1694

Mercure galant, mars 1694 [tome 3].

2017
Source : Mercure galant, mars 1694 [tome 3].
Ont participé à cette édition électronique : Nathalie Berton-Blivet (Responsable éditorial), Anne Piéjus (Responsable éditorial), Frédéric Glorieux (Informatique éditoriale) et Vincent Jolivet (Informatique éditoriale).

Mercure galant, mars 1694 [tome 3]. §

[Relation d’un accident extraordinaire arrivé à Troyes en Champagne] §

Mercure galant, mars 1694 [tome 3], p. 12-44.

La Relation que vous allez lire, estant un fait connu dans le lieu où la chose s’est passée, j’ay crû ce fait d’autant plus digne de la curiosité du Public, qu’il est utile qu’on sçache tout ce qui peut faire perdre la vie aux hommes. La chose à la verité, n’est pas ordinaire, mais il n’est pas impossible qu’elle arrive encore ; ainsi les experiences qui ont esté faites, pourront conserver plusieurs personnes. Ceux qui auront des lumieres sur les morts précipitées, dont les circonstances sont contenuës dans cette Relation, pourront donner leur sentiment, & j’auray soin d’en faire part au Public.

RELATION
D’un accident extraordinaire, arrivé au Fauxbourg de Sainte Savine de Troyes en Champagne.

Le 28. Juillet 1693. entre six & sept heures du soir, il arriva qu’un enfant, Petit-fils d’Edme Gilbert, Capitaine de Charrois, demeurant au Fauxbourg de Sainte Savine de Troyes, ayant laissé tomber par hazard, ou autrement, sa Perruque dans un des puits de la cour de sa maison, où il y en a deux, son Neveu & domestique, appellé Jean Jumillard, âgé d’environ vingt-trois ans, qui revenoit du travail de la moisson, entendit dire qu’il y avoit une Perruque tombée dans le puits. Il se resolut aussi-tost à y descendre, pour reprendre la Perruque ; & en presence du Maistre du logis, & autres personnes, il descendit effectivement dans le puits, à l’aide de la corde & du tour, servant à tirer & puiser l’eau. Deux ou trois personnes conduisoient le tour, & il ne fut pas plûtost descendu vers l’eau, qu’aprés avoir dit deux fois, Mon Dieu, je me meurs, il perdit & la parole & la vie. On l’appella inutilement à haute voix, il ne fit aucune réponse. Ceux qui se trouverent presens firent leurs efforts pour le retirer, mais ils ne purent en venir à bout, ce qui fit que le Maistre du logis sortit, & aprés qu’il se fut écrié devant sa porte, un nommé Pierre Terrançon, âgé d’environ vingt deux ans, natif de Mascon, Compagnon de Pierre Thomassin, Maréchal demeurant proche le Sr Gilbert, accourut, & pressé par la charité de sauver la vie à son voisin, il se hazarda à descendre dans le puits ; ce qu’il executa avec chaleur, ayant pris neanmoins la précaution de lier au bout de la corde un baston assez fort pour l’enjamber, & s’asseoir dessus pour se mettre en seureté en tenant la corde de ses deux mains. On le descendit, & lors qu’il fut prés de l’eau, il cria d’un ton effrayé, Il est noyé, remontez moy viste. A peine eut-il prononcé ce peu de paroles qu’il tomba dans le puits, ayant laissé échaper la corde qu’il tenoit en descendant. Un troisiéme, qui estant Cureur de puits, avoit plusieurs fois curé celuy-cy, fut appellé pour y descendre. Son nom estoit Laurent, dit Gassion. Il estoit âgé d’environ cinquante ans, Sonneur de l’Eglise de Sainte Savine, & demeuroit au mesme Fauxbourg, & proche la maison du Sr Gilbert. Ce Cureur de puits estant accouru, enjamba le mesme bâton, & s’assit dessus, en tenant la corde des deux mains, comme avoit fait Pierre Terrançon. Sitost qu’il fut au milieu du puits, il poussa deux ou trois soupirs, & se laissa tomber comme les deux autres. Tous les spectateurs demeurerent fort surpris de ce funeste accident, & la seule resolution que l’on put prendre, ce fut de retirer promptement ces trois malheureux, pour voir s’il y en auroit quelqu’un qui eust encore un reste de vie. On ne perdit point de temps. On lia un crochet à la corde, & on les retira morts avec ce crochet l’un aprés l’autre ; l’un par le soulier, l’autre par le jaret, & le troisiéme par la ceinture de son tablier qu’il avoit mis. La Justice fut appellée pour faire les informations requises, & proceder juridiquement. Il fut ordonné que le lendemain matin la visite & les rapports en seroient faits par le Conseiller Medecin de Sa Majesté, & les Chirurgiens Jurez demeurant à Troyes, ce qui fut executé. Voilà le fait.

Il s’agit presentement de sçavoir comment est arrivée la mort subite de ces trois personnes tombées dans le puits, ou plûtost par quelle cause elle est arrivée. C’est ce qu’on ne peut bien faire voir qu’aprés que l’on aura rapporté quelques remarques qui ont esté faites sur la situation & façon du puits, & quelques experiences faites aussi par le Conseiller Medecin du Roy, qui a fait le rapport de ces trois morts.

Le puits a six toises de profondeur, & dans le temps de cet accident il n’y avoit pas dedans plus de cinq pieds d’eau. Cette eau est froide, & n’est pas bien pure & bien limpide. On en tire peu, & il n’y a que les Bestiaux qui en boivent, tant à cause de la commodité que l’on a d’un autre puits qui est dans la mesme cour, dont l’eau se trouve assez bonne, qu’à cause d’un gros fumier qui est auprés de ce puits, où depuis plus de trente ans on y en a mis de mesme.

Un autre Cureur de puits que celuy qui y est pery, a dit y estre descendu depuis douze ou quinze ans, & a assuré qu’il n’est pas entierement muré par le bas. C’est ce que l’on ne sçait pas avec une pleine certitude.

Ce puits, qui est ouvert en haut, & presque également par tout de quatre pieds en diametre, est situé dans le milieu de la cour, & presque le lieu le plus bas. Sa couverture est un petit toit, élevé de terre de sept à huit pieds de Roy, & ce toit est bien garny de bois façon de tuiles, le reste de bois de charpente. On y a voulu descendre un flambeau bien allumé, & ce flambeau n’est pas descendu dans le puits plus bas qu’une toise sans s’éteindre, quoy qu’on ne se soit pas apperceu que la flame du flambeau ait esté fort agitée. On l’a mesme descendu plusieurs fois bien allumé, & on n’a pu passer cet endroit sans que la flame se soit étouffée de la mesme sorte. Ce qui est bien digne de remarque, c’est que le mesme flambeau allumé a esté descendu dans ce moment jusqu’à l’eau de l’autre puits, qui est dans la mesme cour, & qu’on l’a remonté jusques en haut sans que la flame se soit éteinte. Cet autre puits est dans la place de la cour la plus élevée, auprés d’une muraille & d’un toit de la maison qui luy fait un peu d’ombre. Il est bien muré, & n’a pas de toit particulier qui le couvre comme l’autre. Il est pour le moins aussi profond, & ses eaux ne sont pas moins basses que dans le premier, où l’on a aussi descendu une chandelle allumée dans une lanterne assez bien fermée de toutes parts, & elle a esté éteinte dans le mesme endroit que le flambeau qu’on avoit descendu. On y a jetté plusieurs fois des feuilles entieres de papier allumées, qui ont esté éteintes, la flame s’estant étouffée aussitost qu’elles sont descenduës environ une toise dans le puits.

