1692

Mercure galant, février 1692 (seconde partie), Affaires du temps (tome 13).

2017
Source : Mercure galant, février 1692 (seconde partie), Affaires du temps (tome 13).
Ont participé à cette édition électronique : Nathalie Berton-Blivet (Responsable éditorial), Anne Piéjus (Responsable éditorial), Frédéric Glorieux (Informatique éditoriale) et Vincent Jolivet (Informatique éditoriale).

Mercure Galant, février 1692 (seconde partie), Affaires du temps (tome 13). §

Avis au Lecteur §

Mercure galant, février 1692 (seconde partie), Affaires du temps (tome 13), p. 3-8.

AVIS.

Les douze Entretiens qui précedent celuy-cy, & que l’on a donnez au Public en deux Volumes, forment une Histoire entiere du Prince d’Orange, dans laquelle on voit tout ce qu’il a fait depuis sa naissance, jusqu’à son dernier voyage d’Angleterre en Hollande. Quoy que cette Histoire soit d’une maniere particuliere, estant toute par Entretiens, comme elle n’est composée que de faits, qu’ils sont de fuite, & qu’on a mis dans leur jour jusqu’aux moindres circonstances qui les ont causez, on peut dire qu’on n’a encore connu à fond le Prince d’Orange que dans cet Ouvrage. Une Histoire ainsi suivie, quand on la peut achever, doit paroistre plus Histoire que celles qu’on donne en lambeaux, & que des pieces détachées qui sortent des mains de plusieurs Ouvriers. Quand elles sont ainsi sans ordre, & sans liaison, on connoist moins dans quel esprit les actions de celuy dont on écrit l’Histoire, ont esté faites. On en voit moins l’estenduë, la force, la noirceur ou la beauté, & la conduite. Lors qu’une action est dans sa place, elle tient à mille branches, qui sont autant de circonstances qui la font connoistre à fond, & qui découvrent tout entier celuy dont on a entrepris d’écrire la vie. Il est constant que les de Vich s’opposoient à l’élevation du Prince d’Orange, & que leur mort a servy de fondement à sa grandeur ; tous les Ecrits Publics en parlent. Cependant on n’en est pas plus éclaircy, puis qu’ils n’approfondissent rien. Ainsi on peut assurer que l’on n’a vû que dans les deux Volumes de l’Histoire du Prince d’Orange par Entretiens, ce qui a fait resoudre ce Prince à les perdre, ses démarches, ses fausses caresses pour les ébloüir, & mille & mille faits curieux sur ce seul article, dont aucun Ouvrage Public n’a fait mention. Plusieurs sont persuadez que quoy qu’une Histoire par Entretiens ne soit pas de l’usage ordinaire, & qu’elle ne soit regardée par plusieurs que comme des Memoires écrits dans le temps pour servir à l’Histoire, elle a neanmoins plus de force, fouille plus avant & se fait mieux entendre, parce que la maniere familiere dont on se sert est plus intelligible, & qu’en demandant & en répondant, on approfondit mieux toutes sortes de matieres. On auroit pû égayer davantage celle dont il s’agit, si on avoit voulu supposer des faits sur lesquels il auroit esté facile de plaisanter, mais la verité de ceux dont cette Histoire par Entretiens est remplie, doit causer au Lecteur un plaisir beaucoup plus solide. Il y en a qui croyoient que le Prince d’Orange n’avoit jamais rien aimé. Cependant on voit dans cette Histoire, qu’il a eu plusieurs Maîtresses. On y voit aussi son éducation, sa dissimulation, la perte de Grotius jointe à celle des de Vich, les raisons qui ont obligé de luy laisser prendre Grave, les obligations qu’il avoit au Roy de France, & au feu Roy d’Angleterre, ses premieres démarches pour se rendre un jour Maistre de la Couronne d’Angleterre, les conseils interessez qu’il donna au Duc de Montmouth pour luy faire prendre le dessein de l’usurper, les Troupes qu’il luy voulut fournir afin d’en avoir dans le pays à sa devotion. Toutes ces choses sont essentielles à son Histoire, & aucun Historien n’en ayant parlé, les Lecteurs qui aiment plus la verité que tout ce qui peut rendre un Livre agreable par des suppositions, doivent regarder l’Histoire du Prince d’Orange, renfermée par Entretiens en deux Volumes, comme un Ouvrage curieux, & remply de faits qu’on ne trouve point ailleurs.

Les Entretiens qu’on donnera chaque mois à l’avenir, seront chacun sur une matiere nouvelle. Celuy-cy est entre Pasquin & Marphorio, qui sont deux figures antiques assez ruinées par le temps, & placées à Rome dans des lieux qu’on a trouvez propres à pouvoir aller la nuit afficher des Ecrits Satyriques contre le Gouvernement, ou contre les plus apparens de la Ville. La Statuë de Pasquin est fort tronquée, & on tient qu’elle a pris son nom d’un fameux Cordonnier de Rome, appellé Pasquin, grand railleur, & qui donnoit des brocards à tous ceux qu’il voyoit passer devant sa boutique. Aprés qu’il fut mort, en foüillant sous le pavé au devant du lieu où il avoit demeuré, on trouva une Statuë d’un ancien Gladiateur, assez bien faite, mais gâtée à demy, & fort mutilée. On la dressa à l’endroit mesme où elle avoit esté trouvée dans la terre, à l’encognure de la maison de deffunt Maistre Pasquin, & son nom luy fut donné d’un commun accord. On y a toûjours attaché depuis toutes les Satyres qu’on a faites, comme si Pasquin eût esté ressuscité, ce qui les fait nommer Pasquinades, parce qu’on suppose que c’est luy qui parle. Marphorie est une autre Statuë de Rome, placée dans la muraille, opposée à celle de Pasquin, & à laquelle on attache aussi les Satyres qui se font. On croit que c’est le Simulacre de Jupiter le Pannetier, à cause qu’il est chargé de certaines bosses qui ont la figure d’un pain.

On ne donnera plus les Entretiens en forme de Pasquinades sur les affaires du temps, que le vingtiéme de chaque mois.

Il y a dix Volumes sur les affaires du temps, qui se vendent 15. livres.

La XI. & XII. Partie des Affaires du Temps, contiennent l’Histoire du Prince d’Orange, & sont par Entretiens. Ces deux nouveaux Volumes se vendent, 4. l.

L’Entretien de Marphorio & de Pasquin commence la XIII. Partie des Affaires du Temps. Ils seront continuez tous les mois sur une nouvelle matiere.

