1693

Mercure galant, octobre 1693 [tome 12].

2017
Source : Mercure galant, octobre 1693 [tome 12].
Ont participé à cette édition électronique : Nathalie Berton-Blivet (Responsable éditorial), Anne Piéjus (Responsable éditorial), Frédéric Glorieux (Informatique éditoriale) et Vincent Jolivet (Informatique éditoriale).

Mercure galant, octobre 1693 [tome 12]. §

[La modestie de Louis le Grand] §

Mercure galant, octobre 1693 [tome 12], p. 7-18.

 

Ç’a esté un grand sujet d’admiration pour toute l’Europe il y a quelques années, de voir le Roy borner ses conquestes par le seul plaisir de luy donner le repos dont il connoissoit qu’elle avoit besoin, lors qu’il estoit en pouvoir d’assujettir tout ce qu’il auroit voulu attaquer. Cette moderation est un genre de vertu dont jusqu’à son regne on ne trouve point d’exemples ; mais c’est encore un sujet beaucoup plus grand de surprise, lors que tous ses Ennemis sont liguez contre luy seul, dans la pensée qu’ils affoibliront sa gloire, de voir ce Monarque confondre tous leurs projets, & faire tout de nouveau les plus difficiles & les plus grandes conquestes, sans en vouloir recevoir d’autres loüanges que celles qu’il ne sçauroit se refuser à luy-mesme, & qu’il est contraint de se donner en secret, puis qu’il ne peut se cacher, que jamais Heros n’a triomphé tant de fois, ny d’une maniere si avantageuse. Lisez l’Ouvrage qui suit, & vous connoistrez si j’ay raison de parler de cette sorte.

LA MODESTIE
DE
LOUIS LE GRAND.

Sur les Rocs de Namur, la Discorde orgueilleuse
S’applaudissoit de voir la Terre malheureuse,
Quand son œil tout à coup autour de ses ramparts,
Voit floter des François les heureux Etendarts.
C’est, dit-elle, LOUIS ; la noble impatience
Qui brille en ses Soldats m’annonce sa presence.
Faut-il, quand tant de Rois me prodiguent l’encens,
Voir icy mon pouvoir s’affoiblir tous les ans ?
C’est trop peu que de Mons la conqueste facile
En dix jours m’ait ôté mon plus fidelle azile ;
Dans mes rocs, dans Namur, on voudroit me forcer.
La Flandre est mon Pays, prétend-on m’en chasser ?
N’espere pas, Loüis, une facile gloire,
Le peril est certain, mais non pas la Victoire.
Sur les rocs où tu veux moissonner des lauriers,
Jamais n’en ont cueilly les plus braves Guerriers.
Nassau l’aime, elle part pour exciter son zele ;
Nassau de ses Autels l’appuy le plus fidelle,
Qui dés ses premiers ans par d’illustres forfaits
A toujours signalé sa haine pour la Paix.
Allons, dit-elle, allons, Loüis veut nous surprendre.
Il attaque Namur, cours, il faut le défendre :
Viens, troublant ses desseins, signaler ta valeur,
Et n’en sois pas toujours timide spectateur.
Songe que Namur pris, nostre perte est certaine.
Si je tombe, il faudra que ma cheute t’entraîne,
Nos perils sont communs ; sans moy, sans mon secours,
Pour te chasser du Trône, il ne faut que deux jours.
Elle dit, & luy soufle une jalouse rage.
Le dépit chez Nassau fait l’effet du courage ;
Il part, mais à l’aspect de son fier Ennemy,
Il sent bien-tost trembler son cœur mal affermy.
La peur glace le feu de sa rare vaillance,
Et borne ses exploits à sa propre défense.
Mais Loüis cependant acheve ses travaux.
Sous ses yeux ses Soldats sont autant de Heros.
En vain peines, dangers à l’envy semblent naistre,
À l’aspect du peril on voit leur ardeur croistre,
On les voit sans terreur affronter le trépas.
Craindroit-on sous Louis, s’il ne s’exposoit pas ?
Sa vertu force enfin la Victoire à le suivre,
Nassau fuit, de sa peur sa honte le delivre.
D’autres soins pour Louis ont de pressans appas.
Namur pris, il revient au sein de ses Etats ;
Ses Sujets à l’envy celebrent sa conqueste,
Et son heureux retour en redouble la Feste.
Ceux qu’un rang élevé, le sçavoir, ou l’employ,
Approchent de plus prés de cet Auguste Roy,
Veulent par des Discours dignes de sa Victoire,
Etaler à ses yeux tout le prix de sa gloire,
Les plus fameux Heros sous son nom abbatus,
Sans avoir leurs defauts, n’a-t-il pas leurs vertus ?
Gardez pour d’autres temps ces beaux fruits de vos veilles.
Louis à vos tributs refuse ses oreilles,
Par un si bel encens son cœur n’est pas tenté,
Louis est satisfait de l’avoir merité.
Déja, quand sa valeur força Mons à se rendre,
En vain à cet honneur vous osastes prétendre,
Sa moderation refusa vos discours ;
Ainsi que ses lauriers, elle augmente toujours.
Quitte, quitte, grand Roy, ce dessein trop funeste ;
Pour un si grand Vainqueur, c’est estre trop modeste,
Et ta gloire jamais n’exigea ce refus ;
Elle a pour se parer assez d’autres vertus.
Ouy, si le Ciel pour nous moins remply de tendresse
T’eust produit autrefois à Rome, ou dans la Grece,
Tes yeux, tes propres yeux eussent veu les Mortels
À tes moindres vertus ériger des Autels.
Ne refuse donc plus un encens legitime,
Tu peux le recevoir, nous, le rendre sans crime.
Le Ciel qui conduisit, & ton bras & tes coups,
Puis qu’on le louë en toy, n’en peut estre jaloux.
Ces discours devant toy prononcez à ta gloire
Doivent chez nos Neveux appuyer ton Histoire.
Daigne les écouter ; ne sera-t-il permis
De te louër present qu’à tes seuls Ennemis ?
Le recit de tes faits, plus il est veritable,
Plus ce recit, grand Roy, paroist estre une Fable.
Il faut que ton aveu, prompt à le soutenir,
Dépose en sa faveur aux siecles à venir.
Alors, si des jaloux l’accusent de mensonge,
S’ils traitent tes exploits de Romans & de Songe,
Louis, leur dira-t-on, dont la sincerité
Ne souffrit jamais rien contre la verité,
Ne put, oyant louër ses exploits admirables,
Dire qu’on inventoit des faits si peu croyables.
Ce grand Prince entendoit seulement raconter
Ce que ses Ennemis ne pouvoient contester.

[Devise] §

Mercure galant, octobre 1693 [tome 12], p. 18-20.

 

Avoüez, Madame, que les surprenans & continuels triomphes du Roy l’élevent si fort au dessus des autres Princes, qu’on peut dire avec justice qu’il merite seul l’Empire de l’Univers. C’est dans cette pensée qu’on a fait une Devise, qui fait voir en quelque sorte l’estat glorieux où ce Monarque se trouve aujourd’huy. C’est un Soleil dans son midy, brillant de lumiere, & éclairant seul toute la terre. Ces mots luy servent d’ame, Contenta sit uno, & on les a expliquez par ces quatre Vers.

Louis par ses exploits de guerre
Devient toujours plus glorieux,
Et fait voir qu’il ne faut sur terre
Qu’un Roy, comme un Soleil aux Cieux.

Cependant le Roy, dont la moderation n’eut jamais d’égale, est bien éloigné de ces sentimens, puis que dans le temps qu’on le juge digne de commander à toute la terre, il ne veut pas ce qu’il peut, afin de donner encore une fois la Paix à l’Europe.

Air nouveau §

Mercure galant, octobre 1693 [tome 12], p. 20-21.

Ce n'est pas seulement aux Devises que la grandeur du Roy donne lieu, sa bonté fournit une ample matiere aux Muses, & ces Vers de Mr Isambert, mis en Musique par Mr de Gilliers, en sont une preuve.

AIR NOUVEAU.La Chanson doit regarder la page 21.

LOUIS, le plus grand Roy du monde,
Tout triomphant qu'il est sur la terre & sur l'onde,
Aux Ennemis vaincus veut accorder la Paix.
Alliez, vostre Ligue, Alliez, vos projets
Contre un Roy si puissant n'ont que de l'impuissance.
Aimez vostre Vainqueur, acceptez sa clemence ;
Gardez-vous contre luy de vous liguer jamais.
Louis, le plus grand Roy du monde,
Tout triomphant qu'il est sur la terre & sur l'onde,
Aux Ennemis vaincus veut accorder la Paix.
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[Fragmens de Pétrone recouvrez par Mr Baudot] §

Mercure galant, octobre 1693 [tome 12], p. 24-25.

 

Les Sçavans de vostre Province auront sans doute appris avec joye, que ce qui manquoit au fameux Petrone, a esté enfin recouvré pendant ces dernieres Guerres de Hongrie par les soins de Mr Naudot, & qu’il a esté imprimé entier depuis quelques mois. Ceux qui iront au Palais acheter ce Livre, apprendront par une Lettre à Mr Charpentier, Doyen de l’Academie Françoise, qu’ils y liront au commencement, de quelle maniere on a trouvé les fragments qui remplissent les endroits qui estoient defectueux dans cet ouvrage. On peut dire que c’est un Tresor qui vient d’enrichir les belles Lettres, & qu’il n’y a point de Curieux, qui ne doive y prendre part.

[Ceremonies faites à Montargis] §

Mercure galant, octobre 1693 [tome 12], p. 25-38.

