1692

Mercure galant, mars 1692 [tome 3].

2017
Source : Mercure galant, mars 1692 [tome 3].
Ont participé à cette édition électronique : Nathalie Berton-Blivet (Responsable éditorial), Anne Piéjus (Responsable éditorial), Frédéric Glorieux (Informatique éditoriale) et Vincent Jolivet (Informatique éditoriale).

Mercure galant, mars 1692 [tome 3]. §

[Prelude, contenant le détail ce qui s'est passé à l'arrivée du Roy au Palais Royal] §

Mercure galant, mars 1692 [tome 3], p. 7-20.

Ayant à vous parler de la venüe du Roy à Paris, dont je ne pûs vous entretenir le mois passé, je ne vous feray point d'éloges de ce Monarque, comme je fais d'ordinaire au commencement de toutes mes Lettres, mais je vous diray que tout Paris en fit ce jour-là, & qu'ils furent accompagnez de grandes acclamations de joye. Il seroit fort difficile de vous faire le détail des justes loüanges qu'un monde entier luy donna. On peut juger de ce qu'on dit à sa gloire, par l'empressement qu'eurent à le voir les Peuples de cette grande Ville. Les ruës par où l'on sçavoit que Sa Majesté devoit passer, estoient remplies dés neuf heures du matin, & la campagne se trouva toute couverte de Carosses plus d'une lieuë au delà des Portes.

Monsieur, & Monsieur le Duc de Chartres estant arrivez de fort bonne heure pour avoir l'honneur de le recevoir, le Roy partit de Versailles dans son Carrosse, ayant Madame à costé de luy, & vis à vis Madame la Duchesse de Chartres, Mademoiselle, & Madame la Princesse de Conty Doüairiere. Monseigneur le Dauphin estoit à la portiere du costé du Roy. Sa Majesté estant arrivée au Palais Royal sur les trois heures & demie, & ayant esté receuë par Monsieur & Monsieur le Duc de Chartres, alla à l'appartement de ce jeune Prince, & se rendit ensuite à celuy de Madame la Duchesse de Chartres, qui est à la droite en montant le grand Escalier, & qui a pour premiere piece une fort grande Salle des Gardes, qui estoit destinée pour le Souper. On trouve ensuite une fort belle anti-chambre, & la chambre de Monsieur le Duc de Chartres. Elle estoit magnifiquement meublée, & la Tapisserie à personnages estoit d'aprés Jules Romain. Elle representoit l'histoire de Scipion, & estoit rehaussée d'or. L'ameublement estoit de velours couleur de feu, & la broderie qui le faisoit briller, or & argent, & par bandes. Les Miroirs & les Lustres de cette chambre étoient d'une tres-grande beauté. Le Roy passa ensuite dans un grand Cabinet qui est tout de Menuiserie, avec des figures sculpées & dorées d'or bruny. Il y a dans ce Cabinet plusieurs Tableaux encastrez dans la Menuiserie. Comme on avoit destiné ce lieu pour le Bal, il estoit remply de Lustres. Le Roy & toute la Cour passerent aprés cela dans une petite anti-chambre, & se rendirent de là dans la chambre de Madame la Duchesse de Chartres, dont la Tapisserie par bandes de velours cramoisy plein, estoit enrichie d'une broderie or & argent. Le lit, les fauteüils, & les pliants estoient de broderie d'or plein sans fond. Il y avoit un tres beau Lustre dans cette chambre, & des Miroirs de distance en distance. Le Roy estant ensuite entré dans un petit Cabinet, passa dans une grande Galerie magnifiquement meublée. La tenture de Tapisserie estoit d'aprés le Poussin, & representoit plusieurs de ses Tableaux, comme le Veau d'or, le frappement du Rocher, &c. Les fauteüils, les plians, & le grand tapis d'une table de quinze pieds de long, estoient de bandes or, argent, & vert. Il y avoit quatre beaux Lustres, & au bout de la Galerie, vis à vis de la cheminée, un miroir de soixante & douze pouce de glace, sans y comprendre la bordure avec laquelle ce Miroir a dix pieds de large. Cette Galerie estoit destinée pour le Jeu. Le Roy y laissa Madame la Duchesse de Chartres, & elle tint cercle pendant que ce Prince alla visiter les nouveaux appartemens ausquels S. A. R. fait travailler dans l'endroit où estoient les Academies de Peinture, Sculpture, & Architecture. Sa Majesté ayant demeuré environ demy-heure dans ces appartemens, & prés d'une heure & demie à Paris, monta seule en Chaise, & repassa au travers du mesme Peuple qui remplissoit les ruës à son arrivée, & qui avoit résolu de l'attendre, quand Elle ne s'en seroit retournée que le soir. Les acclamations & les cris de Vive le Roy redoublerent, & furent accompagnez de mille souhaits d'une prosperité éternelle, que l'on expliquoit tout haut. Monseigneur le Dauphin, Monsieur, Madame, & toutes les Dames allerent à l'Opera, & toute cette brillante Cour aprés avoir pris ce divertissement, vint jouër dans la Galerie de Madame la Duchesse de Chartres. Le Jeu fut grand, & la perte & le gain en proportion. On dressa pendant ce temps-là deux grandes tables dans la grande Salle des Gardes. Il y en avoit une de vingt-deux couverts, qui fut tenüe par Monseigneur, & servie par les Officiers de Monsieur, qui tint l'autre table. Celle-là estoit de vingt & un couverts, & fut servie par les officiers de Madame la Duchesse de Chartres. [...] Les Violons de Monsieur joüerent pendant tout le Souper, aprés lequel il y eut Bal dans le grand Cabinet, où s'estoient renduës plusieurs Dames, dont les habits, quoy que superbes, ne laisserent pas d'estre ornez de Pierreries. Le Bal dura jusques à deux heures aprés minuit, & Monseigneur s'en retourna à Versailles.

[Traduction d’une Ode d’Horace, touchant la vie champestre] §

Mercure galant, mars 1692 [tome 3], p. 20-28.

Aprés vous avoir parlé des plaisirs de la Cour, vous ne serez pas fâchée de voir une image de ceux de la Vie champestre. Vous la trouverez dans les Vers qui suivent. C’est une traduction de l’Ode d’Horace, qui commence par, Beatus ille qui procul negociis. Elle est de Mr de Saint Ouën de Caën.

LOUANGES DE LA VIE
CHAMPESTRE.

Heureux, qui dégagé des intrigues du monde
Vit comme au Siecle d’or dans une paix profonde !
Le chagrin dans son cœur ne trouve aucun accés ;
Comme il n’a point de dette, il n’a point de procés ;
L’avarice ne peut luy suggerer l’envie
De courir l’Ocean aux dépens de sa vie.
Aux tumultes de Mars préferant son repos
Il ne s’enteste point du vain nom de Heros,
Et jamais on ne vit sa constance importune
A la porte des Grands attendre la fortune ;
Mais toujours affranchy des loix de l’interest,
Il suffit à soy-mesme, en soy-mesme il se plaist,
Et sans chercher si loin des terres étrangeres
Il laboure le champ que labouroient ses Peres.
Tantost en mariant les vignes aux ormeaux,
Il coupe & jette au feu leurs steriles rameaux,
Et reserve les Seps qui selon son attente
Gemiront quelque jour sous leur charge pesante.
Tantost il prend plaisir en des lieux écartez
A paistre ses troupeaux errans de tous costez,
Ou pressant le travail que l’Abeille compose
Il conserve le suc du Thin & de la Rose,
Et pour se revêtir de modestes habits,
Il fait de leur toison dépoüiller ses brebis.
 Si-tost qu’aprés l’Esté le fructueux Automne
A meury les tresors de la riche Pomone,
Il cueille en ses vergers ses poires, ses raisins,
Pour les offrir aux Dieux des champs & des jardins.
Tantost assis sur l’herbe, à l’ombrage des hestres,
Il apprend aux Echos des airs doux & champestres,
Et s’endort quelquefois au murmure des eaux,
Au soufle des Zephirs, au concert des Oiseaux.
 Mais quand du triste Hiver la mortelle froidure
De ses propres beautez a privé la Nature,
Il marche environné de ses ardens Limiers,
Qui jusqu’au fond des bois forcent les Sangliers.
Il exerce ses traits sur les Liévres timides,
Et retient en ses laqs les Oiseaux trop avides.
Parmy ces petits soins pleins de mille douceurs,
Peut-on n’oublier pas l’amour & ses rigueurs,
Si pour comble de biens, une Epouse pudique
Partageant avec luy cet embarras rustique,
Arreste sur luy seul ses amoureux desirs,
Eleve ses Enfans, en fait tous ses plaisirs,
Luy prépare un grand feu lors qu’il vient de la Chasse,
Court au devant de luy, le caresse, l’embrasse,
Luy presente des mets, qui sont d’autant plus doux,
Qu’ils viennent du travail de cet heureux Epoux ;
Si de sa propre main elle luy verse à boire,
Luy parle des troupeaux qui font toute leur gloire,
Les compte, les observe, en conserve le lait ?
Non, il ne fut jamais de bonheur plus parfait.
Le Cerfeüil, la Laituë, & la Mauve sauvage,
Le Champignon, la Noix, l’Olive, le Fromage,
Pour luy furent toujours d’un goust plus excellent,
Que ne sont l’Esturgeon, la Perdrix, l’Ortolan.
Combien estime-t-il son humble destinée,
Lors que sur le declin d’une belle journée
Il se voit entouré de ses nombreux troupeaux,
Que le Berger ramene au son des chalumeaux !
D’autre part, quel plaisir n’a-t-il point à la veuë
Du coutre renversé qui luit sur la charuë,
Que ses bœufs harassez d’un pas tranquille & lent
Conduisent vers l’étable où le foin les attend ?
Mais lors que de valets une riante troupe
Luy servent au souper le vin à pleine coupe,
Que le travail du jour sert au soir d’entretien,
Est-il quelque bonheur qui soit égal au sien ?
 C’est ainsi que loüant un estat si tranquille
Alphius préferoit la Campagne à la Ville,
Que d’un heureux remords justement combattu,
Il blâmoit son usure, & vantoit la vertu,
Quand prest à devenir Habitant du Village
L’interest aussi-tost à ses lois le rengage.

