1693

Mercure galant, novembre 1693 [tome 14].

2017
Source : Mercure galant, novembre 1693 [tome 14].
Ont participé à cette édition électronique : Nathalie Berton-Blivet (Responsable éditorial), Anne Piéjus (Responsable éditorial), Frédéric Glorieux (Informatique éditoriale) et Vincent Jolivet (Informatique éditoriale).

Mercure galant, novembre 1693 [tome 14]. §

Au Roy, Sur la Victoire de Piedmont §

Mercure galant, novembre 1693 [tome 14], p. 7-15.

 

Rien n’est plus recherché que la gloire. Elle distingue les Sçavans, les Guerriers, & generalement toutes les personnes en qui l’on reconnoist du merite. Cependant on peut dire qu’il n’y en a point de plus brillante que celle qui s’acquiert par les armes ; & entre les Souverains qui s’en sont couverts par cette voye, jamais Monarque n’a fait des choses si surprenantes que le Roy pour s’en rendre digne. Comme on est persuadé que la tranquillité de l’Europe doit naistre de l’augmentation de cette gloire, & que les triomphes du Roy sont autant de pas qui le font avancer dans une carriere, au bout de laquelle il doit imposer la Paix aux Princes assez aveuglez pour préferer, leur jalouse ambition, au repos de leurs Sujets, on voit peu de Vers aujourd’huy à la gloire de ce Prince, sur le sujet de ses Victoires, où cette Paix que la plus belle partie du monde n’attend que de sa moderation & de sa bonté, n’ait la plus grande part, & c’est ce qui a fourny à Mr de Monfort une partie des pensées dont il a enrichy l’Ouvrage que vous allez lire.

AU ROY,
Sur la Victoire de Piedmont

Quel spectacle pompeux attire nos regards ?
Quel amas de Drapeaux ! quel nombre d’Etendars !
 Est-ce la Paix, ou la Victoire,
Qui conduit ce Trophée au Temple de Memoire ?
Non, c’est un don acquis au vray Dieu des Combats ;
Au Dieu que nostre Mars fait Auteur de sa gloire,
Et que ses Ennemis ne reconnoissent pas.
***
Ta pieté, Grand Roy, leur est d’un grand exemple.
Dans tes plus grands succés on connoist tes Vertus ;
Tes Ennemis par tout sont chassez, abatus,
Et tu ne reconnois tes Victoires qu’au Temple.
C’est là que tu conduis le prix de tes hauts faits ;
Et refusant les fleurs qu’on t’offre dans nos Festes,
C’est là que ta valeur rallumant tes souhaits,
On te voit triomphant supplier pour la Paix,
Et l’exiger du Ciel pour fruit de tes Conquestes.
***
Tu remplis l’Univers du bruit de tes exploits ;
Ton nom fait tout fléchir sur la terre & sur l’onde,
Tu fais craindre ton bras, tu fais benir tes Loix ;
Un sort heureux t’appelle à l’Empereur du Monde.
 On ne trahit pas son destin,
 Le tien s’explique & se découvre ;
L’Heresie & sa Ligue auront bien-tost leur fin ;
Le Ciel parle, obeis, suis le chemin qu’il t’ouvre.
***
 Plus d’un Oracle l’a prédit,
Et du Ciel les desseins se font assez connoistre,
De ce vaste Univers tu dois estre seul Maistre.
La Justice le veut, la Victoire le dit.
Eh, quel autre, grands Dieux, merite mieux de l’estre ?
Mais ce zele t’offense, & je t’entens grand Roy.
Tu préferes la Paix aux progrés de tes armes.
 La Paix ne fera rien pour toy,
Mais de tes bons Sujets elle fera les charmes ;
 La Paix rendra tes Ennemis heureux,
 Elle sera le sujet de leurs Festes.
Tu sçais qu’ils beniront, comme nous, tes conquestes,
Et le bonheur du monde est l’objet de tes vœux.
***
Quel effort de vertu ! quel succés heroïque !
Un Heros triomphant dans la prosperité,
Fait taire sa valeur, ses droits, sa politique,
Et soumet ses exploits dans leur rapidité,
 À la tranquillité publique.
***
 Grands Heros de l’Antiquité,
Ce respect qu’on vous rend, l’avez vous merité ?
 Vos vertus estoient des chimeres
Si nous en dévoilons les coupable misteres,
Nous ne vous trouverons qu’orgueil que vanité.
Qu’on ne nous vante plus vos vertu magnanimes,
Vos succés ne sont plus surprenans, inoüis,
 Les grandes vertus de LOUIS
 Dans les vostres font voir des crimes.
***
Les Heros autrefois ne les connoissoient pas,
 Ces grandes vertus si nouvelles,
 Les suites de tous leurs Combats
Estoient pour les Vaincus, ou dures, ou cruelles ;
Mais, pour toy, tu ne veux que combler de bienfaits
 Tous les Ennemis de ta gloire.
 Tu ne cherches dans la Victoire
 Que le passage pour la Paix.
***
Fais-la regner, grand Roy, sur la terre & sur l’onde,
 Elle a de quoy te couronner,
 Cette Paix durable & profonde,
 Que le monde ne peut donner,
Et qu’aprés Dieu, toy seul peux redonner au monde.

Les Souhaits ridicules. Conte. A Mademoiselle de la C. §

Mercure galant, novembre 1693 [tome 14], p. 37-50.

 

S’il estoit permis de se servir d’un Proverbe, je dirois, Madame, que toute cette grande & importante entreprise que les Anglois avoient formée sur la Martinique & sur d’autres lieux, s’en est allée en eau de boudin. Cette expression viendra pourtant assez à propos, ayant à vous faire part d’une Historiette, dont un morceau de Boudin a fourny la matiere à un excellent Ouvrier. Vous avez leu quantité d’ouvrages de Mr Perrault de l’Academie Françoise, qui vous on fait voir la beauté de son genie dans les Sujets serieux. En voicy un, dont la lecture vous fera connoistre qu’il sçait badiner agreablement quand il luy plaist.

LES SOUHAITS
RIDICULES.
CONTE.
À Mademoiselle de la C.