On a voulu voir si le Chien, & le Chat qui a la vie fort dure, y auroient le mesme sort, & y periroient aussi. On a descendu premierement un Chien qui estoit de mediocre taille, mais fort, & lié dans un panier d’ozier, jusqu’à la superficie de l’eau. Lors que ce Chien fut un peu plus haut que le milieu du puits, il poussa deux ou trois cris, & l’ayant retiré incontinent, on l’exposa au grand Soleil, qui le fit revenir en peu de temps. Estant entierement revenu, on le descendit une seconde fois jusqu’à l’eau ; il poussa encore quelques cris, & eut ensuite des convulsions. On le retira aprés l’y avoir laissé environ autant de temps qu’il en faut pour dire un Miserere, & il se trouva froid & sans mouvement. Neanmoins le grand Soleil auquel il fut exposé le fit encore revenir, mais avec beaucoup de peine, la respiration estant de temps à autre fort frequente & difficile, semblable à celle d’un Asmatique lors qu’il est dans son paroxisme. On attendit qu’il eust repris ses forces entieres pour l’y descendre une troisiéme fois, & l’y ayant laissé environ l’espace de deux Miserere un peu au dessus de l’eau, on le vit dans les premieres convulsions. On le retira enfin mort & froid, les jambes un peu roides, & de l’écume autour de la gueule. Le Soleil ne put luy redonner la vie cette troisiéme fois, comme il avoit fait la premiere & la seconde. Pour ce qui est du Chat, on l’avoit enfermé dans un panier d’ozier à salade, avec son couvercle, mais ce couvercle ne se trouvant par assez bien lié, le Chat ne fut pas plûtost descendu une toise, qu’il fit un effort pour sortir de sa prison, qu’il força. Il l’ouvrit par le haut, & estant sauté dans le puits, il y mourut sans pousser de cris, ny faire de mouvemens.

On ne s’est pas contenté des experiences faites en Esté ; on a voulu en faire en Hiver, & le 17. Janvier dernier, entre deux & trois heures aprés midy, lors qu’il faisoit un tres-grand froid, on descendit & remonta deux fois dans le mesme puits jusqu’au fond, car il y a peu d’eau presentement, un flambeau allumé, sans que la flame s’en éteignist. Au contraire, il sembloit qu’à mesure qu’on descendoit le flambeau, il s’allumoit de plus en plus. Ce mesme jour, aprés la descente du flambeau, on descendit dans le puits une poule d’Inde, liée par les pattes, & on la laissa au fond l’espace d’un demy quart d’heure. Quoy qu’elle ait la vie moins dure que le chien, on la retira vivante, & plus vermeille qu’elle ne l’estoit avant qu’on l’eust descenduë.

Il faisoit fort chaud le jour que l’accident arriva au mois de Juillet. L’un des trois qui ont pery dans le puits, avoit mis un méchant juste au corps fort leger, & percé en plusieurs endroits, & estoit pieds nuds, & les deux autres estoient en chemise lors qu’ils descendirent. L’un de ces trois mangeoit une souppe lors qu’on l’appella pour y descendre. L’autre avoit goûté, & le troisiéme n’avoit pas mangé depuis son disner, ou s’il avoit mangé, il n’avoit que tres-peu d’alimens, car il s’est trouvé dans son estomach fort peu de chyle.

Avant que d’exposer au Public son sentiment sur la cause de leur mort, il est à propos de dire ce qui s’est trouvé dans le corps de ces trois personnes, dont l’ouverture fut faite le 29. Juillet, lendemain de l’accident, à neuf heures du matin. On ne peut pas dire qu’ils ayent esté noyez, puis qu’on n’a pas trouvé un demi-verre d’eau dans l’estomach, dans les intestins & dans la capacité de la poitrine des trois cadavres peris dans ce puits. On a remarqué toutes les parties contenuës dans les deux ventres, sçavoir le milieu & inferieur, fort saines & bien conformées ; ce qu’on a pû reconnoistre, c’est seulement une écume autour de la bouche, & un sang épaissi & figé dans les vaisseaux sanguiferes, grands & petits, principalement du poumon, ce qui peut estre suffisant pour s’instruire de la cause de leur mort.

Quelques-uns ont cru qu’il y avoit dans ce puits un Basilic, qui ayant vû le premier ces hommes, les avoit tuez de sa veuë ; mais outre que chacun ne convient pas de ce fait, quand on en voudroit supposer la verité, ce sentiment se renverse par la mort du Chien, & par l’extinction du flambeau & de la chandelle, la veuë du Basilic n’estant point capable de produire ces effets.

Les autres ont imputé la cause de ces trois morts à une vapeur maligne & corrompuë, répanduë & meslée avec l’air de ce puits, provenante du fumier qui est amassé auprés, mais quelle apparence que toute cette vapeur maligne se trouve renfermée dans ce puits, qui est assez ouvert pour la laisser sortir, les vapeurs ainsi corrompuës estant assez en mouvement pour n’estre pas toujours arrestées dans cet endroit ? L’air de la cour où est ce fumier, devroit en estre encore plus chargé, & ainsi plus dangereux, ce qui n’est pas ; outre que l’extinction du flambeau & de la chandelle, & les circonstances qui accompagnent la mort du chien, comme le froid & la roideur de ses membres, detruisent suffisamment cette opinion, car ces vapeurs estant supposées chaudes, comme elles le doivent estre, n’éteindront pas le flambeau allumé, & la chandelle allumée, renfermée dans une lanterne.

D’autres ont prétendu parler plus juste, en disant que c’est une veine de la terre qui s’est fait une ouverture dans ce puits, & y pousse une vapeur chargée de quelque Metal ou Mineral dangereux & lethifere, comme de Mercure, Arsenic, ou autre ; mais je croy que ce sentiment peut estre encore détruit par l’extinction du flambeau & de la chandelle ; car si ces prétenduës vapeurs de Mercure, d’Arsenic, ou autres, sont capables de tuer l’homme, elles ne peuvent pas éteindre ce flambeau & cette chandelle allumée, & renfermée dans une lanterne. Il faut donc trouver une cause qui soit capable d’oster la vie à l’homme en peu de temps, & qui puisse produire les effets que l’on vient de rapporter.

