1690

Mercure galant, novembre 1690 [tome 12].

2017
Source : Mercure galant, novembre 1690 [tome 12].
Ont participé à cette édition électronique : Nathalie Berton-Blivet (Responsable éditorial), Anne Piéjus (Responsable éditorial), Frédéric Glorieux (Informatique éditoriale) et Vincent Jolivet (Informatique éditoriale).

Mercure galant, novembre 1690 [tome 12]. §

Louis le Grand. Eglogue §

Mercure galant, novembre 1690 [tome 12], p. 7-26.

Je vous l’ay déja dit plusieurs fois, Madame, chacun s’empresse à loüer le Roy ; mais qui pourroit s’empêcher de le loüer, aprés les grandes choses qu’il a faites, & qu’il continuë encore tous les jours de faire pour les avantages de la France, & pour l’interest de la veritable Religion ? On ne se contente pas dans les Cloistres de renouveller à toute heure les prieres qu’on y fait à Dieu pour la conservation de sa Personne sacrée ; ceux qui ont quelque talent satisfont leur zele en le consacrant à son éloge, & les Filles mesme se font un plaisir de l’employer pour un si noble travail. L’Eglogue que vous allez lire en est une preuve. Elle est de Madame de Chevry, Religieuse de l’Abbaye de S. Pierre de Lyon, dont vous sçavez que Madame de Chaulnes est Abbesse. Cette illustre Fille dont on ne peut trop vanter le merite, possede presque toutes les sciences, la Langue Latine & l’Espagnole, le Droit Civil, la Geometrie, la Philosophie & la Musique, sans parler de la connoissance qu’elle a du Blason & de la Geographie. Il semble que la Poësie luy soit naturelle, & vous en serez aisément persuadée en lisant ses Vers. Les grands services qu’elle a rendus à la Maison où elle est Religieuse, la font fort considerer de cette Communauté, dont elle est presentement Grande Prieure ; & pour sa naissance, vous conviendrez que rien ne luy manque de ce costé-là, puis qu’elle est Fille de Mr le President de Chevry, & Petite-Fille d’un Secretaire des Ordres de Sa Majesté.

LOUIS LE GRAND.
EGLOGUE.

PHILIS, CLIMENE, IRIS.

Sur les bords d’un ruisseau dont l’onde toujours pure
Coule parmy les fleurs d’un pré delicieux,
Le Troupeau de Philis erroit à l’avanture,
Et sans se défier du Loup malicieux,
Paissoit confidemment la fraische & tendre herbette,
 Pendant que sur sa Musette
La Bergere faisoit retentir tous les Bois
Des incroyables faits du plus puissant des Rois.
 Ses doux accens attirerent Climene,
Qui laissant ses Moutons sans guide dans la plaine,
 Vint à ses chants joindre ses doux accords,
Et la charmante Iris approuvant leurs transports,
Promit un flageolet d’ambre blanc comme Yvoire,
 A qui chanteroit mieux la gloire
 Et les vertus du Grand Loüis.
Alors sans invoquer les Filles de Memoire,
Philis reprit ainsi ses exploits inoüis.

PHILIS.

 D’une juste ardeur animée
Je veux unir mes chants à l’éclatante voix
 Que la fidelle Renommée
Fait entendre en tous lieux jusqu’au fond de nos Bois,
A l’honneur du plus juste & plus sage des Rois ;
 Mais, Seigneur, de ce grand Athlete
Dont le bras glorieux ne combat que pour toy,
Oseray-je chanter les faits sur ma Musette,
 Si tu ne te joins avec moy
Pour loüer dignement ce soutien de ta Loy ?

CLIMENE.

Chanter le Grand Loüis ! Une telle entreprise
Feroit craindre Apollon pour sa Lyre & sa voix.
Quoy ! sur mon chalumeau chanter ces grands exploits
Qui font trembler le Rhin, le Tage & la Tamise !
 Seigneur, dont ce juste Vainqueur
Seul contre l’Univers sçait défendre la gloire,
Donne-moy ton esprit pour chanter son Histoire,
Et m’échauffe du feu dont tu brûles son cœur.

PHILIS.

 Autrefois la seule tendresse
 Inspiroit les chants parmy nous.
 Philene absent, Tircis jaloux,
 Et Licidas content de sa Maistresse,
Chantoient differemment leur sort cruel, ou doux ;
Mais l’exemple & les loix de Loüis l’invincible
 Calment toutes les passions :
 Et nostre cœur n’est plus sensible
Qu’à la gloire qui suit ses grandes actions.
 Nous luy consacrons nos Musettes,
 Nos Chalumeaux, nos chansonnettes,
Et l’on n’entendra plus retentir nos Echos
Que du nom glorieux de ce fameux Heros.

CLIMENE.

 Alcide dont la Renommée
Vante encor aujourd’huy les travaux glorieux,
 Ayant vaincu le Lion de Nemée,
De sa dépouille orna son front victorieux,
Pour porter le témoin de sa gloire en tous lieux ;
Mais l’Auguste Louis qui par quelque conqueste,
Peut compter tous ses jours, ses heures & ses ans,
 Content de couronner sa teste
Des Lauriers immortels qu’il moissonne en tout temps,
Et lassé de cueillir tous les fruits de la gloire,
  Enrichit ses Ennemis
Des biens qu’il a receus des mains de la Victoire,
 Lors qu’ils sont vaincus ou soumis.

PHILIS.

On a chanté les combats de Persée
Andromede sauvée, un Monstre mis à bas,
La teste de Meduse à ses pieds renversée,
Le fatal changement de Phinée & d’Atlas ;
La mort du jeune Atis & du fier Licabas,
Ont laissé sa valeur tracée
Dans tous les Africains climats ;
Mais par le grand Loüis sa gloire est effacée.
De l’Eglise exposée au Monstre de l’Erreur
 La Foy timide & languissante,
Sur le point de perir se revoit triomphante
Par l’unique secours de ce puissant Vainqueur.
Il luy rend tout l’éclat de sa vertu naissante,
Et détruit pour jamais ce Monstre plein d’horreur,
Dont elle alloit ressentir la fureur.
L’Univers pour couvrir cette immortelle gloire
En vain donne à l’Erreur un criminel secours,
Ce grand Roy né pour vaincre & triompher toujours,
 Par leur défaite augmente son histoire,
 Et le calme heureux de nos jours.
 Tous leurs efforts sont inutiles
 Contre son bras victorieux,
Et comme des rochers, ils sont tous immobiles
 Au seul aspect de son front glorieux.

CLIMENE.

Le Soleil tous les jours sortant du sein de l’onde
Dore de ses rayons nos champs & nos costeaux,
 Et nous devons à sa chaleur feconde
 Les richesses de nos Hameaux ;
 Mais lassé d’éclairer le monde,
Tous les soirs on le voit se coucher dans les eaux.
 L’Astre qui preside à la France
Eclaire en tout temps, en tous lieux ;
 Sa continuelle influence
Donne à tout l’Univers une heureuse abondance,
Et les noires vapeurs des esprits envieux,
 Loin d’obscurcir son éclatante gloire,
 Contre son gré luy font naistre toujours
 Quelque sujet de nouvelle victoire,
Et nous marquent ainsi les minutes du cours
 De ce Soleil qui fait leurs mauvais jours.

PHILIS.

 Soleil, redouble ta lumiere,
Eclaire en mesme temps tous les climats divers,
Puis que le monde entier est la vaste carriere
Où Loüis est aux mains avec tout l’Univers.
Il dompte icy l’Erreur & surmonte le vice,
Sur l’onde il fait perir les Anglois revoltez.
 Là du sang des Germains domptez
A l’Eglise trahie il fait un sacrifice.
 Les perfides Liguriens,
L’infidelle Batave, & les Iberiens
Renversez sur l’arene éprouvent sa justice.
Enfin ce grand Vainqueur les ayant tous soûmis,
Prest encor à dompter de plus fiers Ennemis,
Revient sans estre las au milieu de la lice.

CLIMENE.

Quand j’ay veu des Mortels la jalouse fureur
Armer de toutes parts sur la terre & sur l’onde,
 Pour rétablir cette fatale Erreur
Que l’immortel Loüis vient de bannir du monde,
Mon cœur, je le confesse, estoit saisi de peur ;
 Mais quand je vois ces Encelades
 Qui vouloient attaquer les Cieux,
 Tomber tristement à nos yeux,
 Ecrasez sous leurs escalades,
 Et de leur débris malheureux
Elever un trophée à mon Roy genereux,
 Alors mon cœur rougit de sa tristesse,
 Et me fait chanter mille fois
 Qu’on ne peut craindre sans foiblesse,
Pour celuy dont le nom fait trembler tous les Rois.

PHILIS.

 Mortels, dont le jaloux caprice
Vous a fait éprouver le couroux de Loüis,
Ouvrez enfin les yeux par la haine ébloüis,
Et forcez sa clemence à calmer sa justice.
Cette noble fiertê qui brille dans ses yeux,
 L’éclat de son front glorieux,
Cette bouche qui rend tant d’Arrests équitables,
Et dont les justes loix fatales aux coupables,
 Ne laissent point d’innocent malheureux ;
Cette main si feconde en bienfaits genereux,
 Ce bras fameux par cent mille conquestes,
Meurtrier innocent de tant d’illustres testes,
Ces pieds dont tous les pas font naistre des lauriers
Arrosez du beau sang des plus fameux Guerriers,
Enfin, ce cœur chrestien, grand, magnanime, tendre,
 Ne font-ils pas assez comprendre,
 Que malgré vos efforts divers,
 Loüis seul a droit de pretendre
 A l’Empire de l’Univers ?

CLIMENE.

Le doux Printemps voit moins d’herbes fleuries
 Dans nos agreables prairies,
L’Esté voit moins d’épies dans nos fertiles champs,
L’Automne a moins de fruits & l’Hiver moins de glaces,
Qu’on ne voit de lauriers sur les heureuses traces
 Du Royal sujet de nos chants.
 Tout cede à l’effort de ses armes,
Et sous luy le Soldat sans crainte & sans alarmes,
Affronte les perils & brave les hazards.
Helas ! s’il combattoit sous les doux étendarts,
 Que tous les cœurs seroient à plaindre !
 Il n’y seroit pas moins à craindre
 Qu’il l’est sous les drapeaux de Mars.
***
 C’estoit ainsi que les Bergeres
A l’ombre des Ormeaux sur les vertes fougeres,
Charmoient par leurs recits les plus tristes Echos,
 Quand le Soleil achevant sa cariere
Eteignit dans les eaux sa brillante lumiere,
 Et les força de chercher le repos.
Alors Iris offrit le prix de la victoire
A la sage Philis, mais de la fausse gloire
 Son grand cœur n’estant point surpris,
 Elle luy dit en refusant ce prix ;
Si j’ay sceu bien loüer le Heros de la France,
Cet avantage, Iris, m’est trop de récompense ;
 J’abandonnay dés ma plus tendre enfance
 Les faux biens & les vains honneurs,
 Ces seducteurs de l’innocence,
Qui corrompent souvent jusqu’aux plus nobles cœurs.
J’ay toujours fuy l’éclat dont la gloire est suivie,
Et sans ambition, sans amour, sans desirs,
Je passe dans ces lieux une tranquille vie,
 Dont la vertu fait les plaisirs.
Elle seule est l’objet & le fruit de mes veilles,
 Et quand par cent modes divers
 Du Grand Loüis je chante les merveilles,
Bergere, ce n’est pas pour flater les oreilles,
 Mais pour laisser à jamais dans mes Vers
 Son exemple à tout l’Univers.