 Si vous estiez moins raisonnable,
Je me garderois bien de venir vous conter
 La folle & peu galante Fable,
 Que je m’en vais vous debiter.
Une aune de Boudin en fournit la matiere.
 Une aune de Boudin, ma chere !
 Quelle pitié ! c’est une horreur,
 S’écrieroit une Pretieuse,
 Qui toujours tendre & serieuse,
Ne veut ouir parler que d’affaires de cœur.
***
 Mais vous, qui mieux’ qu’autre qui vive,
 Sçavez charmer en racontant,
Et dont l’expression est toujours si naïve,
 Que l’on croit voir ce qu’on entend,
 Qui sçavez que c’est la maniere
 Dont quelque chose est inventé,
 Qui beaucoup plus que la matiere
 De tout recit fait la beauté,
Vous aimerez ma Fable & sa moralité ;
J’en ay, j’ose le dire, une assurance entiere.
***
Il estoit une fois un pauvre Bucheron,
 Qui las de sa penible vie,
 Avoit, disoit-il, grande envie
De s’aller reposer aux bords de l’Acheron,
 Representant dans sa douleur profonde,
 Que depuis qu’il estoit au monde,
 Le Ciel cruel n’avoit jamais
 Voulu remplir un seul de ses souhaits.
***
Un jour que dans le bois il se mit à se plaindre,
À luy la foudre en main Jupiter s’apparut.
 On auroit peine à bien dépeindre
 La peur que le bon homme en eut.
Je ne veux rien, dit-il, en se jettant par terre,
 Point de souhaits, point de Tonnerre,
Seigneur, demeurons but à but.
 Cesse d’avoir aucune crainte,
Je viens, dit Jupiter, touché de ta complainte,
 Te faire voir le tort que tu me fais.
 Ecoute donc, je te promets,
Moy qui du monde entier suis le souverain Maistre,
D’exaucer pleinement les trois premiers souhaits
Que tu voudras former sur quoy que ce puisse estre.
 Voy ce qui peut te rendre heureux,
 Voy ce qui peut te satisfaire,
Et comme ton bonheur dépend tout de tes vœux,
 Songes y bien avant que de les faire.
***
À ces mots Jupiter dans les Cieux remonta,
Et le gay Bucheron embrassant sa falourde,
Pour retourner chez luy sur son dos la jetta.
Cette charge jamais ne luy parut moins lourde.
Il ne faut pas, disoit-il en trotant,
 De tout cecy rien faire à la legere.
 Il faut, le cas est important,
 En prendre avis de nostre Menagere.
Ç’a, dit-il en entrant sous son toit de feugere,
 Faisons, Fanchon, grand feu, grand’ chere,
 Nous sommes riches desormais,
 Et nous n’avons qu’à faire des souhaits.
Là-dessus fort au long tout le fait il luy conte.
 À ce recit, l’Epouse vive & prompte,
Forma dans son esprit mille vastes projets,
 Mais considerant l’importance
 De s’y conduire avec prudence,
Blaise, mon cher Amy, dit-elle à son Epoux,
 Ne gastons rien par nostre impatience,
 Examinons bien entre nous
Ce qu’il faut faire en pareille occurence.
Remettons à demain nostre premier souhait,
 Et consultons nostre chevet.
Je l’entens bien ainsi, dit le bon homme Blaise,
Mais va tirer du vin derriere ces fagots.
A son retour il but, & goustant à son aise
 Prés d’un grand feu la douceur du repos,
Il dit, en s’appuyant sur le dos de sa chaise,
Pendant que nous avons une si bonne braise,
Une aune de Boudin viendroit bien à propos.
A peine acheva-t-il de prononcer ces mots,
Que sa Femme apperceut, grandement étonnée,
 Un Boudin fort long, qui partant
 D’un des coins de la cheminée,
 S’approchoit d’elle en serpentant.
 Elle fit un cry dans l’instant,
 Mais jugeant que cette avanture
 Avoit pour cause le souhait
 Que par bestise toute pure
 Son homme imprudent avoit fait,
 Il n’est point de pouille, d’injure,
 Que de dépit & de couroux
 Elle ne dist à son Epoux.
***
Quand on peut, disoit-elle, obtenir un Empire,
 De l’Or, des Perles, des Rubis,
 Des Diamans, de beaux Habits,
Est-ce alors du Boudin qu’il faut que l’on desire ?
Et bien, j’ay tort, dit-il, j’ay mal placé mon choix.
 J’ay commis une faute énorme,
 Je feray mieux une autre fois.
Bon, bon, dit-elle, attendez-moy sous l’orme.
Pour faire un tel souhait, il faut estre bien Bœuf.
L’Epoux plus d’une fois emporté de colere
Pensa faire tout bas le souhait d’estre Veuf,
Et peut-estre entre nous ne pouvoit-il mieux faire.
Les hommes, disoit-il, pour souffrir sont bien nez.
Peste soit du Boudin, & du Boudin encore.
 Plust à Dieu, maudite Pecore,
 Qu’il te pendist au bout du nez !
***
La Priere aussitost du Ciel fut écoutée,
Et dés que le Mary la parole lascha
 Au nez de l’Epouse irritée
 L’Aune de Boudin s’attacha.
Ce prodige impreveu grandement le facha.
La Femme estoit jolie, elle avoit bonne grace,
Et pour dire sans fard la verité du fait,
 Cet ornement en cette place
 Ne faisoit pas un bon effet,
Si ce n’est qu’en pendant sur le bas du visage
 Et luy fermant la bouche à tout moment
 Il l’empeschoit de parler aisément,
 Pour un Epoux merveilleux avantage.
 Je pourrois bien, disoit-il à part soy
Pour me dédommager d’un malheur si funeste,
 Avec le souhait qui me reste
 Tout d’un plein saut me faire Roy,
Rien n’égale, il est vray, la grandeur Souveraine,
 Mais encore faut-il songer
 Comment seroit faite la Reine,
Et dans quelle douleur ce seroit la plonger,
 De l’aller placer sur un Trône
 Avec un nez plus long qu’une aune.
 Il faut l’écouter sur cela ;
Et qu’elle-mesme elle soit la Maistresse
De devenir une grande Princesse,
En conservant l’horrible nez qu’elle a,
 Ou de demeurer Bucheronne,
Avec un nez comme une autre personne,
Et tel qu’elle l’avoit avant ce malheur-là.
***
 La chose bien examinée,
Quoy qu’elle sceust d’un Sceptre & le prix & l’effet,
 Et que quand on est couronnée
 On a toujours le nez bien fait,
Comme au desir de plaire il n’est rien qui ne cede,
 Elle aima mieux garder son Bavolet,
 Que d’estre Reine & d’estre laide.
Ainsi le Bucheron ne changea point d’estat ;
 Il ne devint point Potentat,
 D’écus il n’emplit point sa Bourse,
Trop heureux d’employer le desir qui restoit,
 Fraisle bonheur, pauvre ressource,
À remettre sa Femme en l’estat qu’elle estoit ;
 Tant il est vray qu’aux hommes miserables,
Aveugles, imprudens, inquiets, variables,
 Pas n’appartient de faire des souhaits,
 Et que peu d’entre eux sont capables
De bien user des dons que le Ciel leur a faits.

Reflexions morales de Madame des Houlieres §

Mercure galant, novembre 1693 [tome 14], p. 86-101.

 

Vous ne sçauriez voir assez souvent des ouvrages de l’Illustre Madame des Houlieres, à Mademoiselle Cheron dont tout Paris admire l’habileté pour la Peinture, ayant fait son Portrait depuis quelque temps, cela luy a donné lieu de faire des Reflexions que vous trouverez dignes d’elle, & aussi noblement exprimées, qu’on le peut attendre de ce merveilleux genie, qui la rend l’ornement de son Sexe & de son siecle.

REFLEXIONS MORALES
DE MADAME
DES HOULIERRES
Sur l’envie immoderée de faire passer son Nom à la Posterité.