Entretien, Pasquin et Marphorio §

Mercure galant, février 1692 (seconde partie), Affaires du temps (tome 13), p. 9-59.

XIII. ENTRETIEN.
PASQUIN, MARPHORIO.

PASQUIN.

Il me semble qu’il y a long-temps que nous gardons le silence, & que nous démentons nostre caractere, puisque nous avons toûjours esté de grands babillards.

MARPHORIO.

Nostre attention à examiner tout ce qui se passe, nous empesche de trouver un moment pour raisonner sur tout ce que nous voyons, mais je t’avouë, mon cher Pasquin, que jamais femme n’a eu une si grande demangeaison de parler, que celle que je me sens presentement, & que si je ne te voyois pas dans la mesme disposition où je me trouve, je dirois mon sentiment à tous les passans sur tout ce que je vois aujourd’huy à condamner, plûtôt que de demeurer dans un silence qui me feroit crever, si je le gardois encore long-temps.

PASQUIN.

Tu me dois assez connoistre, depuis le temps que nous nous entretenons des défauts & des sottises des hommes, pour estre persuadé que je ne te manqueray jamais lors qu’il sera question de censurer le ridicule, la mauvaise foy, ou les passions outrées du genre humain. Croy moy, Pasquin sera Pasquin tant que le monde durera, & quelques efforts qu’on ait souvent faits, ou qu’on puisse faire encore pour m’obliger à me taire, je parleray tant que je trouveray dequoy me divertir aux dépens des hommes, c’est-à-dire, tant qu’il y en aura sur la terre.

MARPHORIO.

Ils ne cessent point de nous fournir de la matiere, & je croy que c’est pour nous faire crever à force de parler, qu’ils font tous les jours tant de sottises.

PASQUIN.

De quoy parlerons-nous aujourd’huy ? La matiere est ample, & nous n’avons qu’à choisir.

MARPHORIO.

Pour suivre l’ordre des Affaires du temps, nous ne pouvons nous entretenir, que de Souverains.

PASQUIN.

Ne parlons donc que des faits, sans rien dire des personnes, & portons respect à la dignité & à la naissance.

MARPHORIO.

Ce respect ne couvrira ny leurs fautes ny la jalousie qui les a portez à mettre le feu dans toute l’Europe. Enfin ils paroistront toûjours hommes dans leurs visions.

PASQUIN.

Le Saint Pere qui gouverne aujourd’huy l’Eglise, paroistra digne de ce grand nom. Il a agy en Pere commun des Chrestiens, & n’a rien oublié de tout ce qui pouvoit rétablir la Paix parmy eux. Les Brefs qu’il a envoyez pour cela à l’Empereur, & au Roy d’Espagne, sont de bons garants que ses intentions sont sinceres.

MARPHORIO.

Il doit estre peu satisfait des réponses qu’il en a reçuës.

PASQUIN.

Si je n’estois obligé de chanter sur un ton plus retenu qu’à l’ordinaire, parce qu’on doit toûjours épargner les Souverains à cause de leur dignité, je dirois de plaisantes choses sur les réponses faites aux Brefs de Sa Sainteté, & je trancherois le mot en disant qu’elles font pitié, & qu’elles condamnent ceux qui prétendent persuader par ces Lettres qu’ils ont raison de continuer de faire la guerre à la France.

MARPHORIO.

Puis que ces Lettres ont esté renduës publiques, il est permis à chacun de dire ce qu’il en pense aprés les avoir examinées. Ainsi, Pasquin, si tu veux m’en croire, nous raisonnerons sur les principaux endroits par où ces Princes prétendent justifier leur conduite, sans nous arrester à ce qui ne signifie rien, & ne regarde que le stile & les honnestetez qu’on se fait en écrivant.

PASQUIN.

Je le veux bien, & viens d’abord aux paroles qui se trouvent au commencement de la réponse de l’Empereur au Bref du Pape. Il est vray que les maux de cette guerre excitée depuis peu par le plus grand des crimes, empirant tous les jours, à la desolation de la Republique Chrestienne, ne me touchent pas moins qu’ils font le cœur paternel de vostre Sainteté.

On ne peut trouver de crime dans la guerre qui desole aujourd’huy l’Europe, que celuy que le Prince d’Orange a commis en usurpant la Couronne du Roy son Oncle & son Beaupere ; & comme les Alliez participent à ce crime, parce qu’ils y ont consenty, qu’ils l’ont peut-estre suggeré, & qu’au moins ils y ont eu beaucoup de part, le Pape & l’Empereur ont des motifs differens pour estre touchez. Sa Sainteté est penetrée des maux qu’elle voit souffrir à l’Europe, ainsi qu’à la veritable Eglise. Elle en gemit, & écrit aux Princes Chrestiens pour les engager à faire la Paix ; mais comme l’Empereur s’y oppose, il est impossible qu’il soit touché, comme le porte sa Lettre, des mesmes desordres qui affligent le cœur paternel de Sa Sainteté. Ainsi cet endroit de sa réponse n’est qu’une maniere de parler qui ne signifie rien, & quand les effets démentent visiblement les paroles, les plus grossiers ne le peuvent jamais estre assez pour se laisser ébloüir aux trompeuses apparences d’un langage que le cœur ne tient pas, & dont les actions découvrent la fausseté.

MARPHORIO.

Tu prens assez bien la chose, & je ne t’avois pas encore oüy raisonner si serieusement.

PASQUIN.

Quoy que je ne parle pas par pointes, ce que je te dis n’en vaut pas moins. Il y a des matieres qu’on ne doit traiter qu’avec un enjoûment moderé, & sur tout lors qu’elles regardent les premieres personnes de la terre.

MARPHORIO.

Cela n’empêche pas que l’on ne combatte d’une maniere vive & agreable, les Ecrits qui peuvent estre attaquez par plusieurs endroits.

PASQUIN.

