1691

Mercure galant, juillet 1691 [tome 7].

2017
Source : Mercure galant, juillet 1691 [tome 7].
Ont participé à cette édition électronique : Nathalie Berton-Blivet (Responsable éditorial), Anne Piéjus (Responsable éditorial), Frédéric Glorieux (Informatique éditoriale) et Vincent Jolivet (Informatique éditoriale).

Mercure galant, juillet 1691 [tome 7]. §

Sur les Triomphes du Roy §

Mercure galant, juillet 1691 [tome 7], p. 7-18.

 

Je ne chercheray point, Madame, à vous prévenir en faveur des Vers que vous allez lire, en vous disant qu’ils ont eu icy une approbation generale. La matiere en est grande, puis qu’ils ont esté faits sur les merveilleuses actions du Roy. Pour peu qu’on ait de talent pour la Poësie, il est impossible de ne se pas élever, quand on parle de ce qui fait depuis si longtemps l’admiration de toute l’Europe.

SUR LES TRIOMPHES
du Roy.

Lors que de toutes parts la France par ses armes,
Jette nos Ennemis en de justes allarmes,
Oseray-je mêler les accens de ma voix,
Au bruit que fait LOUIS par tant de grands exploits ?
Pourquoy garder toûjours un silence timide,
Tandis que la Victoire en sa course rapide,
Semble au Champ de l’honneur conduire nos Soldats,
Et décider pour nous du destin des Combats ?
Mais par où commencer ? La matiere est immense,
Ma veine en son ardeur se glace quand j’y pense.
LOUIS, ce défenseur du Trône & de ses droits.
LOUIS, seul contre tous le Protecteur des Rois ;
Noms que la Ligue craint, dont l’Europe est surprise,
Que Nice rend fameux, & que Mons éternise ;
Heureux Titres qui font le sujet de ces Vers,
Et dont la Renommée entretient l’Univers.
Cet illustre Heros, tout brillant d’une gloire
Qui ne voit jusqu’icy rien d’égal dans l’Histoire,
Ayant donné la paix & choisi le moment,
Du beau feu de son zele éternel monument,
Supprime enfin l’Edit à la foy si funeste,
Qui de l’Hydre mourante entretenoit le reste.
Tandis qu’il en reçoit des honneurs immortels,
Que cent Temples détruits luy valent des Autels,
De cette Hydre aux abois ce reste plein de rage
De l’Edit supprimé cherche à vanger l’outrage.
Le Demon de l’Erreur de nos bords exilé,
Pour cet affreux dessein à Londres appellé,
D’un soufle empoisonneur infecte la Tamise,
Arme de tous costez Eglise contre Eglise,
Et frappant de ses traits des peuples inconstans,
En fait contre leur Roy de cruels Combattans.
De ces lieux revoltez, de ces riches Provinces
Infidelles à Dieu, rebelles à leurs Princes
Il vole sur les bords du Valh, de ces Marais
Qui devoient à la France & leur gloire & leur paix,
Gagne ce Peuple altier qui depuis peu d’années
Fait l’arbitre insolent des testes couronnées,
Les Electeurs puissans, le Nort, Madrid, Turin,
Et les fiers Potentats du Danube & du Rhin.
Cependant l’Angleterre en Rebelles feconde,
Foulant aux pieds les droits les plus sacrez du monde,
Abandonne son Roy par un crime odieux,
Et place sur son Trône un Prince ambitieux.
Terrible évenement dont l’injuste Alliance
Par sa honte & son sang rendra compte à la France,
Monstrueuse action, dont le seul souvenir
Fera pâlir d’horreur les siecles à venir !
Grand Roy, dont les vertus passent la Renommée,
Dont la gloire est par tout heureusement semée,
Du Monarque trahi les droits sacrifiez
Sont par la Providence en tes mains confiez.
Malgré les vains efforts de la fiere Alliance,
Ton grand cœur les soûtient par ta seule puissance,
Et ton Astre attachant la Victoire à tes loix,
Tu forces au Printemps trois Villes en un mois.
De ce Roy malheureux la grandeur chancelante
Epreuve tous les jours ta bonté triomphante.
Toy seul en sa faveur contre tous déclaré,
Luy fais de ton Royaume un azile assuré.
Son droit parle, il suffit, ce sont-là tes Oracles.
La Ligue n’a pour toy que de foibles obstacles.
Tu fais tout pour ce Prince, & sembles aujourd’huy
Moins triompher pour toy, que triompher pour luy.
A vaincre son malheur ta grande ame occupée
Luy fait presque oublier sa Couronne usurpée,
Et lors que ton courage allarmant tes Rivaux,
Va chercher devant Mons des Triomphes nouveaux,
Grand Roy, tu penses moins à conquerir la Frandre,
Qu’à soumettre à ce Prince un Infidelle Gendre,
Tant de soins genereux meritent les Tributs
Que rend le Monde entier à tes rares vertus.
Du Prince détrôné rétably la fortune,
Vange de tous les Rois la querelle commune,
Pour retenir un Prince ou le déposseder,
Un Peuple audacieux n’en doit pas décider.
Il n’importe qu’il l’aime, ou bien qu’il le haïsse ;
Il doit son Trône au sang, & non pas au caprice ;
C’est trahir lâchement la majesté des Rois
De souffrir des Sujets arbitres de leurs droits ;
Tant de Combats gagnez, tant de grandes Conquestes,
Des moissons de Lauriers pour ton front toûjours prestes,
Toy seul faire trembler tant d’Etats à la fois,
Reduire le Piemont & la Flandre aux abois,
Battre tes Ennemis, & confondre l’intrigue
De leur ambitieuse & temeraire Ligue,
Les grands faits des Heros par les tiens effacez,
Cet éclat pour LOUIS ne brille pas assez.
Mais rétablir un Roy ; la gloire en est si pure
Qu’elle vaut de l’Europe une Conqueste sure.
Fais donc regner ce Prince, & triompher sa foy.
Cet honneur immortel ne regarde que toy.
Le Monde en ta faveur prodiguant son suffrage,
Attend de ton bras seul un si penible ouvrage,
Pour joindre aux noms de Grand & de Victorieux,
De Protecteur des Rois le titre glorieux.

