1694

Mercure galant, mai 1694 [tome 5].

2017
Source : Mercure galant, mai 1694 [tome 5].
Ont participé à cette édition électronique : Nathalie Berton-Blivet (Responsable éditorial), Anne Piéjus (Responsable éditorial), Frédéric Glorieux (Informatique éditoriale) et Vincent Jolivet (Informatique éditoriale).

Mercure galant, mai 1694 [tome 5]. §

[Sonnet Italien] §

Mercure galant, mai 1694 [tome 5], p. 7-10.

Il n’y a personne qui ne demeure d’accord que le Roy est le plus grand Prince que Dieu ait jamais donné à la terre. Ses qualitez toutes merveilleuses surprennent toujours, & ne causent pas moins d’admiration que d’étonnement. Ainsi, quoy que la plus grande partie de l’Europe soit declarée contre luy, s’il a beaucoup de Nations à combattre, c’est, pour ainsi dire, sans s’estre fait d’Ennemis, toutes les Puissances liguées l’estant bien plûtost contre sa gloire, qu’elles ne le sont contre sa personne. Aussi voyons-nous que les Etrangers n’ont pas moins d’ardeur à le loüer, que ceux qui vivent sous sa domination. Le Sonnet Italien que je vous envoye en est une preuve. Il est del Cavaliere Nicolai.

ALLA SACRA
REAL MAESTA
di Ludovico Magno.
SONETTO.

Heroe guerriere, il cui valor sourano
La Fama ogn’or nell’ universo intuona ;
Soggetta al tuovoler fatta è Bellona,
Ogni potenza a te resiste in vano.
***
 Ingemma ogn’or la tua vittrice mano
Dell’ Imperio de Franchi la Corona ;
S’adora il tuo gran nome in ogni Zona,
L’arbitro fatto sei del nume Giano.
***
 Lauri eterni al tuo crin cinge la gloria,
Ogni clima nemico a te si cole,
Che nato a un parto sei con la vittoria ;
***
 Egia spennata l’Aquila si duole,
Con le cui penne serivera l’historia
L’inaudito valor del Franco Sole.

[Sonnet] §

Mercure galant, mai 1694 [tome 5], p. 10-12.

Vous lirez avec plaisir cet autre Sonnet, vous qui estes dans une apprehension perpetuelle que les fatigues où Sa Majesté s’expose dans chaque Campagne, n’alterent une santé si prétieuse à l’Etat.

AU ROY,

Tu te trouves, grand Prince, au sommet de la gloire,
L’état où tu te vois est le plus élevé
Où jamais icy-bas Mortel soit arrivé,
Et cependant tu cours sans cesse à la Victoire.
***
Veux-tu que sur les murs du Temple de Memoire
Autre nom que le tien ne puisse estre gravé ?
Quoy, pour ton cher Dauphin n’aurois tu reservé
Que l’unique plaisir de lire ton Histoire ?
***
Mets-luy la foudre en main, & luy laisse le soin
De porter, s’il se peut, tes conquestes plus loin ;
Tu vois pour les Combats le beau feu qui le brûle.
***
Il semble qu’à ta gloire il ne manque aujourd’huy,
Aprés avoir dompté plus de Monstres qu’Hercule,
Que de sçavoir, grand Roy, te borner comme luy.

[Premiere Messe dite à Strasbourg par Mr l’Abbé d’Auvergne, avec plusieurs particularitez tres-curieuses] §

Mercure galant, mai 1694 [tome 5], p. 41-46.

Si la devotion porte toujours les vrais Fidelles à se trouver aux Ceremonies ordinaires de la Religion Catholique, la curiosité y attire assez souvent ceux mesmes qui en professent une contraire, quand la nouveauté les accompagne. C’est ce qui est arrivé depuis peu dans la celebration de la premiere Messe de Mr l’Abbé d’Auvergne, dont vous allez lire le détail. Je l’ay tiré d’une Lettre écrite par un Bourgeois de Strasbourg, à un de ses Amis de Paris. Il la finit par ces termes.