 

Après la fameuse Bataille de Cassel, son Altesse Royale, Monsieur, fit bastir une Eglise au College des Barnabites de Montargis, Ville de son appanage, en action de graces de la Victoire qu’il avoit remportée. La premiere Pierre y avoit esté mise au nom de ce Prince, & l’Edifice estant achevé, on en fit la Benediction le 24. du mois d’Aoust dernier, & le lendemain, Feste de St Loüis, sous l’Invocation duquel cette Eglise est consacrée à Dieu, l’ouverture en fut faite avec beaucoup de magnificence. La Ceremonie commença par une Prossession du S. Sacrement, depuis l’ancienne Eglise du College jusqu’à la nouvelle, où l’on celebra ensuite solemnellement la premiere Messe en Musique. Les Vespres furent aussi chantées par la Musique, & le Clergé, le Presidial, la Prevosté, & l’Election y assiterent en Corps. Les Habitans se mirent sous les Armes, & le Maire, les Echevins, & les Capitaines des Quartiers qui s’y rendirent aussi avec leurs Compagnies, y tinrent leur rang de l’un & de l’autre costé du Dais, sous lequel on avoit mis le Portrait de son Altesse Royale. Aprés Vespres le Pere Dom Eustache Bonnet, Barnabite, fit le Panegyrique de Saint Loüis, [...]

Ce Discours estant achevé, on chanta le Te Deum ; il se fit plusieurs salves de Mousqueterie, & les Feux de joye qu’on alluma dans la Ville terminerent toute cette Feste.

[Autre Ceremonie faite à Paris] §

Mercure galant, octobre 1693 [tome 12], p. 38-43.

 

Le 7. du mois passé Mr Bignon, Premier President au grand Conseil, aussi connu par son équité & sa pieté, que pour sa capacité, & la connoissance universelle qu’il a des belles Lettres, fut éleu tout d’une voix Doyen de la grande Confrairie de Nostre Dame aux Seigneurs, Pretres & Bourgeois de Paris, en la place de feu Mr de Novion, cy-devant Premier President au Parlement de Paris. La Messe du St Esprit fut celebrée pontificalement par Mr l’Evesque de Bethléem à laquelle assisterent les Chanoines de l’Eglise de Paris, avec les Curez de cette Ville, & plusieurs Magistrats & Confreres Laïques. Je croy, Madame, que cette Confrairie vous est inconnuë ainsi qu'à beaucoup de monde. Cependant c'est une des plus anciennes & des plus justes Assemblés Chrestiennes de ce Royaume, puisque si tost qu'on y eut planté la Foy, de pieux Ecclesiastiques & quelques Bourgeois de Paris, firent entre-eux une espece de Congregation de soixante & douze personnes, qui à l'imitation des septante & deux Disciples, faisoient profession d'estre plus particulierement attachez au Divin Auteur de nostre justification. Le bruit des excellentes vertus de ce petit Troupeau s'estant bientost repandu, plusieurs personnes considerables eurent de l'empressement pour estre receus dans cette Societé, & les Rois mesmes furent bien aises d'en estre les membres. Philippe Auguste, Saint Loüis, Philippe le Bel, & Charles V. y ont laissé des marques de leur liberalité, & le Roy mesme, qui n'est attaqué des Ennemis communs de la Religion & de la France, que parce qu'il est Grand & tres Chrestien, est le plus bel ornement de cette pieuse Congregation.Elle est composée d'Ecclesiastiques & de Laïques, & elle a deux dignitez principales, dont celle d'Abbé est la premiere. La Dignité de Doyen qui est la seconde, vient d'estre remplie par Mr Bignon, qui aprés qu'il eut esté éleu par le Scrutin, presta le Serment entre les mains de Mr l'Evesque de Bethléem. Ce Prélat estoit assis dans un Fauteüil adossé contre l'Autel, & revestu de ses habits Pontificaux. Aprés le Serment presté, on chanta le Te Deum, qui fut suivi des Prieres pour le Roy & pour la Paix. Ensuite on conduisit Mr Bignon au Bureau, où il fut installé en sa place de Doyen.

Allegorie §

Mercure galant, octobre 1693 [tome 12], p. 49-54.

 

Le Roy a accordé depuis peu de temps des Lettres Patentes à une Abbesse d’un fort grand merite, & d’une naissance distinguée, pour quitter un lieu champestre, où son Convent estoit situé, & se venir établir dans la Capitale d’une Province. C’est là-dessus qu’on a fait l’Ouvrage que vous allez lire.

ALLEGORIE.

Des Abeilles, Filles du Ciel,
 Depuis longtemps faisoient leur miel
Dans un lieu desert & sauvage.
Une Reine discrete & sage,
Sans orgueil, sans faste & sans fiel,
Presidoit seule à tout l’Ouvrage.
Chacune respectoit la loy
D’une si douce Souveraine.
Un autre l’appelleroit Roy ;
Il est mieux de l’appeller Reine.
À des Vierges, Filles des Cieux,
Une Reine sied beaucoup mieux.
Sous cette Reine nompareille
On voyoit mainte & mainte Abeilles
Accourir de tout l’Univers,
Et dans un si charmant Empire
Goûter des plaisirs que mes Vers
Ne sçauroient dignement décrire.
Pour comble de felicité,
Auprés d’elle une jeune Abeille,
Pleine de grace & de beauté,
Enfin, une jeune Merveille
Croissoit ainsi qu’un rejetton,
Ou d’une rose le bouton.
L’or dont la Souveraine brille,
Brilloit déja sur cette Fille,
Et chacune la destinoit
Au rang que la Tante tenoit.
Un jour de la saison nouvelle,
Jour, où sur les fleurs d’alentour
Voloit la Troupe tour a tour,
Du Ciel une Abeille immortelle
S’éleve d’un rapide cours,
Ainsi qu’un éclair dans la nuë,
Et prés de la Reine venuë,
Luy tient à peu prés ce discours.
Dieu vous gard, aimable Princesse,
J’ay pensé dire, aimable Abbesse,
Digne de regner en des lieux
Plus fleuris, plus delicieux,
Digne enfin de regner aux Cieux,
Ecoutez ce que vous commande
Le Souverain de vostre bande,
Et Souverain de l’Univers.
Nimphe, abandonnez ces deserts,
Allez chercher dans une Ville
Un sejour qui soit plus tranquille,
Qui soit plus commode & plus doux,
Digne des vostres & de vous.
C’est là que les destins propices
Vous préparent tant de delices,
Que vos vœux seront surpassez,
C’est assez dit, obeissez.
Aussi-tost d’une aile legere
Cette charmante Messagere,
Traçant un sillon radieux,
S’envole par dessus les Cieux.
Surprise de tant de merveilles,
La Reine avecque ses Abeilles ;
Nous obeissons à tes loix,
Ciel, dit elle, & suivons ta voix.
Adorons cet heureux présage,
Mes Sœurs, mettons-nous en voyage,
Allons chercher ce beau sejour,
Que le Ciel nous offre en ce jour.
A ces mots la Troupe s’assemble,
Tout l’Essain part & vole ensemble.
L’air brille d’un éclat nouveau,
Et ravy d’un objet si beau,
De nouveaux rayons de lumiere
Le Soleil pare sa carriere.
Zephir les regarde voler,
Et tout charmé n’ose soufler.
Chaque Abeille à l’envy s’empresse
D’approcher de prés sa Maistresse.
Si-tost que le sejour paroît,
Que le destin luy préparoit,
Non loin des rives de Garonne,
La Princesse dispose, ordonne.
Toute la Troupe arreste là,
Chante de joye, Alleluia.
Chacune en l’ardeur qui la brûle
Travaille à faire sa cellule,
À remplir sa ruche de fleurs,
À l’embaumer de mille odeurs.
Les Abeilles du voisinage
Cependant leur rendent hommage,
Sortent de leur ruche à dessein
D’admirer ce nouvel Essain,
Le trouvent charmant à merveilles,
Et le plus beau que les Abeilles
Aient formé dans ce beau sejour,
Et dans tous les lieux d’alentour,
Parlent du doux air qu’on respire
Dans ce doux & charmant Empire,
De sa douceur, de son plaisir,
Que mes Vers diront à loisir.

Eglogue §

Mercure galant, octobre 1693 [tome 12], p. 55-67.

 

Je vous envoye une Eglogue de Bergers, faite pour estre mise en Musique. Elle est de Mr de Guitrandi d’Avignon, dont vous avez déjà vû d’autres Ouvrages. Le commencement est tiré du premier Choeur de l'Hercules Furens de Seneque, ce qui suit de l’Ode d’Horace, Beatus ille, & la fin est toute à luy, ainsi que l’invention de la Piece.

 

EGLOGUE.

TIRCIS, DAMON,
DAPHNIS.

Troupe de Bergers.

DAMON.

La nuit cache ses feux errans,
Et ses lampes déja commencent à s’éteindre ;
Fuyez viste, fuyez, Astres petits & grands,
L’Aurore sur son char semble enfin vous contraindre
À luy laisser remplir vos rangs.

DAPHNIS.

Je la vois qui fournit sa pompeuse carriere,
Mais un feu plus puissant efface sa lumiere.

DAMON.

Levons-nous, Bergers, levons-nous
Hastons-nous de joüir d’un Soleil aussi doux

DAPHNIS

Ah, quelle sera la journée
D’une aussi belle matinée !

TIRSIS

Voyez-vous le Char du Soleil ?
Ses Chevaux vont courant les celestes campagnes
Et déjà son éclat vermeil
Dore le sommet des montagnes

DAMON, DAPHNIS.

La Nature s’éveille, & nos Monts, & nos Bois
Semblent se réjoüir du jour qui les éclaire,
Et la Lune aux derniers abois
Cede l’horison à son Frere.

Tous les Bergers.

La Nature s’éveille &c.

TIRSIS.

Le dur travail se leve, & les soins rebutans
Exercent en tous lieux leur tirannique empire.
Peu parmy les Mortels sçavent vivre contens.

DAMON.

Nous le sçaurions sans l’amoureux martire.

TIRSIS.