C’est pour cela que je vais continuer à faire voir que l’Empereur n’a que de mauvaises raisons, lors qu’il veut prouver qu’il doit rejetter la Paix, & qu’il n’est pas cause de la guerre. Il se sert de ces paroles dans la suite. Ma consolation est que Dieu, & ma conscience me sont témoins que je n’en suis pas cause. Cela ne prouve rien, & ne répond pas aux intentions du Pape. Il n’en est pas cause, mais il n’y a point de plus grosse teste que luy dans le party des Liguez. Il n’en est pas cause, mais il y est attaché si fortement, qu’il ne peut souffrir qu’on l’en détache. Il n’en est pas cause, mais il ne veut pas mesme agir auprés de ses Alliez, pour les engager à contribuer au repos de l’Europe, suivant les intentions de Sa Sainteté, à moins que l’on ne consente à des propositions si déraisonnables, pour ne pas dire ridicules, qu’elles semblent n’estre faites que pour éloigner tout-à-fait la Paix, tant il se tient seur qu’elles ne peuvent jamais estre acceptées par la France. L’Empereur peut-il dire aprés cela que Dieu & sa conscience luy sont témoins qu’il n’est pas cause de la guerre ? N’est-ce pas en estre cause que de l’avoir excitée, & de la vouloir continuer ; & peut-on dire que Dieu & la conscience ne fassent aucun reproche, quand on ne feroit que s’obstiner à entretenir un mal dont on n’auroit pas esté l’auteur ? Cela ne sçauroit tomber sous le sens de personne, & puis que l’Empereur se trouve dans le party des Alliez, il faut necessairement qu’il y soit entré. On n’a point vû qu’il y soit entré depuis que la guerre est commencée. On sçait mesme qu’il en est un des auteurs ; qu’il avoit refusé de convertir la Tréve en Paix, dans le dessein d’attaquer la France, si-tost qu’il auroit fait l’accommodement qu’il esperoit conclure avec le Turc. Ainsi il abuse de la bonté & de la pieté du Pape, lors qu’il dit que sa consolation est que Dieu & sa conscience luy sont témoins qu’il n’est pas cause de la guerre.

MARPHORIO.

Tu me parois aujourd’huy tout métamorphosé, & je ne sçay si c’est Pasquin que j’écoute.

PASQUIN.

Je t’avouë que j’ay bien dit des sottises depuis que je suis placé icy, & que j’ay souvent outré les matieres, mais on n’a pas lieu de s’étonner de m’entendre aujourd’huy parler avec un peu plus de justesse. Je suis dans une Ville où l’on voit peu d’étourdis, à moins qu’ils ne soient Etrangers, & à force d’entendre raisonner des sages, j’ay resolu de n’estre plaisant que dans les matieres qui demanderont de l’enjoûment ; car je trouve qu’il est ridicule de faire le Boufon lors qu’il s’agit d’une affaire serieuse, ou du moins lors que l’on parle des Souverains legitimes.

MARPHORIO.

Nous plairons toujours aux honnestes gens, quand nous ne dirons point de fades plaisanteries.

PASQUIN.

Outre qu’on descend dans des bassesses pour soûtenir ce stile, ou est souvent obligé de dire des faussetez pour se faire une matiere sur laquelle on puisse facilement plaisanter. Ainsi il se trouve qu’aprés avoir dit beaucoup de choses, on en a peu dit de veritables.

MARPHORIO.

Tu as raison, mais si Pasquin s’amusoit à faire trop le Caton, Pasquin seroit fort peu écouté. Il y a moins de Sages que de Foux, & qui veut plaire au grand nombre, doit s’accommoder au goust des derniers.

PASQUIN.

Je pourrois répondre à cela ce que j’ay vû dans la Préface d’un Livre d’un Illustre Auteur François.

Ce n’est pas pour toy que j’écris,
Indocte & stupide Vulgaire,
J’écris pour les nobles Esprits,
Je serois fâché de te plaire.

Je prétens neanmoins, pour m’accommoder au goust le plus general, prendre un juste milieu, & n’estre ny trop enjoüé, ny trop guindé. Il me suffira que ce que je diray convienne aux choses qui feront le sujet de nos conversations. Souvent on ne trouve pas moins de sel dans un tour piquant & serieux, que dans une plaisanterie basse & outrée, qui fait rire sans rien laisser appercevoit de solide, ny à quoy l’on puisse ajoûter foy. Mais voyons si l’Empereur a mieux réussi dans la suite de sa réponse que dans le commencement. Aprés avoir dit sans l’avoir prouvé, qu’il n’est pas cause de la guerre qui agite aujourd’huy l’Europe, il veut qu’elle ait esté allumée par la France, mais il se donne bien de garde de faire connoistre ce qui a obligé la France à prendre les armes, & il ne dit pas un mot dans toute sa lettre de l’invasion du Prince d’Orange en Angleterre, comme si ce n’étoit qu’une bagatelle. Cependant elle n’avoit esté concertée que dans le dessein de se servir ensuite des forces Angloises pour accabler la France, mais le Roy d’Angleterre ayant esté surpris a donné lieu au Roy Tres-Chrestien d’aller au devant de ses Ennemis, du costé où ils n’estoient pas préparez à le recevoir. Voila ce que l’Empereur appelle une rupture du costé de la France, comme si les Alliez n’avoient pas esté les premiers à rompre la Treve, par la signature de la Ligue d’Ausbourg ; car cette Ligue que l’on a niée long-temps a esté enfin avoüée. On n’a pû se taire en Hollande, & elle s’y trouve imprimée dans plusieurs livres.

MARPHORIO.

Quoy que tu puisses dire, l’Empereur a sujet d’estre fâché, & de se plaindre du mauvais succés de ses desseins. Il estoit convenu, que pendant que le Prince d’Orange feroit une descente en France, il viendroit fondre du costé de Dinan aprés avoir pris cette Place, & le Roy de France pour détruire ce projet qu’on ne pouvoit commencer à mettre en execution que quand le Prince d’Orange auroit esté possesseur paisible des Etats qu’il vouloit envahir, s’est avisé d’aller prendre Philisbourg, & de faire un desert des Campagnes qui devoient nourrir les Armées des Alliez, dont l’esperance n’alloit pas à moins qu’à la conqueste de tous ses Etats. En verité, ce n’est pas un tour d’amy que d’avoir ainsi rompu les mesures de l’Empereur, & le Roy de France a tort de n’avoir pas attendu l’orage qui devoit fondre sur luy.

PASQUIN.

Tu crois te moquer, mais ç’a esté un terrible creve-cœur pour la Cour Imperiale, que ce mauvais tour d’amy qui a fait parer au Roy de France, le coup que luy préparoit la Ligue. En luy voyant prendre Philisbourg, & faire le dégât dans le Palatinat, & mesme dans son propre pays, pour oster le moyen de subsister aux Armées qui se promettoient d’inonder la France, il s’en est fort peu fallu qu’elle n’ait crû effectivement, comme elle l’a publié, que ce Monarque estoit cause de la guerre qui desole aujourd’huy toute l’Europe.

MARPHORIO.

Les moins clairvoyans se sont d’abord apperçûs, que cette guerre n’est qu’un effet de la Ligue.

PASQUIN.