Dialogue. Le Loup, le Renard §

Mercure galant, novembre 1690 [tome 12], p. 26-41.

Les Animaux ne sont pas indignes d’estre écoutez quand ils parlent de bon sens, & comme ceux que je vais vous faire entendre ne disent rien qui ne paroisse raisonnablement pensé, vous ne serez pas fachée que je vous fasse part de leur entretien. Si j’en connoissois l’Auteur, je luy rendrois, en vous apprenant son nom, la justice qu’il merite.

DIALOGUE.
LE LOUP, LE RENARD.

LE LOUP.

Bon jour, mon Compere le Renard. Qu’avez-vous, que je vous vois tout en colere ?

LE RENARD.

J’ay bien sujet de l’estre. Un miserable Lion qui se dit le Roy de tous les Animaux, se laisse conduire en prison comme un sot, par le Berger Azeuglin, qui luy a mis son juste-au corps sur la teste, & sans avoir l’esprit de le secoüer, il marche par tout où il plaist à ce Berger de le traisner.

LE LOUP.

Voilà un vilain Animal. Il n’a pas vostre finesse, mon Compere.

LE RENARD.

Ny vostre adresse aussi, mon Compere le Loup, pour courir à la proye ; car que vous soyez saoul, vous avez toujours le boyau vuide, & prest à bien faire ; & luy au contraire, il ne sort jamais de sa tanniere, que lors qu’il manque de provisions, & qu’il n’a pas l’estomac plein.

LE LOUP.

Il est bon cependant d’avoir de la prévoyance, & de songer à l’avenir. Mais comment est-ce que ce Berger l’a pû prendre ?

LE RENARD.

Je vais vous le dire, j’en ay esté le témoin. J’estois sur un rocher tres-élevé, d’où je découvrois fort avant dans la plaine, lors que je vis le Lion venir bondissant de colere contre le Berger pour le devorer. Ce Berger n’avoit pour armes que sa houlette, & il gardoit paisiblement ses Troupeaux avec ses chiens, ne se doutant pas que le Lion voulust l’attaquer. Un autre Lion survint. Le premier attaqua le Berger, qui luy jetta son juste-au-corps sur la teste. Les chiens poursuivirent l’autre Lion. Le premier qui ne voyoit plus à se conduire, parce que le juste-au-corps luy fermoit les yeux, demeura comme immobile, & donna la hardiesse à Azeuglin de luy entourer la teste de son juste-au corps, afin de le traisner aprés luy. Ce miserable s’est ainsi laissé mener où le Berger a voulu, & l’autre Lion a pris la fuite, faisant neanmoins contenance de marcher gravement tant qu’il a cru qu’on le pouvoit voir, & lors qu’il a esté proche du lieu où j’estois, il a eu une telle crainte, que courant de toute sa force, il s’est jetté de rocher en rocher, & il luy en a coûté la vie. Ne voila pas une belle espece de Roy ? Je le renonce de bon cœur, & je veux en prendre un autre.

LE LOUP.

Je ne l’ay jamais voulu reconnoistre pour le mien, car estant toujours en colere, il n’est pas capable de commander, n’y ayant rien de si contraire au bon sens & aux sages conseils, qu’une passion de furie & d’emportement.

LE RENARD.

Il est à propos cependant d’en avoir un, car la subordination est necessaire dans le monde, & sans elle il tomberoit dans son premier cahos.

LE LOUP.

J’en conviens, & si j’en estois cru, nous choisirions le Coq. Comme il ne luy faut que son seul chant pour terrasser le Lion, il me semble fort raisonnable de prendre pour Roy celuy qui le reduit à le craindre.

LE RENARD.

J’en ay veu l’experience, & ce choix me convient assez par la raison, quoy que peu par l’interest ; car le Coq est toujours éveillé, & il m’empêche souvent de prendre mon gibier, qu’il avertit par son chant de prendre garde à soy. Mais l’Aigle pourra bien s’y opposer.

LE LOUP.

Bon, l’Aigle. Ne sçavez-vous pas qu’elle a maintenant le bec si grand & si courbé, qu’elle ne le peut ouvrir pour prendre sa nourriture ? Un Roy qui meurt de faim pour s’estre mis hors d’estat de pouvoir manger, n’est pas digne d’estre Roy. L’on ne souffre point d’Aigle au Royaume où nous sommes, par le mépris que l’on a pour elle.

LE RENARD.

Elle est pourtant propre à une chose ; c’est qu’on luy oste la cervelle & le fiel, pour éclaircir la veuë des autres, de sorte que la pauvre beste est presque toujours écervelée & éventrée, pour donner à ses ennemis une veuë plus perçante & plus étenduë.

LE RENARD.

Nous n’avons donc point à balancer sur le choix du Coq, qui naturellement a une veuë admirable, & qui veille continuellement sur ses Compagnons. Aussi bien les Romains ne combattoient jamais qu’ils ne l’eussent consulté, pour sçavoir si leur entreprise auroit un succés heureux.

LE LOUP.

Puis qu’il commande au Lyon, & qu’il a mesme commandé par ces Augures à ceux qui commandoient à toute la Terre, il est juste qu’il ait sur nous l’authorité Souveraine. Mais combien vois-je d’Animaux & d’Oiseaux venir à nous !

LES ANIMAUX.

Bonjour, nos comperes. Nous vous cherchions ayant remarqué que vous manquiez seuls à l’Assemblée que nous venons de tenir pour l’élection d’un Roy, car nous en voulons un qui soit entierement digne de regner sur nous.

LE RENARD.

Nous raisonnions sur cette mesme matiere.

LES ANIMAUX.

Il paroist que le destin nous ait inspirez les mesmes sentimens. Suivons donc le mouvement qu’il nous donne. Et sur qui jettiez vous les yeux ?

LE LOUP.

Sur le Coq qui est toujours éveillé le premier. Il a la teste levée vers le Ciel selon les ordres duquel il se conduit. Il est grave sans orgueil, majestueux sans affectation, brave, genereux, & pourveu de toutes les qualitez qui peuvent faire un grand Roy.

LE LYON.

Je m’oppose à cette élection, & vous ne pouvez me détrôner sans commettre une injustice.

LES ANIMAUX.

Nous ne souffrirons jamais qu’un Roy comme vous nous commande. Vous craignez le feu ; vous ne sçauriez supporter le chant du Coq, & vous estes un glorieux craintif.

LE LYON.

Mais les Rois ne vont pas au combat, & le feu par consequent ne doit pas estre un empeschement legitime à me laisser joüir de la Royauté.

LES OISEAUX.

Nous ne voulons point de Roy faineant. Le Coq se bat à outrance, & lors qu’il a remporté la victoire, il est prest à recommencer. Si son ennemy veut encore chanter, il le poursuit jusqu’à ce qu’il ne dise plus mot. Nous le choisissons pour nostre Roy.

LES ANIMAUX.

Ouy, c’est un Arrest irrevocable. Le Coq sera nostre Souverain, & nous n’en reconnoistrons point d’autre sur la terre & dans l’air. Vive le Coq, Vive le Coq. Que le Ciel luy donne toutes les choses necessaires pour la conduite de son Empire, avec une vie heureuse, & longue de plusieurs siecles.

Air nouveau §

Mercure galant, novembre 1690 [tome 12], p. 72-73.

L'Air nouveau que je vous envoye est de la composition d'un fort habile homme. Vous demeurerez d'accord de sa beauté quand vous en aurez parcouru les notes. Les paroles sont d'une personne de qualité.

AIR NOUVEAU.

Avis pour placer les Figures : l’Air qui commence par, En vain j'ay cru pouvoir rompre, &c. doit regarder la page 72.
En vain j'ay cru pouvoir rompre ma chaine,
C'est mon destin de soupirer pour vous.
Je ne m'oppose plus au panchant qui m'entraine,
Loin de me plaindre encor de l'excés de ma peine,
Je me plaindray toujours de l'injuste couroux,
Qui me fit préferer les fureurs de la haine
Aux plaisirs d'un Amant si charmant & si doux.
En vain j'ay cru pouvoir rompre ma chaine,
C'est mon destin de soupirer pour vous.
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[Dialogue d’Apollon, & de Polimnie] §

Mercure galant, novembre 1690 [tome 12], p. 73-93.

Vous sçavez, Madame, quelle grande contestation s’est émeuë il y a déja quelques années entre les Sçavans au sujet d’un Poëme intitulé, Le Siecle de Loüis le Grand, de Mr Perrault de l’Academie Françoise. Le sieur Coignard, Libraire, a donné au public depuis ce temps-là deux Volumes du Paralelle des Anciens & des Modernes, du mesme Auteur, & ces Ouvrages ont esté attaquez par un Poëte Hollandois sous le nom de Montmor. C'est cette Critique qui a donné lieu à Mr de Vin, dont vous connoissez l’heureux genie par plusieurs galantes pieces que je vous en ay déja envoyées, de faire le Dialogue que vous allez lire. Il est entre Apollon, & la Muse Polimnie, qui parle au nom de toutes les autres.

POLIMNIE.

Nous nous jettons, Seigneur, toutes à vos genoux,
 Et nous vous demandons justice.

APOLLON.

Relevez-vous, mes Sœurs, parlez, expliquez-vous,
 Et sçachez qu’Apollon propice
Entre, comme il le doit, dans tous vos interests.
Quels sont vos Ennemis, ou publics, ou secrets ?
De qui vous plaignez-vous, & quel témeraire ose,
Sans craindre ma colere, à mes yeux insulter
 Les Filles du grand Jupiter ?
Du trouble où je vous vois quelle est enfin là cause ?

POLIMNIE.