Mr Blanchard, Curé de Fissey, qui est l’Auteur de ces Vers, ne pouvoit parler plus dignement de l’avantage que tire l’Eglise de la suppression de l’Edit de Nantes. Comme le zele que Sa Majesté a fait paroistre par là, a suscité contre luy tous les efforts de la Ligue, Dieu a montré par le visible secours qu’il luy a donné dans toutes ses entreprises, qu’il se plaisoit à soûtenir un Monarque qui a pris ses interests avec tant d’ardeur, & il y a tout lieu d’esperer qu’il luy continuera sa protection toute-puissante.

Air nouveau §

Mercure galant, juillet 1691 [tome 7], p. 104-105.

Les paroles que vous allez lire de l'Air nouveau que je vous envoye ont esté mises en chant par Mr Hurel, qui non seulement est un excellent Maistre de Thuorbe, mais aussi qui montre parfaitement bien à chanter.

AIR NOUVEAU.

Avis pour placer les Figures : l’Air qui commence par, Vous me faites chanter tant que dure le jour, doit regarder la page 105.
Vous me faites chanter tant que dure le jour,
Et vous me deffendez de vous parler d'amour.
Ah, je ne voy que trop vostre funeste envie.
C'est peu que je perde la voix
Si je ne pers aussi la vie.
Hé bien, vous m'entendez pour la derniere fois.
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Idille. Pour servir de Bouquet §

Mercure galant, juillet 1691 [tome 7], p. 105-110.

 

Voicy d’autres plaintes d’un Amant à une belle Inhumaine. C’est Mr de Messange qui le fait parler.

IDILLE.
Pour servir de Bouquet.

Que me servent ces fleurs de toutes parts écloses ?
Que me sert-il, Amour, que ton Myrthe & tes Roses
Forment le riche émail de ce brillant Jardin,
Si l’ingrate Beauté qui cause mes alarmes,
Me bannissant des lieux qu’embellissent ses charmes,
Ne peut pas recevoir un Bouquet de ma main ?
***
 Par l’éclat de vostre feüillage,
Vives Fleurs, vous tracez à mes yeux une image
Des appas éclatans qui charmerent mon cœur.
Que n’allez-vous mourir sur le sein de ma Belle,
 Et peindre par vostre langueur
 Un malheureux qui meurt pour elle ?
***
 De la Grace & de la Beauté
Cette Nymphe sur vous a l’heureux avantage ;
Mais vous avez sur elle une autre qualité,
 Qui n’est pas un moindre partage.
***
 On ne sçauroit, sans vous mettre en danger,
 Vous arracher de ce Bocage ;
Ma cruelle Maistresse est ingrate & volage,
 Et fait son plaisir de changer.
***
 Vous estes tendres ; elle est dure,
 Et cette charmante douceur,
Qu’en son air enchanté répandit la Nature,
N’a point encore pû passer jusqu’à son cœur,
Pour le rendre sensible aux tourmens que j’endure.
***
 Enfin l’on peut vous approcher,
Vous prendre, & par des nœuds l’on peut vous attacher,
 Sans craindre vostre resistance.
Celle qui fait les maux où l’on me voit reduit,
Est une aimable Fleur, mais une Fleur qui fuit,
Et qui sçait en tous lieux éviter ma presence.
***
 Helas ! que me sert-il, dans le plus beau de l’an,
D’enlever les Présens de Flore à cette Plaine ?
 Ils flétriront, loin de mon Inhumaine ;
Et quoy qu’ils soient cueillis la veille de saint Jean,
Ils seront sans vertu pour soulager ma peine.
***
 Du moins, mon respect, mon ardeur,
 Mes tendres soins & ma constance,
Joignez-vous à la foi ;, pour fléchir la rigueur,
 Qui cause ma souffrance.
Peut-estre ferons nous, par la perseverance,
Que la pitié s’en mesle, & parle en ma faveur.
***
 Et vous, amoureuses Haleines,
 Tendres & paisibles Zephirs,
Qui soûpirez sans cesse au bord de ces Fontaines,
Et sans cesse entendez le bruit de mes soûpirs ;
Si vous pouvez trouver ma volage merveille,
Portez mes tristes cris jusques à son oreille,
Et faites-luy sçavoir, que lors qu’en ces beaux lieux
 Où brille l’éclat de ses yeux,
Par les Jeux & les Ris sa Feste est celebrée,
 Moy, dans cette triste Contrée,
 Loin d’elle, accablé de douleurs,
 Je la celebre dans les pleurs.

[Devises] §

Mercure galant, juillet 1691 [tome 7], p. 137-142.

 

Voicy des Devises qui ont esté faites sur les Princes de la Ligue, par Mr de Lorme. Avocat au Parlement de Grenoble. Les deux premieres regardent le Roy. L’une est un Soleil qui efface tous les autres Astres, avec ces mots Latins, Delet hic unicus omnes, ou ces mots Espagnols, Todos borra el solo.

 Auprés de son éclat, le vostre n’est qu’une ombre.
Pour briller davantage en vain vous joignez-vous ;
Quoy que vous soyez si grand nombre,
 Luy seul vous défait tous.

L’autre a aussi pour Corps le Soleil, dont la lumiere ébloüit des Oiseaux de nuit & les met en desordre, avec cet Hemistiche pour ame, Non nocet, at lucet.

N’imputez ce desordre extrême
Qu’à vostre défaut seulement,
Puisque c’est la lumiere même
Qui cause vostre aveuglement.