La sçavante CHERON par son divin pinçeau
 Me redonne un éclat nouveau.
 Elle force aujourd’huy les Graces,
Dont mes cruels ennuis & mes longues douleurs,
Laissent sur mon visage à peine quelques traces,
 D’y venir reprendre leurs places.
Elle me rend enfin mes premieres couleurs.
 Par son art la race future
Connoîtra les presens que me fit la Nature,
Et je puis esperer qu’avec un tel secours,
Tandis que j’erreray sur les sombres rivages,
Je pourray faire encor quelque honneur à nos jours.
Oüy, je puis m’en flater ; plaire & durer toûjours
 Est le destin de ses ouvrages.
***
 Fol orgueil ! & du cœur Humain
 Aveugle & fatale foiblesse !
 Nous maîtriserez-vous sans cesse,
Et n’aurons-nous jamais un genereux dédain
Pour tout ce qui s’oppose aux loix de la sagesse ?
Non ; l’amour propre en nous est toûjours le plus fort,
Et malgré les combats que la sagesse livre,
On croit se dérober en partie à la Mort
 Quand dans quelque chose on peut vivre.
***
Cette agreable erreur est la source des soins
 Qui devorent le cœur des Hommes.
Loin de sçavoir jouir de l’état où nous sommes
 C’est à quoy nous pensons le moins.
Une gloire frivole & jamais possedée,
 Fait qu’en tous lieux, à tous momens,
 L’avenir remplit nôtre idée.
Il est l’unique but de nos empressemens.
Pour obtenir qu’un jour nostre nom y parvienne,
Et pour nous l’assurer durable & glorieux,
Nous perdons le present, ce temps si precieux,
Le seul bien qui nous appartienent
Et qui tel qu’un éclair disparoist à nos yeux.
Au bonheur des Humains leurs chimeres s’opposent.
 Victimes de leur vanité,
Il n’est chagrin, travail, danger, adversité,
 À quoy les mortels ne s’exposent
Pour transmettre leurs noms à la posterité !
***
 À quel dessein, dans quelles vuës,
 Tant d’obelisques, de portraits,
 D’Arcs, de Medailles, de Statuës,
De Villes, de Tombeaux, de Temples, de Palais,
 Par leur ordre ont-ils esté faits ?
D’où vient que pour avoir un grand nom dans l’Histoire
Ils ont à pleines mains répandu les bienfaits,
Si ce n’est dans l’espoir de rendre leur memoire
 Illustre & durable à jamais ?
***
 Il est vray que ces esperances
Ont quelque fois servy de frein aux passions ;
Que par elles les loix, les beaux Arts, les Sciences,
Ont formé les esprits, poly les Nations,
Embelly l’univers par des travaux immenses,
Et porté les Heros aux grandes actions.
 Mais aussi combien d’impostures,
 De Sacrileges, d’attentats,
D’erreurs, de cruautez, de guerres, de parjures,
A produit le desir d’estre aprés le trépas
 L’entretien des races futures !
Deux chemins differens & presque aussi battus,
Au Temple de Memoire également conduisent.
Le nom de Penelope & le nom de Titus
Avec ceux de Medée & de Neron s’y lisent.
 Les grands crimes immortalisent
 Autant que les grandes vertus.
***
 Je sçay que la gloire est trop belle
Pour ne pas inspirer de violens desirs.
Chercher, l’acquerir, & pouvoir joüir d’elle,
 Est le plus parfait des plaisirs.
Oüy, ce bonheur pour l’Homme est le bonheur suprême,
 Mais c’est là qu’il faut s’arrester.
Tout charmé qu’il en est, à quelque point qu’il l’aime,
Il a peu de bon sens quand il va s’entester
 De la vanité de porter
 Sa gloire au delà de luy mesme ;
Et quand toûjours en proye à ce desir extrême
 Il perd le temps de la goûter.
***
Encor si dans les champs que le Cocyte arrose
 Dépouillé de toute autre chose,
 Il estoit permis d’esperer
 De joüir de sa Renommée,
 Je serois bien moins animée
Contre les soins qu’on prend pour la faire durer.
Mais quand nous descendons dans ces demeures sombres,
 La gloire ne suit point nos ombres,
Nous perdons pour jamais tout ce qu’elle a de doux ;
 Et quelque bruit que le merite
La valeur, la beauté, puisse faire aprés nous,
Helas ? on n’entend rien sur les bords du Cocyte !
***
Par où donc ces grands noms d’illustres, de fameux,
Aprés quoy les mortels courent toute leur vie,
Avides de laisser un long souvenir d’eux,
 Doivent-ils faire tant d’envie ?
Est-ce par interest pour d’indignes Neveux
 Qui seuls de ces grands noms joüissent,
Qui ne les font valoir qu’en des discours pompeux,
Et qui toûjours plongez dans un desordre affreux,
 Par des lâchetez les flétrissent ?
***
De ces heureux Mortels qui n’ont point eû d’égaux
 Tel est l’ordinaire partage.
Traitez par la Nature avec moins d’avantage
 Que la plûpart des Animaux,
Leur Race dégénere, & l’on voit d’âge en âge
En elle s’effacer l’éclat de leurs travaux.
Des choses d’icy-bas c’est le vray caractere ;
Il est rare qu’un Fils marche dans le sentier
 Que suivoit un illustre Pere.
Des mœurs comme des biens on n’est pas heritier,
 Et d’exemple on ne s’instruit guere.
***
Tandis que le Soleil se leve encor pour nous,
 Je conviens que rien n’est plus doux
 Que de pouvoir sûrement croire,
Qu’aprés qu’un froid nuage aura couvert nos yeux,
 Rien de lâche, rien d’odieux,
 Ne souillera nostre memoire ;
 Que regrettez par nos amis
 Dans leur cœur nous vivrons encore ;
Pour un tel avenir tous les soins sont permis.
C’est par cet endroit seul que l’amour propre honore.
Il faut laisser le reste entre les mains du sort ;
Quand le merite est vray, mille fameux exemples
Ont fait voir que le temps ne luy fait point de tort,
 On refuse aux vivans des Temples
 Qu’on leur éleve aprés leur Mort.
***
Quoy, l’Homme, ce chef-d’œuvre à qui rien n’est semblable !
Quoy, l’Homme pour qui seul on forma l’Univers !
Luy, dont l’œil a percé le voile impenetrable
Dont les arrangemens & les ressorts divers
 De la Nature sont couverts !
Luy, des Loix & des Arts l’inventeur admirable !
Aveugle pour luy seul ne peut-il discerner,
Quand il n’est question que de se gouverner,
 Le faux bien du bien veritable ?
***
Vaine reflexion ! inutile discours !
 L’Homme malgré vostre secours
Du frivole avenir sera toûjours la dupe,
Sur ses vrais interests il craint de voir trop clair,
Et dans la vanité qui sans cesse l’occupe
Ce nouvel Ixion n’embrasse que de l’air.
 N’estre plus qu’un peu de poussiere
 Blesse l’orgueil dont l’homme est plein.
Il a beau faire voir un visage serein,
Et traiter de sang froid une telle matiere.
Tout dément ses dehors, tout sert à nous prouver,
Que par un nom celebre il cherche à se sauver
 D’une destruction entiere.
***
Mais d’où vient qu’aujourd’huy mon esprit est si vain ?
Que fais-je ! & de quel droit est-ce que je censure
 Le goût de tout le genre humain,
 Ce goût favory qui luy dure
 Depuis qu’une immortelle main
Du tenebreux cahos a tiré la Nature ?
Ay-je acquis dans le monde assez d’authorité
 Pour rendre mes raisons utiles,
Et pour détruire en luy ce fond de vanité
Qui ne luy peut laisser aucuns momens tranquilles ?
 Non, mais un esprit d’équité
À combattre le faux incessamment m’attache,
Et fait qu’à tout hazard j’écris ce que m’arrache
 La force de la verité.
***
 Hé, comment pourrois-je prétendre
De guerir les mortels de cette vieille erreur,
 Qu’ils aiment jusqu’à la fureur,
Si moy qui la condamne ay peine à m’en deffendre ?
Ce portrait dont Appelle auroit esté jaloux
Me remplit malgré moy de la flateuse attente
Que je ne sçaurois voir dans autruy sans couroux.
 Foible raison que l’Homme vante,
Voilà quel est le fond qu’on peut faire sur vous.
Toûjours vains, toûjours faux, toujours pleins d’injustices,
 Nous crions dans tous nos discours
Contre les passions, les foiblesses, les vices,
 Où nous succombons tous les jours.

[Dialogue] §

Mercure galant, novembre 1693 [tome 14], p. 118-120.

 

Voila comme les services sont toujours recompensez. On ne s’employe jamais inutilement à faire triompher le Roy. Outre le plaisir de bien remplir les devoirs d’un bon Sujet, & la gloire qui en est inseparable, il n’y a point d’actions d’éclat qui ne soient suivies de biens & d’honneurs sous le regne de Louis le Grand. Comme la justice est de son costé, ses Victoires sont toujours certaines. Voicy un petit Dialogue qui exprime bien la verité de ce qui se passe aujourd’huy.

LA RENOMMÉE
traversant l’Allemagne.

Impuissans Ennemis du grand Roy que je sers,
 Dont je porte par tout la gloire,
De vos Princes liguez apprenez le revers ;
 Je vais au bout de l’Univers
De LOUIS sur Nassau publier la Victoire.
De Rozes, d’Heydelberg à peine de retour,
Hüy m’engage à faire une course nouvelle.
 Nervvinde à son tour me rappelle,
Louis pour le repos ne me laisse aucun jour.
Assiegeant Charleroy sa conqueste est certaine,
Je parts, le temps me presse, & je n’auray qu’à peine
 Le loisir d’achever mon tour.

L’ENVIE.

Qu’entens-je, cruelle Ennemie ?
Quel bruit fatal viens-tu répandre dans ces lieux ?
 Quoy, Louis est victorieux,
 Malgré l’Enfer, malgré l’Envie.
 Nassau, qui m’avez mal servie,
Que me sert-il d’avoir versé dans vostre cœur
 Tant de haine & tant de fureur ?
Je n’auray donc formé vostre Ligue fatale,
 Que pour mieux servir ma Rivale
 Au triomphe de ce Vainqueur.
 Objet d’une indigne memoire,
Quand j’attaque Louis, mes coups tombent sous moy.
 Ah, par quelle invincible loy
Faut-il que ce soit moy qui le mene à la gloire ?

Sur la Campagne du Prince Loüis de Bade §

Mercure galant, novembre 1693 [tome 14], p. 121-123.

 

Je vous envoye deux Madrigaux, dont on a trouvé les pensées d’autant plus agreables, qu’elles sont tout à fait justes. Mr Diereville en est l’Auteur.