Il ne falloit pas moins pour en finir le cours
 Que l’offre de vostre secours.
 Nous allons reprendre courage,
 Et nous en craignons moins l’outrage
 Qu’on nous fait depuis quelques jours.
Malgré l’épais broüillard, & les vapeurs grossieres
Qui couvrent en tout temps le Batave Climat,
Nous n’avons pas laissé d’y porter nos lumieres.
Cependant ce Pays sombre, & toujours ingrat,
Loin de nous en montrer quelque reconnoissance,
 Ne s’en sert qu’à nous décrier ;
 Et Montmor vient de publier
Qu’il ne sort plus de nous qu’une froide Eloquence.
 Il est vray que cet entesté
 Nous fait encor l’honneur de croire
 Qu’autrefois nous eûmes la gloire
 D’inspirer à l’Antiquité
 Ces traits vifs, cette politesse,
Ce goust fin, ce bon sens, cette delicatesse
 Qu’on voit briller dans ses escrits :
 Mais il soutient que la vieillesse
Qu’il nous donne, & qu’il traite avec tant de mépris,
 A fait sentir à nos esprits
La perte du beau feu qu’avoit nostre jeunesse.
Il semble, si l’on veut s’en rapporter à luy,
Que l’Hiver ait sur nous versé toute sa glace,
Et qu’inutilement Hesiode aujourd’huy
 S’endormiroit sur le Parnasse.
 Tel est l’impertinent discours
 De ceux qui secs, & sans genie,
Sur ce qu’on voit de bon répandent tous les jours
 Le venin de leur jalousie,
Et se vangent par là du malheureux succés
 Des sots Ouvrages qu’ils ont faits.
  Cependant si leur médisance
Dans le monde une fois trouve quelque créance,
 Adieu les suprêmes honneurs
Que nous ont jusqu’icy rendus tous les Auteurs.
Nous feront-ils, helas ! le moindre sacrifice ?
 Ils en croiront plus leur caprice
 Que les salutaires ardeurs
 Qu’on puise dans nostre fontaine,
Et nous refuseront les glorieux tributs
Qu’ils ont toujours payez à son eau souveraine.
 Qui voudra se donner la peine
D’y chercher un secours qu’on traitera d’abus ?
 Qui nous invoquera ? Personne
Ne s’avisera plus de nous offrir des vœux,
Et des beaux Arts (quel coup ! j’en tremble, j’en frissonne)
Peut-estre que chacun se fera d’autres Dieux.
Il me semble déja que l’on nous abandonne,
 Que l’on ne songe plus à nous,
Et que nostre sejour, devenu solitaire,
Sans Encens, sans Autels, n’est plus que le repaire
 Des Ours, des Lions & des Loups.

APOLLON.

Le mal n’est pas encor si grand qu’on s’imagine,
Rasseurez-vous, mes Sœurs, Montmor, & ses pareils,
Pour vous nuire, tiendront d’inutiles conseils,
Et quoy que du Parnasse ils tentent la ruine,
 Ils ne sont pas si dangereux,
Que leurs traits mal lancez ne retombent sur eux.
Autant, & plus que vous, leur audace m’offense,
Et je les traiterois comme des Marsyas
 S’ils estoient dignes de mon bras :
 Mais plein d’une reconnoissance
 Qui doit confondre ces ingrats,
Un de nos Favoris travaille à sa deffense,
Et Perrault que j’ay sçeu remplir de tous mes feux,
 Est un Athlete vigoureux,
Et tel que d’Apollon exige la vengeance.
Ils ont desja senty ce que pesent ses coups ;
 Sa plume & polie, & féconde
 Commence à détromper le monde
 Des contes que l’on fait de vous.
 Chacun sçait que de la vieillesse
 La froideur & l’infirmité
 N’attaquent point une Déesse,
 Et qu’une éternelle jeunesse
Est le fruit precieux de l’immortalité.
Chacun sçait que toujours & vives, & solides,
Vous pouvez aujourd’huy, comme dans les vieux temps,
 Faire, malgré ces médisans,
 Des Sophocles, des Euripides,
Des Plines, des Saphos, des Longins, des Varrons,
 Des Aristotes, des Euclides,
 Des Horaces, des Thucidides,
 Des Terences, des Cicerons,
 Des Luciens, des Praxiteles,
 Des Virgiles, & des Appelles.
On sçait qu’autant de fois qu’on verra des Heros
Amateurs de nos jeux, affables, liberaux,
Et tels qu’en possede un la trop heureuse France ;
On ne manquera pas de sublimes Esprits ;
 Que vos feux, & leurs dons unis
 En produisent en abondance,
 Et que sans la douce esperance
D’estre un jour honorez de ces glorieux dons,
Plusieurs qui negligeoient vos inspirations,
 Auroient languy toute leur vie
 Dans une molle oisiveté ;
Ce prix de leurs travaux réveille leur genie,
A mieux faire par là l’on se sent excité,
 Et chacun, cherchant à leur plaire,
Redouble ses efforts, & pour en obtenir
 La recompense qu’il espere,
Leur consacre ses soins, ses veilles, son loisir.
On sçait ce que valut autrefois à la Grece
D’Alexandre le Grand la prodigue largesse,
Et que jamais l’esprit dans cet heureux Climat
Ne fut plus éclairé, plus fort, plus delicat.
 Jamais Rome se trouva-t-elle
Plus docte, plus polie, & plus spirituelle
 Que sous les deux premiers Cesars ?
 Cette tendresse liberale
Que le Pere & le Fils * eurent pour les beaux Arts,
Les y fit cultiver d’une ardeur sans égale,
Et leur secours peut-estre autant que sa valeur,
Jusqu’au point qu’on l’a veuë éleva sa grandeur.
Ne leur doit-elle pas la fameuse Eneide,
Les Plaintes, les Amours, & les Fables d’Ovide,
Le delicat Horace, & tant d’Auteurs divers,
 Qui soit en Prose, soit en Vers,
 Ont rendu sa gloire immortelle,
Et dont le goust si fin sert encor de modelle ?
 Le Fils sur tout en leur faveur
De son Trône souvent se plaisoit à descendre.
Rome vit sans chagrin de son grand Empereur
Jusqu’à l’excés sur eux les bienfaits se répandre,
Et quelques-uns mesme d’entre eux
 Se trouverent assez heureux,
 Pour joüir de sa confidence.
 On sçait enfin que dans la France
Loüis que le Ciel aime, & qui nous aime aussi,
A par ses Pensions, par leur douce influence
 Plus fait pour nous que jusqu’icy
N’ont fait tous ces Heros que vante tant l’Histoire.
Tout grand qu’il est, & plus qu’Alexandre & Cesar,
De proteger les Arts dédaigne-t-il la gloire,
 Et ce favorable regard
 Qu’il jette sur l’Academie,
N-a-t-il pas des François porté le beau genie
Jusqu’au point d’effacer ce que firent jadis
Les Grecs, & les Romains quand ils furent polis ?
C’est par là que chez eux ont brillé les Molieres,
 Les Voitures, les Ablancours,
 Et qu’éclairé de vos lumieres
Vostre beau Sexe mesme y fait voir en ces jours
 Des Scuderis, des Deshoulieres.

POLIMNIE.

Ces Dames au Parnasse, il est vray font honneur,
Et pleines qu’elles sont de toute nostre ardeur,
 Leurs Ecrits seuls devroient suffire
 Pour confondre nos Ennemis.
Ceux de Sapho sont-ils plus vifs, ou plus polis,
Et de ce siecle enfin qui les force à médire ?

APOLLON.

Tel qu’il fut autrefois Apollon l’est encor ;
 Ainsi méprisons de Montmor
L’ennuyeuse critique, & la fade Satire.
L’opiniastre erreur qui l’attache aux vieux temps
 N’a pour elle que peu de gens ;
 Et chacun, quoy qu’il puisse dire,
Ouvre, & preste l’oreille à la voix du bon sens.
Athenes, comme Rome, en a fourny sans doute,
Mais sans prévention pour peu que l’on l’écoute,
Croira-t-on qu’en ces lieux trouvant trop de douceurs,
Il n’ait pû se resoudre à se produire ailleurs ?
Lors qu’à l’antiquité ce siecle rend justice,
 Par quel injurieux caprice
 Refuse-t-on aux beaux esprits
Qui regnent dans la France, & sur tout dans Paris,
Celle qui leur est deuë, & que la fiere Athenes,
 Plus équitable, que Montmor,
Elle-mesme rendroit à tant de nobles veines ?
 Faut-il, pour le presser plus fort,
 Dissiper les sombres nuages
Dont un dépit jaloux envelope ses yeux,
Et, comme aux Ecoliers, faire à cet envieux,
Comprendre, & remarquer la beauté des Ouvrages
 Des Racines, des Despréaux,
Des Patrus, des Le-Bruns, des Mignards, des Corneilles.
 Mais sans de tant d’Auteurs nouveaux
 M’étendre sur les doctes veilles,
Que ne veulent pas voir ces esprits mécontens,
Ou qui sont au dessus de leur intelligence,
Sans, dis-je, perdre en vain & sa peine, & son temps
A leur en expliquer la force & l’exellence,
Perrault écrit pour Nous, & ses heureux talens
Suffisent seuls pour prouver que la France
Egale en leur bon goust les siecles précedens.
 Sa netteté, sa politesse,
Ses traits-vifs & brillans, son goust fin, sa justesse,
Tout cela de Montmor a sceu blesser les yeux.
Quels que soient ses efforts, sa plume languissante
Ne peut en approcher, c’est en vain qu’il le tente,
Et dans son desespoir, de ce lâche envieux
La trop ingenieuse & jalouse malice
 Par un trop injuste artifice,
  Détourne sur l’antiquité
Le legitime encens qu’à Perrault il refuse,
Et par ce faux trait d’equîcê,
D’en avoir peu pour luy ne craint pas qu’on l’accuse.
 On en usa toujours ainsi,
Et des siecles passez comme de celuy-cy
 Telle fut l’adroite manie.
 Horace, le plus beau genie
Que Rome vit chez elle, eut aussi son Montmort ;
Tout habile qu’il fut, le celebre Mecene
A gouverner l’Empire eut mesme moins de peine
Qu’à l’exemter de cet indigne sort.
 L’injustice toujours bizarre
Ne vantoit de son temps que Sapho, que Pindare ;
 Toute la gloire estoit pour eux,
On envioit la sienne, & ceux cy dans la Grece,
Lors qu’ils y prodiguoient leur sçavante richesse,
Ne se virent-ils pas préferer leurs Ayeux ?
 Tant que vescut le grand Homere,
Sur sa mendicité jetta-t-elle un regard ?
 Cette ingrate prit elle part
 A sa longue & dure misere ?
 Non, ce ne fut qu’aprés sa mort
 Que sept Villes en concurrence
Disputant, mais trop tard, l’honneur de sa naissance,
 S’en firent un illustre sort.
Laissons donc à Perrault le soin de nostre gloire,
Nous ne pouvions la mettre en de meilleures mains ;
 Et que les Filles de Memoire
 Calmant leurs sensibles chagrins,
S’apprestent au plustost à chanter sa Victoire.
2

[Ordre de S. Jean de Jerusalem] §

Mercure Galant, novembre 1690, p. 93-94.

Mr le Commandeur de Barbantane, Vicaire General du Grand Prieuré de Toulouse, de l'Ordre de Saint Jean de Jerusalem, ayant appris que Mr le Commandeur de Vignacour avoir esté éleu Grand Maistre de Malthe, en fit paroistre sa joye par des illuminations qu'il fit faire devant sa Maison, & par un grand Feu d'artifice qui fut tiré au bruit des Fifres, des tambours & des hautbois.

[Lettre en Prose & en Vers] §

Mercure galant, novembre 1690 [tome 12], p. 117-146.