POUR L’EMPEREUR.

Un faux Aiglon qui tourne la teste, ses yeux ne pouvant souffrir l’éclat des rayons du Soleil, & cet autre Hemistiche, Se probat indignum.

  L’éclat dont vous estes choqué,
 Est ce qui vous fait reconnoistre
 Si vous en estes offusqué,
C’est que vous n’estes pas ce que vous devez estre.

Pour LE ROY D’ESPAGNE.

Un Lion en peinture, avec ces mots Italiens, Se fosse vero.

 Ce n’est qu’une insensible image,
 Qu’une autre main offre à nos yeux ;
Mais quand il en auroit la force & le courage,
Il faudroit qu’il cedât au Cocq victorieux.

Pour LES HOLLANDOIS.

Des nuages devant le Soleil qui les perce de ses rayons, & les fait tomber en pluye dans un Marais, & ces paroles pour ame, S’ho vi elevati, abbassaro.

 Vous que j’ay tirez de la fange,
Tenebreux avortons de ma vive clarté,
Vous venez à present par un indigne échange,
  M’opposer vostre obscurité ;
Mais ne pouvant souffrir aucun impur mélange,
Je vous mettray plus bas que vous n’avez esté.

POUR LE PRINCE
d’Orange.

Un Oranger, avec ces mots aussi Italiens, Grato di fuori, dentro amaro.

Son apparence est decevable,
Et peut tromper les imprudens.
Le dehors en est agreable,
Mais l’amertume est au dedans.

POUR LE MESME.

Le jus exprimé d’une Orange, & ces autres mots en la mesme Langue, Senza altro non piace.

Ce n’est pas sa propre excellence
Qui luy donne tant de renom ;
Mais c’est de sa seule alliance,
Que dépend ce qu’il a de bon.

POUR LE DUC
de Savoye.

Phaëton qui tombe dans le Pô, avec ces mots d’Ovide, Magnis excidit ausis.

 Pour avoir rejetté le sage avis d’un Pere,
Et voulu follement prendre un essor nouveau,
  Ce jeune Temeraire
Par sa chûte funeste a fait rougir le Pau.

[Promenade de Leurs Altesses Royales à Arcueil] §

Mercure galant, juillet 1691 [tome 7], p. 170-180.

 

Il ne se fait rien de mediocre en France, & sur tout lors qu’il s’agit d’avoir l’honneur de recevoir chez soy quelque Prince de la Maison Royale. Les Particuliers ont tant de zele en ces sortes d’occasions, qu’ils font des dépenses beaucoup au dessus de ce que le poste où ils sont ne semble permettre, mais ce qui est blâmé en d’autres rencontres est toûjours approuvé dans celles là. Au commencement du mois passé, Monsieur alla à Arcüeil chez Mr Gendron, Argentier de la grande Ecurie du Roy, accompagné de Madame, & de Mademoiselle, que suivoit toute leur Cour. Les Habitans du Village prirent soin d’applanir les chemins depuis Mont-rouge jusqu’à ce lieu-là, & ceux de Mont-rouge prirent le mesme soin pour les chemins qui sont au delà. A son arrivée les Cloches se firent entendre. Tous les Habitans estoient en hayes dans les avenuës d’Arcüeil & dans les ruës du Village jusqu’à la Maison de Mr Gendron, qui en recevant ce Prince, luy dit, que l’honneur que S. A. R. luy faisoit, passoit son état, son esperance, & ses souhaits. Monsieur, & toute sa Compagnie se promenerent longtemps dans le Jardin, & S. A. R. le loüant tres-obligeamment des soins qu’il avoit pris à l’embellir, luy dit qu’il falloit qu’il eust precipité l’épanoüissement des fleurs qui se trouvoient embellies des plus vives couleurs que la nature soit capable de donner. Il y avoit une Feüillée dans la Court à l’endroit d’une Fontaine qui forme une nappe d’eau. Elle estoit ornée de festons de Fleurs, & faisoit un effet tres-agreable. Monsieur prit plaisir à voir cette petite propreté, & toute sa Cour en fit de mesme. Aprés qu’ils se furent promenez dans tous les endroits du Logis, & qu’ils en eurent visité les Appartemens, ils passerent dans une Maison voisine que Mr Gendron avoit destinée pour y faire servir la Collation. C’est dans cette Maison que l’Aqueduc qui conduit les eaux à Paris, prend son commencement. Il y a dans ce Logis un grand Salon, au sortir duquel on entre dans un long berceau couvert d’un feüillage fort épais, où regne une tres-grande fraischeur dans la plus grande ardeur du Soleil. Ce Salon estoit tapissé d’une fort belle tenture de Tapisserie, meslée de verdure en quelques endroits. La Tapisserie representoit l’avanture de Psiché, & la lumiere qui remplissoit plusieurs Lustres, & quantité de plaques, tendoit ce lieu tout brillant. Monsieur s’attacha fort à regarder la maniere dont on avoit orné ce Salon, & se promena dans le Berceau. Ensuite il monta avec Madame dans les Jardins où l’Aqueduc prend son commencement, & on leur ouvrit le regard par où l’on y entre. Ils admirerent la quantité d’eau qu’il y avoit, la rapidité de sa course, & la conduite que l’Aqueduc fait pour le passage de cette eau d’un bout du Village à l’autre. Ils se promenerent ensuite dans les Jardins de cette Maison qui sont grands & spacieux, & revinrent dans le Salon qu’ils trouverent tres éclairé. La Table y estoit servie d’un ambigu. Elle estoit fort longue, & large à proportion, & il y avoit un Service particulier pour Monsieur. Ce Prince ordonna qu’on mist des couverts, ce qui fut executé. Il y eut trois Services devant luy. Le reste de la grande table demeura sans autre service, que l’ambigu que l’on y trouva d’abord. Mr Gendron eut l’honneur de servir Monsieur. Me Gendron sa femme, eut celuy de servir Madame, & Mlle Planson qui est une jeune personne bien-faite, fut choisie pour avoir l’honneur de servir Mademoiselle. Madame dit plusieurs fois à Me Gendron de se mettre à table, dont elle se défendit tres-respectueusement. Mr Gendron presenta à Monsieur la serviette moüillée, Me Gendron presenta celle de Madame à Me d’Armagnac, de qui cette Princesse la receut, & Mademoiselle Planson presenta celle de Mademoiselle. Aprés que Monsieur, Madame & Mademoiselle eurent pris leurs places, & que les couverts eurent esté mis, les Dames de la suite de Monsieur se mirent à table, & l’on entendit un fort beau concert de Violons. Ce Repas eut tous les agrémens possibles. La Noblesse du Village, les Bourgeois & Habitans eurent l’honneur de voir manger Monsieur, ce Prince ayant eu la bonté de le permettre, & tout se passa avec beaucoup d’ordre. Le repas finy, Monsieur étant prest à se lever, il parut au bout du Berceau un Soleil, tournant fort rapidement, & jettant du feu en abondance, aprés quoy il s’éleva une gerbe de feu de quinze pieds de haut, & grosse à proportion, qui dura un demy-quart d’heure. Au sortir de là Monsieur en s’en retournant s’arresta sur le perron du Salon, & s’approcha de l’appuy des Balustres qui répondent sur la cour, & sur une grande place du Village. Il partit dans ce moment un tourbillon de feu qui alla joindre un gros de fusées volantes qui mirent l’air tout en feu. Monsieur, Madame, Mademoiselle & toute leur Cour, aprés avoir fait mille honnestetez à Mr & à Madame Gendron, partirent à la clarté des flambeaux.

