1693

Mercure galant, août 1693 [tome 9].

2017
Source : Mercure galant, août 1693 [tome 9].
Ont participé à cette édition électronique : Nathalie Berton-Blivet (Responsable éditorial), Anne Piéjus (Responsable éditorial), Frédéric Glorieux (Informatique éditoriale) et Vincent Jolivet (Informatique éditoriale).

Mercure galant, août 1693 [tome 9]. §

Priere pour le Roy §

Mercure galant, août 1693 [tome 9], p. 7-11.

 

L’Ardeur des Sujets du Roy, leur admiration pour ses merveilleuses qualitez, leurs vœux & leur amour continuant dans les prieres qu’ils font au Ciel pour la prosperité de ce grand Monarque, je ne dois pas me lasser de vous envoyer leurs Ouvrages. En voicy encore un de la même nature, qui vous doit plaire, & par sa matiere, & par le tour que l’Auteur luy a donné.

PRIERE POUR LE ROY.

 Seigneur, qui protegez les Rois,
Contre vos Ennemis LOUIS défend vos droits.
Conservez avec soin ce Heros indomptable ;
Dans le fond de son cœur il a gravé vos Loix,
Son cœur est dans vos mains ; soyez-luy secourable ;
 Ses vœux n’ont pour objet que vous ;
 Vous avez dans vostre couroux
Fait sentir aux méchans son pouvoir redoutable.
 Nous fremissons au recit des Combats,
Où vous avez voulu vous servir de son bras.
Vos Ennemis vaincus gemissent de leurs pertes,
Nous avons vû leurs Tours sous la cendre couvertes ;
Des plus audacieux il a puny l’orgueil,
Leurs ramparts renversez leur servent de cercueil.
Le reste des mutins flatent en vain leur rage.
Peuvent-ils arrester un Roy victorieux,
 Dont vous soutenez le courage,
 Et qui combat pour la cause des Cieux ?
Défendez un Heros qui défend vostre gloire ;
 Qu’il soit par tout suivi de la victoire ;
Que son Trône fameux qui soutient vos Autels,
Ait toujours pour appuy vostre main immortelle.
Montrez pour ce cher Fils une amour paternelle.
Vous l’avez distingué du reste des Mortels.
 Que sa posterité nombreuse
Fleurisse comme un Lis que cherit le Soleil,
 Et qu’avec un succés pareil
Elle puisse à jamais rendre la France heureuse.

Cet Ouvrage est de Mr Danchet, Professeur d’Eloquence à Chartres, qui en a fait plusieurs autres à la gloire de Sa Majesté.

Sur la prise de Roses §

Mercure galant, août 1693 [tome 9], p. 11-16.

 

Le Distique Latin fait sur la prise de Roses, par le Pere Durand Jesuite, Professeur de Rhetorique du College d’Angoulesme, que je vous ay envoyé dans ma Lettre de Juillet, vous doit préparer agreablement à la lecture des Vers qui suivent, & qui sont du même Auteur.

SUR LA PRISE
DE ROSES.

