1690

Mercure galant, août 1690 [tome 9].

2017
Source : Mercure galant, août 1690 [tome 9].
Ont participé à cette édition électronique : Nathalie Berton-Blivet (Responsable éditorial), Anne Piéjus (Responsable éditorial), Frédéric Glorieux (Informatique éditoriale) et Vincent Jolivet (Informatique éditoriale).

Mercure galant, août 1690 [tome 9]. §

[Vers qui ont remporté le Prix de l’Académie d’Angers] §

Mercure galant, août 1690 [tome 9], p. 7-18.

On voit aujourd’huy ce qu’on n’a point veu dans les autres Siecles. Les merveilles de la vie du Roy sont si surprenantes & en si grand nombre, qu’elles sont l’objet de toutes les actions publiques, & fournissent sans cesse des sujets nouveaux aux Academies de France pour les ouvrages d’esprit qu’elles proposent. Celle d’Angers avoit donné pour sujet de prose, le discernement de ce grand Monarque, touchant le choix qu’il a fait des personnes ausquelles il a confié l’éducation de Monseigneur le Duc de Bourgogne, & le prix a esté remporté par Mr de la Grange, Avocat au Parlement. Celuy de Vers estoit la protection que donne Sa Majesté au Roy d’Angleterre. Comme il n’y a rien de plus genereux, vous serez sans doute bien-aise de voir comment Mr l’Abbé Maumenet a traité cette matiere. C’est luy qui a merité le prix de Poësie, & voicy la piece qui l’a remporté.

SUR LA PROTECTION
Que le Roy donne à Sa
Majesté Britannique.

Dans les champs ennemis
LOUIS couvert de gloire
Eut à peine achevé le cours de sa victoire,
Qu’immolant à Dieu seul la force de son bras
Il vint chasser l’Erreur du sein de ses Etats.
Elle cede à ses coups, & le cœur plein de rage,
N’épargnons point, dit-elle, un Prince qui m’outrage,
Desarmée, & contrainte à quitter ces beaux lieux,
Où j’ay sceu résister à ses puissans Ayeux,
Allons pour luy livrer une cruelle guerre,
Exciter la Hollande, & la fiere Angleterre,
Et dans tous les climats à mon culte soumis,
Armer en ma faveur mille bras ennemis.
Ceux mesme dont la foy s’oppose à mes maximes,
Uniront contre luy leurs couroux legitimes,
Et dans cette union trouvant un ferme appuy,
Je braveray bien-tost qui me brave aujourd’huy.
C’est ainsi qu’elle parle, & soudain la perfide
Porte au cœur d’un Tiran sa fureur parricide,
Le flate avec adresse, & l’anime à tenter
Le plus noir des forfaits qu’elle osa projetter.
Prince, à qui mes Autels sont plus chers que ta vie,
Dit-elle, tu me vois par deux Rois poursuivie.
L’un a déja soumis au Pontife Romain
De fidelles Sujets élevez dans mon sein ;
Et l’autre s’assurant d’imiter ses exemples,
S’appreste à renverser mes Autels & mes Temples,
Mais son Peuple constant à me garder la foy,
D’un si foible ennemi n’écoute plus la loy.
Profite du moment où ton ardeur guerriere
Peut se frayer au Trône une illustre carriere ;
A seconder tes soins mon zele est préparé,
Et j’ose t’en promettre un succés assuré.
Ne crains pas d’attenter sur les droits d’un Beau-pere ;
Où je parle, la loy, le sang, tout se doit taire,
Et quand de mes Autels l’honneur est combatu,
La violence est juste, & le crime est vertu.
Il écoute, & rempli d’une secrete joye,
A de si noirs conseils son cœur se livre en proye,
Et moins vaillant Guerrier, que Prince scelerat,
Il se montre au complot plus adroit qu’au combat.
Que vois-je, ô Dieu ! déja sa fureur inhumaine
Détrône son Beau-pere, & poursuit une Reine,
Qui les larmes aux yeux fuyant avec son Fils,
Vient chercher un asile en l’Empire des Lis.
A quel excés de maux les verroit-on en bute,
Ces Princes malheureux qu’un Tiran persecute,
Si le plus grand des Rois sensible à leurs malheurs,
N’en eust par mille soins adoucy les rigueurs ?
LOUIS, dont les vertus ne sont jamais steriles,
Ne borne point son zele à des vœux inutiles,
Il passe en mesme temps des discours aux effets,
En formant des soupirs il répand des bienfaits.
Luy seul de tous les Rois que l’Europe nous vante,
Leur tend dans la disgrace une main caressante,
Leur offre son Palais, ses tresors, ses Soldats,
Et semble partager avec eux ses Etats.
Qui peut voir sans l’aimer ce Vainqueur magnanime,
Cedant aux doux transports dont sa bonté l’anime,
Mettre à les consoler l’éclat de ses grandeurs,
Et s’affliger luy-mesme en essuyant leurs pleurs ?
Certes, ou je me trompe, ou jamais la Victoire,
Loüis, n’a sur ton front fait briller tant de gloire,
Quand fidelle à te suivre en cent combats divers,
On la vit sur tes pas alarmer l’Univers.
Au bruit de cent exploits dignes de ta vaillance,
Nos esprits admiroient l’effet de ta vengeance,
Mais quand ton bras soutient des Princes opprimez,
Nos cœurs & nos esprits également charmez
Admirent encor plus cette tendresse extrême,
Qui comble de bienfaits un Roy sans Diadême ;
Et c’est pour nous, grand Prince, un spectacle plus doux
Que celuy des bienfaits que tu répans sur nous ;
Plus que nos interests ta gloire nous est chere.
Digne exemple des Rois, tu veux estre leur Pere.
Quel sort plus glorieux, que toy seul aujourd’huy
Sois de leurs droits sacrez l’ornement & l’appuy !
Mais que sera-ce un jour, quand loin du bruit des armes
La foy des saints Autels étalera ses charmes,
Et qu’à tous les mortels cette Fille des Cieux
Fera de tes vertus le récit glorieux ?
Alors ils apprendront de sa bouche immortelle,
Qu’en combattant pour nous tu combattis pour elle,
Et que ton bras vainqueur défendit à la fois
Le Sceptre, les Autels, la Nature & les Loix.
Peuples, s’écrira-t-elle, & vous, sçavans Orphées,
Vous ne luy dressez point d’assez dignes trophées.
Je vais graver moy mesme au celeste sejour,
Ce qu’il m’a témoigné de tendresse & d’amour.
Surpris à cet aspect le Germain infidelle
Verra son front couvert d’une honte éternelle,
Et tomber pour jamais les superbes lauriers
Dont n’aguere il a vû couronner ses Guerriers.
Vainqueur de l’Ottoman, quand tout le favorise,
A de vils interests il immole l’Eglise ;
Un fier Usurpateur, un Fils dénaturé,
Loin d’attirer sa haine, en est plus reveré.
Prens ta foudre, LOUIS, marche où la Foy te guide,
Remporte en la suivant un triomphe solide,
Et rappelle bien-tost les douceurs de la Paix.
Que l’Europe sans toy ne reverroit jamais.

Priere pour le Roy §

Mercure galant, août 1690 [tome 9], p. 19.

PRIERE POUR LE ROY.

Seigneur, je viens aux pieds de tes sacrez Autels,
T’invoquer en faveur du plus grand des mortels ;
Quand il s’arma pour nous, tu soûtins sa vaillance.
Aujourd’huy que la gloire est son unique objet,
Que du Trosne & du sang son bras prend la défense,
Seigneur, benis encore un si juste projet,
Et rien ne sçauroit mieux signaler ta puissance.

Priere pour le Roy tirée des Pseaumes du Roy Prophete §

Mercure galant, août 1690 [tome 9], p. 19-25.

