1691

Mercure galant, décembre 1691 [tome 12].

2017
Source : Mercure galant, décembre 1691 [tome 12].
Ont participé à cette édition électronique : Nathalie Berton-Blivet (Responsable éditorial), Anne Piéjus (Responsable éditorial), Frédéric Glorieux (Informatique éditoriale) et Vincent Jolivet (Informatique éditoriale).

Mercure galant, décembre 1691 [tome 12]. §

L’Alliance de la Guerre et de la Justice §

Mercure galant, décembre 1691 [tome 12], p. 7-63.

 

Si le zele qui vous interesse à tout ce qui touche la gloire du Roy, vous fait toujours lire avec plaisir ce que je vous dis de ce grand Monarque, au commencement de chacune de mes Lettres, je suis assuré, Madame, que vous n’avez point encore esté plus contente que vous l’allez estre par la lecture de l’excellent Discours que je vous envoye. Le titre qu’on luy peut donner de L’Alliance de la Guerre & de la Justice, vous fait assez voir qu’il doit renfermer un grand Eloge du Roy. Comme la matiere est noble, l’Auteur ne pouvoit la traiter plus noblement, & je ne sçaurois douter que vous ne donniez à ce Discours la mesme approbation qu’il a receuë d’une nombreuse Assemblée, devant laquelle il fut prononcé le 15. du mois passé, par Mr Thiot, Avocat du Roy au Presidial de la Fléche, à l’ouverture du Palais. Voicy les termes dont il se servit.

L’ALLIANCE
DE LA GUERRE
ET
DE LA JUSTICE.

Messieurs.

Pendant que la France est en armes, serons-nous dans l’inaction, nous qui sommes tous obligez par le devoir de nos Charges de rentrer aujourd’huy au Palais, revestus de la veritable Cotte d’armes, Induti loricam Justitiæ, comme parle Saint Paul. Réveillons-nous donc de l’assoupissement des Vacances. Le quartier de rafraichissement est finy. Faisons battre la diane, & ouvrons le Temple de la Guerre contre l’injustice, dans lequel il est permis à la Robe d’exercer les fonctions militaires, & sans répandre le sang, donner des combats, & remporter des victoires, comme disoit ce Poëte dans le Panegyrique de son Prince.

  Exercere togatæ
Munera militiæ libet, & sine sanguinis haustu
Mitia legitimo sub Judice bella movere. Claud.

Il semble, Messieurs, que c’est un Paradoxe de parler ainsi de la Guerre & de la Justice ; mais les temps de guerre où nous sommes, & les mouvemens militaires que nous voyons si souvent, me donnent occasion de vous faire voir que ces deux professions, si fort opposées en apparence, symbolisent entre elles, & qu’elles ont des rapports & des convenances admirables. Loin de faire injure à ces deux professions, en les comparant l’une avec l’autre, elles en recevront de la gloire ; & s’il est vray, comme l’on n’en peut douter, que la profession des armes, & celle du Palais, sont les emplois les plus illustres & les plus éclatans, je ne puis leur faire plus d’honneur qu’en faisant voir leurs justes rapports & leur étroite alliance.

Quand je parle de la guerre, je ne parle pas de celle du Prince d’Orange, entreprise contre les loix de la nature, & contre le droit des gens, sous le faux pretexte de la Religion, avec ses Alliez, pour se maintenir par le bruit des armes, dont il étourdit la raison de Nations, desquelles il veut se rendre Souverain. Je parle seulement d’une guerre juste & legitime, comme la nostre, qui tend au repos & à la conservation de l’Etat, & qui est entreprise pour maintenir la veritable Religion, & pour empêcher les invasions de nos Ennemis ; & en ce sens, je dis que la guerre, soit qu’on la considere dans son principe, soit qu’on la regarde dans son execution, soit qu’on l’envisage dans sa fin, a des convenances admirables avec la Justice. Commençons par le principe de la guerre.

Dieu qui est la source de la Justice, & la Justice essentielle, n’est il pas luy mesme le Dieu de la Guerre, & parmy les titres les plus pompeux & les plus augustes, n’a-t-il pas choisi celuy de Dieu des Armées ? Le divin Apostre qui nous raconte les merveilles qu’il avoit puisées dans le sein de Jesus, ne nous represente-t-il pas le Verbe de Dieu, comme un Conquerant, accompagné de tous les Escadrons de la Cavalerie celeste. Exercitus qui sunt in cœlo sequebantur eum in equis albis ? Une épée à deux tranchans ne sort-elle pas de sa bouche ? De ore ejus gladius utraque parte acutus ? Et lors que le Verbe sortit, sans sortir, du sein du Pere Eternel, ne se trouva-t-il pas une multitude innombrable de Milice celeste pour honorer sa naissance, Et facta est multitudo militiæ cœlestis laudantium Deum ? Ouy, le mesme Dieu qui a écrit ses Loix de son doigt sur les tables de Moyse, a solemnellement approuvé la guerre dans l’ancienne Loy, comme un acte de justice, & l’a en quelque façon consacrée par ses Commandemens.

Le premier acte de la Justice de Dieu commença par détacher un Archange avec un Escadron, pour terrasser le Dragon & ses adherans dans le fond de l’abisme. Si Dieu veut empêcher l’entrée du Paradis terrestre, il met à la porte un Cherubin, avec un glaive de feu. S’il veut punir un Peuple entier, un Ange Exterminateur en a le commandement, & Dieu luy met les armes dans la main. Je vous ferois icy voir, Messieurs, avec un plaisir sensible le détail des guerres & des Batailles du Seigneur, si le beau livre, intitulé, Liber bellorum Domini, dont Moyse fait mention au chapitre 21. des Nombres, n’avoit point esté perdu. Quand Dieu veut châtier les Peuples rebelles, & punir, comme il fait aujourd’huy, la fausse Religion, il arme quelque main puissante, & suscite des Heros pour cet effet. Armabit creaturam ad ultionem inimicorum. Les Conquerans, ces foudres de la guerre, comme LOUIS LE GRAND, ont leur mission de Dieu, & ne sont que les Ministres de sa Justice. Ces bras visibles, qui font tous les jours sur les Terres de nos Ennemis ces grandes désolations, ne sont que les instrumens d’une puissance invisible qui l’ordonne ainsi.

Et de vray, nous voyons dans le rôle des premiers Guerriers, les Patriarches, les Juges, & toutes les Personnes les plus justes de l’ancien Testament. Nous voyons à la teste des Armées les Abrahams, les Moyses, les Josuez, les Gedeons, les Samsons, les Davids, les Matathias, les Macabées, & plusieurs autres.

Si Dieu n’avoit autorisé les armes, auroit-il commandé à ses Apostres de vendre leurs tuniques pour acheter des épées ; Vendat tunicam & emat gladium, comme le rapporte S. Luc ?

Saint Jean Baptiste n’a-t-il pas donné la mission aux Soldats, & approuvé la discipline militaire, en leur faisant cette loy, (lors qu’ils luy demanderent le chemin pour arriver au Ciel) de se contenter de leur solde, & de ne piller personne. Si cet estat n’avoit pas esté dans l’ordre de la justice, ne leur eust-il pas dit de quitter les armes, & d’embrasser une autre profession ?

Dieu parlant à son Epouse dans les Cantiques, ne luy dit-il pas qu’elle est douce, & qu’elle est belle, mais qu’elle est avec tous ses charmes & ses attraits aussi majestueuse & aussi formidable, qu’une Armée rangée en bataille, qui marche contre l’Ennemi, Enseignes deployées, & Tambour battant, Terribilis ut castrorum acies ordinata ? Et cette divine Epouse répondant aux caresses de son divin Amant, & à la comparaison qu’il fait d’elle avec une Armée, n’a-t-elle pas institué divers Ordres militaires, quoy qu’elle ne respire que la douceur de la paix ? Ces nobles Chevaliers de Jerusalem, de Malthe, de S. Jacques, de S. Lazare, de Jesus-Christ en Portugal, & tant d’autres Saints Capitaines, ne prouvent-ils pas le sabre à la main la sainteté de leur mission, & les rapports admirables de la Guerre & de la Justice ? Cette verité ne parut-elle pas aussi éclatante que les rayons du Soleil à la lueur de l’épée de Godefroy de Boüillon, lors que montant le premier à l’assaut sur les murailles de Jerusalem, il triompha de l’Idolatrie, comme fait aujourd’huy Loüis le Grand, de l’Heresie, & fit trembler toutes les Puissances de la terre.

C’est une chose remarquable, & qui fait bien connoistre l’alliance qui a toûjours esté entre les armes & la Justice, que parmy le peuple de Dieu, les Juges & les Legislateurs marchoient à la teste des Armées, & d’une main foudroyante, se faisoient jour au travers des Ennemis. S’ils tenoient les balances de la Justice dans une main, ils en avoient l’épée dans l’autre pour combattre. Aprés avoir reglé les differens des Peuples, ils se rendoient justice à eux-mesmes, en donnant des Batailles, & la mesme bouche qui avoit prononcé des Arrests, animoit & encourageoit des Soldats.

Ce n’est pas seulement dans ces premiers temps, & parmy le Peuple de Dieu, que l’on a veu l’étroite alliance de ces deux professions. L’experience de tous les autres Peuples, & de tous les âges du monde, nous apprend que l’art militaire, & la Jurisprudence ont esté joints ensemble. Les Romains tiroient ordinairement du corps du Senat, les Capitaines qui commandoient les Armées de la Republique. Les Grecs ne separoient pas en deux Classes, ceux qui estoient destinez à la conduite des armées, & à l’administration de la Justice. Ne voit-on pas encore aujourd’huy dans l’Empire Othoman, que celuy qui est le Chef des Armées, est aussi le Chef de la Justice dans le Divan ? Les Dignitez de ces deux fonctions sont reunies dans la personne du grand Visir. Parmi nous on a souvent veu en mesme temps la Justice renduë, & les Armées conduites par un homme de Robe, & quelques fois mesme par un Ecclesiastique, comme entr’autres par le Cardinal de Lorraine, tout ainsi qu’en Espagne par le Cardinal Infant, & en Allemagne par l’Evesque de Munster.

Mais pour mieux comprendre le rapport que les Armes ont avec la Justice, & l’estroite alliance qu’elles ont contractée ensemble, il faut considerer que les Armes sont les instrumens de la Justice que le Souverain se rend à soy-mesme contre un autre Souverain, & le signe le plus essentiel du privilege qu’il a d’estre Juge dans sa propre cause. Le droit des Armes & de la Justice est indivisible & inseparable dans la personne des Rois.

L’union de ces droits fait le plus auguste caractere, que Dieu imprime sur le front des Monarques, & la plus belle effusion de la puissance qu’il leur donne sur les hommes. C’est la marque la plus expresse, & le trait le plus visible de l’honneur que les Princes ont de le representer, & d’estre ses Images sur la terre, de sorte que la Guerre & la Justice se rencontrent là comme dans le point de leur principe, & dans le centre de leur union.

De plus, si les armes que nous portons pour la conservation de nostre vie, contre les attaques d’un Ennemi, ou pour la deffense de nos biens contre les violences d’un Voleur, sont des Armes innocentes & permises de droit divin, naturel & humain, & s’il est encore vray, que la punition des meurtres & des brigandages est un effet de la justice divine, naturelle & humaine, exercée par les Magistrats, n’est-il pas encore plus vray que les armes deffensives & offensives qui sont dans la main des Rois, pour empescher ou pour vanger les outrages, les invasions & les attentats, sont des armes que la suprême Justice met dans la main des Souverains ? D’où il est aisé de conclure que Dieu, qui est l’auteur de la Justice que les Souverains distribuent à leurs Peuples, est aussi l’Auteur de celles qu’ils se font eux-mêmes par les armes contre les autres Souverains ; que l’une & l’autre a les marques & le sceau de son approbation ; que l’usage des armes, quand il est legitime, n’est pas moins une vertu, que l’observation des Loix quand elles sont bien disposées, & qu’enfin ces deux professions ont des rapports & des convenances admirables.

