1693

Mercure galant, juillet 1693 [tome 8].

2017
Source : Mercure galant, juillet 1693 [tome 8].
Ont participé à cette édition électronique : Nathalie Berton-Blivet (Responsable éditorial), Anne Piéjus (Responsable éditorial), Frédéric Glorieux (Informatique éditoriale) et Vincent Jolivet (Informatique éditoriale).

Mercure galant, juillet 1693 [tome 8]. §

Epistre sur la Pieté du Roy §

Mercure galant, juillet 1693 [tome 8], p. 7-26.

 

Vous avez raison, Madame, d’aimer les Ouvrages qui se font continuellement pour le Roy. Non seulement tout ce qui regarde ce Monarque doit faire plaisir aux veritables François, mais ceux qui les entreprennent ayant la pluspart un heureux genie, il est impossible qu’une si belle matiere ne leur fasse produire des choses dignes de la curiosité publique. C’est ce qui m’engage à vous envoyer l’Epistre en Vers que vous allez lire. Elle est adressée au R. Pere de la Chaise, & sur un sujet qui n’a pas besoin de fictions pour estre traité.

EPISTRE
Sur la Pieté du Roy.

Des projets les plus saints digne Dépositaire,
Elevé par ton zele à ce haut Ministere,
La Chaise, admire icy les plus augustes traits
Du cœur d’un Roy Chrestien, que tu vois de si prés,
Et secondant l’ardeur que sa vertu m’inspire,
Viens prendre part aux Chants que t’adresse ma Lyre,
Puisque sa pieté, dont il répand l’éclat,
Couronne les travaux de ton Apostolat,
Et que ta Compagnie aujourd’huy plus illustre
Du succés de ton zele emprunte un nouveau lustre.
 Dés longtemps occupée à de sacrez emplois,
Elle a sceu seconder la ferveur de nos Rois,
Leur dicter des projets que le Ciel favorise,
S’attacher à la Cour, pour mieux servir l’Eglise,
Ouy, dés que loin des mers, plus d’un siecle avant toy,
Les Disciples d’Ignace eurent planté la Foy ;
Dés qu’ils eurent au Christ, malgré cent Dieux frivoles,
Elevé des Autels du débris des Idoles,
Du Japon sur nos bords, cette divine ardeur, 2. Cor. 2.
De leur Apostolat porta la sainte odeur,
Et l’on vit, dans des temps à l’Eglise contraires,
Des Monarques Chrestiens ces Guides tutelaires
Acquerir par un zele aussi saint que leurs noms,
L’estime des Valois, & le cœur des Bourbons.
 De ces Guides, la Chaise, imitateur fidelle,
Qui cherchois un objet aussi grand que ton zele,
LOUIS dés le berceau dans le bien cultivé,
Pour la paix de l’Eglise à l’Empire élevé,
T’a choisi dans ces temps, où tes soins & tes veilles
Ont servi d’instrument à ces hautes merveilles.
Aussi le Ciel en toy dût réunir ses dons,
Sagement partagez aux Sirmonds, aux Cotons,
S’il t’a commis un Roy, dont le grand cœur rassemble
Ce qu’ont eu de vertus tous les Bourbons ensemble.
 Ce fut dans l’heureux cours de tant de beaux exploits,
Quand, du Lis jusqu’au Rhin, tout trembloit sous ses loix, En 1675.
Qu’il se fit voir à toy chery de la Victoire.
Ne pressentis-tu pas, ébloüy de sa gloire,
Que son bras aspirant à de plus beaux Lauriers,
Alloit vanger l’Auteur de ses succés guerriers,
Et cherchant à son zele une digne matiere,
Dans le champ de l’Eglise ouvriroit sa carriere.
Mais dés qu’aux mains de Dieu ce grand cœur déposé Prov. 21.
Fut sans voile & sans ombre à tes yeux exposé,
Et que sa majesté, qui pour toy se tempere,
T’en laissa penetrer le plus secret mistere,
De quel espoir plus doux te sentis-tu flaté ?
Tu vis à découvert ce fond de probité,
Où regne la douceur, la bonté, la droiture,
Où la Grace a comblé les dons de la Nature,
Le centre de sa gloire, & de mille vertus,
Que tu dois dans leur source admirer encor plus.
 C’est là que prés des Rois la Verité timide
Empruntant de ta bouche une voix intrepide,
Luy suggeroit qu’en vain, sans le nom de pieux,
Un Prince se promet un regne glorieux ; Sap. 7.
Que d’un grand Roy l’Eglise attend de grands exemples,
Le soutien de ses Loix, & l’appuy de ses Temples,
Et qu’un Heros Chrestien ne se fait admirer
Qu’en servant mieux le Dieu qu’il veut faire adorer.
 À ces divins conseils LOUIS ouvrant l’oreille,
Sent qu’une sainte ardeur & l’anime, & l’éveille.
Ennemy du flateur qui fuit la verité,
Toute austere qu’elle est, il en est enchanté.
Celle qui le reprend est celle qu’il avoüe,
Luy qui veut qu’on l’instruise, & défend qu’on le louë,
Dans les saints Orateurs trouve-t-il moins d’attraits,
Soit qu’ils fassent trembler le vice sous le dais,
Soit qu’ils portent son cœur par leur vive éloquence,
Aux vertus qu’en secret luy dicte ta prudence.
 Sous ce regne où renaist le siecle des Pepins,
Des Charles, des Clovis, l’age des Constantins,
À ton esprit content souffre que je rappelle
De tant d’exploits pieux la memoire immortelle,
Les effets éclatans de ses nouveaux Edits,
Les excés de l’usure & du luxe proscrits ;
Tant de sacrez Hostels, de pompeux Edifices,
Où les Pauvres heureux vivent sous ses auspices ;
Un magnifique asile, où le Guerrier blessé
Reçoit le juste prix du sang qu’il a versé.
Un Temple consacré pour les jeunes Vestales,