Roses, jadis l’honneur des champs Iberiens.
Cesse de soûpirer si le sort de la guerre
 Te transplante en une autre terre ;
 C’est pour toy le plus grand des biens.
Tes épines estoient de trop foibles barrieres ;
Pour arrester l’effort de nos braves François.
 De plus difficiles carrieres
Ont servi de theatre à leurs fameux exploits ;
Et quand mesme on eust joint le Dragon de la Fable
 À ce Lion si redoutable,
Qui te croyoit garantir de nos mains,
 Ses efforts eussent esté vains ;
Nous n’aurions pas manqué de Jasons intrepides,
Qui n’auroient pris que leurs grands cœurs pour guides.
***
Si tu te vois dans les mains de Loüis,
 Ne t’en crois pas infortunée ;
 Il estoit de ta destinée,
Que l’on te vist un jour fleurir entre nos Lis.
Pouvois-tu desirer un sort plus favorable ?
Ah, que de fleurs voudroient en avoir un semblable !
 C’est là que tes vives couleurs,
Du sang de l’Espagnol derechef empourprées,
 En paroistront plus colorées,
Et rendront sur nos mers de nouvelles splendeurs.
***
Au reste, ne crains pas qu’une main insolente
Ose aller desormais toucher à tes Rosiers,
Il n’appartient qu’à ceux qui cueillent des Lauriers,
De te cueillir toy-mesme, & te rendre éclatante.
Au milieu de nos Lis tes boutons renaissans
 Se verront plus en assurance,
Qu’ils n’estoient sous la garde & sous la vigilance
De ce Lion qui fit des efforts impuissans,
 Pour travailler à ta défense.
***
Incomparable Roy, le plus grand des Guerriers,
Qui releves toujours l’éclat de ta fortune,
Je le vois bien ; cueillir seulement des Lauriers,
Te paroist une route aujourd’huy trop commune.
 Il faut encor que leurs rameaux
De Roses enlacez pour te couvrir de gloire,
 Couronnent chez toy la victoire
 Par des ornemens tout nouveaux.
***
Et toy, Belge effrayé, qui nous parois en peine
De ce que ce Heros quitte si-tost ta plaine,
Sçache que s’il revient ainsi de tes marais,
C’est pour goûter l’odeur que rend dans ses Palais
Une Rose que Mars dans ses champs a cueillie,
Et que pour luy la gloire a longtemps embellie.
S’il est nommé par tout le plus grand des Heros,
 C’est qu’en effet il l’est en toutes choses.
Il fait toujours en tout ses exploits à propos.
Pouvoit-il mieux choisir son temps pour prendre Roses,
 Que celuy des Roses écloses ?

[Histoire] §

Mercure galant, août 1693 [tome 9], p. 16-52.

 

Je vous envoye l’Histoire d’une illustre mal-heureuse, dans les mêmes termes qu’elle a esté faite par une personne que distinguent son esprit & sa naissance, & qui estant retirée avec elle dans un lieu où la seule vertu regne, a bien voulu se donner la peine de recueillir ses avantures, afin qu’estant connuës de tout le monde, elles fassent admirer les voyes incomprehensibles dont Dieu s’est servy pour operer le Salut d’un Ame choisie. Voicy sa Lettre.