Je profite du reste de mon papier, pour vous apprendre un nouvelle. Le 25. de Mars, jour de l’Annonciation de la Vierge, Mr le Prince Henry d’Auvergne, Chanoine Capitulaire de la Cathedrale de cette Ville, celebra sa premiere Messe avec un grand éclat. Messieurs de l’Estat Major, & du Magistrat y assisterent, aussi-bien que tout ce qu’il y avoit de plus distingué dans la Ville & dans la Garnison. L’on ne se souvient pas d’avoir jamais vû un concours si prodigieux, bien des gens y estant venus de dehors, & beaucoup de Lutheriens s’estant joints aux Catholiques pour voir une Ceremonie qui n’avoit point esté pratiquée depuis fort longtemps ; car j’ay oüy dire qu’il y avoit plus de deux cens ans que la Messe n’avoit esté dite par aucun de Mrs les Grands Chanoines de la Cathedrale, & Mr le Prince Henry est encore le seul Prestre aujourd’huy dans le Chapitre. Il passe pour estre fort regulier dans sa conduite, & fort liberal envers toute sorte de Pauvres. A la fin de sa Messe, qui fut chantée par une tres belle Musique, accompagnée de symphonie, Madame la Princesse de Feldens, Palatine nouvellement convertie, & Madame la Marquise de Chamilly, Gouvernante de la Place, communierent, ainsi que beaucoup d’autres Personnes de consideration de l’un & de l’autre Sexe, sans compter tous les Seminaristes. Ce Prince officia avec la mesme modestie le reste du jour, la Semaine sainte, & les Festes. Il a sous sa conduite le Prince Frederic son Frere, qui n’a pas plus de douze ans, & qui promet beaucoup. Ce jeune Prince ayant esté élû Chanoine Domiciliaire de la mesme Eglise Cathedrale de Strasbourg le 25 de Février, fut mis en possession de son Canonicat par Mr le Grand Doyen, en presence des principaux Officiers de la Ville. Je suis, Monsieur, vostre, &c. A Strasbourg le 15. Avril 1694.

A Monsieur. Satyre §

Mercure galant, mai 1694 [tome 5], p. 51-63.

Je vous envoye une Satyre dont l’Auteur m’est inconnu. Vous y trouverez beaucoup de choses, dont ceux qui ont à choisir une profession, doivent profiter.

A MONSIEUR DAMON.
SATYRE.