[Mandement tres-singulier de M. de Noyon] §

Mercure galant, mars 1692 [tome 3], p. 66-74.

[L]'ordre ayant esté donné dans toutes les Villes pour faire chanter le Te Deum en action de graces à Dieu pour cette conqueste, Mr l'Evesque de Noyon a fait paroistre un zele tout singulier dans le Mandement qu'il en a fait publier dans son Diocese. Il est extraordinaire, & d'une maniere si nouvelle, que quoy que le temps de vous l'envoyer semble passé, je croy devoir vous en faire part. Vous y trouverez un Portait du Roy tres-ressemblant, & connoissant autant que je fais vos sentimens d'admiration pour ce grand Monarque, je sçais que je ne sçaurois vous obliger davantage, qu'en vous faisant voir tout ce qui a rapport à sa gloire. Voicy les termes de ce Mandement.

François de Clermont, par la Grace de Dieu, Evêque, Comte de Noyon, Pair de France, Conseiller d'Etat ordinaire. A tous Doyens, Chanoines, Chapitres, Abbez, Abbesses, Prieurs, Curez, Superieurs & Superieures de Communautez Regulieres & Seculieres de nostre Diocese, Salut & Benediction. La justice qui anime le courage, qui arme le bras, qui consacre le glaive de nostre invincible Monarque, nous a toûjours faire esperer que Dieu continuëroit de confondre en tous lieux les injustes desseins des communs ennemis de la Religion, de l'Eglise & de l'Etat. (...)

Et c'est aussi selon les saintes intentions, les justes sentimens, & la religieuse reconnoissance de Sa Majesté, qu'en conséquence de la Lettre dont il luy a plu de nous honorer, nous vous ordonnons de chanter incessamment le Te Deum dans vos Eglises en action de graces à Dieu, avec autant de cérémonie & de solemnité que de devotion & de joye. Donné à Noyon en nostre Palais Episcopal, &c.

[Idylle] §

Mercure galant, mars 1692 [tome 3], p. 75-80.

 

Voici les Vers dont je viens de vous parler ; ils sont de Mr l’Abbé Tribolet.

IDYLLE
Sur la prise de Montmelian.

 L’art tout confus de voir qu’en mille lieux
 LOUIS bravoit sa résistance,
J’iray de la Nature implorer l’assistance,
Dit-il, & ce succés m’est trop injurieux.
 Quoy donc ? cent Princes envieux
 M’ont employé pour les défendre
 Contre leur Ennemy commun ;
 Cependant assieger & prendre
 Chez luy desormais ce n’est qu’un
Non, j’en auray vangeance, & même avec usure.
 Fort en colere il alla de ce pas
 Mettre en son party la Nature.
Finissons, luy dit-il, nos anciens debats.
Je veux bien à la fin l’avouër à ma honte,
 Nature, un Mortel me surmonte,
 Et j’ay besoin de ton secours.
Ton interest au mien est à peu prés semblable,
 Et ce Heros si formidable,
 Dont je ressens le pouvoir tous les jours,
 Ne t’est guere plus favorable.
Il a cent fois tenté, sans craindre tes frimats,
 Les choses les plus difficiles.
Dans le fort de l’hiver on a vû ses Soldats
 S’échauffer à prendre des Villes.
Mais que te dis-je icy que tu ne sçaches pas ?
Il n’a que trop paru dans plus d’une entreprise,
 Combien ce Heros te méprise.
La Nature sans peine approuva son dessein.
 Elle qui couvoit dans son sein
 L’injure que l’Art luy rappelle,
 Parcourut aussi-tost des yeux
Ce qu’elle avoit de plus fort sous les Cieux.
Montmelian, Montmelian, dit-elle,
Me paroist propre à nous vanger tous deux ;
Je l’ay muny d’un roc inaccessible,
 Et toy, d’un solide rempart.
J’attens là ce Heros à qui tout est possible.
Voyons s’il sçait forcer la Nature avec l’Art.
Aprés un tel défi, chacun sembloit attendre
Que cette Place enfin borneroit les exploits
 Du plus puissant & du plus grand des Rois.
Un Rocher, disoit-on, sceut autrefois suspendre
 Le cours rapide d’Alexandre.
On va dire sans doute à la posterité
Qu’au pied d’un roc, LOUIS enfin fut arresté.
 Et qui n’auroit jugé de même ?
 On ne pouvoit sans estre épouvanté
De ce roc escarpé voir la hauteur extrême,
 Et l’on eust pû demander aux François,
 Ce que demandoit autrefois
Un Barbare insolent au Vainqueur de l’Asie.
 Apprenez-moy, disoit-il, je vous prie,
 Si vos Soldats sçavent voler.
 Ouy, les François sçavent voler sans doute,
 Et leur Heros que l’Univers redoute,
 N’eut qu’à vouloir, n’eut qu’à parler.
 Dans le moment, cent Bombes au lieu d’ailes,
 Portant par tout le trépas avec elles,
 Allerent frayer le chemin,
Et bientost nos Guerriers les foudres à la main
 Les obligerent de se rendre.
Aussi, lâche Ennemy, pourquoy pour vous défendre
 Si prés des Cieux vous estre retiré ?
 Ce lieu pour vous estoit mal assuré ;
 Quoy ! ne craigniez-vous point d’estre réduit en cendre,
Vous voyant si voisin du celeste couroux ?
 Malheureux ! à quoy pensiez-vous ?
En approchant du Ciel que pouviez-vous pretendre ?
Ne sçaviez-vous pas bien que le Ciel est pour nous ?

[Lettre d’un Milord touchant les Memoires d’Espagne] §

Mercure galant, mars 1692 [tome 3], p. 131-143.

Il y a longtemps que nous n’avons vû de livres qui ayent fait plus de bruit que Les Memoires d’Espagne, & dont la lecture soit plus agreable. Si la matiere en plaist, la maniere dont elle est traitée donne encore plus de plaisir, & ce qu’il y a de surprenant, c’est que les Etrangers qui devroient moins connoistre la delicatesse & le tour du stile, ne laissent pas de remarquer les beautez de celuy de cet Ouvrage. Vous ne serez pas fâchée de voir là-dessus une Lettre d’un Milord Anglois à un autre Milord de la Cour du Roy d’Angleterre. Elle passe pour un Chef-d’œuvre en ce qu’elle contient, & fait voir de quelle maniere on doit juger des Livres ; à quoy beaucoup de personnes ne font pas reflexion.

LETTRE
DE MILORD MAITLAND
A MILORD
Chancelier d’Angleterre.