Si la Guerre considerée dans son principe, a tant de ressemblance & de conformité avec la Justice, vous allez voir, Messieurs, que dans son execution, elle est la figure & le portrait de cet illustre original. Et de fait, les Empereurs Leon & Anthemius font la comparaison des Avocats avec les Soldats, dans la Loy quatorziéme du Code, au titre De Advocatis diversorum Judiciorum, & disent à la loüange du Barreau, que les Avocats qui reglent & conduisent la destinée douteuse des Procés, & qui par la force de leur éloquence dans les affaires, tant publiques que particulieres, empeschent la ruine & la décadence de leurs Parties, & delivrent de la persecution ceux qui sont opprimez, ne sont pas moins necessaires à l’Estat, que s’ils défendoient dans les Batailles, aux dépens de leur vie, leur Famille & leur Patrie. Les paroles de cette Loy sont si expressives, qu’on ne les peut passer sous silence, Advocati qui dirigunt ambigua fata causarum, suæque defensionis viribus, in rebus sæpe publicis ac privatis, lapsa erigunt, fatigata reparant, non minus provident generi humano, quàm si præliis atque vulneribus, patriam parentesque salvarent.

Ces deux Empereurs poursuivent encore plus vivement la mesme comparaison, car nous n’estimons pas, disent ils, qu’il n’y ait que ceux-là à combatre sous nostre autorité, qui se servent de leurs Epées, de leurs Boucliers, & de leurs Cuirasses, parce que les Avocats ont les mesmes avantages. Nec enim solos nostro Imperio militare credimus illos, qui gladiis, clipeis & toracibus nituntur, sed etiam Advocatos. Car en verité, ajoûtent-ils, les Avocats combattent, lors que par la force de leur raisonnement éloquent, ils conservent la vie, les biens, & l’honneur de leurs Parties, & de leurs Successeurs. Militant namque causarum Patroni, qui gloriosæ vocis confisi munimine, laborantium spem, vitam, & posteros defendunt.

C’est par cette raison que plusieurs loix du Code donnent aux Avocats les mesmes privileges & exemptions qu’aux Gens d’armes. La comparaison des uns & des autres est si juste, que Martial & Juvenal, parlant d’Æmilius, nous apprennent qu’autrefois les Avocats estoient representez sous leurs portiques en Chevaliers, & en Statues de bronze la lance à la main. Et de vray, anciennement en France, il y en avoit qu’on appelloit Chevaliers de Loix, dont il est fait mention dans le grand Coutumier general, autrefois composé par Mr Bouteiller, Conseiller au Parlement. Froissard, ancien Historien, fait aussi mention de cette illustre qualité, qui a esté retenuë, & qui est encore à present possedée par Mr le premier President du Parlement de Paris, laquelle le distingue de tous les autres Officiers du Royaume, dans le Catalogue de Mrs les Officiers du Parlement, par ce mot, Miles, qui veut dire, Chevalier.

Il y a une si grande conformité entre l’Art militaire & la Jurisprudence, que celuy qui le premier a donné au Public ses Ouvrages sur le Droit Civil, estoit un homme de guerre, comme nous l’apprend la Loy derniere, paragraphe dernier, au Digeste, de origine Juris. Massurius Sabinus in Equestri Ordine fuit, & publicè primus scripsit de Jure Civili ; & au contraire, celuy qui a le mieux écrit de la Guerre, & qui sçavoit l’Art militaire aussi parfaitement que le Barreau, estoit un Avocat ; ouy, un Avocat des plus celebres, & ce qui est de plus surprenant, un Avocat qui triompha du Grand Pompée dans la Thessalie, qui défit Ptolomée dans l’Egypte, qui renversa & terrassa tous les plus grands Conquerans de son siecle, qui subjugua les Gaules, qui rendit tributaire l’Angleterre, qui dompta les Allemans sur le Rhin, qui rangea l’Italie sous sa puissance, soumit sous son pouvoir les Suisses, les Romains, les Egyptiens, les Afriquains, & les Asiatiques, qui tua, comme le rapporte un de ses Historiens, un million d’Ennemis, triompha d’un million d’autres, en défit un nombre innombrable, prit de force huit cens Villes, subjugua trente Nations differentes, & fut enfin le premier Empereur des Romains. Vous connoissez ce celebre Avocat, & vous sçavez qu’il s’appelle Jules Cesar.

Au reste, ne croyez pas que ce soient là les seuls Conquerans que le Palais ait produits, ny les seules gens de Robe que la guerre ait enfantez. Germanique Cesar revenant à Rome triomphant, entra dans le Barreau, & y plaida plusieurs causes, etiam triumphalis causas egit. Suetone dit la mesme chose de l’Empereur vespasien, Post triumphum causas egit. Il dit aussi que Vespasien son Fils, aprés avoir fait ses Campagnes, se donna à la plaidoirie. Post stipendia Foro operam dedit.

Mais pour ne rapporter que des exemples domestiques, la Robe ne nous a-t-elle pas donné plusieurs Maréchaux de France, & n’avons nous pas un grand Capitaine aussi vaillant que les Cesars, sorti de la Robe pour commander l’Armée du Roy dans la Savoye & dans le Piedmont, qu’il a presque entierement assujetty sous la puissance de Sa Majesté ?

A vray dire, la Guerre & le Palais sont deux grands Theatres, sur lesquels ceux qui ont de la vertu la font paroistre. Les grandes vertus sont là dans leur jour. Le cœur de l’homme est caché, & comme enseveli dans la poitrine ; mais la Guerre plus ingenieuse que tous les Peintres du monde, le fait paroistre visiblement & exterieurement dans toutes les parties du corps. On voit là ce cœur dans la teste, où il inspire des conseils guerriers ; dans le visage, où il forme des traits & un coloris éclatant, qui ne change point à la veuë des perils. On voit ce cœur dans les yeux, d’où il lance des feux & des flames ; dans les mains, d’où les foudres & les tonnerres partent à tout moment ; dans les bras, qui portent la terreur & l’effroy en tous lieux. On voit ce cœur dans les playes, comme dans une source intarissable de gloire ; on le voit dans le sang, qui luy fait une pourpre aussi belle que celle des Rois ; on le voit dans la contenance avec laquelle il va affronter la mort, & sur des montagnes de morts chercher une vie qui ne finira jamais. Les Poëtes ont dit que cette voye lumineuse qui paroist la nuit dans le Ciel, estoit le chemin par lequel les Heros ont passé pour arriver à l’immortalité. Nous pouvons dire plus justement que la guerre est un des veritables chemins de l’honneur & de la gloire, & qu’au travers des Bataillons & sur le ventre des Ennemis, il s’est fait une route brillante & lumineuse, par laquelle on est autrefois parvenu à l’Empire de tout le monde.

De mesme, la Justice est une des plus honorables professions, & il n’est point d’estat plus illustre parmy les hommes, ny de vertu dans la societé civile qui obtienne une plus grande portion de la gloire qui s’y distribuë. Dieu dans l’Ecriture fait un divin Panegirique de la Magistrature, & l’éleve au dessus de toutes les conditions de la terre, appellant par la bouche de son Prophete, les Magistrats, des Dieux. Les rayons de cette gloire rejaillissent de degré en degré sur ceux qui en approchent ; le Palais, au sentiment de tous les Sages, estant le Temple de l’honneur & de la gloire, où on recueille plus abondamment la plus belle de toutes les récompenses humaines, & où le nom de ceux qui en sont les plus illustres appuis, retentit plus hautement dans la bouche de la renommée, en sorte que plusieurs Peuples ont souvent choisi les plus grands Justiciers pour leurs Maistres & pour leurs Souverains. Il est consequemment vray de dire que l’honneur & la gloire qui se communique également aux gens de Guerre & aux gens de Robe, fait voir l’analogie de ces deux professions, & combien elles simbolisent entre-elles, & ont de justes rapports.

Les Anciens nommerent la Guerre, Bellum, comme une chose belle par excellence. Leur Theologie confirma cette verité par une agreable fiction de leurs Poëtes, qui firent une Venus armée, pour nous dire qu’il n’y avoit rien de plus beau que la guerre. Et en effet, y a-t-il rien de plus charmant que la compagnie de tant de Princes & de Seigneurs, le concours de tant de Noblesse, l’assemblée de tant de Cesars, de tant de vaillans Capitaines, & de tant de jeunes gens actifs & genereux ? que cette douce liberté, cette conversation sans façon & sans ceremonie ? que la veuë continuelle de tant de nouveautez, & de tant de spectacles ? que la varieté de tant d’actions diverses ? ces mouvemens militaires qui ravissent l’esprit, cette courageuse harmonie de la Musique guerriere qui charme & enchante l’ame ; ce bruit des Tambours, ce son des Trompettes ; cette innombrable multitude de tant de milliers, qui agissent tout à la fois, & pour une mesme fin, comme les membres d’un corps qui n’est animé que d’une seule ame ?

La Justice a les mesmes charmes, les mesmes beautez, & les mesmes plaisirs. Le plus grand Genie de la nature a dit que l’Astre qui nous annonce la lumiere du jour, n’est pas si beau que la Justice. Aussi la represente t-on comme une belle Vierge, dont l’integrité est pleine d’attraits, & de laquelle ceux qui ont l’honneur de la servir deviennent les adorateurs. Et de vray, est-il rien de plus agreable que cette grande multitude des plus honnestes gens de la Province assemblez dans le Temple de Justice ? Y a-t-il rien qui ravisse davantage les cœurs que l’ordre de la Justice, quand elle est bien administrée, quand chacun se tient dans son devoir, & quand tous les Ministres de la Justice s’acquitent dignement de leurs fonctions ? Est-il rien de plus charmant que cette varieté & vicissitude d’affaires & de nouveaux incidens qui naissent à toute heure dans le Palais ? que ces combats & ces attaques, d’où la verité sort toûjours victorieuse ?

C’est pourquoy il faut tirer cette consequence, que la guerre dans son execution a des ressemblances admirables avec la Justice ; mais elles conviennent encore mieux dans leur fin ; car ce n’est pas assez que la guerre soit entreprise avec justice, & soutenuë avec vigueur, si elle n’est enfin couronnée par une glorieuse paix, plus estimable qu’une infinité de triomphes, Pax una triumphis innumeris potior ; cette paix servant à rendre la guerre d’autant plus triomphante & d’autant plus conforme à la justice, laquelle, comme dit un Prophete, ne travaille qu’à la paix, Opus justitiæ pax.

La Justice est une vertu divinement inspirée aux hommes, & infuse dans leurs esprits, qui leur enseigne ce qui est juste, & raisonnable, & qui entretient par ce moyen la societé civile dans la paix, & en est le veritable & solide fondement. De mesme la guerre est un secours que Dieu leur envoye, & dont il leur permet de se servir, pour faire regner la raison par la force des armes, & pour rejoindre cette societé, lors qu’elle vient à estre rompuë, soit par les entreprises du dehors, soit par les factions du dedans ; Bella gerimus ob eam causam, ut in pace vivamus, dit le Prince des Philosophes.

Le but de la Justice est de rendre à un chacun ce qui luy appartient, en punissant le coupable, & en faisant rendre à l’opprimé les biens qui luy ont esté injustement enlevez. Le but de la guerre n’est-il pas tout semblable, puis qu’elle n’a point d’autre fin que d’arrester le cours des invasions & des attentats, de proteger les foibles, contre la violence des plus forts, & de les empêcher d’estre les victimes de leurs vangeances, & la proye de leur avarice.

