1692

Mercure galant, juillet 1692 [tome 8].

2017
Source : Mercure galant, juillet 1692 [tome 8].
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Mercure galant, juillet 1692 [tome 8]. §

[Dialogue de la Sambre & de la Meuse] §

Mercure galant, juillet 1692 [tome 8], p. 7-19.

Que vous diray-je, Madame ? Je suis contraint de me taire pour avoir trop à parler. Avoir pris Namur, la plus forte Place des Pays-bas, & l’avoir pris en un mois, c’est ce qui nous paroistroit entierement incroyable, si le Roy ne nous avoit pas accoutumez à voir des prodiges. Cette conqueste est un nouveau sujet d’admiration pour toute l’Europe ; mais quoy qu’on s’en explique par tout en des termes qui font voir que le Heros qui l’a faite est au dessus des loüanges les plus fortes, il ne suffit pas qu’un si glorieux triomphe serve d’entretien aux hommes, il fait aussi l’étonnement des Divinitez, & vous en serez persuadée si vous voulez écouter celles qui president à la Meuse & à la Sambre.

DIALOGUE
De la Sambre & de la Meuse sur la prise de Namur.

LA SAMBRE.

C’en est donc fait, ma Sœur.

LA MEUSE.

  Ouy, voilà Namur pris.
Qui pouvoit empêcher qu’il ne fust la conqueste
D’un Heros par qui rien n’est jamais entrepris,
 Où la Victoire ne soit preste
A mettre des Lauriers sur son auguste teste ?

LA SAMBRE.

Mons, il est vray, peut assez nous prouver
 Qu’où LOUIS se trouve en Personne,
 Il a pour luy Mars & Bellonne.
 De ses coups qui peut se sauver ?
Mais on croyoit Namur une Place imprenable.
  Par combien de travaux
Avoit-on prétendu la rendre redoutable,
Et la mettre à couvert des plus rudes assauts ?

LA MEUSE.

D’accord, mais de Loüis la valeur invincible
 Fait tout ceder à son grand cœur,
 Et rien ne se trouve impossible
Pour luy donner par tout le titre de Vainqueur.

LA SAMBRE.

Il le faut avouër, il n’est Combat ny Siege,
 Où de vaincre il ne soit certain.
 Le Ciel à son heureux destin
Semble avoir attaché ce rare privilege.

LA MEUSE,

Ses Foudres tonnent sur un ton
Qui prédit toujours la victoire.

LA SAMBRE.

 Il ne faut qu’oüir son Canon.
Aussi-tost qu’on l’entend on a sujet de croire
 Qu’on va voir augmenter sa gloire.

LA MEUSE.

 Jusqu’où ne va pas son grand Nom !
En vain les Elemens sont quelquefois contraires
A l’execution de ses justes projets.
On les voit à la fin devenir ses Sujets.
Leurs obstacles souvent ne sont que des misteres
Pour donner du relief à ses illustres Faits,
Dont le bruit se répand dans les deux Hemispheres.

LA SAMBRE.

Luy-mesme, ce Heros, veut les difficultez.
 Sa gloire en brille davantage.
Il sçait que ses pareils y sont par là montez,
Et rien ne flate tant son genereux courage.
De son éclat il seroit moins épris,
 S’il l’acqueroit d’autre maniere.
De ses premiers efforts, quoy que hautaine & fiere,
N’a-t’on pas veu toujours la Gloire estre le prix ?

LA MEUSE.

 Qu’il répand d’honneur sur nos rives,
 Par ses merveilleux exploits !
 Helas ! qu’elles estoient chetives,
Sans ce fameux Vainqueur, sans ce plus grand des Rois !

LA SAMBRE.

Hé ! quels autres Heros nous donnoient quelque gloire ?
 Est-ce Baviere ? Est-ce Orange, ou Valdec ?
 O Dieux ! que leur courage est sec !
A leur suite jamais a-t-on vû la Victoire ?

LA MEUSE.

Ils ne sont tout au plus que de fameux Témoins
 Des Conquestes du grand Monarque ;
 C’est à quoy se bornent leurs soins,
Et c’est de leur valeur tout ce que l’on remarque.

LA SAMBRE.

Mais n’admirez vous pas le lâche Usurpateur,
 Plus digne Roy d’une honteuse Ligue,
 Dont il est le Fabricateur,
Que des Etats qu’il doit à sa coupable intrigue ?

LA MEUSE.

Et de quoy l’admirer, ma Sœur ?

LA SAMBRE.

 D’estre l’Homme le plus habile,
 Et du plus intrepide cœur,
Lors qu’il s’agit de voir prendre une Ville.

LA MEUSE.

 Je l’avoûray, c’est son grand Art.
Luy peut-on du Lion imputer le courage ?
 Il n’a que l’esprit du Renard,
Dont il ne fait qu’un criminel usage.

LA SAMBRE.

 Mais, dites-moy, les Alliez,
Que dans ses interests il a si bien liez,
 Sont-ils contens de son manége ?
 Aura-t-il donc le privilege
De les tenir toujours abattus à ses pieds ?

LA MEUSE.

Qu’en luy peu sagement ils se sont confiez !

LA SAMBRE.

Voilà, sur tout, le Batave & l’Ibere
 Bien étonnez à cette fois.
Vainement chacun d’eux s’agite & delibere,
La Flandre va passer enfin sous d’autres loix.

LA MEUSE.

Ah ! qu’au plûtost cela se fasse.
Quand nous aurons pour Maistre ce Heros,
 Qui tous les autres efface,
 Personne n’aura l’audace
 De troubler nostre repos.

LA SAMBRE.

Nous joüirons du bonheur de la Seine.
Les Jeux, les Ris y regnent pleinement.
 Aucun fâcheux évenement.
 N’en rend la fortune incertaine.

LA MEUSE.

Les Peuples qu’elle arrose ont sans cesse un doux sort,
 Les Ennemis n’y portent point la guerre,
 Et Loüis toujours le plus fort,
Vient la foudre à la main la porter sur la Terre
Des injustes Jaloux de sa prosperité,
 Et les punit de leur témerité.

LA SAMBRE.

Que sa grandeur me paroist legitime !

LA MEUSE.

Qu’il a l’air de Heros & de grand Potentat !

LA SAMBRE.

Que de majesté ! que d’éclat !

LA MEUSE.

Par combien de vertus gagne-t-il nostre estime !

LA SAMBRE.

Que de crainte & d’amour dans les cœurs il imprime !

LA MEUSE.

Quel Prince est fait comme Loüis !

LA SAMBRE.

Il est doüé d’un merite suprême.

LA MEUSE.

Tous ses Faits sont Faits inoüis.

LA SAMBRE.

Il doit de l’Univers porter le Diadême,
 Et voir par tout les Lis épanoüis.

LA MEUSE.

Je suis de vostre avis, ma Sœur, & je souhaite
Que promptement chez nous il soit par tout le Roy.

LA SAMBRE.

Nostre felicité seroit alors parfaite.

LA MEUSE.

Qu’heureux sont ceux qui vivent sous sa loy !

LA SAMBRE.

 Sus, que nos ondes fugitives
 S’allant mêler aux maritimes flots,
  Fassent retentir leurs rives
Du recit des exploits de ce charmant Heros.

LA MEUSE.

 Sus, qu’en leur course elles se précipitent.
On ne peut se presser assez dans ce beau soin,
 Combien de Fleuves s’en acquittent
 Avec plaisir & de prés & de loin !

Ce Dialogue est de Mr Robynet, dont le zele pour le Roy ne manque point d’éclater dans toutes les occasions où il peut donner ses soins à travailler pour sa gloire.

[Divers Ouvrages en Prose & en Vers sur la prise de Namur] §

Mercure galant, juillet 1692 [tome 8], p. 93-124.