MILORD,

J’ay leu avec le plus grand plaisir du monde les Memoires de la Cour d’Espagne que vous m’avez fait l’honneur de me prester. J’en estois si charmé que j’en ay achevé la lecture en vingt-quatre heures. Vous avez le goust fort bon, & vous les avez loüez avec beaucoup d’esprit & de jugement. J’avouë que j’y trouve des beautez qui sont fort difficiles à exprimer. Il y a dans ce Livre un je ne sçay quoy, qui donne un extrême plaisir, & que l’on ne sçauroit dépeindre, à moins que d’avoir autant d’esprit que Madame D.… mais comme je suis assuré que vous serez bien aise de sçavoir mes sentimens sur cet ouvrage, je prends la hardiesse de vous les dire librement. Etant estranger, je ne prétens pas juger du stile qui me paroist pur, concis & naturel. Toutes les paroles en sont choisies à merveilles. Pour ce qui est de la matiere, je commenceray par les caracteres & les portraits des personnes interessées dans ces Memoires. Ce sont les écueils des Historiens où ils manquent le plus souvent, & comme c’est la chose la plus necessaire & la plus utile, elle est aussi la plus difficile dans l’Histoire. Il n’est pas seulement difficile d’écrire le caractere d’une personne telle qu’elle est ; mais il est difficile de le soutenir, & de faire paroistre toujours cette mesme personne dans toutes ses actions, démarches & paroles dans le fil de l’Histoire, telle que l’Historien l’a dépeinte dans le portrait qu’il en fait. C’est en cela que l’Auteur de ces Memoires a parfaitement bien réussi, & ce que j’admire davantage, c’est ce grand nombre de caracteres différens dont ces Memoires sont remplis, où les interests & les inclinations sont si partagées, sans qu’il se trouve aucune contradiction dans tout l’ouvrage. Aucun n’y dément son caractere. Ils se soutiennent par tout d’une force étonnante, & quoy que Madame D.… dise la verité des Princes & des Grands, elle ne sort jamais du respect dû à leur naissance, & tout ce qu’elle dit est si naïf & si naturel, qu’en lisant son Livre je me crois à Madrid, & parmy les Grands d’Espagne. Elle entraisne le Lecteur malgré luy, à entrer dans ses sentimens. On ne sçauroit approuver toute la conduite de la Reine-Mere d’Espagne, & l’on n’oseroit pourtant la blasmer. Il faut de necessité plaindre le Pere Nitard dans sa disgrace, sans estre de son party contre Dom Juan. Il faut estimer Dom Juan malgré ses défauts. Il faut avoir pitié de la Duchesse de Terranova, quand elle est chassée de la Cour, malgré son humeur bizarre & farouche. Il faut regarder le Duc de Medina-Celi, comme honneste homme malgré son indolence ; mais sur tout, le caractere de la Reine d’Espagne me ravit, car sans flatter & sans exageration, Madame D.… a trouvé le secret admirable d’inspirer au Lecteur une sublime idée de cette grande Reine, & dans des évenemens assez mediocres, elle ne laisse pas de nous faire voir la grandeur de son courage, la politesse de son esprit, la candeur de son ame, la beauté de son corps & sa bonté naturelle. Tout ce que je diray du Roy d’Espagne est, que si Sa Majesté Catholique vouloit faire traduire ces Memoires en Espagnol, Elle en tireroit plus de profit pour le Reglement de ses affaires, que par la lecture de son Etiquete du Palais, & Elle n’auroit pas besoin de dire si souvent, Veremos.

En second lieu, je trouve les digressions, que Mad. D… a semées fort à propos par tout l’ouvrage, tres spirituelles, judicieuses & divertissantes, n’ennuyant jamais le Lecteur, n’interrompant jamais le fil de la narration, mais au contraire l’éclaircissant encore davantage. C’est un autre secret entendu de peu de gens qui se meslent d’écrire des Memoires. Quelques uns trouvent à redire que le recit du mariage de la Princesse de Conty soit un morceau hors d’œuvre. A mon gré, c’est le trait le plus delicat du Livre, à l’égard de la Reine d’Espagne qui avoit ordonné à Mad. D.… de luy montrer des nouvelles de France. Que pouvoit-elle faire voir à Sa Majesté de plus agréable que la relation du mariage d’un Prince & d’une Princesse de son sang ? Que pouvoit-elle luy presenter de plus charmant, & de plus auguste que le cercle de sa Famille Royale dans une occasion si celebre, au milieu des solitudes d’Espagne ? Cela estoit de bien meilleure grace que d’avoir presenté à Sa Majesté les avantages de la France contre l’Espagne, qui sont les nouvelles les plus ordinaires que le Courier apporte à Madrid. Et à l’égard de la Princesse de Conty, comme Mad. D… a dedié son Livre à cette Princesse, elle ne pouvoit luy faire un compliment plus spirituel, qu’en luy faisant voir comme dans un miroir l’éclat surprenant de sa beauté, les deux plus beaux jours de sa vie, la veille & le jour de ses noces. Enfin jamais Lettre de nouvelles n’a esté mise dans des Memoires plus à propos, ny avec plus d’effet. Les descriptions des Entrées, Festes, Bals, Chasses, & des autres divertissemens de la Cour, sont justes & naïves ; les dénouëmens des intrigues & des brigues des Courtisans sont admirables & nets, sans confusion ; ses raisonnemens politiques sur les affaires sont fort beaux & de bon goust, & le genie & les mœurs des Espagnols sont representez au naturel sans leur faire tort. Enfin, Milord, ce Livre est fort agreable, fort galant & fort utile. Je ne sçay si Lucien qui nous a laissé les plus beaux préceptes pour l’Histoire, eust pû mieux faire s’il eust mis ses regles en pratique, mais pour ne vous pas fatiguer, je finiray mes remarques en vous assurant que je suis tout à vous.

[Grandes Solemnitez faites à Toulouse] §

Mercure galant, mars 1692 [tome 3], p. 144-159.

On a fait de grandes Solemnitez au grand Convent des Augustins de Toulouse, pour la Feste de la Canonisation de S. Jean de Sahagun, Religieux Augustin, & Patron de la Ville & de l'Université de Salamanque. (...)

La ceremonie de cette solemnité commença le 4. du mois passé, & continua pendant huit jours. L'ouverture en fut faite aux Vespres du jour précedent en presence du Parlement, la Feste ayant esté annoncée à une heure aprés midy par le son des Cloches, les fanfares des Trompettes, & au bruit de plusieurs décharges de Fauconneaux & de Mousquets, que les Soldats du Guet de l'Hostel de Ville firent au haut du Clocher des Augustins, ce qui fut réiteré sur les sept heures du soir, & à quoy l'on ajoûta des fusées volantes. Le lendemain au matin, les Peres Augustins allerent en Procession à l'Eglise Métropolitaine, portant les trois Banieres du Saint, dont les houpes estoient tenuës par les principaux de la Communauté, revêtus de Chapes. Ils en partirent de mesme processionnellement avec le Corps du Chapitre, qui celebra la Grand Messe dans leur Eglise, chantée par une excellente Musique. L'aprésdînée, le Panegyrique du Saint fut prononcé par un du Corps du mesme Chapitre, où Mr l'Archevesque de Toulouse assista, & donna la Benediction du saint Sacrement, revestu de ses ornemens Pontificaux, les Religieux ayant chanté l'Exaudiat à trois Choeurs, ce qui s'observa chaque jour de l'Octave, pendant laquelle il y eut des motets tous differens.