Ceux qui sçavent ce qu’un air extremement chargé d’un nitre grossier, épais & condensé, est capable de faire sur le sang de l’homme vivant, tomberont d’accord qu’il peut luy ravir la vie en peu de temps, lors qu’il est parvenu jusqu’à luy. Tel est, à mon sens, celuy qui est contenu dans ce puits, soit que cet air froid vienne seulement du puits, & de l’eau qu’il contient, soit qu’il en vienne de la terre ouverte dans quelque endroit de ce puits, qui meslez ensemble composent un air si froid, qu’il est suffisant pour coaguler & glacer le sang, comme il a fait celuy de ces trois personnes dans les vaisseaux sanguiferes. Ce froid excessif se fait assez connoistre par l’extinction du flambeau & de la chandelle allumée, qui s’éteignent & s’étouffent en un instant, lors qu’ils sont descendus une toise seulement, & qui ne s’éteignent pas dans l’autre puits de la mesme cour, dont la profondeur, comme j’ay déja dit, est du moins égale à l’autre, & qui a ses eaux également basses.

Ce principe ainsi posé, je dis que les hommes qui sont descendus dans ce puits, avoient les pores de la peau fort ouverts, à cause de la grande chaleur qui estoit en ce pays depuis huit jours, & le sang estoit destitué d’une partie de ses esprits, qui se dissipent aisément par la chaleur & par le travail. Ces hommes donc passant en un instant d’un air extremement chaud dans un air extremement froid, cet air froid, quoy qu’épais, ayant trouvé les pores de la peau fort ouverts, a penetré avec son nitre acide grossier jusque dans les glandes milliaires de la peau, & y ayant rencontré quantité de petites veines & arteres qui aboutissent à ces glandes, il y a figé, épaissi & coagulé le sang. Le même effet a esté produit en mesme temps dans le poumon ; car le mesme air froid du puits y estant entré par le moyen de la respiration, & ayant trouvé la mesme disposition, sçavoir une grande ouverture des pores de la substance pulmonaire, il s’est aisément glissé dans le sang, & par la force du nitre grossier dont il estoit chargé, il a aussi figé & coagulé ce sang passant par le poumon. Or comme il est certain, au sentiment de la plus saine partie des Philosophes & des Medecins modernes, que la vie de l’homme depend & consiste dans la circulation & la fermentation naturelle du sang, l’une & l’autre ayant esté détruite par ce nitre grossier & condensé de l’air froid, on ne doit pas estre surpris si la mort de ces trois personnes est arrivée subitement de la maniere qu’on vient de le dire cy-devant.

J’ay fait remarquer que par la grande chaleur il se fait une grande dissipation d’esprits, & notamment dans les personnes qui s’exercent à de forts travaux, tels que sont ceux de la moisson, & d’un Maréchal, parce que je suis persuadé que si le sang estoit remply d’une abondance d’esprits, il seroit plus en estat de resister à la coagulation qui luy peut arriver, & qui peut estre causée par un air froid, tel qu’est celuy de ce puits.

Beaucoup de raisons jointes aux experiences qui ont esté faites, principalement du Chien, me portent à croire que si ces hommes suffoquez dans le puits avoient esté liez de maniere qu’on eust pû les remonter incontinent aprés qu’ils y ont esté descendus, on auroit pû les faire revenir, en les exposant à un grand feu, & leur faisant avaler, s’ils n’avoient pas esté entierement morts, quelques remedes chauds, comme les Cordiaux & Sels volatiles & acres, qui auroient esté capables de briser & de diviser le nitre grossier qui tenoit le sang glacé & coagulé dans les vaisseaux sanguiferes, de mesme que le Chien est revenu en vie à l’aide de l’ardeur du Soleil, une premiere & une seconde fois, parce qu’il n’avoit pas demeuré assez de temps dans le puits, pour que son sang fust entierement figé & coagulé.

Voilà ce qu’on a pû découvrir jusqu’à present du fait & de l’accident qui est arrivé en ce pays. La raison pour laquelle on n’a pas envoyé plûtost cette Relation, est que l’on a attendu l’hiver, afin de s’assurer en quelque maniere de la cause de ces morts précipitées, par les deux dernieres experiences faites dans le plus grand froid de cet hiver, que j’ay rapportées, ce qui nous doit confirmer que ce n’est que l’air froid qui se retire pendant la grande chaleur dans les lieux souterrains, au lieu que l’hiver pendant le grand froid, c’est la chaleur qui se trouve renfermée & concentrée dans ces mêmes lieux.

On prie les Sçavans, comme on sçait que la France en est remplie, d’en donner leur sentiment au Public, qui leur en sera obligé.

[Recueil de Vers en forme d’histoire] §

Mercure galant, mars 1694 [tome 3], p. 44-67.

J’ay à vous faire part de plusieurs Vers d’une jeune Muse, où vous trouverez beaucoup d’esprit, & sur lesquels il faut vous donner quelques éclaircissemens. Un Marquis illustre commandoit l’Esté dernier la Noblesse de son Canton pour l’Arriereban, dans une petite Ville de Normandie, où la politesse, la galanterie, & le bel esprit ne regnent pas moins que dans les plus grandes Villes du Royaume. Il y fit plusieurs habitudes, & entre autres il lia une amitié fort étroite avec un homme de la Robe, aussi distingué par son merite, que par son bien, & qui ayant épousé une Femme de qualité qui a beaucoup de sagesse & de vertu, en a une Fille unique, qui possede tous les charmes & tous les agrémens qu’on peut souhaiter dans une jeune & fort aimable personne. Le Marquis en fut d’abord enchanté, & prit pour elle la plus violente passion qui fut jamais. Cependant la Belle ne s’applaudit pas de cette prompte & importante conqueste. Il est marié, & déja sur son retour, & il n’avoit pas affaire à des Provinciaux qui fussent capables de se laisser ébloüir de l’éclat de sa naissance, & de la grosse dépense qu’on luy voyoit faire. Il fut donc contraint de s’en tenir aux termes d’une honneste societé, & d’avoir mesme de si grands ménagemens, que ce commerce n’eust pas le moindre air de galanterie amoureuse, sans neanmoins en bannir les choses qui pouvoient le rendre plus agreable, & le faire durer plus longtemps. Il continuë en effet toujours avec beaucoup d’agrément de part & d’autre, & on n’a pas laissé passer l’occasion des Etrennes sans en donner d’obligeantes marques. Les Dames luy envoyerent des Vers sous les noms d’Uranie & du Dragon vigilant, qui sont les noms qu’il leur a donnez, par les raisons qu’il est fort aisé de s’imaginer. Il leur répondit par d’autres Vers, & comme il ne se pique pas de Poësie, il pria quelques-uns de ses Amis, de luy faire ses Réponses. L’un d’eux qui prend beaucoup d’interest à la charmante Uranie, ce qui peut-estre aura de la suite, se chargea de ce soin avec plaisir ; & les Dames ayant repliqué en s’adressant uniquement au Marquis, comme Auteur des derniers Vers, un jeune Cavalier, qui a beaucoup de brillant, de vivacité & de genie pour la Poësie, les ayant vûs, s’est piqué au jeu, peut-estre autant du cœur que de l’esprit, & a fait les repliques qui finissent cette espece de petit Recueil, que l’on pourroit appeller la Guirlande d’Uranie, à l’imitation de la Guirlande de Julie, si celebre autrefois sur le Parnasse.

ESTRENNES
De Mademoiselle D.A.G.E.
à Mr le Marquis de B.