Mr de Vin, dont vous avez veu plusieurs Ouvrages, n’a pû se taire sur la prise de Namur. Voicy de quelle maniere il parle au Prince d’Orange.

 Hé bien, Nassau, que diras-tu ?
 Namur est pris, & tu-l’as veu
De LOUIS à tes yeux tomber sous la puissance.
 T'a-t-il à cette fois surpris,
Ainsi que tu disois, & que tu t’en plaignis,
Quand du froid Aquilon malgré la violence
Il alla forcer Mons d’implorer sa clemence ?
 Il t’a donné tout le loisir
 Qu’il falloit pour le secourir ;
 Et ce Heros toujours honneste,
Quoy que toujours funeste à tes vastes projets,
Ne voulut, pour te plaire, en faire la conqueste,
Que quand le Rossignol menaçoit nos forests
De terminer bien-tost ses chants & ses regrets.
 Ta nombreuse Armée estoit preste ;
Tout fier, tout glorieux de te voir à sa teste,
 Tu crus que deux cens mille bras
Ne suffisoient que trop pour arrester ses pas.
Tu viens, tu le vois & credule ;
Déja tu t’endormois sur la trompeuse foy,
D’un triomphe aussi vain qu’il est nouveau pour toy.
 Mais l’ambition qui te brûle
Receut prés de Cassel un tel coup de ferule,
Que la peur d’un pareil trouble & glace ton cœur.
Tu souffres, toy present, que Namur capitule,
 Et trop peu seur de ta valeur,
Tu n’oses jusqu’au bout ressembler au grand Jule.
 Content de ces deux premiers traits,
Au troisiéme, Nassau, tu ne vois point d’accés,
Et vaincre enfin LOUIS, c’est ce qu’en homme habile
 Tu tiens un peu trop difficile.
En cela si chacun parle avec liberté
Des violens frissons de ta timidité,
 C’est peut-estre une medisance ;
Ne t’en allarme pas, car d’un autre costé
On trouvera bien l’art de loüer ta prudence.
Ce n’est pas, entre nous, ce qu’on s’étoit promis
 De cette fougue insidieuse
 Que tu fis voir à Saint Denis.
Le Dieu Mars n’avoit plus l’ame si bilieuse ;
Fatigué, las du sang qu’il avoit répandu,
 A la fin il s’estoit rendu
 Aux vœux redoublez de la Terre,
Et laissant malgré toy reposer son tonnerre,
Consentoit de la paix au retour attendu.
 C’est ce que tu sçavois, perfide ;
 Cependant ta main parricide
 Au mépris d’un Traité conclu,
Insulte Luxembourg que tu pensois surprendre ;
 Mais qui ne sceut que trop te rendre
Les coups d’un desespoir qui loin d’estre préveu,
Peut-estre jusque là ne s’étoit jamais veu
 A ce Traité si salutaire
Il te falut pourtant & souscrire, & te taire ;
 Mais comme cette aimable Paix,
Tant demandée au Ciel, blessoit tes interests,
Tel qu’un hardy Pescheur, qui sans peur du naufrage
N’aime, pour mieux pescher, que l’eau trouble, & l’orage,
De la guerre bien-tost tu ralumes les feux,
Et pour nostre malheur, toûjours ambitieux,
A peine du repos a-t-on gousté les charmes
Que tu forces LOUIS à reprendre les Armes.
 Mais dis moy, quel en est le fruit ?
Toujours à tes dépens la Victoire le suit.
Tout cede à sa Valeur ; Philisbourg, Mons, & Nice
Devoient t’avoir appris qu’il n’est point d’artifice,
Point de temps, point d’effort qui suspendent ses pas,
Et Namur vient de voir ce que pese son bras.
C’est ce que tes amis ont encor peine à croire ;
 Trop charmez de ta fausse gloire,
 Et flatez que pour son secours
Tu ne manquerois pas d’ingenieux détours,
 Ils juroient qu’au deffaut d’audace
Ton adresse pourroit leur sauver cette Place.
Ainsi de leur erreur s’ils se prennent à toy,
Ça, parle icy de bonne foy.
Qu’auras tu lors à leur répondre ?
 Leur diras-tu qu’à te confondre
 Accoutumé depuis long-temps,
 Ce Heros à son ordinaire
T’a fait ressouvenir du malheur des Titans,
Et redouter les coups de sa juste colere ?
De quel œil verront-ils Nassau tremblant de peur
N’amener contre luy qu’un secours inutile,
Et, quand il prend Namur, demeurer immobile ?
 Te flates-tu qu’ils soient d’humeur
A se payer toujours de tes vaines promesses,
Et que tant de témoins de ton peu de valeur
Puissent encor long-temps compter sur tes adresses ?
Non, ne te trompe pas, quoy que jusques-icy
Pour un Trône usurpé ta fourbe ait réussy,
 Crains que ceux qu’elle a pû seduire
Ne se vangent sur toy de leur funeste erreur,
Et que, desabusez, ou las de ton malheur,
Ils ne s’unissent tous enfin pour te détruire.
 De tes Auteurs ingenieux
 En vain la plume trop venale
Déguisera ta honte ; ils ouvriront les yeux,
Et ces mesmes Amis que retient la cabale,
 Verront que tu ne fais pas mieux
Dans le Camp de Peruys que dans celuy de Halle.
Voudroient-ils s’obstiner contre leurs interests
A soutenir encor tes injustes projets ?
 Non, non, ils ont trop de prudence,
Et dupez tant de fois, bien-tost à tes dépens
Ils se repentiront des efforts impuissans
Qu’ils ont en ta faveur tentez contre la France.
Déja mesme tout bas ils se plaignent de toy ;
 Irritez de tes impostures
 Ils comptent pour autant d’injures
 Tes divers manquemens de foy.
 Ils rougissent contre un grand Roy
D’avoir, en t’appuyant, outragé la Nature,
 Et peut-estre sçais-tu de quoy
Te menacent, Nassau, leur honte & leur murmure.
Ils commencent à voir que tu ne te sers d’eux,
Que comme fait du Chat le Singe cauteleux ;
Que tu profites seul de toute leur intrigue ;
Que sur eux ton orgueil se plaist à dominer,
Et que s’ils sont entrez dans une injuste Ligue,
Ce n’est, sans fruit pour eux, que pour te couronner.
Ainsi tes Alliez, instruits de ton adresse,
Ne voudront plus marcher sous le honteux Drapeau
D’un Fourbe qui se rit des pieges qu’il leur dresse,
 Et d’un Agamemnon nouveau,
Mais plus superbe encor que celuy de la Grece.
 Il falloit, pour les adoucir,
Au secours de Namur un peu mieux réussir.
 Mais Loüis l’attaque en personne,
 Et sa presence qui t’étonne
 Te fait croire de sa valeur
Que c’est assez pour toy d’estre le Spectateur.
 En Témoin commode & tranquille,
Tu le vois de si prés soumettre cette Ville,
 Que mesme tu t’en fais honneur.
On doute cependant qu’au goust de l’Empereur
La gloire de tes yeux puisse servir d’excuse
 Aux froids accés de ta frayeur.
Mais qu’importe, aprés tout ? Quelque nouvelle ruse
Te tirera d’affaire, & sçaura le porter
 Tost ou tard à s’en contenter.
Tes Agens luy diront qu’en bonne politique
 Tu devois en user ainsi :
 Que c’est avoir bien réussi
Que sauver Charleroy de la terreur panique
Dont toy-mesme en ton Camp tu te sentois saisi,
Et qu’enfin si Namur n’a pû mieux se défendre,
 Il valoit mieux le laisser prendre,
Que par une Bataille exposer le Brabant.
Aux coups impetueux du François triomphant.
 Peut-il refuser de se rendre
A la solidité de ces fortes raisons,
 Luy qui sur la perte de Mons
En docile Allié voulut bien les entendre ?
 Non, credule comme autrefois,
Il n’est point de ta part de raisons qu’il n’écoute,
Et qui put de Fleurus excuser la déroute,
 Peut bien croire encor les exploits
 Dont en vain ta subtile ruse
Depuis plus de quatre ans & le berce, & l’amuse.
Promets-luy donc, Nassau, tout ce que tu voudras ;
 Cependant à ton ordinaire,
 Fuy le choc, & nous laisse faire ;
Car pour peu que LOUIS te tombe sur les bras,
Qui répondra de toy ? Tremble, Namur en poudre,
Où pourrois-tu te mettre à couvert de la foudre ?