[Nouvelle Médaille]* §

Mercure galant, juillet 1691 [tome 7], p. 181-183.

 

Je vous envoye une Médaille que l’on a frapée nouvellement sur la Conqueste de Mons. Le Roy est en buste à la face droite, avec ces paroles, Ludovicus Magnus, Gallorum Rex, Pius, Felix, Augustus, Pater Patriæ. Dans le revers, une Femme ayant la teste courbée presente des clefs à ce Monarque. C’est la Ville de Mons qui paroist dans le lointain avec le plan du Siege. La Victoire qui n’abandonne point le Roy, est en l’air au dessus de Sa Majesté avec ces mots,

Gigantæos sic fulminat ausus. On lit dans l’Exergue, Montibus eversis nono Aprilis 1691. Les Anciens, par la Fable des Geans qui se hazarderent à escalader le Ciel, ont voulu nous faire entendre que les Témeraires & les Impies ne réussissent jamais dans leurs entreprises. Ainsi rien ne peut estre plus juste que la legende de cette Médaille, puis que tandis que les Alliez font à la Haye la conqueste de la France en idée, le Roy, qui de tous les Souverains de l’Europe Chrestienne est seul le Défenseur de la Religion & de l’interest du Ciel, prend la Ville de Mons, nommée en Latin Montes, & par sa prise foudroye ces nouveaux Titans, dont il ensevelit les audacieux projets sous les ruines de leurs Montagnes renversées.

[Histoire] §

Mercure galant, juillet 1691 [tome 7], p. 201-237.

 