Amy jeune & prudent, qui dés ta tendre enfance
Des plus hautes vertus nous donnois l’esperance,
Et qui dans l’âge encore où mille vains desirs
Nous font tout negliger pour courir aux plaisirs,
Animé seulement de l’amour de la gloire,
Fais tout pour conserver ton nom & ta memoire,
Appliqué sans relâche à débroüiller les Loix,
Tu peux déja remplir les plus vastes emplois.
Pour condamner le crime, & sauver l’innocence
Tes mains peuvent déja soutenir la balance.
Damon, nous te verrons habile Senateur
A la Cour de Themis paroistre avec honneur.
Dans tes premiers Conseils brillera la sagesse,
Que donne rarement la derniere vieillesse ;
La Déesse admirant toutes tes qualitez,
Un jour fera sur toy pleuvoir ses dignitez.
Un jour des Orphelins tu seras le refuge ;
On trouve en ta personne un veritable Juge.
La prudence, l’esprit, la probité, la foy,
L’équité, la douceur, tout se rencontre en toy.
Tu n’imiteras point ce Juge mercenaire,
Que l’or par son éclat rend facile ou severe ;
Qu’un regard amoureux a toujours desarmé,
Par qui le Pauvre enfin est toujours opprimé.
Rien ne te fléchira que la seule innocence,
En tout temps, en tout lieu tu prendras sa défense.
Poursuis donc, cher Damon, poursuis sans balancer.
C’est là le seul party que tu dois embrasser.
Les uns sont pour la Paix, les autres pour la guerre.
Luxembourg de Louis peut porter le tonnerre.
Talon, dans le Palais le digne appuy des Loix,
Peut aux Juges charmez faire entendre sa voix.
Quintin, à qui le sang & l’amitié t’engage,
Lors que quelques Printemps auront meury son âge,
Pourra le fer en main, comme tous ses Ayeux,
Chercher, nouvel Achille, un destin glorieux.
Quant à toy, dans un Camp tu ne dois point paroistre.
C’est pour la seule Paix que le Ciel t’a fait naistre.
Ne va pas imiter ces esprits inconstans,
Qui dans leur propre estat ne sont jamais contens.
L’un né pour le Barreau, dont il seroit la gloire,
Veut dans les champs de Mars voler à la victoire.
L’autre, dont la vigueur pourroit vanger les Rois,
Aime à nous ennuyer d’un long recit de Loix.
Un Misantrope affreux vient parmy le beau monde,
Lors qu’il devroit chercher quelque grotte profonde.
Un jeune Damoiseau qui ne vit que d’amour,
Pour aller dans un Cloistre abandonne la Cour,
Et de tous ses desirs traîne avec luy l’escorte.
Enfin on voit par tout des esprits de la sorte.
Si je parlois de tous, ce long dénombrement
Pourroit lasser R** qui parle incessamment.
Que ces mots sont divins ! Prens soin de te connoistre,
Voy quels sont tes desirs, & ce que tu peux estre.
L’homme devroit toujours les porter dans son cœur,
Soit que de la retraite il cherchast la douceur,
Soit que l’Himen pour luy parust avoir des charmes,
Ou qu’un boüillant transport luy mist en main les armes.
Prens soin de te connoistre. Aprés qu’un trait cruel
Eut du Fils de Thetis frapé l’endroit mortel,
Thersite ne vint pas, sans cœur, sans éloquence,
Sur le vaillant Ajax briguer la préference,
Et demander un prix qu’Ulisse chancelant
N’osoit aux yeux des Grecs demander qu’en tremblant.
L’un prétend aux Chrestiens annoncer l’Evangile,
Et leur tracer du Ciel la route difficile.
Se connoist-il luy-mesme ? A-t-il reglé ses mœurs ?
Croit-il que ses discours toucheront les Pecheurs ?
Peut-il comme Boileau, Seanon, & Bourdalouë,
Meriter qu’en tous lieux on l’admire, on le loüe ?
Ah ! s’il n’est tout au plus qu’un C** qu’un P…
Dont l’unique talent n’est que de crier haut,
Il ne doit pas aller sous de mauvais auspices,
Par de fades Sermons faire la guerre aux vices.
Cet autre de Bartole endossant le harnois,
Se promet au Palais de glorieux exploits.
Peut-il par le secours d’une vive éloquence
D’un labirinthe affreux retirer l’innocence ?
Peut-il se distinguer de ces Grimaux glacez,
Qui dans leurs Plaidoyers toujours embarassez,
Sans expliquer le fait vont battre la campagne,
Tantost dans le Japon, tantost dans l’Allemagne ?
Ne le verrons-nous pas encor aprés vingt ans,
Se cacher inconnu parmy les écoutans ?
D’où vient qu’on entreprend plus qu’on ne devroit faire ?
Je ne puis un moment demeurer solitaire.
Quoy, pour avoir un froc ne m’est-il pas permis
D’avoir quelque amourette, & de voir mes Amis ?
On ne peut vivre seul, pourquoy se faire Moine ?
Pourquoy comme D… vouloir estre Chanoine,
Si l’on ne veut jamais en remplir le devoir,
Si l’on ne voit le Chœur que pour s’y faire voir ?
A Matines, grand Dieu ! qui moy ? qu’osez vous dire ?
Est-ce donc une Loy qu’on me doive prescrire ?
Je vais jusqu’à minuit joüer, faire l’amour,
Puis-je aprés m’éveiller à la pointe du jour ?
Encor si j’esperois au retour de l’Aurore
Trouver dans nostre Chœur la Beauté que j’adore,
J’irois par des regards encor pleins de langueur
Me rendre adroitement le maistre de son cœur.
Voila, voila les soins où son ame est sensible ;
Heureux, si connoissant son panchant invincible,
Au pied de nos Autels il n’eust pas fait des vœux,
Dont la mort seule a droit de délier les nœuds.
Mais quoy, me dira-t-on, vous qui parlez en maistre,
Qui voulez que chacun apprenne à se connoistre,
Vous connoissez-vous bien ? On diroit à vous voir
Prendre à nous diriger un absolu pouvoir,
Qu’ainsi qu’un Dépreaux vous pouvez nous reprendre
Et ne craignez vous pas d’oser trop entreprendre ?
Pense-t-on que mes Vers n’auront pas de Lecteurs ?
Nous voyons tous les jours mille méchans Auteurs,
Aprés quelques Sonnets siflez sur le Parnasse,
Jusques au Poëme Epique élever leur audace,
Et qui sçachant à peine ébaucher quelques traits,
Se flatent d’égaler les plus hardis Portraits.
Un jour dans un employ quand tu seras tranquille,
Tu m’as chez toy, Damon, promis un doux azile
Là sans ambition, & sans craindre la faim,
Sur les Peintres fameux je formeray ma main.
Tantost pour te loüer je poliray mes rimes,
Et j’iray quelquefois lever le masque aux crimes,
Et des cœurs vicieux penetrant les secrets,
Contre tous les R… j’aiguiseray mes traits.

