerout, au Palais.

Je sçay que vous avez leu avec plaisir l’Histoire de la Monarchie Françoise sous le regne de Louis le Grand, donnée au Public depuis deux ans, par Mr de Riencourt, Correcteur des Comptes. Les grands & fameux évenemens dont sont remplis les deux Volumes qui composent cette Histoire, l’ont mise dans une si grande vogue, que la premiere Edition en ayant esté entierement debitée, on en a fait une nouvelle avec des augmentations considerables. L’interest que vous avez toujours pris à ce qui regarde la gloire du Roy, ne me laisse point douter que vous ne me sçachiez gré de l’avis que je vous donne de ces augmentations. L’Auteur a ajoûté à ce que vous avez déja leu, plusieurs Sieges de Villes, & des Batailles sur terre & sur mer, avec d’autres matieres importantes qu’il n’avoit fait qu’ébaucher dans l’Edition de 1688. Celle-cy comprend tout ce qui s’est passé depuis ce temps-là, jusqu’à la mort de Madame la Dauphine, arrivée le 20. Avril dernier. Ce Livre se trouve chez les Srs de Gastin & Cavelier, Libraires au Palais.

Le Sr de Fer, Geographe de Monseigneur le Dauphin, vient de mettre au jour un Livre qui sera d’une grande utilité pour les Cadets dont le Roy entretient les Compagnies. Il a pour titre, Introduction à la Fortification, avec quelques Plans de Places fortes. Cet Ouvrage est remply de plusieurs Planches. La premiere, seconde, & troisiéme sont figures de Geometrie, renfermées chacune dans un Cartouche. La quatriéme est un Pentagone fortifié à simples Bastions, & orné de tous les Instrumens propres à construire une Forteresse. La cinquiéme, un Exagone fortifié avec toutes sortes de Dehors. La sixiéme, une Fortification Ancienne, une Moderne, une reguliere, une irreguliere, une naturelle, & une artificielle ; & les trois figures, Scenographie, Iconographie & Orthographie. La septiéme est remplie de tous les Instrumens propres à attaquer & à défendre une Place, comme sacs à terre, corbeilles, Gabions, bariques à terre, chandeliers, saucissons, fascines, clayes, mantelets, bombes, carcasses, caissons, grenades, Petards, chaussetrapes, hersillons, herses, herissons, chevaux de Frise, Canons & Mortiers. La huitiéme fait voir les diverses manieres d’attaquer les Bastions. La neuviéme est une Place attaquée dans les formes, avec les lignes de circonvallation & de contre-vallation. Toutes ces Figures sont suivies de plusieurs Plans de Places fortes, comme de Charleroy, Mons, Namur, Ath, Maëstrich, Anvers & sa Citadelle, Mayence avec ses Attaques, Bonn avec ses Attaques, & Turin & sa Citadelle, &c.

[Charge d’Aumônier donnée par Sa Majesté] §

Mercure galant, juillet 1690 [tome 7], p. 141-143.

Mr l’Abbé de la Sale, Aumônier du Roy, ayant esté nommé à l’Evesché de Tournay, Sa Majesté a donné sa Charge d’Aumônier à Mr l’Abbé de la Châtre, Docteur de Sorbonne. Cet Abbé ne s’est pas seulement distingué par sa doctrine & par de belles Prédications, mais encore par sa modestie jointe à une grande pieté. Il est Fils de Mr de la Châtre qui mourut à Gigery, & petit-Fils de Mr de la Châtre, Colonel General, qui n’entendoit pas moins bien les affaires de l’Etat que celles de la guerre, ayant fait un Livre considerable, connu sous le nom de Memoires de la Châtre. Mr de la Châtre son Pere s’estoit acquis par mille belles actions le baston de Maréchal de France.

[Réjoüissances faites pour la Bataille de Fleurus] §

Mercure galant, juillet 1690 [tome 7], p. 221-242.