Mille autres monumens de ses mains liberales.
 Tu reconnois LOUIS à tant de saints travaux,
Mais distingue-le mieux aux traits d’un vray Heros.
Quand Ministre du Dieu, dont luy mesme est l’image, Rom. 13.
Dans une Cour Chrestienne il en prescrit l’hommage,
Cette Cour, où le vice a peu de partisans,
Où l’amour du vray bien fait les vrais Courtisans,
Où LOUIS moins brillant par sa riche Couronne,
Se distingue à l’éclat que la vertu luy donne,
Qui des spectacles vains fuyant le faux plaisir,
À luy-mesme se rend compte de son loisir,
Et des devoirs Chrestiens empruntant son merite,
Fait de la pieté sa vertu favorite.
Tous les jours on le voit aux pieds de nos Autels
Se rendre en s’abaissant le plus grand des mortels,
Et par un cours reglé d’actions exemplaires
Nous marquer tous les temps de nos divins Misteres.
C’est à toy, qui fidelle à ton illustre employ,
Excites sa ferveur, & ranimes sa foy,
De nous vanter le prix d’un si grand sacrifice,
Où s’offrant au Seigneur il nous le rend propice,
Et suivi de sa Cour en cet auguste lieu,
De son ame fervente il forme un Trône à Dieu.
C’est à toy qui l’admets au sacré Tabernacle,
De relever l’éclat de ce frequent miracle,
Où la Grace abondante infuse dans son sein,
Y répand la vertu du Dieu dont il est plein ;
Puis que d’un mal affreux domptant la violence,
Aux corps que sa main touche il étend sa puissance.
 Là sur les pas du Christ son humble pieté
Par un divin éclat soutient sa majesté,
Quand descendant du Trône il sert mesme & revere
Le Pauvre, dont il est le Monarque & le Pere. La Cene,
Là souvent son grand cœur occupé du vray bien
Adresse au Ciel des vœux dignes d’un Roy Chrestien,
Qu’il perpetuë en luy la sagesse suprême,
Qu’il le fasse moins Roy des siens que de luy-mesme,
Et que la pure Foy rassemblant ses Sujets
L’Eglise goûte un jour une solide Paix.
 Il est venu ce jour, & l’Erreur étouffée
Est de sa pieté le plus noble trophée,
Depuis que par luy seul on voit executé
Ce que sept de nos Rois avoient en vain tenté.
Je sçay que sa bonté par de legeres peines,
Pressa les Novateurs de rompre enfin leurs chaînes,
Que par de justes loix s’efforçant de guerir
La fureur d’une Secte obstinée à perir,
De ses Sujets mutins il tenta la conqueste ;
Mais quand le Ciel vangeur qui menaçoit leur teste Deut. 13.
Contre ces faux Docteurs fit tonner son Arrest,
Je sçay qu’à leur salut prenant plus d’interest,
LOUIS sembloit ravir dans leurs Temples en poudre
Leurs ames à l’Enfer, & leur teste à la foudre,
Quand leur offrant encor & ses dons & sa main,
Il les força d’entrer au celeste chemin,
Et par des Missions que seconda la Grace,
Vit sur leurs cœurs changez son Edit efficace.
 Dut-on moins esperer d’un Heros si Chrestien,
Qui de l’honneur du Christ plus jaloux que du sien,
Loin de l’Inde & du Gange ordonne qu’on publie
La Foy qu’en ses Etats son zele a rétablie,
Qui chassant les faux Dieux des climats reculez,
Affranchit de l’erreur tant de Rois aveuglez ;
Et par ta Compagnie en Apostres feconde,
Affermit le vray culte en l’un & l’autre Monde ?
 C’est à ce pieux Roy, le fleau des Novateurs,
De confier encor l’Eglise aux vrais Pasteurs.
Sa prudence pourtant timide & scrupuleuse,
Pour les Oingts du Seigneur toujours respectueuse,
N’ose seule aux emplois à la sainteté dûs
Elever des Sujets que le Ciel n’ait élûs
Toy qui dans tes conseils suis l’austere Evangile,
La Chaise, à ces projets tu n’es pas inutile.
Instruit que le Prelat au fidelle Troupeau Marth. 5.
Par d’innocentes mœurs doit servir de flambeau,
Que des tresors sacrez l’Abbé dépositaire
Doit du triste indigent soulager la misere, 2. Cor. 2.
Tu deviens, par attache au severe devoir,
Protecteur du merite, & Patron du sçavoir.
Le Clergé fleurissant, par ces sages maximes
Ne voit point sous Loüis de choix illegitimes,
Ny d’indignes Prelats de Mitre couronnez,
Ny d’Enfans avant l’âge aux Autels destinez,
Ny les humbles Pasteurs que pressoit l’indigence, Portions congruës.
Dans le champ du Seigneur gemir sans recompense.
 Telle est sa pieté feconde en mille faits,
Qui sanctifie encor tous ses autres projets.
Ouy, tu l’as veu, témoin du bonheur de ses armes,
N’esperer qu’en son Dieu dans le fort des alarmes ;
Et lors qu’il soutient seul contre mille Ennemis,
L’interest de l’Eglise à ta valeur commis,
Du succés des Combats, du débris des murailles
Redevable au grand nom du Seigneur Batailles,
Par un fameux Cantique il en répand le bruit,
Et de tous ses travaux luy consacre le fruit.
 Il restoit à LOUIS de rendre hereditaire
La haute pieté qui fait son caractere.
Son exemple aux Bourbons est une douce loy,
Qui pour aller à Dieu leur fait suivre leur Roy ;
Mais joignant à ses soins ton zele apostolique,
La Chaise, il t’a commis, par un choix authentique,
Du cœur de son Dauphin le dépost précieux,
Et trois augustes Fils formez sur leurs Ayeux,
Qui prestant à ta voix une oreille docile,
Trouvent dés le Berceau la pieté facile.