Le Roy est si tendrement aimé de ses Sujets, que je croy qu’il n’y en aura aucun qui n’entre avec une forte ardeur dans le sentiment de celuy qui a composé cette autre Priere. Elle est toute de versets des Pseaumes, & l’Auteur explique d’abord son dessein par celuy-cy.

Mon cœur pousse avec ardeur la parole sainte. C’est pour le Roy que je compose ce Cantique. Ps. 44. v. 1.

PRIERE POUR LE ROY,
tirée des Pseaume du Roy
Prophete.

Que le Seigneur vous exauce au jour de l’affliction ; que le Dieu de Jacob vous protege. Ps. 19. 1.

Le Seigneur est celuy qui vous garde ; le Seigneur vous couvre de son ombre ; c’est luy qui vous tient par la main. Ps. 120. 5.

C’est luy seul qui vous délivrera de tous vos Ennemis, & il ne permettra pas que leur entreprise soit contraire à vos desseins. 45. 1.

Vous accomplirez les desirs de son cœur, & vous ne rejetterez point les prieres qu’il vous offre. 20. 2.

Il se rejoüira, Seigneur, dans vostre force, & quelle satisfaction ne ressentira-t’il pas de la protection qu’il reçoit de vous ? 20. 1.

Que ses Ennemis n’ayent point de droit sur luy, & que le méchant ne puisse jamais luy faire aucun mal. Ps. 88. 22.

Seigneur, faites maintenant prosperer le regne de nostre Roy. Que vostre main luy preste secours, & que vostre bras le fortifie. 117. 24.

O Monarque invincible, vôtre main se fera sentir à tous vos Ennemis, & le Seigneur vous élevera au dessus de tous les Rois de la Terre. 20. 8.

Que les Nations soient émeües tant qu’elles voudront, il n’y a point de force capable de l’ébranler, parce que la main du Seigneur est son bouclier, & qu’il est en la garde du Saint d’Israël. 45. 6.

Vostre protection l’a mis dans un grand éclat, & vous l’avez comblé d’honneur & de gloire. 20. 5.

Le Seigneur des Armées soit avec vous ; le Dieu de Jacob soit vostre forteresse & vostre défense. 45. 7.

Nous vous souhaitons les benedictions du Seigneur ; le Seigneur est le Tout-puissant ; c’est luy qui vous protegera. 117. 25.

Vous aimez la justice, vous haïssez l’iniquité, c’est pourquoy le Seigneur vous a sacré d’une huile de joye, d’une maniere plus excellente que tous ceux qui vous ont precedé. 44. 9.

Ajoûte, Seigneur, jour sur jour à la vie de nostre Roy, & que la suite de ses années soit d’une longue durée. 60. 6.

Seigneur conservez sa Famille pour toûjours, & que la durée de son Trône dure autant que tous les siecles à venir. 88. 29.

Seigneur, vous estes tout plein de bonté, défendez nostre cause contre ceux qui nous tourmentent, combattez ceux qui nous font la guerre. 34. 1.

[Madrigal de Perrault]* §

Mercure galant, août 1690 [tome 9], p. 25-26.

La France ne peut manquer d’estre heureuse, puis que le Roy paroist satisfait du zele de ses Sujets. C’est sur cela que Mr Perrault, de l’Academie Françoise, a fait le Madrigal que vous allez lire.

 LOUIS, quand la Hollande & la fiere Angleterre
Ont flechy sous les coups de ton puissant tonnerre
Et que toute l’Europe en a tremblé d’effroy,
Tu dis que ton bonheur vient d’avoir sous ta loy
 Le meilleur Peuple de la terre.
Ah, combien dans le temps d’une si rude guerre,
Sommes-nous plus heureux d’avoir un si grand Roy !

[Prix remportez aux Jeux Floreaux de Toulouse] §

Mercure galant, août 1690 [tome 9], p. 26.

J’oubliay le mois passé de vous dire, qu’on a celebré cette année les Jeux Floraux à Toulouse selon la coûtume, & que Mr l’Abbé d’Aussonne, Frere de Mr d’Aussonne, Avocat General dans le Parlement de Languedoc, & Mrs Gay & Pagés y ont remporté les Fleurs.

Les Lions et l’Aigle §

Mercure galant, août 1690 [tome 9], p. 28-33.

La Fable qui suit est trop du temps pour ne vous l’envoyer pas. Elle est de Mr Nault, qui avoit l’honneur d’estre du Conseil de feu Monsieur le Prince.

LES LYONS ET L’AIGLE.

Cinq Lions ennemis des douceurs de la Paix,
 Ne voulurent plus desormais
Demeurer enfermez dans leurs sombres tanieres,
Et jaloux des grandeurs & des vertus guerrieres
Du plus grand Potentat qui soit dans l’Univers ;
 Il va nous mettre dans les fers,
 Dirent-ils, si tous cinq ensemble
 Par la gloire qui nous assemble
 Nous ne liguons les plus fiers animaux
Pour aller desoler son peuple & ses troupeaux.
 Ce Prince que le monde adore,
 Et qui, d’où se leve l’Aurore
 Jusques au coucher du Soleil,
Ne sçauroit trouver son pareil,
 Regne sur la terre & sur l’onde,
Ravage & détruit tout le monde,
 Brûle sur les rives du Rhin
 Les Provinces du Palatin,
 Et bien-tost mesme la Baviere,
Si nous ne prenons soin d’y mettre quelque fin,
 A ses exploits servira de matiere.
Appellons avec nous les Loups, les Leopards,
Hurlons & rugissons, courons de toutes parts,
Et si nous le pouvons, excitons le tonnerre
A luy faire avec nous une sanglante guerre.
Peut-estre qu’attaqué par de tels ennemis,
Nous verrons qu’à son tour il nous sera soumis.
Un dessein genereux, quoy qu’il soit témeraire,
A souvent du bonheur sur le party contraire.
La révolte est concluë, & d’un commun accord
Du passage du Rhin l’un d’entre-eux se fait fort ;
L’autre dit ; & pour moy, je porteray la guerre
Jusques au Souverain des Etats d’Angleterre,
L’autre ; j’irriteray les Princes d’alentour.
Les derniers ; & pour nous, ravageant tour à tour
Les lieux qui sont icy les témoins de sa gloire,
Nous en effacerons à jamais la memoire,
Ils cabalent tous cinq, & sur ce fol espoir,
 Par tout où s’étend leur pouvoir,
 Ils excitent divers orages.
D’une mer en fureur ils passent les rivages.
Tout suit de leurs desseins l’injuste emportement,
Rien de plus fortuné pour un commencement.
Dés le premier exploit l’un détrône un Monarque,
 Mais dans les decrets de la Parque,
  Il estoit destiné
  Que le Coq de la France
Par tout de leurs projets confondroit l’arrogance,
Et que par le fameux Heros du Dauphiné
 On châtieroit le party mutiné.
 Ainsi le Lion d’Austrasie
Au premier chant du Coq meurt de paralisie.
 Les autres fuyant dans leurs trous
 Tâchent d’éviter son couroux.
 Mais de l’Aigle l’audace extrême
  Veut s’en mêler de mesme,
 Et dit ; je porteray des coups
  Qu’on ne pourra me rendre.
  Le Soleil sans attendre
Qu’elle eust entierement achevé son discours,
D’un projet insolent veut arrester le cours.
Il assemble ses feux sur cette Aigle legere,
Qui voulant se guinder auprés de sa lumiere,
  Sentit pour son malheur
 La plus forte & cuisante ardeur.
Ses cris parmy les airs le firent bien connoistre.
Ah, dit-elle, pourquoy s’adresser à son Maistre ?
Apprenez, ô Mortels, par ma mourante voix,
Que tout doit obeir à l’Empire François.