Et en effet, la seureté publique dans laquelle nous vivons dans nos Provinces, n’est-elle pas établie par le secours des armes, & par l’autorité des Loix de nostre invincible Monarque ? Si la Justice rend les Peuples paisibles dans leur trafic, la guerre ne leur ouvre-t-elle pas les passages pour le negoce, ne leur rend-elle pas les navigations libres, & ne rétablit-elle pas enfin le commerce ? La Guerre & la Justice ne concourent-elles pas ensemble à cultiver les Palmes & les Oliviers ? N’est-ce pas la Guerre & la Justice qui font fleurir les Arts & les Manufactures, qui apportent l’abondance, & qui obligeront, comme dit le Prophete Isaye, les gens de guerre à faire de leurs épées des coutres de charuë, & du fer de leurs piques & de leurs hallebardes, des faucilles ? Conflabunt gladios suos in ligones, & lanceas hastasque suas in falces.

Nous avons veu sous le regne incomparable de Loüis le Grand, l’accomplissement de ces éclatantes & surprenantes merveilles. Ouy, grand Roy, le premier de tous les Monarques du monde, l’amour du Ciel, les delices de la terre, l’ornement des Histoires, l’appuy de la Religion, le foudre de la guerre, & le modelle de la Justice ; c’est sous vostre heureux regne que l’on voit la parfaite alliance de la Guerre & de la Justice ; car aprés avoir rétabli par vos Ordonnances la justice dans son lustre, nous avons vû sortir de vostre teste Pallas la guerriere & Pallas la pacifique, plus veritablement que la Fable ne l’avoit dit de la teste de Jupiter. Nous avons veu, grand Prince, vos Ennemis vous ceder par de glorieux traitez de Paix, les Pays que vous aviez conquis par la force des armes, & qui vous appartenoient par le droit de la justice. Nous avons encore veu vos armes, comme un torrent rapide, inonder toutes les Provinces de ces Peuples ingrats & insolens qui se disoient les arbitres des Couronnes, & qui avoient violé le respect deu à la majesté de l’Empire François, & aprés les avoir humiliez par une guerre entreprise avec justice, & soutenue avec force, vous l’avez genereusement finie, en leur donnant la paix, & leur en imposant les loix, comme l’Arbitre souverain de la Paix & de la Guerre, & comme le Pere commun de toutes les Nations. Nous avons veu sous vostre regne la verité des Oracles qui nous avoient esté annoncez par les Prophetes, que les Ennemis de la veritable Religion s’armeront contre vous, & que vous en serez le vainqueur, parce que le Dieu des Armées combat pour vous. Bellabunt adversum te, & non prævalebunt, quia ego tecum sum. Et en effet, nous avons veu, & nous voyons encore toute l’Europe animée de la fureur de la fausse Religion, conjurée contre vous, faire de vains & d’inutiles efforts, & malgré ses Ligues & ses mouvemens, nous vous voyons, grand Monarque, victorieux dans trois sanglantes Batailles & sur mer & sur terre, étendre vos conquestes, & triompher de vos Ennemis.

Puissiez-vous, ô grand Prince, par la suite continuelle de vos heroïques exploits, entretenir pour jamais en cette vigueur à l’ombre de vos Palmes & de vos Lauriers, la beauté de vos Lis ! Puissiez-vous, aprés tant de victoires dont le Ciel benit la justice de vos armes, cimenter la paix de la France dans le sang de vos Ennemis ! Puissiez-vous aprés avoir étouffé la Rebellion de l’Heresie, élevée contre le Ciel, & contre vostre Couronne, faire à jamais triompher la justice de vostre regne !

Mais où est-ce que nous emporte ce discours ? Ce n’est pas merveille, si ce grand Prince entraîne nos paroles, luy qui ravit & enleve si puissamment nos cœurs dans l’admiration de ses heroïques vertus.

Pour conclurre, il est évident que la guerre a une entiere conformité avec la Justice, l’Ordre Militaire beaucoup de similitude avec l’Ordre Judiciaire, les Soldats un grand rapport avec les Avocats, & le Champ de Bataille beaucoup de ressemblance avec le Barreau.

Or puis que la Guerre & la Justice, comme deux Sœurs Germaines, n’ont qu’un mesme principe, puis que la guerre dans son execution a une si étroite alliance avec la Justice, & puis que l’une & l’autre ont une entiere conformité dans leur fin, vous devez, Avocats, Procureurs, tirer de là ces belles consequences, que la guerre où vous entrez aujourd’huy dans le Palais, ne doit avoir d’autre fondement que la justice des causes que vous plaiderez ; que dans tous vos combats vous devez vous proposer par dessus toutes choses, la gloire de vostre profession, & que vous ne devez avoir dans tous vos desseins d’autre fin, que d’asseurer le bien des particuliers, le repos des Familles, & la paix & la tranquillité publique.

Comme la profession que vous avez embrassée est une guerre declarée à l’injustice, au mensonge, & à la calomnie, vous ne devez aussi prendre d’autre party, que celuy de la suprême raison, embrasser d’autres interests que ceux de la verité, ny entreprendre d’autre défense que celle de l’innocence. La raison soutenue de vos paroles vous fera combattre vaillamment. La verité appuyée de vostre éloquence, vous fera vaincre ; & l’innocence protegée de vostre zele, vous fera triompher.

Courage donc, grands & genereux Athletes (car c’est ainsi que Justinien vous appelle dans sa Lettre, adressée à ceux qui enseignoient le Droit) courage, illustres Guerriers, genereux Combattans, pendant que nostre grand & invincible Monarque vous protege & vous défend par la force de ses armes, combattez vaillamment sous les Etendards de la Justice dans ce champ illustre du raisonnement. Allez où l’honneur vous appelle, & montrez que vous estes icy, aussi-bien que les Soldats sur les Frontieres, les Boulevars des Villes, & les Rempars de nos Provinces. Vous acquittant dignement de vos nobles fonctions, la justice sera rendue avec plus d’éclat & de majesté, la voix de la raison se fera seule entendre par vos paroles, vos plaidoiries feront ses victoires, vos attaques ses conquestes, & tous vos combats ses triomphes. C’est en cela principalement que consiste l’execution des Ordonnances, dont nous demandons la lecture, & que vous fassiez le sermens accoutumé de les observer fidellement.

Vous ne serez point surprise des beautez que vous venez de trouver dans ce Discours, si vous vous souvenez des excellens Ouvrages que je vous ay déja fait voir de Mr Thiot, qui en est l’Auteur. Le Panegyrique sur la Loy de la Nature que vous avez tant approuvé dans ma Lettre du mois de Decembre 1681. estoit de luy, aussi-bien que ce rare & merveilleux Tableau de la Verité, dont je vous fis part dans celle de Decembre 1682. Il seroit à souhaiter qu’un homme qui écrit si bien, & qui pense toujours juste, voulust laisser échaper de son Cabinet plusieurs autres Pieces qu’il se contente de montrer à ses Amis.

A Mr de F.... sur sa retraite. Stances Chrestiennes §

Mercure galant, décembre 1691 [tome 12], p. 63-69.

 

Les Vers que je vous envoyay la derniere fois, sur ce qu’il n’est pas necessaire de quitter le monde pour bien travailler à son salut, pourveu qu’on y observe les Loix que Dieu nous prescrit, meritent sans doute l’estime que vous me marquez en faire. En voicy d’autres qui ne vous plairont pas moins, sur l’utilité de la retraite. Ils sont d’un tres-habile homme, dont tous les Ouvrages ont eu un applaudissement general.

A. Mr DE F.…
SUR SA RETRAITE.
Stances Chrestiennes.

Tu fuis la Cour, le Monde, & par cette conduite
Tu nous fais voir, Damon, que tu veux te sauver.
 Sans une si prudente fuite
Souvent l’on cherche Dieu sans le pouvoir trouver.
***
Un Pecheur que la Grace & presse & sollicite,
Entre le Monde & Dieu s’il partage ses vœux,
S’il demeure incertain, s’il se trouble & s’agite,
Il est toujours coupable, & toujours malheureux.
***
Quand on te voit content, quand on te voit tranquille,
Tu dois, dit-on, trembler pour l’avenir.
Tel qu’on voit s’appuyer sur un roseau fragile,
Croit que la main de Dieu ne peut le soutenir.
***
J’entens quelquefois dire, helas ! que peut-il faire
Dans ce desert sauvage, en un si triste lieu ?
Mondains qui le plaignez, il plaint vostre misere ;
Le neant vous occupe, il ne pense qu’à Dieu.
***
Il a compris le sens de ce divin langage
Qui de tous les Chrestiens fait deux Peuples divers,
Dont l’un suit le chemin où son erreur l’engage,
Et l’autre fuit le monde, & le siecle pervers.
***
Il a craint les grandeurs, la gloire, les richesses
Il a craint des plaisirs les dangereux appas,
Et n’a pas crû pouvoir, connoissant ses foiblesses,
User de tous ses biens, comme n’en usant pas.
***
 Peut-estre son propre naufrage
Dans son cœur penitent a produit cet effort.
Lassé d’estre battu des vents & de l’orage,
Pour se mettre à couvert il a cherché le port.
***
Mais je combats en vain ces Juges témeraires,
Qui blâment sans raison ce qu’on doit admirer,
Qui des coups de la Grace ignorant les misteres,
Dans leurs raisonnemens ne font que s’égarer.
***
Comment les détromper de leur erreur extrême,
Puis que contre Dieu-mesme ils osent disputer ?
Je ne pense donc plus qu’à m’instruire moy-mesme,
Pour te suivre de loin, ne pouvant t’imiter.
***
Ton exemple souvent combattra ma paresse,
Echauffera mon zele, animera ma foy,
Et pour me soutenir & vaincre ma foiblesse,
J’auray devant les yeux, ce que Dieu fit pour toy.
***
Je te mediteray, je feray mon étude
Des bontez du Seigneur, de ta fidelité,
Et j’iray quelquefois prendre en ta solitude
Un saint mépris du monde, & de sa vanité.
***
Heureux, qui comme toy, par un grand sacrifice
S’éloigne pour toujours du tumulte & du bruit,
Qui n’écoute que Dieu, ne craint que sa justice,
Et de sa sainte Loy s’occupe jour & nuit.

Sur le retour de Monsieur le Duc de Chartres §

Mercure galant, décembre 1691 [tome 12], p. 92-99.

 

Les Vers qui suivent sont encore de sa façon, & je me tiens assuré qu’ils vous plairont, tant par leur matiere, que par la maniere dont ils sont tournez.

SUR LE RETOUR
DE MONSIEUR LE DUC
DE CHARTRES.