Il est vray, Madame, que nous avons icy une Chinoise, & que malgré six mille lieuës qui separent son Pays du nostre, la Providence dont les secrets sont impenetrables, l’a choisie pour la conduire au Port de Salut. Je crois aussi que l’innocence de sa vie a pû contribuer à luy meriter cette grace, car si l’on doit juger de l’interieur par l’exterieur, elle est bonne & douce, & elle a toute la raison qu’il faut avoir pour corriger ce grand feu, & cette vivacité qui est naturelle aux Asiatiques. Elle devoit estre une fort belle Personne en son Pays, puis qu’elle n’est ny laide ny des-agréable icy, & que les Chinois pour la pluspart ont les yeux tres-petits, la peau fort brune, le nez plat, & les levres grosses. Il est aisé de juger en voyant celle-cy qu’elle n’est pas Européenne. Son visage est étranger. Elle a les cheveux d’un noir qui n’est point lustré, assez-longs, fins & frizez, les yeux enfoncez, mais brillans, le teint brun, uny & coloré, les levres grosses sans estre choquantes, les dents belles, & la physionomie modeste. Elle a presentement vingt quatre ans. Elle est civile, & par ses manieres on peut juger qu’elle a esté bien élevée, & qu’on luy a donné de la politesse. Elle comprend si facilement que ne sçachant pas un mot de François quand on l’amena aux Hospitalieres de Saint Marceau, en un mois de temps elle entendoit presque tout ce qu’on vouloit luy dire, & elle le parloit un peu, mais il semble, quand elle parle, qu’elle chante tout bas. Sa voix est fort douce. Elle est adroite à tous les beaux Ouvrages de son Pays. Ina, c’est le nom qu’elle portoit estant Fille, est née à Pequin, Capitale du Royaume de Lachem, & l’une des plus grandes Villes du monde. Son Pere estoit un homme de distinction, Tresorier des Armées du Roy. Il logeoit dans le Palais avec sa Famille. Il la maria à onze ans avec Inder qui n’en avoit que douze, car l’on est si avancé en ce Pays-là, qu’on se marie à sept ou huit ans, & l’on a des enfans à douze, de sorte qu’à trente-cinq ans on commence à estre vieux. Inder estoit de Nanquin, fort riche, & d’une Maison considerable. Il demeura avec sa Femme chez son Beaupere, lequel estant venu à mourir, le Roy luy donna la Charge qu’il avoit possedée, & cette nouvelle Dignité luy apportant de grands biens & de la faveur, il devint un des Premiers de la Cour du Roy de la Chine. Ina estoit la Favorite de sa Mere qui la préferoit toujours à ses autres Enfans, & qui prenoit un soin extrême de luy inspirer une grande devotion pour leurs Pagodes, jusque-là qu’elle se donnoit la discipline devant elle. & se mettoit toute en sang pour luy faire comprendre la ferveur avec laquelle il falloit servir leurs Dieux. Quel dommage, helas ! que ces malheureuses ames perissent dans les tenebres de l’ignorance ! Nostre Chinoise avoit tout sujet d’estre contente de sa fortune. Elle avoit un Fils âgé seulement de sept ans, il falloit luy acheter une Femme. C’est une de leurs Coutumes. Au lieu qu’icy nous donnons dot à nos Filles en les mariant, en ce Pays-là on donne de l’argent au Pere & à la Mere pour les obtenir, & quand on en a plusieurs, c’est la richesse de la Famille. Inder & Ina jetterent les yeux sur une petite Fille de six ans, qui estoit à Nanquin ; car je dois encore vous dire que les personnes de qualité ne se marient pas dans la Ville où elles demeurent. Ils trouverent que l’alliance qu’ils alloient prendre leur convenoit. Inder en parla au Roy, qui luy accorda un de ses Vaisseaux pour faire le voyage. Tout y estoit magnifique. Les meubles d’argent ciselé & de vermeil, les étofes de damas d’or Plusieurs Officiers du Palais voulurent accompagner Inder & Ina. Ils menerent leur Fils avec eux, suivis d’un grand train, & portant beaucoup d’argent. Ordinairement l’on alloit de Pequin à Nanquin par un Canal que le Roy de la Chine avoit fait faire avant l’invasion des Tartares. Il estoit à la verité plus long que le chemin de la mer, mais beaucoup moins perilleux, & l’un des plus beaux qu’on ait jamais vûs. On ne connoissoit presque plus d’autre route, lors qu’il s’y est formé une maniere d’abisme, où l’eau rapide & tournoyante entraîne les Barques qui vont dessus. La crainte de perir, comme plusieurs avoient eu le malheur de faire, les obligea de tenir la mer, & leur prévoyance les jetta dans un long enchaînement d’infortunes, dont Dieu s’est servi pour conduire nostre Chinoise à la connoissance de la vraye Religion.