Si-tôt que les Alliez ont vû que le Roy de France s’estoit mis si promptement en estat, non-seulement de leur resister, mais mesme de les attaquer, lors qu’ils se tenoient comme assurez que rien ne les pourroit empescher de fondre sur ses Etats, la honte qu’ils ont euë de leur coup manqué, & le dépit de se voir forcez à se mettre sur la deffensive, dans un temps où il leur sembloit que rien n’estoit capable de leur resister, leur ont fait prendre la résolution de noircir la France auprés des autres Nations, & de dire qu’elle les a attaquez sans qu’ils eussent aucun dessein d’entrer en guerre contr’elle. Cependant comme on se trahit souvent soy-mesme sans y penser, l’Empereur vient de faire voir le contraire dans la Lettre dont il s’agit. Sçais-tu comment il parle de la Ligue que les Alliez ont niée tant de fois, & si long-temps ? Voicy ce qu’il dit. La principale loy que nous nous sommes imposée par nos Traitez, est de ne rien conclure touchant la Paix, que de concert les uns avec les autres. Si cela ne marque pas une Ligue, & des Alliez, je n’y entens rien. Comme on n’a point vû qu’ils se soient unis depuis l’ouverture de la guerre, il est hors de doute, que leur union l’ayant precedée, elle n’a esté faite que pour accabler la France. Ainsi la France a esté fort sage quand elle s’est résoluë à ce mauvais tour d’Amy. Elle a attaqué le plus qualifié des Princes liguez, je veux dire l’Empereur, pendant que le Prince d’Orange son principal Allié, & sur lequel il fondoit ses plus grandes esperances, avoit déja débarqué en Angleterre, pour détrôner un Roy Catholique. Ainsi le Roy de France n’a point commencé la guerre, mais il l’a portée le premier, d’un costé où les Alliez n’avoient resolu de paroistre en armes qu’aprés la réduction de l’Angleterre ; mais on supprime ce qui justifie le Roy Tres-Chrestien, & l’on se contente de dire qu’il a commencé la guerre. S’il estoit vray qu’il eust pris la resolution de la faire, il y auroit esté préparé, & pour peu qu’il se fust vû en estat, il auroit bien sçû empescher le debarquement du Prince d’Orange en Angleterre.

MARPHORIO.

On ne peut trop admirer la promptitude avec laquelle il s’y est mis, pour renverser les projets de ceux qui avoient resolu de l’accabler.

PASQUIN.

C’est ce qui fait son crime auprés de ses Ennemis & ce qui rendra sa memoire glorieuse & triomphante. Mais passons au dernier article de la Lettre de l’Empereur. Il dit, Que si Sa Sainteté obtient tout ce que les Alliez demandent, il ne manquera pas de son costé à leur faire approuver toutes ses intentions.

MARPHORIO.

C’est-à-dire, que l’Empereur fera approuver au Prince d’Orange les resolutions du Pape.

PASQUIN.

Cela est à la lettre, & il ne faut point de raisonnemens pour mettre cet article dans son jour, & le faire entendre ; mais en verité, le Prince d’Orange & les Alliez ne feroient pas beaucoup pour le Pape, s’il leur faisoit obtenir tout ce qu’ils demandent ; au contraire, ils luy auroient obligation, puisque par là il feroit joüir tranquillement le Prince d’Orange d’un Trône usurpé. Ce qu’ils demandent, c’est que le Roy Tres-Chrestien se dépoüille de ses Conquêtes, & soit obligé de mettre les armes bas, & comme cela rendroit le Prince d’Orange triomphant, aussi bien que la Religion Protestante, je ne croy pas que l’Empereur eust bien de la peine à faire approuver toutes ces choses aux Alliez, si le Pape les avoit obtenuës.

MARPHORIO.

On ne croira jamais que cette proposition ait esté faite à un Successeur de saint Pierre par un Empereur Catholique, pour un Usurpateur, & pour des Alliez, la plûpart Protestans.

PASQUIN.

Dés qu’on vient à refléchir là-dessus, on cherche à se déguiser des veritez, dont on ne demeure pourtant que trop bien persuadé. On voit des Princes Catholiques laisser leurs Etats en proye à des Infidelles, pour travailler à détruire leur propre Religion, & n’agir que pour faire triompher la Protestante, & la Mahometane, & en même-temps faire réussir le vol d’une Couronne, dont selon les Loix ils sont aussi coupables que celuy qui l’a ravie, puis qu’ils sont ses complices.

MARPHORIO.

Ce que je trouve en cela de plus surprenant, c’est qu’ils cherchent à faire approuver au Pape ce qu’ils font contre Dieu & contre leur prochain, qu’ils recommandent à Sa Sainteté les interests du Prince d’Orange, & la veulent engager à obliger la France de rendre autant de ses conquestes qu’ils jugeront à propos d’en demander, sans qu’ils promettent de leur costé qu’ils rétabliront le Roy d’Angleterre. Au contraire, tout ce qu’ils demandent ne serviroit qu’à affermir le Prince d’Orange sur le trône qu’il a usurpé.

PASQUIN.

Tu frapes droit au but, & je m’étonne que cette remarque n’ait point encore esté faite par aucun des Ecrivains, qui ont pris le party de la Justice, & de la Religion, car enfin des Princes Catholiques ne peuvent travailler à pacifier l’Europe, & vouloir que le Prince d’Orange se pare toûjours d’une Couronne usurpée, à l’exclusion d’un Roy Catholique, à qui cette Couronne appartient, & s’ils veulent que la France rende ses Conquestes, ils doivent demander en mesme-temps, que le Prince d’Orange rende les trois Royaumes dont la trahison l’a fait s’emparer si injustement ; mais comme il est leur Allié, il doit, selon la réponse de l’Empereur au Bref du Pape, demeurer Roy d’Angleterre ; la Religion Protestante doit triompher, & le Roy de France, parce que les Alliez ne peuvent souffrir l’éclat de sa gloire, & qu’ils sont animez contre luy, comme des jaloux contre leurs rivaux heureux, doit estre dépoüillé de ses conquestes.

MARPHORIO.

Ces Puissances ont des Ministres qui les font parler, & leur aveuglement est si grand, qu’ils n’ont pas mesme l’art de déguiser ce qu’ils pensent, & laissent trop découvrir leur jeu.

PASQUIN.

Passons à la réponse que le Roy d’Espagne a faite au Bref de Sa Sainteté.

MARPHORIO.

La Maison d’Austriche est trop concertée, pour ne pas s’attendre à voir tenir le mesme langage à toutes ses branches.

PASQUIN.