SUR LA CAMPAGNE
du Prince Loüis de Bade.

Bade, sur le Danube autrefois grand Heros,
Cherchoit les Ennemis, & leur faisoit la guerre ;
Aujourd’huy sur le Rhin dans un profond repos,
Il évite les coups, & se couvre de terre.
On ne reconnoist point le bras de ce Vainqueur,
Qui portoit chez les Turcs l’épouvante & l’horreur.
D’où vient ce changement dans cette ame guerriere ?
En voicy la raison ; il aime les hazards ;
Mais qui peut du Croissant approcher les regards,
Ne sçauroit du Soleil supporter la lumiere.

AU DUC DE CROY,
sur la levée du Siege
de Belgrade.

Quoy ! tu viens de lever le Siege de Belgrade ?
 C’est mal débusé, Duc de Croy,
Les Turcs se prévaudront d’une telle cacade,
Ta valeur dans leurs cœurs causera peu d’effroy ;
 On fera revenir de Bade,
Aussi-bien sur le Rhin se tient-il clos & coy.
Ta gloire eust esté loin sans une telle digue ;
Il faut t’en consoler, c’est une dure loy,
 Mais tous les Heros de la Ligue
 Ne sont pas plus heureux que toy.

[Cinquiéme partie des Forces de l’Europe] §

Mercure galant, novembre 1693 [tome 14], p. 144-146.

 

Je vous ay déja parlé des quatre parties des Forces de l’Europe, qui ont esté données au Public La cinquiéme vient de paroistre. On trouve d’abord une Table divisée en huit colomnes, dont les cinq premieres contiennent les noms des Plans qui y sont entrez. Ceux de la cinquiéme partie que l’on vient de mettre au jour, sont le Plan de Paris, trois feüilles du Canal de Maintenon, Lisle, Liege, Luxembourg, le Sas de Gand, Arras, les Forts de la Kenoque, François, & Loüis, les environs de Francfort, Heydelberg, Hailbron, Rheinfels, le Plan de Fribourg, la veuë de Fribourg, Basle, le Combat de Leuze & celuy de Steinkerke ; la Bataille de Neerwinde, Quebec assiegé par les Anglois, & Charleroy. Le Plan de Paris, qui se trouve à la teste de cette mesme partie, quoy que petit, ne laisse pas d’estre aussi correct que le grand, & il n’y manque ny ruës, ny ruelles, ny Culs de sac. Il est de la plus belle graveure qui ait jamais paru pour un Plan. Ces cinq parties se vendent à Paris chez l’Auteur, dans l’Isle du Palais, sur le Quay de l’Horloge, à la Sphere Royale. Il donnera d’année en année les trois parties qui restent pour achever ce grand Ouvrage.

[Tout ce qui s’est passé à l’Academie Françoise, le jour de la reception de Mr du Bois] §

Mercure galant, novembre 1693 [tome 14], p. 147-174.

 

Le Jeudy 12. de ce mois, Mr du Bois, celebre par les excellentes Traductions qu’il nous a données des Lettres de Saint Augustin, & de plusieurs Traitez de Ciceron, avec des Notes aussi curieuses que sçavantes, fut receu en l’Academie Françoise, à la place de feu Mr de Novion, premiere President au Parlement de Paris. Son Discours receut de grands applaudissemens, & il en estoit tres digne. Aprés avoir marqué avec beaucoup d’éloquence qu’il connoissoit tout le prix de l’honneur qu’on luy faisoit en l’admettant dans une Compagnie illustrée par les plus éminentes Dignitez de l’Eglise & de l’Etat, receuë dés sa naissance dans le sein du grand Cardinal de Richelieu, dont elle avoit partagé les soins & l’application, recueilie aprés sa mort par un Chancelier, d’un merite égal à sa dignité, & enfin adoptée par le Roy mesme, qui a bien voulu s’en declarer le Protecteur, & en établir le Siege jusque dans le Sanctuaire de la Majesté Royale, il dit que cet honneur estoit encore rehaussé par la place où il avoit peine à soutenir de se voir, quand il pensoit qu’on l’avoit veuë remplie par un Magistrat d’un merite qui l’avoit élevé jusqu’au faiste du plus auguste Tribunal de la Justice, d’un nom en possession des plus hautes dignitez de l’Epée aussi-bien que de la Robe, d’une fidelité hereditaire & inviolable pour son Roy, dans les temps les plus difficiles ; d’un esprit aisé ; d’une éloquence vive & concise ; & d’une capacité proportionnée à la grandeur de ses emplois, & dont les changemens de fortune n’avoient servi qu’à faire connoistre qu’il possedoit également, & les vertus de la vie privée, & celles de la Magistrature. Il ajoûta, en parlant de ce que Messieurs de l’Academie ont fait pour la Langue, en la fixant par le Dictionnaire qui est prest à voir le jour, que ce n’estoit que la moindre partie de ce que l’Eloquence leur devoit ; qu’ils en avoient banny ces affectations pueriles, qui estoient comme ses joüets dans l’enfance où ils l’avoient trouvée, & tout ce faste d’érudition, qui n’estoit qu’un supplement à la disette des pensées ; qu’ils luy avoient osté cette vaine parure de grands mots qui entretenoient la fausse idée qu’on s’en estoit faite au commencement de ce Siecle, & qu’ils l’avoient reduite à cette noble simplicité, qui sure de son prix & de son merite, dédaigne tous les ornemens étrangers ; qu’enfin ils avoient appris au Public, que pour parler éloquemment il ne faut que sçavoir la Langue, & bien penser, & que le discours le plus parfait est celuy où la sublimité & la continuité des pensées laisse le moins faire d’attention aux paroles, & que la seule necessité de passer par les sens pour aller à l’esprit, rend different du langage des Anges. Il passa de là à l’Eloge de nostre Auguste Monarque, & dit que bien loin de chercher à relever l’éclat de ses actions par les secours de l’Eloquence, on n’estoit en peine que de le temperer jusqu’à la portée de nos yeux. Et quels yeux, continua-t-il, ne seroient ébloüis de ce que le zele & l’amour de la Religion, autant que le soin de sa gloire & de son Estat, luy font faire pour rompre les efforts d’une Ligue, qui par une espece d’enchantement, a sceu réunir tant d’interests opposez, & de Religions differentes, & soulever contre luy presque toutes les Puissances de l’Europe ? Mais à quoy a-t-elle servi, qu’à tirer la valeur du Roy de la contrainte où sa moderation la tenoit depuis long-temps, & à faire voir par les Conquestes qu’il fait sur tant d’Ennemis assemblez, ce qu’il pourroit contre chacun ? Combien de succez sur terre & sur mer dans cette derniere Campagne ! Combien de Villes conquises ! Combien de Batailles gagnées ! Et quelle Victoire plus glorieuse & plus complette que celle que le Roy vient de remporter en Piedmont ? En quel estat reduit-elle un Prince, qui fier d’une Puissance empruntée, a osé se mesurer à celle de nostre Maistre ? Heureux, si ses disgraces pouvoient luy faire comprendre qu’il n’y a de salut pour luy, que dans les bonnes graces du Roy ! Toute la vie de ce grand Monarque est pleine de pareils Miracles, mais j’ose dire que ce qui fait la gloire des autres Princes nuit à la sienne, & qu’il y a toûjours à perdre pour luy, lors que par le bruit de ses Exploits, il détourna nostre attention de ses Vertus interieures. Quel spectacle offrent-elles aux yeux de l’esprit ? Quel prodige, que l’Alliance qu’il a sceu faire dés ses premieres années du Souverain pouvoir, & de la souveraine moderation ! Quel spectacle encore une fois, qu’un pouvoir sans bornes sous le joug de la raison, & si parfaitement assujetti aux Loix les plus severes, je ne dis pas de l’humanité, mais de l’honnesteté mesme & de la politesse, que dans toute la vie du Roy, il ne luy est pas échapé une seule parole qui pust contrister le moindre de ceux qui ont l’honneur de l’approcher ! Voila ce qui acheve dans le Roy, le caractere d’un veritable Heros, & qui le distingue si noblement de ces faux Heros, dont toute la vertu n’est que hauteur & ferocité. Si l’on tient compte aux autres hommes de ce qu’il paroist de moderation en eux, quoy que ce ne soit dans la plus part que l’effet de leur foiblesse & de leur impuissance, qui peut jamais assez admirer celle d’un Prince qui n’a qu’à vouloir, & en qui elle n’a point d’autre frein que sa Sagesse ? Quelle autre Vertu se soûtiendroit si elle estoit mise à une telle épreuve, & qui est ce qui ne succomberoit pas quelquefois à l’envie trop naturelle de faire sentir, aux dépens mesme de l’humanité, qu’on est le Maistre ? Mr du Bois finit en disant à Mrs de l’Academie, qu’ils devoient à la posterité, le Portrait de cette grande Ame, & que c’estoit à eux à luy transmettre pour l’instruction des Rois, ce que nous admirons le plus dans le nostre.