Tout est extraordinaire dans l’amour. Un Comte d’une qualité fort distinguée, & riche de plus de quarante mille livres de rente, s’estant trouvé un jour chez une Dame qu’il voyoit de temps en temps, parce qu’elle avoit une Terre voisine de l’une des siennes, y vit une jeune Demoiselle de seize ans, qui luy parut toute aimable. L’agrément de sa personne estoit soutenuë par un feu d’esprit qui la faisoit admirer dans tout ce qu’elle disoit, & comme aprés qu’elle fut sortie, il témoigna à la Dame qu’elle estoit fort à son gré, elle luy dit en riant, que s’il avoit dessein de se marier, il ne pouvoit mieux choisir ; que sa Mere, de qui seule elle dépendoit, estoit fort de ses Amies, & que s’il vouloit qu’elle luy allast porter quelque parole pour luy, elle luy offroit ses soins, & qu’il n’avoit point de temps à perdre, puis que la beauté de cette jolie personne, & cent mille francs de bien qu’elle avoit, luy avoient déja attiré plusieurs déclarations qui la tenoient en balance. Le Comte, aprés avoir fait quelques questions sur son humeur & sur sa Famille, pria la Dame de vouloir bien le mener chez elle. Ils y allerent dés le lendemain. La visite fut fort longue, & l’entretien qu’il eut avec elle, le persuada si bien de tout son merite, qu’en estant sorty charmé, il résolut de s’assurer par le mariage la possession d’un bien si digne de ses desirs. Cinq ou six autres visites qu’il rendit l’y déterminerent tout à fait, & sa naissance & son bien estant tres-considerables, il est aisé de juger que la proposition eut dequoy flater la vanité de la Mere & de la Fille. Il n’estoit plus question que de dresser les articles du Contrat, & comme la Dame vouloit du bien à la Belle, elle sceut si bien ménager l’esprit du Comte, en luy faisant voir qu’il ne pouvoit faire trop pour une jeune personne qui le préferoit, quoy qu’il eust déja plus de quarante ans, à des Amans fort bien faits, & d’un âge plus sortable, qu’elle obtint de luy tous les avantages qu’on luy demanda. Il ne s’attacha qu’à une condition, qui fut que le mariage se feroit deux jours aprés. La Belle eut peine à y consentir Quoy que le rang de Comtesse luy plust fort, elle eust bien voulu avoir le temps de connoistre à fond le Mary qu’on luy donnoit, & d’ailleurs, comme elle aimoit naturellement l’éclat, elle eust esté bien-aise de ne se point marier avant qu’on eust donné ordre à son équipage, & à tout ce que l’on a coutume de faire dans ces sortes de rencontres ; mais il se montra si obstiné là-dessus, que dans la crainte qu’on eut de le perdre, on imputa à l’excés de son amour un empressement qui n’estoit l’effet que de sa seule avarice. Ce n’est pas qu’il ne se sentist fort amoureux de la Belle, mais il n’auroit pas laissé d’avoir la complaisance de luy accorder le temps qu’il auroit fallu pour faire les préparatifs du mariage, s’il n’eust eu dessein de s’en exempter. En effet, il ne l’eut pas si-tost épousée qu’il la mena à une de ses Terres, sous prétexte de luy vouloir faire voir quantité de Meubles qu’il y avoit, afin qu’elle choisist ceux dont elle croiroit pouvoir se servir, avant que de commencer à rien acheter. La Mere l’accompagna dans ce voyage, & elles trouverent la maison du Comte assez bien meublée, mais rien n’estoit à la mode. C’estoient meubles de succession, qui tout au plus pouvoient se souffrir à la campagne, & qui luy devinrent propres, puis qu’elle s’apperceut en peu de temps qu’elle y estoit releguée. Ce fut alors qu’elle reconnut sa faute. Elle avoit épousé un homme fort riche & de grande qualité, mais c’estoient des avantages qu’il luy rendoit inutiles par son humeur épargnante, qui le portoit à ne voir personne, & à faire son plaisir du soin d’amasser toujours. Il avoit fort peu de Domestiques, & l’argent comptant dont il repaissoit ses yeux, faisoit sa passion dominante. La Belle qui s’attacha d’abord à l’étudier, vit bien qu’elle alloit mener une vie fort malheureuse, & toute opposée à son panchant qui estoit pour la dépense. Cependant comme elle avoit de l’esprit, & que le temps luy fit remarquer que le mariage n’avoit rien diminué de l’amour du Comte, elle ne chercha qu’à l’entretenir, & s’accommodant à son humeur, elle feignit d’approuver toutes les épargnes qu’il faisoit. Son visage déguisé faisoit paroistre une personne contente, & au lieu de luy parler d’aller à Paris, à quoy elle avoit connu qu’il avoit beaucoup d’aversion, elle l’assuroit qu’elle estoit enfin persuadée qu’aucun plaisir n’égaloit le repos de la Campagne. Elle se rendoit par là maistresse de son esprit, & ne doutoit point qu’insensiblement elle ne le fist changer de conduite. En effet, il commençoit déja à voir plus de monde qu’il n’avoit accoutumé, & la Dame qui s’estoit mêlée de son mariage, avoit liberté entiere de venir passer la belle saison avec la jeune Comtesse. C’estoit avec elle qu’elle soulageoit tous ses chagrins, en luy parlant sans contrainte, & luy faisant voir l’envie qu’elle avoit de sortir de sa retraite. Elle s’en vit délivrée plûtost qu’elle n’avoit creu, & par un moyen qu’elle ne prévoyoit pas. Il n’y avoit encore que trois ans qu’ils estoient ensemble, lors qu’une fiévre fâcheuse le mit à l’extremité. La Dame, leur commune Amie, estoit arrivée au commencement de sa maladie, & elle seconda fort la jeune Comtesse dans les soins qu’elle eut de luy. Ils furent pourtant fort inutiles, puis qu’on ne le put sauver ; mais les remontrances de la Dame ne le furent pas. Elle fit si bien valoir tout ce que sa Femme avoit fait pour luy, que comme il l’aimoit veritablement, & qu’il n’avoit point d’enfans, il luy donna sa cassette, où il se trouva deux cens mille francs, & quantité de bijoux. Cela joint aux avantages qu’il luy avoit faits par son Contrat, rendoit sa fortune assez éclatante. Aprés qu’elle eut satisfait aux premiers devoirs de Veuve, elle jura bien à son Amie que s’il luy arrivoit jamais de penser à un second