Il y a prés de trois ans qu’estant partie de Pequin avec son Mary, son Fils, quelques-uns de leurs Amis, & une grande suite de Domestiques, ils allerent s’embarquer sur le Vaisseau que le Roy leur avoit donné pour faire le voyage de Nanquin. Aprés quelques jours d’une navigation favorable, ils se trouverent surpris de la plus affreuse tempeste qu’on puisse jamais se representer. Elle dura plus de huit jours, & leur avoit osté toute sorte d’esperance, lors qu’ils furent jettez proche d’une terre qui leur estoit inconnuë. Comme ils n’avoient plus de provisions, parce qu’ils en avoient déja consumé une partie, & que l’autre avoit esté gastée de l’eau qui estoit entrée dans le Navire, ils jetterent promptement les ancres, aprés quoy ils descendirent, & en acheterent dans cette Isle, où ils apprirent que les vents & l’orage les avoient considerablement éloignez de leur route. Ils ne penserent plus qu’à la reprendre, & il y avoit déja quelques jours qu’ils navigeoient heureusement, quand ils furent découverts & abordez par un Vaisseau Hollandois bien armé, qui vint à toutes voiles sur eux. Inder comprenant que le malheur d’estre pris estoit le plus grand qui leur pust arriver, ne songea qu’à se défendre, & malgré les larmes de sa Femme & de son Fils, il encouragea ceux qui l’accompagnoient à bien combattre, & à suivre son exemple, pendant qu’Ina avec toutes ses Femmes se tenoit prosternée devant leurs Pagodes, pour obtenir un heureux succés. Le combat fut long & meurtrier. Il y eut beaucoup de monde tué de part & d’autre. La pauvre Ina, inquiete de ce qui se passoit, monta sur le Tillac dans le moment que les Hollandois s’estoient jettez dans le Vaisseau. La premiere chose qu’elle apperceut, ce fut son Mary qui se défendoit contre plusieurs hommes. Son amitié luy cachant le peril auquel elle s’alloit exposer, l’obligea de se jetter au milieu d’eux pour tâcher de défendre Inder, mais il tomba percé de coups auprés d’elle, & elle receut plusieurs blessures, dont elle a encore les cicatrices. La mort d’Inder assura la victoire aux Hollandois. Ils pillerent toutes les richesses qui estoient dans son Vaisseau, & firent passer dans le leur sa Femme & son Fils, avec les personnes qui n’avoient pas pery dans le combat. Il est aisé de juger de l’estat où se trouva Ina, devenuë prisonniere & malheureuse, n’ayant plus d’Epoux, ny aucune consolation. Cependant les Hollandois la traiterent avec beaucoup d’humanité. Ils ne luy osterent ny ses riches habits, ny ses Pierreries. Ils luy laisserent même un sac d’une grandeur considerable tout plein d’or. Ils pensoient que puis qu’elle estoit dans leur Vaisseau, ils estoient toujours les maistres de ce qu’elle possedoit, & que ses déplaisirs estoient assez grands sans y rien ajoûter. Ils se rendirent à Batavia, où ils vendirent une partie des raretez trouvées dans le Vaisseau d’Inder, & comme ils ne faisoient pas une garde exacte sur les Chinois qui estoient toujours sur leur Bord, ceux-cy resolurent de se sauver. Ina en auroit bien voulu estre, mais il falloit se jetter à la mer pour gagner la terre. Elle ne sçavoit point nager, & elle ne pouvoit se resoudre d’abandonner son Fils. Tout ce qu’elle demanda à ceux qui la quitterent, ce fut d’aller apprendre ses malheurs à sa Famille, & de la prier de chercher quelques moyens de la retirer des mains des Hollandois. Il y eut plusieurs de ceux qui vouloient se sauver, & particulierement des Femmes, qui se noyerent pendant l’obscurité de la nuit, & les autres apparemment eurent un sort plus heureux, mais pour Ina, elle resta seulement avec son Fils, & deux Femmes de chambre. Les Hollandois ayant trouvé leurs Prisonniers échapez, resserrerent plus étroitement la Chinoise. Ils mirent à la voile, & il y avoit déja un an qu’ils estoient partis de Batavia, & qu’ils couroient la mer, tantost livrant des combats, & faisant des Prises, tantost abordant dans des Pays absolument inconnus à Ina, sans qu’elle prist aucune part à tout ce qui se passoit. Elle estoit toute abîmée dans la douleur que luy causoit la perte de son Fils unique, qui estant attaqué d’une fiévre maligne, fut jetté encore vivant dans la mer. Une de ses Femmes de chambre mourut de la mesme maladie, & l’autre qui luy restoit ne survécut guere. Les fatigues horribles qu’elles avoient souffert, tant par les tempestes de la mer, que par les chaleurs excessives, car elles passerent deux fois sous la Ligne, les avoient enfin tuées. La seule Ina résistoit à tant de maux. Les Hollandois se flatoient d’arriver bien-tost dans leur Pays, mais ils en furent empêchez par un Armateur François, qui les rencontra, les combattit, & les prit. Ina qui commençoit à s’accoutumer à ses Maistres, se trouva exposée au caprice de ceux-cy, qui la traiterent avec beaucoup moins de commiseration que les autres, soit que les premiers l’eussent vûë dans toute sa grandeur, & en eussent conservé une idée, qui leur inspiroit du respect, ou qu’ils fussent moins cruels que les derniers. Ils acheverent de la piller, & luy laisserent l’habit qu’elle avoit sur elle, mais ils luy arracherent toutes ses Pierreries, & luy osterent son argent. Elle estoit dans un petit coin du Vaisseau sans pouvoir se faire entendre, ny entendre personne, toute abandonnée à sa douleur.