Aussi n’y trouve-t-on que les mesmes choses, sous des termes differens, & ces Puissances découvrent toutes deux la Ligue qu’elles avoient toûjours niée, & qu’elles nient encore quelquefois, selon qu’il leur est honteux & préjudiciable de l’avoüer. Tu as vû comment l’Empereur en a parlé ; voicy ce qu’en dit le Roy d’Espagne. Et cette Paix estant ce que les Protestans confederez se sont proposé de rétablir avec sureté par leur union, puis qu’à cet unique objet, ils ont dés le commencement dirigé toute leur disposition de guerre pour y parvenir, &c. Voila une conféderation, non-seulement marquée faite avant la guerre, mais mesme pour faire la guerre. Ainsi quand pour se précautionner contre l’orage, la France s’est armée aprés le passage du Prince d’Orange en Angleterre, on ne peut dire qu’elle ait commencé la guerre. On s’estoit ligué pour l’attaquer. Tous les Ecrivains & tous les Ministres & Partisans de la Maison d’Austriche ont beau le nier, leurs écrits & leurs discours doivent avoir moins de force pour estre crûs, que les Lettres écrites à Sa Sainteté par l’Empereur, & par le Roy d’Espagne. Leurs Ministres ont peut-être plus avoüé qu’ils n’avoient dessein, mais ce qui est écrit, est écrit.

MARPHORIO.

Aprés avoir marqué si clairement dans leurs Lettres, que la Ligue d’Ausbourg n’avoit esté concluë que pour faire la guerre à la France, il est étonnant que le Roy d’Espagne, ou plûtost ses Ministres, se déchaînent contr’elle, comme si elle avoit envahy toute l’Europe.

PASQUIN.

Personne n’a jamais répondu assez clairement à cet article par où l’on tâche de noircir la France, ny bien fait voir l’injustice de tous ceux qui osent la condamner là-dessus. Il faut pour bien l’éclaircir, & confondre les Ennemis du Roy Tres-Chrestien, separer ses conquestes en trois temps, & voir avec combien de justice il les a faites, & la moderation qu’il a fait paroistre. En 1672. il voulut châtier les Hollandois qui l’avoient abandonné cinq ans auparavant, quoy qu’il les eust protegez, & secourus depuis la naissance de leur Republique. Les Espagnols qui joüissoient d’une paix tranquille, voulurent estre de la partie, & pour empêcher le Roy de France de faire des conquestes en Hollande, ils luy déclarerent la guerre. Ce Monarque indigné tourna ses armes contr’eux, & leur enleva une partie de leurs meilleures Places. Aprés que cette guerre eut duré quelques années, la paix se conclut à Nimegue & par une moderation jusques alors inconnuë, le Roy de France, que la prise de Gand mettoit en estat de pousser ses conquestes aussi loin qu’il luy auroit plû, voulut bien en rendre une partie, en consideration de la paix dont il regla luy-mesme les conditions.

MARPHORIO.

Ces faits sont si publics, qu’ils ne peuvent estre contestez.

PASQUIN.

L’Espagne à qui on ne rendit pas toutes ses Places, parce qu’ayant declaré la guerre, il n’estoit pas juste qu’il ne luy en coûtast rien, & que le Roy de France ne fust pas remboursé par là de ses frais & du sang de ses Sujets, vit ce Traité avec beaucoup de chagrin, & eut de la peine à l’executer dans toute son étenduë. Ainsi elle refusa de donner les Dépendances des Places qu’elle estoit obligée de rendre, & le Marquis de Grana, alors Gouverneur des Pays-bas, declara la guerre, plûtost que d’executer le Traité. L’Empereur à qui ces raisons donnoient les mêmes chagrins, & qui avoit aussi pris le party des Hollandois contre la France, eut bien voulu seconder l’Espagne & renouveller la guerre, mais le Turc le pressoit de prés, ce qui donna lieu au Roy de France, de faire voir encore sa moderation & sa generosité, puis que pour équivalant de toutes les Dépendances qui luy devoient estre restituées, il se contenta de la seule Ville de Luxembourg, à quoy toutes les Parties consentirent, & ce fut en ce temps-là que l’on conclut une Treve de vingt ans.

MARPHORIO.

On ne peut se plaindre des conquêtes que le Roy de France a faites en ces deux occasions. Il n’a point esté l’agresseur, & Mrs de la Ligue ont tort de s’unir pour luy faire rendre ce qu’on l’a forcé de prendre en l’attaquant, ce qui luy appartient à droit de conqueste, & ce qu’on luy a cedé par des Traitez.

PASQUIN.

Les principales conquestes que le Roy de France a faites dans la troisiéme guerre, sont celles de Philisbourg & de Mons, avec tout ce que ce Monarque a pris sur le Duc de Savoye. Il n’y en eut jamais de si legitimes, ny qui sentent moins l’usurpation. Elles n’ont point esté faites par un desir de tout envahir comme on le veut persuader, mais au contraire, parce qu’on a esté contraint de prendre les armes pour se garantir de l’invasion que l’on vouloit faire en France.

MARPHORIO.

Il n’y a personne qui puisse ne pas demeurer d’accord de ce que tu viens de dire, mais les Ennemis de la France ont l’adresse d’embroüiller les affaires. Ils parlent des conquestes qu’elle a faites, mais ils se gardent bien de dire pourquoy ny en quelles occasions elle les a faites. Ils ne disent rien non plus du Prince d’Orange, qui devoit penetrer la France avec eux, & donner la main aux faux Convertis, qu’ils croyoient devoir se soulever. Cet Usurpateur n’a pû venir à bout de ses desseins ; la France triomphe, & ses Alliez chagrins d’avoir vû échoüer ces grands projets, ont aussi-tost publié qu’elle avoit rompu la Treve. Le Roy d’Espagne le dit dans sa Lettre, & parle de son intelligence avec le Turc, mais sans donner aucunes preuves de l’un ny de l’autre. Ainsi on ne peut détruire ce qu’il avance qu’en le niant, & on a déja mesme vû quelques écrits publics où cette calomnie est bien averée, & si les Ennemis du Roy Tres-Chrétien avoient dequoy justifier ce qu’une honteuse jalousie leur fait dire là-dessus, ils ne manqueroient pas de le mettre au jour, & de grossir par de faux raisonnemens les indices qu’ils en auroient.

PASQUIN.

Quand on en est réduit à la calomnie & aux invectives, on fait voir qu’on prend party pour une méchante cause.

MARPHORIO.

La verité n’a qu’à se montrer pour se faire connoistre, & quand les faits parlent, la calomnie est employée inutilement.

PASQUIN.