mariage, elle connoistroit parfaitement celuy qu’elle épouseroit, & qu’elle en croiroit son cœur préferablement à tous autres interests. La Dame estant obligée de retourner à Paris, elle la pria de vouloir bien luy choisir une maison, & de luy trouver un homme d’esprit qui prist soin de ses affaires, & pust luy servir d’Ecuyer en mesme temps. Tout fut executé selon ses desirs, & si le veuvage trop récent ne luy permit pas d’abord de se meubler aussi somptueusement qu’elle auroit voulu, la propreté de son train, & le nombre de gens qu’elle prit pour la servir, firent assez voir qu’elle n’épargneroit rien pour bien soutenir le rang où son Mary la laissoit. Elle fut sur tout fort satisfaite de son Intendant ou Ecuyer, qui n’étoit que trop bien fait, & mesme un peu trop jeune pour elle. Elle s’en expliqua en riant avec la Dame qui l’avoit choisy, & luy dit qu’elle craignoit qu’il ne l’exposast à la médisance ; mais la Dame l’assura si fortement qu’elle auroit tout lieu de se loüer des services qu’il chercheroit à luy rendre, qu’elle le receut sur sa parole, sans rien examiner davantage. Outre le zele dont elle luy répondoit, & un tour d’esprit aisé qui faisoit connoistre qu’il estoit né quelque chose, il avoit une qualité fort agreable pour la jeune Veuve. Il joüoit fort bien du Lut, & comme elle n’en joüoit pas mal elle mesme, elle fut bien aise d’avoir auprés d’elle un homme qui pust luy donner quelques leçons. Elle en profita admirablement, & en six mois elle devint presque aussi sçavante que luy. Ce ne fut pas seulement par cette sorte de soins qu’il luy fit paroistre son attachement à tout ce qu’il remarquoit qui luy pouvoit faire un peu de plaisir. Il luy épargnoit jusqu’aux moindres embarras dans son domestique, & sa Maison se trouvoit si bien reglée, que tous ses desirs estoient prevenus. Elle en tiroit encore un autre avantage ; c’est qu’il estoit cause qu’elle ne pouvoit jamais s’ennuyer, puis qu’il avoit l’esprit assez agreable pour estre propre à l’entretenir quand elle n’avoit personne. Mais il attendoit toûjours qu’elle commençast à luy parler, & tout ce qu’il luy disoit estoit si plein de respect & de sagesse, que quelque bonté qu’elle luy marquast, il ne s’éloignoit jamais du caractere d’un Domestique zelé qui sçait ce qu’il doit à sa Maistresse. Cette conduite le mettoit fort dans ses bonnes graces, & en remerciant son Amie, de l’Ecuyer qu’elle luy avoit choisi, elle disoit quelquefois que ses bonnes qualitez le rendoient digne d’un poste plus élevé. Il y avoit déja plus d’un an qu’elle estoit veuve, & comme sa jeunesse & sa beauté avec un bien fort considerable, estoient des charmes qui ne pouvoient la laisser manquer d’Amans ; il luy fut aisé de voir par l’empressement des soins qu’on luy rendoit, qu’elle alloit estre exposée à des déclarations. Celuy qui avoit le plus de droit de pretendre à elle, estoit un homme d’une ancienne noblesse, & à qui un employ tres important faisoit faire dans le monde une fort belle figure. Sa Demoiselle luy disant un jour qu’il en paroissoit fort amoureux, elle demanda à son Ecuyer ce qu’il en croyoit, & s’il luy conseilloit de jetter les yeux sur luy. Il luy répondit fort respectueusement que c’estoit à elle à examiner son cœur, & que pourveu qu’elle se sentist touchée d’une forte estime, il ne voyoit rien ny dans son bien, ny dans sa naissance qui deust l’empêcher de le choisir. La jeune Comtesse repliqua qu’elle sçavoit bien ce qu’elle en pensoit, & qu’elle vouloit qu’il l’examinast luy-mesme à loisir pour en remarquer les vertus & les defauts. L’Ecuyer luy obeit, & quand quelque temps aprés elle luy demanda compte de l’examen dont elle l’avoit chargé, il luy dit, aprés avoir parlé avec avantage de ce prétendu Amant sur beaucoup de choses, qu’il le croyoit fort entier dans ses resolutions, & mesme capable d’en prendre de violentes, sujet à estre jaloux, emporté quand on combattoit ses sentimens, & un peu bizarre dans ses gousts. Tout cela avoit un rapport si juste avec ce qu’avoit pensé la jeune Comtesse, qu’elle répondit à son Ecuyer, que puis qu’il avoit le discernement si fin, elle vouloit choisir par ses yeux si jamais elle se trouvoit tentée de renoncer au Veuvage. Elle l’éprouva de la mesme sorte sur quelques autres Amans, & tout ce qu’il luy en dit luy fit connoistre sur ses propres sentimens le veritable interest qu’il prenoit en elle. Comme il fut aisé de remarquer qu’il pouvoit beaucoup sur son esprit, un de ceux qui la voyoient avec le plus d’assiduité, ayant reconnu le peu de succés que ses Rivaux avoient par eux-mêmes, crut que son secours estoit la plus seure voye pour réussir, & plein de cette esperance, il s’ouvrit à luy en luy offrant trois mille pistoles, s’il pouvoit rendre sa Maistresse favorable à son amour. L’Ecuyer avertit la jeune Veuve de la proposition qui luy estoit faite, & quoy qu’il luy avoüast que cette somme accommoderoit assez ses affaires, il la pria d’examiner cet Amant encore plus à la rigueur qu’elle n’avoit fait les autres, comme il feroit de sa part, pour luy rapporter sincerement tout ce qu’il en connoistroit. Il luy tint parole, & outre qu’il luy fit voir que l’offre des trois mille pistoles estoit un effet de son avarice pour acquerir une Femme riche, plûtost qu’une preuve de sa passion, puis qu’il avoit toûjours refusé les moindres occasions de faire quelque dépense, il luy fit appercevoir de si grands defauts, & dans son esprit & dans son humeur, que la seule idée d’un homme avare la revoltant aprés les chagrins qu’elle avoit eus dans son premier mariage, elle resolut de le bannir, & dit à son Ecuyer qu’elle estoit fachée de luy faire perdre trois mille pistoles, & qu’il falloit qu’il prist patience, puis qu’elle ne pouvoit se resoudre à se donner à un homme qu’elle voyoit bien qui ne pourroit faire son bonheur. Pendant qu’aucun Amant ne l’accommodoit, elle estoit surprise, qu’en quelque