Hiver, tu me tiens lieu de toutes les saisons.
Je cheris tes frimats, & j’aime tes glaçons.
Tu ramenes mon Prince, & ta rigueur extrême,
Pour nous le redonner, le dérobe à soy-mesme.
Plein d’un nouvel éclat il paroist à nos yeux,
Et c’est toy dont nous vient un bien si précieux.
L’agreable Printemps n’a plus pour moy de charmes.
Ses beaux jours à mon cœur ont trop couté de larmes.
Son approche funeste enleva mon Heros.
L’Esté ne fut pas moins fatal à mon repos.
Un choc, une action, la marche d’une Armée
Livroit mille combats à mon ame alarmée,
Et quand Mars en couroux faisoit rougir Cerés,
Je regrettois le verd de nos premiers guerets.
Quelle fut ma frayeur au retour de l’Automne,
Quand le Belge éprouva la fureur de Bellonne ?
Quand le fer & le plomb pleuvant de toutes parts,
On vit ce jeune Prince au milieu des hazards ?
L’esprit toujours remply des nobles funerailles,
Qui couvrent de cyprés les succés des Batailles,
Interdit & troublé. Ciel ! je n’ose y penser,
J’en sens au mesme instant tout mon sang se glacer.
En vain on me disoit que conduit par la gloire,
Mon Prince sans danger sortoit de la victoire.
Mes esprits éperdus, & de soucy pressez,
Trembloient mesme au récit de ses travaux passez.
Ouy, de tous ces travaux me retraçant l’image,
Je ne pouvois le voir dans l’horreur du carnage,
Etonnant l’Ennemy par cent faits éclatans,
Se faire distinguer parmy les Combattans,
Sans que mon cœur saisi d’une invincible crainte,
Me laissast dans sa peur échaper quelque plainte.
Quoy, si-tost ? m’écriois-je. Ah Prince ! où courez-vous ?
Ménagez plus un sang que nous adorons tous.
Ne le prodiguez point dans un âge si tendre.
Voyez tous les Heros, regardez Alexandre.
L’Empire que les Dieux luy faisoient esperer,
Le faisoit, à quinze ans, à peine soupirer.
Voulez-vous avant luy commencer la carriere ?
Avez-vous pour objet plus que la terre entiere ?
Goûtez dans vos beaux jours les douceurs du Printemps.
Vos exploits se pourront remettre à d’autres temps.
Ceux dont on vante plus l’ardeur & le courage,
N’ont jamais endossé la cuirasse à vostre age.
C’estoient là les discours que m’inspiroit la peur,
Quand mon Prince, sur Leuze, exerçoit sa valeur.
Heureux, si par le Ciel ma Muse chaque année,
A ces tristes accens n’estoit point condamnée,
Si CHARTRE satisfait de ses premiers exploits,
M’avoit fait soupirer pour la derniere fois ;
Mais on ne verra point la premiere Hirondelle,
Qu’il ne coure aussi-tost où son grand cœur l’appelle.
Les plus aimables jeux, les plus tendres plaisirs
Ne pourront retenir l’ardeur de ses desirs.
Les faits de ses Ayeux presens à sa memoire,
Ne le rendent touché que des traits de la gloire.
PHILIPPE triomphant sur les bords de l’Issel,
Philippe triomphant dans les champs de Cassel,
Toujours victorieux, & toujours intrepide,
Est dans tous ses desirs le seul Nord qui le guide.
Brûlant de l’imiter, sensible à ses appas,
La grandeur du peril ne l’arrestera pas.
Encor si dans l’horreur où ce penser me livre,
Un seul de ses regards m’obligeoit à le suivre ;
Si m’attirant à luy par un heureux effort,
Il trompoit les desseins de mon funeste sort !
Mais trop frivole espoir ! Eloigné de ce Prince,
Je languis dans le fond d’une triste Province,
Où dés que le Zephir paroistra dans nos champs,
Je vay recommencer sur ces mesmes accens.

[Autres à la gloire de ceux qui sont morts au combat de Leuze] §

Mercure galant, décembre 1691 [tome 12], p. 99-103.

 

Voicy d’autres Vers qui ont esté faits sur la mort des vaillans hommes qui ont payé de leur sang les avantages que nous avons remportez au Combat de Leuze.

Magnanimes François, qu’une mort genereuse
Signala dans ces lieux, où Bellone en couroux,
De cent Peuples divers forme une Ligue affreuse ;
Que vostre sort fut beau, qu’il vous dût estre doux
 De finir vos jours avec gloire
  Au sein de la victoire !
***
Rangez avec plaisir dessous vos Etendars,
Le grand nom de Loüis vous menoit aux alarmes ;
Vous avez sous ce nom affronté les hazards,
Sa fortune a par tout accompagné vos armes.
 Vous mourez ; cette mort, Guerriers,
  Vaut les plus beaux Lauriers.
***
Redevable aux efforts de vostre grand courage,
La France a de ses pleurs honoré vos ciprés.
Ce n’estoit pas assez, Loüis fait davantage.
Sa pieté sincere ajoûte à ses regrets,
 Et pour vous icy l’interesse
  Bien mieux que la tendresse.
***
Il vous aima vivans, il vous donna des soins ;
Au delà du tombeau ces soins pour vous s’étendent,
Et s’ils sont comparez, les premiers valent moins.
Chacun pour le bonheur que vos Manes attendent,
 A son exemple glorieux,
  Sollicite les Cieux.
***
Un trépas dont l’honneur avoit pour vous des charmes,
Ne devoit pas couter des pleurs à ce Heros.
Vostre gloire offensée auroit blâmé ces larmes ;
Mais lors que ses souhaits pressent vostre repos,
Quel beau jour dans leurs antres sombres
  Vient briller à vos Ombres !
***
Avec moins de plaisir, quand le Ciel tout d’airain
Refuse à ses besoins les secours de la pluye,
A de soudaines eaux la terre ouvre son sein,
Qu’en ces funebres lieux dont l’horreur vous ennuye,
 Vos Manes bien-tost plus heureux
  Doivent oüir nos vœux.
***
Ministres des Autels, qu’à vos pieux exemples,
Dit Loüis, tout le Peuple à prier excité,
Pour tant de vaillans Morts s’assemble dans les Temples ;
Que la coutume en passe à la posterité ;
 Qu’à ceux qui pour moy se hazardent,
  Les mesmes soins se gardent.
***
On t’obeit, grand Roy. Manes, soyez contents,
Et vous, braves Guerriers, qui pour sauver la France,
Prodiguez vostre vie en ces malheureux temps,
Cherissez, admirez cette reconnoissance,
 Qui craignant le sort des Combats
  S’assure à vos trépas.

[Service solemnel fait à Roanne] §

Mercure galant, décembre 1691 [tome 12], p. 104-106.

 

Le 12. du Mois passé, les Confreres du Saint Sacrement de Roanne firent un Service solennel pour Mr le Mareschal Duc de la Feüillade. La Chapelle étoit toute tenduë de noir, & éclairée de plus de mille Flambeaux, avec les Armes de la Maison d’Aubusson. Au milieu étoit élevée une Representation sur cinq marches, couronnée d’un Dais de velours noir à franges d’argent, & orné de la Couronne Ducale, & du Bâton de Mareschal de France. Mr Duguét, Curé de la Ville de Feurs en Forest, prononça l’Oraison Funébre avec un applaudissement general. Il prit pour Texte ces paroles. Deum timete, Regem honorificate. Craignez Dieu, honorez le Roy. Il y trouva la division, & fit voir que Mr de la Feüillade avoit esté un zelé défenseur de la Couronne, & un zelé défenseur de la Religion. Il exagera d’abord cet attachement si empressé qu’on luy a veu pour le Roy, dont il avoit toûjours plus aimé la personne, que la dignité, & dit qu’il n’y avoit rien en cela de surprenant, & qu’un Prince d’un merite si extraordinaire, se faisoit adorer de toute la terre.

[Service du 7 décembre à l'Eglise Royale de S. Hilaire]* §

Mercure galant, décembre 1691 [tome 12], p. 149-151.

 

Suivant les ordres du Roy, envoyez à tous les Evesques & Ordinaires des lieux, de faire dire un des jours de la premiere Semaine de l'Avent par les Prestres de leur Diocese, une Messe pour le repos des Ames des Officiers, Soldats, & Matelots qui auront esté tuez, ou qui sont decedez pendant la Campagne, Mrs de l’Eglise Royale de S. Hilaire le Grand de Poitiers, dont le Roy est Abbé, ne se sont pas contentez de donner la mesme marque de leur respect, & de leur zele, que donnent toutes les autres. Le Vendredy 7. de ce mois, ils firent un Service avec toute la solemnité possible. Leur Eglise estoit tendüe de noir, & fort éclairée. Mr de la Bourdonnaye Intendant, ainsi que le Presidial, assista à ce Service, où une grande Musique se fit entendre. Mr l’Abbé de la Messeliere, Doyen de ce celebre Chapitre, y celebra la Messe revestu des habits Pontificaux & la Mitre en teste, comme il a accoustumé de faire aux plus grandes solemnitez.

[Satire sur ce que personne n’est exempt d’imperfection] §

Mercure galant, décembre 1691 [tome 12], p. 151-177.

 

Pour vous faire attendre un Ouvrage digne d’estre leu, je n’ay qu’à vous dire qu’il est de Mr de Templery, Gentilhomme d’Aix en Provence. Je vous en ay déja envoyé plusieurs de sa façon, qui vous en ont fait souhaiter d’autres. Ainsi je ne doute point que vous ne me sçachiez gré de ce que je vous fais part de la Satire qui suit.

SUR CES MOTS D’HORACE,
Dans sa troisiéme Satire, que personne n’est exempt d’imperfection.
SATIRE MORALE
A
MADAME LA MARQUISE
DE L’ANGLÉE.