Ce que tu dis est d’autant plus évident, que rien n’est moins vray-semblable, & n’attire si peu de creance que d’imputer la guerre de Piemond à la France, comme fait le Roy d’Espagne, dans sa réponse au Bref de Sa Sainteté. Personne n’ignore que les François ont fait tout ce qu’ils ont pû pour l’éviter, & qu’elle estoit contraire à leurs interests.

MARPHORIO.

Cela est constant, & ceux qui pour noircir la France l’accusent de cette guerre, sçavent bien qu’ils en sont eux-mesmes les Auteurs, qu’ils avoient resolu d’y entrer par la Provence, & qu’ils tenoient le Duc de Savoye si bien obsedé, qu’ils estoient surs que la France ne l’empescheroit pas de rompre avec elle.

PASQUIN.

Et cependant on se sert de ces méchantes raisons dans ce qu’on écrit au Pape pour se deffendre de concourir à la paix generale que Sa Sainteté demande avec toute l’ardeur d’un bon Pere, qui ne souhaite qu’une parfaite union entre ses enfans.

MARPHORIO.

Les Ministres du Roy d’Espagne n’y prennent pas garde de si prés.

PASQUIN.

Ils luy font dire dans la fin de la Lettre. Nous esperons que vostre Sainteté approuvera que nous nous maintenions fermes dans l’obligation de nos Traitez.

MARPHORIO.

C’est-à-dire, que nous travaillions à maintenir le Prince d’Orange sur le trône d’Angleterre, ainsi qu’à rétablir les Refugiez en France.

PASQUIN.

Si le Roy de France eust succombé, la Religion Catholique estoit perduë dans toute l’Europe, & voila pourquoy Dieu luy a presté son bras.

MARPHORIO.

Les Princes d’Italie doivent faire bien des vœux pour la prosperité de ses armes ; autrement les Allemands acheveront d’épuiser leurs finances, & de remplir leurs Etats d’Heretiques.

PASQUIN.

L’Heresie est une contagion qui se gagne, & si une fois elle prend racine chez les Princes d’Italie, Rome ne sera plus en estat d’avoir des preservatifs qui l’éloignent de chez elle. Ce ne sera pas la faute du Chef de l’Eglise. Personne n’ignore qu’il employe tous ses soins, non-seulement pour le repos de l’Italie, mais mesme pour celuy de toute l’Europe.

MARPHORIO.

Nous venons de voir par les réponses de l’Empereur & du Roy d’Espagne à ses Brefs, le peu de cas qu’ils en font, & combien ils sont portez à maintenir une Ligue, dont le Prince d’Orange est le Chef, & qui ne pourroit finir à l’avantage de la Religion Catholique, sans qu’il descendist du trône qu’il a usurpé.

PASQUIN.

Tout cela n’est que trop visible ; mais que dis-tu du refus que le Duc de Savoye a fait des dernieres offres de la France ?

MARPHORIO.

Je dis qu’il continuë à s’attirer par là la haine de tous les Princes d’Italie, parce qu’il n’a pas voulu, lors qu’il le pouvoit, éteindre la guerre qu’il y a allumée.

PASQUIN.

En causant la desolation des Princes d’Italie, il a si bien travaillé à sa ruine, qu’il est impossible que de son vivant, ses Etats soient rétablis. Toutes les armées d’Italie y ont vécu, & les Allemans qui ne connoissent pas plus leurs Amis que leurs Ennemis, lors qu’il s’agit de piller, ne les ont pas épargnez.

MARPHORIO.

Le Duc de Savoye avoit un Parent, un Amy, un Allié, un Protecteur dans le Roy de France, qui le faisoit craindre de tous ses Voisins, mais la situation où il est aujourd’huy, est de se voir enfermé d’un costé par la France, & de l’autre par les Allemans qui en useront un jour à son égard avec la mesme hauteur, dont ils traitent les Princes d’Italie, de sorte qu’il se voit réduit à ne pas souhaiter la prosperité de ceux qui le deffendent presentement, de peur d’en estre accablé.

PASQUIN.

Il n’ose se vanter de l’état où il se trouve. Cependant pour peu que les armes de France fassent de nouveaux progrez dans l’Europe pendant la Campagne où nous entrons, il passera de mauvais jours, & de plus méchantes nuits.

MARPHORIO.

Jamais Souverain n’a esté si peu politique que celuy-là, d’avoir refusé les offres du Roy de France qui le tiroient d’un mauvais pas, dont il ne voyoit aucune voye seure pour en bien sortir.

PASQUIN.

Les Princes d’Italie doivent luy sçavoir bien mauvais gré, de ce qu’il a pû, & n’a pas voulu reparer les maux qu’il leur a causez.

MARPHORIO.

Il n’avoit garde d’écouter aucunes propositions d’accommodement. Il avoit promis à l’Electeur de Baviere, qu’il n’abandonneroit jamais le party des Liguez ; il se seroit attiré quelques railleries de cet Electeur, qu’il n’a mis que par là dans ses interests. Ces railleries les luy auroient esté plus sensibles, que la perte de ses Etats & que ne luy sont aujourd’huy tous les maux que la guerre où il s’est engagé par conversation, fait souffrir à ses Sujets. Ils sont la plûpart dans la derniere misere, estant pillez, & par leurs Ennemis, & par ceux qui ne sont venus que pour leur secours.

PASQUIN.

Mais l’Electeur de Baviere qui a fait entrer le Duc de Savoye dans la Ligue, en le raillant de ce qu’il n’osoit prendre ce party, fait-il voir une conduite sur laquelle il n’y ait point à gloser ? Il me paroist que de Souverain, il est devenu Sujet. Il a pris des Patentes, & reçoit des appointemens du Roy d’Espagne.

MARPHORIO.

La Ligue l’a réduit à cette necessité, & aprés avoir épuisé les tresors que luy avoit laissez le feu Electeur son Pere, avoir mis ses Sujets en état de ne pouvoir plus faire aucuns efforts pour le secourir, & s’estre rendu insolvable par la quantité de dettes qu’il a faites, il a trouvé que quinze mille écus d’appointemens par mois accommoderoient ses affaires.

PASQUIN.

Ce n’est pas là, ce me semble, se mettre en état de figurer avec les grands Souverains. Aussi peut-on dire que le Roy d’Espagne luy donne du pain, puis qu’il paye sa table.

MARPHORIO.

Il s’est fait un honneur d’avoir mille écus par mois plus que n’avoit eu l’Archiduc d’Autriche.

PASQUIN.

Cela fait pitié, & le Roy de France fait plus de gratifications dans une seule semaine, que ces petits Souverains n’ont de revenu.