Virelay §

Mercure galant, août 1690 [tome 9], p. 33-35.

Les avantages que le Roy a remportez sur terre & sur mer par les deux grandes Batailles que Mr le Maréchal Duc de Luxembourg, & Mr le Comte de Tourville ont gagnées le mois passé, ont donné lieu a quantité d’ouvrages de Vers, que l’abondance des nouvelles importantes dont j’ay à vous faire part ne me permet pas d’employer dans cette Lettre. Ainsi je me contente de vous envoyer un Virelay que Mr Marcel a fait sur ces deux Victoires. Le fameux Mr Dambruys y a fait un Air en Vaudeville.

VIRELAY.

Avis pour placer les Figures : l’Air qui commence par, Qu’on chante à la Cour, à la Ville, doit regarder la page 34.
 Qu’on chante à la Cour, à la Ville,
Vive Luxembourg, & Tourville !
Qu’on chante à la Ville, à la Cour,
Vive Tourville, & Luxembourg !
***
 Luxembourg plus vaillant qu’Achille
Défit nos Ennemis par mille,
Et le fier Tourville à son tour,
Sur les eaux fait le Luxembourg.
***
 Qu’on chante à la Cour, &c.
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[Lettre contenant un détail de la reception faite à la Porte à M. de Chateauneuf, Ambassadeur de France] §

Mercure galant, août 1690 [tome 9], p. 45-50.

Le Samedy Saint 25. Mars, Mr l'Ambassadeur eut son audience publique du Grand Visir, qui l'envoya prendre la matin à son Palais par deux de ses premiers Officiers, & pour luy marquer l'estime qu'il en faisoit, il luy fit mener quarante chevaux. Ce sont dix de plus que de coûtume. L'Aga & les quatre Janissaires de son Excellence commencerent la marche. Sa Maison suivit, le Maistre d'Hôtel estant à la teste de quatre Valets de Chambre, de vingt-deux Valets de pied habillez d'écarlate avec un grand galon d'or. On voyoit ensuite une Chaise à porteurs fort magnifique, les Carrosses n'estant point d'usage en ce Pays-cy, & six chevaux de main en housses brodées d'or, conduits par autant de Palfreniers vestus à la Grecque. Huit Drogmans ou Interpretes precedoient Mr l'Ambassadeur, qui par son air agreable & sa bonne mine attiroit sur luy les yeux d'une infinité de peuple, dont toutes les ruës étoient bordees. L'Ambassadeur de Hollande estoit dans une maison derriere une Jalousie, d'où il nous voyoit passer sans estre veu. Environ cinquante hommes à cheval, parmy lesquels se trouverent les principaux de la Nation Françoise, fermoient cette marche. Deux Compagnies de Janissaires estoient rangées en haye devant la Maison du Grand Visir, & toute sa Cour estoit à la Chambre d'Audience pour y recevoir Mr l'Ambassadeur. Le Grand Visir y entra presque dans le mesme temps par une autre porte, & ces deux Ministres s'estant saluez reciproquement, s'assirent sur deux tabourets semblables, placez vis à vis l'un de l'autre sur le Sofa. On ne parla point d'affaires dans cette premiere audience, qui est toûjours courte, & qui ne se passe qu'en complimens. Mr de Châteauneuf remit la Lettre du Roy entre les mains du Visir, qui le receut avec de grandes marques de respect. Elle estoit dans une bourse de satin cramoisy. Cela estant fait, on apporta les rafraîchissemens ordinaires de confitures, de Sorbets, de Caffé, & de parfums d'ambre. Le tout fut servi également à ces deux Ministres, & ensuite on presenta une veste fort riche à Mr l'Ambassadeur, & on en distribua trente autres à ceux de sa suite qui furent appellez par un Drogman. Aprés qu'il eut pris congé du Grand Visir, il s'en retourna à son Palais dans le mesme ordre qu'il estoit venu, & il y trouva trente Joüeurs d'Instrumens de ce Ministre, Hautbois, Flûtes, Trompettes, Timbales, Psalterions, & autres, qui s'accordoient tous si bien, que cette Musique nous parut fort agreable.

[Réjoüissances faites en plusieurs Villes du Royaume, pour les Victoires reportées sur terre & sur mer par les Armées de Sa Majesté] §

Mercure galant, août 1690 [tome 9], p. 72-73, 76-80, 83-87.

Il n'y a point de Ville dans le Royaume où l'on n'ait fait des réjoüissances pour les Victoires remportées sur terre & sur mer par les Armées de Sa Majesté. Je vous parleray seulement de quelques unes, ne pouvant grossir ma Lettre de ces sortes de Relations, à cause des Nouvelles indispensables qui doivent y trouver place. La Ville de Nevers donna des marques de sa joye le 20 du mois passé par un feu d'artifice dressé dans la Place Ducale, auquel Mr Daquin, Intendant de la Province, mit le feu, à la teste des Echevins. Le Te Deum avoit esté chanté auparavant dans la Cathedrale de Saint Cir, par Mr l'Evesque & son Chapitre en presence de tous les Corps de la Ville, & de plusieurs Religieux de chaque Convent. [...]

 

Le 23. du mesme mois, on donna à Noyon les mesmes marques de joye. La disposition du Feu d'artifice fut faite de cette maniere. La France estoit representée en Pallas, sur un piedestal garny d'une balustrade. Elle tenoit une pique d'une main, & de l'autre un bouclier, sur lequel on lisoit ces paroles, Ludovico Magno, semper victori, novis palmis nuper inclito. A l'une des faces du piedestal estoit pour Devise, Territâ Europa, recreatâ Galliá, triumphante Ecclesiâ. A la seconde, Duabus arcibus ad Sabim prima impressione expugnatis. A la troisiéme, Duobus deleti exercitibus, relatis manubiis. A la quatriéme, Fusis, fugatis ad Sabim Batavis, Anglis, Germanis. Aux quatre coins du piedestal l'on avoit representé autant de Figures ; scavoir un Espagnol, un Hollandois, un Anglois, & un Suedois chacun avec sa Devise.

Un peu avant que l'on allumast le feu, les quatre Compagnies des quartiers estant arrivées sur la Place, Mrs Sezille & Martine, premier & second Echevin, se rendirent à l'Evesché, pour accompagner Messire François de Clermont, Abbé de Tonnerre, Grand-Vicaire de ce Diocese, & Neveu de Mr l'Evesque de Noyon, invité par Mrs de Ville à cette ceremonie. Il fut receu à la premiere porte de l'Hostel de Ville par Mr Bellot Maire, & par Mrs Casse & de Targuy, Echevins, & monta à la Chambre de Ville, où estoient Mr de Lisle-Adam, Lieutenant de Roy, & Mr de Charmeluë, Lieutenant Civil, aussi invitez, qui vinrent au devant de luy à la porte de l'escalier ; aprés quoy la marche se fit en cet ordre. Les Gardes du Gouvernement & Sergens de Ville, tenant chacun un flambeau allumé, estoient precedez des Violons, & autres Instrumens, & ensuite Mr le Grand-Vicaire en manteau long marchoit seul. [...]

 

On ne s'est pas montré moins zelé à Chalons en Champagne. Tous les Corps de la Ville se trouverent au Te Deum qui fut chanté par Mr l'Evesque dans l'Eglise Cathedrale ; aprés quoy celuy de Ville ayant ce Prelat à sa teste, se rendit dans la Place publique, & mit le feu à un artifice que l'on y avoit dressé. Cela se fit au bruit des Hautbois & des Trompettes, & de la décharge generale de la Mousqueterie des Bourgeois. Ils firent des feux dans toutes les ruës, & les fontaines de vin coulerent pendant tout le jour.