Mr l’Abbé Testu de Mauroy, ancien Aumosnier de Madame, & alors Directeur de l’Academie, répondit à ce discours d’une maniere qui fit connoistre qu’il estoit tres digne de l’avantage qu’il avoit de parler au nom de la Compagnie. Il dit d’abord à Mr du Bois, que l’Academie Françoise, également sensible à la perte & à l’acquisition des Sujets qui la composent, ouvroit ce jour-là ses Portes, pour témoigner publiquement sa joye & sa douleur, asseurée que soit qu’elle celebrast le merite du Défunt Illustre dont il remplissoit la place, soit qu’elle couronnast le sien, elle trouveroit autant d’approbateurs, qu’il y avoit de personnes distinguées dans la Republique des Lettres. Il ajoûta au Portrait qui avoit esté déja fait des rares qualitez de feu Mr de Novion, l’Eloge qui estoit deu à la sagesse qui l’avoit fait descendre du haut degré où l’avoit élevé son merite, en le mettant à la teste du plus auguste Senat du monde. Il n’est pas ordinaire, dit-il, de trouver des personnes capables des grands Emplois. Il l’est moins encore de leur voir garder une juste moderation, lors qu’ils y sont une fois établis, mais il est surprenant qu’ils renoncent à l’autorité, aprés en avoir goûté les charmes. Le poids des années a beau survenir à celuy des grandes Affaires ; ils traînent les Liens d’Or & de Pourpre qui les attachent, sans avoir la force de les rompre, & si par un bonheur qui n’arrive presque jamais, ils entrevoyent l’Innocence & la douceur de la vie privée, c’est toûjours si inutilement & si tard, que la seduction de cette même autorité qui leur a fait tout entreprendre, ne leur sçauroit permettre de la quitter. Il passa de là à l’avantage que Mr du Bois avoit eu d’être Gouverneur de-feu Mr le Duc de Guise, Neveu de Mademoiselle de Guise, qui avoit bien voulu se servir de ses Conseils en toutes sortes d’occasions, & en parlant des productions de son genie, il dit qu’elles n’estoient plus entierement à luy, & que ces fidelles Traductions des Lettres, des Confessions, & des autres Ouvrages de Saint Augustin que le Public a receus avec tant d’applaudissement, les Offices de Ciceron, ses beaux Traitez de l’Amitié, de la Vieillesse, & des Paradoxes si ingenieusement enrichis de Remarques également pieuses & sçavantes, estoient un bien que l’Academie avoit droit de partager avec luy. Il ajousta qu’il la trouveroit appliquée à composer une Grammaire de nostre Langue, & sur le point de publier son Dictionnaire, mais que ce qui l’occupoit davantage, estoit le soin de travailler à la gloire du plus grand Roy du monde. Que le Prince ambitieux, poursuivit-il, qui a déja seduit la plus grande partie des Puissances de l’Europe, acheve de multiplier les forces de ses Alliez, Loüis le Grand a trois Puissances avec quoy il reduira toutes celles de la terre, sa Teste, le Bras de ses Generaux, & le Cœur de ses Peuples. Avec cela, point de Conseils qu’il ne dissipe point de Forteresse qu’il ne foudroye, point de Victoire qu’il ne remporte. Roches escarpées que la situation rend audacieuses, vous n’estes plus imprenables Fameuses journées de Staffarde, de Steinkerque, de Neerwinde, de la Marsaille, vous serez éternellement memorables par la honte & par la défaite entiere de ses Ennemis. Voiles innombrables, qui occupiez tout l’Ocean pendant cette derniere Campagne, & qui menaçiez si fierement nos Costes, fuyez, rentrez dans vos Ports, le Frere de Loüis le Grand est trop prés de vous. Il finit en disant à Mr du Bois, qu’il devoit se souvenir qu’un Academicien est un homme consacré à la Gloire du Roy, & que si ceux qui sont témoins de ses grandes Actions ont tant de peine à publier dignement le prodiges de son Regne, la Posterité n’en aura pas moins à les croire.

Ces deux Discours ayant esté prononcez, Mr l’Abbé Tallemant leut une suite du Poëme de la Creation du monde de Mr Perraut. C’estoit l’endroit du Deluge. On y trouva des descriptions tres-vives. Il leut ensuite les Vers que je vous envoye. Ils sont de Mr Boyer, & furent extremement applaudis.

À Mr LE MARESCHAL
DE CATINAT.

 Trop foible pour pouvoir suffire
 À chanter les fameux Exploits,
 Par qui le Roy, vangeur des Rois,
Voit croistre tous les jours son Nom & son Empire,
Ma Muse fatiguée estoit presque aux abois ;
Cependant, Catinat, ta derniere Victoire
Me force, malgré moy, de donner à ta gloire
Le reste languissant d’une mourante voix.
 Un Prince infidelle à la France,
 Rompant une auguste Alliance,
Pour s’unir à la Ligue expose ses Etats,
Embrasse aveuglement son projet témeraire,
Et sur une pompeuse & brillante chimere,
Se preste contre nous à tous ses attentats.
***
Esclave ambitieux des secours qu’on luy donne,
Il laisse Amis, Sujets, & sa propre personne,
 Gemir sous un joug inhumain ;
 Et voit avec indifference,
Tous ses Voisins en proye à l’injuste licence,
À toutes les fureurs du barbare Germain.
LOUIS qui des Tirans aime à purger la terre,
Choisit sans balancer, & trouve en luy la main
Qui pouvoit sagement gouverner son Tonnerre.
***
Ouy, c’est par toy, genereux Catinat,
Que ton Roy veut forcer l’azile impenetrable,
Où nous voyons l’orgueil d’un Prince ingrat
 Oser braver sa foudre inévitable,
Pour le combattre & vaincre seurement,
Il oppose ton zele à son ingratitude,
 Ta patience à son inquietude,
 Et ta sagesse à son emportement.
***
 Avec ces armes invincibles
 On te voit à chaque moment,
Pour chercher l’Ennemy qui t’attend fierement,
 Percer des lieux inaccessibles.
 Tous les ans les plus beaux Lauriers
 Cueillis sur des rochers horribles,
 Couronnent tes exploits guerriers.
Lors que de l’Ennemy les Troupes trop nombreuses,
 De nos armes victorieuses
 Bornant le cours précipité,
 Te reduisent à la défense ;
 L’infatigable vigilance,
 Et la sage intrepidité,
Font contre leurs efforts de puissantes barrieres,
 Et redonnent à nos Frontieres
 Leur premiere tranquillité.
C’est alors que sçavant dans cet Art militaire,
Qui sçait gagner du temps, & semble ne rien faire,
 Quand il agit avecque moins d’éclat,
 Tu méditois ta derniere Victoire,
Et préparois si bien le succés du Combat,
Qu’elle t’a fait joüir de tout ce que la gloire
A de plus precieux & de plus delicat.
***
La Victoire jamais ne se montra si belle,
Tu nous la fais paroistre avec tous ses appas.
On la voit quelquefois aux deux partis cruelle,
Balancer le succés, & ne s’expliquer pas.
Aujourd’huy toute entiere à ton party fidelle,
Elle sçait ménager le sang de nos Soldats ;
 On ne murmure plus contre elle,
Et ce n’est que pour toy, dés que ta voix l’appelle,
Qu’elle suit d’un plein vol tes ordres & tes pas.
***
Elle est entre tes mains juste, modeste, sage,
 Et de tant d’Ennemis défaits,
 Ne veut tirer autre avantage,
 Que d’estre enfin l’heureux passage
Des fureurs de la Guerre aux douceurs de la Paix.
***
Pour remplir de Louis le destin heroïque,
Songe qu’estre à la fois Roy, Conquerant, Vainqueur,
Que tout ce que ces noms ont de plus magnifiques,
N’égale point le nom de Pacificateur.
Pour répondre à ses vœux ose tout entreprendre,
 Il faut que ta teste ou ton bras
 Forcent l’Ennemy de se rendre ;
Que sa perte, ou la Paix, finissent nos Combats.
Acheve, si l’ingrat ose encor se défendre,
 La Paix se prépare à descendre.
Que l’Ennemy la voye, & n’en joüisse pas.
***
Ou plûtost secondant la grandeur de courage,
Dont ton Roy fit toujours un si parfait usage,
Quelque ardeur, quelque espoir qui presse ta valeur,
Croy qu’entre ses vertus la bonté dans son cœur
 Occupe la premiere place.
Dans quelque extremité, dans quelque grand malheur
 Que le Vaincu demande grace,
Nostre puissant Monarque est prest à la donner ;
En faveur de la Paix ménage sa Victoire.
Vaincre pour ce Heros est une moindre gloire,
 Que la gloire de pardonner