Ah, que le destin d’un Berger
Qui peut voir sans brûler les yeux d’une Silvie,
Et qui passe toute sa vie
Content du doux repos qu’il peut se mènager,
Est un destin digne d’envie !

DAMON.

Comme les premiers des Mortels
Cultivant les champs paternels,
Il vit joyeux, il a ce qu’il souhaite.
Le Tambour effrayant, la guerriere Trompette
Ne l’éveillent jamais dans son lit en sursaut,
Il ne redoute aucun assaut,
Et tel qu’il est, il est dans son assiette.

Tous les Bergers.

Ah, qu’un Berger se rend heureux,
Quand il sçait s’affranchir du tourment amoureux !

DAPHNIS.

Il voit, sans se troubler, les campagnes salées
De l’humide Ocean par les vents agité,
Et s’éloignant des grandes assemblées
Il vit en pleine liberté.

TIRSIS.

Sans crainte il contemple du Port
Les divers orages du fort ;
Il voit comme des grands la Fortune se jouë,
Et que tel qui paroist s’élever jusqu’aux Cieux,
Tombe incontinent dans la bouë,
Au gré de tous ses envieux.

DAPHNIS.

Ainsi donc il préfere aux Palais magnifiques,
Où logent les Grands de la Cour,
Son humble & rustique sejour ;
Et s’il n’y trouve point de si belles fabriques,
Il y joüit d’un plus beau jour.

DAMON.

Il joüit des plaisirs que la saison nouvelle
Ramene toujours avec elle,
Quand les champs, les monts, les forests
Reprendront leurs nouveaux attraits.

DAPHNIS.

Il a les fleurs, les fruits, ainsi que la Nature
Les donne à ses justes souhaits.
Lors que les Grands dans leurs Palais
Les ont seulement en peinture.

TIRSIS.

Tantost nostre Berger heureux
Assis sur le coupeau d’une verte colline,
Ou bien à l’ombre au comble de ses voeux,
Voit errer son troupeau dans la plaine voisine.

DAMON.

Coupant tantost les steriles rameaux
De sa vigne feconde,
Il en replante de nouveaux,
Dont la jeunesse à son espoir réponde.

DAPHNIS.

Ou bien pressant l’heureux travail
Que l’Abeille compose,
Dans des pots purs comme l’émail
Il renferme le suc du Thin & de la Rose ;
Ou faisant tondre ses Brebis,
Il ramasse à main pleine
La Laine
Dont se font ses habits.

TIRSIS.

Mais quand la feconde Deesse,
Qui fait l’espoir du Laboureur,
Par ses riches dons s’interesse
A recompenser son labeur,
Quel plaisir, quelle allegresse,
De voir le Moissonneur
Qui s’empresse
À recueillir le grain meur,
Qui surpasse la promesse
Du Bled dans sa fleur !

DAPHNIS.

Et lors que l’Automne
A meuri les tresors
De la riche Pomone,
Quel plaisir alors,
Quand il se promene
Sur tant de costeaux,
Dont les arbrisseaux
Offrent à douzaine
Mille fruits nouveaux !

DAMON.

Mais tout cede à la joye
Où son coeur se noye,
Quand le divin jus
De Bacchus
Fait que le Vandangeur ploye
Sous les paniers pleins
De raisins.

Tous les Bergers.

Ah, que le destin d’un Berger,
Qui peut voir sans brûler les yeux d’une Silvie,
Et qui passe toute sa vie
Content du doux repos qu’il sçait se ménager,
Est un destin digne d’envie !

Deux Bergers.

Ah, qu’un Berger se rend heureux
Quand il sçait s’affranchir des tourmens amoureux !

DAMON, DAPHNIS.

Ouy, l’amour gaste tout, resistons à ses charmes,
L’amour seul par ses traits puissans,
Peut nous donner des alarmes,
Il peut luy seul troubler nos plaisirs innocens.
Oüy, luy seul fait verser des larmes
À ceux dont une fois il a ravy le sens.

TIRSIS.

C’est un cruel Tiran dans le dehors aimable
Cache tout ce qu’il a de fiel ;
Avec une bouche de miel
Il soufle un venin redoutable.
Non, non, parmy les amoureux
On ne voit point d’hommes heureux.

Tous les Bergers.

Non, non, parmy les amoureux
On ne voit point d’hommes heureux.

TIRSIS.

Helas ! si la jeune Silvie
N’eust point de Lyciscas troublé l’heureux repos,
Lyciscas aujourd’huy frais, gaillard & dispos,
Jouiroit encor de la vie.
Non, non, parmy les amoureux
On ne voit point d’hommes heureux.

DAPHNIS.

Fuyons l’amour, ce tiran de la terre,
Bannissons-le tous de nos coeurs.
Resistons fortement à ses appas trompeurs,
Et ne nous lassons point de luy faire la guerre.
Heureux qui resiste à ses traits !
Plus heureux mille fois qui ne les sent jamais !

TIRSIS.

Resistons à l’amour, détestons sa puissance,
Tout dépend de la résistance.
Tels qui déja croyoient en estre les vainqueurs,
Peut avoir seulement trop tost quitté les armes,
Ont payé ses douceurs
Par un amer torrent de larmes,
Non, non, parmy les amoureux
On ne voit pas point d’hommes heureux.

DAMON.

Au plaisir de la chasse il n’est rien qui ne cede.
Le travail à son tour
Bien souvent nous aide
À dompter l’amour,
L’amour qui peut luy seul troubler le plus beau jour.

TIRSIS.

À la Chasse, au travail il n’est rien qui ne cede,
À la Chasse, au travail employons donc ce jour,
Et sans nous amuser à parler de l’amour,
Allons tous contre luy nous servir de remede
Que nos champs & nos Bois nous offrent tour à tour.

[Histoire] §

Mercure galant, octobre 1693 [tome 12], p. 93-123.

 