[Conte] §

Mercure galant, mai 1694 [tome 5], p. 82-87.

Le Conte que vous allez lire est de Mr Fournier de Villecerf.

GROS-JEAN ET SON CURÉ
CONTE.

Ce n’est point d’aujourd’huy que l’Ignorant censure
 Les productions de l’esprit.
Les meilleures souvent éprouvent la morsure
De force Sots que le bon sens aigrit.
 Le Conte qui suit doit t’instruire,
 Lecteur, de cette verité.
Il peut faire plaisir à qui voudra le lire,
 Et guerir un Cerveau gasté
 Du sot entestement de dire
 Son sentiment précipité.
***
 En l’un des Bourgs de Sologne
 Logeoit certain Paysan,
  Nommé Gros-Jean,
Homme de bonne humeur, passablement yvrogne,
Qui sçavoit lire en François, en Latin,
Chantoit l’Epistre à la grand’-Messe,
Et jouïssoit comme par droit d’aînesse,
 De l’Intendance du Lutrin.
***
Avec ces beaux talens boufi de vaine gloire,
 Il se croyoit un esprit sans pareil,
Le plus sçavant qu’eust vû le rivage de Loire,
 Depuis qu’y luisoit le Soleil.
Le Curé de son Bourg, homme d’un vray merite,
  Docteur de l’Université,
  Plein de vertus, de probité,
Paroissoit à Gros-Jean de science petite.
  Ce Curé fit un Sermon
  Le jour de la Dedicace ;
  Tout ce qu’il dit fut fort bon,
  Il prescha mesme avec grace,
 Et son discours si bien ravit,
Que pendant qu’il dura personne ne dormit,
Chose pourtant fort difficile à croire,
Car Bourdalouë a vû plus d’une fois,
Malgré sa Rhetorique & sa charmante voix,
 Dormir gens de son Auditoire.
 Enfin bref, le Sermon finy,
 Le bon Curé va changer de chemise,
Puis revient dans la chambre, où la table estoit mise,
 Et le bufet pour la soif bien garni.
D’abord on applaudit à sa haute science,
 Et sur sa Déclamation
 Chacun tâcha de mettre en évidence
 Ce qu’il sçavoit en cette occasion.
Gros-Jean qui ne manqua jamais aucune feste,
Estoit aussi monté pour estre du repas ;
Et quelqu’un remarquant qu’il secoüoit la teste,
 Haussoit l’épaule, & n’applaudissoit pas ;
 De cette piece d’éloquence,
 Luy dit-il, là, que penses tu ?
Moy, dit Gros-Jean ? j’ay piquié quand j’y pense,
 Elle ne vaut pas un festu.
Hardé, tené, le beau prêchage,
 J’entendions tout ce qu’il disoit ;
Pal sanguié, faut-il pas estre un fin parsonnage
Pour sarmonner comme il faisoit ?
Pour moy, j’aime bian mieux Monsieur nostre Vicaire,
 Je ne sçavons ce qu’il nous dit ;
Il n’a pas dit trois mots, bredoüillant son affaire,
 Que tout le monde s’assoupit.
***
Vous voyez ce que c’est de parler, ou d’écrire,
 Reprit alors le bon Pasteur.
 Je vous parois assez bon Orateur,
Et je suis pour Gros-Jean un sujet de Satyre.
 Dés qu’au public on s’est livré,
  On s’expose à la censure.
  Tel merite estre admiré,
  Qui d’abord reçoit injure
  D’un ignorant averé.
  Ce n’est nouvelle avanture
De trouver que Gros-Jean remontre à son Curé.