Que de prosperitez, cette nouvelle année,
 Combleroient vostre destinée,
 Marquis, que vous seriez heureux,
 Si le Ciel exauçoit mes vœux ;
 Car j’en fais pour vous plus de mille,
Où je mesle toujours l’agreable & l’utile.
***
 Non pas que vous ayez besoin
 D’honneurs, de plaisirs, de richesses ;
 La fortune en a pris le soin,
 Et vous accable de caresses :
 Mais dans le poste avantageux,
Où, selon vos desirs, de tout elle dispose,
Vous m’avoûrez entre nous deux,
Qu’il manque toûjours quelque chose
Aux grands cœurs, aux cœurs amoureux.
***
C’est quelquefois un Rien, mais ce Rien inquiete ;
 Sans luy l’on se croit malheureux,
Et la felicité sans luy n’est pas parfaite.
 C’est donc ce Rien-là que je veux,
 C’est-là, ce que je vous souhaite.
***
Mais quoy, me direz-vous ! vraiment me voilà bien,
 Uranie, ah ! la belle Estrenne !
Pour present un souhait, & ce souhait est Rien :
 Cela ne valoit pas la peine
 De fatiguer tant vostre veine.
Je vous entens, Marquis, mais m’entendez-vous bien ?
 Pensez-y plus d’une semaine,
Je vous donne beaucoup, en ne vous donnant Rien.

La Mere de la jeune Demoiselle écrivit ce Madrigal dans la mesme feüille, sous le nom du Dragon vigilant.

 Je voudrois bien sur ce Revers,
Et tandis qu’Apollon vient nous ouvrir la veine,
 Vous envoyer cinq ou six Vers
 Le jour de l’an, pour vostre Etrenne ;
 Car je sçay ce que je vous doy
Pour toutes les bontez que vous avez pour moy,
Et dont j’auray toujours de la reconnoissance.
 A quoy donc est-ce que je pense ?
 Ces Vers sont de méchant aloy :
 C’est mal à propos se commettre.
 Retirons-nous pour nostre honneur,
Je veux un Madrigal, & je fais une Lettre,
Qui m’oblige à finir par, je suis de bon cœur, &c.

Réponse du Marquis sur les
mesmes Rimes.

A URANIE.

Recevez les souhaits de mon cœur cette année
Que mon amour répand sur vostre destinée,
Et comprenez, helas ! que je serois heureux
Si je pouvois un jour vous adresser mes vœux,
Car j’aurois avec vous des plaisirs plus de mille,
Et je pourrois trouver le plaisant & l’utile.
***
Pour vous apprendre au vray mon extrême besoin,
Qui n’est pas, selon vous, le manque de richesses ;
C’est l’amour qui n’a pas, à mon gré, tout le soin
De me faire obtenir vos plus tendres caresses.
Parmy tant de Rivaux m’est-il avantageux
 Que ce cruel amour dispose
De toutes vos bontez en faveur de l’un d’eux,
A qui je parirois qu’il manque quelque chose,
 Quand il seroit plus amoureux ?
***
 Un Rien tres-souvent inquiete,
Mais par ce Rien j’entens une Fille parfaite ;
 C’est dans ce sens que je le veux,
 Et c’est ce Rien que je souhaite.
***
 On me verroit content sans bien
 Si j’avois ce Rien pour Estrenne.
Quelque perte que j’eusse, en conservant ce Rien,
Je n’en souffrirois pas la plus petite peine.
Je comprens, Uranie, & je vous entens bien,
J’y rêveray cent fois tout au moins la semaine,
Car vous me donnez tout en ne me donnant Rien.

Au Dragon vigilant.

Comptez sur ma Medaille avec un beau Revers,
On ne peut trop payer une si bonne veine,
 Et je voudrois par de tels Vers
 Pouvoir répondre à vostre Etrenne.
 Mais je vous le cede, & je doy,
 Sans faire icy du quant à moy,
 Vous marquer ma reconnoissance
En Prose seulement ; car enfin plus j’y pense,
Je trouve que la Prose est de meilleur alloy,
Tout prest pour vous à me commettre,
Quand il m’en coûteroit mon bien & mon honneur,
Il est temps de finir, voicy presque une Lettre,
Sans rime, & sans raison, mais au moins de bon cœur.

Autres réponses de differens
Auteurs.

A URANIE.

Appellez vous un Rien ce qui rend malheureux ?
 Et que sert un peu de richesses,
Quand un cœur jour & nuit fait d’inutiles vœux,
Et qu’un cruel amour refuse ses caresses ?
 Ce Rien que vous pouvez donner,
Ce Rien si grand pour moy, qui me manque & m’accable,
 Rendroit mon destin favorable,
 Si vous vouliez m’en étrenner.
***
Adorable Sapho, car pour vostre genie,
Ce nom vous convient mieux que celuy d’Uranie.
Ainsi que cette Grecque admirable en vos Vers
Vous allez avec moy charmer tout l’Univers.
Grands Dieux, vit-on jamais tant de delicatesse,
 Tant de brillant, tant de justesse ?
 J’en suis, je le jure, enchanté
 Autant que de vostre beauté,
 Autant que de vostre jeunesse,
Mais si j’osois icy librement m’exprimer,
Si j’osois vous parler de ce qui m’inquiete,
Je vous dirois, Sapho, que pour estre parfaite
Il ne vous manque plus que de sçavoir aimer.
***
Ce n’est pas, direz-vous, une si grande affaire,
 Mais cependant pensez-y bien.
 Quelque tendresse est necessaire
 Autant que vostre aimable Rien.
Ce Rien que par bonté vostre cœur me desire,
 Est estimé de mon cœur amoureux,
 Cent fois plus qu’un puissant Empire,
Et si jamais l’amour favorable à mes vœux,
 Me conduisoit à ce Rien où j’aspire,
 Adorable Sapho, que je serois heureux !

Au Dragon vigilant.

 O vous qui gardez un tresor
 Plus fameux que la Toison d’or,
 Dragon, de qui la vigilance
A rendu jusqu’icy tous mes soins superflus ;
 J’endormiray vostre prudence,
 Bien tost vous ne veillerez plus.
Un charme que pour moy l’amour a fait luy-mesme,
 Me va rendre un nouveau Jason,
Et j’espere, assisté du Dieu qui fait qu’on aime.
Enlever malgré vous cette aimable toison.
***
 S’il faut vous rendre vœux pour vœux,
Mes souhaits sont pour vous d’une grande étenduë,
 Et c’est une chose bien deuë
De payer dignement un cœur si genereux.
 Que vos jours soient filez de soye ;
 Que tout réponde à vos desirs ;
Que jamais le chagrin ne succede à la joye,
Savourez mollement la douceur des plaisirs.
 Ayez la mesme vigilance,
 Et les yeux aussi bons qu’Argus ;
Que rien ne donne atteinte à vostre diligence,
Et gardez comme l’or, ce que j’aime le plus.
***

Replique d’Uranie au Marquis.