Si les cœurs tendres trouvent de la douceur à aimer, il arrive rarement que cette douceur ne soit pas suivie de quelque amertume, soit par les obstacles que les Amans trouvent à leur passion, soit par l’infidelité qui est presque toûjours inévitable, si tost que le temps commence à ralentir leur premiere ardeur. Une jeune Demoiselle, considerable par les agrémens de sa personne, & par son esprit, & d’une naissance assez distinguée pour autoriser les sentimens de fierté qui luy estoient naturels, menoit une vie tranquille auprés d’une Mere, qui voyoit avec plaisir l’heureux penchant qu’elle avoit pour la Vertu. La Coqueterie estoit son aversion, & loin de chercher à s’attirer des Adorateurs par des complaisances qui ne fussent pas tout à fait dans l’ordre, la lecture & les ouvrages ausquels les Filles ont accoutumé de s’occuper, étoient ses plus ordinaires divertissemens. Quoy que sa conduite fust fort reguliere & accompagnée d’une tres grande reserve, ses manieres engageantes & honnestes n’avoient pas laissé de luy donner une Amie d’un caractere entierement opposé, à qui elle faisoit souvent des reproches de ce qu’elle mettoit tous ses soins à plaire, sans songer à autre chose qu’à des parties de plaisir, & à mandier en quelque sorte les douceurs qu’on luy disoit. Elle disoit mesme quelquefois qu’elle ne comprenoit pas comment il s’estoit formé de l’intelligence entre-elles puis que leurs humeurs avoient si peu de rapport, mais l’esprit de cette Amie estoit tellement insinuant, & l’enjoüement qu’elle avoit sur toutes choses la faisoit toûjours trouver d’une conversation si agreable, que la Mere mesme, toute serieuse qu’elle estoit, ne pouvoit se passer d’elle. Il n’étoit pas pourtant aisé de l’avoir aussi souvent qu’elles l’auroient souhaitté, a cause que cherchant à se divertir par tout, elle se laissoit entraîner par les plaisirs. Tandis qu’elle s’y donnoit entierement, la Demoiselle demeuroit en solitude, ne voyant presque personne, à l’exception d’un Cavalier, qui depuis trois ans avoit un appartement dans la maison où elle logeoit. C’estoit un homme qui se piquoit de naissance, & qui n’estant pas mal fait, présumoit beaucoup de son merite. Il debitoit assez bien les choses, & son entretien n’estoit pas desagreable. Comme la maison leur estoit commune, il ne faut pas s’estonner si le Voisinage luy facilita un fort grand accés chez la Demoiselle. Il la voyoit tres-souvent, & la Mere auroit eu mauvaise grace de refuser ses visites, qui quoy que frequentes, estoient tres-respectueuses, & ne pouvoient donner à parler, puisque c’étoit un commerce ignoré de tout le monde. Sa Fille ayant beaucoup de merite, & une figure des plus avenantes, elle se flata que le Cavalier en deviendroit amoureux. Ils avoient le temps de se connoistre l’un l’autre, & c’est ainsi que se font la plus-part des Mariages. En effet, le Cavalier s’accoustumoit peu à peu à dire à la Demoiselle qu’on ne pouvoit la voir sans l’aimer, & si la Demoiselle ne répondoit rien qui luy marquast qu’il pourroit toucher son cœur, au moins luy faisoit elle paroistre que ses visites luy faisoient plaisir. Les choses n’avoient pas encore esté plus avant, lorsque la Mere voulant se loger plus commodement changea de quartier, & choisit une maison dans un autre qui estoit fort éloigné de celuy qu’elle quittoit. Ce changement chagrina le Cavalier, qui se voyoit par là privé du plaisir de voir à toute heure la personne qu’il aimoit. Cependant comme il se sentoit touché de ses belles qualitez, il ne laissa pas de luy rendre encore de tres-frequentes visites. La Mere souffrit les premieres, avec le mesme agrément qu’elle avoit souffert toutes les autres, mais voyant qu’il continuoit ses empressemens, elle eut enfin un entretien particulier avec luy, & luy ayant dit que ses assiduitez, qui n’estoient pas remarquées lors qu’ils demeuroient dans une mesme maison, pouvoient alors donner sujet de parler au desavantage de sa Fille, elle le pria de s’expliquer sur les sentimens qu’il avoit pour elle. Le Cavalier ne balança point à luy répondre, qu’ayant connu dans sa Fille tout ce qui pouvoit luy attirer la parfaite estime du plus honneste homme, il ne s’estoit fait un plaisir de luy donner tous ses soins que dans le dessein de l’épouser, mais qu’il dépendoit d’une Mere imperieuse, qui ayant beaucoup de bien, pourroit luy en faire perdre la plus considerable partie, s’il faisoit ce Mariage sans avoir eu son consentement ; qu’il avoit déja mis en usage differens moyens pour tâcher de l’obtenir, & qu’aussi-tost qu’il auroit pû gagner son esprit, il luy feroit voir qu’il ne pouvoit estre heureux que par l’honneur de son alliance. La Mere ne l’ayant pû obliger à se déclarer plus précisément, l’asseura que quand il se verroit en estat de disposer de luy-mesme, il seroit toûjours écouté avec plaisir, mais comme elle n’aimoit pas les mauvais contes, elle le pria de ne plus venir chez elle qu’une fois en quinze jours, & cela fut dit d’une maniere si absoluë, que le Cavalier ne douta point qu’il ne fust tres-mal receu s’il en vouloit user autrement. Il se plaignit à la Belle des defenses rigoureuses de sa Mere, & la Belle luy répondit un peu fierement, quoy qu’avec beaucoup d’honnesteté, que s’il l’aimoit veritablement, il prendroit des mesures assez promptes, pour ne laisser pas durer long-temps le chagrin qu’il luy marquoit d’estre obligé de diminuer le nombre de ses visites ; que l’interest de sa gloire devoit l’emporter sur toutes choses, & valoit bien qu’il se contraignist jusqu’à ce qu’il fust en pouvoir de luy prouver qu’il n’avoit pour elle que des veuës tres-legitimes. Le Cavalier pria de nouveau, & ce qu’il vouloit ne luy fut point accordé. On ne luy permit que trois visites par mois, & il s’en écoula deux de cette sorte. La Belle qui ne s’estoit pas assez connuë jusque là, sentit qu’il luy manquoit quelque chose pour estre contente. Elle examina son cœur serieusement, & aprés plusieurs reflexions, quoy que sa fierté s’efforçast de rejetter ce qu’elles luy apprenoient, elle ne put se cacher que l’amour du Cavalier avoit fait sur elle des impressions plus fortes qu’elle n’avoit cru. Les reproches qu’elle se fit là-dessus à elle-mesme, & l’impuissance où elle se trouva de s’en détacher assez pour le pouvoir perdre, sans qu’elle en souffrist, la firent tomber dans un chagrin qui parut aux yeux de son Amie. Elle s’obstina en vain à luy vouloir faire croire qu’elle estoit toûjours dans la mesme situation d’esprit. Cette Amie qui avoit de fort bons yeux, tourna si habilement ses conjectures, qu’en gardant toûjours son enjoüement ordinaire, elle luy fit enfin avoüer que la solitude estoit trop forte pour elle depuis que sa Mere avoit éloigné le Cavalier. Elle n’eut pas si tost découvert le mal, qu’elle songea au remede. Elle fit voir à la Belle, que puisque le Cavalier avoit des intentions tres-legitimes, & que ses chagrins luy faisoient sentir les favorables dispositions qu’elle avoit pour luy, c’estoit se rendre ennemie de son bonheur, que de se priver du plaisir sensible qu’elle trouvoit à le voir ; qu’il ne falloit pas aller contre l’ordre de sa Mere, qui mal à propos s’estoit fait un point d’honneur de n’en plus souffrir de visites assiduës, mais qu’elle pouvoit venir fort souvent chez elle, où elle estoit seure que le Cavalier se trouveroit toutes les fois qu’elle voudroit bien qu’on l’avertist. La Belle parut d’abord effrayée de la proposition, mais son Amie la traitant de prude à contretemps, luy leva si bien tous ses scrupules, que s’estant laissée persuader, elle consentit aux rendez-vous. Ce fut pour le Cavalier une joye inconcevable L’air de mistere qui entroit dans toutes leurs entreveuës, estoit un doux assaisonnement, qui en augmentoit le prix. Il l’assura mille fois qu’il viendroit à bout de cette Mere fâcheuse, qui luy vouloit choisir une Femme, & comme il avoit une veritable estime pour la Demoiselle, il faisoit paroistre une veritable passion. Cependant les choses demeuroient toujours dans le mesme estat. Ils se voyoient fort souvent, sans que l’un ny l’autre en fust plus heureux. Le Cavalier ne surmontoit point l’obstacle qui l’arrestoit, & la Belle qui estoit trop fiere pour se laisser seduire par son amour, continuoit de vivre avec luy dans une reserve qui luy défendoit toute sorte d’esperance, s’il n’obtenoit pas le consentement dont il se flatoit. Malheureusement pour cette aimable personne, son Amie, chez qui se donnoient ces rendez vous, ne put se contraindre plus longtemps, & s’abandonna à son caractere, qui estoit d’enlever tous les Amans qu’elle voyoit jour à s’approprier. La trop austere vertu de la Demoiselle donna souvent lieu au Cavalier de s’en plaindre, & l’Amie ne trouva point de meilleur moyen de l’en consoler, qu’en luy faisant voir qu’il trouveroit mieux son compte avec elle. Le Cavalier fut assez content de ne luy pas voir de si severes scrupules, & les petites avances qui luy furent faites, l’eurent bien-tost engagé à tourner ses vœux de ce costé-là. L’Amie les receut agreablement, & il ne luy rendit pas de bien longs services, sans estre récompensé. Son enjoûment estoit un grand charme, & vous jugez bien qu’ayant commencé à vouloir plaire, elle ne manqua pas de le redoubler. La nouvelle passion qu’elle alluma dans le cœur du Cavalier, ne luy laissa presque plus sentir la premiere ; la Belle le remarqua, & ne sçachant à quoy imputer ce changement, elle repassoit dans son esprit toutes ses manieres pour voir s’il avoit sujet d’en estre choqué. Elle consulta sa fausse Amie, qui luy avoüa qu’elle s’estoit apperçuë depuis longtemps de son refroidissement, sans avoir voulu luy en rien dire. Elle ajoûta que c’estoit l’ordinaire procedé des hommes ; qu’ils se dégoûtoient, ou par les faveurs, s’ils pouvoient en obtenir, ou par le refus qu’on leur en faisoit ; que puis que le Cavalier ne luy parloit plus de mariage, il estoit aisé de voir qu’il ne songeoit qu’à se dégager, & que si elle croyoit son conseil, comme sa fierté le demandoit, elle romproit avec luy sans attendre qu’elle en fust abandonnée ; qu’il y alloit de sa gloire de le prévenir, n’y ayant aucun sujet de douter qu’il ne trouvast bien-tost des prétextes pour ne la plus voir. La Belle croyant son Amie entierement incapable de se détacher de ses interests, & animée par toutes les choses qu’elle luy disoit, fit des reproches au Cavalier, sur lesquels il prit peu de soin de la satisfaire. Ce fut assez pour luy faire voir qu’elle n’avoit plus qu’un pouvoir bien foible sur son cœur. Cependant comme il n’y a que le temps qui nous fasse vaincre une forte passion, elle ne put tout d’un coup se resoudre à la rupture ; mais quelle fut sa surprise, quand la jalousie luy faisant examiner jusques aux moindres regards de son infidelle Amant, elle découvrit qu’il l’abandonnoit pour sa fausse Amie ! Elle eut la force de dissimuler, & estant un jour venuë chez elle deux heures plûtost qu’à l’ordinaire, elle l’y trouva déja arrivé, & tous les deux dans un embarras, qui luy disoit plus qu’elle ne vouloit sçavoir. Elle commença alors à se servir d’espions, & elle apprit, non seulement qu’il venoit toujours au rendez-vous longtemps avant elle, mais qu’il ne manquoit jamais à rentrer chez son Amie, aprés qu’elles s’estoient separées. La lâcheté de l’un & de l’autre contribua plus à la guerir, que tout l’effort qu’elle auroit pu faire pour obtenir ce triomphe. Il luy parut qu’il falloit manquer de cœur pour aimer une personne qu’il devoit croire indigne de luy, puis qu’elle avoit la bassesse de la trahir & d’abuser de sa confiance, & cela luy donna tant de mépris pour le Cavalier, que quand il auroit voulu revenir à elle, ce qu’elle devoit à sa gloire n’auroit pas permis qu’elle luy eust pardonné. Ainsi elle luy marqua une heure pour le dernier rendez vous qu’elle vouloit luy donner, & dedaignant de luy reprocher sa perfidie, elle se contenta de luy dire qu’elle l’avoit appellé pour luy déclarer qu’il ne falloit plus qu’il se contraignît, qu’elle estoit trop éclairée pour n’avoir pas veu qu’il avoit le cœur touché pour son Amie ; qu’il pouvoit continuer cet attachement, sans apprehender qu’elle y apportast jamais aucun obstacle, & qu’elle luy disoit adieu pour jamais, pleinement vangée de son inconstance, puis qu’il la quittoit pour une personne dont le temps luy découvriroit le vray merite. Elle sortit sans leur rien dire de plus, & ils la laisserent aller l’un & l’autre fort satisfaits de se voir dans l’entiere liberté de s’abandonner à leur passion. La fausse Amie ne laissa pas de se sentir vivement blessée du mépris que la Belle luy avoit marqué par ses dernieres paroles, & pour s’en vanger, elle inventa les choses les plus fâcheuses qu’elle luy fit dire de plusieurs personnes, qui meritoient qu’on les épargnast. Les Parties interessées s’en plaignirent à la Belle, qui étant bien forte par son innocence, ne manqua pas de rejetter hautement la calomnie sur celle qui l’avoit faite, & cette malicieuse personne, cherchant à mettre le Cavalier hors d’estat de renoüer jamais avec elle, asseura avec une effronterie qui ne se peut concevoir, qu’elle avoit fait devant luy les medisances dont on se plaignoit. Le Cavalier bien aise de plaire à sa nouvelle Maistresse, parla le mesme langage, & la Belle outrée d’une telle lâcheté, l’ayant rencontré un jour dans une maison où elle alla, luy demanda en presence d’une grande Compagnie, s’il estoit vray qu’il luy eust entendu dire les choses qui se debitoient contre elle. Il eut la bassesse de le soustenir, & la Belle, que l’interest de la verité, & le souvenir de sa trahison portoient à ne pas souffrir l’injure qu’il luy osoit faire, la repoussa par un dementy qui fut accompagné d’un Souflet qu’elle luy donna de toute sa force. Le Cavalier demeura si interdit d'un emportement si peu attendu, que tandis qu’il s’occupoit à songer de quelle maniere il s’en vangeroit, elle eut le temps de jetter la main sur son Epée qu’elle luy osta. Tous ceux qui estoient presens l’environnerent, dans la crainte qu’elle ne voulust aller au delà du soufflet donné. Le Cavalier revenu de son étourdissement, dit qu’il n’ignoroit pas comment on devoit agir avec une Femme, & demanda son épée. La Belle luy répondit fierement qu’il estoit vaincu, puis qu’il s’estoit laissé desarmer, & que les Vaincus estant obligez de demander la vie aux Vainqueurs, elle ne se dessaisiroit jamais de cette marque de sa Victoire, qu’il n’eust declaré que tout ce qu’il avoit dit d’elle estoit une Calomnie. On disputa fort long-temps sur cet accommodement, & enfin, comme il devoit estre fort honteux au Cavalier, qu’on publiast dans le monde qu’il eust laissé son Epée entre les mains d’une Femme, il se resolut à faire une partie de la satisfaction qu’elle demandoit. La fausse Amie, qui n’est point encore revenuë de la Campagne où elle est depuis un mois, y a receu la nouvelle de cette avanture, & on tient qu’elle fulmine de la bonne sorte contre la conduite du Cavalier, qui a donné tant d’avantage sur luy à sa Rivale. Cela produira peut-estre encore quelque Scene, dont j’auray soin de vous faire part.