[Histoire] §

Mercure galant, novembre 1693 [tome 14], p. 197-227.

 

Quelque malheureux qu’on soit, il faut tascher de se mettre au dessus de ses malheurs sans s’en laisser trop abattre. Il vient souvent des ressources d’où l’on en doit esperer le moins, & l’étoile qui nous a esté long-temps contraire, change tout à coup la malignité de ses influences. Un Cavalier né avec toutes les qualitez estimables qui font l’honneste homme, avoit fait de longs efforts pour vaincre l’injustice de la fortune, qui ne luy ayant donné aucun bien, sembloit obstinée à s’opposer à tous les moyens qu’il pouvoit tenter pour en acquerir. On l’estimoit à la Cour, mais il n’avoit pû y reussir dans ce qui luy estoit propre, & beaucoup d’affaires où il avoit quelque part, s’estoient toujours terminées par de si mauvais succez, qu’on pouvoit dire que c’estoit assez qu’il eust interest à une chose pour croire qu’elle échoueroit. Comme sa naissance estoit fort considerable, & qu’il avoit l’esprit doux, fin, aisé, & insinuant, ses Amis, luy persuaderent qu’en faisant briller parmy le beau sexe les heureux talens qui le distinguoient de la pluspart de ceux de son âge, il se tireroit d’affaires par un mariage avantageux, & trouveroit quelque Fille riche & raisonnable, qui s’attachant au merite preferablement à tout, ne regarderoit en luy que sa personne. Son genie estoit assez porté de ce costé-là. Il se mit dans le commerce des Femmes, & il en fut vû d’une maniere agréable. Il se faisoit peu de parties galantes & de divertissement, où il ne fust appellé. Il estoit l’ame de la conversation, & ces parties finissoient toujours trop tost par la joye qu’il répandoit dans tous les lieux où il vouloit se trouver. Grand agrément par tout à le recevoir, mais nulle foiblesse du costé du cœur. Toutes celles dont la fortune auroit pû l’accommoder se tenoient fort reservées sur les declarations qu’il leur pouvoit faire, & les témoignages du plaisir qu’elles prenoient à le voir, ne passoient point certains obligeans dehors qui n’alloient jamais à l’essentiel. Ainsi il passoit d’agréables jours, mais ses affaires n’en estoient pas dans un meilleur ordre. Parmy les Dames qu’il voyoit souvent, il examina une aimable Brune qui parlant bien moins que toutes les autres, ne disoit rien que de juste quand il falloit qu’elle répondist. La Belle de son costé estoit pour luy dans la mesme attention, & en faisant ses reflexions, elle luy trouvoit un genie si superieur à tous les autres, qu’il n’y avoit que luy seul à qui elle eust voulu donner toute son estime. Le Cavalier qui crut voir en elle quelque chose de solide qu’il ne voyoit point ailleurs, la voulut connoistre mieux, & prenant plaisir à l’entretenir, il découvrit des sentimens si nobles & si élevez, & tant de droiture d’ame, qu’insensiblement son plus grand plaisir fut de luy marquer la vraye estime qu’il avoit pour elle. Il luy rendoit de plus frequentes visites qu’à toutes les autres, & on ne manqua pas de dire bien-tôt qu’il en estoit amoureux. Il n’auroit pas eu de peine a le devenir si sa raison l’eust permis, mais quand la Belle auroit voulu écouter sa passion, le mariage n’auroit pû servir qu’à les rendre l’un & l’autre malheureux, puisque n’ayant qu’un bien mediocre, qui ne suffisoit que pour elle seule, elle n’eust pû l’épouser, sans le mettre encore dans un estat plus fâcheux que celuy où il estoit. Elle estoit bien aise de s’en voir aimée, & les soins qu’il luy rendoit avoient quelque chose qui flattoit sa vanité ; mais ne voulant en luy qu’un Amy, elle veilloit sur son cœur pour l’empêcher d’aller jusques à l’amour, & en s’attirant sa confiance, elle ne cherchoit rien au delà. La conformité d’humeur ne pouvoit estre plus grande qu’elle se trouvoit entre eux, & le Cavalier luy disoit sincerement que la connoissant comme il faisoit, il ne murmuroit de sa mauvaise fortune, que parce qu’il ne pouvoit luy offrir un rang qui luy seroit peut estre agreable, s’il avoit de quoy le luy faire soutenir. La Belle qui n’estoit pas moins genereuse, l’assuroit avec la mesme sincerité, que si elle avoit cent mille écus, elle l’en feroit le maistre, mais qu’il falloit qu’ils se contentassent d’estre Amis, c’est à dire, de ces Amis qui ne changent point, & qui n’ont en veuë que les avantages de la personne qu’ils aiment. Ils s’en faisoient tous les jours d’assez forts sermens ; & la Belle qui se fust fait une joye sensible de tirer le Cavalier de mille embarras que luy causoit son peu de fortune, fit ce qu’elle put pour luy faire épouser une assez riche Heritiere, des Parens de qui elle estoit Amie. La chose alla mesme assez avant, & l’affaire estoit sur le point de se conclure, quand un Marquis vint à la traverse, & renversa le projet qui avoit esté formé. Il fut préferé par l’Heritiere, qui se laissa ébloüir du titre, & qui d’ailleurs trouvoit un Mary avec quinze mille livres de rente. Le Cavalier aussi obligé à l’aimable Brune, que si elle étoit venuë à bout de son entreprise, faisoit pour elle l’office d’un vray Amy en publiant son merite, & tâchant mesme d’engager à sa recherche certaines personnes qui pouvoient luy faire de grands avantages. Elle ne put le sçavoir sans luy en faire des plaintes. Elle luy marqua obligeamment qu’en luy cherchant un party avantageux, il ne sçavoit pas jusqu’où alloit sa delicatesse ; qu’il l’avoit accoutumée à connoistre ce qui estoit digne de toucher un cœur bien fait, & qu’à moins qu’elle ne trouvast quelqu’un qui luy ressemblast, ce seroit toujours inutilement que la fortune s’offriroit à elle. Des sentimens si honnestes avoient de grands charmes pour le Cavalier, qui estant toujours d’une humeur fort agreable, dit un jour dans une assez grande Compagnie, où l’enjoüement donnoit beaucoup de vivacité à la conversation, qu’il avertissoit qu’il alloit faire une Lotterie, dont le nombre des Billets n’estoit pas encore reglé. Chacun luy promit d’en prendre, & on fut surpris d’entendre dire qu’il n’y en auroit que pour les Femmes, & non pas pour toutes, parce qu’il y en avoit d’une espece à qui ce qu’il y avoit à gagner n’estoit pas propre. On raisonna fort longtemps sur ce que ce pouvoit estre, & chacun en pensa ce qu’il voulut, sans qu’on le pust obliger à s’expliquer mieux. Quelques jours aprés s’estant trouvé seul avec plusieurs Femmes, elles luy parlerent de sa Lotterie. Il répondit qu’il l’avoit reglée ; qu’il y avoit dix mille Billets, chacun de cent francs, qu’il ne feroit qu’un seul lot, que s’il donnoit pour cent mille Francs, la chose qu’il livreroit à celle qui auroit ce lot, il l’estimoit beaucoup davantage, mais que dans la necessité des affaires il y avoit certains temps ou l’on trafiquoit de tout ; qu’ainsi elles n’avoient qu’à avertir leurs Amies, afin qu’elles envoyassent prendre des Billets, & qu’il y auroit une fidelité entiere dans la distribution qui s’en feroit. Ce fut une nouvelle Enigme pour toutes Dames, & aprés qu’il eut dit cent choses plaisantes sur sa Loterie, il leur declara que ce qu’il mettroit pour ce lot unique, estoit sa liberté qu’il estimoit beaucoup au de là de cent mille francs, & qu’il promettoit d’épouser celle qui l’auroit gagné. On connut par cet éclaircissement pourquoy il n’y avoit qu’un nombre de Femmes à qui sa Loterie pouvoit convenir, puisque la pluspart en estoient excluës par le mariage. Cette imagination de faire un gros Lot de sa personne leur parût à toutes une chose si plaisante qu’elles demeurerent d’accord qu’il meritoit les cent mille francs, à