Les six jours suivans, les Dominiquains, les Cordeliers, & autres Religieux, toûjours suivis d'une foule de peuple, se rendirent dans la mesme Eglise des Augustins processionnellement, portant la Baniere du Saint. Il estoient reçûs par les Augustins à la porte de l'Eglise, & entrant tous ensemble en chantant, ils alloient droit à l'Autel, ce qui paroissoit d'une pompe singuliere. La Messe fut chantée & celebrée par chaque Communauté avec cette gravité, que les nombreuses Communautez de Toulouse ont acccoûtumé de faire leurs Offices dans de semblables occasions. Tous les Freres Communioient de la main de leur Superieur, qui officioit à la Messe. Le Vendredy dans l'Octave, les Penitens Noirs signalerent leur zele par une Procession dans la mesme Eglise, & reçurent la Communion de la main de Mr de Thezan du Pujol, Abbé d'Olargues, Prieur de la Compagnie, & Conseiller au Parlement, qui celebra le Messe. Elle fut chantée par la Musique, & le soir il donna la Benediction du saint Sacrement. Le Dimanche, les Penitens Bleus firent paroistre une égale pieté, & s'estant rendus processionnellement dans la mesme Eglise, ils communierent sur la fin d'une grand'Messe chantée aussi par la Musique, celebrée par Mr l'Abbé de Boyer, Souprieur de la Compagnie, & Conseiller au Parlement, qui donna le soir la Benediction. Le mesme jour, sur les deux heures aprés midi, les Augustins firent une Procession solemnelle par la Ville, au nombre de quatre-vingt. Il y en avoit trente sept revestus en Chappes ou Dalmatiques. Les seize Chantres, qui étoient distribuez alternativement aprés dix Religieux non revestus, ayant chacun un cierge à la main, portoient un bourdon d'argent. On y vit paroistre les trois Banieres du Saint, dont la premiere estoit placée à la teste. Aprés la derniere estoient les Trompettes, Haut-bois & autres instruments de l'Hôtel de Ville qui joüoient par intervalles, quand les Religieux cessoient de chanter. Ensuite venoient sept Pavillons richement parez, où estoient sept bustes magnifiques de sept Saints differens de l'Ordre de saint Augustin, dans lesquels sont des Reliques des mesmes Saints. Chaque Pavillon estoit porté par quatre Religieux des Communautez, qui avoient chanté la grand'Messe pendant la semaine, excepté celuy de saint Jean de Sahagun, que portoient quatre Augustins revestus de Dalmatiques. Au tour de ces Pavillons, marchoient quatorze Bourgeois avec des Flambeaux de cire blanche. Aprés l'Officiant, accompagné d'un Diacre, d'un Soudiacre & de quelques enfans habillez en Anges, qui tenoient les extremitez de sa Chappe, & dont il y en avoit encore plusieurs distribuez dans l'ordre de la Procession, les Capitouls, ayant aussi chacun un flambeau à la main avec leurs Robes de ceremonie, precedez de leurs Officiers, & suivis de leurs soldats, fermoient la marche. La premiere station se fit à l'Eglise Metropolitaine, où une des trois Banieres fut laissée. On alla de là à l'Eglise Abbatiale de saint Sernin, que Mrs du Chapitre avoient fait orner de tapisseries. Ce furent eux qui firent la closture de cette Solennité le jour de l'Octave. Ils s'en acquiterent avec grande pompe, & reçurent une Baniere du Saint que leur presenta le Superieur, le soir avant qu'ils donnassent la Benediction. La Musique chanta l'Exaudiat & le Te Deum, & à mesme-temps la troisiéme Baniere fut élevée & attachée à la voute de l'Eglise des Augustins. La Benediction donnée, tout la Communauté des Religieux avec douze Officiers revestus, se rendit Processionnellement, en chantant l'Iste Confessor, au bucher preparé, où le Superieur ayant mis le feu, entonna le Te Deum, qui fut continué jusques à la fin, tandis le bruit des Fauconnaux & des mousquets se faisoit entendre du clocher, & au dessus de la voute de l'Eglise. Lors qu'il fut un peu plus tard, il y eut pendant une heure une espece de feu d'artifice par le grand nombre des fusées qui s'élevoient en l'air. Durant l'Octave on entendoit à toute heure tirer au clocher ; mais principalement quand les Processions entroient ou sortoient, ou qu'elles estoient dans l'Eglise.

Epitre chagrine §

Mercure galant, mars 1692 [tome 3], p. 159-175.

Des marques de pieté aussi éclatantes que celles dont je viens de vous parler, sont d’une grande édification pour les peuples. Heureux qui ne les donne point par hypocrisie, & qui est dans l’ame ce qu’il paroist au dehors. Si ceux qui ont le cœur veritablement touché des veritez que la Religion nous enseigne sont tres estimables, il n’y a rien de plus dangereux que les faux Devots, qui n’ayant en veuë que leurs interests, sont seulement pieux par grimace, & trouvent l’art de faire servir à leurs passions les apparences trompeuses qu’ils employent pour persuader que l’Esprit de Dieu regle leur conduite. Vous verrez leur caractere admirablement dépeint dans l’excellent Ouvrage que vous allez lire. Il est de l’Illustre Madame des Houlieres, que la beauté de ses Vers, & le tour heureux & delicat qu’elle donne à ses pensées, mettent au dessus de toute loüange.

EPITRE CHAGRINE,
Au R.P. de la Chaise.