Les matieres de la guerre ayant remply depuis fort longtemps la plus grande partie de chacune de mes Lettres, beaucoup d’Ouvrages galans n’ont pû y entrer. En voicy un du Berger de Flore, dont le nom vous est connu. Vous avez déja veu une de ses Lettres, par laquelle il rend compte à une Dame, d’une premiere Societé qu’il a faite. Celle-cy en est la suite, c’est à dire qu’il instruit la mesme Dame d’un engagement nouveau qu’on luy a fait prendre.

A LA BELLE
MARTHESIE.

Pour continuer, Madame, les éclaircissemens que j’ay commencé à vous donner, vous sçaurez que la seconde Societé dont je fus, s’appelloit L’Empire de Flore, ou des Fleurs. Sa Devise estoit, N’aspirons qu’à fleurir ; sur quoy une des Belles qui avoit l’esprit enjoüé, fit les Vers qui suivent.

 Ne causons point de mauvais bruits,
Plaisons-nous au Printemps, gardons-nous de l’Automne ;
 Aimons les Fleurs, fuyons les fruits,
 Pour nostre honneur Flore l’ordonne ;
 Et si l’amour en prenoit du soucy,
Il ne faut point que l’on façonne ;
 Nous devons le bannir d’icy.

Chaque Dame s’y donna un nom de Fleur ; & les Cavaliers en prirent de semblables ou d’approchans. J’estois à Paris lors que cette Cour Imperiale commença à s’établir, & quand j’arrivay au Pays, la Societé m’ayant receu, je me declaray pour la Belle qui avoit fait les Vers que je viens de rapporter. Elle s’appelloit Clione, & elle avoit pris le nom de Lumiere. Ce nom ne seyoit pas mal à la vivacité de ses yeux & de son esprit. L’assurance qu’on me donna qu’elle n’estoit point destinée au Monastere, & qu’elle n’avoit point encore d’engagement, me fit entreprendre avec plus de hardiesse le dessein de la servir. Voicy le moyen que je pris pour luy declarer que je l’aimois. Il fut trouvé assez singulier, & tout-à fait propre à tromper le jaloux le plus soupçonneux du monde. On avoit fait une loy dans cet Empire, qui défendoit aux Dames de refuser des Fleurs, de quelque part qu’elles vinssent. J’envoyay donc un bouquet à Clione, sous la faveur de cette loy, avec une humble priere de le regarder comme un Chiffre, qui luy apprendroit mot à mot ce que je faisois pour elle. Nous estions alors au Printemps, & ce bouquet estoit composé de Fleurs toutes printannieres, à la reserve d’une seule. Il y avoit au haut une Jonquille & un Ellebore ; au milieu, de la Violette, de la fleur d’Orange, du Violier, & un Soucy ; & au bas, une Anemone, une Iris, du Muguet & de l’Epatique. Ces Fleurs estoient entremeslées de verdure, pour en adoucir le mélange un peu bizarre, comme aussi pour marquer l’esperance que j’avois qu’on les recevroit favorablement. Clione qui ne manquoit pas de curiosité, & que mon compliment avoit piquée d’interest, s’attacha aussitost à examiner ces Fleurs, pour reconnoistre ce que je voulois dire ; & elle ne les considera pas longtemps sans le deviner. Ce fut en jugeant, comme elle fit, qu’à prendre la premiere lettre du nom de chaque Fleur, sans avoir égard aux h, que quelques-uns mettent devant Ellebore & Epatique, les deux Fleurs d’en haut signifioient je, les quatre suivantes, vous, & les quatre dernieres, aime ; & qu’ainsi le bouquet exprimoit ces mots, je vous aime. Cette declaration qui la surprit agreablement, luy parut trop galante pour s’en offenser. Aussi ne s’en plaignit-elle pas ; mais pour me faire connoistre qu’elle l’entendoit, sans pourtant la vouloir entendre, elle me répondit par cet in promptu.

Qui l’auroit jamais cru ? Les Fleurs sçavent parler,
Un Bouquet me dit, Je vous aime.
Ça ma reconnoissance, il se faut signaler,
 Beau Bouquet, je t’en dis de même.

Ces Vers me furent rapportez par la mesme personne qui luy avoit porté mon present ; mais comme ce n’estoit pas mon compte qu’elle aimast les productions de Flore, sans en aimer le Berger, je luy repliquay aussitost de la sorte.

 Le Bouquet n’est qu’un truchement,
 Il vous a dit que je vous aime ;
Si vostre bonté veut éclater noblement,
 Pour moy vous en direz de mesme.
***
 Je le souhaite, objet charmant,
Plus qu’un ambitieux ne fait le Diadème ;
Et je croy qu’on ne peut jamais trop ardemment
 Souhaiter un bonheur extrême.
***
 S’il vous plaisoit d’oüir mes vœux,
Je vous comparerois avec les Immortelles,
Et vous verriez mon cœur payer de mille feux
 La moindre de vos étincelles.
***
 Vous avez cent sortes d’appas,
Vostre teint pour charmer mesle les lis aux roses ;
Mais tout cela n’est rien, si l’amour n’en est pas,
 Luy seul donne le prix aux choses.
***
 En y pensant pensez à moy,
La probité me plaist, je vous seray fidelle.
Je sçay de plus unir la constance à la foy,
 J’auray pour vous une amour éternelle.
***
 Voulez-vous que l’on soit discret,
Soumis, respectueux, tendre, sensible & sage ?
Toutes ces qualitez entrent dans mon portrait,
 Et quelque chose davantage.
***
 Je sçay sur toutes les faveurs
Garder sans me contraindre un éternel silence ;
Vous pouvez m’accorder de legeres douceurs,
 Pour en faire l’experience.
***
 Mon Bouquet vous a dit l’amour
Que vos yeux, que vos traits, que vostre esprit me donne ;
Songez à le nourrir, puis qu’il vous doit le jour,
 Je n’en diray rien à personne.

Il n’estoit pas difficile de persuader à cette Belle qu’on l’aimoit. Elle avoit trop bonne opinion d’elle mesme pour en douter. Il ne me fallut donc pas beaucoup de protestations & de temps pour la convaincre de ma tendresse, & c’en fut assez pour l’obliger d’en avoir pour moy. Nous vescumes en repos deux ou trois mois fort satisfaits l’un de l’autre ; mais enfin je remarquay par hazard une grande intelligence qui se formoit entre elle & un de nos Bergers, sans qu’elle m’en dist aucune chose. Son silence me semblant une trahison, j’en souffris une douleur tres-sensible, jamais Filis ne m’en avoir causé de semblable. Je m’en plaignis à une de ses Amies qui estoit aussi la mienne. Elle luy en fit de doux reproches. Clione en fut touchée, & elle essaya de faire cesser mes plaintes par l’éloignement de leur cause. Le calme revint donc dans mon esprit, mais il n’y dura guere ; l’infidelle retourna à sa nouvelle conqueste, & usa de toutes sortes d’artifices pour m’ébloüir, parce qu’elle n’avoit pas envie de me perdre. J’en fus averty de bonne part, & alors le dépit me la fit quitter tout à fait, sans m’en plaindre davantage. Une autre Belle qui l’effaçoit par des brillans beaucoup plus propres à charmer que les siens, étoit entrée depuis quelques jours dans nostre Societé, Je me rangeay sous son Empire, dans l’esperance d’un plus heureux succés. Cette Belle prit d’abord le nom de Rose, & ce nom ne convenoit pas mal à l’éclat de son teint extrémement vermeil ; mais elle le quitta bien-tost pour prendre celuy de Roselinde, qui luy sembla plus agreable. Elle joüa assez bien son personnage auprés de moy, dans les commencemens de mon amour, pour me persuader qu’elle estoit de la nature des Roses, & que si elle avoit beaucoup de douceur, il n’en falloit pas abuser ; qu’elle avoit des épines à sa garde, & qu’il estoit dangereux de s’y joüer avec trop de familiarité, mais je m’apperceus bien-tost qu’elle estoit aussi facile à toucher que les fleurs qui n’ont aucune défense, & qu’elle se sentoit mesme du sang amoureux de la Déesse de qui les roses ont tiré leur couleur vermeille. Elle me permit de rendre plusieurs témoignages publics de ses charmes & de mon amour, & en voicy un des plus forts.

***
Que Roselinde a de beautez !
Que de cœurs en sont enchantez !
Que d’esclaves sous son empire !
Son teint vermeil & delicat
Brille d’un merveilleux éclat,
 Tout le monde l’admire.
***
Les traits qui partent de ses yeux,
Portent leur flâme en mille lieux
Avec une douceur extrême ;
On ne sçauroit se garantir
D’une ardeur si douce à sentir,
 Et tout le monde l’aime.
***
Pour moy, j’adore son esprit,
S’il me captive, il me ravit ;
Je ne vois rien qui luy ressemble ;
Tout le monde luy fait la cour,
Mais j’ay pour elle plus d’amour
 Que tout le monde ensemble.

Roselinde aimoit l’encens & le bruit ; elle me sceut bon gré de ces Vers, & elle les fit mesme mettre en air, afin qu’on les pust chanter par tout. Comme elle ne manquoit pas d’Amans lors que je luy voüay mes services, je ne manquay pas aussi de Rivaux ; mais l’asseurance qu’on me donna, qu’aucun n’estoit favorisé d’elle, fut une des raisons qui m’y attira. Il sembla dans la suite du temps, à l’entendre dire, & à la voir faire, qu’elle me voyoit de meilleur œil que les autres ; & un de mes Amis s’avisa de m’en feliciter, elle me le faisoit accroire aussi. Je suis de bonne foy ; & il n’est rien de si propre à surprendre la créance des plus incredules, que ce qui flate, & que l’on souhaite. Je me laissay donc aller à cette opinion de preference, & je m’en fis un grand sujet de gloire & de bonheur. Toutefois j’appris bien tost qu’elle témoignoit autant de bontez à d’autres qu’à moy, & je connus mesme qu’elle ne s’en cachoit pas trop. Cette connoissance me causa du chagrin & du refroidissement, on n’aime pas à estre trompé. Je conceus dés lors le dessein de retirer mon cœur de la presse, & de le placer ailleurs. Roselinde avoit beaucoup de penetration, elle s’en apperçeut, & me dit là-dessus qu’elle ne s’estonneroit pas quand je la quitterois malgré toutes les protestations de fidelité & de constance que je luy avois faites, mais que je pouvois m’assurer de ne pas mieux trouver mon compte autre-part qu’auprés d’elle. Je luy répondis qu’elle avoit bien de la malice de me vouloir oster l’esperance aprés m’avoir osté le repos. Vous vous flattez, me repliqua-t-elle, & je veux vous desabuser, afin que vous conserviez du moins le souvenir de ma franchise, s’il vous arrive d’oublier les autres qualitez, qui m’ont tant de fois attiré vos loüanges. Chaque sexe, continua-telle, a ses defauts particuliers, & je laisse à juger lequel du vostre ou du mien a les plus grands ; mais j’ay reconnu, & il n’est que trop vray, que les femmes sont beaucoup plus sujettes à l’infidelité, qu’à l’inconstance ; & les hommes au contraire, plus sujets à l’inconstance qu’à l’infidelité ; & ce qui est assez singulier, c’est que cette difference est l’effet d’un mesme principe, puis qu’il resulte de la qualité de sociable, que la nature a également donnée aux hommes & aux femmes. La raison des femmes vient de ce que chacune d’elles a interest de s’acquerir plusieurs Amans, afin que l’un l’entretienne, tandis que l’autre garde le silence, & qu’ainsi elle ne languisse pas dans l’oisiveté. La raison des hommes naist de ce que c’est assez d’une Belle, pour épuiser toutes les douceurs d’un Amant, & que quand cet Amant est au bout de son rollet, & n’a plus rien de nouveau à conter à sa Belle, il desire aussi tost d’en rencontrer une autre qui l’escoute, à cause de la demangeaison qu’il a de recommencer un entretien qui luy plaist. Ainsi chaque sexe a une raison naturelle, qui le rend excusable dans sa conduite, quelque plainte qu’on en fasse, & quelque peine qu’on en souffre, & comme je vous excuseray si vous me quittez, vous ne devez pas me condamner, si en vous aimant j’en aime encore d’autres. Il me semble mesme qu’il devroit suffire pour vôtre repos & pour vôtre gloire, que je vous aimasse, sans vous faire un sujet d’inquietude & de rebut, de ce que vous n’estes pas le seul que j’aime. Je ne pus m’accommoder de ce raisonnement, ny de ce procedé ; le partage du cœur me déplaist ; je n’aimois qu’elle, je voulois estre aimé de mesme ; & comme je connus par cette naïve expression de ses sentimens, que cela n’estoit pas faisable, je la remerciay de sa franchise & de son amour. Neantmoins tout mon dépit ne put empescher que sa sincerité ne me plust, & ne voulant pas cesser de la voir, quoy que je cessasse de l’aimer, je luy envoyay ces Vers.