[Réjoüissances faites à Moulins] §

Mercure galant, juillet 1693 [tome 8], p. 63-71.

 

J’ay à vous entretenir sur tant de matieres differentes, que ne pouvant vous parler dans cette Lettre de tous les feux de joye qui ont esté faits à l’occasion de la prise d’Heidelberg, je me contenteray de vous faire le détail de celuy que l’on a fait à Moulins, afin que vous jugiez par là des réjoüissances des autres Villes. Ce Feu, qui estoit du dessein de Mr Grolier Des-Maison, Procureur du Roy & de la Ville, fut trouvé tout plein d’invention. La Victoire sous la forme de Pallas, tenoit d’une main une Couronne de Laurier, & de l’autre un Etendard aux armes de France avec ces mots, Invictum haud invita sequor, qu’expliquoit ce Vers à la gloire du Roy.

Je me fais un plaisir de marcher sur ses pas.

Dans les quatre faces du Piedestal, sur lequel la figure estoit posée, il y avoit quatre Devises. Le corps de la premiere estoit un Soleil dans son midy, & tout brillant de lumiere avec ces mots, Ut sol solus in orbe, pour faire connoistre que Louis le Grand ne se distingue pas moins entre tous les autres Souverains par les prodiges continuels de son regne, que le Soleil se distingue entre tous les autres Astres.