Mr de Langlade, Lieutenant General du Presidial d'Evreux, n'a épargné aucune dépense pour se distinguer dans toutes les occasions où il s'est agy de soutenir dignement le poste où il est. Ainsi dans toutes les Assemblées & les convocations de la Noblesse, il a toujours tenu une table proprement servie, & dans les réjoüissances qui ont esté faites pour les victoires du Roy, les Canons tirez & les fontaines de vin ont esté les moindres marques qu'il ait données de sa joye.

Les Communautez n'ont pas esté moins ardentes à faire voir la part qu'elles prennent à l'heureux succés des armes de Sa Majesté. Les Benedictins de Seez en Normandie, en ont donné un exemple. Ils chanterent le Te Deum le 25. de Juillet avec beaucoup de solemnité, & cette Feste fut annoncée le jour precedent par le bruit des Canons & par le carrillon de toutes leurs cloches qui sont en grand nombre. La ceremonie commença aprés les Vespres. Toutes les personnes de consideration furent placées dans les hautes chaises du Chœur, & les Dames trouverent des Sieges preparez pour elles aux deux costez de l'Autel. Aprés qu'on eut rendu graces à Dieu des avantages que nous avons remportez, on alla en procession allumer un feu dressé devant le parvis de l'Eglise. le bruit du Canon, des Tambours & des Trompettes, répondoit aux Violons & au carrillon des Cloches. La réjoüissance se termina par une Collation qu'on donna aux hommes dans le Monastere, & aux Dames dans une Maison d'emprunt. On fit une grande distribution de pain & de vin au peuple, & les Pauvres ne furent point oubliez.

[Le Moineau et la Linote, Fable] §

Mercure galant, août 1690 [tome 9], p. 87-100.

L’amour est difficile à cacher, & souvent tout ce qu’on fait pour empescher qu’il ne soit connu, ne sert qu’à le faire mieux paroistre. L’inutile precaution de la Linote dans la Fable que vous allez lire en est une preuve. Elle m’a esté envoyée de Poitou sous le nom du Pastor Fido.

LE MOINEAU
ET LA LINOTE.

 Dans une agreable Voliere
 Où l’on voit cent Oiseaux divers,
Qui de mille chansons font retentir les airs
 D’une ravissante maniere,
 Se trouvoit un jeune Moineau,
 Qui dédaignant tous ceux de son espece
 Epris par un instinct nouveau,
 D’une Linote qui le blesse,
 Prés d’elle voltigeoit sans cesse
 Et tâchoit de paroistre beau,
Afin qu’elle voulust devenir sa Maîtresse.
 La Linote de son costé
 Que le mesme panchant entraine,
Partageant en secret son amoureuse peine
 N’affecte point de cruauté.
***
 Ainsi ces deux Oiseaux de differente espece
Se prennent par le cœur avecque tant d’amour
 Qu’il ne se passe point de jour
Que contraints de ceder à l’ardeur qui les presse,
 Ils ne se donnent tour à tour
 Quelque marque de leur tendresse.
 La Linote hait les Linots
 Et si quelqu’un d’eux se presente,
 Elle luy dit, quelque doux air qu’il chante,
 Qu’il l’importune & trouble son repos,
Et sans l’heureux Moineau, rien ne la rend contente.
 Elle voudroit tirliter comme luy,
 Et le Moineau, siffler comme elle.
Si l’un de son jargon fait leçon aujourd’huy,
Demain l’autre du sien en fait une nouvelle.
 En s’instruisant ainsi tous deux,
 A toute heure de leur ramage,
 Ils font un inconnu langage
Qui leur sert à couvrir leurs secrets amoureux,
 Et que personne n’entend qu’eux.
 Assez long-temps par cette adresse
 Leurs feux avoient esté cachez.
De tout ce qu’ils sentoient ils se parloient sans cesse,
Sans que jamais témoin les en eust empeschez ;
 Mais l’amour, quand il est extrême,
 Bien souvent se trahit luy-mesme.
***
 Un jour estant dans un reduit
 Où les amene leur tendresse,
Eloignez des oiseaux, n’entendant aucun bruit,
Chacun d’eux se dispose à se faire carresse.
 Le Moineau sans retardement
 Prés la Linote bat des aisles,
 Et luy jure amoureusement
 Que ses ardeurs seront fidelles.
Aprés qu’elle a receu ce tendre compliment,
 Ce sont promesses mutuelles
 De s’aimer éternellement.
 Rien n’approchoit de leur contentement,
 Quand une Linote perchée
Sous un feüillage épais qui la tenoit cachée,
 Ayant entendu leurs discours ;
Ah, dit-elle, peut-on croire ce qui se passe ?
 Une Linotte avoir l’ame si basse
 Qu’un Moineau soit l’objet de ses amours !
***
 D’un reproche si dur la pauvrete accablée
 Demeure interdite & troublée.
 De sa Compagne elle craint le caquet,
Et de peur qu’elle n’aille ailleurs faire une histoire
 Qui luy pourroit attirer un bouquet
 De méchante odeur pour sa gloire,
 Elle veut par precaution
Semer des bruits qui ressentent la fable,
 Pour donner à sa passion
 Un tour qui luy soit favorable.
Elle court aux endroits ou d’un commun concours
 Les oiseaux se trouvent ensemble.
Là d’un air asseuré, sans que la voix luy tremble,
 Elle leur fait en riant ce discours.
***
 Ecoutez, Linots & Linotes,
 Gruans, Pinçons, Chardonnerets,
 Rossignols, Tarins, soyez prests
A celebrer mon nom sur vos plus belles notes,
Puis que par un dessein surprenant & nouveau
 Que je me suis mis en la teste,
 J’ay fait aujourd’huy la conqueste
Du plus beau des objets, c’est un jeune Moineau
 Qui pour me plaire à tout s’appreste.
Depuis quelques momens une folastre Sœur
 M’en vient de faire le reproche,
Et pretend que quand il m’aproche
 Il me fait palpiter le cœur.
 Il est vray qu’elle a pû m’entendre,
Luy dire en badinant sur ses fades douceurs
Que j’aimois à luy voir un cœur facile à prendre,
Mais moy, que je réponde à ses folles ardeurs,
 O l’avantageuse partie,
 Et que le sujet seroit beau !
Admirez entre vous l’étroite simpatie
Du cœur d’une Linote & du cœur d’un Moineau.
***
 A ces mots dits d’une voix fiere,
Pleine de confiance elle sort en chantant ;
Mais les Oiseaux pensant à fond sur la matiere
 En jugent d’une autre maniere
 Que la Linote ne l’entend.
Chacun reflechissant sur les choses passées
Sans se contraindre en rien explique ses pensées.
 L’un dit qu’il les a veus souvent
Dans des lieux retirez se parler en cachette ;
L’autre qu’il les a veus l’un l’autre se suivant,
 Et percher sur mesme buchette.
 Quelques-uns des Linots jaloux
 Citent contr’eux de secrets rendez-vous,
 Ces circonstances & leur suite
Font que de la Linote on blasme la conduite.
***
 Là dessus entrent deux Moineaux,
 De ces Moineaux à hautes hupes,
 Rigides Censeurs des Oiseaux
 Qui tâchent à trouver des Dupes.
Si-tost qu’ils sont entrez, un Bruant leur fait part
 De la matiere qui se traite.
Il dit qu’une Linote à l’ame si malfaite,
 Que sans avoir aucun égard
A ce qu’elle se doit non plus qu’à son espece,
Elle trouve un Moineau digne de sa tendresse.
***
 Ah, Messieurs les Moineaux, dit alors un Pinçon,
 Vous agissez d’une façon
A vous faire assommer par tous les Volatilles.
 Est-ce là la belle leçon
 Que vous faites dans vos familles ?
Envoyez-vous vos gens de buisson en buisson
 Courir par tout comme des drilles,
Pour nous ravir ainsi nos Femmes & nos Filles ?
***
 Les deux graves Moineaux de ce discours piquez,
Répondent au Pinçon ; Pinçon, vous nous choquez.
 Vous faites de nous peu d’estime,
 Et raisonnez en Ecolier,
 D’attribuer à tous un crime
 Commis par un particulier.
***
 Ma foy, chacun de vous court à ce qu’il souhaite,
 Reprend aussi-tost l’Allouete,
Et peut-estre est-ce un de vous deux
Qui captivez le cœur de ma sœur la Linote,
 Et qui cachant vos soupirs & vos feux,
Venez encore icy pour attraper la sotte.
***
 Sans doute c’est un d’eux, opine le Tarin,
Je vis sous vostre habit hier au soir à la brune
 Un Oiseau de bonne fortune,
 Qui luy soûmettoit son destin.
***
 C’est un mensonge, dit la Pie,
Je connois ces Moineaux, ils sont de bonne vie,
 Et n’ont rien de l’esprit coquet.
 Il est vray, dit le Perroquet,
Je suis fort asseuré que l’un & l’autre est sage,
Le fait dont il s’agit ne les regarde pas,
 Je puis en rendre témoignage,
 Mieux qu’un autre je sçay le cas.
 J’ay veu, mesme à plusieurs reprises,
 Un autre Moineau que ceux-cy
Carresser la Linote, & d’un air radoucy
La flater, l’appaster, luy porter des cerises.
***
 Eh, bien, Messieurs, l’entendez-vous,
 Dit le Moineau de haute lice ?
Ce Témoin oculaire est bien fort en Justice,
Et nous doit faire croire incapables des coups
 Qui procedent de la malice
 De certains Moineaux dont le vice
 Les a fait chasser d’avec nous.
***
 Aprés cela tout garde le silence,
On voit les deux Moineaux traitez de reverence,
 Comblez d’honneur par chaque Oiseau,
Et la seule Linote & l’amoureux Moineau
 Demeurent dans la médisance.
***
 Cecy prouve avec évidence,
 Qu’en fait de tendre passion
Prevenir les esprits c’est manquer de prudence,
 Et que souvent trop de precaution
De ce qu’on croit cacher fait avoir connoissance.