Vous raisonnez trop bien, & vous aimez trop mal,
 La Belle, adieu, je romps ma chaîne.
Je ne puis en amour supporter un égal,
 Vous m’en donnez une douzaine,
Vous suivez vostre humeur, je vais suivre la mienne.
Pourtant point de rancune entre nous, s’il vous plaist,
  On se peut voir sans interest,
 Sans passion ny d’amour, ny de haine.
Ma perte est peu de chose, & pour la reparer
 D’une façon qui vous contente,
 Je vais ardemment desirer
 Que chaque jour le Ciel augmente
Le nombre des Amans souples, soumis & doux,
  Qui soupirent pour vous.
 En aurez-vous assez d’une trentaine ?
Mes vœux iront plus loin, si vous le souhaitez ;
Mais c’est tout ce qu’en eut jadis la belle Helene,
  La Reine des Beautez.

Un Frere unique que j’avois alors, se mit de nôtre societé, & y fut nommé le Berger fleuriste. Il faisoit de la Prose & des Vers, comme moy, c’est à dire, à la Cavaliere, sans beaucoup de recherche ; & c’est sous ce nom que plusieurs Pieces que j’avois de luy ont paru dans le Mercure, & qu’y paroistront encore celles qui me restent de sa façon, puis qu’on les trouve assez galantes y avoir place. Il y a déja quelques années qu’il ne vit plus que dans ma memoire, mais il n’y mourra qu’avec moy. Jamais amitié ne fut plus forte que celle que nous avions l’un pour l’autre. La belle Cloris, & la Nimphe des Bruyeres qu’il aima successivement, estoient de la mesme Societé, & ne contribuerent pas peu par leurs charmes à la rendre florissante. Cloris y eut le nom d’Immortelle, & la Nimphe des Bruyeres celuy de Lis ou de Liliane. Il a assez fait éclater leur merite, pour me donner lieu de n’en rien dire davantage, & puis, Madame, il ne s’agit pas de sa vie galante, mais de celle de vostre, &c.

Le Berger de Flore.

[Eloge de Monseigneur le Dauphin par Madame de Pringy] §

Mercure galant, novembre 1690 [tome 12], p. 146-157.

Je vous ay déja envoyé divers Ouvrages de Madame de Pringy, qui vous ont fait voir que non seulement elle a de l’esprit brillant, comme il s’en rencontre en beaucoup de Dames qui sçavent se distinguer de leur Sexe, mais que l’Eloquence est un talent qu’on ne peut luy contester. Le Discours que vous allez lire, & qui est encore de sa façon, n’affoiblira pas l’opinion avantageuse que vous avez conceuë d’elle. Il est du temps, & la matiere n’en sçauroit estre plus noble.

A LA GLOIRE
DE MONSEIGNEUR
LE DAUPHIN.
Sur son retour d’Allemagne.

Enfin le plus grand des Rois voit tous ses Ennemis défaits, soumis & vaincus. Le Lion est terrassé, & l’Aigle abbatuë, L’envie vient d’enchaîner ceux qu’elle avoit seduits, & tous les efforts de ces Princes injustes n’ont servy qu’à les couvrir de honte & de confusion. LOUIS seul victorieux, sage & paisible, se voit couronné de gloire & de bonheur, & dans le sein de ses Etats, il s’occupe à contempler le Ciel qui le benit. Il voit du haut de sa grandeur, l’abbaissement inoüy de ceux qui le vouloient outrager, & il offre toutes ses victoires à Dieu seul qui les luy procure. Toute l’Europe liguée pour attaquer la France, la guerre universelle qui la menaçoit, ce gros d’Ennemis assemblez pour resoudre sa perte, tout est accablé. La puissance de nostre Monarque a dissipé en un moment tous ces projets, depuis si longtemps concertez, & son Auguste Fils qui a fait éclater sa valeur par ses victoires, a dans cette occasion moderé son courage par sa soumission, & n’a voulu donner la mort à aucun de ceux à qui sa presence donnoit du repentir. Il revient, ce Heros redoutable, goûter dans ce sejour de paix, le repos de l’admiration. Admiration qu’il donne & qu’il ressent ; qu’il donne à tout le monde, & qu’il ressent pour nostre Auguste Monarque. L’on ne sçauroit trop admirer ce jeune Prince, qui sçait vaincre & charmer l’Univers. Il vient d’accabler par sa prudence, par son courage & par sa force, & il charme par sa vertu, par sa bonté, & par ses dons. Il a porté la terreur aux cœurs troublez par l’injustice, & il rapporte la joye aux cœurs charmez de ses vertus. Il sçait plaire & étonner. Il est tout ensemble un Heros redoutable & un Prince charmant, & l’on ne sçait si l’on doit s’écrier sur sa valeur, ou s’applaudir sur sa bonté. Rien de si haut que son courage, rien de plus beau que sa soumission, rien de si éclatant que ses victoires, rien de plus charmant que sa douceur ; enfin rien de plus digne d’admiration que sa personne. Mais comment pouvoir décrire les effets d’une si noble cause ? Toutes ces impressions de crainte & d’amour qu’il fait naistre dans les cœurs, ces troubles, ces agitations, ces terreurs que les Ennemis ont ressenties, & ces joyes, ces desirs, ces respects, ces transports que les Peuples François ressentent, sont des merveilles qui charment tout le monde, mais que l’on ne peut dépeindre, & c’est l’effet de la valeur & de la bonté de ce Prince admirable. L’admiration est un étonnement de l’ame qui l’arrête, & luy fait contempler l’objet qui l’a surprise. Quand de grandes vertus se presentent en foule pour l’ébloüir, elle fixe son regard sur cette masse d’objets qui luy plaisent, & la grandeur de leur beauté luy fait marquer avec plaisir ce qu’elle ne peut exprimer qu’avec peine. Voila ce que nous sentons pour ce jeune Heros que la France admire. On est surpris de sa valeur & de sa bonté, on le contemple, on l’aime, & nos marques d’affection sont autant de voix qui l’applaudissent & le loüent, au deffaut de nos expressions. Qui peut mieux meriter l’admiration que celuy qui la cause dans un âge où d’autres à peine la connoissent, & qui la peut mieux concevoir que ceux qui ressentent les bontez qu’ils admirent ? Dans les siecles passez les Princes les plus admirables n’ont eu que des vertus militaires ; pour les vertus douces & insinuantes, on les ignoroit ; mais aujourd’huy la clemence n’est point separée de la valeur, & nôtre Auguste Dauphin nous fait voir l’assemblage de mille vertus opposées, & nous aprend en cent manieres qu’il est l’admirable Copie de Louis le Grand, de ce Prince qui fait éclater par puissance un regne merveilleux par bonté, qui abat l’orguëil par la honte, qui est toujours prest d’accorder le repos par misericorde, & de confondre par bonté ceux qu’il vient d’accabler par justice, qui est remply de sagesse & de vertus, & qui rend sa gloire éclatante & éternelle. Vous, Prince Auguste, qui admirez sans cesse nôtre parfait Monarque, ses faits inoüis vous charment & vous enlevent. Vous regardez sa vie comme le modele le plus beau, le plus surprenant, le plus achevé, & vous l’imitez cependant, comme l’exemple le plus aisé à suivre. Vous louez sans cesse ses actions merveilleuses par l’application que vous apportez à vous y conformer, & vous faites sa joye par vos vertus, comme il fait vos vertus par son exemple. Que ne puis-je icy, en dépeignant vostre admiration, en décrire la cause ! Mais toute l’éloquence des hommes ne suffiroit pas pour en venir à bout. Le Portrait de Louis le Grand est une entreprise qui surpasse les forces des plus habiles. L’assemblage des vertus & des grandes qualitez qu’il renferme dans son Auguste Personne, est un objet que l’on imagine, que l’on conçoit, que l’on admire, mais que l’on ne peut comprendre. Vous, grand Prince, qui avez receu de ce Heros le noble Sang qui vous anime, vous qui suivez les traces éclatantes dans lesquelles il marche, vous qui admirez par effet la brillante gloire qui le couvre, calmez vostre ardeur guerriere, & joüissez un moment du glorieux repos où sa presence vous attire, avant que d’accabler ceux que vos vertus épouvantent, & protegez les heureux Peuples qui vous admirent.

[Lettre à Madame Deshoullieres] §

Mercure galant, novembre 1690 [tome 12], p. 158-164.

Rien n’est si commun que les Vers, & rien n’est si rare que d’en trouver de bons. Parmy une infinité de personnes qui font leur plaisir de cette occupation, à peine en voit-on cinq ou six qui se distinguent. Si j’ose mesler mon sentiment avec celuy de plusieurs personnes, du jugement desquelles on ne sçauroit appeller, Mr de Senecé, premier Valet de Chambre de la feuë Reine, doit estre mis de ce nombre. Vous en jugerez par l’Idille de sa façon que je vous envoye. Le sujet qu’il a pris est fort sterile, de sorte qu’il a eu besoin de beaucoup d’invention, qui est une des principales parties de la Poësie. Ses pensées sont belles, bien soutenuës, & noblement exprimées, & ses Vers ont un tour aisé qui fait plaisir. Il seroit à souhaiter qu’il en voulust faire souvent. Il est à Mascon, d’où il a envoyé son Idille à Madame Deshoulieres, en luy écrivant ce que vous allez lire. Je croy que vous ne serez pas fachée de voir comment parle en Prose un homme qui fait paroistre tant d’esprit en Vers.