La Victoire remportée en Flandre le premier jour de ce mois, par Mr le Duc de Luxembourg, a fait faire des Feux de joye par toute la France, & comme Chastillon sur Loin est à Madame la Princesse de Mekelbourg, Sœur de ce Duc, il ne faut pas s’étonner si cette Ville s’est distinguée par une Feste particuliere. Mr le Prieur de Briquemault, qui dans beaucoup d’occasions a marqué son zele pour la Maison de Madame la Duchesse de Chastillon, n’a pû se défendre d’en prendre le soin, & de donner le dessein d’un feu d’artifice. Ce qui le rendoit fort singulier, c’est qu’il le prit des Armes de la Maison de Mr le Maréchal Duc de Luxembourg, qui porte de Montmorency, qui est d’or à la croix de gueules, cantonnée de seize Alerions d’azur, la croix chargée en cœur de l’Ecussion des Armes de Luxembourg, qui est d’argent au lion de gueules, à la queuë noüée, fourchée & passée en double sautoir.

Quatre Lions servoient de base à toute la machine, & soutenoient quatre colomnes d’où sortoient quatre Arcs de triomphe. Sur les colomnes dans le vuide que faisoient les Arcs de triomphe, estoient posez quatre Hercules avec leurs massuës, semez de Fleurs de lis d’or, & vestus de peaux de lion. Seize Alerions posez quatre à quatre sur les quatre Arcs de triomphe, élevoient dans l’air le Temple de la Gloire, & au haut de ce Temple paroissoit la Victoire assise sur un char magnifique traîné par seize Alerions, & conduit par le Genie de la France. Ce char estoit suivi de deux Anges qui portoient les trompettes de la Victoire, & ces Lions, ces Aigles, & toutes ces Figures differentes estoient accompagnées de Devises qui répondoient au sujet.

Le premier Lion portoit en ses griffes un Tableau, dans lequel on avoit peint un grand Lion qui menoit deux Lionceaux à la proye, & ces mots estoient écrits au bas : Natos in prælia format. Ç'a esté pour Mr de Luxembourg une gloire singuliere, & que peut-estre aucun General d’Armée n’a eue avant luy, d’avoir partagé l’honneur de cette Victoire avec deux de ses illustres Enfans, Mr le Duc de Montmorency, & Mr le Comte de Lusse, & de les accoutumer ainsi à combattre & à vaincre en mesme temps.

 Tel qu’on voit un Lion du fond d’une tanniere,
 Faire sortir ses Lionceaux,
 Et d’une contenance fiere
Luy-mesme en leur presence attaquer des Troupeaux,
 Et les animer à la proye ;
 Tel Luxembourg, remply de joye,
Guide dans les Combats ses illustres Enfans.
 Il marche luy-mesme à leur teste,
 Les fait passer dans tous les rangs,
Et partage avec eux l’honneur de sa Conqueste.

Le second Lion representoit la colere du Roy contre les Hollandois. On voyoit dans un Cartouche un Lion furieux prest à dévorer une proye ; & au bas étoient écrits ces mots du Sage aux Proverb. ch. 20. Rugitus leonis, terror Regis.

 Ces timides Brebis de leurs bêlantes voix,
Irritoient tous les jours le Monarque de France.
Un Lion en couroux vient d’en prendre vengeance ;
 Telle est la colere des Rois.

Le troisiéme Lion estoit accompagné d’une Devise, dont le corps representoit le combat d’une Chévre contre un Lion, qui la met aussi-tost en pieces ; & ces mots d’un proverbe de Suidas & d’Homere en faisoient l’ame. Ne caprea contra leonem. Les Hollandois plus propres à presser le lait deleurs Chévres, qu’à soûtenir le feu d’un combat contre un Lion, avoient déja trop éprouvé la valeur de Mr de Luxembourg, & la prudence vouloit qu’ils ne s’engageassent pas facilement dans une guerre, dont le succés ne pouvoit que leur estre funeste.

 Ainsi la Chévre a l’insolence
D’insulter un Lion dans sa noble fierté,
 Mais par une juste vengeance
Elle reçoit le prix de sa temerité.