La seconde estoit un Soleil faisant épanouir des Lis avec ces mots. Per te reviviscimus omnes, pour montrer que les François mettent toutes leurs esperances sur la vigilance & la sagesse du Roy, qui resiste seul à un monde d’Ennemis liguez ensemble.

Un Soleil sur le globe de la France, faisoit le corps de la troisiéme Devise avec ces paroles, Pacatum reget hic propriis virtutibus orbem, pour faire entendre que la France restera tranquille, tant qu’elle aura l’avantage d’estre gouvernée par un Prince aussi grand par sa valeur, que par sa pieté singuliere.

La quatriéme estoit un Miroir ardent, exposé aux rayons du Soleil, & qui brûle par sa reflexion tout ce qu’on luy oppose, & ces mots pour ame, Cœlitus ardet, ce qui marquoit que l’ardeur avec laquelle le Roy soustient la guerre contre tous les Princes Alliez, luy vient du Ciel, dont il prend en main la cause.

Dans les quatre Platebandes de l’Echafaut, on avoit peint quatre autres Devises dans des cartouches, expliquées chacune par autant de Vers François. Ces Devises estoient toutes sur la rapidité avec laquelle les Troupes du Roy ont pris Heidelberg.

Dans le premier des Cartouches estoit peinte une Nuée épaisse, d’où sortoit la foudre qui tomboit sur une Ville avec ces paroles, Ante ferit quam flamma micat ; & plus bas

En vain sur mes projets tous les yeux sont ouverts ;
Ils portent avec eux le secret de la foudre.
Heidelberg voit plustost ses murs reduits en poudre.
Qu’il ne s’est apperçeu de son triste revers.

Dans le second estoit un autre Soleil, dont plusieurs nuages épais vouloient suspendre l’ardeur & la lumiere, avec ces mots, Obstantia nubila solvit.

Pour pouvoir l’arrester dans sa noble carriere
Des nuages épais font obstacle à ses pas ;
Mais leurs efforts sont vains, & n’empescheront pas
Qu’il ne porte par tout l’éclat de sa lumiere.

Le troisiéme representoit un Soleil, penetrant un gros nuage par ses rayons, dont il sortoit des éclairs, avec ces paroles, Vel solo lumine terret.

Au seul bruit des carreaux que va lancer LOUIS,
Bade tremble de peur, & plaint son infortune.
De l’éclat du Soleil ses yeux sont ébloüis,
Il ne peut soûtenir que celuy de la Lune.

Dans le quatriéme paroissoit un Soleil, peint sur un Bouclier aux Armes de France, produisant l’effet de la teste de Meduse, & ces mots au bas, Vincit quem respicit hostem.

Ligue, de tes projets tu sens la décadence ;
Malgré les bras armez de tous tes Potentats,
Tu verras chaque jour démembrer tes Etats,
Rien ne peut résister aux Armes de la France.

Sur la prise de Roses §

Mercure galant, juillet 1693 [tome 8], p. 195-196.

 

Le Madrigal que vous allez lire est de Mr Robinet.

SUR LA PRISE DE ROSES.

 En vain le Printemps & l’Esté
Reviendront desormais tous les ans chez l’Ibere ;
 En vain Flore, pour luy plaire,
 S’y montrera dans toute sa beauté,
Sur un Trône de fleurs nouvellement écloses.
 Ils seront tous pour luy sans Roses.

Le Pere Durand Jesuite, Professeur de Rhetorique du College d’Angoulesme, a fait Sur le mesme sujet cette Epigramme Latine.

Flere Rosam Hispano subreptam desine, Flora.
 Par erat ut fierent Lilia mixta Rosis.

En voicy une autre de Mr Leonard, Chanoine de l’Eglise Metropolitaine de Narbonne. Vous vous souviendrez en la lisant que Mr le Maréchal de Noailles s’appelle Anne-Jules.

Quam carpsit, LODOICEt, Rosam tibi Julius offert.
 Lilia nunc tangens, emicat ipsa magis.

[Réjoüissances faites à Grenoble] §

Mercure galant, juillet 1693 [tome 8], p. 196-203.