[Oraison funebre faite par M. l’Evesque de Nismes] §

Mercure galant, août 1690 [tome 9], p. 101-105.

Il y a peu de personnes qui ayent mieux merité qu’on honorast leur memoire par des Eloges funebres, que feu Mr le Duc de Montausier. L’Etat luy estoit redevable de l’éducation d’un Prince qui marche sur les traces de Loüis le Grand, c’est tout dire. Les belles Lettres luy devoient beaucoup ; tous les honnestes gens luy avoient obligation, & Mr l’Abbé Fléchier, de l’Academie Françoise, nommé à l’Evesché de Nismes, estoit de ce nombre. Il avoit demeuré pendant un fort grand nombre d’années auprés de ce Duc, & comme il ne l’avoit quitté que pour rendre à son Troupeau ce qu’il luy devoit, il reprenoit son premier attachement quand il revenoit de son Eglise, ce qui faisoit un veritable plaisir à Mr de Montausier, qui n’avoit point de plus grande consolation que d’estre avec ce Prelat, qu’il faisoit entrer dans ce qu’il pensoit de plus secret. Mr de Nismes le connoissant tres-parfaitement, & n’ignorant rien de ce qui se passoit au fond de son cœur, qu’il avoit étudié par une longue habitude, ne pouvoit faire une Oraison funebre de ce Duc qui ne fust tres-juste, puis qu’il ne la faisoit pas sur des memoires, dont la pluspart sont remplis de flaterie, mais sur des choses qu’il connoissoit par luy-mesme, & que la verité luy fournissoit à l’avantage d’un homme qui toute sa vie avoit fait profession d’estre sincere. Il la prononça le 11. de ce mois dans l’Eglise des Carmelites du Fauxbourg S. Jacques, où repose le corps de Mr le Duc de Montausier. L’Assemblée y fut nombreuse, tant pour entendre l’Eloge de ce Duc, qui estoit dans une estime generale, que parce que celuy qui la devoit faire excellant dans ces sortes d’Ouvrages, on estoit persuadé qu’il n’oublieroit rien pour bien mettre dans son jour le merite de son bienfaicteur, qu’il connoissoit à fond, & qui luy fournissoit une ample matiere, de la beauté de laquelle tout le public demeuroit d’accord. Aussi cette action a-t-elle répondu à l’attente que tout le monde en avoit, à l’éloquence de l’Orateur, & aux grandes qualitez de l’Illustre Duc dont il avoit entrepris l’Eloge.

[Livres nouveaux]* §

Mercure galant, août 1690 [tome 9], p. 117-126.

Mr du Puys, Avocat au Parlement, vient de donner au Public un Livre d’une grande utilité, non seulement pour les Negocians, mais pour tous ceux qui ont à prendre ou à donner des Lettres de change, & necessaire sur tout à ceux qui en doivent connoistre, en cas de contestation, soit pour en éclaircir les differends, soit pour les juger. Il a pour titre, L’Art des Lettres de change, suivant l’usage des plus celebres Places de l’Europe, & contient tous les droits & toutes les obligations des Tireurs, Donneurs de valeur, Endosseurs, Porteurs, Accepteurs, & Payeurs de Lettres de change, avec l’application des Loix, des Ordonnances & des Reglemens, les Questions les plus importantes qui n’ont point encore esté traitées, & les Arrests les plus celebres rendus sur cette matiere. Cet Ouvrage, où elle se trouve expliquée dans toute son étenduë, estoit d’autant plus à souhaiter, que le Negoce produit seul plus de Procés, que tous les autres actes de la vie civile ensemble, estant certain que les Juges & Consuls, & les autres Tribunaux du Commerce dans chaque Ville, rendent plus de Jugemens, que les Presidiaux qui y sont établis. Cependant la Jurisprudence du Commerce est fort incertaine dans le Royaume, & particulierement sur le fait des Lettres de change, qui en est la plus considerable partie, quoy qu’il n’y ait presque personne qui ne prenne ou ne donne, n’envoye ou ne reçoive, ne paye ou n’exige le payement de ces sortes de Lettres. Il semble que ce soit un mistere qui ne puisse estre entendu que par les Banquiers, & il arrive la pluspart du temps que lors que les causes de cette nature sont portées aux Parlemens par appel, les Juges demandent l’avis des Negocians, de qui ils ne reçoivent pas quelquefois de seures lumieres, parce que ceux qu’ils consultent, considerant l’affaire par des veuës differentes, ou d’égalité d’interest, ou d’acception de personnes, ou de justice, sont souvent de contraire opinion, appuyez respectivement sur des raisons vrayes ou apparentes, dont les Magistrats ont peine à faire le discernement. Cela ne se fait qu’à cause que nos Jurisconsultes François ne s’estant point appliquez à traiter cette matiere, comme ils font toutes les autres qui produisent les procés, on ne connoist point la nature du Contract des Lettres de change, ny les principes qu’il faut suivre pour décider les contestations qu’elles font naistre. Pour remedier à ce desordre, l’Auteur a ramassé toutes les plus curieuses remarques qui peuvent éclaircir les doutes dans le fait & dans le droit, pour donner un Ouvrage plus universel, plus juste & plus solide que tous ceux qui ont paru jusqu’icy sur la matiere qu’il traite. Les propositions qu’il avance y sont appuyées des Ordonnances, des Loix, des Arrests, ou des sentimens des Auteurs les plus celebres, particulierement des décisions de la Rote de Gennes, & de Sigismond Scarcia, Jurisconsulte Romain, qui a esté Auditeur de Rote dans la mesme Ville, & dans plusieurs autres des plus considerables d’Italie. Comme il n’a pas voulu qu’on le crust sur sa parole, & que d’ailleurs il luy a paru qu’il n’y avoit rien de plus incommode qu’un Ouvrage entre-coupé de citations, sur tout dans une matiere de Commerce, où beaucoup de ceux qui entendent bien le fait, n’entendent pas le Latin, il a obvié à ces inconveniens en faisant le sien d’un stile suivy, comme si tout ce qu’il proposoit estoit de luy-mesme, & mettant fidellement les citations à la marge. Il l’a divisé en dix-huit Chapitres, où sont resoluës toutes les difficultez qui peuvent estre formées, tant sur les diverses formes des Lettres de change, les personnes qui y entrent, les differens termes de payement, les differentes manieres d’en declarer la valeur, & les Lettres missives qui s’écrivent à cette occasion, que sur les acceptations des mesmes Lettres de change, & les diligences que les Porteurs doivent faire faute de payement à l’écheance.