Les Armateurs continuerent leur voyage, passerent dans les Pays froids, où elle souffrit extraordinairement, le climat du sien estant tout opposé à celuy-là. Ils mirent encore un an à leurs courses, au bout duquel ils entrerent dans un Port de France, dont je n’ay pû apprendre le nom, car Ina ne parlant ny n’entendant le François, elle ignore comment s’appelle cette Ville. Les Armateurs pendant quelques jours la donnerent en spectacle au Peuple. Tout le monde l’alloit voir, & ils la faisoient promener dans les ruës avec ses habits étrangers, qui attiroient aprés elle une grande foule, dont elle estoit au desespoir ; car vous sçavez, Madame, que les Femmes en la Chine sont toujours enfermées chez elles, sans se laisser voir qu’à leurs Maris & à leurs plus proches Parents, & les Personnes de qualité, comme celle-cy, sont encore plus regulieres là-dessus que les autres ; mais ses larmes ne toucherent point ses conducteurs, & vous allez juger de leur dureté par ce qu’il me reste à vous en dire. Ils luy osterent ses habits à la Chinoise, & ce qu’elle avoit de linge. Ils la revestirent d’un juste au-corps & d’une jupe courte de bure noire, & deux d’entre-eux ayant payé trois places dans le Coche, ils partirent à la fin du mois de Novembre de l’année derniere, du Port de mer où ils estoient, & amenerent Ina à Paris. Le Coche estant arrivé, ils prirent un Fiacre, & sur les huit heures du soir ils monterent dedans avec la Chinoise, & la firent descendre dans la ruë Saint Denis, où ils la laisserent seule.

Comprenez, s’il vous plaist, dans quel desespoir une Femme qui est née avec du bien, qui a esté toujours heureuse, & qui a de la naissance, se trouve reduite au milieu de la ruë, pendant la nuit, au cœur de l’hyver, dans une des plus grandes Villes du monde, sans argent, sans connoissance, sans pouvoir dire un seul mot de la Langue du Pays, à six mille lieuës du sien, & sans pouvoir demander du secours au vray Dieu, qu’elle n’avoit pas encore le bonheur de connoistre. Cet estat me paroist si violent, que je ne puis pas m’imaginer que l’on y refuse quelques serieuses reflexions. Cette pauvre Creature estoit appuyée contre une borne, ne sçachant où aller, & versant un ruisseau de larmes. Ses sanglots attirerent auprés d’elle une Femme qui demandoit l’aumône, & qui voulut luy parler, mais elle connut bien aux signes que luy faisoit la Chinoise, qu’elle ne l’entendoit pas. Elle la prit par la main, & la mena aux Filles de Sainte Catherine. C’est un Convent qui est dans la ruë Saint Denis, & où les Religieuses exercent l’hospitalité sur tous les passans qui veulent y sejourner trois jours. Elles virent bien au visage, à l’air, & à la Langue dont Ina se servoit pour leur exprimer ses déplaisirs, qu’elle estoit étrangere. Elles voulurent la faire manger, mais elle refusa tout ce qu’elles luy presenterent, ayant resolu de se laisser mourir de faim, & de donner par ce moyen un terme à des disgraces que peu de Femmes, & peut-estre aucunes n’ont éprouvées de cette nature. Les Religieuses de Sainte Catherine ne pouvant garder que trois jours les Passans qu’elles reçoivent, songerent à procurer quelque protection à la Chinoise ; & un homme de leurs Amis ayant averty une Dame, dont le merite n’est pas moins distingué que sa naissance, qu’il se presentoit une occasion favorable d’exercer sa charité, il n’en fallut pas davantage pour l’attirer chez elles. Aussi-tost elles luy raconterent le peu qu’elles sçavoient de la fortune d’Ina, & cette Dame sans hesiter l’emmena dans sa maison, où elle receut d’elle, & de toute sa Famille, des secours infinis pour son ame, & pour son corps. On s’apperceut qu’elle entendoit tant soit peu le Hollandois, & l’on se servit de cette Langue pour luy donner les premieres impressions du Christianisme. Dieu luy a fait la grace de les recevoir, & de comprendre tout ce qu’on luy a dit avec un discernement admirable. C’est une prédilection bien particuliere, qu’estant née avec des principes si éloignez de la vraye Religion, Dieu ait préparé tout d’un coup son ame pour recevoir la semence de l’Evangile. Le repos dont elle joüissoit chez la charitable personne qui la retenoit chez elle, luy estoit devenu si étranger depuis deux ans, qu’elle en tomba malade. Il luy prit de grands vomissemens de sang avec une grosse fiévre. Elle tenoit toujours un Crucifix dans ses mains qu’elle baisoit respectueusement, & qu’elle prioit sans cesse. Comme on la vit en peril, on l’ondoya. Pendant qu’elle a esté chez cette Dame, & même depuis qu’elle est dans les Hospitalieres de Saint Marceau, on l’a fait parler à plusieurs personnes qui sçavent les Langues Orientales, sans qu’aucun ait pû entendre la sienne. Vous remarquerez, Madame, que ce n’est pas une chose extraordinaire, parce qu’Ina est née dans le Palais du Roy de la Chine, où l’on parle une Langue qui n’est en usage qu’à la Cour. J’ajoûte à cela ce que dit Thomas Herber, Anglois, dans son Voyage des Indes, dont voicy les propres termes. La Chine est la partie de toute l’Asie la plus Orientale. C’est un grand & tres-puissant Royaume fort celebre, mais jusques icy fort peu connu, & cela, parce que les Chinois ont peu de civilité pour les Estrangers, ausquels ils permettent, quoy qu’avec peine, d’y entrer, mais ils ne souffrent point qu’ils en sortent, & la seule Ville de Pequin a de tour trente lieuës d’Allemagne. Le Pere Kirker dans sa Chine illustrée, dit à peu prés la mesme chose, & puisque les Estrangers n’ont pas la liberté de revenir, comment peut-on sçavoir à fond le Chinois, & particulierement celuy dont on se sert dans le Palais, dont l’entrée est plus difficile que celle des Villes.