 Sous le debris de vos attraits
Voulez vous demeurer toujours ensevelie ?
M’a dit quelqu’un, d’un nom que par raison je tais,
Qui s’est imaginé que ma mélancolie
Vient moins d’une santé dés longtemps affoiblie,
Que du reproche amer qu’en secret je me fais,
 De n’estre plus assez jolie
Pour faire naistre encor quelque tendre folie ;
Frivole honneur, sur quoy je ne comptay jamais.
***
Apprenez, me disoit ce quelqu’un Anonime,
 Que lors que ce qu’on a de beau
Est du temps ou des maux devenu la victime,
Il faut, pour acquerir une nouvelle estime,
 Se faire un merite nouveau ;
Que c’est ne vivre plus que de vivre inutile ;
 Qu’il faut, dans quelque rang qu’on soit,
Que jusqu’au dernier jour une personne habile
 Tienne au monde par quelque endroit.
Vous ne répondez point ! d’où vient vostre silence ?
Il vient, luy dis-je alors exprés pour découvrir
Où tendoit cette belle & sage remontrance.
 De ce qu’en moy-mesme je pense
Quel merite nouveau je pourrois acquerir.
 Je n’en vois point, tant je suis sotte.
Abus, s’êcria-t-il ! hé, devenez devote.
Ne le devient-on pas à la Ville, à la Cour ?
Moy devote ! qui moy ? m’écriay-je à mon tour,
L’esprit blessé d’un terme employé d’ordinaire
Lors que d’un Hypocrite on parle avec détour ?
Ouy, vous, repliqua-t-il ; vous ne sçauriez mieux faire.
De la devotion ayez moins de frayeur.
 Elle est rude pour le vulgaire,
Mais pour nous il ne faut qu’un peu d’exterieur.
Allez, pour soutenir le devot caractere,
Il n’en coutera pas beaucoup à vostre cœur.
***
Tout ce que la fortune a pour vous d’injustices
 Par là pourroit se réparer.
Regardez vos Parens vieillir sans Benefices.
Songez qu’à vostre Epoux cinquante ans de services
 N’ont encor pû rien procurer ;
Qu’un tas de Creanciers à vostre porte gronde,
Et que-chez les Devots, biens, honneurs, tout abonde.
Que la mode est pour eux, & peut longtemps durer,
Et qu’outre ces raisons sur quoy chacun se fonde,
 Vous aurez droit de censurer
 Les actions de tout le monde.
***
 Allons doucement, s’il vous plaist,
Luy dis-je, & supposé qu’à vos leçons fidelle,
Je prenne aux yeux du monde une forme nouvelle
 Par une raison d’interest,
 LOUIS, éclairé comme il est,
 Quoy que vous osiez me promettre,
 Connoistra ma fourbe ; il penetre
 Au delà de ce qui paroist.
A quoy m’aura servy ma devote grimace,
 Qu’à m’en faire moins estimer ;
 Malheur dont la simple menace
 Plus que la mort peut m’alarmer ?
***
Quand, me repliqua-t-il, on est à vostre place,
Il ne faut pas avoir tant de précaution ;
Mais dût pour vous le sort ne changer point de face,
 Certain air de devotion,
Lorsque l’on n’est plus jeune, a toûjours bonne grace ;
 Redoublez vostre attention.
Voyez quel privilege au nostre peut atteindre.
Avec des mots choisis aussi doux que le miel ;
 Sur les gens d’un merite à craindre
 On répand à grands flots le fiel.
On peut impunément pour l’interest du Ciel
Etre dur, se vanger, faire des injustices.
Tout n’est pour les Devots que peché veniel.
Nous sçavons en vertu transformer tous les vices,
De la devotion c’est là l’essentiel.
***
Taisez-vous, Scelerat, m’écriay-je irritée,
Tout commerce est fini pour jamais entre nous.
 J’en aurois avec un Athée,
 Mille fois plustost qu’avec vous.
Mais tandis qu’en discours ma colere s’exhale,
 Ce faux, ce dangereux Ami,
Sort de mon cabinet, traverse chambre & salle
D’un air brusque & confus, d’un pas mal affermi,
Et me laisse une horreur, qu’aucune horreur n’égale.
 Ah ! c’est un Devot de cabale,
Mais qui ne sçait encor son mestier qu’à demi.
Il faut de l’art au choix des raisons qu’on estale.
 Aussi les habiles Devots
 Selon les gens ont leur morale,
Et ne se livrent pas ainsi mal à propos,
***
Qu’ils sont à redouter ! Sur une bagatelle
 Leur donne-t-on le moindre ennui,
 Leur vangeance est toûjours cruelle.
On n’a point avec eux de legere querelle.
Fasche-t-on un Devot, c’est Dieu qu’on fasche en luy.
Ces Apostre du temps, qui des premiers Apostres
 Ne nous font point ressouvenir,
 Pardonnent bien moins que nous autres.
 Contr’eux veut-on se maintenir,
Empescher qu’à leurs biens ils ne joignent les nostres,
C’est une impieté qu’on ne peut trop punir.
De la Religion c’est ainsi qu’ils se joüent,
Ils ont un air pieux répandu sur le front
 Que leurs actions desavouënt,
 Ils sont faux en tout ce qu’ils font.
***
Le mestier de Devot, ou plustost d’Hypocrite,
Devient presque toûjours la ressource des gens,
Qu’une longue débauche a rendus indigens ;
 Des Femmes que la beauté quitte,
Ou qui d’un mauvais bruit n’ont pû se preserver,
 Et de ceux qui pour s’élever
 N’ont qu’un mediocre merite.
Dés que du Cagotisme on fait profession,
De tout ce qu’on a fait la memoire s’efface.
 C’est sur la réputation
 Un excellent vernis qu’on passe.
Si je pouvois trouver d’assez noires couleurs,
Que j’aimerois à faire une fidelle image
 Du fond de leurs perfides cœurs,
 Moy qui hais le fard dans les mœurs
 Encor plus que sur le visage,
Et qui sçais tous les tours que mettent en usage
 Nos plus celebres imposteurs !
 Quel plaisir pour moy ! quelle joye,
 De demasquer ces scelerats,
A qui le vray merite est tous les jours en proye,
Et qui pour l’accabler par une seure voye
De l’interest du Ciel couvrent leurs attentats !
***
 Mais, me pourra dire un Critique,
 Vostre esprit s’égare, arrestez.
Quand pour les faux Devots vostre haine s’explique,
Songez bien contre vous quelles gens vous mettez.
Pour affoiblir les coups que sur eux vous portez,
Ils vous peindront au Roy comme une libertine.
Je fremis des ennuis que vous vous apprestez.
Croyez-moy, contre vous que rien ne les chagrine.
***
 Non, non, dirois-je à ce Censeur,
Je suis leur ennemie, & fais gloire de l’estre,
Et s’ils osoient sur moy répandre leur noirceur,
 Quelque Ouvrage pourroit paroistre,
Où je les traiterois avec moins de douceur,
Et par leurs noms enfin je les ferois connoistre.
 Hé quoy donc, parce que le Roy
De toutes les vertus donne de grands exemples,
Que pieux, charitable, assidu dans nos Temples,
Il aime le Seigneur, le sert de bonne foy,
Que pour ses interests il soûtient seul la guerre,
Qu’il a planté la Croix aux deux bouts de la terre,
Et que des libertins il fut toujours l’effroy,
On n’osera parler contre les Hypocrites ?
Hé, qu’ont-ils de commun avec un un tel Heros ?
 Censeur, sur ce que vous me dites
 J’ay l’esprit dans un plein repos.
***
O vous, qui de Loüis heureux & sacré guide,
Luy dispensez du Ciel les celestes tresors,
 Vous dont la pieté solide,
Loin d’étaler aux yeux de fastueux dehors,
 Et d’avoir d’indiscrets transports,
Est pour juger d’autruy toujours lent & timide,
 Vous enfin dont la probité
Du sang dont vous sortez égale la noblesse,
Daignez auprés du Prince aider la verité,
 Si quelque Hypocrite irrité
 En luy parlant de moy la blesse.
De ma foy, de mes mœurs vous estes satisfait.
 Vous ne l’estes pas tant, peut-estre,
De ma soumission pour le Souverain Estre,
Dans les maux que souvent la fortune me fait ;
Mais si je ne suis pas dans un estat parfait,
 Je sens que j’y voudrois bien estre.
Ouy, je voudrois pouvoir, comme vous le voulez,
Sanctifier les maux qui me livrent la guerre.
Ah ! que mon cœur n’est-il de ces cœurs isolez
Qui par aucun endroit ne tiennent à la terre,
Qui sont à leurs devoirs sans reserve immolez,
A qui la Grace assure une pleine victoire,
 Et qui d’un divin feu brûlez,
A la possession de l’Eternelle Gloire
 Ne sont pas en vain appellez !

[Nouvelle médaille]* §

Mercure galant, mars 1692 [tome 3], p. 175-176.

Je continuë à vous envoyer les revers des Medailles qui doivent composer l’Histoire Metallique de Sa Majesté. Celuy que je vous envoye a esté fait pour la Medaille qui fut frapée à l’occasion de la prise de Luxembourg. Les paroles Latines qu’il contient font voir que le Roy attaqué par l’Espagne, à laquelle il estoit superieur, & par le droit de sa cause, & par le grand nombre de ses Troupes, n’eut pas si-tôt soumis Luxembourg, qu’il mit le comble à la gloire qu’il s’estoit acquise par tant de conquestes, en accordant de nouveau la paix à l’Europe.

[Discours prononcé à l’Académie Françoise] §

Mercure galant, mars 1692 [tome 3], p. 176-185.

Je vous appris il y a un mois que Mr de Tourreil avoit esté reçû à l’Académie Françoise, où il avoit fait un tres-beau remerciment. Voicy la réponse que luy fit Mr Charpentier, Doyen, & alors Directeur de la Compagnie. Vous ne serez point surpris d’y trouver beaucoup de traits d’érudition, puisque vous sçavez qu’il possede éminemment les plus belles connoissances. Voici de quelle maniere il parla à ce nouvel Academicien.

DISCOURS PRONONCÉ
à l’Académie Françoise par Mr Charpentier, Doyen & Directeur de cette Compagnie le Jeudy 14. Février 1692. lorsque Mr de Tourreil y fut reçû.

Monsieur.

Vous entrez heureusement dans l’Académie Françoise, immediatement aprés que nostre Auguste Protecteur nous a exhortez de jetter toûjours les yeux dans nos élections, sur des personnes d’un sçavoir distingué. Nous ne pouvions pas luy donner une marque plus prompte ni plus precise de nostre obeissance.

En remportant par deux fois le Prix de l’Eloquence au jugement de l’Académie mesme, vous vous en estes ouvert les portes par cette douce violence que le Merite fait à l’Honneur. Vostre version Françoise de quelques-unes des plus belles harangues de Demosthene, où vous soustenez si bien ce stile nerveux & cette force de raisonnement, qui s’y sont toûjours fait admirer, a brigué nos voix pour vous en cette occasion, & ce sont-là les brigues où LOUIS LE GRAND ne trouvera jamais rien à redire. Eh ! que ne doit-on point attendre à l’avenir de vostre érudition & de l’age florissant où vous estes ? C’estoit un usage estably dans l’Académie de n’y recevoir personne, qui n’eust imprimé quelque ouvrage, pour répondre de son heureuse application aux belles Lettres, & nous nous souvenons toûjours d’un celebre Conseiller d’Etat, qui souhaitant ardemment une place de cette Compagnie, fit mettre sous la presse un Traité de sa composition, qu’il ne laissa sortir de son Cabinet, que pour satisfaire à une coustume si loüable ; car qui est-ce qui pourroit avec honneur se dispenser d’un Noviciat si illustre ? C’est ce qui attire les suffrages du Public que nous devons regarder comme le plus redoutable Critique de nos élections, & qui ne reconnoist point ces merites cachez, qui par crainte ou par orgueil évitent de se soumettre à son Tribunal. Ne faut il pas admirer, Messieurs, la sage Prévoyance de LOUIS LE GRAND, qui prenant à cœur la gloire de cette Académie, nous montre luy-mesme l’unique voye que nous devons tenir pour la faire subsister avec splendeur ; Toute autre route nous meneroit à sa ruine. Le Cardinal de Richelieu l’avoit bien senti, quand il assembla les premiers Académiciens. Souvenez-vous en, Messieurs, & rappellez la memoire des grands hommes, qui contribuerent de leurs soins & de leur réputation à l’establissement de la Compagnie. Representez vous le grand Chancelier Seguier, de qui l’on peut dire, mettant à part sa dignité, qu’il a esté un des plus excellens Orateurs de son Siécle, & je ne doute point que s’il me pouvoit entendre, il ne se tinst honoré de ce que je dis de luy, puisque l’Empereur * Numerien voulut bien qu’on luy élevast une statuë sous le titre du plus éloquent Orateur de son temps. Representez-vous les Gombauts, les Chapelains, les Boursés, les Voitures, les Vaugelas, les Racans, les la Chambres, les Corneilles, les d’Ablancourts, les Saint-Amants, les Godeaux, les Balsacs, quels noms, Messieurs ! Et figurez-vous que c’est l’intention de Sa Majesté, que vous donniez des Successeurs à ces grands personnages, non seulement pour occuper leurs places, mais pour les remplir. Je les ay tous connus, ces hommes incomparables que je viens de vous nommer, & c’est par leurs suffrages que je me suis veu élevé en un rang dont je ne m’estime pas encore digne. Je ne diray point comme quelques-uns ont fait, que c’estoit le Siécle d’or de l’Académie, car c’est un nom qu’il faut reserver tout entier, au Siécle où nous vivons sous la Protection du plus magnanime Roy du monde.