Epistre §

Mercure galant, octobre 1693 [tome 12], p. 133-141.

 

Je vous envoye des Vers de Madame des Houlieres, & non seulement ce sont des Vers dignes d’elle, ce qui doit vous en donner la plus grande idée, mais vous les admirerez d’autant plus, que quoy qu’ils soient faits sur une matiere qui semble sterile, elle y a meslé les pensées du monde les plus agreables, & en fort grand nombre ; mais que ne peut pas un genie aussi élevé & aussi beau que le sien ! Elle se plaignoit du mauvais Vin de l’année derniere, & Mr Arnaud, Fermier General, toujours genereux pour ses Amis, & ne negligeant aucune occasion de les obliger, luy en envoya un muid avec du Caffé. C’est pour l’en remercier que Madame des Houlieres a fait les Vers que vous allez lire.

EPISTRE.

 Aprés que tous les Elemens,
 Par d’horribles dereglemens,
 Nous ont fait une longue guerre,
 Lors qu’il semble que le Soleil
 N’est plus amoureux de la Terre,
 Par quel charme ay-je à mon réveil
 Une piece de Vin pareil
Au précieux Nectar du Maistre du Tonnerre ?
***
Quel genereux Mortel peut avoir pris ce soin,
 Dont nos modernes Esculapes
S’avisent de trouver que j’ay tant de besoin,
 Quand on n’a tiré de nos grapes
Qu’un Vin, qui froid & vert du Verjus n’est pas loin ?
 Ce ne peut estre que Timandre ;
 À ce goust de n’épargner rien
 Quand on trouve un service à tendre,
 Et de faire toujours du bien,
 On ne sçauroit pas se méprendre ;
Peu de cœurs là-dessus sont faits comme le sien.
***
Ouy, Timandre, c’est vous, & de l’illustre Race
 Dont le Ciel vous a fait sortir,
Vous suivez pas à pas la glorieuse trace.
On ne voit rien en vous qui puisse démentir
 La pieté, la noble audace,
 La generosité, l’éclat
 De ces Arcs-boutans de l’Etat,
 Ny de ces Heros de la Grace ;
 Qui pour les Concerts du Parnasse
Eurent toujours un goust si fin, si delicat.
***
C’est à ce doux panchant qu’ils ont eu pour les Muses,
 Qui d’eux a passé jusqu’à vous,
Que je dois l’amitié qui se forme entre nous,
Et qui vous fait chercher tant d’agreables ruses,
Pour faire que chez moy l’on trouve tous les jours
De Caffé, de liqueurs une pleine abondance ;
 Et de ce vin dont l’excellence,
Pour ma santé, dit-on, sera d’un grand secours.
***
 Quoy que l’Histoire en puisse dire,
 Le vin qui jadis dans Tibur
 D’Horace égayoit la Satyre,
Le vin qu’Anacreon celebroit sur sa Lyre,
 N’estoit ny si beau, ny si pur.
À des rubis fondus sa couleur est semblable,
Il tient ce que promet sa brillante couleur.
Vue utile & douce chaleur
 Fait qu’on pense au sortir de table,
 Avoir pris de cet Or potable,
Qui triomphe des ans, qui chasse la douleur,
 Qui fait tout, & qui par malheur
 N’a jamais esté qu’une Fable.
***
 Cependant quelque precieux
Que soit un tel breuvage, un zele ardent & tendre
 Pour le Public le fait répandre,
 Quand LOUIS est victorieux.
Les muids sont défoncez dans les brillantes Festes,
 Où pour luy l’on rend grace aux Cieux ;
Et tandis que le bruit de ses grandes conquestes,
Trouble ses Ennemis de sa gloire envieux,
 Vostre excellent vin dans ces lieux
 Trouble un nombre infini de testes.
***
Qui l’auroit pu penser ! moy, qui dés le berceau
 Suis en habitude de boire
 Avec les Filles de Memoire,
 Et de m’enyvrer de cette eau,
 Qui des tenebres du tombeau
 A le don de sauver la gloire,
Enfin, moy, qui jusqu’aujourd’huy
N’avois avec Bacchus presque point de commerce,
 J’ay fait connoissance avec luy.
Heureuse si ce Dieu peut dissiper l’ennuy
 Du maudit sort qui me traverse,
 Et d’une santé foible estre le ferme appuy.
***
Quand je songe pourtant en personne sensée
 À vostre present merveilleux,
À ne vous rien cacher, il me vient en pensée
Qu’il peut, tout beau qu’il est, estre un peu dangereux.
 On ne pourroit pas mieux s’y prendre
Pour faire une galante & douce trahison.
Quelque force qu’ait la raison,
Helas contre le Vin peut-elle se défendre ?
Non, & souvent l’Amour mesle pour nous surprendre,
 Dans le vin son subtil poison ;
 Mais par bonheur pour moy, Timandre,
 Vous estes plus sage que tendre,
Et d’ailleurs, je suis loin de la belle saison,
 Où les pieges sont bons à tendre.

[Reflexions sur les defauts d’autruy] §

Mercure galant, octobre 1693 [tome 12], p. 144-145.

 

Je vous fais plaisir sans doute, à vous qui aimez à reflechir sur vous mesme, en vous apprenant, qu’on a fait une nouvelle Edition des Reflexions sur les Defauts d’Autruy de Mr l’Abbé de Villiers, & qu’il l’a augmentée d’une seconde partie. Quoy que cet Ouvrage ne soit qu’un amusement par lequel il se délasse d’un travail plus serieux, on ne laisse pas d’y rencontrer tout ce qui peut le rendre agréable & instructif. On y remarque surtout le caractere d’un parfaitement honneste homme, qui propose ses pensées sans entestement, & sans partialité, chose rare dans les Auteurs des Livres de Critique.

Bouquet sans fleurs §

Mercure galant, octobre 1693 [tome 12], p. 145-148.

 

Il l’est beaucoup qu’à douze ans on puisse faire des Vers aussi bien tournez que ceux que vous allez lire. Cependant ils sont d’un Enfant de qualité qui n’a que cet âge, & ont esté faits pour une petite personne qui n’est de mesme que dans sa douziéme année. Ils luy furent envoyez avec une Corbeille fort galante remplie de tous les fruits que l’Automne peut donner.

BOUQUET SANS FLEURS.

DAPHNIS.

Puis que Flore n’a plus ny ses Lis ny ses Roses,
 Qu’elle a perdu ses brillantes couleurs,
Qui sçavent peindre aux yeux les sentimens des cœurs,
Qu’enfin elle a fait place à de plus belles choses,
 Toy, dont les dons charment tout l’Univers,
  Deesse de l’Automne,
  Je t’invoque en ces Vers,
  Abondante Pomone,
  Aide-moy dans ce jour
À marquer à Philis un innocent amour.

POMONE.

À marquer ton amour je seray toujours preste.
Je sçay que de Philis c’est aujourd’huy la Feste ;
Cette jeune Philis, dont la tendre beauté
Par des charmes secrets tient ton cœur enchanté.
Ouy, je connois, Daphnis, l’objet de ta tendresse,
J’ay vû dans mes jardins ton aimable Maistresse,
Flore dans ses beaux jours ne l’effaceroit pas,
Et la fiere Diane envieroit ses appas.

DAPHNIS.

En vain, Pomone, en vain tu voudrois nous décrire
Des charmes que l’on sent, & que l’on ne peut dire,
Laisse là ce dessein, fais moy faire un Bouquet.