MARPHORIO.

C’est par cette raison qu’ils risquent peu leur grandeur, lors qu’ils deviennent Gouverneurs à gages des Monarques du premier ordre. Ces petits Souverains ambulans n’ont rien qui les doive faire aller de pair avec les premieres Couronnes de l’Europe. Qui peut abandonner ses Etats pour long-temps, n’y a pas de grandes affaires. Un grand Prince ne peut prendre que des momens de relâche, & les journées sont trop courtes pour fournir aux fonctions que demande la Couronne de France quand ceux qui la portent veulent remplir leur devoir, comme fait le Monarque qu’on voit occuper si dignement le trône de cette Nation.

PASQUIN.

L’Electeur de Baviere croit aujourd’huy relever l’éclat du rang qu’il tient dans le monde, en devenant Successeur de Dom Antonio Agourto, long-temps Officier obscur dans les Troupes du Roy d’Espagne, & depuis Gouverneur des Pays-Bas, & quoy qu’il soit comptable comme luy, & qu’il puisse estre réprimandé, lors qu’il plaira au Roy d’Espagne de le révoquer, il est à croire que ce Monarque luy fera grace, & le traitera plus favorablement ; mais je ne sçay si les Sujets de cet Electeur le recevront alors de bon œil, & si l’herbe qui aura crû dans son Palais ne l’empeschera point d’y rentrer.

MARPHORIO.

Il prétend estre si honoré depuis qu’il est aux gages du Roy d’Espagne, & qu’il reçoit des ordres de son Conseil dont il se rend dépendant, qu’il chicane le Prince d’Orange sur les points du ceremonial pour leur entreveuë.

PASQUIN.

Il fait peu d’honneur à ses Sujets, puisque, comme Electeur de Baviere, il ne fit point de difficulté l’année derniere, de voir le Prince d’Orange & de suivre ses intentions touchant les formalitez de leur entreveuë, & qu’aujourd’huy il ne veut pas luy ceder les mesmes choses, fondé sur ce qu’il est devenu Sujet du Roy d’Espagne, dont il reçoit des provisions & des appointemens.

MARPHORIO.

On pourroit dire que le Roy d’Espagne a des Sujets beaucoup plus distinguez, puis qu’il y a plusieurs Seigneurs Espagnols qui ont assez méprisé le Gouvernement des Pays-Bas, pour le refuser.

PASQUIN.

C’est un fait sans replique, & comme il est impossible que le Prince d’Orange ne sçache pas ce qui s’est passé là-dessus, il faut que l’Electeur de Baviere ait accepté le Gouvernement des Pays-bas, pour avoir le plaisir de changer d’air, car il aime si peu celuy de ses Etats, que depuis plusieurs années il n’y a couché que quelques nuits.

MARPHORIO.

Rien ne peut arrester ceux qui sont une fois entestez de la passion de voyager.

PASQUIN.

Les gens qui changent souvent de place, ne peuvent jamais avoir de repos, & ceux qui quittent souvent des affaires commencées, pour s’attacher à en poursuivre d’autres, ont rarement le plaisir d’en voir terminer aucune.

MARPHORIO.

Tu te moques ; on dit qu’on ne sçait jamais rien si l’on n’a mangé de plus d’un pain.

PASQUIN.

Et ne comptes tu pour rien l’avantage d’avoir un Prié-Dieu à la Chapelle, & des Chambres dans le Palais, où l’on n’entre que selon les droits de la naissance, ou par la consideration qui est deuë aux grands emplois ; c’est à dire, qu’on n’approche de la Chambre du Prince que selon qu’on est distingué, & que chacun demeure dans celle qui convient à son estat ?

MARPHORIO.

Je ne voy pas que cela rende l’Electeur de Baviere plus grand Seigneur. Si le moindre particulier qui aura deux ou trois antichambres, peut ordonner que chacun de ses domestiques s’arrestera dans celle où l’on a besoin de luy, sans qu’on luy permette d’entrer dans les autres, un Souverain n’a pas moins de droit d’en user chez luy de la maniere qu’il le jugera à propos, & peut commander qu’on ne reçoive ceux qui le viendront voir, que dans les chambres qu’il aura marquées pour ces visites.

PASQUIN.

L’Electeur de Baviere joüit encore d’un autre avantage à Bruxelles. Il n’y a point de grands Seigneurs, qui ayent le privilege de venir chez luy par un escalier secret.

MARPHORIO.

Que ne demeuroit-il à Munic ? Il y auroit eu le mesme avantage. Ce privilege qui luy estoit seur dans ses Etats, meritoit peu qu’il vinst l’acheter si loin, par une servile dépendance.

PASQUIN.

Il s’est apparemment laissé gouverner par l’interest, & a crû qu’outre les appointemens dont il joüiroit, & qui sont considerables, on luy permettroit de s’enrichir aux dépens des Peuples, des Troupes & du Roy d’Espagne mesme, comme les autres Gouverneurs des Pays-Bas ont fait, à proportion du rang que ce Prince tient au dessus d’eux.

MARPHORIO.

Ainsi le Roy Catholique par une politique digne du Conseil, qui a mis l’Espagne dans un état si peu proportionné à son ancienne grandeur, pour sauver les Pays-Bas, les expose à un peril manifeste.

PASQUIN.

Ce que je trouve en cela de fâcheux pour ce Monarque, c’est qu’il ne luy sera pas permis de traiter un Souverain, comme il traite aujourd’huy Castanaga, qui se voit dépoüillé de tout, & contre qui la Cour de Madrid a fait faire tant d’informations, qu’il aura beaucoup à répondre quand il y arrivera.

MARPHORIO.

Sa disgrace surprend quantité de gens sans qu’on en puisse deviner la cause.

PASQUIN.

Il estoit le meilleur Amy du Prince d’Orange, il sçavoit le secret quand il a passé en Angleterre, il luy a le premier envoyé faire des complimens si-tost qu’il l’a veu monté sur le trône. Il l’a traité le premier de Roy, & l’année derniere il fit un équipage magnifique, pour aller luy-mesme grossir sa Cour à la Haye. Cependant c’est ce mesme Prince d’Orange qui l’a mis mal dans l’esprit du Roy son Maistre.

MARPHORIO.

On voit bien que la Justice du Ciel opere là-dedans. Mais par où Castanaga s’est-il attiré cet indigne traitement ?

PASQUIN.

On prétend qu’il a fait beaucoup de choses contre le service de l’Etat. Le Surintendant de la Justice militaire a eu ordre d’informer contre luy, & d’envoyer les Informations à Madrid, & l’Electeur de Baviere luy en a délivré l’ordre qu’il avoit reçû de la Cour d’Espagne.