Le Sr Quinet, Libraire au Palais, debite un Livre nouveau, qui est d’une nature bien differente de celuy dont je viens de vous parler. Il a pour titre, Les disgraces des Amans, & il ne faut pas vous en dire davantage pour vous faire voir qu’il est purement de galanterie. L’Auteur assure que toutes les intrigues en sont veritables, & qu’il n’a point eu d’autre dessein en les publiant que de faire connoistre jusqu’où nous mene l’amour, & combien les effets qu’il produit sont dangereux. Il propose & resout agréablement plusieurs questions galantes, & les sentimens ou maximes qu’on trouve dans cet Ouvrage, ne seront pas sans utilité pour ceux qui avant que de s’engager à aimer, voudront faire reflexion que quelques douceurs que nous promette l’amour, il n’est l’occupation que de ceux qui n’en ont point. C’est ce que marque l’Auteur dans une de ces maximes.

[Histoire] §

Mercure galant, août 1690 [tome 9], p. 126-149.

Il faut cependant demeurer d’accord que la beauté a des charmes ausquels il est malaisé de resister, mais on doit convenir en même temps que lors que la passion où l’on s’abandonne est uniquement fondée sur l’éclat d’un beau visage, sans que l’on y fasse entrer ny la douceur de l’esprit, ny l’agrément de l’humeur, comme elle est fort violente, elle n’est jamais de longue durée. C’est dequoy une jeune Demoiselle aimable par mille endroits, a fait l’épreuve depuis quelque temps. Elle avoit le teint fort vif, & toute la regularité de traits qu’on peut souhaiter dans une belle personne. Un Cavalier dont les bonnes qualitez répondoient au bien & à la naissance, s’en estant laissé toucher, voulut connoistre de prés ce qui luy plaisoit de loin. Il trouva moyen de s’introduire chez elle. Sa Mere, de qui elle dépendoit, jugeant le party avantageux pour sa Fille, receut ses visites avec beaucoup de plaisir, & si quelque chose luy fit peine, ce fut de voir que pendant trois mois de soins & de devoirs assez assidus, tout l’amour du Cavalier se bornoit à des loüanges, sans qu’il parust avoir dessein de se declarer. Il trouvoit la Belle incomparable, & ses regards estoient si passionnez, qu’ils faisoient entendre tout ce qu’il ne disoit pas, mais ce n’estoit point assez ; on vouloit qu’il s’expliquast, & il differoit toujours à le faire. Ses reflexions causoient son silence. Il envisageoit le mariage comme un lien d’autant plus facheux, qu’on ne le peut rompre quand il est mal assorty, & afin de n’estre pas ex posé à se repentir inutilement, il avoit voulu se défendre des surprises que la beauté fait presque toujours quand on ne fait pas agir sa raison, pour ne chercher dans la Belle que le solide merite, & ce que le temps ne sçauroit oster. Il l’y rencontra heureusement. Cette charmante personne avoit l’esprit aussi aisé qu’agreable, beaucoup de douceur dans ses manieres, & tant d’honnesteté & de complaisance dans toutes les choses où il luy étoit permis d’en avoir, qu’elle alloit mesme au delà de ce qu’on pouvoit raisonnablement souhaiter d’elle. Le Cavalier qui s’attachoit à l’étudier, n’eut pas esté plûtost convaincu par l’égalité de son humeur, & par la noblesse de ses sentimens, que les avantages qu’elle avoit receus de la nature, estoient beaucoup au dessous de ceux qu’elle ne devoit qu’à elle-mesme, qu’il s’abandonna à tout son amour. Il luy en fit une peinture fort vive, & en luy marquant que tout son bonheur dépendoit d’elle, il la conjura de vouloir en décider, sans écouter que son seul panchant sur la réponse qu’il la prioit de luy faire. La Belle qui l’estimoit luy fit paroistre beaucoup de reconnoissance pour les favorables sentimens qu’il luy venoit d’expliquer, & luy dit ensuite, d’une maniere aussi obligeante que modeste, que s’agissant d’une liaison pour toute la vie, elle vouloit luy donner plus de temps qu’il n’en prenoit, pour examiner si un peu de brillant qu’il luy trouvoit n’avoit point fait de surprise à sa raison ; qu’elle luy avoit entendu parler d’un voyage de trois mois qu’il ne pouvoit s’empêcher de faire pour quelques affaires importantes qu’elle vouloit qu’il fist ce voyage avant que de prendre un plus fort engagement en se déclarant avec sa Mere ; que l’éloignement diminuant les objets, ce merite qu’il croyoit si grand en elle pourroit luy paroistre peu de chose ; que s’il estoit capable de s’en dégoûter, il valoit mieux qu’il prist ce dégoust tandis qu’il y auroit du remede, & que si à son retour il luy rapportoit le mesme cœur & les mesmes sentimens ; elle connoissoit assez le prix des choses, pour ne luy pas donner sujet de se repentir de l’avoir aimée. Le Cavalier trouva cet arrest fort rude, mais il eut beau la prier de souffrir qu’il l’épousast avant que de faire son voyage où elle l’auroit accompagné, elle exigea cette épreuve de sa constance, & l’obligea de partir sans autre asseurance que celle que luy donnoit un si sage procedé. La Mere trouva beaucoup à redire à celuy du Cavalier. Elle pretendit qu’avant que de s’éloigner il devoit luy avoir parlé d’affaires, & blasma sa fille du trop de precaution qu’elle prenoit, pour s’asseurer si son amour estoit veritable. La Belle n’en changea pas de conduite. Quoy qu’elle en receust fort souvent des Lettres, & qu’elle ne fust pas fachée d’y trouver des marques d’une violente passion, elle ne chercha point à la soûtenir par ses reponses. Au contraire elle affecta de luy écrire rarement, & observa mesme en luy écrivant de n’employer point de termes qui luy découvrissent trop la joye qu’elle se faisoit de se voir aimée. Le Cavalier, que la connoissance de son caractere laissoit tranquille sur les sentimens qu’il luy pouvoit avoir inspirez, passa par dessus beaucoup de choses qui auroient tiré ses affaires en longueur, afin de pouvoir haster son retour, & son absence n’avoit plus enfin que peu de jours à durer, quand un Marquis, maistre de son bien & de sa personne, quoy qu’il eust à peine vingt cinq ans, ayant rencontré la Belle chez une Dame qu’il voyoit de temps en temps, fut si surpris de l’éclat de sa beauté, qu’il s’écria plusieurs fois qu’il ne pouvoit croire qu’il y eust rien qui en approchast. Il se plaça auprés d’elle, la regarda attentivement, & aprés luy avoir dit beaucoup de douceurs avec une maniere d’extase qui avoit quelque chose de singulier, il luy déclara qu’il la chercheroit par tout, & qu’il sentoit bien qu’il estoit de son étoile de luy consacrer tous les momens de sa vie. La Belle soûtint cette déclaration avec esprit, & la traitant de plaisanterie, elle fit voir qu’elle estoit accoûtumée à recevoir des loüanges. Cependant le Marquis estant du nombre de ces jeunes étourdis qui s’abandonnent sans reflexion aux sentimens qui leur font plaisir, alla chez la Belle dés le lendemain. Il continua son emportement d’amour, & il s’en rendit si peu le maistre, que quatre longues visites qu’il ne put s’empescher de luy rendre en quatre jours, ayant obligé la Mere à luy venir dire le cinquiéme jour que sa Fille le prioit