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[Conversion de Mr Lury, Rabin de la Sinagogue de Mets] §

Mercure galant, mars 1692 [tome 3], p. 219-222.

Le 7. du mois passé Mr Lauri, fameux Juif de Mets, & l'un de plus sçavans Rabins de la Synagogue, fut baptisé dans l'Eglise de saint Simplice, l'une des plus belles de la Ville, qui estoit éclairée de quantité de lumieres, & que l'on avoit ornée de lustres & de riches tapisseries. Il s'y rendit, suivi de six de ses enfans, tous vestus de blanc avec des couronnes de fleurs sur leur teste, & qui estoient conduits par les personnes les plus qualifiées, qui leur devoient servir de parrains & de marraines. Il y avoit encore deux grandes Filles Juives, parentes de celuy qui faisoit le principal sujet de la feste. Mr le grand Vicaire, accompagné du Clergé, qui vint en Procession, fit ranger le Pere, les six Enfans, & les deux grandes Filles, & aprés avoir invoqué le S. Esprit, il leur donna à tous le Baptesme. Mr de Givry, Commandant dans la Place, & Madame l'Intendante, qui avoient conduit le Cathecumene au pied de l'Autel, le nommerent Louis, de la part du Roy. Il seroit bien difficile d'oüir une symphonie plus animée que celle des Trompettes, des Flutes douces, des Haut-bois, des Violons, & des Orgues, qui faisoient retentir toute l'Eglise de Cantiques de joye & de loüanges. Dans la Place qui répond à la porte de cette Eglise, estoient plusieurs bataillons rangez en bel ordre, qui firent trois décharges de mousqueterie, tandis que le Canon de la Citadelle se faisoit entendre avec grand bruit. Aprés la cérémonie, tous les nouveaux baptisez furent conduits chez Mr l'Intendant. La Femme de Mr Lauri qui s'estoit fortement opposée à la conversion de son Mary, & à celle de ses Enfans, fut touchée de Dieu quelques jours aprés, & on la vit disposée à recevoir le Baptesme, à l'arrivée de Mr l'Evesque de Mets, que l'on attendoit incessamment.

[Le Theatre Philosophique] §

Mercure galant, mars 1692 [tome 3], p. 222-225.

On debite depuis quelques jours chez le sieur Barbin, au Palais, & chez le sieur Musier, sur le Quay des Augustins, un Livre intitulé, Theatre Philosophique, sur lequel on represente par des Dialogues dans les Champs Elisées les Philosophes Anciens & Modernes, & où l’on rapporte ensuite leurs opinions, leurs reparties, leurs sentimens, & les plus remarquables actions de leur vie. Mr l’Abbé Bordelon en est l’Auteur. Voicy le sixiéme Ouvrage qu’il donne au Public depuis deux ans. Celuy-cy contient trente Dialogues, dans chacun desquels deux Philosophes parlent, & se disent réciproquement, sans se rien déguiser, & d’une maniere critique, ce qu’ils pensent l’un de l’autre. Aprés chaque Dialogue, l’Auteur rapporte la Vie des deux Philosophes qui ont parlé, & tout ce qu’il y a de plus curieux à sçavoir de ce qu’ont dit ou fait les Philosophes Anciens & Modernes ; & ainsi on a dans un mesme Ouvrage trente Dialogues qui divertissent agréablement, & la vie de 60. Philosophes. Le Public doit beaucoup à ceux qui nous fournissent les moyens d’apprendre en deux jours de lecture, ce qui demanderoit plusieurs années d’étude, d’application & de remarques. Si vous estes du nombre des Dames qui passent par dessus les Epîtres dédicatoires sans les vouloir lire, je vous conseille de vous arrester à celle du Livre de Mr Bordelon. Elle passe dans le monde pour un des plus reguliers & des plus delicats Ouvrages qui se puissent faire dans ce genre d’écrire.

[Perte pour le Theatre François] §

Mercure galant, mars 1692 [tome 3], p. 225-231.

On a beau estre distingué par l’éclat de la plus illustre naissance, par les dignitez les plus hautes, & par les emplois les plus relevez. Nous voyons tous les jours la memoire d’une partie de ceux qui possedoient ces avantages décriée aprés leur mort, pendant que le Public rend justice à ceux qui honoroient leurs emplois plûtost que d’en estre honorez. Cela vient d’arriver à l’égard de Mr de la Grange, Comedien du Roy, tout Paris ayant dit lors que le bruit de sa mort fut répandu, que c’estoit un honneste homme. La mort d’un homme aussi connu, & qui a esté toute sa vie dans les divertissemens du Roy, peut devenir une nouvelle publique, & celles qui nous viennent de Hollande en ont parlé, mais les Memoires qu’on y avoit receus n’estoient pas fidelles, puis-qu’on a dit que le Curé de S. Sulpice avoit refusé de l’enterrer. C’est ce qui est aisé à détruire, puis qu’il estoit de la Paroisse de S. André des Arcs, où il a esté inhumé à l’heure de midy, en presence de plus de mille personnes. Ces bruits viennent de l’ignorance de ceux qui ne distinguent pas les temps où les Peres ont condamné la Comedie. On voyoit alors des prostitutions sur le Theatre, & les matieres les plus saintes y estoient tournées en dérision ; mais la Comedie a bien changé de face depuis ce temps-là, & elle n’a pour but aujourd’huy que de punir le vice, de récompenser la vertu, & de corriger les defauts d’autruy ; de sorte qu’il n’y auroit rien à reprendre dans ces spectacles, si l’on n’y laissoit point échaper de temps en temps des endroits un peu trop libres, qui attirent des censeurs à tout ce qui a le nom de Comedie. Si ces Censeurs ont trop de severité, les Auteurs & les Comediens se flatent trop, lors qu’ils ne prennent pas garde que ceux qui ont ry de ces endroits, sont les premiers à les condamner, & qu’en empêchant la moitié de Paris d’aller à la Comedie, ils donnent prise à ceux dont le zele ne veut rien considerer. Si la Comedie est condamnable, elle doit estre bannie de tous les Etats où l’on professe la mesme Religion. Cependant l’Inquisition la permet en Italie & en Espagne. Il n’y a personne qui ne sçache l’extrême severité de cette Jurisdiction, à laquelle l’on donne le surnom de Sainte dans tous les lieux où elle est établie & qui prononce souvent des Arrests de mort pour de fort legeres fautes lors qu’elles regardent la Religion. Plusieurs volumes ne suffiroient pas pour parler à fond de tout ce qu’on pourroit alleguer pour & contre la Comedie, & loin de vouloir faire icy une Dissertation, je n’ay dit que ce que j’ay trouvé tellement attaché à mon sujet, que je ne pouvois vous écrire la moitié que je vous apprens, sans vous faire sçavoir ce que les Nouvelles publiques ont dit avant moy sur cet article, & par où l’on peut répondre à ce qu’elles ont voulu insinuer.

[Histoire] §

Mercure galant, mars 1692 [tome 3], p. 231-245.