Je vous offre, Marquise, un fidelle portrait,
Où chacun de son vice avoûra quelque trait,
Et je ne vois que vous parmy l’humaine race,
Qui puisse estre à l’abry du Proverbe d’Horace,
Car il faut, pour trouver un esprit bien sensé,
Attendre l’avenir, ou fouiller le passé.
Encor, parmy ces noms de qui l’Histoire éclate,
A peine y voyons-nous un Caton, un Socrate,
Et ces Stoïciens qu’Athenes publioit,
Sont des Originaux qu’Angely copioit.
Ce qu’on dit, sens commun, est un terme barbare,
Car loin d’estre commun, il n’est rien de si rare,
Et ce que l’on appelle esprit subtil & fin,
Est si fin & subtil, qu’il s’exhale à la fin.
Tel croira du bon sens nous montrer la metode,
Qu’il est de ce bon sens luy-même l’Antipode,
Et tel sur la Sagesse osera mediter,
Que sur le ridicule il pourroit commenter.
En un mot, il n’est point de sagesse accomplie,
Et les plus Sages mesme ont un grain de folie.
 Un Avare, en effet, semble estre fort prudent
Quand pour se garantir de plus d’un accident,
Il conserve un Metal que la Nature enserre,
Pour nous marquer son prix, au centre de la terre,
Mais ce Fou neanmoins, nageant dans des flots d’or,
Veut bien mourir de faim auprés de son trésor.
Au lieu de s’en servir, il veut toujours l’accroître ;
Il n’en est que l’esclave, & n’en est pas le Maître.
Il l’adore, il l’encense, & ne joüit, helas !
Non-plus de ce qu’il a, que de ce qu’il n’a pas.
Le mot de dépenser, pour luy c’est un Blasphéme,
Il n’a point d’ennemy plus facheux que luy-même.
Tout jaune de son Or, il ne sçauroit guerir,
Et de la peur de perdre, & du soin d’acquerir.
Le plus friand morceau luy paroist insipide.
S’il veut manger un œuf en son repas sordide,
Il pousse des soupirs, il pleure de regret
De ce que par cet œuf il va perdre un Poulet,
Et ne peut empescher sa douleur de paroistre
A voir, loin du Perou, que le Ciel l’ait fait naistre.
 Avare extravagant, de grace, répons-moy.
A quoy sert cet argent qui fourmille chez toy ?
Veux-tu servir d’exemple à l’avide Tantale,
Qui sans cesse brûlant d’une soif sans égale,
Ne sçauroit l’étancher sur le bord des ruisseaux,
Et toûjours alteré, cherche l’eau dans les eaux ?
Ou comme l’Hydropique, enflé d’une humeur noire,
Plus tu bois, malheureux, & plus tu voudrois boire,
Que te servent tes biens, si tu ne t’en sers pas,
Ces Ecus amassez l’un sur l’autre à grands tas,
Cet or qu’au fond d’un Cofre en monceaux tu confines ?
Va te mettre avec ceux qui travaillent aux Mines,
Qui poudreux d’un Metal qu’ils ne peuvent ravir,
Sont toujours avec l’Or, & n’osent s’en servir.
En ta mort, si Caron de l’autre bord de l’Onde,
Vouloit à prix d’argent te repasser au Monde,
Tu serois, j’en conviens, fort-sage d’amasser
Cet Or qui pourroit seul te faire repasser ;
Mais puisque dés l’instant qu’on entre dans sa Barque,
Il ne repasse plus ni Berger ni Monarque,
A quoy te sert, Avare, avec tes revenus
De vivre en Diogene, & mourir en Cresus ?
 Voyons un autre Fou de differente espece.
C’est un Ambitieux qui regardant sans cesse
Ce que les autres ont, & jamais ce qu’il a,
Voudroit voler plus haut qu’Icare ne vola.
Il croit, ce temeraire, au moment qu’il trébuche,
Avoir des aisles d’Aigle, & n’en a que d’Autruche,
Et voulant s’élever à de trop hauts objets,
On voit ses aisles fondre avec ses vains projets.
D’honneurs, de dignitez, de vent & de fumée,
Il tâche de bâtir sa grande renommée,
Mais embrassant une ombre, il ne s’apperçoit pas
Que, comme un Yxion, il ne tient qu’un brouïllas.
Mal content de son sort, il tâche de paroistre,
Non le même qu’il est, mais tel qu’il voudroit estre.
Son desir est un Ver qui contre luy s’aigrit,
Et ronge incessamment le bois qui le nourrit.
Il voudroit de sa terre étendre les limites
Jusqu’au-dessus du Gange, & confronter les Scythes,
Avoir tout-à-la fois, tant son cœur est hautain,
Les rangs de Boucherat, du Harlay, Pontchartrain ;
Il voudroit de LOUIS .… Tay-toy, Muse peu sage,
Tay-toy ; respecte un Trône à qui tout rend hommage.
Cherche de quelque Fou le portrait racourcy ;
Mais sans le trop chercher, il se presente icy.
 C’est un homme entêté de sa haute Noblesse,
Que sa presomption broüille avec la Sagesse.
On remarque en sa Race un Fideïcommis
D’un ridicule orgueil qui va de Pere à Fils.
Il croit que Mezeray, cette sçavante plume,
N’eust pû sans ses Ayeux composer un volume ;
Que sans le bruit qu’il fait à la Cour, à Paris,
On verroit chez Guerout les Mercures pourris.
Il suffoque les gens, les seche & les chagrine,
Par des Prosnes glacez de sa noble origine,
Et comme Tabarin, d’un stile extravagant
Il vend aux idiots son baume & son onguent.
Puis, cet évaporé de la premiere classe,
Compte avec des jettons les hauts faits de sa race,
Et quand il a compté mille éclatans exploits,
Il quitte les jettons & compte avec ses doigts.
Un tel de mes Ayeux (dit-il) dans l’Allemagne
En l’an sept cens & trois secourut Charlemagne.
Un tel, Mestre de Camp, par des faits inoüis,
Prit d’assaut Damiette aux yeux de Saint Louis :
Cet autre, Colonel, au Siege de Pavie
Prés de François Premier vit éteindre sa vie,
Et mon vaillant Ayeul dont on sçait le renom,
Sans luy Henry le Grand n’auroit pas ce surnom.
 Marquise, convenez qu’un tel Visionnaire
N’a pas appris de vous le bel art de se taire,
Et qu’aux fleaux dont le Ciel punit le Peuple ingrat,
On devroit ajoûter l’entretien de ce fat.
 Un autre sera né sage, honneste & paisible ;
Mais des impressions il est trop susceptible,
Et ce Caméleon, se moulant sur autruy,
Prend toutes les couleurs qui s’offrent devant luy.
C’est un miroir vivant, une glace volage,
Qui de tous les objets represente l’image.
Bien que son naturel le porte à la douceur,
Auprés d’un esprit rude il changera d’humeur.
S’il est avec un lâche, il en retient l’empreinte,
Et sur un tel cachet il s’imprime la crainte.
S’il est né fort sincére, estant prés d’un menteur,
Pour mentir à son tour, il vante sa candeur.
Avec un idiot il devient imbécile.
Enfin au changement il paroist si facile,
Que je ne doute point que s’il voit des galeux,
D’abord il ne se porte à se grater comme eux.
Mais c’est trop. A quoy bon en dire davantage ?
Passons, Muse, passons à quelqu’autre faux-sage.
 Voyons un Nouvelliste, un esprit curieux
De qui la passion se proméne en tous lieux.
Toûjours préoccupé de sa folie extrême,
Il est en mille endroits, & jamais en luy-même,
Et voulant tout sçavoir jusques au moindre bruit,
Il ignore le trouble où son cœur est reduit.
Cet esprit morfondu par la rapide course
Qu’il fait incessamment du Midy jusqu’à l’Ourse,
Va voir dans la Hongrie inonder l’Ottoman,
Effrayer le Danube, & pâlir le Sultan.
Il voit faire à loisir le Siége de Belgrade,
Vaincre les Transilvains par le Prince de Bade,
Et sans rassasier son avide desir,
Il voit dans un combat la mort du Grand Vizir ;
Et puis, dans le Piémont portant son humeur fole,
Il visite Verru, Verceil & Carmagnole.
Il y sçait les secrets des affaires d’Etat,
Ceux du Duc de Savoye, & ceux de Catinat.
Enfin courant toûjours de nouvelle en nouvelle,
Il veut bien de Venise épouser la querelle.
Il suit Morozini, cet illustre Guerrier,
Qui va dans l’Archipel tout couvert de laurier.
 Voyons entrer en lice un autre Atrabilaire.
C’est un faux bel Esprit que la raison éclaire
Tantôt par des rayons, tantôt par de faux jours,
Et qui pour se guinder se tourmente toûjours.
Ses discours sont enflez d’Antitheses forcées ;
Ils sont tout herissez de pointes émoussées.
Il parle sans rien dire, ou plûtôt ce qu’il dit
Fait plaisir à l’oreille, & fatigue l’esprit.
On n’entend qu’un beau son, que des accords frivoles,
Et des riens affaissez sous un tas de paroles.
Dés qu’à son souvenir s’offre un terme empoulé,
Il y tourne les gens comme en un défilé,
Et ses conceptions d’ordinaire estant basses,
Sont parmy ces grands mots des Nains sur des échasses,
Des atomes roulans sur des monts exhaussez,
Et de faux diamans dans de l’or enchassez.
S’il rencontre quelqu’un, il luy jette à la teste
De termes à la mode une horrible tempeste.
On n’entend qu’encenser, estre en veuë, un goût fin,
Vraiment, en bonne foy, sans mentir, car enfin.
S’il aborde Silvie, il luy dira : ma belle,
Vos appas enchantez ont fait un infidelle.
J’ay deserté Philis, pour qui ma passion
Faisoit feu sur toute autre, & damoit le pion.
Je fis quelque chemin, & je l’ay sçû connoître.
J’étois, non fort heureux, mais en passe de l’être ;
Mais dés que je vous vis, vos attraits radieux
Prirent mon cœur d’emblée, en me sautant aux yeux,
Enfin quand par hazard on tombe à son partage,
On se sauve en frayeur, ainsi que d’un naufrage ;
Et l’avoir un quart d’heure une fois frequenté,
Helas ! c’en est assez pour une éternité.
 Si je voulois dresser des Sots la liste entiere.
Le temps me manqueroit plutost que la matiere.
Sur cette vaste mer, ah, que j’irois avant !
Je baisserois la voile, & j’aurois trop de vent.
Chaque flot pousseroit tant de flots de faux sages,
Que Neptune effrayé gagneroit ses rivages ;
Mais pour gagner moy-même un port tant souhaité,
Ne voyons plus icy qu’un autre esprit gâté.
 C’est un homme alteré des eaux de l’Hypocrene,
Un bizarre Rimeur, dont la sterile veine
Ne va que goutte à goutte, & ne pouvant couler,
La froideur de ses vers l’oblige à se geler.
Il s’égare à tout pas de cette noble trace
Qui conduisit Malherbe & Racan au Parnasse.
Tiercelet de Poëte, insecte d’Apollon,
Il rampe sans vigueur dans le sacré Vallon.
Les Muses en ses Vers sont toutes dépoüillées.
La Rime & la Raison y sont toûjours broüillées :
Ils ne peuvent marcher sur leurs pieds froids & nus,
Et semblent enfantez en dépit de Phœbus.
Au bout d’un foible vers il enchasse Climene,
A cause que ce mot rime avecque sa peine.
A force de machine il y tire Philis,
Pour mettre sur son teint les roses & les lis.
Il rêve quinze jours pour voir comme à Caliste
Pourra s’apparier sa vie amére & triste.
Il suë & s’étourdit pour pouvoir écarter
Deux mots d’un mesme son qui voudroient se heurter.
A son esprit opaque il donne la torture
Pour par un mais hors d’œuvre attraper la mesure,
Et pour faire qu’enfin les E qu’on nomme ouverts,
Avec les E fermez ne riment de travers.
Si ses vers sont bouffis de pompeuses paroles,
Qu’importe qu’ils soient durs, que leurs rimes soient moles ?
Bien qu’on ne puisse oüir ses vers impunément,
Car un grand mal de teste en est le chastiment,
Ce Nigaut toutefois, par certaines surprises,
Trouve d’autres Nigauts qui vantent ses sottises.
Il frequente, il connoît des gens mesme d’éclat ;
Mais moy, qui, grace au Ciel, fuis l’entretien d’un Fat,
Avec les innocens jamais je ne me risque,
Et ne sçaurois aimer que ceux qu’on met en bisque.
 Peut-estre on me dira : Toy qui parles des Sots,
Ne l’és tu pas toy-mesme avec ton jeu de mots ?
Par ce mot d’Innocens joüant de la parole,
En ta propre Satyre ajoûte encor ton rôle.
 Je l’ay dit, il est vray ; mais un terme plaisant,
Pour m’égayer moy-mesme, est-ce un crime si grand ?
Si je devois icy fournir mon personnage,
N’ay-je pas pour cela cent défauts en partage ?
N’ay-je pas une humeur à ne rien endurer,
Toujours lente à complaire, & prompte à censurer ?
N’ay-je pas des dégouts qui vont à la manie ?
Helas ! pour applaudir ay-je quelque genie ?
Avec tous mes efforts ay-je pu sçavoir l’art
De faire un composé de l’encens & du fard ?
Ay-je appris ce secret que par tout on renomme,
De travestir un Sot, & le rendre habile homme ?
A souffrir un Rieur je n’ay point de talent.
A vanter mes écrits je suis mesme insolent.
A draper nos Sçavans quelquefois je me risque ;
Tout cela vaut bien moins qu’un innocent en bisque.
Par là plus justement aux yeux de mon Lecteur
Je pourrois prendre icy le rôle d’un Acteur,
Car enfin mes défauts passant l’Arithmetique,
Je puis les ranger tous par ordre alphabetique.
 Mais quelque grands qu’ils soient, ô Marquise, entre nous,
Par une qualité je les efface tous,
Dont je fais plus de cas que de toutes les autres,
Et c’est la qualité de connoître les vostres,
De sçavoir refléchir sur cette honnesteté
Qui va d’un pas égal avec vostre bonté,
De sçavoir admirer cette grande droiture
Dont on ne sçauroit faire assez bien la peinture,
Cette force d’esprit, cette élevation
Que la France regarde avec attention,
Ces nobles sentimens à qui rien ne déroge,
Et dignes d’un autel, plutost que d’un éloge,
Cette rare candeur, & cette bonne foy
Qui contraignent l’envie à parler comme moy.
En un mot par ces Vers & par ma voix encore,
Je veux qu’on sçache enfin combien je vous honore
Pour vos hautes vertus qui font de si grands bruits,
Non autant que je dois, mais autant que je puis.