quoy il avoit voulu en fixer le prix. La plaisanterie fit en peu de temps un fort grand bruit dans la Ville. Le Cavalier la soutint avec autant de galanterie qu’il montroit d’esprit, & tout ce qui s’en disoit luy donnoit de plus en plus occasion de badiner agreablement sur sa Lotterie. On en parloit depuis quelques jours, lors qu’un Inconnu vint le trouver, & luy demanda trente billets sous le nom de la Dame enchantée du vray merite. En mesme temps il tira une bourse, & voulut compter mille écus au Cavalier, qui prenant la chose pour un jeu de quelque Dame de sa connoissance qui avoit dessein de se divertir, se contenta de répondre, qu’il mettroit son nom sur son registre, pour faire une boëte de trente billets, sur laquelle on écriroit Numero premier, & que l’on distribueroit dans un certain temps avec les autres. L’Inconnu luy repliqua qu’il avoit ordre de laisser l’argent s’il ne trouvoit point les billets prests, & qu’il reviendroit au premier jour demander sa boëte. En disant cela, il jetta la bourse sur une table, & tandis que le Cavalier alla la prendre pour la luy remettre entre les mains, il s’échapa sans luy rien dire de plus. Le Cavalier surpris de cette avanture, crut que quelque personne officieuse, le sçachant dans l’embarras, avoit voulu l’en tirer par ce moyen, qui luy épargnoit la peine que cause toujours l’apprehension d’estre refusé quand on emprunte. Il alla conter à son Amie ce qui venoit de luy arriver, & quelque raisonnement qu’ils fissent, ils ne sceurent l’un ny l’autre sur qui jetter leurs soupçons, ny convenir du motif qui luy avoit fait envoyer les mille écus. La Belle luy soutenoit qu’il y avoit de l’amour meslé là dedans, & il ne vouloit pas assez présumer de luy pour en demeurer d’accord. Ce qu’ils penserent tous deux c’est que l’avanture auroit de la suite. Le Cavalier ne la cacha pas, & se retranchant sur sa Lotterie, il ne voyoit aucune jolie personne à qui il ne dist d’un air enjoüé qu’elle devoit se haster de retenir des Billets, parce que le gros lot estoit couru. On prenoit cela pour une chose inventée qu’il disoit exprés pour soutenir la plaisanterie, mais huit jours aprés, le mesme Inconnu revint, & luy dit qu’il n’estoit plus question de trente Billets, & qu’il venoit prendre les dix mille, parce que la Dame dont il luy avoit parlé, vouloit estre seure d’emporter le Lot. Ces paroles avoient besoin d’explication, l’Inconnu la donna au Cavalier, en luy disant qu’une Veuve extremement riche, touchée de sa réputation & de son merite, dont elle estoit particulierement informée, & connoissant d’ailleurs sa personne, estoit résoluë de l’épouser, si son âge un peu avancé ne l’empêchoit point d’y consentir ; qu’elle passoit cinquante ans, quoy qu’elle ne parust pas les avoir ; que son humeur estoit douce, son esprit aisé & sociable, & que n’ayant point d’Enfans, ny aucun sujet de vouloir du bien à ses Heritiers, elle luy donneroit non seulement cinquante mille écus en argent comptant, mais encore tous ses meubles, qui estoient considerables, sans compter beaucoup d’autres avantages qu’il en pouvoit esperer, selon la conduire qu’il tiendroit. Le Cavalier pressa l’Inconnu de luy apprendre le nom de la Dame, & il répondit qu’il ne le sçauroit que d’elle-mesme, & que s’il vouloit penser serieusement à cette affaire, il viendroit le prendre le lendemain pour le conduire chez elle, où ils s’expliqueroient l’un à l’autre sur ce que chacun pourroit souhaiter. L’heure fut donnée pour cette visite & le Cavalier alla consulter son Amie à l’ordinaire, sur le mariage qui luy estoit proposé. La Belle ne balança point à luy dire, que dans l’estat où il se trouvoit, il falloit, quelque repugnance qu’il sentist, s’atacher à la fortune, puis qu’elle s’offroit à luy d’une maniere si favorable, mais qu’il s’y falloit attacher en honneste homme, c’est à dire, que s’il épousoit la Veuve, il devoit tâcher à mettre pour elle dans son cœur plus que de l’estime & de la reconnoissance. La vieillesse de la Dame, qu’il croyoit âgée de plus de soixante ans, luy faisoit beaucoup de peine, & l’habitude qu’il avoit prise avec de jeunes personnes, luy rendoit tout autre commerce fort peu agreable, mais son Amie luy dit fortement qu’il ne falloit point écouter son goust ; & elle ajoûta que comme les vieilles personnes sont fort susceptibles de jalousie, s’il arrivoit que la Veuve montrast de l’inquietude pour les marques d’amitié qu’il luy donnoit par ses soins, il faudroit, ou qu’il cessast de la voir, ou qu’il ne la vist que fort rarement. Le Cavalier ne put passer cet article, & fut mené chez la Veuve, dont il se trouva beaucoup plus content qu’il ne l’avoit esperé. La Dame n’avoit rien de dégoustant, & toutes ses manieres estoient d’une Femme qui meritoit une vraye estime. Elle dit au Cavalier, qu’aprés un Veuvage de quinze ans, pendant lequel on ne luy pouvoit reprocher la moindre affaire, il devoit estre surpris qu’elle voulust se remarier, mais que ceux qui attendoient sa succession, en avoient toujours si mal usé avec elle, qu’ils l’avoient forcée en quelque sorte à prendre cette résolution, & qu’ayant à faire un choix, elle avoit crû ne pouvoir contribuer à la fortune d’un plus honneste homme ; que cependant il ne falloit point qu’il se contraignist, & qu’il pouvoit prendre autant de temps qu’il voudroit pour se consulter sur ce mariage. Le Cavalier trouva tant d’honnêteté dans tout ce que la Veuve luy dit, qu’il parut que son cœur parla quand il l’assura qu’il vouloit tout tenir d’elle, & qu’elle pouvoit dés ce moment, comme maistresse absoluë, ordonner du temps où elle souhaiteroit que l’affaire se conclust. Elle plaisanta sur la Lotterie qui luy avoit donné lieu de penser à luy, & sans rien vouloir précipiter, afin qu’il eût le temps de la mieux connoître, elle le laissa un mois entrer dans la liberté d’examiner s’il pourroit vivre heureux avec elle. Ainsi ce fut luy qui la pressa aprés des visites assiduës où il témoignoit ne s’ennuyer pas. Enfin elle fit dresser le Contract avec tous les avantages qu’il luy estoit permis de luy faire. Les cinquante mille écus luy furent comptez, & elle choisit le jour pour le Mariage, mais une fiévre qui la surprit tout à coup, le fit differer. Les accez en furent rudes, & donnerent lieu d’apprehender pour sa vie. Le Cavalier ne la quittoit point, & les soins qu’il prenoit d’elle luy furent si agreables, que comme il gagnoit beaucoup en l’épousant, s’estant trouvée avec un peu plus de tranquillité pendant quelques jours, elle fit faire la Ceremonie du Mariage dans sa Chambre, pour mourir au moins avec la satisfaction d’estre sa femme, si les remedes ne pouvoient faire cesser la langueur où son mal la reduisit. Le Cavalier devenu Mary, redoubla ses soins avec les marques les plus obligeantes du veritable interest qu’il prenoit en elle, mais ils ne purent la tirer d’affaire, & tout l’Art des Medecins s’estant trouvé inutile, elle succomba à sa langueur aprés avoir resisté pendant trois mois. Les empressemens du Cavalier pendant cette maladie, furent assez bien recompensez. La Veuve luy donna encore une Cassette où il y avoit beaucoup d’argent & des Diamans, & avec les Meubles qu’on ne luy put disputer, il se trouva riche de cent mille écus. Vous jugez bien qu’aimant autant qu’il faisoit l’aimable Brune, il l’en rendit la maistresse. Il l’a épousée depuis quelque temps, & fait pour elle ce qu’il estoit assuré qu’elle auroit fait pour luy avec joye, si la fortune luy avoit esté aussi favorable.