Il est dangereux de voir souvent ce qui plaist. Un Cavalier, né avec une entiere aversion pour le mariage, sçavoit si bien l’art de se ménager auprés des Belles, que quelques douceurs qu’il leur pust dire, son cœur n’y avoit aucune part. Cette heureuse indifference luy faisoit mener une vie fort agreable. Son bien, sa naissance, & le tour de son esprit luy donnoient accés par tout, & il se faisoit peu de parties divertissantes, où l’on ne cherchast à le faire entrer. Ses manieres aussi polies qu’enjoüées, estoient un grand assaisonnement pour le plaisir, & si l’on eust moins connu son caractere, qui le rendoit ennemi de l’engagement, plus d’une belle personne se fust fait honneur de luy pouvoir donner de l’amour. Aprés s’en estre garanty long-temps, il en prit enfin pour une Blonde qui luy fit sentir ce qu’il n’avoit point encore éprouvé. Il la rencontra un jour dans une fort grande compagnie, où elle ne put se deffendre de chanter. Elle accompagna sa voix du Thuorbe, & l’agrément de son chant augmentant les graces qui luy estoient naturelles, fut un charme si sensible pour le Cavalier, qu’aprés luy avoir donné mille loüanges, il luy demanda permission de la voir chez elle. Il y alla dés le lendemain, & la trouva seule avec sa Mere. Il fut fort bien reçû de l’une & de l’autre, & la conversation qu’il ne laissa pas languir, luy fit découvrir dans la belle Blonde un esprit doux & aisé qui redoubla fort l’estime dont il avoit esté prévenu d’abord pour elle. Il luy rendit cinq ou six autres visites, & eut le plaisir de l’entendre encore chanter. Sa voix fit toûjours sur luy des impressions tres-fortes, & ce qu’il disoit à l’avantage de cette aimable personne estoit soutenu de regards si vifs, que ses yeux parloient de ce que sentoit son cœur. La Belle répondoit modestement aux discours flateurs qu’il luy tenoit, & quand elle vouloit ne les imputer qu’à l’habitude qu’il s’estoit faite d’en conter à tout le monde, il prenoit son serieux, & luy protestoit avec chaleur, que s’il ne disoit ailleurs que des choses obligeantes que l’on pouvoit n’écouter que comme venant d’un galant homme, il luy parloit tres-sincerement, lors qu’il l’assuroit qu’elle luy avoit appris enfin à aimer. Ses soins assidus donnerent bien-tost l’alarme à un Amant que la Belle avoit, & comme il n’étoit ny aussi riche, ny d’aussi bonne maison que le Cavalier, il la pria de luy dire, s’il devoit se retirer. La Belle qui avoit assez de panchant pour luy, parla de ses plaintes à sa Mere, qui estant bien aise de prendre de-là occasion de faire expliquer le Cavalier, luy dit fort civilement, que les manieres honnestes qu’il avoit pour elle & pour sa Fille, leur faisoient tenir à beaucoup d’honneur les sentimens d’estime empressée qu’il leur témoignoit par ses visites, mais qu’une pareille assiduité pouvant refroidir un homme qui luy paroissoit vouloir épouser sa Fille, elle le croyoit assez de ses amis pour consentir volontiers à ne la plus voir que tres-rarement. Le Cavalier que le compliment surprit, ne consulta que son cœur dans sa réponse, & ne pouvant se résoudre à se priver du plaisir qu’on luy vouloit retrancher, il dit à la Mere, qu’il consideroit trop sa Fille pour ne pas chercher ses avantages, & que bien loin de luy vouloir nuire, si elle avoit encore le cœur assez libre pour estre en estat de le préferer, il prendroit la place de celuy qu’il chasseroit. Une declaration si favorable leur parut trop positive, pour leur laisser aucun lieu de craindre, qu’il n’eust pas le cœur veritablement touché. La Belle ne déguisa rien à son Amant, qui l’aimant pour elle-mesme, luy dit, que supposé que le Cavalier fust de bonne foy, il luy paroissoit qu’elle n’avoit point à balancer sur le parti qui êtoit à prendre ; qu’il souhaitoit que l’affaire réussist avec tous les avantages qu’elle en pouvoit esperer, & qu’afin que sa presence n’y mist point d’obstacle, il alloit passer quelques jours à la campagne, prest à revenir plus à elle que jamais, si le Cavalier estoit assez ennemi de son bonheur pour luy manquer de parole. Il partit effectivement deux jours aprés, & ce ne fut pas sans laisser la Belle touchée fortement d’un procedé si honneste. Le Cavalier s’estant apperçû du sacrifice qu’on luy avoit fait, en témoigna beaucoup de reconnoissance, & comme ce qu’il avoit dit à la Mere la mettoit en droit de le presser de conclure, elle fit si bien que la force de l’amour ne luy permettant de voir que ce qui pouvoit le satisfaire, elle l’obligea enfin de signer un Traité de mariage. Aprés qu’il eut fait ce grand effort par un emportement de passion qu’il luy fut impossible de dompter, un peu de rêverie qu’il laissa paroistre, leur fit juger à l’une & à l’autre, qu’il ne falloit pas luy donner le temps de respirer. On le pressa de fixer celuy du mariage, & le jour fut pris pour cette cérémonie, quoy que la Belle se fit quelque peine d’épouser un homme qui pourroit se repentir d’avoir trop donné à son amour. On acheta les habits de noce, & il n’y avoit plus qu’un jour jusqu’à celuy où il devoit la prendre pour femme, lors qu’il commença à ouvrir les yeux sur les obligations indispensables où il s’alloit mettre d’aimer toûjours ce qu’il estoit seur que les années cesseroient de rendre aimable. Les suites terribles qu’il envisagea le firent trembler, & tout rempli de frayeur par ces idées, il alla chercher un de ses Amis en qui il avoit une entiere confiance. Ils raisonnerent long-temps sur le cruel embarras où il se trouvoit. Il estoit fâcheux de faire un éclat qui ne pouvoit tourner qu’à sa honte, aprés qu’il avoit poussé si avant les choses, mais il s’agissoit de s’engager pour toute sa vie, & il s’en fit un si grand supplice que son amour, quelque violent qu’il fust, ne put tenir contre l’estat malheureux où il concevoit que le reduiroit le mariage. C’étoit mourir tous les jours pour luy, & à quelque prix que ce pust estre, il resolut de sortir d’affaire. Il estoit riche, & comme on ne pouvoit luy demander que des interests, il en fit son Ami maistre, en luy donnant un billet qui l’autorisoit à en traiter. La commission n’estoit pas fort agreable pour cet Ami ; mais il ne pouvoit luy refuser ce service. Il alla trouver la Mere, qui n’auroit pû croire ce qu’il luy disoit sans une lettre qu’il luy apporta du Cavalier. La Belle ayant sçû la chose s’arma de fierté, & dit qu’on luy faisoit grand plaisir de la rendre à un panchant, qu’elle n’avoit essayé de surmonter que par complaisance pour sa Mere. Elle écrivit aussi-tost à son Amant, qui accourut plein de joye, & qu’elle épousa quinze jours aprés. Les Arbitres qui furent choisis auparavant de part & d’autre, condamnerent le Cavalier à une somme considerable. Il la paya sans regret, puis qu’il recouvroit sa liberté ; mais il ne laissa pas de voir avec quelque déplaisir, qu’une personne qui luy sembloit toute aimable, & qu’il aimoit veritablement, eust pû se résoudre tout à coup à se donner à un autre avec tant de marques d’indifference pour luy.

[Vers irreguliers sur le mariage de Monsieur le Duc de Chartres] §

Mercure galant, mars 1692 [tome 3], p. 245-252.

Je vous envoyay le mois passé un détail exact sur tout ce qui regardoit le mariage de Monsieur le Duc de Chartres. Voicy ce que Mr Robinet a fait là-dessus pour ce jeune Prince. Vous avez vû tant de choses de sa façon, dont la lecture vous a fait plaisir, qu’il me seroit inutile de vouloir vous prévenir sur celuy que vous devez recevoir des Vers que vous allez lire.

A SON A. ROYALE
MONSIEUR LE DUC
DE CHARTRES,
Sur son Mariage.