de la dispenser de se laisser voir, parce que des soins si assidus ne pouvoient que faire de méchants effets pour sa reputation, il luy répondit sans balancer que cette raison de refuser ses visites n’estoit pas valable, puis qu’il estoit dans le dessein d’épouser sa Fille & qu’il signeroit quand on voudroit un Contrat de mariage. Une resolution si prompte étonna la Mere. Elle eut de la peine à s’imaginer d’abord que le Marquis parlast serieusement, mais il luy dit tant de fois la mesme chose, & aprés luy avoir déclaré son bien, & l’avoir laissée maistresse des conditions qu’elle pourroit demander pour les avantages de sa Fille, il la conjura si instamment de le vouloir accepter pour Gendre, qu’enfin ne doutant plus qu’il ne souhaitast veritablement le mariage qu’il luy proposoit, elle luy donna parole de n’épargner aucuns soins pour le faire réüssir. Quoy qu’elle luy répondist en quelque façon du succés, elle ne laissa pas de le preparer à y trouver de l’obstacle par le trop de delicatesse de sa Fille, qui ne seroit pas si prompte que luy à se resoudre sur une affaire de cette importance. Elle luy dit mesme qu’il y avoit plus de six mois qu’elle estoit aimée d’un Cavalier qu’elle avoit laissé s’éloigner pour un temps considerable, sans avoir voulu luy découvrir les sentimens qu’elle avoit pour luy, & qu’il devoit estre bientost de retour, mais qu’elle ne doutoit point qu’il ne l’emportast sur ce Rival auprés de sa Fille s’il avoit de la constance, & si par ses soins il prenoit autant de peine à gagner son cœur, qu’elle en prendroit à luy faire perdre les impressions qu’elle avoit déja receuës. Le Marquis l’ayant asseurée en termes fort vifs que rien n’approchoit de son amour, la conjura d’appuyer ses interest, & prit congé d’elle, voulant luy laisser le temps de tourner les choses favorablement pour luy. La Belle, quoy que fachée de trouver sa mere dans le party du Marquis, ne s’alarma point de sa passion. Elle luy parut trop violente pour pouvoir durer, & persuadée qu’elle ne resisteroit à aucune épreuve, elle le receust le lendemain avec l’honnesteté qui estoit deuë à un Amant declaré, mais sans luy vouloir donner d’esperance qu’aprés que le temps leur auroit fait voir s’il y avoit entr’eux assez de rapport d’humeur pour leur permettre de croire qu’ils seroient nez l’un pour l’autre. Le Marquis pretendit estre assez informé du merite de la Belle, & ne put voir sans murmure qu’elle ne fust pas assez touchée des sentimens qu’il luy expliquoit, pour balancer à les recevoir aussi agreablement qu’il l’avoit creu ; mais si l’essay qu’elle en voulut faire luy causa quelque chagrin, le Cavalier qui revint plus amoureux qu’il n’estoit party, fut inconsolable. Non seulement il se voyoit un Rival par qui ses desseins alloient estre traversez, mais un Rival qui avoit gagné l’esprit de la Mere. La Belle le rasseura en luy témoignant que la fermeté de ses sentimens l’avoit touchée, & qu’il ne devoit rien craindre des soins du Marquis, qui l’avoit aimée avec trop d’emportement pour ne se pas rebuter des longues épreuves, où elle estoit resoluë de mettre sa passion. Cette asseurance diminua fort le chagrin du Cavalier, quoy que le retardement que ces épreuves devoient mettre à son bonheur fust une chose qui luy donnoit beaucoup à souffrir. Le Marquis qui estoit encore tout plein des premiers transports de son amour, en continua les empressemens avec beaucoup de chaleur, & il parut mesme que la concurrence du Cavalier eut quelque part au dessein qu’il prit de n’oublier rien pour se faire aimer, mais ces empressemens n’allerent pas loin. La Belle ayant commencé à se mal porter, donna tout à coup des marques qu’elle alloit avoir une dangereuse maladie. Le Marquis la vint voir le lendemain à son ordinaire, & lors qu’on luy eut appris que la petite verole s’estoit déclarée, il montra tant de surprise & se retira si promptement, qu’on n’eut pas de peine à s’appercevoir que la peur le faisoit fuir. Le Cavalier qui arriva un moment aprés, receut cette facheuse nouvelle avec toute la douleur qu’on se peut imaginer. Il fit cent questions à la fois sur les accidens du mal de la Belle, & quoy qu’on pust faire pour l’empescher d’entrer dans sa Chambre, il fut impossible d’en venir à bout. Il ne l’abandonna point pendant cette maladie, & ces preuves de tendresse gagnerent si bien son cœur, que quand elle n’auroit pas esté prevenuë en sa faveur, elle n’auroit pû sans injustice refuser à son amour le prix qui luy estoit deu. Le Marquis se contenta d’envoyer chez elle tant qu’on la crut en quelque peril, & ayant sceu ce que le Cavalier avoit fait, il connut bien que n’ayant pas fait la mesme chose, il luy seroit inutile de vouloir continuer à luy disputer la préference. D’ailleurs il avoit peine à s’imaginer que la Belle dust estre à couvert des ordinaires effets de la petite verole, & quand ce mal ne luy auroit ny changé les traits ny grossi le teint, il ne pouvoit songer aux rougeurs qu’il verroit sur son visage, sans en estre dégoûté. Ainsi son amour s’eteignit entierement, & il laissa la Mere & la Fille dans l’entiere liberté de rendre justice au Cavalier. La Belle l’épousa un mois aprés qu’elle fut guerie, & à present que ses rougeurs sont passées, elle est aussi-belle & aussi brillante qu’elle l’a jamais esté.

[Suites des réjoüissances faites pour les Victoires du Roy] §

Mercure galant, août 1690 [tome 9], p. 153-154, 163-166, 168-171, 173-177.

Mr le Comte de Broglio, Lieutenant General [des armées du roi], & Commandant en chef pour sa Majesté en Languedoc, envoya ses ordres dans toutes les Villes principales de cette Province, pour y faire faire des réjoüissances publiques, & choisit le Dimanche 30. du mois passé pour le Feu de joye qui devoit se faire à Montpellier. [...]

 

L'aprés-dinée du jour qu'on avoit choisy pour cette réjoüissance, les Compagnies de la Bourgeoisie de la Ville qui estoit sous les armes, & qui faisoient un corps de douze cens hommes, marcherent dans les ruës, & firent plusieurs décharges. Il y avoit aussi deux cens jeunes hommes à cheval tres-bien montez & tres-propres, avec des timbales & des trompettes de la livrée des Consuls de mer qui s'estoient mis à leur teste. Sur les cinq heures, Mr le Comte de Broglio partit de son Hôtel avec Mr de Baville, Intendant de la Province, pour se rendre en l'Eglise Cathedrale. Il fut précédé de la Compagnie des Gardes, & accompagné des Officiers des Troupes, & des Gentilshommes de la Campagne & de la Ville, qui s'estoient rendus auprés de luy. La ruë qui conduit de son Hôtel à l'Eglise, où estoient déjà toutes les Dames, ainsi que la Cour des Aydes en robes rouges, les Tresoriers de France, le Presidial & les autres Corps de Justice avec les Conseuls, se trouva bordées des deux costez des Compagnies des Bourgeois. Il se plaça au milieu du Chœur sur un Prié-Dieu magnifique, & l'on commença le Te Deum qui fut chanté en Musique avec beaucoup de solemnité. [...]