POMONE.

Ouy, je le veux, Daphnis. Pour cet aimable objet,
Que les Raisins, la Pesche, & les fruits que je donne,
Prodiguez à l’envy forment une Couronne.

[Mort de Mr de Vaumoriere]* §

Mercure galant, octobre 1693 [tome 12], p. 148-158.

 

La Republique des Belles Lettres vient de faire une perte veritable, par la mort de Mr de Vaumoriere. C’estoit un Gentilhomme illustre par sa naissance, & distingué par un grand nombre d’ouvrages estimez. Sa moindre qualité estoit son bel esprit. Il brilloit par tout, mais il estoit encore plus honneste homme qu’il n’estoit homme de Lettres. Il avoit l’esprit vif & aisé, les sentimens naturels & nobles, les idées justes & distinguées, les expressions gayes & hardies, les manieres douces & engageantes, le cœur au dessus de son pouvoir & de son état, genereux, empressé, noble, prévenant, ne connoissant d’autre interest que celuy de ses amis, & d’autre plaisir que celuy d’en faire. Il n’avoit rien à luy, tous ceux qui le connoissoient estant plus maîtres de son bien que luy-mesme. Il disoit toujours que l’argent & le cœur ne sont bons que lors qu’on les donne, à quoy il ajoûtoit que c’estoit un moindre mal d’être dupe que de craindre toujours d’estre dupé. Dans un âge fort avancé, il conservoit tout le feu d’une belle jeunesse. Il estoit enjoüé & galant dans les ruelles, modeste avec les gens d’esprit, réjoüissant & solide avec les jeunes gens, toujours doux, toujours poly, toujours agréable en toutes sortes de societez. Il portoit la joye & le plaisir avec luy. Sa seule presence avoit l’art de reveiller une conversation assoupie ; il avoit & des idées & des termes que personne ne pourroit prevoir, & c’estoit toujours chose nouvelle. Comme jamais homme n’a esté plus generalement approuvé, plus generalement aimé, & plus generalement recherché, aussi jamais homme n’a esté plus generalement regretté. Sa maniere de vie estoit commune ; sa conduite égale sa morale douce, ses reflexions estoient utiles. Simple, familier, humain, sage, complaisant, éclairé, il instruisoit lors même qu’il amusoit davantage. Les graces ornoient tous ses discours, & la douceur de son naturel se répandoit sur ses paroles. Il parloit bien, il écoutoit encore mieux, & sa complaisance deterroit souvent dans les gens, certain merite & certain tour d’esprit qu’ils ne se connoissoient pas eux mêmes. Le don de conversation n’a jamais esté prodigué avec plus d’avantage par la nature Sa facilité étoit soûtenuë d’un fond qu’on ne trouve guere. Il avoit une connoissance parfaite de l’antiquité. Il n’y a pas un nom connu dans l’Histoire, sur lequel il ne sceust un détail curieux, & peu connu. Il sçavoit mettre entre l’Histoire & la Fable un rapport vray-semblable, qui persuadoit agreablement. Il estoit vif & précis dans ses narrations, surprenant dans ses peintures, sçavant dans ses remarques, ennemi des parentheses, enjoüé, naturel, éloquent, & suivi par tout.

Ce sont des reflexions faites par tous ceux qui l’ont connu, & que feront toujours ceux qui liront ses Ouvrages. Le Scipion qu’il nous donna dans sa jeunesse, & les cinq derniers Tomes de Pharamond, sont un Portrait naturel & ressemblant de ce genie heureux qu’on luy a trouvé le reste de sa vie. Il a donné au Public un assez grand nombre d’autres Ouvrages d’Histoire & de Galanterie, où il s’est toujours soutenu. On a lû avec plaisir Diane de France, la Galanterie des Anciens, Adelaïde de Champagne, Agiatis, l’Art de plaire dans la Conversation, & deux Volumes de Harangues sur tous les genres d’Eloquence. On trouve du tour & de l’art dans tout ce qui vient de luy. Il s’expliquoit sans peine, mais il pensoit en homme qui se plaisoit à écrire, c’est à dire, qu’il ne pensoit guere pour luy seul. Il nous a donné depuis peu de temps deux Volumes de Lettres sur toutes sortes de sujets. Il a donné à ces sujets un ordre, & aux Lettres des regles pour ce genre d’écrire. Ouvrage utile hardy, necessaire, que personne n’avoit entrepris, & qui manquoit à nostre Langue Rien ne luy coutoit que le choix des titres & des matieres qu’il vouloit traiter, son imagination estoit vaste & fertile. Il sçavoit beaucoup, & sa memoire fournissoit avec choix & avec fidelité à toutes ses idées. Il reste bien des choses à dire de son esprit & de sa science. Un caractere aussi heureux & aussi riche voudroit être un peu plus étendu. S’il faut parler de ce qu’on appelle l’homme du monde, on peut dire que jamais personne n’a eu tant de talens, tant de sortes d’esprits, & tant de caracteres differens. Il prenoit celuy qu’il vouloit, & passoit de l’un à l’autre sans emprunter ces transitions si dangereuses en mille gens de Lettres. C’estoit un Protée qui donnoit à son esprit mille formes differentes, & qui toujours le mesme se ressembloit par tout, & n’estoit inégal sur rien. Il sçavoit la pureté & la finesse de nostre Langue, & il écrivoit avec une justesse & une facilité égale en Prose & en Vers. De pareils hommes devroient toujours vivre, si la mort ne leur assuroit une vie plus douce & plus tranquille.

Catalogue de quelques Livres curieux qui se trouvent dans la Bibliotheque de Mr de S.E. à Londres §

Mercure galant, octobre 1693 [tome 12], p. 213-219.

 

CATALOGUE
De quelques Livres curieux qui se trouvent dans la Bibliotheque de Mr de S. E. à Londres.

Exploits memorables des Espagnols contre la France, sous le Regne de Loüis le Grand.

Commentaire sur ces paroles de Saint Pierre, Craignez Dieu, honorez le Roy, dédié au Parlement d’Angleterre, par le Comte de Nottingam.

Oraisons Funebres de la France, prononcées dans toutes les Cours de l’Europe, par les Emissaires des Princes liguez.

Compte du revenu de divers Fiefs de l’Empire, rendu aux Commissaires de l’Empereur, par les Sieurs de Parme, de Modene, & autres, Fermiers generaux de Sa Majesté Imperiale en Italie.

De la Castrametation, par le Prince d’Orange, Inspecteur general des Camps & Armées de Sa Majesté T. C.

Lettre des Bourguemestres de Hollande, Commis au Bureau des Imposts du Prince d’Orange, aux Milords d’Angleterre, Tresoriers de l’Extraordinaire des Guerres de ce Prince.

Les Conquestes de la Ligue d’Ausbourg.

Nouvelle maniere d’attaquer & de prendre les Places, par Mr le Statouder de Hollande, commenté par Mr le Landgrave de Hesse-Cassel.

Le Commerce florissant, dédié aux Marchands de Londres & d’Amsterdam, par les Armateurs François.

Reflexions morales & politiques sur la generosité des Anglois, lesquels en quatre ou cinq ans ont donné liberalement au Prince d’Orange plus d’argent, que les quatre ou cinq derniers Rois d’Angleterre n’en avoient levé en un Siecle.

Etat abregé du profit que l’Angleterre a retiré de cette prodigieuse dépense.

Pensées diverses sur l’estat florissant des Pays-bas Espagnols, dediées au Magistrat de Brusselles, par un Bourgeois de Cambray.

Relation succincte des exploits du Prince d’Orange.

Les Constitutions de l’Empire, nouvelle Edition, dedié au College des Electeurs, par le Duc de Hanover.

Nouvelle préparation de l’Onguent pour la brûlure, par Diego del Fuego, cy-devant Apothicaire d’Alicante, puis de Barcelone, & ensuite de Roses.

Le Republicain, Ouvrage utile, où l’on traite des moyens de mettre ordre aux affaires de la Republique de Hollande, pour l’empescher de faire banqueroute, dedié aux Etats Generaux des Provinces Unies.

Les dits & faits du Prince d’Orange, nouvelle Edition, augmentée de quelques discours hardis qu’il a faits au Parlement d’Angleterre, d’un recit du succés de sa descente en France, & des divers mouvemens de son Armée dans les Pays-bas.

Jurieu Prophete, ou l’accomplissement de ses Propheties, justifié par l’Histoire du Temps, dedié aux François refugiez, pour les consoler dans leur exil.

Lettres Pastorales du Loup aux Brebis, par le mesme.

[Divers Ouvrages sur la défaite des Alliez en Piedmont] §

Mercure galant, octobre 1693 [tome 12], p. 222-233.

 

Cependant je vous envoye des Vers qui ont esté faits sur la derniere Bataille. Le premier Madrigal est de Mademoiselle de Scuderi.

SUR LA DEFAITE
des Alliez en Piedmont.

Tous les Princes liguez sont prests de s’abismer.
L’un veut passer le Pô, l’autre passe la mer.
Malgré leurs mouvemens, leurs projets, leurs menaces,
Nous sauvons Pignerol, nous leur prenons des Places ;
Inspirez par Loüis comme par le Dieu Mars,
Aux portes de Turin une grande Victoire
Couvre encor les François d’une nouvelle gloire,
Et nous voyons enfin vaincus de toutes parts
Les Aigles, les Lions, & les fiers Leopards.

Voicy un autre Madrigal sur cette mesme défaite. Il est de Madame des Houlieres.

AU ROY.