MARPHORIO.

J’ay oüy dire qu’on y a trouvé mauvais qu’il ait voulu disculper le Prince de Bergues touchant la deffense de Mons, & qu’il y a esté puissamment desservy par le Prince d’Orange, & par ceux de la République de Hollande.

PASQUIN.

Il sied bien au Prince d’Orange d’imputer aux autres la prise de Mons. C’estoit à luy à se mettre en estat d’empescher les Campagnes d’hiver du Roy de France. Que pouvoit-il faire de moins que d’y estre préparé ? Aprés avoir tant menacé de pénetrer jusques au cœur de la France, il devoit du moins estre sur la deffensive.

MARPHORIO.

Quand il s’est vanté si hautement, non-seulement il n’avoit songé à aucune tentative, mais n’estant pas mesme persuadé de réussir quand il en feroit, il ne s’en vantoit que pour tenir les Alliez armez, jusqu’à ce qu’il se vist assez affermy sur le trône d’Angleterre, pour pouvoir enfin se passer de leur secours.

PASQUIN.

Aprés les avoir trompez tous, nous allons voir qu’il s’est aussi trompé luy-mesme.

MARPHORIO.

Il seroit à souhaiter pour Castanaga que la fortune l’eust plûtôt abandonné. Il se verroit encore Gouverneur des Pays-Bas, au lieu qu’il est sur le point de se voir sur la sellette.

PASQUIN.

Si l’Electeur de Baviere en usoit bien, il intercederoit pour luy à Madrid, puis qu’il a accepté de ce Gouverneur révoqué de magnifiques presens. Il y a entr’autres un lit de damas dont le tour, les soubassemens, & les bonnes graces sont de velours garny de broderie, or & argent.

MARPHORIO.

J’ay oüy dire qu’il s’en estoit trouvé bien payé, l’Electeur l’ayant cajolé sur son bon goût.

PASQUIN.

Il faut que Castanaga soit sensible aux loüanges que l’on donne à son bon goust, puis qu’il fit aussi-tôt aprés present à ce mesme Prince d’une canne sur laquelle il y avoit du moins pour dix mille écus de diamans.

MARPHORIO.

Mais par quels presens cet Electeur a-il répondu à tous ceux qu’il a reçus ?

PASQUIN.

Il a ordonné au Comte de Bergeyck de luy payer ce qui luy estoit deu du reste de ses appointemens, mais ce Comte a répondu qu’il n’y avoit plus d’argent dans la caisse.

MARPHORIO.

C’est en estre quitte à bon marché.

PASQUIN.

Son Altesse Electorale a voulu par reconnoissance, qu’il eust des Gardes comme Elle, tant qu’il demeureroit à Bruxelles ; mais il y en a qui assurent que ces Gardes n’estoient que pour l’observer, & pour le tenir prisonnier d’une maniere honorable.

MARPHORIO.

Je ne sçay si Castanaga, tout malheureux qu’il est, ne doit point estre content, d’estre delivré de la garde d’un pays où l’Electeur de Baviere va recevoir de grandes mortifications.

PASQUIN.

Si les bruits qui courent ne sont point faux, le Duc de Savoye & cet Electeur auront tout loisir de se repentir d’avoir montré tant de zele à soutenir le Prince d’Orange.

MARPHORIO.

Le Duc de Savoye se croit au comble de la Fortune, d’avoir esté nommé Generalissime des Troupes de l’Empereur.

PASQUIN.

Ce n’est qu’un titre qui ne raccommodera pas ses affaires. Si elles demeurent dans la mesme situation pendant la Campagne, qui est tout l’avantage qu’il peut esperer, les Troupes Allemandes & Espagnoles vivront à discretion dans son Pays, & il faudra qu’il entretienne les siennes.

MARPHORIO.

Le voilà bien à son aise. Il verra d’un costé la moitié de ses Etats entre les mains d’un Monarque qui deffend bien ce qui est en sa possession, & de l’autre, des Troupes dans la partie qui luy reste qui la desoleront entierement. Cependant il seroit juste que les Allemans qui ont tiré cent mille pistoles des Princes d’Italie, les employassent à la guerre d’Italie, puisque cette guerre leur a donné lieu de les presser de leur faire ce present forcé.

PASQUIN.

Le Duc de Savoye n’a rien à esperer des Troupes Allemandes pour son aggrandissement. Elles feront merveilles quand il s’agira de piller. C’est une vieille réputation qu’elles conserveront tant que durera le monde. Quant à l’Empereur, il ne les a pas envoyées pour rendre le Duc de Savoye plus puissant ; il craindroit qu’il ne se vist en estat de se tirer de sa dépendance. Il veut seulement tenir les choses dans l’équilibre, & empêcher que la France ne l’accable, afin que ce Prince ait toujours besoin de luy. Tant que les choses iront de cette maniere, il fera trembler les Souverains d’Italie, & aprés avoir tiré d’eux des sommes immenses pendant plusieurs années, en cas que la guerre dure, il pourra s’emparer de leurs Etats, lors qu’il les verra si affoiblis, qu’ils n’auront plus de quoy se défendre.

MARPHORIO.

Il ne faut pas estre fort éclairé pour découvrir cette politique. Il faudroit mesme partager l’aveuglement du Duc de Savoye, pour ne s’en pas appercevoir.

PASQUIN.

Tous ceux qui n’écoutent que leur passion croyent tout ce qui les flate sans approfondir les choses. Le Duc de Savoye content de sa qualité de Generalissime, croit que rien ne sera capable de luy résister. Il visita tous ses Magazins il y a quelques mois, & crut, aprés avoir mis le memoire de toutes ses Bombes dans sa poche, qu’il estoit en estat de foudroyer toutes les Places de France, ce qui luy fit publier qu’il en alloit bombarder un fort grand nombre. Cependant depuis ce temps-là, il n’a executé ses menaces sur aucune.

MARPHORIO.

Si les bruits d’une Descente en Angleterre, qui sont déja parvenus jusques à nous, se trouvent vrais, ce Duc pourra estre dans un fort grand embaras. Les Protestans de ses Vallées auront les bras morts, & ses Troupes n’ayant plus de Tresorier, seront à l’avenir mal payées.

PASQUIN.

Nous pourrons parler au premier jour de ce qui fait aujourd’huy l’entretien de toute l’Europe à l’occasion de cette Descente, & peut-estre le ferons-nous d’une maniere assez agreable, pour nous faire écouter des honnestes gens.