[Nouvelles Réflexions ou Sentences, et Maximes morales et politiques] §

Mercure galant, mai 1694 [tome 5], p. 90-93.

Les nouvelles Reflexions ou Sentences & Maximes morales & politiques, dédiées à Madame de Maintenon, par Mr de Vernage, Docteur en Theologie, & Chanoine de l’Eglise Royale de Saint Quentin, paroissent depuis peu dans une troisiéme Edition, augmentée d’un tiers, & de trois petits Traitez nouveaux sur la briéveté de la vie, sur les Maladies & sur la Mort. Ces trois Editions ont esté faites depuis l’année 1690. ce qui fait voir que le debit de ce Livre a esté fort grand, & en marque en même temps la bonté, puis que les Ouvrages ausquels on court avec tant d’empressement, ne sont jamais mediocres, tout le Public ne se pouvant abuser, & rien n’estant assez fort pour détruire l’estime que l’on a justement pour ce qui est universellement approuvé. La troisiéme Edition dont je vous parle a esté faite par le Sr Amaulry, Libraire à Lyon, & il la fait debiter à Paris chez le Sr Lambin, ruë S. Jacques, à l’Enseigne du Miroir.

Le sort & la marque des bons Livres estant d’être imprimez plusieurs fois, il ne faut pas s’étonner si les Entretien sur la pluralité des Mondes, de Mr de Fontenelle, ont esté imprimez pour la troisiéme fois, augmentez d’un nouvel Entretien. Ils se vendent chez le Sr Brunet au Palais, aussi-bien que les Dialogues des Morts, imprimez pour la quatriéme fois, & tous les Ouvrages du mesme Auteur.

[Service fait par l’ordre de Mrs de l’Académie de Villefranche] §

Mercure galant, mai 1694 [tome 5], p. 131-134.

Mrs de l’Academie Royale de Villefranche ont fait faire un Service solemnel pour le repos de l’ame de Mr de Villeroy, Archevesque de Lyon, leur Protecteur. Un de leurs Academiciens y prononça l’Eloge funebre de ce Prelat avec autant d’éloquence que de zele. Quelques jours aprés, le fils de Mr de Bessié du Peloux, Secretaire perpetuel de cette Compagnie, soûtint publiquement au College des Peres Jesuites de Lyon, des Theses de Philosophie, avec beaucoup d’éclat & de succez. L’Assemblée y fut nombreuse & choisie. La Planche n’est pas moins considerable par la dépense, qu’elle est agreable par l’invention. La Figure principale est une Dame, qui a l’air, où l’on voit la Majesté mêlée avec la douceur, & qui par ce mélange heureux, represente l’Academie. Elle tient en sa main droite une Plume, & en sa gauche un Livre, qui est le Recueil des Pieces d’Eloquence & de Poësie, faites par les Academiciens, à la gloire du Roy, comme le Pere des Lettres, & le modele des Monarques, figuré sous le symbole du Soleil, dont les rayons éclairent le Temple de la Gloire. Le dehors pompeux & magnifique de ce Temple, luy est montré par un petit Genie, qui tient la devise de cette Academie, dont le corps est une Rose de Diamans, & qui a ces mots pour ame, Mutuo clarescimus igne. La Barbarie paroist renversée sous de vieilles masures d’Architecture ancienne. On apperçoit dans l’air au dessus du Temple, la Renommée qui embouche une trompette, & qui en tient une autre pour s’en servir tour à tour dans les deux Mondes en faveur de LOUIS LE GRAND, & pour y publier ses nouvelles Conquestes. Comme cette These est dédiée à Mrs de l’Academie de Villefranche, on a pris soin de graver aux quatre costez des Conclusions de Philosophie, sur des branches de laurier, les armes, les noms, & les qualitez de Mrs les Academiciens.