[Tout ce qui s’est passé à la reception de Mr Pavillon à l’Académie Françoise] §

Mercure galant, décembre 1691 [tome 12], p. 177-200.

 

Le Lundy 17. de ce mois, Mr Pavillon dont le merite est si generalement connu, fut receu à l’Academie Françoise en la place de Mr de Benserade. L’Assemblée estoit fort nombreuse, & composée de personnes d’une tres-grande distinction. Il commença son Compliment par un remerciment fort poly à Mrs de l’Academie, & leur dit avec sa modestie ordinaire, qu’il voyoit bien que le choix qu’ils avoient fait de sa personne, pour remplir la place demeurée vacante, estoit plûtost une marque de la liberté de leurs suffrages, qu’une preuve du merite qu’ils avoient bien voulu croire en luy. Il fit ensuite l’Eloge de Mr de Benserade à qui il a succedé, & aprés avoir parlé des soins que le Cardinal de Richelieu, Instituteur & premier Protecteur de l’Academie avoit eus de l’élever, il loüa ce grand Ministre, qui paroissoit pourtant n’avoir fait que préparer les voyes pour les grandes choses que le Roy fait tous les jours, & n’avoir fondé l’Academie, qu’afin de former des gens, qui sçeussent mettre ces Merveilles dans leur jour. Il dit aussi quelque chose de Mr le Chancelier Seguier, second Protecteur, qui avoit continué à favoriser cette Compagnie dans les mêmes veuës de celuy qui l’avoit instituée. Aprés cela, il parla du Roy d’une maniere où il sembloit que l’on ne fust point encore accoustumé, & en faisant voir la difference de ce que nos Peres avoient veu avec ce que nous voyons aujourd’huy, il dit qu’on avoit veu autrefois l’Espagne occuper seule toutes les forces de la France, & que les Conquestes du Roy l’avoient si fort abatue, qu’à peine la comptions-nous présentement au nombre des Alliez qui se sont liguez contre ce Monarque. Il finit en disant à Mrs de l’Academie, qu’éclairé de leurs lumieres, & encouragé par leurs exemples, il tâcheroit de contribuer à l’ouvrage où ils se sont destinez, qui est à tout ce qui regarde la Gloire & la Grandeur de Sa Majesté. Ce Discours estoit si beau, & fut prononcé d’une maniere si noble, que les Auditeurs ne se lassoient point de marquer par leurs applaudissemens la satisfaction qu’ils en recevoient. Je vous l’aurois envoyé si i’avois pu en avoir une Copie. Mr Charpentier luy répondit comme Doyen de la Compagnie, en l’absence du Directeur & du Chancelier. Son Discours receut aussi de grandes loüanges, & le hazard ayant fait qu’il me soit tombé entre les mains, je n’ay pas voulu vous laisser dans une plus longue attente d’une Piece d’Eloquence, si universellement approuvée.

RÉPONSE
DE Mr CHARPENTIER
Au Remerciment de Mr Pavillon
lors qu’il fut receu à
l’Academie.

Aprés la dangereuse maladie dont je fus frappé l’Eté dernier, je ne croyois pas Monsieur, me trouver aujourd’huy en estat de vous introduire dans l’Academie Françoise, à la place vacante par le décés de Mr de Benserade. La Compagnie a perdu en luy un de ses principaux ornemens. C’estoit un esprit original & qui ne devoit qu’à luy seul toute sa reputation. Sans rien emprunter des Anciens, ny mesme les avoir trop bien connus, il les a égalez, & si l’on apperçoit dans ses Ecrits quelques-unes de leurs pensées, c’est un effet du hazard plûtost que de l’imitation. Il a montré qu’il se pouvoit faire encore quelque chose de nouveau sous le Soleil, & ce caractere de nouveauté luy a esté si naturel, que si tost qu’il l’a voulu abandonner, il n’a plus esté le mesme, & le commerce qu’il avoit avec les Graces, demeuroit interrompu quand il travailloit sur d’autres idées que les siennes. Cette perte, Monsieur, est reparée par l’union que vous prenez avec l’Academie. L’estime que vous vous estes acquise fait remarquer en vous des talens qui ne sont pas moins précieux que ceux de cet illustre Mort, quoy qu’ils soient assez differens. Vous avez joint à la vivacité de l’esprit, & au brillant de l’invention, la varieté d’une profonde Litterature ; & la comparaison qu’on peut faire entre vous deux, justifie ce que Ciceron a pensé de l’Eloquence, quand il a dit que deux Orateurs pouvoient estre parfaits sans se ressembler. La Charge d’Avocat General du Parlement de Mets, que vous avez exercée avec un applaudissement universel, les excellentes Pieces de Vers & de Prose qui vous sont depuis échapées dans le repos de vostre Cabinet, ont mis hors de doute qu’il n’y a pas de genre d’écrire où vous ne réussissiez parfaitement. Comme c’est à ce merite que l’Academie est uniquement attentive dans ses Elections, je ne m’arresteray point, Monsieur, à considerer en vous l’étroite affinité que vous avez avec un Ministre, dont l’intelligence & l’integrité connuës, font que le Roy se repose sur luy de ses plus importantes affaires, & particulierement de la conduite de ses Finances, qui sont les nerfs de la guerre, ou pour mieux dire, les principaux ressorts de la machine politique. Il ne faut point chercher hors de vous-mesme les choses qui vous rendent estimable. Cependant, Monsieur, je ne puis m’empêcher de refléchir sur la memoire d’un saint Evêque, à qui vous avez esté si étroitement uny par les liens du sang. L’éclat de sa pieté, & de ses autres vertus, rejallira éternellement sur vous, & tout le Clergé de France, qui le regarde comme une de ses plus vives lumieres ; le Diocese d’Alet, qui a esté l’heritage que le Seigneur luy avoit donné à cultiver ; en un mot, le Royaume entier qui a si souvent profité de ses instructions & de ses exemples, auront toujours une singuliere veneration pour luy, & une estime tres sincere pour tout ce qui porte son nom. Vous sçavez, Monsieur, que le Cardinal de Richelieu, qui l’avoit engendré en l’Episcopat, a aussi jetté les premiers fondemens de l’Academie, & à moins que les choses d’icy-bas ne soient tout-à-fait indifferentes à ces Ames bien-heureuses qui sont en possession de la Gloire, il semble que le Grand Armand ne peut s’empêcher de se réjoüir, en voyant entrer dans cette Compagnie, qui a esté son Ouvrage chery, le Neveu d’un homme qu’il avoit élevé à la premiere dignité de l’Eglise, & qui a fait tant d’honneur à son choix. N’oserois-je dire, Messieurs, que ce grand Cardinal s’applaudit jusque dans le Ciel, d’une si noble & si utile institution que la vostre, quand il se represente les avantages que toute la France en retire, soit pour la prédication de l’Evangile, soit pour la défense de la justice & des Loix ? Quel spectacle pour luy de vous voir occuper une partie de ce Palais auguste, & qu’il vous soit permis desormais de philosopher sous le Dais & dans la Pourpre ! Mais avec quel étonnement remarque-t-il que le Fils & l’Heritier de son cher Maistre, & de son magnifique Bienfaicteur, a bien voulu prendre aprés luy la qualité de Protecteur de l’Academie Françoise, & se declarer par un pur effet de l’amour des Lettres, le Successeur d’un de ses Sujets ? N’est-ce pas par un effet de ce mesme amour qui ne s’éteindra jamais en son cœur, que s’interessant à l’honneur de vos Elections, dont il vous laisse la liberté toute entiere, il vous exhorte de jetter toujours les yeux sur des personnes d’un merite le plus distingué, sans vous abandonner ny au torrent des brigues, ny au panchant de vos propres inclinations, & ne s’en est-il pas expliqué de la sorte, lors que le Scrutin de cette derniere Election luy fut presenté ? C’est ainsi que l’autorité suprême, qui décide de tout absolument, & qui ne parle que pour estre obeïe, veut bien vous declarer ses volontez, plûtost par maniere de conseils qu’en termes de commandement, ce qui marque pour vous de certains égards qui vont, s’il faut ainsi dire, jusqu’à la delicatesse. Trouvera-t-on rien de pareil dans cette longue suite de Monarques, qui depuis plus de douze cens ans se sont assis sur le Trône des François ? Il faut l’avouër, Messieurs, nos Ancestres ont eu peu de goust pour les exercices de l’esprit. Nos premiers Rois les ont totalement negligez. Les uns ont retenu long-temps je ne sçay quelle teinture de barbarie, qui n’a que trop paru par les cruautez qu’ils ont exercées sur leur propre Sang. D’autres, au contraire, se sont plongez dans une molesse qui à la fin leur a esté fatale, & leur a fait perdre une Couronne dont leur faineantise les rendoit indignes. La premiere alliance des Armes & des Lettres a paru parmy nous, sous le regne d’un grand Roy & grand Empereur, dont les glorieuses inclinations auroient eu sans doute tout le succés qu’on en devoit attendre, si les guerres qui s’éleverent entre ses propres Enfans, n’eussent empêché ces heureuses semences de germer. D’ailleurs, la matiere mesme de l’Eloquence n’estoit pas encore bien disposée à produire de grands effets. La Langue des François, à qui je n’aurois pas osé pour lors donner le nom de Langue Françoise, n’estoit composée que d’un bon Allemand & d’un méchant Latin ; & que pouvoit il sortir d’excellent de ce mélange ? Il estoit reservé à LOUIS LE GRAND, de bastir le Temple de l’Eloquence Françoise, qui est un Ouvrage d’autant plus admirable, que c’est un pur Ouvrage de la raison. Ce lieu-cy, Monsieur, ne retentit que des loüanges de ce Prince, qui est l’Auteur de tant de merveilles, & en qui nous trouvons toutes les causes de nostre bonheur. Tantost on y celebre son nom sous le titre de Vainqueur perpetuel, tantost sous celuy de Legislateur. D’autrefois nous le regardons comme le Défenseur de la Religion, le Vangeur des Loix, l’unique Recours de l’innocence persecutée, l’infaillible Support du merite infortuné. Penetrez de ses vertus nous en parlons incessamment, & nous n’en parlons qu’avec transport. Vous le verrez, Monsieur, toutes les fois que vous vous rendrez icy. Vous ne nous prendrez point au dépourveu. L’experience vous fera connoistre que LOUIS LE GRAND est le principal objet de nos entretiens, & que tout ce qui ne nous parle point de luy, nous semble indigne de nous occuper.

Mr Charpentier ayant cessé de parler, demanda selon la coûtume, si aucun des Academiciens n’avoit rien à lire. Mr l’Abbé de la Vau dit, que quoy que ce jour fust en quelque sorte entierement destiné au couronnement de Mr Pavillon, il ne laissoit pas d’estre celuy des obseques de Mr de Benserade, & qu’il croyoit que la Compagnie seroit bien-aise d’entendre quelques Ouvrages de pieté qu’il avoit faits dans les derniers jours que le mal dont il est mort avoit pû luy laisser libres. Il leut ensuite un Acte de foy, un Acte d’humilité, & la Paraphrase de l’Oraison dont se sert l’Eglise lors qu’elle prie pour le Roy. Ces petites Pieces de Poësie receurent l’applaudissement qu’elles meritoient ; & aprés cela le même Mr l’Abbé de la Vau leut le commencement d’un Poëme de Mr Perrault, intitulé, La Creation du Monde. On y trouva des Descriptions tres-vives, & tout le monde demeura d’accord que son Auteur estoit né veritablement Poëte.