J’ajoûte un Sonnet & un Madrigal sur la prise de la mesme Place. Le premier m’a esté envoyé sous le nom du Solitaire d’Anjou.

SONNET.

Muses, allez cueillir les palmes les plus belles,
De vos plus riches fleurs faites un juste choix ;
Accordez sur vos Luths vos differentes voix,
Et venez celebrer nos conquestes nouvelles.
***
Un assemblage affreux de Nations cruelles,
Qui se font un devoir de violer les Lois,
Sous l’injuste Tyran qui détrône les Rois,
Déployoient contre nous leurs forces criminelles.
***
LOUIS part, soutenu de la faveur des Cieux,
Brave tant d’Ennemis, prend Namur à leurs yeux,
Et donne un nouveau lustre à sa grandeur suprême.
***
Le sort mit quelque borne aux autres Conquerans ;
Mais sans cesse il s’éleve au dessus de luy-mesme,
Et ses derniers exploits sont toujours les plus grands.

MADRIGAL.

 Anvers, rens-toy sans resister.
 L’an dernier Mons fut mis en poudre
 Par les terribles coups de foudre
 De nostre tonnant Jupiter.
N’attens pas l’an prochain à pouvoir t’y resoudre.
 Que cet an-cy, le sort pareil
 Du triste Namur te confonde,
 Namur, qui n’a mur qui ne fonde
 Aux rayons de nostre Soleil.

Ce Madrigal est de Mr Desmay, qui a fait aussi le Sonnet suivant.

Sur le départ du Roy pour l’Armée.

Tyran, descens du Trône, il est temps, il chancelle.
Previens le coup fatal qui va le renverser.
La Ligue sans progrés commence à se lasser,
Et l’Anglois épuisé se lassera comme elle.
***
Sur les cent Bataillons que tu viens d’amasser,
Le Ciel va te confondre, en vangeant sa querelle ;
Nouveau Sennacherib, Chef d’un Peuple infidelle,
L’Ange Exterminateur en ton Camp va passer.
***
LOUIS te va chercher. Crains, l’orage s’appreste.
Tu vas le voir crever sur ta coupable teste.
Loüis qui le conduit sçait le temps & l’endroit.
***
Un moment luy suffit ; il ressemble à la foudre,
 Qui sur le Roc qu’il met en poudre
 Le lance, frape, & disparoist.

Vous ne serez pas fâchée de voir ces autres Vers sur le Voyage du Roy. On peut dire que tous les François ont parlé par la bouche de celuy qui en est l’Auteur.

MADRIGAL.

Grand Roy, nous fremissons de te voir attaquer
Tant d’Ennemis liguez sur la terre & sur l’onde.
 Helas ! tout l’Empire du monde
 Vaut-il ce que tu vas risquer ?
Songe que du Dieu Mars les terribles tempestes
N’épargnent pas toujours les plus augustes testes.
Au caprice du sort ne va point t’immoler.
Prens soin de tes beaux jours autant que de ta gloire,
 Et ne t’expose point à gagner de victoire,
 Dont il nous fallust consoler.

Voicy encore quelques Vers qui meritent bien d’avoir place icy. Ils sont de Mr du Four du Havre.

AU ROY,
SUR LA PRISE DE MONS
& de Namur, à la veuë du Prince d’Orange.

Prendre Mons, grand Heros, en moins de quinze jours,
Laisser venir Guillaume à son secours
Pour augmenter l’éclat d’une telle victoire,
 C’est ce que nos Neveux
 A peine pourront croire,
En lisant dans nos Vers cet exploit glorieux.
Mais assieger Namur, Namur l’inaccessible :
 Demeurer dans ton Camp paisible,
Voir le mesme Guillaume avec cent Bataillons,
 Et plus de trois cens Escadrons,
  Venir avec audace
Pour tenter le secours de cette forte Place,
  Qui loin d’avoir le front
  D’oser rien entreprendre,
Ne remporte avec luy que le mortel affront
  De voir Namur se rendre,
C’est cela que jamais on ne pourra comprendre.
 Fameux Guerrier, invincible Loüis,
 Ne force plus de Places imprenables ;
Fais desormais, grand Roy, des faits moins inoüis,
Autrement tes exploits passeront pour des Fables.

Vous ne serez pas surprise de voir un Discours de Madame de Pringy sur cette même conqueste, puis qu’elle en a fait sur chaque action glorieuse de Sa Majesté.

LA VICTOIRE
Parlant au Roy sur la prise de Namur.

J’ay quelquefois servy les Heros de l’antiquité ; mais vous, Prince, que la valeur & la justice accompagnent, puis je m’empescher de vous suivre toujours ? Vous m’avez veuë dans la Paix couronner vos vertus de Lauriers immortels, & vous me voyez dans la guerre voler au gré de vostre ardeur. Je ne sçay plus me partager ; vous m’avez assujettie, & vostre bras invincible qui trouve son repos dans son mouvement, me fait trouver ma felicité dans vos triomphes. Ne me donnez point de loisir, Namur est heureuse, elle vous obeit ; que tout l’Univers luy ressemble. Portez la terreur chez les impies, & sans vous arrester, suivez vostre justice, je suivray vos projets. Ces rebelles qui s’opposent à vos justes desseins, n’auront plus bien-tost d’autre resistance que l’injuste volonté de ne vous pas obeir. Plus leur injustice augmente, plus leur force diminuë, & l’imparfait assemblage qu’ils ont formé ne les rendra pas plus puissans. Ils verront que le Ciel vous fortifie, comme il vous éclaire, & que leur nombre, loin de vous donner de la crainte, redouble vostre courage. Ouy, Prince, allez, tout clement que vous estes, n’épargnez rien. Exterminez les Usurpateurs des Couronnes, Affoiblissez les soutiens sur lesquels ils se reposent, & asseurez-vous de ma fidelité. Toujours égale à vous servir, vous m’avez veuë braver les demons & les hommes. A-t-il fallu pour la gloire de vostre zele descendre aux Enfers, & combattre la mort, j’ay couru sans me lasser, & toujours plus ardente à vous suivre, je ne veux que vous couronner. Poursuivez ces ingrats que l’envie a seduits, & qui jaloux de vostre gloire l’augmentent en la voulant détruire. Namur est reduit. Vous avez veu ces heureux vaincus se partager de sentiment, & les uns desirant estre l’objet de vostre misericorde, s’opposer à ceux qui irritoient vostre justice. Que ce premier trait vous anime. Vostre puissance devroit tout soumettre sans resistance, mais vostre gloire ne le veut pas permettre, & la force de vostre bras seroit inconnuë, si elle n’estoit pas éprouvée. Tous ces cœurs qui vous servent par amour autant que par devoir, signaleroient-ils leur zele & leur tendresse, si vos Ennemis ne leur ouvroient par leur resistance un champ de lauriers où la valeur les fait courir, afin que je vous couronne sans cesse en vous suivant par tout sans interruption ? Laissez-moy continuer avec vous d’estre la Déesse des combats. N’arrestez pas mon ardeur guerriere ; attaquez ; vainquez, triomphez. Ne pouvant suffire qu’à vous, la Renommée aussi ne pourra publier que vous. Employez tous mes lauriers & occupez toutes ses voix, & l’Univers ne retentira que de vostre gloire, & ne brillera que de vos vertus. Vous estes le Prince desiré des Nations, que les autres Rois n’attaquent que par envie. Renversez tous leurs projets, & s’ils ne vous redoutent, qu’ils vous éprouvent. Faites leur sentir ce qu’ils ne veulent pas croire, & par une funeste experience qu’ils confessent que rien ne peut resister à vostre bras victorieux. Si j’ay suivy quelque Heros au milieu des Combats, j’estois seule à ses costez, mais avec vous la Gloire & la Justice ont toujours esté mes Compagnes. J’ay réjoüy tout l’Univers quand j’ay couronné Alexandre, mais vous, le Ciel & la Terre triomphent quand je vous couronne, & si vous m’employez toujours, je seray reverée jusque chez les vaincus. Continuez à vous faire craindre. L’amour est un tribut que pas un cœur ne vous refuse. Imposez de mesme l’obeissance. Vous n’avez qu’à le vouloir, la puissance & le merite sont des droits naturels en vous. Ne laissez rien usurper ; vous en usez en Pere, usez en Roy de ces dons que le Ciel n’a répandus sur vous avec abondance, que pour rendre heureux tous les Peuples du monde, & ne vous lassez pas de vaincre ; tout ce qui vous attaque ne peut vous resister. La Victoire vous suit pas à pas, vos moindres mouvemens m’animent, & je triomphe quand vous agissez. Mais pourquoy vous inspirer le sang & le carnage ? La témerité de vos Ennemis excite assez vostre valeur. Temperez l’ardeur des mouvemens qu’ils font naistre. Suis-je moins la Victoire en vous couronnant d’olive, qu’en vous couronnant de lauriers ? Estes-vous moins redoutable dans la Paix, qu’aimable dans la Guerre, & n’avez-vous pas sceu joindre le mouvement de vaincre au repos le plus achevé ? Ne laissez-donc plus languir la Paix dans les fers rigoureux que vos Ennemis luy imposent. Elle soupire, écoutez ses gemissemens, & ne laissez de cours à la puissance de vos armes qu’autant qu’il en faut pour asseurer à l’Univers un repos que la Victoire n’aura jamais avec Vous.