Par le quatriéme Lion, on faisoit voir la clemence de Mr de Luxembourg, qui n’a pas moins paru dans cette Victoire que sa valeur. Jamais Vainqueur n’en usa mieux, puis que le nombre des Prisonniers excedant celuy des Morts, c’est une marque que ce sage General a esté plus occupé à retenir qu’à exciter la chaleur du Soldat dans le carnage des Ennemis. C’estoit pour figurer cette grandeur d’ame qu’on avoit peint un Lion qui pardonne à un homme prosterné à ses pieds avec ces mots ; Sat est prostrasse.

En vain contre un Lionon se me tend défense ;
Voulez-vous éviter les traits de son couroux,
Et du fier Animal exciter la clemence ?
Cedez, c’est le moyen de vous le rendre doux.
Tel est de Luxembourg le noble caractere,
Il triomphe en Vainqueur, mais il pardonne en Pere.

Sur les quatre colomnes qui soûtenoient les quatre Arcs de Triomphe estoient posez quatre Hercules vestus de peaux de lion, leurs masses en main semées de fleurs de-lis d’or, & on lisoit au bas ces paroles, Armatus leone. La défaite du Lion Belgique par Mr de Luxembourg, met nos Provinces à couvert, & sa dépouille nous sert de défense durant toute cette Campagne.

 Que peut craindre aujourd’huy la France ?
 Ses Ennemis sont aux abois ;
Hercule a terrassé les Lions Hollandois,
 Et leur peau luy sert de défense.

Seize Alerions qui sont de Mommorency, posez sur les quatre Arcs de triomphe, portoient comme en l’air le Temple de la Gloire, sur lequel estoient peintes les plus belles actions de la vie de Mr de Luxembourg, & aux quatre faces de ce Temple on voyoit quatre Aigles qui formoient autant d’Emblêmes.

La premiere de ces Emblêmes marquoit la joye de la France, quand elle apprit le choix que le Roy avoit fait de Mr de Luxembourg pour commander ses Armées en Flandre. Le corps de cette Devise estoit un Aigle tenant en ses serres les foudres de Jupiter, & prest à les lancer contre des Geants. Ces mots en faisoient l’ame. Non frustra.

 En vain tant de Geants, monts sur monts entassez,
Ont répandu par tout de funestes alarmes,
Jupiter à son Aigle a confié ses Armes ;
 Qu’il soit en repos, c’est assez.

La seconde marquoit l’entiere défaite des Hollandois, qui devant toute leur élevation au Roy de France, n’ont payé ses biens-faits que d’ingratitude. On voyoit un Soleil qui élevoit dans les airs une nuë de Grenoüilles, & comme ce nuage sembloit vouloir obscurcir le Soleil, un Aigle paroissoit sortir de ce bel Astre, se lançant sur ces insectes, & les mettant en pieces. Ces paroles du Prophete Ezechiel étoient écrites au bas, & exaltat & humiliat.

 Du fond de leurs marais, & des Plaines humides,
 Jadis le Soleil des François
Eleva dans les airs ces Grenoüilles timides ;
De leurs croassements les importunes voix
Commençoient à troubler le repos de la France,
Et sembloient du Soleil oublier les bien-faits.
L’Aigle fond par son ordre, & sur elles se lance,
 Et ces insectes sont défaits.

Comme l’Armée qui vient d’estre vaincuë estoit composée en partie d’Espagnols, & que le champ de Bataille nous est demeuré avec tout le butin des Ennemis, on avoit exprimé cette défaite par un Aigle, qui aprés avoir mis en déroute un troupeau de brebis, se jouë dans les airs d’une toison qu’il emporte, avec ces mots : Præludia belli.