[Compliment fait au Roy par le Pere Alexandre, Jacobin] §

Mercure galant, novembre 1693 [tome 14], p. 251-255.

 

Mr l’Archevesque de Paris, qui se fait un plaisir d’honorer les Gens de Lettres de sa bienveillance & de sa protection, & de faire connoistre à Sa Majesté ceux qui travaillent utilement pour l’Eglise, fit l’honneur au Pere Alexandre de le presenter au Roy. Ce Pere se servit de ces termes dans le compliment qu’il fit à Sa Majesté,

SIRE

Un Ouvrage qui explique tous les Mysteres & toutes les Veritez de nostre Religion, tous les points & toutes les maximes de la Morale Chrestienne, devoit estre dedié à un Prince qui a toûjours protegé l’Eglise, qui a aimé la Justice & hay l’iniquité, depuis que Dieu l’a sacré d’une huile miraculeuse, pour estre le plus Grand des Rois, le Defenseur de la Foy, le Conservateur de la France, & le Vainqueur des Nations. Cet Ouvrage qui sera porte dans tout le monde Chrétien rempli de la grandeur de vostre Auguste Nom, étonné de vostre sagesse incomparable, de vostre valeur heroïque, & du glorieux succez de vos Armes toûjours victorieuses & toûjours invincibles, fera connoistre partout que j’ay fait mon devoir en le presentant au plus grand Monarque de la terre, qui unit en sa Personne Sacrée, la pieté & le zele du Sacerdoce avec toutes les Vertus Royales. Ces Livres publieront en mesme temps le tres-profond respect que j’ay pour Elle, & mon attachement tres-fidelle à son service, pendant que je continueray d’offrir mes Vœux à Dieu pour sa conservation si necessaire à l’Eglise & à l’Etat, & que je le prieray avec toute la ferveur qui me sera possible, de verser à pleines mains ses benedictions sur la Maison Royale, & sur les Armes de Vostre Majesté, pour la mettre en état par une suite de Victoires, de donner la Paix à l’Europe, & d’en faire goûter les fruits à vostre Peuple, selon les desirs que l’Esprit de Dieu forme dans vostre Cœur tres-Chrestien.

Le Roy luy fit l’honneur de luy répondre, qu’il souhaitoit que ce qu’il venoit de luy dire arrivast bien-tost ; que Mr l’Archevesque l’avoit informé de l’utilité de ses Ouvrages, & de sa conduite ; qu’il luy donneroit des marques de son estime, & qu’il se recommandoit à ses Prieres.

[Etat des Regimens de Carabiniers] §

Mercure galant, novembre 1693 [tome 14], p. 255-261.

 

Vous ne serez pas fachée d’apprendre ce qui suit touchant les Carabiniers du Roy, dont je vous ay déjà parlé. Le Régiment est composé de cent Compagnies de Carabiniers, de trente Maistres chacune, faisant en tout trois mille Carabiniers & quatre cens Officiers, y compris le Mestre de Camp en pied, les cinq Mestres de Camp sous luy les cinq Lieutenans Colonels, les cinq Majors, & les cinq Aides Majors. Ils feront vingt Escadrons de cinq Compagnies chacun, dont il y en aura deux des vieux Regimens & trois des nouveaux .

le Mestre de Camp en pied aura l'inspection sur tout le Regiment, & les autres l'auront seulement sur vingt Compagnies faisant quatre Escadrons, & cela par police & pour la commodité du service, car ils auront aussi autorité sur tout également selon leurs emplois & leur ancienneté, aussi bien que les Lieutenans Colonels, le Majors & les Aides Majors.

Quand on separera le Regiment dans differentes armées, on mettra toujours un Mestre de Camp pour commander les differens Corps, & les autres Officiers de l'Estat Major à proportion.

Le service se fera comme les Carabiniers l'ont fait jusques à present, tant pour les Gardes que pour les détachemens.

Les Compagnies seront entretenuës par tous les Regimens François de Cavalerie qui fourniront à tour de Rôle les Recruës necessaires, tant pour les Officiers que pour les Cavaliers à moins que le Roy n'en ordonnast autrement.

Le Regiment sera habillé de bleu doublé de rouge, les Cavaliers d'un bon drap uny, & les Officiers de mesme, à la reserve des Boutons d'argent filé qu'ils auront, & un galon d'argent sur les manches, & au Colet des manteaux qui seront bleus comme ceux des Cavaliers.

Le Chapeau sea bordé d'un Galon d'argent plus large que celuy des Cavaliers.

Les Housses des Cavaliers bleuës, toutes unies, bordées d'un galon de soye blanche, & les Bourses de Pistolets tout de mesme ; leur Ceinturon de Buffle avec un bord de cuir blanc & la Bandouliere de mesme ; les Gands & des Cravates noires. Les Officiers en auront aussi, excepté que ce qui est blanc aux Cavaliers ils l'auront d'argent, Les estrieres des Chevaux propres & toutes unies ; des Bossettes dorées toutes unies aussi ; des Epées de mesme longueur & largeur, des Carabines rayées pareilles, & tout ce qu'il faut pour les charger, observant d'avoir des bales de deux Calibres, les unes pour entrer à force avec le marteau & la baguette de fer, & les autres plus petites pour recharger plus promptement si on en a besoin.

Les Pistolets les meilleurs qu'on pourra trouver de quinze pouces de longueur.

Les Chevaux tous de mesme taille, à longue queuë, & l'ayant retroussée de mesme, sans rubans ny trousse-queuë.

À chaque quatre Escadrons il y aura un Timbalier à la Compagnie du Mestre de Camp, habillé de la Livrée du Roy, sans or ny argent, aussi-bien que les Trompettes de toutes les Compagnies.

[Caracteres des Femmes du Siecle] §

Mercure galant, novembre 1693 [tome 14], p. 268-270.

 

Si quand les Dames se mêlent d’écrire, elles ont une finesse & une delicatesse d’esprit qui leur est naturelle, & que les hommes ont de la peine à imiter, elles réussissent encore mieux, lors qu’elles traitent des matieres dont elles ont une connoissance particuliere. C’est ce que vient de faire Madame de Pringy, en nous donnant les differens caracteres des Femmes du siecle, avec la description de l’Amour propre, contenant six caracteres, & six perfections.

Caracteres.

Les Coquettes. Les Bigotes.

Les Spirituelles. Les Oeconomes.

Les Jalouses. Les Plaideuses.

Perfections.

La Modestie. La Pieté.

La Science. La Regle.

L’Occupation. La Paix.

Tout cela est traité avec beaucoup de finesse & de naturel, & remply de pensées neuves, quoy que tirées du sujet, en sorte que les Portraits des Caracteres qui y sont dépeints, remplissent agreablement la curiosité qu’ils excitent.

Air nouveau §

Mercure galant, novembre 1693 [tome 14], p. 322.

Vous vous connoissez trop bien en Musique, pour n'estre pas contente de la Chanson nouvelle que je vous envoye.

AIR NOUVEAU.

L’Air doit regarder la page 322.
Que vostre éloignement me fait souffrir de peine !
En vain je prétendois vous le faire sçavoir ;
Par un triste recit de tout mon desespoir.
Jugez-en seulement, aimable Climene,
Par l'extrême plaisir que j'ay de vous revoir.
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