[Histoire] §

Mercure galant, juillet 1692 [tome 8], p. 163-191.

Le hazard se mesle de beaucoup de choses, & on luy doit quelquefois ce qu’on s’est flatté inutilement d’obtenir de la prudence. Un Cavalier né pour les plaisirs, & fait pour les procurer, menoit une vie fort agreable, en voyant tout ce qu’il y avoit de jolies personnes qui luy paroissoient dignes de ses soins. Ses manieres pleines de galanterie estoient un charme pour les plus difficiles à estre touchées, & celles qui n’aimoient que la dépense trouvoient leur compte avec luy, par les avantages qu’il avoit reçus de la Fortune & qui le rendant d’une humeur fort liberale, luy faisoient chercher de jour en jour de nouveaux moyens de divertir & de plaire. Joignez à cela un esprit aisé & delicat, qui faisoit toujours impression quand il vouloit s’appliquer à dire de jolies choses. Ainsi son cœur qu’il sembloit offrir à toutes celles pour qui il avoit un peu d’assiduité, fut une conqueste à faire, qui excita bien des jalousies ; mais enfin aprés l’avoir promené long-temps par tout, il ne put s’empescher de le fixer auprés d’une jeune Demoiselle d’un fort grand merite, qui luy témoignant moins d’empressement que toutes les autres, de s’en rendre la Maistresse, le piqua plus fortement. Le peu d’efforts qu’elle sembloit faire pour s’attirer ses visites, fut ce qui le fit estre plus assidu à la voir, & quand en se plaignant de son apparente indifference, il luy disoit qu’il estoit bien mal récompensé des reproches qu’on luy faisoit en tous lieux, qu’il negligeoit toutes ses Amies pour ne s’attacher qu’à elle, les conseils qu’elle luy donnoit d’un ton un peu froid, quoy que toujours fort honneste, de ne point quitter mal à propos ce qui avoit pour luy plus de charmes que sa conversation, redoubloient sa passion avec tant de force, que ne pouvant plus trouver de plaisir ailleurs, elle fut enfin l’unique objet de sa complaisance. Un amour si violent produisit bien-tost l’effet qu’elle en avoit attendu. Il parla d’articles ; ils furent dressez, & le mariage se fit en fort peu de temps. La tendresse estant réciproque entr’eux, l’union fut aussi douce qu’étroite, mais quoy qu’il aimast veritablement sa Femme, l’assurance d’estre aimé, & le privilege d’en recevoir toujours les plus fortes marques, luy en rendirent insensiblement les douceurs plus insipides, & le panchant qu’il avoit à estre galant, luy faisant fermer les yeux sur les obligations où il s’estoit mis, il recommença à voir les Belles, sans vouloir songer aux risques où il s’exposoit. C’estoit manquer en quelque façon à ce qu’il devoit à une Femme qui n’avoit des yeux que pour luy seul, mais comme il luy conservoit une tres-sincere estime, il crut qu’il y avoit du scrupule a vouloir porter les choses plus loin, & qu’il rempliroit assez ses devoirs, s’il tenoit avec elle une conduite remplie d’égards & d’honnestetez, sans s’assujettir à mener une vie languissante & triste, en se privant de ce qui avoit toujours fait ses plus doux plaisirs. Ce changement chagrina la Dame. Quoy qu’il vécust toujours avec elle de la maniere du monde la plus obligeante pour tout ce qui regardoit & ses divertissemens, & la dépense qu’elle vouloit faire, il luy fut aisé de remarquer que ses sentimens étoient moins vifs, & qu’il entroit un peu de contrainte & de froideur dans les caresses qu’il affectoit de luy faire. Elle luy en fit de legeres plaintes, & en luy disant agréablement qu’il ne pouvoit s’empêcher d’estre coquet, elle le pria de prendre garde, qu’à force de voir les Belles, quelque Rivale ne luy enlevast son cœur. Il répondit à cela qu’elle devoit juger assez bien de luy pour estre persuadée que luy ayant connu un merite qu’il n’avoit trouvé dans aucune autre, cette connoissance le soutiendroit contre toutes les surprises qu’elle sembloit craindre, mais qu’il luy falloit un amusement, & qu’ayant toujours esté du monde, il donneroit lieu à des contes mal plaisans, dont le ridicule pourroit retomber sur elle, si le mariage l’obligeoit à la retraite ; que d’ailleurs il faisoit voir le peu de part que son cœur avoit dans les commerces galans qui luy estoient reprochez, puis qu’il contoit des douceurs par tout sans aucune préference, & qu’il n’y avoit que l’attachement particulier qui pust estre dangereux. Ce qu’il disoit estant assez vray-semblable, il fut conclu, que tant qu’il n’y auroit point d’assiduité reglée, la Dame n’auroit aucun droit de censurer sa conduite. Cependant il eut beau se déguiser, & chercher à luy cacher dans la foule le vray chemin qu’il tenoit ; elle démesla qu’une aimable Veuve avoit ses soins les plus empressez, & que les visites qu’il rendoit aux autres n’estoient qu’une adresse pour empêcher qu’on ne découvrist ce qu’il avoit dans le cœur. La Dame, aprés s’estre entierement éclaircie dans ses soupçons, luy demanda un jour en riant ses seuretez contre cette Veuve, & l’embarras qu’il fit paroistre à son nom, la convainquit qu’il en estoit veritablement touché. Il tâcha de se remettre, & luy répondit d’un ton un peu froid que ses reproches estoient fort injustes, puis que la Veuve estoit celle de toutes les Dames chez qui il alloit, qui luy convenoit le moins, & pour son esprit, & pour l’inégalité de son humeur, & que s’il pouvoit honnestement cesser de la voir, sans donner lieu de penser qu’elle en eust esté jalouse, il luy en feroit le sacrifice sans peine. La Dame ne poussa pas la chose plus loin ; & le Cavalier s’observa un peu plus qu’il n’avoit fait, lors qu’il eut connu que l’on penetroit dans ses veritables sentimens, mais la contrainte qu’il se fit par là, ne servit qu’à augmenter l’envie qu’il avoit de voir la Veuve, & à luy en rendre le plaisir plus doux. On renouvella les plaintes, & comme il les receut d’une maniere un peu aigre, sa Femme qui estoit sage & habile, comprit qu’il y avoit du danger à le trop pousser sur une intrigue que la résistance pouvoit affermir, & qu’un peu de temps devoit détruire. Elle feignit de ne pas s’appercevoir qu’il prenoit son serieux, & tourna la chose en plaisanterie. Il y eut seulement de son costé un redoublement de complaisance, & il en fut tellement charmé, que joüissant de l’entiere liberté de vivre à sa fantaisie, il luy en marquoit sa reconnoissance par tous les plaisirs qu’il pouvoit luy procurer. Il ne laissoit pas de voir toujours fort souvent la Veuve, & si quelqu’un l’accusoit d’estre trop galant, sa Femme prenoit son party d’une maniere agreable, & témoignoit que rien ne luy pouvoit plaire tant que de voir les Belles trouver du merite en son Mary. Il y avoit déja plus d’un an qu’on luy laissoit suivre son panchant sans aucun obstacle, lors que sa Femme luy proposa d’aller passer quelques jours à une maison de campagne, où ils alloient quelquefois aux environs de Paris. Comme il ne fit pas d’abord réponse sur la proposition, une Amie commune qui devoit estre de cette partie, luy dit en riant qu’elle ne faisoit pas reflexion qu’il n’y avoit que deux jours jusqu’à celui de la fête du Cavalier, & qu’il perdroit trop s’il s’éloignoit dans un temps où les Bouquets devoient l’accabler. Le Cavalier répondit qu’il ne vouloit pas rompre la partie, & que peut-estre il n’y auroit rien de perdu pour luy, puis qu’il croyoit avoir assez de merite pour s’attirer le voyage d’un Grison. Le mot de Grison fit rire, on en parla quelque temps, & l’on partit. Le jour de la feste estant venu, l’Amie de la Dame, aussi spirituelle qu’elle estoit aimable, & par l’agrément de son humeur, & par ce je ne sçay quoy qui est si touchant, & que l’on rencontre en fort peu de Femmes, se mit en teste de tromper le Cavalier. Sa Femme avec qui elle concerta la tromperie, se fit apporter ce qu’il y avoit de plus belles fleurs. Elles en firent un bouquet fort propre, qu’elles enfermerent avec un billet d’un caractere inconnu dans une assez belle boëte, qu’on environna d’un ruban bleu. On choisit ensuite un Paysan, en qui l’on pouvoit prendre confiance, & qu’on instruisit du rôle qu’il devoit joüer. Le Cavalier avoit commencé une partie de Billard quand le Paysan demanda à luy parler. Il le tira un peu à l’écart, & luy dit qu’une maniere de Valet de chambre luy avoit donné un écu blanc pour luy apporter la boëte qu’il luy remettoit entre les mains, & qu’il avoit repris aussi-tost le chemin de Paris en grande hâte, sans avoir voulu luy dire autre chose. Le Cavalier receut le present avec une joye inconcevable, & ayant perdu sa partie fort promptement pour estre en estat d’ouvrir la boëte, il alla dans un jardin, où il ne pouvoit se lasser de lire & relire le billet qu’il trouva avec les fleurs. Il mit le ruban à son juste au-corps, & vint où estoient les Dames, d’un air si content, qu’on ne manqua pas d’en vouloir sçavoir la cause. Il dit qu’il n’en pouvoit avoir un plus grand sujet, & que si on le pouvoit deviner, soit par hazard, ou de quelqu’autre maniere, il demeureroit d’accord de la verité. L’Amie de la Dame, entr’autres talens qu’elle possedoit, sçavoit tracer des Figures. On la pria d’employer son art, elle fit quelques façons pour y consentir, & enfin elle tira de certaines lignes par lesquelles elle prétendit avoir connu, qu’il y avoit du Grison dans le ruban bleu, & qu’assurément il étoit venu, accompagné de quelqu’autre chose. Le Cavalier tout remply de son triomphe, luy répondit en s’applaudissant, qu’il avoit eu tort de se vanter qu’on luy envoyeroit quelque Grison, & aprés avoir continué quelque-temps sur ce ton-là, il conta l’avanture du Païsan, & montra la boëte qu’il luy venoit d’apporter, avec le billet qui étoit dedans. Voicy ce qu’il contenoit.