La Dame qui avoit retiré Ina chez elle, estant venuë voir la R. Mere Prieure de cette Maison, luy demanda un lit dans l’Hospital pour la Chinoise qui continuoit d’être malade. Elle y fut receuë par nos charitables Hospitalieres avec cet esprit de bonté & de douceur que l’on ne trouve que dans les veritables épouses du Sauveur. On n’a pas eu moins de soin de son ame que de sa santé. Elle a receu tous les jours de precieuses leçons pour son salut, d’un tres-vertueux Ecclesiastique, qui n’a rien negligé pour la mettre en estat de sentir & de reconnoistre les graces que Dieu luy a faites, & elle y correspond avec tant de foy, qu’elle dit sans cesse qu’elle ne se connoît plus elle-même ; qu’elle joüit d’un repos qu’elle n’avoit jamais gousté, & qu’elle préfereroit la Religion Chrestienne à toutes les Couronnes de l’Asie si elles luy estoient offertes. Quand elle entend une Messe de Requiem, elle fond en larmes, & lors qu’on luy en a demandé la raison, je pleure, dit elle, les malheurs de tous mes Parents qui ne peuvent profiter des prieres que l’on fait pour les Fidelles, & je m’afflige de l’estat où ils sont à present. Sa douceur, sa modestie, son humilité & sa bonne conduite sont si grandes qu’on l’a fait entrer dans le Convent. En verité, elle nous édifie toutes, & si elle reçoit des exemples de vertu & de pieté, je puis vous asseurer qu’elle a toutes les dispositions necessaires pour les suivre. Elle est à present entre les bras de la Providence, c’est elle qui l’a conduite parmy nous ; c’est-elle qui en prendra soin, & qui inspirera aux bonnes ames ce qu’il est necessaire de faire pour cette pauvre Estrangere. Elle est bien heureuse, Madame, que ses avantures vous ayent donné quelque curiosité, & je le suis beaucoup, que vous m’ayez choisie pour vous en rendre compte.