Marquis, je vous l’avois bien dit,
Qu’il y falloit penser, & plus d’une semaine,
Avant que d’expliquer les Vers de mon Etrenne.
 J’ay cependant quelque dépit
 Qu’un Rien vous ait fait de la peine ;
Mais lors que d’autre chose on a la teste pleine,
 Il ne faut Rien dans un écrit,
 Pour arrester un bel esprit.
***
 Enfin vous avez pris le change,
 Soit par malice, ou par erreur,
Et du nom de Sapho croyant me faire honneur,
Dans de fort jolis Vers vous chantez ma loüange ;
Mais je n’envieray point à d’autres le bonheur
D’avoir de cette Grecque & l’esprit & le cœur.
Toute comparaison est toujours odieuse,
 Et celle-cy me fache tout de bon ;
Je ne suis point Sapho, vous n’estes point Phaon.
L’un estoit trop cruel, l’autre trop amoureuse ;
Dieu nous garde tous deux d’un semblable renom.
***
Je cheriray toujours le beau nom d’Uranie,
Vous me l’avez donné, je le veux bien porter.
 Servez-vous-en, je vous en prie,
 De luy seul on me peut flater,
 Car il inspire dans les ames
 De pures & de saintes flames ;
Heureuse si je puis un jour le meriter.

Replique du Dragon.

 Ouy, je garderay comme l’or,
 Ce cher & précieux tresor,
Dont le Ciel à mes vœux accorda la naissance.
Rien ne pourra jamais tromper ma vigilance.
 Fussiez-vous un autre Jason,
 Vous n’aurez pas cette toison.
Quand on joint la vertu, l’honneur & la prudence,
Une Mere est toujours un terrible Dragon.

Autres Repliques d’un autre Auteur.

POUR URANIE.

Si vous me regardez, Marquis, comme un tresor,
Me faut-il un Dragon comme à la Toison d’or ?
 Tous ses soins & sa vigilance
 Seroient des secours superflus,
 Et ce n’est pas sur sa prudence
 Que vous devez compter le plus.
 Vous jugez d’autruy par vous-mesme,
Vous avez l’air d’aimer ainsi qu’aimoit Jason,
 Non pas à cause qu’on vous aime,
Mais de peur qu’un Rival n’enleve la toison.

Pour le Dragon.

Quand encore une fois, pour ravir mon tresor,
L’amoureux Jupiter se changeroit en or,
 Pour surprendre ma vigilance,
 Ses efforts seroient superflus ;
 Mais ce n’est pas sur ma prudence
 Que je me repose le plus.
Cet aimable tresor se garde de luy-mesme,
Et fussay-je Medée, & fussiez-vous Jason,
Eussiez-vous les appas du Dieu qui fait qu’on aime,
Vous n’auriez pas encor pour cela la toison.
***
Vous seriez convaincu du bien que je vous veux,
Si mon pouvoir estoit de plus grande étenduë ;
Et vous auriez, Marquis, la récompense duë
 A vos souhaits si genereux.
 Vos jours seroient filez de soye,
 Je préviendrois tous vos desirs,
Vous auriez chaque jour quelque nouvelle joye,
 Vous goûteriez mille plaisirs ;
Car enfin j’ay pour vous la mesme vigilance,
Que pour plaire à Junon, eut le fidelle Argus ;
Mais que servent ces soins, que sert ma diligence,
Marquis, peut-estre, helas ! nous ne vous verrons plus.

Le Temps à Mademoiselle de Scudéry §

Mercure galant, mars 1694 [tome 3], p. 102-105.

Je vous ay déja parlé d’Etrennes. Il ne faut pas oublier celles que Mr de Betoulaud envoya de Bordeaux à Mademoiselle de Scudery, le premier jour de cette année. C’estoit une belle Cornaline antique & Grecque, sur laquelle le Temps est tres-bien gravé, avec ses ailes déployées & sa faux. Elle estoit accompagnée de ces Vers.

LE TEMPS
A Mademoiselle de Scudery,

Ce n’est qu’un seul moment, Sapho, que je m’arreste,
Et pour un vol leger mon aile est toujours preste ;
Mais malgré mon chemin qu’on ne voit point finir,
Et qui me conduira dans le vaste avenir
Pourray-je m’empescher de respecter sans cesse
De vostre esprit charmant l’aimable politesse ?
De ma terrible faux ne craignez point les coups,
Elle ne peut agir sur LOUIS, ny sur vous.
J’ay détruit mille Rois & mille Etats celebres,
J’ay répandu sur eux d’éternelles tenebres,
Leur nom mesme est perdu dans le cahos des ans ;
Mais Louis, que le Ciel guide à pas éclatans,
Doit-il craindre un tel sort pour l’illustre carriere,
Où tout n’est que triomphe, & miracle & lumiere ?
La Victoire attachée à son nom glorieux,
Le défend de l’oubly des hommes & des Dieux.
Vous le sçavez, Sapho, mais un instant volage,
A peine vous laissant remarquer mon visage,
Et me sentant glisser sous mes pieds fugitifs,
Peindrois-je ce grand Roy de rayons assez vifs ?
Il faut plus de repos, ma course est trop rapide,
Et vous tracerez mieux un si fameux Alcide.
Racontez ses hauts faits ; Echo de vostre voix
Dans les siecles futurs j’en instruiray cent Rois,
Qui malgré mille exploits d’immortelle memoire,
Ne pourront égaler la moitié de sa gloire.

Réponse de Sapho au Temps §

Mercure galant, mars 1694 [tome 3], p. 105-106.

Réponse de Sapho au Temps.

Vous qui passez si viste, & pourtant lentement,
Ne vous arrestez pas, écoutez seulement.
 J’ay mille graces à vous rendre
De l’Eloge charmant que j’acheve d’entendre,
 Car le plus éloquent des Dieux,
S’il parloit de LOUIS, n’en parleroit pas mieux.
Je l’ay vû tout brillant d’une éclatante gloire,
 Tel que les Filles de memoire
Le peignent tous les jours pour la Posterité,
Sans en avoir pû faire un seul Portrait flaté,
Et de vostre discours mon ame est si ravie,
Que j’en seray l’Echo le reste de ma vie.
Parlerois-je sans vous du plus grand des Mortels,
Qui du temps des Cesars auroit eu des Autels ?

[Madrigal sur le mesme sujet] §

Mercure galant, mars 1694 [tome 3], p. 107.

Cette réponse de Mademoiselle de Scudery, a donné lieu à Mr de Boisquillon, tres-digne Academicien de l’Academie de Soissons, de luy adresser ce Madrigal.

 De ces Eloges éclatans
 Vous avez beau combler le Temps ;
 Contre luy je suis en colere.
Sapho, loin de passer d’une aile si legere,
Il devroit s’arrester sur cent faits inouïs.
Peut-il mieux s’employer qu’à celebrer LOUIS ?

[Epistre en Vers] §

Mercure galant, mars 1694 [tome 3], p. 182-187.

En vous parlant du changement qui a esté fait dans les Intendances, je vous ay mandé que Mr Ferrand avoit eu celle de Dijon. La connoissance qu’on a de ses grandes qualitez est cause que dans toute la Province cette nomination a fait donner de grandes marques de joye. C’est ce qui a obligé Mr Blanchard à luy adresser ces Vers.

A Mr FERRAND,
Intendant de Bourgogne &
de Bresse.