Il m’est impossible, Monsieur, de passer le jour d’une aussi belle Feste, sans vous donner des marques de mon souvenir. Cela chargeroit trop ma conscience, & je ne me le pardonnerois de ma vie. Ne jugez pas du panchant qui m’occupe par la petitesse du bouquet. Cela seroit trop injuste, & ce que je sens pour vous ne peut souffrir de comparaison. J’avois fait le projet de vous faire un present magnifique, mais la situation où vous estes, & la compagnie qui est avec vous, ne me permettent pas de faire la chose avec tant d’éclat, ce qui est bien triste pour une personne qui est avec toute l’ardeur & la passion possible, Vostre, &c. Il y avoit par apostille. J’ay donné ordre au Porteur de charger un Paysan du Village, de vous rendre cette boëte. Je croy que vous approuverez ma politique.

La lecture du billet fut suivie d’une Scene fort plaisante, sur ce que l’Amie de la Dame dit au Cavalier, qu’il n’y avoit point pour luy dans l’avanture dequoy faire tant le vain, puisque non-seulement le stile de ce billet, mais la maniere mesme dont les caracteres en estoient formez, faisoit connoistre que celle qui l’avoit écrit estoit une de ces femmes du commun, qui ne meritant aucune estime, ne se font point une affaire de prodiguer des avances pour s’attirer des Amans. La Dame dit au contraire, qu’elle ne pouvoit douter qu’il ne vinst de fort bon lieu, qu’elle y trouvoit un tour delicat qui marquoit je ne sçay quoy d’élevé, & que son Mary estant reçu agreablement chez toutes les Femmes du plus grand air, il n’y avoit aucune apparence, qu’une personne de rien se fust avisée de luy écrire. La contestation dura fort long-temps. Chacune soûtint son party avec esprit, & la conclusion fut, que l’impatience qu’eut le Cavalier de s’éclaircir de la chose les obligea de retourner à Paris dés ce jour mesme. Comme il estoit fort persuadé que le present venoit de la Veuve, parce que le mot de charger ma conscience, que l’on avoit affecté d’employer dans le billet, estoit son mot Favory, il alla d’abord chez elle, paré de son ruban bleu. La Veuve qui l’apperçut luy demanda aussi-tost pourquoy cette nouveauté, & il répondit qu’il ne croyoit pas qu’elle en dust estre surprise, puis qu’elle sçavoit mieux que personne ce qui l’engageoit à le porter. Elle voulut avoir l’explication de cette réponse, & il ne la put donner qu’en luy parlant du Grison qui luy avoit apporté un bouquet à la Campagne. La Veuve, qui estoit extrémement fiere, trouva fort mauvais qu’il fust assez bien avec quelque femme que ce fust, pour l’engager à un soin qui ne se prenoit que par un excés d’amour, & comme il luy avoit déja parlé d’un billet, il ne put se dispenser de le faire voir. Sa fierté en fut blessée jusqu’au plus haut point. Elle luy dit, qu’elle voyoit bien qu’il l’avoit trompée, en luy jurant tant de fois que les visites trop assiduës qu’il rendoit à d’autres Femmes n’estoient que pour mieux cacher l’attachement qu’il avoit pour elle, & qu’il étoit impossible de se résoudre à écrire de cette force, sans avoir des assurances du plus violent amour. Il eut beau luy dire, qu’elle pouvoit voir son innocence dans l’empressement qu’il avoit eu de la voir, ne pouvant jetter les yeux que sur elle pour le billet qu’il avoit reçu. La Veuve prit pour offense la pensée où il étoit qu’elle eust voulu luy écrire si obligeamment, & ce qu’il luy dit pour l’appaiser, n’ayant rien d’assez soumis pour la satisfaire, elle le pria de ne la plus voir. Il n’obéit point, & revint le lendemain, mais il fut si mal reçu, non seulement ce jour-là, mais encore en plusieurs autres visites, qu’il cessa d’y retourner. Il se mit devant les yeux la sage conduite de sa Femme, qui avoit souffert son égarement sans s’emporter, au lieu que la Veuve gardoit une fierté tyrannique dont il avoit souvent à souffrir. Ainsi leur intrigue fut rompuë par cet incident, & la Dame qui n’avoit voulu joüir que d’une innocente tromperie, se vit défaite de sa Rivale, lors qu’elle y pensoit le moins.