A Mascon. 16. Nov. 1690

Permettez-moy, Madame, de vous dire, que je suis de l’humeur de ces Héros de Comedie, qui dans les plus grandes adversitez, conservent toujours la fierté de leur rang, & la fermeté de leur courage. Cela veut dire, que tout exilé que je suis du Royaume de l’esprit, & du bon sens, je me souviens toujours que j’ay eu l’honneur d’estre connu de vous, & d’avoir quelque part en vostre estime. C’est un avantage que je ne puis jamais oublier ; mais, Madame, comme vous n’avez pas les mesmes raisons de penser à moy, je ne puis resister à la tentation de vous en rappeller le souvenir. Il est trop doux, il est trop glorieux, pour pouvoir le negliger, de tenir quelque place dans vostre esprit, & dans vostre memoire, parmy ces idées brillantes, & spirituelles, qui font les delices & l’admiration de tout ce qui parle François, je veux dire, de la plus polie, & de la plus nombreuse partie de la terre. Les agréables épanchemens de vostre heureux genie, viennent souvent jusqu’à nous de plusieurs façons. Je vous avouë neantmoins, que tout charmé que j’en suis, je le serois encore davantage, s’il en venoit quelque chose en droiture de vous à moy. Je vous suplie, Madame, d’ouvrir en ma faveur les Tresors de vostre Cabinet, & de croire que je conserve encore assez de goust, pour faire d’un pareil present, si vous avez la bonté de m’en enrichir, tout le cas qu’il meritera. Pour exciter vôtre liberalité par la mienne, je vous envoye un Idille de ma façon, semblable en cela au Roy de Perse, qui selon le recit des Voyageurs, envoye ordinairement aux Gouverneurs de ses Provinces, quand ils se sont enrichis, quelque méchante veste des Indes, pour tirer de leur reconnoissance un present de deux ou trois mille Tomans. Au fond, dans un pareil échange, qui pourroit jamais vous fournir une juste compensation ? En tout cas, quelque party que vous preniez, j’auray toujours obtenu une partie de ce que je souhaite, puisque je vous auray fait ressouvenir que je suis, Madame, avec beaucoup d’admiration, & de respect, Vostre tres, &c.

Les Grandes Eaux. Idille §

Mercure galant, novembre 1690 [tome 12], p. 165-177.

LES GRANDES EAUX.
IDILLE.

La Sône, si tranquille autrefois dans sa course,
Répand avec ses eaux l’épouvante & l’horreur.
 Les Peuples voisins de sa source
Ont à son cœur paisible inspiré leur fureur.
Son énorme étenduë excitant la terreur,
Du Deluge à nos yeux réveille les idées,
 Et vomit à flots écumans
 Sur nos campagnes inondées
 La colere des Allemans.
 On voit ensevelir les herbes
Sous un obscur limon de leur beauté jaloux,
 Et l’humble Flore aux Nayades superbes
 Demande retraite à genoux.
 Zephir, le doux Zephir, toujours tendre & fidelle
Fait pour la secourir un effort impuissant ;
Des cruels Aquilons le couroux fremissant
 Luy livre une guerre mortelle,
Il succombe, & contraint d’abandonner sa Belle,
 Il se retire en gemissant.
***
Ces arbres, autrefois l’ornement de la plaine,
 Qui sur leur taille de Geant
 Fondoient leur esperance vaine,
A nos yeux étonnez sont reduits au neant.
 Leur testes d’écume soüillées
Aux Astres pluvieux presentent tristement,
 Au lieu de bras, leurs branches dépouillées,
Miserable jouet des ondes & du vent
Nos timides Bergers, dont l’ignorance obscure
 Oppose un nuage à leurs yeux,
 Prennent le cours de la nature
 Pour une vangeance des Dieux,
Et fatiguant les airs par d’inutiles vœux,
S’imaginent qu’au Ciel ils ont fait quelque injure,
Et qu’il leur fait l’honneur d’estre irrité contre eux.
Leur ame par l’effroy servilement contrainte,
Aux emplois de l’amour n’ose plus s’exercer.
 A peine leur tremblante crainte
Laisse échaper ce nom si doux à prononcer ;
Ou s’ils risquent encor dans leur douleur profonde
 D’invoquer ce Dieu reveré,
C’est pour le conjurer de préserver le monde
 Du Cahos dont il l’a tiré.
***
 Pendant que tout ce qui respire
Attend dans sa retraite un temps plus adoucy,
 Achante seul, pressé de son martire,
A nos rivages sourds va conter son soucy.
Le retour desiré de l’aimable Climene
Par ce ravage affreux se trouve retardé,
Et le triste Berger pour soulager sa peine,
 Par son seul desespoir guidé,
 Sans crainte d’attirer sa haine,
Chaque jour la reproche au Fleuve débordé.
***
Va, dit-il, tu n’es plus cette paisible Sône
 De qui les bords delicieux,
 Meritoient de porter le Trône
 Du plus agreable des Dieux.
Qu’est devenuë, helas, cette pudeur modeste
Qui resserroit tes eaux dans ton étroit canal ?
 D’où te vient le desir funeste
D’affecter la grandeur qui te convient si mal ?
Voy de combien de maux ton orgueil est coupable,
Tu fais dans leur naissance avorter nos Moissons,
 Tu couvres les herbes de sable,
Au sommet des Ormeaux tu guindes les Poissons,
Tu fais cesser nos jeux, & nos tendres chansons,
Tu bannis nos Troupeaux de la fertile plaine,
Tu dégarnis tes bords de leur plus doux espoir,
Ces jeunes arbrisseaux que ton couroux entraine,
Et pour te dire enfin ton crime le plus noir,
Tu t’opposes, cruelle, au retour de Climene.
 On sçait assez le sujet de ta haine ;
Il me souvient du temps où sur tes riches bords
Cette Beauté dont mon ame est ravie,
 Etaloit ses brillans tresors
 Qui te faisoient secher d’envie.
On te voyoit alors au travers des roseaux
 D’un œil jaloux, d’un air sauvage,
Examiner en vain les traits de son visage,
 Et courir de honte & de rage
 Te cacher dans le fond des eaux.
 C’est l’offense qui t’a poussée
 A ce terrible emportement,
 Et le chagrin d’estre effacée
Ne se pardonne point chez le Sexe charmant.
Eh bien ; pour signaler cette illustre vangeance,
Porte, porte en tous lieux le ravage & l’horreur,
 Cours, & va dire à la Provence
Que tu surpasses en fureur
 Le Drac, la Drome & la Durance,
 Tandis qu’aux Echos d’alentour
A cris perçans ma triste voix declare
Que tu peux disputer l’honneur d’estre barbare
Aux Fleuves sans pitié de l’infernal sejour.
Ecoute-moy, Cesar, s’il peut rester aux Ombres
Des choses de la terre un curieux soucy ;
Ouy, si l’on doute encor dans les Royaumes sombres,
D’un ancien embarras tu vas estre éclaircy.
Tu doutois où le cours de la Sône l’entraine,
Lors que tu remarquois si peu de mouvement
 Aux claires eaux qu’elle promene.
Helas ! tout est changé, Cesar, pour mon tourment
Elle court s’opposer à mon contentement,
Elle court empescher le retour de Climene.
 Une vaine ostentation,
Ne fait point qu’à grands pas elle quitte sa source,
Pour montrer les tresors, amassez dans sa course,
Au farouche mary qui l’attend à Lyon.
Ce n’est point pour s’unir d’une immortelle chaîne
 A son impetueux Amant,
 Qu’elle court si rapidement ;
Elle court éloigner un bien-heureux moment,
Elle court prolonger l’absence de Climene.
 Tout ce que nous a raconté
 La fabuleuse Antiquité,
Des Dieux qui dans les Eaux exerçoient leur empire,
 N’est qu’une pure fiction,
 Que controuva pour nous seduire
 La vaine superstition.
Qu’on ne me cite point le conte ridicule
 D’Alphée à qui tant de détours,
Livrerent à la fin l’objet de ses Amours,
Non plus qu’Achelous écorné par Hercule.
 Ah ! d’aucune divinité
 Le fond des Eaux n’est habité,
 Ou s’il en est parmi les ondes,
 Jamais l’Amour, pour mon malheur,
 Ne fit dans leurs grottes profondes,
De ses feux bien-faisants penetrer la chaleur ?
De ces fantasques Dieux la poitrine glacée
L’inexorable cœur (soit dit sans blasphemer.)
 L’ame de couroux herissée,
 Sont un sujet peu propre à s’enflâmer.
 La Sône me le fait comprendre,
Par l’outrageant excés de ses débordemens.
 Helas ! quand on a le cœur tendre,
 On est favorable aux Amans.
Rentrez dans vostre lit, orgueilleuse Riviere,
Aprés tant de soûpirs si vainement poussez,
Climene reviendra sur vos bords délaissez
 De ses beaux yeux répandre la lumiere.
Que vous aurez d’Autels, Divinité trop fiere,
 Que d’encens si vous nous rendez
 Cette presence si cherie !
Le bizarre plaisir de noyer la Prairie
 Vaut-il les biens que vous perdez ?
***
 Ainsi le mal-heureux Achante
Mêle aux plaintes qu’il fait mille tendres soupirs.
Des larmes qu’il répand l’amas des eaux s’augmente,
Luy-mesme innocemment retarde ses plaisirs.
L’Amour l’entend, le plaint, & partage la nuë
 D’un trait de ses feux éclatans,
Et la face des Cieux se montrant toute nuë,
 Luy fait esperer du beau temps.

[Mission] §

Mercure Galant, novembre 1690, p. 177-180.

 

Comme l'ouverture du Jubilé ne s'est faite dans le Diocese de Roüen que sur la fin du mois d'Octobre dernier, Madame d'Ableiges, qui fait toujours de grandes charitez, & qui ne se plaist qu'aux exercices de pieté, a voulu répandre sur les Paroisses dont elle est Dame, des benedictions particulieres par une Mission qu'elle y a fait faire à ses dépens, dans le temps mesme que le S. Pere, à son avenement au Ponfiticat, a répandu des graces generales sur tous les Peuples. Il n'y a personne qui ne conoisse le merite & la vertu de cette Dame. Elle est Fille de Mr de Courchamps, Sœur du Maitre des Requestes de ce nom, qui a épousé la Fille de Mr le President de Bailleul, & Femme de Mr de Maupeou, Seigneur d'Ableiges, Maistre des Requestes, & cy-devant Conseiller au Parlement, Petit-fils du fameux Mr de Maupeou, Controlleur general des Finances, sous le regne de Henry IV. & qui estoit Fils d'un autre de Maupeou, Conseiller d'Etat. Il est Cousin Germain de Madame de Pontchartrain, & le sixiéme de Pere en Fils Seigneur d'Ableiges, qui est un tres beau Chasteau, où les Rois Henry IV. & Loüis XIII. alloient souvent. Cette Mission commença le 23. d'Octobre, & finit le 7. de ce mois. Six Ecclesiastiques des Missions Etrangeres y ont fait pendant ce temps tous les exercices d'une Mission reglée. L'un d'eux faisoit la Priere dés cinq heures du matin, avec une instruction qui duroit une heure ; ensuite on disoit la Messe, & un autre faisoit le Catechisme pour les Enfans jusqu'à neuf heures. A dix heures on chantoit la grand' Messe.