[Reception faire à Monsieur au Mont S. Michel] §

Mercure galant, août 1693 [tome 9], p. 231-233.

 

Le Lundy 20. du mois passé, S.A.R. Monsieur arriva au Mont Saint Michel, sur les dix à onze heures du matin, accompagné de ses Gardes du Corps, & de plus de trois cens autres personnes à cheval. Il fut reçu au bruit du Canon de la Place, qui fit un grand feu. Les quatre Paroisses qui sont sujettes à la garder, avoient reçu ordre du Pere Prieur de l’Abbaye, de ne manquer pas à s’y trouver, ce qu’elles firent. Tous les Religieux revestus de Chapes descendirent jusque sur la Gréve hors la premiere Porte de la Ville, avec un Dais porté par quatre Curez des dépendances. Le Pere Prieur en qualitez de Commandant, presenta à ce Prince les Clefs de la Ville dans un Bassin de vermeil doré ; & aprés qu’il luy eut répondu fort obligeamment, qu’elles ne pouvoit estre en meilleure main, les Chantres entonnerent le Te Deum, & on monta processionnellement à l’Eglise, où l’on commença la Messe, apres laquelle Monsieur visita toutes les raretez de la Maison, puis s’estant reposé un peu de temps dans la Sale des Chevaliers, il s’en retourna disner à Pontorson, fort satisfait du Pere Prieur & de ses Religieux.

[Reception faite à Nantes au General des Capucins, Grand d’Espagne] §

Mercure galant, août 1693 [tome 9], p. 235-238.

 

On a fait à Nantes une reception magnifique au R.P. Bernardin d’Arrezzo, General de l’ordre des Capucins. Il est Grand d’Espagne, & Allié de la Maison de Medicis. Il arriva le premier jour de ce mois dans la Galiote Royale, qui avoit esté le prendre à trois lieuës de la Ville, où il fut receu au bruit de l’Artillerie qu’on avoit dressée sur le Quay de la Fosse, par le Pere Clement Ploesnel, Provincial de Bretagne, à la teste de tout son Définitoire, & de cent cinquante Religieux, qui pour marque de réjoüissance entonnerent le Te Deum, parmy une multitude presque infinie de Peuples, qui ne se lassoient point d’admirer la venerable & respectable vieillesse de ce saint homme. Le lendemain, jour de la Feste de la Portioncule, il assista avec beaucoup de devotion à tous les Offices de l’Eglise, & mesme au Sermon, qui fut fait sur le sujet du mistere, par le Pere Moteau, Vicaire des Peres Minimes de Nantes, qui ne receut pas moins de loüanges pour cette action, qu’il en a receu dans quantité d’autres lieux où il a fait éclater son Eloquence. On estima fort le Compliment qu'il fit au Pere General qui pour marque du plaisir qu'il avoit pris à l'entendre, le combla aprés son Sermon, d'Indulgences, de Presents, & de Benedictions. Le Pere Bernardin d'Arrezzo a esté visité de Mr de Vigny, Lieutenant de Roy dans le Chasteau de Nantes, & generalement de tous les Corps de la Ville, tant reguliers que seculiers, ausquels il a rendu leurs visites luy mesmes en personne. Vous sçavez, Madame, qu'on a par tout de tres-grands égards pour tous les Generaux d'Ordre, & que les Souverains leur font l'honneur de les recevoir comme les Ambassadeurs extraordinaires.

Air nouveau §

Mercure galant, août 1693 [tome 9], p. 322-323.

La Chanson nouvelle que je vous envoye, sera sans doute de vostre goust, puis que les paroles sont de Mademoiselle des Houlieres, & que Mr le Camus les a mises en air. Ainsi tout en est de bonne main.

AIR NOUVEAU.

Avis pour placer les Figures : l’Air doit regarder la page 323.
Que serviroit, helas ! au Printemps de paroistre ?
L'Amour n'y trouve plus ces charmans loisirs,
Dont il estoit toujours le maistre.
Son empire est détruit ; à peine fait-il naistre
Dans les plus jeunes cœurs les plus foibles desirs.
Non, le Printemps ne peut plus estre
La saison des plaisirs.
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