[Sonnet pour la Médaille du Roy, proposé par Mrs de l’Académie des Lanternistes de Toulouse] §

Mercure galant, mai 1694 [tome 5], p. 134-137.

Mr d’Hautmont, l’un des Academiciens de cette Compagnie, a fait le Sonnet qui suit, pour la medaille du Roy proposée par Mrs les Lanternistes de Toulouse, sur leurs Bouts-Rimez. Vous vous souvenez de ce que je vous ay dit de ces Lanternistes, dans l’une de mes dernieres Lettres.

A LA GLOIRE DU ROY.
SONNET.

Qu’au Temple de la Gloire, on éleve le Buste
Du Heros qui cent fois dans l’horreur des glaçons,
Cent fois parmy les feux des brûlantes moissons,
A dompté l’Aigle fiere, & le Lion robuste.
***
Plus qu’Alexandre en guerre, en paix plus grand qu’Auguste,
Ses faits à tous les Rois serviront de leçons,
Aux neuf Sœurs, de matiere à de doctes chansons
A l’honneur de son regne aussi brillant que juste.
***
Lâches adorateurs du crime & de l’orgueïl,
Qui fuyez de la Paix le favorable accueïl,
LOUIS parle, tremblez, son bras est nostre digue.
***
D’une Ligue infidelle il confond les ressors,
Et bien tost sa valeur en miracles prodigue,
Va du Monde Chrestien rétablir les accords.

[Autre] §

Mercure galant, mai 1694 [tome 5], p. 137-140.

PRIERE POUR LE ROY.

 Les desseins de Louis tendent à vostre gloire
Seigneur, sur ce grand Roy, redoublez vos bienfaits,
Et le menant toûjours de victoire en victoire,
Couronnez ses travaux par une heureuse Paix.

Cornua peccatorum confringam, & exaltabuntur cornua justi. Ps. 4. v. 10.

Un illustre Inconnu, sous le nom du Chevalier de l’Etoile, a adressé à ces nouveaux Academiciens, le Sonnet suivant, qu’il a fait impromptu, à la consideration de quelques Dames sçavantes, avec lesquelles il eut le plaisir de dîner ces jours passez.

SONNET.

Auquel de nos Heros est dû l’honneur du Buste ?
C’est sans doute à celuy qui malgré les glaçons
De lauriers immortels fait par tout des moissons,
Et qui plus qu’un Alcide est vaillant & robuste.
***
En clemence LOUIS surpasse mesme Auguste,
Cesar sur la valeur prendroit de ses leçons.
Formons pour luy des vœux, redoublons nos chansons
En l’honneur d’un Monarque & si grand & si juste.
***
Il pardonne aux soûmis, mais il punit l’orgueïl.
Il fait toûjours aux siens un favorable accueïl,
Il oppose à l’envie une invincible digue.
***
Il meut sans se mouvoir mille & mille ressors.
Le Ciel en le formant de ses dons fut prodigue,
Et ses dons font en luy de merveilleux accors.

PRIERE POUR LE ROY.

 Nous reconnoissons icy-bas
Louis pour ta fidelle image ;
Puisque c’est ton plus bel ouvrage,
Seigneur, ne l’abandonne pas.