 

J’ay oublié de vous dire que lors qu’on eut appris à Madrid la prise de Roses, on proposa au Roy d’Espagne d’aller à Valladolid, & mesme plus loin, & que la confusion fut si grande dans le Conseil, qu’il y eut presque autant d’avis que de testes. Tandis que la consternation regnoit dans ce Conseil, tout s’estoit en joye en France, & on faisoit encore de grandes réjoüissances pour la prise de Heidelberg. Mr Roman Couppier, Consul de Grenoble, qui estoit chargé du soin de celles qui s’y devoient faire, les avoit préparées pour le 21. du mois passé. Le Parlement, la Chambre des Comptes, & le Corps de Ville s’estant rendus dans la Cathedrale, Mr le Cardinal le Camus, Evesque & Prince de Grenoble, entonna le Te Deum, qui fut chanté en Musique ; aprés quoy on alla dans la Place de Saint André, où estoit dressé le feu. Le Penonnage estoit sous les armes autour de la Place, & bordoit la ruë qui conduit jusqu’à l’Hostel de Mr Pucelle, Premier President de Parlement de Dauphiné, qui alluma ce feu avec les ceremonies ordinaires, accompagné des Maire & Consuls, qui estoient venus, précedez par les Drapeaux, & par un Concert de Violons, de Hautbois, & de Musettes. Le Bucher estoit orné de Peintures & de Devises qui convenoient au sujet. [...] Toutes [l]es Devises estoient de Mr Didier, Avocat au Parlement de Grenoble. La Feste ne se termina par avec le jour, & toute la nuit se passa en réjoüissances.

[Service fait à la Ville d’Eu, pour feuë Mademoiselle d’Orleans, par l’ordre de Mr du Maine. Autres Services faits pour la mesme Princesse] §

Mercure galant, juillet 1693 [tome 8], p. 203-209.L'Oraison funèbre a été publiée à Paris (Vve Pepingué et J. Lefebvre, 1693 ; BnF/ LN27-14737).

 

Le 26. du mois passé, on fit à la Ville d’Eu un Service solemnel pour feuë Mademoiselle d’Orleans ; & pour vous faire comprendre d’abord jusques où l’on a porté la pompe de cette Ceremonie, il me suffira de dire qu’elle a esté faite par ordre de Monsieur le Duc du Maine, qui en avoit confié le soin à Mr de Malezieux son Intendant, Secretaire General des Galeres & de ses Commandemens. On sçait que ce Prince est aussi mgnifique qu'il est intrépide & comme il a receu de glorieuses marques de l'estime qu'avoit pour luy Mademoiselle d'Orleans, qui l'a fait Souverain en luy donnant la Principauté de Dombes, il n'a rien oublié de ce qui pouvoit faire éclater sa reconnoissance, Mr Malezieux qu'il avoit chargé de ses ordres, s'en est acquitté en homme qui joint la politesse à l'exactitude. Peu de Personnes à la Cour ignorent son mérite, & on y admire également sa probité, son desinteressement, sa capacité pour les grandes affaires, & la vaste étenduë de spn genie, à qui presque rien n'a échapé de ce qu'un homme peut sçavoir. Il avoit choisy pour rendre les honneurs Funebres à cette Princesse, l’Eglise de Saint Laurens qui sert de Chapelle au superbe Château de la Ville d’Eu. Cette Chapelle qui est desservie par les Chanoines Reguliers de Saint Augustin, êgale en grandeur, & surpasse en beauté la plus-part des Eglises Cathedrales de France. Elle estoit toute tenduë de blanc, & la tenture estoit semée d'un grand nombre d'Ecussons aux Armes de la Princesse défunte. Il y avoit entre le Balustre & le grand Autel qui separe la Nef d'avec le Chœur, une Representation êlevée sur quatre gradins, couverte d'un riche Poisle de velours, & environnée d'un tres-grand nombre de Flambeaux & de Chandeliers d'argent. L'Autel estoit extraordinairement éclairé, & il seroit difficile d'imaginer une Decoration, ny mieux entenduë, ny plus magnifique.Plus de cent cinquante Ecclesiastiques du Comté d’Eu, tous en Surplis, se rendirent dans l’Eglise de Saint Laurens à l’heure marquée pour le Service ; les Peres Jesuites & Capucins y assisterent ; la meilleure partie de la Noblesse du Pays s’y trouva, Messieurs de la Justice du Comté d’Eu y vinrent en robes, & il y eut une multitude presque infinie de peuple. La Messe fut chantée par les Chanoines Reguliers, & l’Oraison Funebre fut prononçée par le Pere Fejacq, Prieur des Peres Jacobins d’Amiens. Je mettrois icy les Extraits que l’on m’en a envoyez, si on ne l’avoit engagé à la donner au public. On a point encore oublié le Panegyrique du Roy qu’il prononça à Caën, il y a quelques années. Toute la France le lut avec plaisir ; la Cour & l’Academie luy donnerent de grands Eloges ; & si la beauté de l’Oraison Funebre répond à celle du Panegyrique, le public aura sujet d’en estre content. La Ceremonie fut terminée par de grandes aumônes que Mr de Malezieux fit distribuer à plus de douze cens Pauvres. Il traita ensuite la plus grande partie du Clergé, de la Noblesse, & de la Justice qui y avoit assisté, & il le fit avec beaucoup de magnificence & de politesse.