lieu qu’elle allast, lors qu’il s’agissoit de promenade, elle y étoit toûjours regalée de quelque espece de Feste, tantost simphonie, tantost concert d’instrumens meslez de voix, & tantost collation dans les lieux mesmes les plus solitaires, le tout d’une maniere galante, & avec beaucoup de propreté. Trois mois se passerent sans qu’elle pust découvrir l’Auteur de ces divertissemens, quoy qu’elle fist suivre ceux qui s’en mêloient. Ils se perdoient en se separant dans la campagne, ou en rentrant à Paris, & aucun d’eux ne voulut parler. Enfin un homme de qualité vint luy déclarer, que tout cela se faisoit par l’ordre d’un jeune Marquis, qui en estoit passionnement amoureux depuis deux ans, & qui avant que de se montrer, vouloit sçavoir si le portrait qu’on pourroit luy faire de luy avec les traits les plus ressemblans auroit dequoy ne luy pas déplaire. On luy en dit le nom, la naissance, & qu’il estoit de Bourgogne, & on la pria de s’en informer. Elle fit écrire en cette Province, & son Ecuyer écrivit de son costé. Les manieres de cet Amant inconnu l’avoient renduë curieuse de sçavoir qui il estoit, & elle apprit avec joye que pour l’esprit & le cœur il avoit fort peu d’égaux, qu’il estoit d’une Maison qui ne cedoit à nulle autre, soit pour l’ancienneté de la Noblesse, soit pour les emplois considerables qu’avoient possedez auprés de nos Rois ceux qui en estoient sortis, & qu’aucun éclat n’y manquoit encore, que l’abondance du bien. Les réponses que l’on fit à l’Ecuyer contenoient la mesme chose, & la jeune Veuve ayant voulu sçavoir sa pensée sur ce mariage proposé, en supposant que le Marquis eust tout le merite qu’on luy donnoit, il luy avoüa qu’avec tous ces avantages il ne le pouvoit croire digne d’elle, quand mesme il auroit un bien proportionné à sa fortune. La Dame surprise luy dit qu’elle voyoit bien qu’il la condamnoit à demeurer toûjours Veuve, & que ce seroit peut-estre le party qu’elle prendroit, mais qu’il falloit cependant suivre un procedé honneste avec le Marquis. La mesme personne qui luy en avoit déja parlé, vint luy demander ce qu’elle avoit resolu. Sa réponse fut que le mariage estoit une affaire assez importante, pour ne s’y pas embarquer legerement ; qu’aprés l’épreuve qu’elle en avoit faite, elle vouloit se donner le temps de bien connoistre avant que de s’engager, & que si son cœur se trouvoit d’accord de tout ce qu’on luy disoit du jeune Marquis, elle s’expliqueroit alors plus précisement. Peu de jours aprés son Amie la vint trouver, & luy dit que le Marquis s’estoit adressé à elle pour la prier, comme elle luy découvroit ses plus secrets sentimens, de choisir un lieu où il se rencontreroit comme par hazard, afin que feignant de ne pas sçavoir que ce fust luy, elle examinast s’il n’y avoit rien dans sa personne qui la pust choquer, & luy épargnast le déplaisir de paroistre devant elle en qualité d’Amant declaré, s’il avoit le malheur de luy déplaire. La jeune Comtesse eut de l’empressement à luy demander ce qu’elle en avoit trouvé elle-mesme, & aprés qu’elle luy eut répondu que pour la figure il l’avoit telle qu’elle luy avoit plusieurs fois entendu dire qu’elle l’auroit souhaitée dans un Amant ; & qu’à l’égard des manieres il luy paroissoit qu’il les avoit nobles, l’esprit doux, délicat, insinuant, & tout ce qu’on peut chercher dans un parfaitement honneste homme, il fut arresté qu’elle l’ameneroit le lendemain, sous pretexte de la venir prendre pour faire une promenade, & que quelque obstacle qu’elle apporteroit, romproit ce dessein pour les arrester chez elle. Ce projet estant formé, elle prépara son Ecuyer à un examen d’autant plus exact pour le Marquis, qu’on le peignoit presque sans aucun defaut. Il l’asseura qu’elle trouveroit toûjours en luy la mesme sincerité, & son Amie estant venuë seule le jour suivant, la jeune Comtesse luy en demanda la cause. Elle luy dit qu’elle avoit prevenu l’heure où le Marquis devoit se rendre chez elle, pour luy dire, avant que de l’amener, que cette entreveuë seroit inutile, si elle vouloit faire entrer le bien en compte, parce qu’en cela l’inegalité étoit fort grande. La Comtesse répondit qu’elle devoit la connoistre assez pour estre asseurée qu’ayant autant de fortune qu’elle en avoit, ce ne seroit jamais l’interest qui l’empescheroit de rendre justice à un honneste homme, & que mesme elle vouloit bien luy avouër, que sans en pouvoir dire la raison, elle se sentoit pour le Marquis, quoy qu’inconnu, de plus favorables dispositions qu’elle n’en avoit encore eu pour aucun autre. Elle n’eut pas plûtost fait cette réponse, que son Ecuyer qui estoit present, s’étant jetté à ses pieds, luy demanda si elle voudroit reconnoistre en sa personne cet heureux Marquis à qui l’esperance paroissoit estre permise. La jeune Comtesse tomba dans une surprise qui ne se peut exprimer. Elle rappella en un moment tout ce que l’amour luy avoit fait faire depuis deux ans pour se mettre bien dans son esprit, & admirant son aveuglement de n’avoir pas veu dans ses manieres qu’il y avoit du dessein, & que tout partoit d’un homme qui déguisoit sa naissance, elle ne put luy cacher, qu’ayant toujours eu pour luy un panchant secret que l’estat servile où il estoit luy défendoit d’écouter, elle n’estoit pas fachée qu’il se fust soumis à des fonctions indignes de luy, pour luy prouver son attachement. Son Amie luy fit connoistre que c’estoit par ses conseils qu’il en avoit usé de la sorte, afin de s’accommoder à la resolution qu’on sçavoit qu’elle avoit prise de ne consentir jamais à un second mariage qu’en faveur d’un homme qu’elle connoistroit parfaitement. Les raisonnemens qu’on fit sur cette avanture se terminerent à des assurances que donna la jeune Veuve de reconnoistre, comme elle devoit, le respectueux amour du Marquis. Elle tint parole quelque temps aprés, & il n’y a point d’union si tendre que celle que les nœuds du mariage ont formée entre eux.