 LOUIS, le plus grand de nos Rois ;
Secondant les desseins & les vœux d’un grand Prince,
 T’établit dans cette Province,
 Pouvoit-il faire un meilleur choix ?
Que de plaisirs pour nous ! quelle source de joye !
Le fameux Conquerant, le Heros qui t’envoye,
 Illustre & sage Magistrat,
 Ne pouvoit nous marquer avecque plus d’éclat
 Les soins dont sa bonté royale,
 Pour ses Sujets toujours égale,
 Se charge parmy les horreurs
 D’une Guerre, dont sa sagesse
 Ne nous laisse que les frayeurs,
Tandis que ses Rivaux, honteux de leur foiblesse,
En souffrent tous les ans les cruelles rigueurs.
Par ton esprit si beau que rien ne l’embarasse,
Par ta grande capacité
Fais briller tes talens en cette Dignité
 Où l’Auguste Loüis te place.
 Fais voir par cette habileté,
Si naturelle dans ta Race,
Que l’Aigle du Conseil a les yeux si perçans,
 Que rien n’échape à sa lumiere.
Suy dans cette penible & brillante carriere
Un naturel heureux, l’équité, le bon sens,
 Source de gloire inépuisable,
 Fidelles guides des Ferrands,
D’une sage conduite infaillibles garans.
 La faim toujours impitoyable,
De Bellone & de Mars Compagne redoutable,
 Commençoit à nous alarmer.
Tu parois, & d’abord l’air seul de ton visage
 Nous est un assuré présage
 Que tu viens pour la desarmer.
Nous en sentons déja l’agreable avantage,
Acheve d’arrester par ton integrité,
Par ton exactitude & par ta vigilance,
 A la gloire de nostre France,
 Et du regne de l’équité
Les desordres, les maux qu’on craint de tout costé,
 Cruels enfans de l’indigence.
Par tes sages conseils & par ta fermeté,
Par ton credit puissant dans une Cour heureuse,
Empêche de nos Bleds la traite dangereuse.
 Suy dans un cours si glorieux
Du fameux de Harlay les vertus éminentes,
 Parmy nous encore presentes.
Sur un si beau modele on est toujours heureux,
L’amitié vous unit par des chaisnes charmantes,
Une mesme vertu vous anime tous deux.
Fais que de ces Climats l’abondance exilée,
Revienne incessamment par tes soins rappellée,
Et le Riche & le Pauvre également contens,
Flatez de voir des jours plus seurs & plus tranquilles,
 Attendront que de meilleurs temps
Ramenent le repos & la paix dans les Villes,
Et la récolte heureuse en nos fertiles champs.

[Galanterie] §

Mercure galant, mars 1694 [tome 3], p. 187-189.

Voicy d’autres Vers qui ont esté faits en faveur d’une jeune Veuve, qui n’ayant eu qu’une santé languissante pendant trois ou quatre années de mariage, a repris tout son brillant depuis qu’elle est redevenuë maistresse d'elle-mesme.

 Vous triomphez, charmante Iris,
 Vos appas & vos airs fleuris
Ramenent le printemps de vos belles années.
A ce rare plaisir je ne vois rien d’égal,
 Vos graces estoient destinées
A survivre un Hymen qui leur estoit fatal.
 Par vos soins & par vostre adresse
 Tout paroist refleurir chez vous,
Mais craignez de l’Amour les charmes & les coups,
 Sage conseil, mais la foiblesse
 Est naturelle à la Jeunesse.
 Les beaux jours, les airs conquerans
Par des chemins cachez menent à l’hymenée,
Au Temple le concours d’Amis & de Parens,
 Le cœur surpris, la main donnée,
Pour vos appas charmans trop cruelle journée,
De leur perte prochaine infaillibles garans.
Qu’on est heureuse, Iris, quand on est sa maistresse !
Quel plaisir de passer sa brillante jeunesse
 Chez soy, sans maistre, en liberté,
Et jusqu’à soixante ans conserver sa beauté !

[Impromptu sur la course de Versailles à Paris par six jumens]* §

Mercure galant, mars 1694 [tome 3], p. 198-199.

Voicy un impromptu fait par Mr de Vertron, sur le sujet de cette course, adressé à Mr le Duc d’Elbeuf.

 C’est un de mes étonnemens,
 Qu’en moins de deux heures de temps,
 Un train bien attelé s’en aille,
Et revienne aussi-tost à Paris de Versaille.
 Ma foy, les Chevaux d’Apollon,
 Au prix des tiens ne valent pas la maille ;
On en est tout chagrin dans le sacré vallon,
 Et mesme le Cheval Pegase
Auprés de tes Chevaux passeroit pour un Ase.
 Le témeraire Phaëton
 Ne valoit pas ton Postillon ;
De tes Chevaux chacun admire la vistesse.
 Pour moy, j’admire ton adresse,
 Et suis charmé de ton grand cœur,
 Qui soupirant pour la Victoire,
 Court toujours avec même ardeur
 Dans la carriere de la gloire.

[Madrigal sur la construction d’un nouvel amphithéâtre anatomique]* §

Mercure galant, mars 1694 [tome 3], p. 220-223.

La Chirurgie pouvant estre mise au nombre des choses les plus necessaires, & les plus utiles à un Estat, la Compagnie des Maistres Chirurgiens Jurez de Paris, aprés avoir acquis un fond de terre proche les Ecoles Royales de Chirurgie, a crû ne le pouvoir mieux employer qu’à la construction d’un Amphithéatre Anatomique plus étendu & plus commode que celuy où elle faisoit autrefois ses Actions publiques, afin qu’il puisse contenir le grand nombre d’Ecoliers qui viennent de toutes parts, dans le dessein de s’instruire & de profiter des Leçons Anatomiques & Chirurgicales que Messieurs Bienaise & Roberdeau ont fondées, depuis quelques temps, pour estre faites dans les deux principales saisons de l’année.

A peine commençoit-on cet Edifice, que sur le bruit qu’il fit dans Paris, M. Perrault, de l’Academie Françoise, envoya à la Compagnie le Madrigal que vous allez lire.

 On éleve en nos jours un vaste Amphithéatre
 Pour le bel Art qui sçait guerir.
Rome en faisoit construire en son culte idolatre
Pour des Gladiateurs qu’elle y faisoit mourir.
Redoublez vostre ardeur, signalez vostre zele,
Vous, qu’à ce grand dessein appelle un heureux sort.
On doit une gloire immortelle
A l’Art qui surmonte la mort.

Le Portrait du Sage §

Mercure galant, mars 1694 [tome 3], p. 244-246.

Je vous envoye un Ouvrage qui dit beaucoup en peu de paroles, & qui peint un caractere rare, quoy que le nombre des parties qui le composent ne soit pas grand. C’est le Portrait du Sage, qui trouvera toujours plus d’Admirateurs que de Sectateurs. Il est de Mr l’Abbé de Riupeirous, qui a fait paroistre son esprit par des Ouvrages de plus longue haleine, & qui ont receu beaucoup d’applaudissemens.

LE PORTRAIT
du Sage.