Il y a grande apparence que le mois prochain il se fera à l’Academie Françoise une ceremonie de cette même nature, pour remplir la place de Mr le Clerc, mort icy le 8, de ce mois. Il estoit natif d’Alby en Languedoc, d’où estant venu fort jeune à Paris, il s'y fit d’abord connoistre par une Tragedie, intitulée Virginie, qui eut un fort grand succés. Sa reputation s'augmenta par la traduction qu'il fit en Vers des cinq premiers livres de la Jerusalem delivrée du Tasse. Le bruit de son merite, & sur tout de sa probité, luy acquit l’estime de quelques Seigneurs de la Cour, & les obligea à s'’interesser dans sa fortune, en l’attachant à eux successivement par des liens utiles & agreables. La facilité de ses moeurs, & la bonne foy qu’il gardoit en toutes choses, luy firent beaucoup d’Amis. Il estoit un des anciens de l’Academie Francoise, & il s’y est distingué souvent par la lecture de plusieurs Ouvrages de Poësie, qui ont fait honneur aux Assemblées qu’on a coutume de faire, toutes les fois qu’on reçoit quelque Académicien nouveau. Il s’est toujours attaché à remplir tous les devoirs d’honneste homme, d’Amy, & de bon Chrestien. Sa pieté redoubla sur tout dans ses dernieres années, & le disposa à cette parfaite resignation qu’il a fait voir quand on luy a fait connoistre qu’il se devoit résoudre à mourir.

[Histoire] §

Mercure galant, décembre 1691 [tome 12], p. 204-231.

 

La Vertu a de grands charmes, & elle se fait souvent des Adorateurs de ceux mesmes qui s’oublient assez pour la vouloir attaquer. Un Cavalier estimé par son esprit, & par ses manieres, ainsi que par sa naissance, & ce qui est encore beaucoup plus considerable, devenu fort riche par la mort de son Ainé qui luy avoit laissé de grands biens, rencontra un jour une fort jolie personne chez une Dame de ses Amies, à qui il rendoit d’assez frequentes visites. C’étoit une Brune de fort belle taille, qui joignoit à une beauté piquante, quoy qu’irreguliere, tout ce qu’un esprit aisé a d’engageant pour ceux qui se sentent de la disposition à la tendresse. Dans tout ce qu’on luy disoit, ses responses estoient vives, & pour peu qu’on l’entretinst, elle laissoit échaper un enjouement naturel qui la rendoit tout aimable. Ces avantages estoient soustenus d’une grande modestie, & c’estoit assez que de la voir, pour estre persuadé que sa conduite étoit pleine de sagesse. Tout cela parut au Cavalier dans la conversation, où il la força d’entrer, & qu’il prolongea le plus qu’il luy fut possible. Aprés qu’elle fut partie, il parla fort long-temps d’elle, & ne pouvant s’empescher d’en faire l’éloge, il le fit avec des termes qui marquerent à la Dame qu’ils estoient l’effet d’un mouvement plus pressant, que celuy de rendre justice à la verité. La Dame loüa son discernement & son bon goust, & aprés avoir exageré le merite de cette aimable personne, & luy avoir dit qu’il ne luy manquoit qu’une fortune proportionnée à ses belles qualitez, elle ajoûta que c’estoit à un homme comme luy de mettre le comble à ce que le Ciel avoit fait pour elle ; qu’ayant recueilly une Succession fort considerable, lors qu’il s’y estoit le moins attendu, il se montreroit vraiment genereux s’il vouloit luy en faire part en l’épousant ; que son choix ne pourroit manquer d’estre approuvé de tous ceux qui auroient le cœur bien fait, puis qu’il tomberoit sur une Fille de naissance, estimée de tout le monde, & qui meritoit plus qu’aucune autre, qu’on s’interessast à la rendre heureuse ; que luy estant obligée de sa fortune, elle n’auroit d’autre soin que de lui prouver par ses complaisances & par sa tendresse, que son cœur seroit veritablement à luy, & qu’en fait de Mariage, la droiture de l’esprit, l’égalité de l’humeur, & l’attachement à remplir tous ses devoirs, estoient ce qu’il falloit préferer à toutes choses. Le Cavalier répondit à son Amie qu’il se conduiroit volontiers par ses conseils, mais que s’agissant d’un engagement le plus important de toute sa vie, il estoit juste qu’il connust un peu à fond ce que ses yeux luy avoient peint fort aimable, & que si pour acquerir cette connoissance elle vouloit bien luy donner accez chez la Demoiselle, il lui feroit voir, pourveu qu’il eust l’avantage de luy plaire, que son peu de bien ne seroit point un obstacle à ce qu’elle pouvoit se promettre du tendre amour qu’il se sentoit disposé à prendre pour elle. La Dame se chargea avec plaisir de faire agréer ses visites à la Belle, qu’elle disposa à les recevoir avec l’agrément que meritoient les sentimens favorables qu’il faisoit paroistre. Elle estoit en quelque façon sous la conduite d’une Sœur Ainée bien plus âgée qu’elle, & qui estoit Veuve depuis quelque temps, & l’une & l’autre dependoit d’un Pere qui les faisoit subsister, ainsi que deux Fils qu’il entretenoit dans les études, de ce qu’il pouvoit tirer d’un Employ qu’il exerçoit, & dont les appointemens faisoient toute sa fortune. Quoy que le Cavalier fust fort honneste homme, & que la probité qui luy estoit naturelle servist de regle à toutes ses actions, l’envie de s’engager pour toujours luy faisoit moins souhaiter d’estre receu chez l’aimable Brune, que l’esperance de se faire un amusement agreable pour passer certaines heures, que beaucoup de gens semblent trouver de trop dans leur vie. Il estoit fort liberal. On luy disoit que la Belle n’avoit presque pas de bien, & il croyoit qu’en luy faisant des Presens utiles, il viendroit à bout d’entrer dans sa confidence, & l’engageroit en se rendant necessaire, à ne se pouvoir passer de le voir, sans qu’il fust besoin qu’il parlast de Mariage. Ses visites, quoy que fort frequentes, furent agréées, & il trouva dans l’une & dans l’autre Sœur, des honnestetez qui le charmerent. L’Ainée avoit beaucoup de vertu, & l’esprit bien fait, & comme elle souhaitoit avec passion l’établissement de sa Cadette, elle menageoit au Cavalier toutes les occasions de l’entretenir en particulier, que la bienseance luy pouvoit permettre. Il reconnut dans cette jeune personne des sentimens élevez, & dignes de sa naissance. Malgré l’enjouement de son humeur, elle avoit toute la solidité d’esprit que font acquerir les longues années, & quoy qu’elle eust toujours une grande retenuë dans tout ce qu’elle luy disoit de plus obligeant, il luy fut aisé de s’appercevoir en peu de temps, que quand il voudroit se declarer, on luy répondroit favorablement, mais son dessein n’estant pas de se haster, il s’empressa seulement à se rendre familier avec la Belle, & luy ayant fait des offres envelopées qu’elle rendit inutiles, en détournant la matiere, sans vouloir l’entendre, il crut en devoir venir aux effets d’une maniere galante, & qui ne la pust fascher, afin de luy faire voir qu’elle avoit en luy un Amy à toute épreuve. Un soir qu’il sortit exprés fort tard de chez elle, il feignit de craindre d’estre volé en s’en retournant chez luy, & la pria de vouloir, bien luy garder sa Bourse, où il avoit mis deux cens Loüis. Elle s’en chargea sans en faire aucun scrupule, & le lendemain elle receut un Billet, par lequel il luy marquoit qu’il estoit party pour un voyage de huit ou dix jours, dont il n’avoit pû se dispenser, Son argent qu’il luy laissoit avec tant de confiance, luy fit connoistre qu’il avoit choisi ce temps à dessein de l’en rendre la maistresse, & elle en fut convaincuë, lors qu’à son retour luy ayant rendu une fort longue visite, il prit congé d’elle sans luy en parler. Il estoit déja dans l’antichambre, & s’en alloit fort content de ce qu’il sembloit qu’elle voulust bien ne se pas souvenir qu’elle eust sa bourse ; mais elle avoit l’ame trop bien faite pour luy laisser cette joye. Elle courut aprés luy, & l’ayant prié de s’arrester, elle luy dit en riant qu’elle vouloit dormir en repos ; que le dépost qu’elle avoit entre ses mains l’avoit trop inquietée, sa cassette ne luy semblant pas un lieu assez seur pour en répondre, & qu’il rentrast un moment tandis qu’elle iroit jusqu’en sa chambre. Sa réponse fut qu’il avoit marqué une heure pour terminer une affaire qui luy estoit de la derniere importance, & il sortit aussi-tost sans rien vouloir écouter de plus. La Belle ne le revit pas plûtost le lendemain, qu’elle luy montra sa bourse, & voulut qu’il la reprist. Il s’en défendit longtemps, & la conjura avec de grandes instances de vouloir bien la garder jusqu’à ce qu’il eust besoin de son argent, en luy laissant toutefois la liberté toute entiere de s’en servir, s’il arrivoit qu’elle eust quelque emplette à faire ; mais il ne put luy faire entendre raison sur cet article. De quelque maniere qu’il pust tourner sa galanterie, elle se montra inébranlable sur le refus, & mesme un peu fierement, & aprés de longues contestations, il fut enfin obligé de reprendre le dépost. Il chercha encore d’autres moyens de luy faire des presens, mais tous les efforts qu’il fit là-dessus demeurerent inutiles, & l’estime que luy donna pour cette aimable Personne une vertu si peu ordinaire, ayant redoublé sa passion, il eut pour elle l’attachement le plus tendre & le plus sincere qu’elle pouvoit desirer. Cependant trois ou quatre mois s’étant écoulez sans qu’il eût produit ce qu’on avoit sujet d’en attendre, la Sœur aisnée le força de s’expliquer, en luy disant que son Pere, qui apprehendoit les mauvais contes, vouloit ou qu’il épousast sa Fille, ou qu’il renonçast entierement à la voir. Elle ajoûta que pour ne le point surprendre, il l’avoit encore chargée de luy dire que s’il avoit dessein d’en faire sa Femme, il n’en devoit attendre aucune autre chose que la part qu’elle pourroit avoir à son bien aprés sa mort, ses affaires ne pouvant permettre qu’il luy fist aucune avance. La condition n’embarassa point le Cavalier. Il répondit de tres bonne foy qu’il ne souhaitoit rien avec plus d’ardeur que ce mariage, & la pria seulement de faire en sorte qu’on luy voulust bien accorder encore un mois avant que de luy parler de rien conclurre, parce qu’il luy estoit d’une fort grande importance de voir quel succés auroit une affaire, dont de jour en jour il attendoit des nouvelles. La Belle ayant appris de sa Sœur ce qu’elle avoit dit au Cavalier, fit aller encore sa sincerité plus loin. Elle ajoûta que la part que luy reservoit son Pere sur le bien qu’il laisseroit en mourant, n’estoit qu’une pure illusion ; qu’il étoit si vray que s’il l’épousoit, il ne devoit compter que sur sa personne, que comme, malgré tout son enjoûment, elle avoit compris dés ses plus tendres années l’inutilité de ce qui nous flate le plus dans la vie, elle auroit dés ce temps-là suivi le panchant qui l’attiroit dans un Monastere, si elle avoit eu de quoy y pouvoir estre receuë ; qu’elle vouloit bien luy avouër, que cette vocation ne s’estant point rallentie, elle ne demeuroit dans le monde que parce qu’il luy estoit impossible d’en sortir, & que quelque amour qu’il eust pour elle, il ne devoit point estre jaloux des sentimens qu’elle luy marquoit, puis qu’il estoit juste que son cœur fust plus touché de Dieu que des hommes. Le Cavalier toujours plus charmé d’une si rare vertu, l’assura d’une tendresse qui l’obligeroit de contribuer toute sa vie à ce qui pourroit la rendre heureuse, & ayant continué à luy rendre encore ses soins quelque temps avec des témoignages d’amour extraordinaires, il tomba tout d’un coup dans un chagrin dont la Belle fut surprise. Elle ne voulut point luy dire d’abord ce qu’elle en pensoit, & le voyant plus resveur de jour en jour, & moins empressé à luy parler de sa passion, elle le pria enfin de ne luy point déguiser la cause du trouble qu’elle remarquoit dans son esprit. Le Cavalier soupira, & aprés luy avoir dit d’un ton à persuader la plus incredule, que tant qu’il vivroit elle seroit ce qu’il auroit de plus cher, il luy découvrit qu’estant né Cadet & avec fort peu de bien, il avoit esté à Rome, où des veuës qu’il avoit euës pour des Benefices l’avoient obligé de se faire Abbé ; qu’il en avoit vaqué quelques-uns des plus importans, qu’on ne pouvoit posseder sans estre Sous diacre ; que sur l’assurance que ses Amis luy avoient donnée de les luy faire obtenir, il s’estoit soumis à prendre cet Ordre ; qu’aussi tost aprés ayant eu avis de la mort de son Aîné, il estoit revenu en France pour recueillir sa succession ; qu’il y avoit pris l’Epée, ne doutant point qu’on ne luy fist avoir la dispense de l’Ordre qu’il avoit pris, & qu’aprés plus d’une année de poursuites, on luy mandoit qu’on s’y estoit employé inutilement, & qu’il ne devoit jamais l’esperer, à cause qu’il avoit fait les fonctions de Sous-Diacre en plusieurs ceremonies de l’Eglise. Il luy dit ensuite que ce mauvais succés l’ayant fait rentrer en luy mesme un peu serieusement, il avoit conceu aussi bien qu’elle l’importance du salut, & qu’il estoit résolu entierement de se rendre à son devoir en menant la vie d’un veritable Ecclesiastique ; qu’il ne pouvoit luy cacher que l’aimant fort tendrement, il ne verroit point sans déplaisir qu’un autre obtinst un bonheur où il ne luy estoit plus permis de prétendre, & que si sa vocation duroit toujours, comme il avoit sujet de le croire, elle n’avoit qu’à luy nommer le Convent où elle voudroit entrer ; qu’il se chargeroit du reste, & qu’il feroit là-dessus tout ce qu’on pouvoit attendre d’un parfait Amy. La Belle ayant fait paroistre pendant son discours, toute la tranquillité d’un esprit qui se possede, luy répondit avec des marques d’une joye sensible, que si elle avoit refusé obstinément jusque-là tous les presens qu’il avoit voulu luy faire, elle avoit cru se devoir permettre cette fierté pour des choses qu’elle regardoit comme purement du monde, mais que s’agissant de luy ouvrir une voye dans laquelle elle avoit toujours souhaité marcher, elle acceptoit avec la plus forte & la plus sincere reconnoissance ce qu’il offroit de faire pour elle. Je ne dis rien des loüanges qu’elle luy donna sur la resolution qu’il avoit prise. Il n’en differa l’execution que pour s’acquitter de sa parole. Sitost qu’elle eut choisi le Convent où elle avoit dessein de passer sa vie, aprés en avoir eu la permission de son Pere, il y porta une somme assez considerable pour la faire regarder comme bienfaictrice. Elle y prit l’habit peu de temps aprés, & il alla s’enfermer dans un Seminaire, où tous ses soins furent de se préparer à recevoir l’Ordre de Prestrise. Le temps où la jeune Religieuse devoit se rendre Professe, étant arrivé, il demanda à faire l’exhortation dans cette ceremonie. Comme on sçavoit qu’il l’avoit aimée fort tendrement, la curiosité attira une tres-grande assemblée. Jamais Discours ne fut plus touchant. Il tira des larmes de tous ceux qui l’entendirent, & fit naistre mesme à quelques-uns l’envie de quitter le monde.