 Prince, dont le grand Avenir
 Incessamment se dévelope,
 Et déja fournit à l’Europe
 Matiere à s’en entretenir.
 Jeune Heros, dont les merveilles
 Occuperont les doctes Veilles
 Et d’Apollon & des Neuf Sœurs,
Daignez oüir les accords de ma Lyre.
Peut-estre qu’ils auront encor quelques douceurs,
Malgré l’âge mortel où sans cesse j’expire.
***
 Je chante l’Hymen dont les nœuds
Viennent de vous unir avec une Princesse,
Dont le Sang, la beauté, la brillante jeunesse
 Ont merité vos tendres vœux.
Ma Muse dés longtemps se tenoit toute preste
  Pour cette grande Feste,
Où l’on a vû les Jeux, les Ris, & les Amours
Celebrer le premier de vos plus heureux jours,
  Joignant sur vostre teste
  Un beau Myrthe au Laurier,
Qu’en imitant un Pere aux Combats intrepide,
Déja vous moissonnez ainsi qu’un vieux Guerrier,
Remply du courage d’Alcide.
***
Quels talens glorieux en vous n’éclatent pas !
Qu’en vostre illustre Epouse on voit briller de charmes !
 Dans ses yeux l’Amour prend ses armes,
 Les Graces tracent tous ses pas.
 Ah ! sous le Dieu qui vous assemble
 Que vous formez un riche Couple ensemble !
 Que de plaisirs vous accompagneront !
Les flambeaux de l’Hymen, comme des Feux de joye,
 Autour de vous sans cesse brilleront.
 Ces feux jamais ne s’éteindront,
Et tous vos jours seront filez d’or & de soye.
De l’amour qui vous joint naistront d’autres Heros,
Ornez de vos vertus & de vostre courage,
 Qui fuyant un honteux repos,
Aimeront comme vous le Martial orage.
 D’autres Heroïnes naistront
Des mesmes feux dont vos cœurs brûleront.
De leur charmante Mere elles seront l’image,
  Et des plus vastes Etats
  Les Potentats
Viendront leur rendre un amoureux hommage.
***
Que d’honneur recevront nos Lis
De vos exploits & d’Amour & de Guerre !
 Ah ! qu’ils en seront embellis,
 Et que les Flots & que la Terre
Du bruit que vous ferez seront un jour remplis !
***
 Déja l’Amour & la Victoire
 S’interessent pour vostre gloire
 Qu’ils veulent accroistre à l’envy.
 Déja les Filles de Memoire,
Qui depuis le Berceau vous ont toujours suivy,
S’apprêtent de concert à dresser vostre Histoire.
***
 La Déesse du beau Renom
 Etudie aussi sur quel ton,
  En faisant sa vaste ronde,
Elle ira publier au son de ses Clairons,
  En tous les lieux du Monde,
Ce que de vous chaque jour nous verrons.
***
 Mais helas ! aura-t-elle
Assez de force, assez de voix
Pour dire seulement ce que déja je vois,
Qui fait le fondement d’une gloire immortelle ?
 Tant de douceur, tant de bonté,
Tant de valeur, tant de prudence,
 Tant d’esprit, tant de pieté,
Enfin cette charmante & vive activité
Que vous fistes briller dés vostre tendre enfance.
***
 O jeune & merveilleux Heros,
 Des plus celebres chants si digne,
 Que ne suis-je un jeune Cygne,
Je chanterois vos vertus sans repos.
 Mais quoy, desormais je ne chante
 Que d’une voix vers le tombeau panchante,
Accablé que je suis & d’ans & de malheurs ;
Et c’est le souvenir & la reconnoissance
 Qui me font dans mon impuissance
Pousser ces derniers chants en domptant des douleurs
Qui pourroient des plus forts abatre la constance.
***
 Mon desordre paroist assez
 Dans le desordre de mes Rimes.
Ces Vers irreguliers par tout embarassez,
 En sont des témoins legitimes.
***
 Je finis, demandant aux Cieux,
 Prince charmant, que vostre vie,
 Par un sort doux autant que glorieux
 Soit de bonheur toujours suivie,
 Et pour vous un autre âge d’or,
Où vous puissiez compter autant d’ans que Nestor.

Air nouveau §

Mercure galant, mars 1692 [tome 3], p. 253.

Les Vers de l'Air nouveau que je vous envoye, conviennent à la sainteté du temps où nous sommes.

AIR NOUVEAU.

L’air doit regarder la page 253.
Que la vie est longue & facheuse !
Que ce cruel exil me cause de tourment !
Rappellez-moy, Seigneur, de mon bannissement.
Que ma prison me semble affreuse !
Le desir violent de me voir plus heureuse
Me fait tant souffrir icy bas,
Que je meurs de ne mourir pas.
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[Mort de Messire Anne Hedelin]* §

Mercure galant, mars 1692 [tome 3], p. 269-271.

On a eu avis de Nemours que Messire Anne Hedelin, Seigneur du Martroy, Chaufour, & autres lieux, ancien President, Lieutenant General, Maistre des Eaux & Forests, & Lieutenant Criminel de Robe courte, y estoit mort le 18. du mois passé, âgé de quatre-vingt-deux ans. Il estoit Fils de Claude Hedelin, aussi Lieutenant General de Nemours, & Frere du feu Abbé d’Aubignac, qui nous a donné la pratique du Theatre, & qui s’estoit fait par son merite une si grande recommandation auprés du Cardinal de Richelieu. Il avoit exercé sa Charge pendant plus de cinquante ans, avec une approbation generale, & il n’y avoit que deux ou trois ans qu’il s’en estoit défait en faveur de Louis Hedelin son Fils, pour se préparer à la mort. Il n’a rien oublié pour contribuer à la grandeur de la Ville de Nemours. C’est luy qui a procuré dans cette Ville-là l’establissement des Recolets, & des Religieuses de la Congregation, & la Cour l’a honoré de differentes commissions, tantost pour instruire le Procez des mauvais Juges, tantost pour abatre les Temples des Pretendus Reformez, & en beaucoup d’autres occasions, où il a toujours marqué son zele pour la Religion & pour le service de l’Etat.

[Dialogue de Pallas & des Muses sur le Voyage du Roy.] §

Mercure galant, mars 1692 [tome 3], p. 283-285.

Voicy des Vers qui ont esté faits par Mr de Boismenil, d'Abbeville, sur le départ du Roy pour Compiegne. Ces vers sont faits pour chanter, & je ne doute point qu'il ne se trouve beaucoup de Musiciens qui ne cherchant qu'à faire retentir la gloire de ce Monarque, s'appliqueront à les mettre en Air.

SUR LE DEPART
DU ROY,
RECIT DE PALLAS.

En vain pour arrester le Heros invincible,
Qui fait le prix de nos Chansons,
L'Hiver armé de ses glaçons
A prolongé le cours d'une saison terrible.

CHOEUR des Muses.

Les neges, les frimats, les vents n'ont rien d'horrible
Pour le Heros que nous chantons.

RECIT.

Au seul bruit de ses Exploits
L'Aigle fuit dans les montagnes,
Et trop peu seur dans les campagnes
Le Lion cherche les bois.

CHOEUR.

Les neges, les frimats, &c.

RECIT.

Loüis ne cherche que la gloire ;
Mais celle qui vient des Combats
Pour son grand coeur a plus d'appas.
Il part, il marche, il court, il vole à la Victoire.
Heureux François, suivez ses pas.

CHOEUR.

Les neges, les frimats, & c.

[Mariage de M. le Duc du Maine, & de Mademoiselle de Charolois] §

Mercure galant, mars 1692 [tome 3], p. 295-297.

Aprés vous avoir parlé il y a un moisRéférence au mariage du Duc de Chartres. d'un des plus grands Mariages qui se pust faire en France, je vais vous entretenir d'un autre dont vous devez souhaiter d'apprendre des nouvelles, à cause de la haute naissance des Mariez, & de leur merite personnel. Quoy que Mademoiselle de Charolois, Fille de Monsieur le Prince, n'ait que quatorze ans, & qu'elle ait l'humeur gaye que cet âge inspire ordinairement, elle ne laisse pas de faire remarquer un esprit au-delà de ses années. En pouvoit-elle manquer, estant du sang dont elles est sortie ? Cette Princesse a mille bonnes qualitez. Elle danse bien & joüe parfaitement bien du Clavessin. Quant à Monsieur le Duc du Maine, vous devez vous souvenir que plus de cent de mes Lettres sont remplies de ses éloges ; & comme ils sont sur des faits dont je vous ay rendu compte de temps en temps, ils n'ont point esté regardez comme ces loüanges vagues qui ayant tout pour objet, ne parlent de rien qui soit positif. On doit demeurer d'accord que l'esprit de Monsieur le Duc du Maine a toujours brillé, dans quelque bas âge qu'on l'ait vû, & qu'il a connu & chery l'intrepidité & la valeur dés sa plus tendre jeunesse.

[Apostille] §

Mercure galant, mars 1692 [tome 3], p. 333.

On donnera le 15. d’Avril prochain, le dernier Entretien du Prince d’Orange travaillant à son Histoire. Il sera remply de choses fort curieuses.