 

Sur les neuf heures du soir, il sortit de son Hostel dans l'ordre suivant pour aller à la Place de Peyrou. Six Pertuisaniers habillez de la livrée de la Ville, avec leurs pertuisanes, & chacun un flambeau à la main, marchoient à la teste deux à deux, suivis de quatre Valets du Guet portant la mesme livrée. Aprés eux venoient les Tambours & les Hautbois de la Ville ; ensuite six Esoudiers ou Massiers, avec des robes de la même livrée, & chacun un flambeau de cire blanche. Ils precedoient le Capitaine du Guet, aprés lequel on voyoit paroistre la Compagnie des Gardes de Mr le Comte de Broglio, avec leurs Casaques, & leurs Carabines sur l'épaule, ayant à leur teste des Hautbois & d'excellens Violons. Douze Laquais chacun avec un flambeau de cire blanche à la main, precedoient ce Comte. Le lieutenant de Roy de la Ville estoit à sa gauche, & ensuite les Consuls avec leurs robes. Il y avoit un grand nombre d'Officiers & de Gentilshommes de la Province devant & derriere luy. En arrivant à la Place, il y trouva toutes les Compagnies de Bourgeoisie sous les armes bordant la haye de chaque costé, & un Escadron de la jeunesse de la Ville avec les Consuls de Mer à leur teste. Il fut receu au bruit des Timbales, des Trompettes, des Tambours, & de la Mousqueterie, & aprés qu'il eut mis le feu à un Bucher que l'on avoit élevé entre la porte de la Ville & le Feu d'artifice dans le milieu de la Place, il se rendit sur le rempart qui regne tout le long du Palais, où on luy avoit preparé une place, ainsi que pour toutes les Dames, les Officiers, & le Gentilshommes de sa Suite. [...]

 

Aprés que l'on eut joüy de ce divertissement, toute la Compagnie se rendit à l'Hostel de M. le Comte de Broglio, où l'on trouva une Feste des plus magnifiques. Dans un Jardin qui regne le long d'une Salle basse, tout palissadé de Lauriers & de Grenadiers, & bordé tout autour de quantité d'Orangers, estoient disposées cinq grandes Tables, l'une au milieu, & les quatre autres dans les quatre coins. Toutes les palissades estoient garnies de lumieres avec des Devises à la loüange du Roy, & ces lumieres jointes à celle que rendoient un nombre infiny de Bougies qui estoient dans des Lustres attachez à une grande Tente qui couvroit tout le Jardin, faisoient une clarté extraordinaire. Au dessus des palissades on avoit dressé un Orchestre pour les Violons & les Hautbois, & des Amphitheatres pour le peuple, qui régnoient tout le long des palissades. Toutes les Dames qui estoient en fort grand nombre, & d'une parure magnifique, se placerent avec une partie des hommes aux tables qui estoient dans le Jardin, & qui furent servies de tout ce qu'on peut s'imaginer de plus exquis, avec une delicatesse & un ordre surprenant. Le reste des hommes alla dans une Salle separée du Jardin par une grande Galerie, aux deux bouts de laquelle on avoit placé un buffet magnifique, ce qui faisoit un tres-bel effet, & un grand dégagement. Cette Salle estoit aussi parfaitement bien éclairée, & il y avoit trois grandes tables servies avec la mesme abondance & la mesme propreté que les tables du Jardin. Le Bal succeda à ce superbe soupé, & il dura jusques à deux heures aprés minuit. Les Dames y parurent extremement par leur danse, leur ajustement & leur beauté, & pour satisfaire tout le monde, il y avoit des tables de Jeu dans plusieurs Chambres, afin que ceux qui se lasseroient du Bal, eussent moyen de se divertir d'une autre maniere. Tous ceux qui se sont trouvez à cette Feste demeurent d'accord qu'on n'en sçauroit faire une plus galante ny mieux entenduë.

[M. de Bouligneux fait chanter un Te Deum]* §

Mercure galant, août 1690 [tome 9], p. 180-181.

Les Particuliers n'ont pas esté moins sensibles aux glorieux succés des Armes de Sa Majesté que les Communautez & les Villes. Mr le Comte de Bouligneux en ayant eu la nouvelle à Bouligneux, y fit chanter le Te Deum, qui fut accompagné d'un Feu d'artifice, & de la décharge de vingt pieces de Canon. On fit par son ordre une grande distribution d'argent, & les Habitans ne se contentant pas de crier Vive le Roy, joignirent mille loüanges à ces cris de joye.

[Feste de S. Louis celebrée par l'Academie Françoise] §

Mercure galant, août 1690 [tome 9], p. 341-343.

Le 25. de ce mois, la Feste de Saint Loüis fut solemnisée à l'ordinaire par Mrs de l'Academie Françoise dans la Chapelle du Louvre. M. L'Abbé de la Vau, l'un des Academiciens, celebra la Messe, pendant laquelle, un fort grand Chœur de Musique chanta un Motet de la composition de M. Oudot, & M. l'Abbé de Pezene prononça ensuite le Panégyrique du Saint. J’affoiblirois la force de ses pensées, & le noble tour qu’il leur donna, si je voulois faire icy un extrait de son discours. Il receut une approbation generale, & je ne puis mieux vous marquer combien tout le monde en fut satisfait, qu’en vous envoyant la copie d’un Billet qu’un homme d’esprit écrivit le lendemain à M. l’Abbé du Fay sur cette action. En voicy les termes.

Donnez-moy la connoissance de M. l’Abbé de Pezene, & vous me ferez un plaisir singulier. J’honore sa vertu, j’admire la delicatesse de son genie, & j’avouë avec tout le monde, qu’il donna hier les regles d’un Art, dont il est l’Inventeur. Sans sortir de son sujet, & dans un discours tout Chrestien, il fit l’Eloge de Saint Loüis, du Roy, de l’Academie, le sien. Il fit aussi connoistre qu’il est des termes heureux, dont l’expression force la volonté de croire les veritez qui paroissent des prodiges. L’Assemblée luy applaudit par un doux murmure sans éclat, tant elle apprehendoit de perdre une de ses paroles. Cette piece merite d’estre traduite en toutes sortes de Langues, la modestie de l’Auteur n’en doit point empescher l’impression ; & pour moy, de la part de tous les beaux esprits, je vous conjure d’y employer vostre credit ; il doit estre grand par rapport à l’amitie mutuelle qui est entre vous.

[Nouvelles d'Irlande] §

Mercure galant, août 1690 [tome 9], p. 379-380.

 

En vous donnant lieu de conjecturer que le Prince d'Orange est vivant, je ne suis pas la plus commune opinion, mais je me conforme au sentiment de ceux qui doivent être le mieux instruits, ou qui se mettent le moins en peine de sa mort. En effet, qu'importe à la France, au milieu de ses triomphes, qu'elle ait un Ennemy de plus ou de moins ? Elle est protegée du Ciel, & défend la cause de Dieu & la gloire des Autels que ses Ennemis cherchent à détruire, puis qu'ils font rendre des actions de graces à Dieu pour les victoires remportées sur la Religion Catholique. C'est un fait qu'il a esté connu par les Te Deum qui se sont chantez pour la premiere victoire du Prince d'Orange en Irlande. On dira que ce Prince la permet dans ce Royaume-là, mais ce n'est que pour la détruire aussi-bien que dans toute l'Angleterre, quand il en sera paisible possesseur.