Epistre de Monsieur de Lully à Mademoiselle de La Guerre §

Mercure galant, décembre 1691 [tome 12], p. 231-242.

 

Je vous envoye une galanterie qui a esté faite pour Mademoiselle de la Guerre, dans laquelle on suppose que Mr de Lully luy écrit des Champs Elisées. L'opera dont il est parlé dans cet Ouvrage, n'a pas encore esté representé, mais il est trouvé digne de l'attention du Public, & ceux qui aiment la Musique, & qui s'y connoissent le mieux, demeurent d'acord que cette admirable personne travaille avec autant d'agrément que de science pour tout ce qui regarde le Chant.

EPISTRE
DE MONSIEUR
DE LULLY
A MADEMOISELLE
DE LA GUERRE
Envoyée le jour de sainte Cecile par une Ombre, avec une Couronne de Laurier, accompagnée de jolis présens, enfermez dans une boëte, sur laquelle estoit cette inscription.
A LA PREMIERE
MUSICIENNE
DU MONDE.

Muse, je vous écris, des Isles fortunées,
Ou le Ciel revestu de son plus bel azur,
D'un Printems éternel enchaisne les Années,
Et conserve toûjours un air serein & pur.
***
Là, la Terre riante étale dans ses Plaines
Un Tapis émaillé de toutes les couleurs,
Que par mille détours arrosent des Fontaines
Dont les bords sont parez des plus aimables fleurs.
***
Là, les bois toûjours verds cachent sous leur feuillage
Un amas infini de voltigeans Oiseaux,
Dont sans cesse on entend l'harmonïeux ramage
Se mesler au doux bruis des gazouillans Ruisseaux.
***
Là, les jeunes Garçons, & les tendres Fillettes
Dansent souvent ensemble aux folâtres Chansons,
Et formant un Concert d'agreables Musettes,
Vont bondissant sur l'herbe animez par leurs sons.
***
Là, l'appareil pompeux des plus superbes Tables
Offre tout à souhait pour les gouts les plus fins.
On y sert quelque fois des Mets si délectables,
Qu'il n'en est point de tels, même aux Banquets divins.
***
Au reste, on n'y connoist ny la triste Vieillesse,
Ny les Maux déplaisans, ny les facheux Soucis.
Au contraire, on y voit la badine Jeunesse
Toûjours accompagnée & des Jeux & des Ris.
***
Ces beaux lieux, en un mot, sont les Champ Elizées,
Le Sejour enchanté des biens les plus parfaits,
Où les Ames des Morts à vivre apprivoisées
Sont si bien, que de là nul ne revint jamais.
***
Je vous dépeins ces lieux pour vous en faire envie,
Seur que vous y viendrez, comme moy quelque jour ;
Car tel est, tost ou tard, le destin de la vie
Que dans l'Urne fatale on a chacun son tour.
***
De quelques biens pourtant que ce pays abonde,
Croyez-moy, n'allez point vous hâtez d'y venir.
Vivez, & conservez vos jours pour l'autre monde.
Puissent des jours si chers de longtemps ne finir.
***
Qu'ainsi soit. Permettez que je vous felicite
Sur un bruit qui commence à se respandre icy.
Quelques Musiciens, gens du premier merite,
Vous offrent de leur part des Complimens aussi.
***
Du Train de l'Opera demandant des nouvelles
Aux Mortels depuis peu descendu icy bas,
Ils m'en ont à l'envy debité des plus belles,
Et m'ont dit que là haut vous faisiez grand fracas.
***
Qu'on vantoit à la Cour, de mesme qu'à la Ville,
Un Opera nouveau, que vous avez donné,
Et quoy qu'on vous connust pour femme tres-habile,
Que d'un si grand travail on étoit étonné.
***
L'entreprise, il est vray, n'eut jamais de pareille.
C'est ce qu'en vostre sexe aucun Siecle n'a veu,
Et puis qu'il devoit naistre une telle Merveille,
Au Regne de LOUIS ce prodige étoit deu.
***
A ce fameux Heros j'eus le bonheur de plaire.
Il daigna de tout temps écouter mes Concerts.
Ce que j'ay fait pour luy, c'est à vous de le faire.
Vous devez succeder à l'honneur que je perds.
***
Déja ce Roy puissant connoist vostre genie.
Déja plus d'une fois vous l'avez sçu charmer
Par les plus doux accords qu'enfante l'harmonie.
Et que faut-il de plus pour se faire estimer ?
***
C'est ce genie heureux, que hautement j'admire,
Qui seul peut dignement divertir un Grand Roy.
L'effet justifira ce que je viens de dire.
Sans doute le Public parlera comme moy.
***
Muse, à la verité je rends ce témoignage ;
Et pour vous confirmer un si sincere aveu,
J'ay voulu sur le champ vous envoyer un gage,
Qui de soy vaut beaucoup, encor qu'il couste peu.
***
C'est un petit Laurier, qui forme une Couronne.
D'un merite parfait quel plus digne Ornement !
Cette marque d'honneur que je vous abandonne,
Temoigne assez pour vous mon applaudissement.
***
Je vois l'illustre Chef des Filles de Memoire
Prest à vous couronner sur le sacré Vallon ;
Mais enfin, si j'en crois ce qu'on dit à ma gloire,
L'estime de Lully vaut celle d'Apollon.
***
Ce soir, pour celebrer nostre commune Feste,
Nous devons largement boire à vostre santé,
Orphée, Amphion, Moy, Trio d'Ombres honneste.
Nous esperons aussi que de vostre costé
Vous nous ferez raison vostre couronne en teste.
***
Escrit aux Champs Eliziens
Le grand jour des Musiciens.

[Nouvelle Médaille]* §

Mercure galant, décembre 1691 [tome 12], p. 242-244.

 

Je vous envoye une Medaille qui a esté frappée sur les Victoires remportées par sa Majesté l’année derniere. Elles le firent appeller à juste titre Vainqueur sur Terre & sur Mer, puis qu’aprés la Bataille de Fleurus il vainquit les Flotes d’Angleterre & de Hollande, unies contre nous, & que ce Triomphe fut suivi des avantages qui nous demeurerent dans le Combat donné proche de Staffarde. Ces actions qui sont dignes d’une éternelle memoire, ne doivent pas estre seulement gravées sur le Cuivre, mais sur le Bronze, & sur tout ce qu’il y a de plus durable pour les transmettre à la Posterité la plus reculée, s’il est possible que ceux qui viendront plusieurs Siecles aprés nous, donnent croyance aux Prodiges que nous avons peine à croire nous mesmes, quoy que nous en soyons tous les jours Témoins.

Air nouveau §

Mercure galant, décembre 1691 [tome 12], p. 294-295.

Je vous envoye une Chanson nouvelle que vous trouverez du temps, & propre à chanter à Table.

AIR NOUVEAU.

Avis pour placer les Figures : l’Air doit regarder la page 294.
Maugré les Huguenots, & le Prince d'Orange,
Je faison en paix la Vendange ;
Nostre bon Roy defend nostre raisin
Il ont biau ly faire la Guerre,
Il ne feront morguié que de liau toute claire,
Et nou, je feron de bon vin.
images/1691-12a_294.JPG

[Avis] §

Mercure galant, décembre 1691 [tome 12], p. 328-329.

 

On donnera le 15. de ce mois le huitiéme Entretien sur les Affaires du Temps en forme de Pasquinades. Il contient l’histoire du Prince d’Orange en l’année 1672. Cette année là ayant esté feconde en évenemens, occupe seule plus de place que douze autres, & ce huitiéme Entretien est remply de pieces originales qui empeschent de douter des veritez qu’on y trouve. On en donnera la suite le 15. de Janvier ; elle pourra aller jusques à l’invasion du Prince d’Orange en Angleterre, & l’on fera en sorte que le dixiéme contienne le reste de son histoire jusques à present, afin de passer ensuite à d’autres Entretiens sur diverses matieres du Temps.

A Paris ce 31. Decembre 1691.