LOUIS, que vous imitez bien
Cet Estre indépendant dont vous estes l’Image !
 Comme luy, des Rois qu’on outrage
Vous estes le vangeur & l’unique soutien.
 Comme luy, vostre main foudroye
Ces coupables Mortels, dont les noires fureurs
 Ont mis toute l’Europe en proye,
 À ce que la guerre a d’horreurs.
 Comme luy, rempli de clemence,
 Quelque douceur qu’ait la vangeance,
 Vous estes prest à pardonner ;
Et sur les bords du Pô, du Rhin, & de la Meuse,
Vous ne les accablez que pour les amener
Par un prompt repentir, à cette Paix heureuse,
 Que vous seul pouvez leur donner.

Il faut pour la gloire de vostre sexe joindre à ces Vers ceux que la Bataille donnée en Piémont a fait faire à une jeune Personne de Qualité, qui n’a que quinze ans.

La Justice du Ciel se declare pour nous,
Rien ne peut resister à l’effort de nos armes,
 Et la Ligue aprés mille alarmes,
 Expire par nos derniers coups.
Peuples, ne craignez plus que sa rage mourante
Trouble vostre repos, & sa douceur charmante,
 Dont vous joüirez desormais.
 Aprés cette cheute mortelle,
 Si nous entendons parler d’elle,
Ce sera seulement pour demander la Paix.

Vous ne serez pas fâchée de voir ce qu’a fait Mr Diereville, sur la Campagne de Monsieur le Duc de Savoye.

 Le fameux Conquerant d’Ambran,
 Tout fier d’une telle Victoire,
Présumant qu’assieger & prendre, ce n’est qu’un,
Veut par un nouveau Siege éterniser sa gloire,
 Et ne sçauroit se rebuter
Par la difficulté des grandes entreprises.
Son dessein est formé, ses mesures sont prises,
 Il ne faut plus qu’executer.
Il part ; cent mille bras suivent cet intrepide,
Et se flatant d’avoir la Victoire pour guide,
Il declare qu’il va soumettre Pignerol ;
 Mais le Fort de Sainte Brigide
 L’arreste dans un si beau vol.
Ce n’est pas là, dit-il, un obstacle invincible,
Il va bientost ceder à ma boüillante ardeur :
Pour s’en rendre le maistre il fait un feu terrible,
Et se sert, mais en vain, de toute sa valeur.
Chaque jour sans succés autour de ses murailles
Il voit de ses Soldats les tristes funerailles.
Sous mille coups divers ils tombent par monceaux.
 L’Astre brillant qui donne la lumiere,
 Plus de vingt fois a rempli sa carriere
 Sans voir avancer leurs travaux.
 Tessé dont la noble vaillance
 En défend si longtemps l’abord,
Obtenant ce qu’il veut par tant de resistance,
Ruine, & quitte enfin cet imprenable Fort.
Dés qu’il n’est plus gardé, mon Heros s’en empare,
Et pour s’y maintenir il prend de nouveaux soins,
 Il ordonne qu’on le repare,
Il fait tout visiter, ses yeux en sont témoins ;
Mais il voit par malheur qu’on a sceu tout détruire.
 De desespoir il se retire
 Avec dix mille bras de moins.
 C’est pour le coup agir en homme habile ;
Il connoist par ce Fort ce qu’eust fait une Ville.
L’espoir de l’emporter peut estre decevant,
Il ne faut pas tousjours écouter son courage,
 Les François l’abattent souvent.
S’il eust voulu porter ses armes plus avant,
 Il auroit perdu davantage.
Heureux ! mais plus heureux mille fois ses Soldats,
S’il avoit fait alors une entiere retraite !
Sans avoir trop perdu sa Campagne estoit faite,
Mais des coups du destin on ne s’exempte pas.
 Helas ! ou ne peut s’en défendre ;
 De Pignerol il s’éloigne à regret,
Il devoit l’assieger, & qui plus est, le prendre.
Il s’en va sans oser seulement l’entreprendre,
Et s’en fait à luy-mesme un reproche secret.
Il s’arreste, consulte, & forme le projet
De l’aller bombarder, & le reduire en cendre.
 Tout estant prest pour cet effet,
 Devant la Place il va se rendre.
 Quel appareil prodigieux
De ces globes de feu plus craints que le Tonnerre,
 Qui semblent menacer les Cieux,
 Et ne foudroyent que la terre !
On en jette par tout ; des milliers à la fois
 Tombent & crevent sur la Ville,
Et n’abatent que quelques toits.
C’est ainsi que le Ciel protegeant les François,
D’un nombre d’Ennemis rend la Ligue inutile.
Cependant le Heros content de ses exploits,
 S’en retourne plus fier qu’Achille.
Mais il ne va pas loin sans se voir trop punir
 Du peu de mal qu’il vient de faire,
Le fameux Catinat l’engage en une affaire,
Dont il conservera longtemps le souvenir.
Il y perd ses Canons, ses Drapeaux, ses Timbales,
 Des vaincus dépoüilles fatales,
 Et ses plus braves Officiers
 Trouvent par d’inconnus sentiers
Sur les rives du Pôles rives infernales.
Les François en tous lieux à vaincre accoutumez,
 Jaloux d’un si grand avantage,
 Comme des Lions animez,
De ses meilleurs Soldats font un affreux carnage.
À peine évite-t-il leur déplorable sort.
Helas ! plus de neuf mille étendus sur la terre
 Victimes d’une injuste guerre,
 Semblent luy reprocher leur mort.
 Les autres prennent l’épouvante,
 Toute son Armée est errante,
 Il ne sçauroit la rallier,
Et luy-mesme il se trouve obligé de plier.
 Enfin sa défaite est entiere ;
À Nervvinde Nassau ne fut pas mieux battu.
 S’il comptoit plus sur sa vertu,
 Quel desespoir pour une ame si fiere !
 Il eust évité ce chagrin,
 Si de gloire un peu moins avide,
 Au sortir de Sainte Brigide,
 Il eust esté revoir Turin.

[Suite du Siege de Charleroy] §

Mercure galant, octobre 1693 [tome 12], p. 266-269.

 

[...] Voicy la Lettre écrite par le Roy à Mr l’Archevesque de Paris, pour faire chanter le Te Deum, en action de graces de cette Conqueste.

 

Mon Cousin. J’ay crû ne pouvoir finir la Campagne en Flandre plus utilement, que par la prise de Charleroy, qui acheve de fermer aux Ennemis l’entrée des Pays que j’ay conquis sur eux. Mon Cousin le Maréchal Duc de Luxembourg en a fait faire le Siege par mes ordres, la Place a esté investie le neuviéme du mois passé, & s’est renduë l’onziéme de ce mois après vingt-six jours de Tranchée ouverte. Une si longue resistance est moins deuë à la valeur des Assiegez, qu’au soin que j’ay pris de diminuer à mes Troupes le peril & la fatigue de ce Siege, dans la certitude où j’estois que les Ennemis battus à Sainte-Croix ou Neewinde, estoient hors d’estat d’entreprendre de secourir cette Place, & qu’aux Fortifications qui y avoient esté faites par mes ordres, & qui l’avoient renduë imprenable â tous autres qu’à des François. Aprés cette Conqueste je ne dois pas manquer de rendre graces à celuy qui envoye la Victoire où il luy plaist, & qui a bien voulu jusques à présent l’attacher à la suite de mes Armes. C’est pourquoy je desire que vous fassiez chanter le Te Deum dans l’Eglise Cathedrale de ma bonne Ville de Paris, au jour & à l’heure que le Grand Maistre ou le Maistre des Ceremonies vous dira de ma part, & je donne ordre à mes Cours d’y assister en la maniere accoutumée. Sur ce, je prie Dieu qu’il vous ait, mon Cousin, en sa sainte & digne garde. Ecrit à Fontainebleau le seiziéme Octobre mil six cens quatre-vingt-treize.

Burnet, au Prince d’Orange. Sur le Siege & sur la Prise de Charleroy §

Mercure galant, octobre 1693 [tome 12], p. 270-283.

 

La prise de Charleroy a donné lieu à Mr de Vin de faire l’Ouvrage que vous allez lire,

BURNET,
AU PRINCE D’ORANGE.
Sur le Siege & sur la Prise de Charleroy.