Si dans le Monde il est un Sage
 Qui sçache moderer ses vœux,
Seul il merite l’avantage
De porter le titre d’heureux.
***
 Il vit content de sa fortune ;
Quelque part que le Ciel l’ait mis,
Jamais sa plainte n’importune
Ny les Princes, ny ses Amis.
***
 Il ignore le vil commerce
Que les hommes font de leur cœur,
Et ne sçait point comment s’exerce
L’infame métier de flateur.
***
 Tous ses desseins sont legitimes,
Et conformes à la raison ;
Il est toujours juste, & des crimes
Il ignore mesme le nom.
***
 Dégagé de toute contrainte,
Le repos fait tout son plaisir,
Et content, il voit tout sans crainte,
Parce qu’il voit tout sans desir.
***
 Il joüit d’une paix profonde,
Que nul revers ne peut troubler,
Et la cheute mesme du monde
Ne pourroit le faire trembler.

[Histoire] §

Mercure galant, mars 1694 [tome 3], p. 254-270.

Chacun a son caractere, & vous trouverez quelque chose d’assez singulier dans celuy d’une jeune Demoiselle, dont je vais vous apprendre l’avanture. Elle avoit pris dés ses plus tendres années une étroite liaison avec une Fille de son âge, qui demeurant dans une maison voisine, estoit sans cesse avec elle, & partageoit tous ses divertissemens. Leur union se fortifia par ce commerce. La jeune Demoiselle se fit une si douce habitude de voir son Amie, qu’il n’y avoit rien d’égal à l’attachement qu’elle témoignoit pour elle. Tous ses secrets luy estoient communiquez, & elle faisoit consister ses plus grands plaisirs dans l’épanchement mutuel de cœur, qui les engageoit à se découvrir jusqu’à leurs moindres pensées. Comme il est presque impossible d’aimer beaucoup sans estre jaloux, la Belle ne pouvoit souffrir sans des mouvemens d’impatience que son Amie eust pour aucune autre de certaines complaisances qui marquent plus que de l’honnesteté & de l’estime. Je ne sçay mesme si elle auroit pû luy pardonner d’avoir un Amant qu’elle eust écouté avec plaisir. Cet excés de delicatesse dans son amitié causa quelquefois entre elles de petites broüilleries, qui s’appaisoient aussi tost ; mais son Amie ayant changé de quartier, & n’estant plus en pouvoir de la voir aussi souvent qu’elle avoit fait jusque-là, donna sujet à de longues plaintes. La Belle sceut qu’elle avoit fait habitude avec une jeune Blonde d’une humeur fort enjoüée & assez spirituelle, & la jalousie s’estant emparée de son esprit, elle voulut l’obliger ou à cesser entierement de voir cette Amie nouvelle, ou du moins à ne la voir que fort rarement. L’effort qu’elle fit pour l’y engager fut inutile. Son Amie luy dit qu’il estoit injuste qu’elle voulust la priver d’une societé agreable, qui ne faisoit aucun tort aux sentimens de tendresse qu’elles s’estoient promis reciproquement, sur tout lors que l’éloignement de quartier ne permettoit pas qu’elles se vissent à toute heure comme elles faisoient auparavant, & la resistance qu’elle apporta à ce que la Belle exigeoit de son amitié, la piqua si fort, que ne pouvant endurer cette concurrence, elle rompit avec elle pour ne renouër jamais. Il est certain que la Belle poussa la chose trop loin, mais le partage ne pouvant l’accommoder, elle aima mieux bannir tout d’un coup par un effort violent ce qu’elle avoit dans le cœur, que d’estre exposée sans cesse à des sentimens d’indignation & de colere, qui renaistroient aussi tost qu’on les auroit étouffez par de nouvelles assurances d’amitié. Cette rupture fit prendre à la Belle la resolution de ne plus aimer. On luy disoit qu’on luy pardonnoit de ne point donner son cœur à une Amie, pourvû qu’elle le gardast pour un Amant qui le meriteroit mieux. Elle jura que si jamais elle en écoutoit quelqu’un, ce ne seroit que dans la veuë d’un établissement considerable, puis que les hommes estant naturellement changeans, elle ne pouvoit prévoir qu’un fort grand malheur pour elle, si elle avoit la foiblesse de se laisser surprendre à l’amour. Elle tint parole. Il se presenta divers partis, & comme aucun ne la mettoit dans un rang au dessus de sa naissance, & qu’elle avoit raisonnablement du bien, elle aima mieux mener une vie tranquille avec sa Mere, qui l’aimoit fort tendrement, que de s’assujettir aux caprices d’un Mary qu’elle vouloit plûtost estimer qu’aimer. Elle menoit une vie assez remplie de douceur. L’agrément de sa personne, & la delicatesse de son esprit que la lecture avoit cultivé, attiroient chez elle assez bonne compagnie, & quand on luy reprochoit son indifference, elle répondoit qu’on n’avoit qu’à voir son attachement pour une petite Chienne, qui estoit toujours entre ses bras ; que les caresses qu’elle en recevoit luy faisoient un vray plaisir, & qu’elle le goustoit d’autant plus sensiblement, qu’elle estoit fort asseurée qu’elle n’en seroit jamais trahie. Aprés qu’elle eut refusé quantité d’Amans, enfin un Cavalier distingué par son merite & par beaucoup d’avantages du costé de la fortune, s’accoûtuma à la voir, & fut touché de ses charmes. La Mere voulut engager la Belle à des complaisances que l’honnesteté permet, afin d’augmenter l’amour qu’il commençoit à faire paroistre, mais ce fut un soin qu’elle dédaigna de prendre. Elle disoit au contraire qu’elle ne craignoit rien tant que de voir le Cavalier assez amoureux pour se declarer, parce qu’elle mesme se condamneroit si elle n’acceptoit pas les avantages qui luy estoient seurs par son alliance, mais qu’en examinant le fond de son cœur, elle souhaitoit que rien ne s’offrist pour elle qui la pust tenter, afin de pouvoir vivre toujours dans l’estat heureux de liberté où sa mere la laissoit. Ses souhaits ne furent point accomplis. Le Cavalier ne put resister à sa passion. Il pria la Mere de luy accorder sa Fille, & il les laissa maistresses des conditions. La Belle surprise de la declaration, demanda du temps pour se consulter. Elle ne sentoit aucun panchant pour un engagement de cette nature, & l’inconstance de son Amie luy faisant envisager l’obligation d’aimer un Mary comme un malheur qui auroit pour elle des suites facheuses, elle auroit prié le Cavalier de changer de sentimens, si sa Mere, & tout ce qu’elle avoit d’Amis, ne luy eussent representé le tort qu’elle auroit de s’opposer elle-mesme à sa fortune. Les propositions du Cavalier furent acceptées, & comme il luy fut permis d’expliquer tout son amour, il eut du chagrin de voir que la Belle n’y répondoit que par des honnestetez qu’il luy estoit impossible de ne pas avoir. Il eut beau luy reprocher une certaine froideur qu’elle ne prenoit aucun soin de luy cacher ; elle luy disoit que les plus fortes passions des hommes s’éteignant en peu de temps, il estoit bon qu’elle ménageast son cœur, & c’est ce qu’elle faisoit de telle sorte que bien souvent au lieu d’écouter les tendres protestations qu’il luy faisoit, elle caressoit sa chienne qu’elle aimoit éperduëment, jusqu’à donner lieu au Cavalier d’en faire paroistre de la jalousie. Il luy disoit quelquefois par je ne sçay quel dépit de l’en voir si occupée, qu’il avoit peine à comprendre comment on pouvoit caresser tant une beste, qui toute jolie qu’elle pouvoit estre, ne meritoit pas qu’on s’y attachast comme faisoient la pluspart des Femmes. La-dessus elle élevoit la beauté & la fidelité de sa chienne, & s’il vouloit luy faire sa cour, il falloit qu’il se contraignist à la caresser comme elle. Un jour que voulant luy plaire, il l’avoit mise sur ses genoux ; l’envie qu’elle eut de sauter sur sa Maistresse, fit qu’elle tomba en cherchant à s’échaper, & comme elle estoit tres-petite & délicate, elle fit un cry qui dura long temps, & donna sujet d’apprehender qu’elle ne se fust blessée. La Belle au desespoir de sa cheute, querella le Cavalier d’une maniere fort impetueuse, & ne fut plus capable d’entendre raison, voyant que sa chienne continuoit à se plaindre. On luy apporta dequoy manger, & elle détourna la teste de toutes les choses qu’elle aimoit le plus. Ce fut assez pour faire dire à la Belle que tous ses plaisirs estoient perdus, & que sa chienne estoit morte. Elle mourut en effet deux jours aprés, & quand la Belle auroit perdu tout ce qu’elle avoit de plus cher au monde, elle n’auroit pas montré une plus sensible affliction. On ne pouvoit essuyer ses larmes, & elle dit mille fois que ce n’étoit point à elle à aimer, puisque ses attachemens luy coustoient toujours si cher. Le Cavalier voulut luy parler, & si-tost qu’il se montroit, elle fuyoit en disant qu’elle ne pouvoit suporter la veuë d’un homme qui l’avoit privée de ce qu’elle aimoit le plus. Elle ajoûtoit qu’il l’avoit fait à dessein par un pur motif de jalousie. Tout ce qu’on luy put dire sur les contes qu’elle donneroit sujet de faire, quand on sçauroit que pour une Chienne morte, elle auroit rompu un mariage si avantageux pour elle, ne servit qu’à l’affermir dans la resolution de ne plus revoir le Cavalier. Des sentimens si bizarres n’ont point manqué de le rebuter. Il a obligé la Mere à lui rendre sa parole, & quand on voudroit conclurre le mariage, on ne croit pas qu’on pust l’obliger à y consentir.