[Festes publiques, faites à Paris pour la prise de Namur] §

Mercure galant, juillet 1692 [tome 8], p. 198-220.

 

Je ne doute point que la prise de Namur ne donne lieu à beaucoup de Festes. Il s'en fit une le 8. de ce mois dans l'Academie de Mrs de Vandeüil, de Rochefort, & Dauricour. Ces Ecuyers, dont tout le monde connoist la capacité & le merite, voulurent donner par une maniere de Carrousel des marques de la joye qu'ils ressentoient de la prise de cette Place. La beauté de leur Manege, l'adresse & la magnificence des Gentilshommes, & le bon ordre qu'ils y firent observer, remplirent d'admiration une tres-grande quantité de Dames d'un rang distingué, qu'on voit placées dans des fauteüils sous le grand Manege couvert. (...) On fit une marche autour du Manege découvert, qui est bordé de chaque costé de trois rangées d'arbres qui forment une Perspective fort agréable. Ils avoient à leur teste un Timbalier & quatre Trompettes, suivis par Mr Dauricour qui montoit un tres beau Cheval, qu'il ne retenoit qu'avec un simple ruban. Les Gentilshommes estoient ensuite sur des Chevaux d'Ecole dont les crins estoient ornez de rubans de toutes sortes de couleurs. Mr de Vandeüil finissoit la Marche. Ils entrerent dans le Manege découvert en gardant toujours le mesme ordre, & Mr de Vandeüil commença par une Galopade, dont les airs satisfirent les Connoisseurs. Mr Dauricour parut aprés. Lorsque l'on vit qu'il faisoit manier son Cheval de si bonne grace avec un simple ruban, on tomba d'accord qu'il estoit en mesme temps bel & bon homme de cheval. Ce Manege fit connoistre aux Spectateurs que les Gentilshommes qui apprennent sous d'aussy sçavans Maistres ne pouvoient manquer de se signaler. En effet, douze des plus Anciens firent des merveillles dans les Galopades, dont les caprioles & les changemens de main furent tres-bien executez. Celuy qui avoit remporté le prix monta quelque temps un Sauteur par le droit en liberté, pendant que deux autres Gentilshommes faisoient paroistre leur fermeté sur deux autres Sauteurs entre les piliers. Leurs sauts estoient si prodigieux, que les Dames ne se pouvoient empescher de plaindre ceux qui estoient dessus. Cette diversité de Manege donna le temps aux autres de changer encore une fois de Chevaux, & de sortir des Ecuries avec plus d'éclat que les deux premieres. Ils estoient au nombre de neuf, montez sur des Chevaux garnis d'Aigrettes de Plumes, & de Housses caparaçonnées tres-riches & fort bien ajustées. Trois se placerent au milieu, deux dans les côtez, & les quatre autres dans les coins. Ils commencerent au pas leur Manege au bruit des Timbales & des Trompettes, & un moment aprés Mrs de Vandeüil & Dauricour les firent partir tous en mesme temps ; sçavoir, les trois du milieu sur les voltes, & les six autres sur les demy-voltes, avec tant d'ordre, & si peu de confusion, que tout le monde souhaitoit que la derniere des trois reprises qu'ils firent de cette maniere durast éternellement ; mais cela ne se pouvoit. Les jeunes Gentilshommes avoient trop d'empressement de faire voir leur adresse dans d'autres exercices. En effet, la grande confusion de monde qui estoit accouru de toutes-parts pour voir ce Carouzel, ne fut pas plustost dissipée, que les Dames entrerent dans une Salle magnifique, ornée d'une grande quantité de Lustres, où celuy qui avoit remporté le prix commença un Bal, qui fut interrompu cinq ou six fois par des collations composées de liqueurs, & d'autres rafraischissemens qu'on servit aux Dames. Les gentilshommes danserent chacun à leur rang ; les divertissemens finirent à onze heures du soir, & chacun s'en retourna tres-satisfait de la Feste.

Le 12. de ce mois, le Te Deum fut chanté icy dans l'Eglise Cathedrale, suivant les ordres portez dans la Lettre du Roy à Mr l'Archevesque de Paris, dont voicy les termes.

MON Cousin. Mes Ennemis s'estoient persuadé, qu'ayant assemblé toutes leurs forces dans les Pays-Bas, ils arresteroient le cours de mes conquestes ; cependant, je n'ay pas laissé d'entreprendre en Personne le Siege de la Ville & du Chasteau de Namur, dont ils croyoient la prise impossible. Ils sont accourus au nombre de plus de cent mille hommes, pour m'obliger d'en lever le Siege, mais ils se sont contentez d'en estre les Spectateurs pendant trois semaines, & d'assister à la reduction de la Place que j'ay entierement soumise le 30. du mois dernier, aprés trente jours de tranchée ouverte. Si quelque chose me flate dans une Conqueste aussi importante, c'est bien moins la gloire qui la suit, ou l'agrandissement des mes Etats, que l'esperance qu'elle me donne que mes Ennemis lassez de leurs pertes, souscriront enfin aux offres que je leur fais depuis longtemps de finir la Guerre. C'est aussi cette esperance qui m'oblige particulierement de redoubler envers le Ciel mes actions de graces, & de protester en mesme temps devant celuy qui connoist les sentimens de mon coeur, que je n'ay point de desir plus ardent que de mettre tous mes Peuples en estat de le glorifier en paix. Je vous écris à cet effet, pour vous dire que mon intention est, que vous fassiez chanter le Te Deum dans l'Eglise Cathedrale de ma bonne Ville de Paris, au jour & à l'heure que le Grand Maistre, ou le Maistre de mes Ceremonies vous dira de ma part, & je donne ordre à mes Cours d'y assister en la maniere accoutumée. Sur ce, je prie Dieu qu'il vous ait, Mon Cousin, en sa sainte & digne garde. Ecrit à Mariembourg le sixiéme Juillet 1692. Signé, LOUIS. Et plus bas, PHELYPEAUX.