[Articles reservez] §

Mercure galant, juillet 1691 [tome 7], p. 331-332.

 

Je remets au mois prochain à vous donner la suite du Journal de la Campagne de piedmont. Cependant je dois vous dire qu’on en a imprimé un depuis peu de l’année 1690. fait par Mr Moreau de Brasey, Capitaine dans le Regiment de la Sare, qui se vend chez Jean-Baptiste Langlois, dans la grande Salle du Palais, à l’Ange Gardien. Comme il est fait par un homme du mestier, & d’une Famille toute pleine d’esprit, ce Livre ne sçauroit estre que bon.

Je reserve aussi pour le mois prochain un Dialogue intitulé, Les Dieux au Conseil sur la destinée du Prince d’Orange, du mesme Auteur dont je vous en ay déja envoye plusieurs.

Avis & Réponse à l’Auteur des Pasquinades §

Mercure galant, juillet 1691 [tome 7], p. 335-341.

 

Avis & Réponse à l’Auteur
des Pasquinades.

Le Sieur Guerout donnera le 15. Aoust la suite du second Entretien des Plaintes de l’Europe contre le Prince d’Orange, & le commencement du troisiéme intitulé, Le Prince d’Orange travaillant à son Histoire. Cet Ouvrage a esté assez heureux pour meriter d’estre critiqué. Je dis meriter ; car il n’y a pas d’apparence que l’on voulust attaquer un Livre qui n’auroit aucune reputation, & dont on ne parleroit point dans le monde. L’Auteur de cette Critique a eu son but, mais en la faisant, il n’a pas fait reflexion qu’il alloit aider à faire paroistre ce qu’il croyoit étouffer. Si l’ouvrage qu’il attaquoit estoit si méchant, il n’avoit qu’à le laisser tomber par luy même sans aprendre à ceux qui lisent ses Dialogues, qu’il s’en faisoit d’autres sur la matiere qu’il traite ; & quand il s’en est montré blessé, il a fait croire aussi-tost que ce qu’il cherchoit à décrier, n’estoit pas indigne d’estre leu, puis qu’on le tient homme de trop bon goust, pour vouloir perdre du temps à attaquer un méchant ouvrage, qu’on détruit toûjours sans gloire par le trop de facilité que l’on y trouve. De tout temps tout ce qui s’est distingué a esté sujet à la critique dans tous les Estats du Monde, dans les Lettres, dans les Armées, & parmy les Arts, & cela est si connu que l’Auteur des Entretiens sur les plaintes de l’Europe, ne croit pas devoir répondre à ce qu’on a écrit contre luy. D’ailleurs il auroit de la peine à se resoudre à vendre des injures au Public. Il pardonne celles qu’on luy a dites, & veut croire qu’elles sont un pur effet du temperament violent de l’Auteur de la Critique ; car quel sujet de chagrin pourroit-il avoir ? Ecrivant comme il fait par le zele seul qu’il a pour la France, peut-il se fâcher qu’un autre que luy fasse voir le mesme zele, sur tout aprés que celuy qu’il attaque a fait dix volumes des Affaires du Temps, avant que l’Auteur des Pasquinades songeast à prendre la plume pour faire des Dialogues ? Si c’est un simple interest de gloire qui le fait agir, n’en est-il pas tout couvert ? Il brille dans ses écrits, & ce qu’il écrit est receu agreablement de tout le monde. Qu’a-t-il à souhaiter davantage ? Quand d’autres ouvrages paroîtront sur une matiere qu’on avoit déja traitée avant luy, il n’a rien à craindre. Qu’il écrive toûjours bien, toûjours mieux qu’un autre ; le Public le vangera de ceux qui croyent écrire aussi bien que luy, par le mépris qu’il fera de leurs Ouvrages. Mais il fait paroistre qu’il ne peut souffrir de Concurrens, quoy qu’il les tienne fort inferieurs, & qu’il n’a pas si fort méprisé les Entretiens qu’il déchire, qu’il n’en craigne le succés. Ainsi en outrant sa Critique, il a pretendu surprendre quelques esprits credules, persuadé qu’on croit plûtost le mal que le bien ; mais encore qu’il ait de l’esprit, du feu, du genie, & de l’érudition, il n’a pas consideré qu’il achevoit, comme je l’ay déja dit, de faire connoistre ce qu’il auroit souhaité qui n’eust point paru. Il semble mesme qu’il devoit songer, que pour jetter le premier la pierre à son prochain, il faut estre bien parfait, & qu’on pourroit faire contre luy sans estre blâmé, ce qu’il n’a pû faire contre un autre sans s’attirer l’indignation des honnestes gens. Il y a six mois qu’il cherche la guerre sans qu’on ait voulu l’entendre. Il a dit beaucoup d’injures, & c’est un combat si peu glorieux, que l’on ne veut point entrer en lice. Cependant s’il continuë, on défendra le goust du Public qui depuis quinze ans a donné son approbation au Mercure Galant, qu’il s’efforce de tourner en ridicule. Il y a prescription en matiere d’Ouvrages d’esprit, & un si grand nombre de gens ne peuvent s’estre trompez. Que s’il est vray qu’ils ayent applaudy ce qui ne meritoit pas de l’estre, pourquoy veut-il que ce même Public ne se trompe point pour ses Ouvrages, & qu’il soit plus éclairé lors qu’il les approuve ? Je les croy beaux & je les estime, mais les beautez que l’on y decouvre empeschent-elles qu’il n’y en puisse avoir dans ceux des autres ? Rien n’est plus facile que de critiquer, & les productions d’esprit les plus parfaites pourroient estre attaquées par une infinité d’endroits. Se pourroit-il mesme que les Dialogues de l’Auteur de la Critique fussent sans défauts ? Je n’y en ay trouvé aucun, parce que je n’y en ay point cherché ; mais quelque empressement qu’on marque pour les avoir, peut-estre y auroit-il assez de facilité à luy rendre la pareille, si on les vouloit examiner. Loin de chercher le combat, il peut voir qu’on le refuse, quoy qu’on ait peut-estre d’aussi bonnes armes que luy, & que l’on sçache aussi bien combattre ; mais s’il force à l’accepter, on le prie de prendre garde qu’aprés cela il aura tort de se plaindre, si on le pousse un peu rudement.