 Tout est prest pour te recevoir ;
 Accoutumez à leur devoir,
 Ou plûtost à leur servitude,
Grand Prince, tes Sujets oubliant leur malheur,
 Te verront sans inquietude,
 Et mettront mesme leur étude
 À te rendre icy tout l’honneur
 Que te doit leur vielle habitude.
 Mons & Namur pris à tes yeux,
Si tels, comme on le dit, que leur Mer inconstante,
Ils estoient d’une humeur & volage & changeante,
 Auroient dû te rendre odieux,
Et te faire payer tout le sang que leur couste
Du funeste Fleurus la sanglante déroute.
Cependant ton adresse, ou plustost ton bonheur
 Soutient encore en ta faveur
 Leur attentat abominable ;
Malgré ces coups de foüet rien ne branla chez eux,
Et constans pour toy seul, tu vis ces factieux
T’offrir à deux genoux un Encens honorable.
 Ne crains donc rien, grand Prince ; asseuré de leur foy
Du sort qui te poursuit reviens sur ce rivage
 Oublier le nouvel outrage,
 Et crois que ceux qui t’ont fait Roy
Jusqu’au dernier soupir soutiendront leur ouvrage.
 À faire tout ce qui te plaist
Tu ne sçais que trop bien qu’ils ont grand interest,
 Et que la crainte des supplices
Sous tes severes loix retiendra tes complices.
 Leur fructueux Commerce en vain est-il rompu ;
 En vain aux colomnes d’Hercule
 Voyent-ils leur Flotte qui brusle
En vain, dis-je, à Nervinde es tu mesme battu ;
Tout cela ne fait rien, & faits à l’esclavage,
 Ils te verront à ton retour
Avec les mesmes yeux que dans cet heureux jour,
 Qui t’offrit leur premier hommage.
Mais, diras tu, LOUIS, attaque Charleroy ;
Le laisseray-je faire, & s’il alloit le prendre,
Quelle confusion seroit-ce encor pour moy ?
Tres-grande, j’en conviens, mais comment le deffendre ?
As tu pû de ses mains sauver Namur & Mons ?
 Dequoy leur servit ta presence,
 Et veux-tu par ton impuissance
 Te couvrir de nouveaux affronts ?
De cet Auguste Roy tout cede à la fortune,
Des Places qu’il attaque il n’en échappe aucune
À son bras tousjours triomphant,
 Et souvent tu l’as veu toy mesme,
Au mépris de son diademe,
Affronter sans effroy le peril le plus grand.
Ainsi, loin de tenter un effort inutile,
De sa perte prochaine évite en Prince habile
 De te rendre encor le témoin.
Laisse crier Baviere, & si sa jeune audace
Veut courir au secours de cette forte Place,
Que seul, à la bonne heure, il en prenne le soin,
 Et par-là qu’il se satisfasse.
 C’est son affaire, & Charleroy
 Le regarde bien plus que toy,
 Qui, comme luy, pour sa deffence,
N’as receu de Madrid ny troupes, ny finance.
Que t’importe sa perte ? Il ne t’appartient pas ;
Qu’il conserve son bien s’il croit le pouvoir faire,
 Et s’il aime tant les combats,
Luxembourg de pied ferme, attend ce témeraire ;
Qu’il aille, j’y consens, mais, grand Prince, pour toy
Ton unique interest est de faire le Roy,
 Et de fomenter une guerre,
Qui seule, en moins d’un mois, te livra l’Angleterre.
 Ce n’est pas que de ta valeur
 Elle soit un fruit legitime,
 Non, tu ne la dois qu’a son crime,
Et si de sa revolte elle eust eu quelque horreur,
 Toute habile que soit ta teste,
Jamais ton foible bras n’en eust fait la Conqueste.
 Mais quoiqu’elle ait plus d’une fois
 Veu tromper la douce esperance,
 Qu’elle fondoit sur tes exploits,
 N’importe, viens en diligence,
 Te faire encor complimenter
 Sur les perils que ta prudence
 T’a si souvent fait éviter.
Et, content des honneurs qu’icy l’on te prépare,
Ne t’embarasse point si le plus grand des Rois,
 Si LOUIS unit sous ses Loix
 La Meuse & la Sambre à la Sarre.
Il est bon cependant de feindre que tu veux
Des champs Nervindiens reparer la disgrace,
Et de tes Alliez favorisant les vœux,
Dégager Charleroy du sort qui le menace ;
Mais c’est assez pour toy d’en répandre le bruit,
 Car si trop ardent à combattre,
Pour la seconde fois tu t’allois faire battre,
En quel funeste estat te verrois-tu réduit ?
Peut-estre que la Ligue à ta seule personne
 Appliqueroit tout son malheur,
Et s’imagineroit, en t’ostant ta Couronne,
De le faire tomber sur son fatal Auteur.
Ainsi de lascheté si Baviere t’accuse,
Des plus vaillans Heros affecte les dehors,
Mais pour ne point combattre invente quelque ruse,
Et de ton esprit fin fais joüer les ressorts.
Viens pendant cet hiver de ton peuple credule
 Enlever les riches Toisons,
Et le Printemps prochain muny de nouveaux fonds,
 Reprens ton faux rôle d’Hercule.
Mais, Burnet, diras-tu, c’est trop charlataner,
 Et dans ce manege d’adresse,
Quoique l’on m’ait instruit dés ma tendre jeunesse,
Ma gloire ne veut pas .… Ta gloire est de regner ;
 N’est pas Roy qui veut, & pour l’estre,
 Comme on ne t’avoit point veu naistre,
 Puisqu’un capricieux destin
 T’a mis trois Sceptres à la main,
Crois-tu, pour en joüir, estre obligé d’attendre
Que ce mesme destin te force de les rendre ?
Est-ce-là raisonner ? Non, grand Prince, pour moy
 Si jamais j’estois à ta place,
De quelque vieux Guerrier me fiant à l’audace,
 Et loin des perils qu’aprés soy
Traisne d’un General le trop penible employ,
 Je me livrerois sans grimace
À l’unique plaisir de faire icy le Roy.
 Aussi bien (car je suis sincere)
 Soit de faut naturel de cœur,
 Soit ignorance militaire,
 Soit mesme, si l’on veut, malheur,
 Jusqu’icy que t’a-t-on veu faire,
 Qui t’ait acquis le moindre honneur ?
Steinquerque, Saint Denis, Saint Omer & Nervinde
T’ont veu battre en personne, & ta confusion
 Retentit du Rhin jusqu’à l’Inde.
D’assieger une Place as tu l’ambition,
 Bien loin d’y faire mieux ton compte,
Charleroy par deux fois fut témoin de ta honte,
Et tu rougis encor d’avoir veu Limerik
Repousser tes efforts du mesme air que Mastrik.
 Car pour Beaumont, Furne, & Dixmude,
Ah ! grand Prince, si tu m’en crois
Ne va pas les compter pour de fameux exploits,
Ny de ces coups de main vanter la promptitude ;
 On t’en railleroit en tous lieux,
Cependant de ton bras voila l’unique gloire ;
Pour ta teste, on l’avoüe, elle est bonne, & l’Histoire
 Par ce costé, quoy qu’odieux,
T'égalera peut-estre à tes braves Ayeux.
 Sers toy donc de ta politique,
 C’est ton fort, & que desormais
Au seul soin de regner ta Majesté s’applique ;
Feins toujours de combattre, & ne combats jamais.
Tes ordres ont voulu que je fusse sincere,
Je ne le suis que trop, grand Prince, & tu peus voir
Que je t’en donne icy la preuve la plus claire.
Comblé de tes bienfaits, j’ay crû que mon devoir
 Vouloit que je te satisfisse ;
Voila donc de mon cœur quel est le sentiment.
S’il est trop libre, au moins est-il sans artifice,
 Et j’obéis aveuglement.
***
De ces avis receus consultant l’importance,
À les suivre, Nassau se sentit du penchant,
 Et peut-estre eust il sur le champ
Contenté de Burnet la vive impatience,
 Si des raisons de bien-séance
 Ou plustost sa confusion,
N’eust forcé pour huit jours son inclination.
Enfin dans son retour comme il trouvoit son compte,
Pour tous ses Alliez sans ardeur & sans foy,
Il se mit, en partant, au dessus de la honte,
 Et laissa prendre Charleroy.

[Autre sur le mesme sujet] §

Mercure galant, octobre 1693 [tome 12], p. 283.

 

J’ajouste des Vers propres à estre mis en air, qui ont esté faits sur le mesme Siege.

Loin des fureurs de Mars & de Bellonne,
Cherchons, cherchons un doux repos,
Armons nous, chers Amis, de pintes & de pots,
Campons à l’ombre d’une Tonne.
Laissons au Grand LOUIS & le soin & la gloire,
De porter en tous lieux & le trouble & l’effroy ;
Laissons luy prendre Charleroy,
Tandis que nous prendrons à boire.

[Nouveautez dans l’empire des Lettres] §

Mercure galant, octobre 1693 [tome 12], p. 330-333.

 

Comme vous avez lû avec plaisir les deux premieres parties de l’Histoire sommaire de Normandie, faite par Mr de Masseville, vous serez bien-aise sans doute d’apprendre que le Sieur Brunet, Libraire dans la grande Salle du Palais, au Mercure Galant, commence à debiter la troisiéme partie de la mesme Histoire, qui n’est pas moins curieuse que les deux autres, & qui a esté imprimée à Roüen par le Sr Ferrant Libraire. Elle contient tout ce qui s’est passé de plus remarquable en cette Province depuis l’an 1270. jusqu’à l’an 1380. sous les Regnes de Philippe le Hardy, de Philippe le Bel, de Louis Hutin, de Philippe le Long, de Charles le Bel, de Philippe de Valois, de Jean, & de Charles V. Rois de France, avec des Remarques, & Additions fort recherchées.

Le Sr Amaury, Libraire à Lyon, a achevé de donner au Public les Ouvrages de Michel Ettmuller, celebre Medecin, & Professeur de l’Université de Leipsic, traduits en François, en faisant paroistre ses Nouveaux Instituts de Medecine, & sa Nouvelle Chimie raisonnée, de qui avec la Pratique Generale de Medecine de tout le Corps humain, & la Pratique speciale du mesme Auteur, sur les maladies propres des Hommes, des Femmes, & des petits Enfans, qui ont paru en trois Volumes in octavo il y a déja deux ou trois années, forme un Corps entier de Medecine, que debite le Sr Brunet. Il y a aussi une Nouvelle Chirurgie Medicale & raisonnée, du mesme Ettmuller, avec une Dissertation sur l’infusion des liqueurs dans les Vaisseaux.

On trouve chez le même Libraire, un Jeu de Cartes du Blason tres-utile pour ceux qui veulent avoir quelque connoissance des Armoiries, avec un Livre qui explique tout ce qui regarde ce jeu. On a choisy quatre Nations differentes pour en composer les quatre parties, & au lieu des marques ordinaires des quatre points, qui sont les Cœurs, les Piques, les Trefles & les Carreaux, on s’est servy des Devises qui distinguent ces Nations, qui sont la Fleur de Lys pour la France, le Lyon, pour l’Espagne, l’Aigle pour l’Allemagne, & la Rose pour l’Italie. Afin de faire une plus grande distinction, la Fleur de Lis est d’or en ce jeu, la Roze d’argent, le Lion de Gueules, & l’Aigle de Sable, qui sont deux Métaux & deux Couleurs, afin qu’en joüant on puisse distinguer quand on jouë de metal ou de couleur d’or, ou d’argent, de gueules ou de sable. Il y a plusieurs avantages à tirer de l’usage de ce jeu ; ils sont expliquez dans le petit Livre.