 

Toutes les Cours Superieures assisterent à ce Te Deum, avec leurs habits de ceremonie, & le soir il y eut un fort beau Feu d'artifice devant l'Hostel de Ville. [...] Il y eut un fort grand Regale à l'Hôtel de Ville ; & aprés que l'on eut tiré le Feu, la Feste fut generale. Ce ne furent que des feux par tout, & il y en eut plus de cent considerables en divers quartiers. Les uns marquerent leur zele par des Illuminations, des fusées volantes, des Repas, des Concerts & des Bals, & d'autres s'unirent ensemble pour faire de grandes Festes. Ce qu'il y a de certain, c'est que l'on peut dire que ce jour-là les yeux, l'oüie & le goust, tout fut content. Mr le Cardinal de Furstemberg fit l'Office dés le matin dans l'Eglise de S. Germain des Prez. L'aprésdînée il chanta le Te Deum, pendant lequel il y eut des Canons tirez. Il fit une fort grande dépense en feux d'artifice, & à regaler tous ceux qui voulurent estre témoins de la Feste. [...]

Le Jeudy 17. les Augustins Déchaussez de la Place des Victoires, d'autant plus ardens à se distinguer lors qu'il s'agit de la gloire de Sa Majesté, que leur Maison est de Fondation Royale, & que leur Eglise, dédiée à Nostre-Dame des Victoires, semble destinée pour rendre incessament graces à Dieu de celles du Roy, firent chanter le Te Deum en Musique au bruit de deux décharges de Boëtes. Il s'y trouva un concours extraordinaire de personnes de qualité & de Peuple.

[Autres ouvrages sur la prise de Namur] §

Mercure galant, juillet 1692 [tome 8], p. 230-244.

Combien les Muses vont estre occupées à celebrer la conqueste de Namur ! Entre un grand nombre d’ouvrages qui paroissent sur cette matiere, le Sonnet qui suit s’est fait remarquer, & a receu de grands applaudissemens.

AUX OFFICIERS
François, engagez au service du Prince d’Orange.

De vos premiers honneurs perdez-vous la memoire ?
Ne vous souvient-il plus que vous estes François ?
Infidelles Guerriers, qu’on voyoit autrefois
En tous lieux respectez, heureux, comblez de gloire ?
***
L’incredule avenir refusera de croire,
Qu’aprés avoir servi sous le plus grand des Rois,
Vous ayez lâchement abandonné ses Lois,
Pour suivre des Drapeaux qu’abhorre la Victoire.
***
Quoy ! vous avez prêté vos redoutables mains
Aux cruels attentats, aux barbares desseins
D’un Tyran, qui d’un Roy n’est que le vain fantôme.
***
Ah ! dessillez vos yeux trop longtemps ébloüis.
Songez qu’il est honteux de fuir avec Guillaume,
Aprés avoir toujours sceu vaincre avec LOUIS.

Cet autre Sonnet est de Mr l’Abbé Flanc.

AU ROY.

Grand Roy, qui confondez la Ligue & sa puissance,
Qui triomphez par tout où vont vos Etendars ;
Quand je jette sur vous mes timides regards,
Vostre éclat m’ébloüit, & m’impose silence.
***
Namur, de tant d’Etats la plus ferme assurance,
Terrible par ses Tours & par ses Boulevars,
Cette Place imprenable aux armes des Cesars,
Malgré les Elemens cede à vostre vaillance.
***
Cent Peuples animez par leurs fiers Generaux,
Confus de vos exploits, Témoins de vos travaux,
Ont formé contre vous des projets inutiles.
***
Que ne ferez-vous point aprés ces grands succés ?
Si leurs Forts les plus seurs sont de foibles asiles,
Vous les reduirez tous à demander la paix.

Voicy un troisiéme Sonnet qui a esté fait au Camp d’Erpenne, devant Namur, par Mr Denis, Procureur du Roy de la Prevosté Generale de l’Armée de Sa Majesté sur la Moselle, que commande Mr le Marquis de Bouflers.

De l’honneur de tes murs n’enfle plus ta memoire,
Namur, sur leurs debris tu vois nos Etendarts,
Et cet écueil, l’effroy des plus fameux Cesars,
Est enfin devenu le tombeau de ta gloire.
***
Malgré tes Garnisons, bravant, qui l’eust pû croire !
De vingt Princes liguez les insolens regards,
LOUIS tout intrepide au milieu des hazards,
Sur des monceaux de Morts cimente sa victoire.
***
Quand la Pluye & les Vents contre luy déchaînez,
Rompent longtemps les coups qui te sont destinez,
Nassau croit voir en vain son entreprise vaine.
***
Si le Ciel irrité tout prest à le punir,
Semble pour un moment le vouloir soutenir.
C’est pour rendre plus rude & sa honte, & sa peine.

Les vers que vous allez lire sont de Mr Diereville, dont vous avez veu plusieurs Ouvrages.

SUR LA PRISE
de Namur.

 Enfin nos ennuis sont passez ;
LOUIS devant Namur n’affronte plus la foudre,
 Ses jours n’y sont plus menacez,
 Il a réduit ses murs en poudre.
 C’est à son invincible bras
 Que nous devons cette Victoire.
 Jamais Heros n’eut plus de gloire ;
Son exemple animoit le cœur de ses Soldats.
 Par la noble ardeur qu’il inspire,
Des plus vastes desseins il sçait venir à bout.
 Pour le bonheur de son Empire,
Que ne peut-il estre par tout !
A peine paroit-il dans le champ de Bellonne,
Qu’aux plus fiers ennemis il cause la terreur ;
Namur de son courage éprouve la grandeur,
Il en forme le Siége, il agit, il ordonne,
 Et s’en rend bientost le vainqueur.
 Tout ce que la guerre a d’horreur,
N’a rien dont son grand cœur s’étonne,
En vain de tous costez la foudre gronde, tonne,
 Et fait tomber sous sa fureur
 Le fier Soldat qui l’environne ;
Tout ne fait qu’augmenter son intrépide ardeur,
 Il s’expose avec plus de cœur
 Où l’ennemy combat, & donne
 Plus de marques de sa valeur.
 La Ville cede à sa puissance,
 Il pousse plus loin ses travaux,
Et chaque Fort paroist ne faire resistance,
 Que pour s’attirer plus de maux,
Et rendre du Vainqueur les triomphes plus beaux.
Que de témoins, Grand Dieu, d’une telle vaillance !
 C’est vostre cause qu’il deffend ;
Aussi voit-on assez que vostre bras s’étend
 Sur le Tiran qui vous offense.
On le voit violer les droits les plus sacrez,
Se declarer le Chef de cent Confederez,
Et n’estant pas content de troubler tout le monde,
Soulever contre-vous l’Enfer, la Terre, & l’Onde.
Quel desespoir pour luy, lors qu’avec tant de bras,
Il ne peut secourir une Place importante !
Entre mille projets qu’il n’execute pas,
Son ame demeure flotante.
Il avance, il s’arreste, & revient sur ses pas ;
 Il faudroit donner des Batailles,
Mais fuyant les malheurs qu’il a dans les combats,
Il laisse renverser bastions & murailles.
Sa gloire & l’interest de tous ses Alliez,
Demandent des exploits qui ne le touchent guére ;
Sur les bords argentez d’une étroite riviere
 Tous ses devoirs sont oubliez.
On ne sçait quel motif en si beau champ l’arreste,
Et le fait demeurer dans un honteux repos,
Lors qu’il voit à ses yeux le plus grand des Heros
Achever de Namur la fameuse Conqueste.
 Grand Dieu, c’est par vôtre secours
  Que le Constantin de nos jours
  Contre un Tiran s’immortalise ;
  Pour la gloire de vôtre Eglise,
  Et le bonheur de ses Sujets,
Que tous ses Ennemis luy demandent la Paix.

Le Quadrain qui suit a esté extrémement approuvé. Il est adressé à un homme que la seule curiosité a mené au Siege, & qui a veu faire la conqueste de la Place sans courir aucun peril.

 Commodement, & toûjours en lieu sûr,
Vous avez veu la prise de Namur.
C’est un Exploit bien digne de loüange.
Plus n’en a fait le grand Prince d’Orange.