Ces troupeaux engraissez & tout couverts de laine,
Paissoient l’herbe à leur gré dans ces fertiles plaines,
Lors qu’un Aigle à grand vol fond du milieu des airs,
Ecarte ces brebis du bec & de la serre,
Enleve leur toison, se nourrit de leurs chairs,
Et commence le jeu d’une sanglante guerre.
Tel est, fier Espagnol, l’essay de nos combats,
Tes timides brebis par Luxembourg chargées,
 Ont éprouvé la force de son bras ;
Et leurs riches toisons vont estre partagées
  Entre tous nos Soldats.

La Victoire de Mr de Luxembourg a étonné les Allemans qui sont sur le Rhin, & ils en sont sans doute dans la consternation. C’est ce qu’on avoit figuré par un Aigle qui voloit dans les airs avec un laurier au bec, regardant fierement d’autres petits Aiglons sur le bord d’un fleuve, sans que les Aiglons osassent le suivre. Ces mots faisoient l’ame de cette Emblême, Provocat, nec audent.

 Tandis que sur la Sambre où la gloire l’appelle,
L’Aigle François par tout moissonne des lauriers,
L’Aigle Romain suivi de cent mille Guerriers,
Sur le Mein & le Rhin ne bat plus que d’une aisle.
Nostre Aigle en vain l’invite à marcher sur ses pas.
Tous les Aigles entre-eux ne se ressemblent pas.

Quatre inscriptions aux quatre faces du Temple, donnoient d’abord une idée de ce qu’on y avoit representé. Sur la premiere estoit écrit en gros caracteres, La France rasseurée ; sur la seconde. la Hollande humiliée ; sur la troisiéme, l’Espagne dépouillée, & sur la quatriéme, l’Allemagne étonnée. Au haut de ce Temple paroissoit la Victoire vêtuë à la Françoise, assise sur un char magnifique, orné d’Etendars pris sur les Ennemis, & traîné par seize Alerions, tenant d’une main des palmes & des lauriers, & de l’autre une couronne triomphale. Le Genie de la France conduisoit ce char, & au bas on lisoit ces paroles imitées de Virgile. Franco duce, & auspice Franco.

 A nos gages jadis la Victoire en ces lieux
Couronnoit nos Guerriers d’une main immortelle,
L’inconstante avoit pris son essor dans les Cieux,
 Et disparoissoit à nos yeux ;
Mais enfin Luxembourg aujourd’huy la rappelle,
Et sous un Duc François à son Prince fidelle,
 Son char roule au gré de nos vœux.

Deux Anges, qui sont les supports des Armes de France, accompagnoient ce char de triomphe. Ils tenoient d’une main la croix qui charge les Armes de la Maison de Montmorency, & qui est comme la recompense des grandes actions que ceux de cette illustre Maison ont faites dans les guerres d’Outremer en faveur de la Religion, pour laquelle Mr de Luxembourg vient de vaincre ; & de l’autre main ils portoient les trompettes de la Renommée, sur les pendants desquelles on lisoit d’un costé en grosses lettres, Dieu sauve le Roy Tres-Chrestien ; & de l’autre, Dieu, sauve le premier Baron Chrestien. Ces lettres sortoient de la bouche des trompettes, & se lisoient dans les airs en caracteres de feu. Le Feu d’artifice que l’on avoit enfermé dans le Temple de la Gloire, par tous les endroits de la machine, fit un effet admirable, & d’autant plus beau, que le Chasteau estant fort élevé, il fut apperceu de fort loin dans l’obscurité de la nuit. Ce ne fut ce mesme soir par toute la Ville que réjoüissances & qu’Illuminations, tant la joye des peuples estoit grande.

Air nouveau §

Mercure galant, juillet 1690 [tome 7], p. 344.

Voicy un second Air nouveau d'un habile Maistre.

AIR NOUVEAU.

Avis pour placer les Figures : l’Air qui commence par, Mon cœur, que vous, &c., regarde la page 344.
Mon cœur, que vous allez souffrir !
Iris que je croyois hair,
D'un regard a remis le trouble dans mon ame ;
Si je ne puis guerir de l'ardeur qui m'enflame,
Mon cœur, que vous allez souffrir !
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