[Histoire] §

Mercure galant, novembre 1690 [tome 12], p. 186-213.

Il n’y a point de moyen plus seur pour réüssir en amour, que de sçavoir bien aimer. La veritable tendresse tient lieu du plus grand merite, & pourveu qu’on puisse venir à bout de persuader que les asseurances qu’on en donne sont sinceres, le cœur le plus fier se laisse gagner. On peut dire mesme qu’il se rend avec d’autant moins de peine, que ce genre de merite est devenu rare, & que la pluspart des hommes font gloire aujourd’huy d’estre trompeurs. Un Cavalier qui faisoit sa principale vertu de la bonne foy, & qui ayant passé jusques à trente ans à étudier les defauts des autres pour s’empescher d’y tomber, estoit sorty de cet âge où le feu de la jeunesse semble autoriser beaucoup de folies, eut quelque pensée de se marier, & s’attacha pour cela auprés d’une Veuve qui par sa conduite, toujours reguliere, s’estoit acquis une estime generale. Il fut écouté favorablement, & les soins qu’il luy rendit luy faisant connoistre que son cœur estoit touché, eurent le succez qu’il en avoit attendu. La Dame se monstra sensible à sa passion, & une Amie qu’elle consultoit en toutes choses, ayant approuvé son choix, il ne fut plus question que de dresser le Contrat de mariage. Les Articles ne furent pas difficiles à regler. Le Cavalier l’en laissa maistresse, & ne voulant du bien que pour elle, il ne chercha que ce qui pouvoit luy faire plaisir. Des manieres si genereuses & si desinteressées redoublant l’estime qu’elle avoit pour luy, augmenterent en mesme temps son amour, & il eut peut-estre esté malaisé devoir une liaison plus tendre que celle que la sympathie de leurs humeurs forma entre-eux en fort peu de temps. C’estoit en l’un & en l’autre beaucoup de douceur & d’honnesteté, & sans qu’il y eust ny d’empire pris, ny de complaisance trop soumise, ils se rencontroient toujours dans les mesmes sentimens, & ne souhaitoient qu’une mesme chose. Ainsi l’Amie de la Dame l’estant aussi devenuë du Cavalier, n’avoit point à craindre d’estre employée à prononcer sur ces petits differends qui ont coûtume de naistre entre les personnes qui s’aiment le plus. Ils n’avoient jamais à luy parler que du plaisir qu’ils prenoient à se donner des marques d’une vraye tendresse, & le Cavalier sur tout s’en expliquoit avec elle d’une maniere si vive, que charmée des sentimens qu’il luy découvroit, & toujours plus penetrée de ses bonnes qualitez, elle ne cessoit d’applaudir la Veuve sur son heureuse fortune. Le jour estoit pris pour le mariage, & le Cavalier qui le voyoit proche, monstroit une joye qu’on ne sçauroit exprimer, quand la Dame tomba tout à coup dans un mal pressant qui fut jugé devoir estre long, s’il n’estoit pas dangereux. Ce fut pour luy un accablement qui alla jusqu’à l’excez. Il fit venir Medecins sur Medecins, comme si le nombre eust deu avancer sa guerison, mais tout leur Art fut une resource qu’il employa inutilement. La malignité de la maladie l’emporta sur les remedes, & il fallut changer l’appareil des noces en celuy des funerailles Rien n’est comparable à la douleur que fit voir le Cavalier. Il ne la soulagea point par de vains regrets, ny par cette abondance de larmes que les yeux fournissent dans les afflictions mediocres ; il en fut entierement occupé, & parut pendant quelques jours comme privé de tout sentiment. On avoit beau luy parler, il sembloit ne rien entendre de tout ce qu’on luy disoit, & ses yeux distraits marquoient je ne sçay quoy de funeste qui faisoit peine à tous ceux qui jugeoient de la grandeur de son déplaisir par la connoissance qu’ils avoient de l’excez de son amour. Enfin quand à force de le plaindre ses Amis l’eurent engagé à s’expliquer avec eux du triste estat où il se trouvoit reduit, ses pleurs commencerent à couler, & il leur dit ensuite les choses du monde les plus touchantes sur la perte qu’il venoit de faire. On n’adoucit sa douleur qu’en l’approuvant dans toute sa violence, & comme il vouloit qu’elle fust connuë de tout le monde, quoy qu’il fust contre l’usage d’en donner publiquement des marques exterieures, il prit le deüil, & le fit prendre à ses gens, comme si le mariage avoit esté accomply, & qu’il eust veritablement perdu sa Femme, & non pas une Maistresse. Vous jugez bien qu’il renonça à tous les plaisirs, & qu’il n’y eut rien pour luy de plus agreable que la solitude. Il ne la rompoit que pour certaines personnes avec qui il pouvoit s’entretenir sans contrainte, de ce qui estoit gravé si profondement dans son souvenir. Il voyoit sur tout l’Amie de la Veuve, & alloit souvent pleurer avec elle ce que ses larmes ne pouvoient luy rendre. Elle admiroit tous les jours de plus en plus la constance d’un amour qui sembloit braver la mort, & dont le temps n’avoit encore pû amoindrir la force, Il y avoit déja plus d’un an qu’il passoit sa vie dans les soupirs, toujours temply de sa chere veuve, & en parlant à tous ceux qui avoient encore quelque commerce avec luy. Enfin se trouvant un jour avec une Dame en qui il avoit de la confiance, & qu’il ne pouvoit se dispenser de voir quelquefois, aprés qu’elle eut écouté à l’ordinaire ce qu’il avoit à luy conter de lugubre, elle tâcha de luy inspirer d’autres sentimens que ceux qui l’entretenoient dans les reflexions chagrinantes qu’il faisoit sans cesse. C’estoit une de ces Femmes qui sont nées pour obliger, & qui n’aimant que la joye, ne peuvent souffrir que leurs Amis souffrent. Elle luy dit agreablement que l’Amie de sa défunte Maistresse, à qui il rendoit de si frequentes visites, avoit une Fille toute aimable, & bien plus capable que sa Mere, d’adoucir ses déplaisirs ; qu’elle avoit du bien, de l’esprit, de la sagesse, & que s’il vouloit la croire, au lieu de soupirer pour une Ombre qui ne pouvoit luy en sçavoir aucun gré ; il soupireroit pour une jolie Personne qui pouvoit luy rendre soupirs pour soupirs ; que la premiere année de son deüil estoit expirée, & que les pleurs ne nous pouvant redonner ce qui estoit perdu sans ressource, il falloit laisser les Morts en paix, & chercher à vivre avec les Vivans. Le Cavalier rejetta d’abord cette proposition comme un crime de leze memoire dont il estoit incapable, & pretendit qu’il estoit de son honneur de preferer le souvenir de la Veuve, quelque inutile qu’il fust, à tout ce que pouvoit avoir de douceurs le mariage le mieux assorty ; mais la Dame, qui joignoit à l’enjouëment toute l’adresse qui est necessaire pour réussir dans une entreprise, le tourna si bien de tous costez, qu’elle luy fit avoüer que la Demoiselle dont elle parloit avoit un merite singulier, & qu’il croyoit qu’un Mary seroit heureux avec elle. Elle l’engagea insensiblement à raisonner sur tous les obstacles qui se pouvoient rencontrer dans cette affaire, & celuy qui l’embarassoit le plus, s’il avoit à y songer, c’estoit le personnage d’Amant où il faudroit se resoudre pour s’acquerir le cœur de la Belle, & qu’il luy seroit honteux de faire aprés avoir paru si longtemps inconsolable La Dame n’eut pas de peine à luy applanir la difficulté. Elle luy dit qu’il seroit juste qu’on le dispensast des formalitez accoûtumées ; qu’il suffisoit qu’il sceust bien aimer pour estre asseuré de plaire, & qu’un homme qui avoit pleuré une Maistresse pendant plus d’un an, devoit estre cru plein d’amour sur sa parole, en quelque lieu qu’il se declarast, sans qu’on fust en droit d’en exiger de plus grandes preuves ; qu’elle se chargeoit de tout, & qu’elle estoit seure qu’on ne demanderoit point de plus forte caution des assurances qu’elle donneroit pour luy, que sa constance qui estoit connuë Le Cavalier ne donna point son consentement à ce que la Dame se montroit preste à faire pour luy, mais aussi il ne luy dit rien pour l’en empescher. Ainsi la Dame alla trouver dés le lendemain la Mere de la jeune Demoiselle, & luy découvrit la pensée qu’elle avoit euë. Elle la trouva dans des dispositions si favorables pour le Cavalier, par toute la connoissance qu’elle avoit de son merite, qu’il ne fut plus question que de sçavoir si sa Fille n’auroit point d’aversion pour ce mariage. Elle n’en marqua aucune, & comme elle avoit l’esprit solide, tout avoit contribué à la détromper de ces jolis hommes, qui fiers du brillant de la jeunesse, en regardent les defauts comme des vertus utiles à pratiquer. Sa beauté & les agrémens de sa personne luy avoient attiré depuis deux ans cinq ou six Amans de cette espece, qui tous, plus fous les uns que les autres, avoient déserté, aprés avoir fait paroistre des transports d’amour au delà de tout ce qu’on peut s’imaginer. Leur conduite évaporée, & le peu de fermeté qu’ils avoient eu à soûtenir leurs premieres protestations, luy avoit fait voir avec admiration la fidelité du Cavalier, que la mort mesme, malgré l’aversion que l’on a pour tout ce qui peut en offrir l’image, avoit esté incapable d’ébranler Des sentimens si peu ordinaires l’avoient portée à l’estime, & de la maniere qu’elle en estoit prévenuë, son cœur n’avoit pas beaucoup de chemin à faire pour aller jusqu’à l’amour. Tout se trouvant ainsi disposé, la Dame qui avoit commencé à nouer l’intrigue, la conduisit avec tant d’adresse, que le Cavalier fut obligé de souscrire à tout. Il estoit en commerce d’amitié avec la Mere, il ne s’agissoit que d’aimer la Fille d’une maniere plus tendre, & il ne pouvoit disconvenir qu’elle n’en fust digne. La seule crainte qui le retenoit, c’estoit de montrer trop de foiblesse, & la Dame l’affranchit de cette espece de honte en luy épargnant la peine de se declarer. Elle dit pour luy tout ce qu’il auroit dû dire ; la Mere agréa, & la Fille consentit, en sorte que comme il estoit déja accoustumé à les voir souvent, il ne fut point engagé à rendre de plus grands soins, mais seulement à donner à l’entretien une plus douce matiere. On luy permit toutefois de n’en pas changer toujours, & quand il laissoit échaper le nom de sa chere Veuve, on applaudissoit au plaisir sensible qu’il témoignoit prendre à s’en souvenir. Enfin la Belle ayant adoucy les tristes idées qu’il en conservoit, il luy fit paroistre tout ce que l’amour le plus délicat a de touchant, & comme elle estoit fort convaincuë qu’il sçavoit mieux aimer que tout autre, elle y répondit d’une maniere dont il eut tout lieu d’estre content. Cette passion prenant tous les jours de nouvelles forces dans l’un & dans l’autre, la Mere jugea à propos de ne pas attendre plus longtemps à faire le mariage, mais ce n’estoit pas assez que cette affaire luy pleust, il falloit encore que son mary l’approuvast, & toute l’adresse qu’elle sceut mettre en usage, n’en pût obtenir le consentement dont elle s’estoit flatée. Ce n’est pas qu’il n’estimast fort le Cavalier ; il en connoissoit tout le merite, mais soit que n’ayant regardé jusques alors ses visites assiduës que comme celles d’un homme qui venoit se consoler chez des personnes Amies, il fust fasché qu’on eust poussé les choses si loin sans l’en avoir consulté, soit qu’il eust des veuës plus avantageuses pour sa Fille qui estoit unique, il s’obstina, malgré les conseils de tous ses Amis, à ne vouloir point entendre parler de ce mariage. Il fallut mesme pour le contenter, que le Cavalier s’abstinst de venir chez luy. Cette contrainte luy auroit esté insupportable si la Belle qui partageoit sensiblement ses chagrins, ne luy eust promis une constance à l’épreuve de toutes sortes d’attaques. Elle tâcha pendant quelque-temps par ses complaisances d’adoucir l’esprit aigry de son Pere, & voyant qu’il s’obstinoit à luy proposer toujours quelque autre party, elle crut ne pouvoir rien faire de mieux, pour se tirer de l’embarras du refus, que de s’enfermer dans un Convent. Il fut fort surpris d’apprendre qu’elle s’y estoit retirée, & alla luy demander aussi-tost ce qui avoit pû l’obliger d’en user ainsi. La Belle luy répondit que puis qu’elle estoit assez malheureuse pour ne pouvoir plus conserver sans luy déplaire l’engagement que le merite & la maniere d’aimer du Cavalier luy avoient fait prendre, elle se vouloit détacher du monde ; qu’il estoit vray qu’elle ne se sentoit point encore une vocation assez forte pour songer si tost à changer d’habit, mais que si les exemples de ferveur & de pieté qu’elle auroit devant les yeux à toute heure, ne luy en pouvoient inspirer l’envie, elle estoit du moins fort resoluë de passer ses jours dans cette retraite, où elle vivroit tranquillement, & sans aucun trouble de cœur ny d’esprit. Elle dit cela d’un ton si ferme, que comme elle tint le mesme langage pendant plus d’un mois, le Pere craignit qu’elle ne se fist Religieuse. L’extréme tendresse qu’il avoit pour elle ne pouvoit s’accommoder de cet estat, quelque parfait qu’il pust estre, & n’ayant aucun sujet raisonnable de ne pas vouloir le Cavalier pour son Gendre, il aima mieux renonçer à l’empire paternel qu’à la satisfaction de pouvoir enfin marier sa Fille. Vous jugez bien qu’aprés qu’il luy eut promis le consentement qu’il luy avoit toujours refusé, il n’eut pas de peine à la tirer du Convent. Le mariage se fit peu de jours aprés, & on peut dire qu’il n’y en a point de plus heureux, puisque rien n’approche de l’union qui s’y trouve.