Le Chasteau de Namur est tellement fort, & le secours paroissoit si infaillible, que s’estant trouvé un Incredule sur cette conqueste à faire, Mr Roubin du Saint Esprit luy a répondu par ce Madrigal.

Vous doutez que Namur mette les armes bas
 Pour se soumettre à nostre Hercule,
Dés qu’il aura senty les efforts de son bras !
 Vous en doutez ? C’est estre ridicule.
 Loüis l’assiege, & ne le prendra pas ?

La conqueste est d’autant plus glorieuse qu’elle estoit difficile, & que tout autre que le Roy n’auroit jamais pû en venir à bout. C’est ce qui a donné lieu à cet autre Madrigal.

Pour voir prendre Namur, cette Place imprenable,
Guillaume vient suivy de cent mille Témoins.
 Pour rendre la chose croyable,
  Il n’en falloit pas moins.

Si les Ennemis se vantent qu’ils ont triomphé sur Mer, on peut leur répondre par ces autres Vers.

L’ESPAGNOL
A ses Alliez.

Bien qu’à nostre commun dommage
Vous ayez eu de l’avantage
Sur quelques Vaisseaux des François,
Avoüez que depuis la Guerre
Il n’ont perdu qu’un peu de bois,
Et que je perds beaucoup de terre.

[Réjouissances publiques, faites en plusieurs Villes sur la prise de cette mesme Place] §

Mercure galant, juillet 1692 [tome 8], p. 251-252.

 

Tous les Mandemens que Mr l'Evêque de Noyon fait publier dans son Diocese, en ordonnant des Prieres pour l'heureux succés des entreprises du Roy, sont toûjours accompagnez d'un si juste Eloge de ce Monarque, que je croy devoir vous faire part de celuy qui vient de paroître pour faire chanter le Te Deum de la prise de Namur. Il a receu de grands applaudissemens, & vous le lirez sans doute avec beaucoup de plaisir.

[Mme la marquise de la Frezelière fait chanter un Te Deum]* §

Mercure galant, juillet 1692 [tome 8], p. 279-281.

Madame la Marquise de la Frezeliere, Femme de Mr de la Frezeliere, Lieutenant General des Armées du Roy, Gouverneur de Salins, & Lieutenant General de l'Artillerie, n'eut pas plustost appris dans sa Terre de Monts en Poitou, la conqueste de Namur, que pour en marquer sa joye, elle convia le Commandant de la Noblesse de Bourgogne avec la plus grande partie de ceux dont l'Arriereban est composé, & tous les Gentilshommes & toutes les Dames de ses terres & de son voisinage d'assister au Te Deum en musique, qu'elle fit chanter. Elle les traita tous magnifiquement, & plusieurs décharges de quelques pieces de Canon, qu'elle a dans son Chasteau, annoncerent cette Feste à tous ceux des environs qui ne purent s'y trouver. Elle fit aussi distribuer du vin à tous les Habitans qui en voulurent, pour boire à la santé de Sa Majesté, & il y eut entr'eux de grandes réjoüissances.

[Mort de Mr de Valois et de Mr Ménage]* §

Mercure galant, juillet 1692 [tome 8], p. 286-291.

Nous avons aussi perdu deux Hommes Illustres pendant ce mois. L’un est Mr de Valois, Historiographe de France, fameux par plusieurs Ouvrages, & sur tout par son Histoire Latine de la premiere Race de nos Rois. L’autre est Mr Menage, dont le genie s’est fait admirer par l’étenduë de ses connoissances. Il possedoit parfaitement la Langue Grecque, la Langue Latine, & l’Italienne, & les deux volumes d’Observations qu’il nous a donnez sur la Françoise, font connoistre qu’il n’ignoroit rien de ce qu’elle a de plus delicat & de plus pur. Ses autres Ouvrages sont des Poësies en differentes Langues, ses Notes sur Diogene Laërce, les Etymologies Italiennes, les Miscellanea, ou œuvres mêlées ; les Antiquitez de la Ville de Sablé en Anjou, les Vies des Femmes Philosophes, &c. Il donnoit ses soins à une nouvelle Edition in folio de ses Etymologies de la Langue Françoise, fort augmentées, & corrigées, & on en estoit à la lettre S. quand il est mort. Son grand merite luy avoit attiré en divers temps quelques envieux, qui avoient mesme écrit contre luy, mais tout ce qu’ils ont publié n’a donné aucune atteinte à sa réputation. Il s’estoit fait un plaisir dans les dernieres années de sa vie, de recevoir chez luy plusieurs personnes de Lettres les aprésdînées, & l’on s’y entretenoit de nouvelles de litterature, & d’autres. Il avoit une memoire prodigieuse, & toujours presente pour citer les Auteurs anciens & modernes qui venoient à propos dans le discours familier, & l’on pouvoit dire de luy, que c’estoit le Varron de nostre siecle. Mr Menage estoit Fils d’un Avocat du Roy d’Angers, & allié à la pluspart des meilleures Maisons de ce Pays là. Son esprit & sa profonde érudition luy avoient acquis l’estime de plusieurs Personnes du premier rang, tant en France que dans les Pays Etrangers, & particulierement de la Reine Christine de Suede, de Mr Servien, Ministre d’Etat, & Surintendant des Finances, & de Mr de Bellievre, Premier President au Parlement de Paris. Il est mort le 23. de ce mois, âgé de 79. ans, dans une résignation tout à fait Chrétienne, assisté du Pere Errant, Recteur du College des Jesuites, homme tres-docte, & qui a esté Confesseur de la feuë Reine d’Espagne. Mr Menage, son parent tres proche, qui jusqu’au dernier moment a conservé une presence d’esprit que l’approche de la mort n’a point troublée, luy dit, aprés l’avoir remercié de ses pieuses exhortations à bien mourir, qu’il estoit necessaire d’une Sage Femme pour entrer au monde, & d’un Homme Sage pour en sortir.

[Journal de ce qui s'est passé à l'Armée de M. de Luxembourg] §

Mercure galant, juillet 1692 [tome 8], p. 295-296.

 

Le Mardy, premier de ce mois, Mr l'Abbé de Riqueti dit la Messe dans l'Eglise des Chanoinesses de Moustier, où assisterent tous les Princes & Officiers Generaux, aprés quoy ce mesme Abbé entonna le Te Deum. Ce jour-là, Sa Majesté vint à l'Abbaye du Floref, Ordre de Prémonstré, où l'Abbé la reçut en habits Pontificaux à la porte de l'Eglise avec la Communauté. Mr de Luxembourg, & les Officiers Generaux qui n'étoient pas de jour s'y trouverent, & on tint Conseil de Guerre. Il y fut déliberé d'envoyer des Troupes de l'Armée du Roy en Allemagne, & on y détermina celles que l'on devoit détacher, & celles qui demeureroient dans l'Armée de Mr de Luxembourg. Le Roy alla coucher de là à Dinant.

Air nouveau §

Mercure galant, juillet 1692 [tome 8], p. 333-334.Le poème figure dans les Oeuvres de Madame et Mademoiselle Deshoulières (t. 2, Paris, Prault fils, 1753, p. 251).

L'estat d'une Amante, reduite à donner des pleurs à la mort de son Amant est un estat digne de pitié. Vous en trouverez la triste peinture dans les paroles que vous allez lire.

AIR NOUVEAU.

L’Air doit regarder la page 333.
Taisez-vous, Rossignols, vostre tendre ramage
Rappelle toutes mes douleurs.
Tircis à son départ, sous ce mesme feüillage,
Tandis que de l'Amour vous chantiez les douceurs,
Mesloit en me parlant ses soupirs à mes pleurs.
Helas ! d'un si touchant langage,
Je ne gousteray plus les plaisirs enchantez ;
Tircis de l'Acheron a veu l'affreux rivage.
Taisez-vous, Rossignols, vostre tendre ramage
Rappelle toutes mes douleurs.
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