[Lettre touchant la Belle Education] §

Mercure galant, juillet 1693 [tome 8], p. 227-232.

 

Puisque vous me témoignez que la Lecture du Livre de la Belle Education vous a fait tant de plaisir, vous serez sans doute bien-aise que je vous fasse part d’une Lettre écrite sur ce sujet, qui vous apprendra les effets avantageux qu’il produit.

À MONSIEUR DE L.…

J’ay receu, Monsieur, le Livre de la belle éducation fait par Mr Bordelon, que vous avez eu la bonté de m’envoyer. Je vous en fais mes remercimens comme du plus precieux present que vous pouviez me faire, parce que je fais beaucoup de cas de tout ce qui peut me donner quelque lumiere pour bien élever mon Fils, & que j’estime particulierement cet Ouvrage, qui traite la matiere d’une maniere aussi agréable & aussi insinuante que la pratique en est necessaire. J’en trouve la division admirable, & je ne sçay laquelle des trois parties doit plaire le plus. Tous les Parens devroient faire ce qui est marqué dans la premiere, car si leurs enfans n’ont pas souvent l’éducation qu’ils souhaitent, c’est faute d’avoir une attention suffisante sur les Maistres qu’ils leur donnent. Les avis pour élever la jeunesse, qu’on trouve dans la seconde partie, ne peuvent estre assez estimez, & ceux qui remplissent la troisiéme font qu’il n’y a personne pour qui ce Livre ne puisse estre d’une grande utilité. Ce que j’en estime sur tout, & qui marque beaucoup de lecture & d’érudition, c’est qu’on n’y voit presque rien qui ne soit orné ou appuyé de quelque trait de Poësie & d’Histoire. Cela attache merveilleusement le Lecteur le plus habile, & fait que celuy que l’on veut qui en profite, retient mieux les choses qu’on a dessein de luy faire apprendre, parce que les endroits citez luy font plaisir. Enfin il seroit à souhaiter que tous les Peres, tous les Enfans, & tous ceux qui ont soin de les instruire, eussent toujours ce Livre à la main. Mon Fils ne le peut quitter. Envoyez m’en encore un, je vous prie, avec tous les Ouvrages du mesme Auteur, dont le Catalogue est à la fin de celuy-cy. On a beaucoup écrit sur ce sujet, il est vray, mais comme il y a certaines matieres qui ne s’épuisent jamais, ce nouvel Ouvrage est d’un caractere si instructif, qu’il ne laisse pas de meriter une approbation generale, quoy qu’il soit venu aprés plusieurs autres. Apprenez moy, s’il vous plaist, ce qui se passe à Paris dans la Republique des Lettres. Je suis, &c.

À Toulouze le 10. Juillet 1693.

Air nouveau §

Mercure galant, juillet 1693 [tome 8], p. 317-318.

Les Vers que vous allez lire ont esté mis en Musique par Mr de Montailly.

AIR NOUVEAU.

Avis pour placer les Figures : l’Air doit regarder la page 317.
NON, le printemps n'est plus la saison des Amours,
Si mes yeux sont reduits à répandre des larmes.
Vous partez, grand Heros & le bruit des Tambours,
Qui vous mene à la gloire augmente mes allarmes.
Lorsque vous triomphez, je tremble pour vos jours
Et je verse des pleurs où vous trouvez des charmes.
Non, le Printemps n'est plus la saison des amours,
Si mes yeux sont reduits à répandre des larmes.
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