[Vers sur la mort de Mr de Rez]* §

Mercure galant, mars 1694 [tome 3], p. 305-308.

Nous avons aussi perdu un Avocat fort celebre qui n’estoit âgé que de quarante trois ans. C’estoit M. de Rez. Je ne vous en diray rien, me contentant de vous envoyer les Vers que Mr de Vertron a faits sur cette mort.

 Pleurez, pleurez, pauvres Plaideurs,
Vostre Avocat est mort, l’un de nos grands Réteurs.
 Assurément c’est une perte
 Et pour vous, & pour le Barreau.
Themis d’un voile noir a la teste couverte
Voyant de Rez dans le Tombeau.
De Rez avoit le stile, & l’esprit de Pageau,
De Patru la langue diserte,
De Fourcroy la science ; il estoit jeune & beau.
Assurément c’est une perte
 Et pour vous, & pour le Barreau.
 Pour ses Clients rempli de zele,
 Des Avocats il estoit le modele ;
Mais cet illustre Mort vivant dans ses écrits
 Charmera toujours nos esprits.
Si Paris est une autre Athéne,
De Rez estoit son Demosthène.
Cet Orateur divin avoit un tour nouveau,
 Le geste aisé, l’air doux, la mine ouverte
 Assurément c’est une perte
 Et pour vous & pour le Barreau.
Consolez-vous pourtant, infortunez Plaideurs ;
La Sale du Palais n’est pas encor déserte,
 Vous avez d’autres Orateurs ;
Au défaut d’un Le Maistre, au défaut d’un Pucelle,
Au défaut d’un Langlois, vous avez un Nivelle,
Un Sachot, un Robert, un Vaultier, un Chardon,
Un Dumont, un Errard, qui tous charment l’oreille.
 Ah ! si j’avois une langue pareille.
On m’entendroit parler, comme eux, en Ciceron.
J’étalerois les traits de la belle Eloquence,
Et pour me consoler d’une Fatalité
Qui trop souvent, helas ! m’appelle à l’Audience,
 Je ferois voir la Verité,
Avec l’Art enchanteur d’une brillante Prose
Je plaiderois moi-même, & gagnerois ma Cause.

[Livres nouveaux]* §

Mercure galant, mars 1694 [tome 3], p. 310-313.

Il paroist depuis peu un Livre intitulé, Journal des Marches, Campemens, Batailles, Sieges & Mouvemens des Armées du Roy en Flandre, & de celles des Alliez, depuis l’année 1690, jusques à present. Il a esté presenté au Roy par Mr Vaulrier, Commissaire ordinaire de l’Artillerie, & on y voit les ordres & la conduite d’un General, les Campemens, les marches, la maniere de les assurer, & d’occuper un terrain à la veuë de l’Ennemy, en quoy consiste le secret de l’Art militaire, & d’où dépend le succés des grandes actions. Il y a joint, par rappor à nos mouvemens, tous ceux des Ennemis qui ont esté de quelque importance, & leurs dispositions les mieux entenduës dans les differentes occasions. Cet Ouvrage est d’un stile concis, & accompagné d’une Carte particuliere des lieux de la Flandre où se sont passez les mouvemens dont l’Auteur parle. Cette Carte a esté dressée sur ses Memoires par Mr Moullart Sanson, Geographe du Roy. Les Campemens de chaque année y sont marquez par des couleurs differentes. On y a mis aussi les Camps que les Ennemis ont occupez proche de nos Armées. Ainsi elle donnera un plein éclaircissement de tout ce qu’on pourra souhaiter. Ce Livre se vend chez le Sr Brunet, à l’Enseigne du Mercure Galant au Palais, dans la grande Salle.

Il débite aussi une Comedie faite sur des Originaux dont il se trouve dans tous les estats du monde, elle est intitulée Les Soufleurs, dont elle fait voir une peinture fort divertissante. Outre les Estampes qui se trouvent dans cette Piece, elle est remplie de quantité d’Airs notez, de sorte qu'elle ne plaist pas moins par la diversité qui s’y rencontre, que par les choses plaisantes que l’on a tirées de son sujet.

Air nouveau §

Mercure galant, mars 1694 [tome 3], p. 318-319.

Rien ne sçauroit estre plus de saison que l'Air nouveau que je vous envoye.

AIR NOUVEAU.

Avis aux Relieurs pour placer les Figures : l’Air regarde la page 319.
Chrestiens, aimez tous la souffrance,
Ou cessez de porter un nom si glorieux,
Rien n'est plus assuré que le chemin des Cieux
Est celuy de la patience.
images/1694-03_318.JPG