[Opera nouveau] §

Mercure Galant, novembre 1690, p. 252-255.

Toute l'Europe liguée contre le Roy depuis deux ans, n'empesche point que tout ne marche en France d'un pas égal. Les seuls Etats de nos Ennemis se ressentent de la guerre, & la magnificence qui est ordinaire aux Opera, semble avoir augmenté cette année, dans celuy d'Enée & Lavinie, qui vient de paroistre. En effet on ne peut rien voir de plus somptueux que les habits & les decorations, le tout du dessein de Mr Berrin. La Musique est de Mr Colasse, dont je vous ay parlé plusieurs fois. Il a déja fait trois Opera depuis la mort de Mr de Lully, & la beauté de la Musique de ce dernier se fait tellement sentir, que l'on se récrie à haute voix dés le Prologue, ce qui n'arrive ordinairement qu'aux endroits de passion qui entrainent l'Auditeur. Les paroles sont de Mr de Fontenelle, & le titre de cet Opera vous fait connoistre qu'il a tiré son sujet de ce que Virgile rapporte du differend d'Enée & de Turnus, qui aspiroient l'un & l'autre à épouser Lavinie. On ne peut douter qu'un Ouvrage de sa façon ne soit plein d'esprit, aprés l'applaudissement general qu'ont receu tous les Livres qu'il a donnez au Public. Il est cependant bien malaisé de contenter tous les gousts dans les choses de cette nature, qui estant composées de differentes parties, ne plaisent qu'autant que chaque goust particulier est satisfait.

[Prologue] §

Mercure Galant, novembre 1690, p. 255-258.

Cet Article de l'Opera m'engage à vous envoyer des paroles que Mr Tonti a faites pour un Concert, & qui ont esté extremement applaudies. Vous sçavez qu'il a beaucoup de talent pour ces sortes d'Ouvrages. La maniere vous en plaira, puis qu'elle regarde le Roy. C'est une maniere de Prologue, où il fait parler Mars, la France & la Renommée.

MARS.

Lors que dans mon couroux je commande à la Parque
De ravager tout l'Univers,
A l'abry des Lauriers d'un Auguste Monarque,
Les Bergers de ces lieux font mille doux concerts.

LA FRANCE.

La gloire de Loüis remplit toute la Terre,
Le cours de son bonheur ne finira jamais,
Il fait goûter icy les douceurs de la Paix,
Lors que tout se ressent des fureurs de la guerre.

LA RENOMMÉE.

D'un grand Prince trahy, privé de ses Etats,
 Il va rétablir la Couronne ;
Il remplit le devoir de tous les Potentats
Par les puissans secours que sans cesse il luy donne.

MARS.

Déja de ce Heros les fameux Combattans
Sur ses fiers Ennemis remportent la victoire,
Et la Sambre & le Pô font retentir la gloire
  De ses faits éclatans.

LA RENOMMÉE.

On voit à sa valeur obeir la fortune,
Contre ses grands projets les vents s'arment en vain :
Il soumet à ses loix l'Empire de Neptune,
Il en est aujourd'huy l'unique Souverain.

LA FRANCE.

Mon illustre Dauphin par ses vastes conquestes
 Va remplir les vœux des François.
Bergers, preparez-luy mille nouvelles Festes,
Meslez des sons guerriers au doux chant de vos voix.

MARS, LA FRANCE ET LA RENOMMÉE.

Bergers, preparez-luy mille nouvelles Festes,
Meslez des sons guerriers au doux chant de vos voix.

[Vers sur la Tontine] §

Mercure galant, novembre 1690 [tome 12], p. 259-261.

Voicy d’autres Vers du mesme Mr Tonti, dont un de ses Ancestres a esté le premier, qui ait proposé l’établissement de la Tontine.

SUR LA TONTINE.

Toy, qui de mes Ayeux tires ton origine,
Aux desseins d’un grand Roy tu vas servir, Tontine.
Va, seconde aujourd’huy la juste intention
Des fidelles Auteurs de ton invention.
 La Jeunesse bouïllante,
 Et la Vieillesse lente
Desirent de te voir dans ta perfection.
Les biens que tu promets à tout Sexe, à tout âge,
 Vont remplir tous les vœux,
Le Riche, l’Indigent, l’Ignorant & le Sage,
Pourront également esperer l’avantage
 De jouir d’un destin heureux.
Loüis fera par toy renaistre dans la France
  Les siecles fortunez,
 Où l’on goûtoit dans l’innocence,
 Et les plaisirs & l’abondance,
Qu’à nos premiers Parens le Ciel avoit donnez.
 L’esperance sera commune
 Dans tous les biens de la fortune ;
 Et par un miracle certain,
On ne sentira plus la misere importune,
 Qui maltraite le genre humain.
Toy qui de mes Ayeux tires ton origine,
A tous ces grands desseins tu vas servir, Tontine.

Air nouveau §

Mercure galant, novembre 1690 [tome 12], p. 284-285.

Les paroles que vous allez lire, & que je vous envoye notées, ont esté mises en Air par Mr de Montailly, Eleve de feu Mr le Camus. Mr de Bacilly, qui connoissoit parfaitement son genie, estimoit fort ses Ouvrages.

AIR NOUVEAU.

Avis pour placer les Figures : l’Air qui commence par, Echo, qui dans ces bois, &c., doit regarder la page 285.
Echo, qui dans ces lieux redis à tout moment
Les sermens que me fait Climene,
De ne briser jamais sa chaine,
Cesse de me flater d'un bonheur si charmant.
Je sçay trop que cette Infidelle
Aime un autre Berger que moy.
Helas ! que t'ay-je fait pour vouloir avec elle
Tromper mon amour & ma foy.
images/1690-11_284.JPG

[Prix proposez par l’Academie Françoise] §

Mercure galant, novembre 1690 [tome 12], p. 300-303.

L’Academie Françoise a fait publier que le 25. d’Aoust de l’année prochaine, jour de S. Loüis, elle donnera le prix d’Eloquence fondé par feu Mr de Balzac, à celuy qui aura fait le meilleur Discours sur le zele de la Religion, suivant ces paroles, Zelus domus tuæ comedit me. Ce Discours ne doit estre tout au plus que d’une demy-heure de lecture. Elle donnera le mesme jour le prix de Poësie à celuy qui aura le mieux réussi à faire voir, Que le Roy seul en toute l’Europe défend & protege le droit des Rois, à quoy on pourra joindre tel autre sujet de loüange pour Sa Majesté qu’on voudra choisir. Les Ouvrages de Poësie ne doivent point exceder cent vers, & doivent finir par une courte priere à Dieu pour le Roy. On peut traiter ce sujet ou en vers croisez, comme ceux des Odes & des Stances, ou en Vers Alexandrins. Ceux qui pretendront aux prix, envoyeront leurs pieces à Mr l’Abbé Regnier Desmarests, Secretaire perpetuel de l’Academie, ou au sieur Coignard Libraire de la mesme Academie, ruë Saint Jacques, à la Bible d’or, avant le premier jour de May, parce qu’on ne les recevra qu’inclusivement jusqu’au dernier jour d’Avril.