Exaudiet illum de cœlo sancto suo, in potentatibus salus dexteræ ejus.

[Discours fait à la loüange du Roy, à l’ouverture des jeux Floraux] §

Mercure galant, mai 1694 [tome 5], p. 140-141.

 

Mr le President de Resseguier, l’un des sept Mainteneurs des Jeux Floraux de Toulouse, estant mort, Mr Resseguier le Conseiller en fit l’ouverture par un beau Discours à la loüange du Roy, le 15. d’Avril dernier ; & le premier de ce mois on donna les trois Fleurs à Mrs Crozat, Gourdou, & Colomiez, pour leurs Chants Royaux & leurs Sonnets.

Sur une Traduction des Pseaumes, faite en Vers par Mademoiselle Cheron. Ode §

Mercure galant, mai 1694 [tome 5], p. 141-148.

Je vous parlay il y a quelque temps d’un Essay de Pseaumes & de Cantiques, que Mademoiselle Cheron a mis en Vers, enrichis d’un grand nombre de Figures. Je ne sçaurois mieux justifier ce que je vous en dis d’avantageux, qu’en vous envoyant les Vers que Mr de Sennecé a faits sur cette excellente Version. Jugez de la beauté des Ouvrages qu’il abandonne au Public, quand ils sont sur d’autres matieres que la loüange d’un Livre.

SUR UNE TRADUCTION
des Pseaumes, faite en Vers par Mademoiselle Cheron.
ODE.

Equitable Renommée,
Qui du naufrage des temps,
Par le merite charmée,
Sauves les noms éclatans ;
Suspens ta voix de tonnerre,
Qui redouble de la guerre
Le tumultueux effroy,
Et d’un accent plein de grace
Viens celebrer au Parnasse
Une Femme comme toy.
***
 Ce beau Sexe dont la flâme
Prend sa source dans les Cieux,
Ne captive point nostre ame
Par le seul plaisir des yeux.
Chez luy la delicatesse,
Le bon goust, la politesse
Regnent d’un air élevé.
Sans secours & sans culture
Il reçoit de la Nature
Un esprit tout cultivé.
***
 Sapho n’est point obscurcie
Des ombres de deux mille ans,
Et Rome, de Sulpicie
Honore encor les talens.
La Greque de sa tendresse,
Avec art, avec finesse,
Peint les transports aveuglez ;
Et la Romaine plus sage,
Des douceurs du Mariage
Charme les esprits reglez.
***
 Et toy, France, dont la gloire
Fournit tant de grands objets,
Pour embellir ton Histoire
Manqueras tu de sujets ?
A l’Italie, à la Grece,
Superbes pour la Noblesse
De quelque nom favory,
Oppose en troupe confuse
Bernard, Des-jardins, la Suze,
Des Houlieres, Scudery.
***
 Mais quelle Etoile nouvelle
Brille à mes yeux étonnez,
Dont la splendeur immortelle
Rendra nos Fastes ornez ?
Est-ce une chaste Déesse ?
Est-ce Anne la Prophetesse,
Sœur & Compagne d’Aron,
Qui sous un habit de Muse,
Par une pieuse ruse,
Se fait appeller Cheron ?
***
 Cheron, Muse, ou Prophetesse,
Que l’Esprit Saint dans tes Vers
Affermit bien la foiblesse
D’un cœur accablé de fers !
Soit qu’ils décrivent l’atteinte
Du remords & de la crainte
Qui suit l’Impie en tout lieu,
Soit que leur sainte energie
Nous fasse l’Apologie
De la conduite de Dieu.
***
 David, que la repentance
De son crime avoit purgé,
A l’amere penitence
Par tes Vers est rengagé.
Dans le comble de la gloire
Une touchante memoire
Attendrit ce sage Roy,
Et ta Version fidelle
Luy rend sa douleur si belle,
Qu’il pleure encor avec toy.
***
 Les Hebreux dans leurs souffrances
A leur Patrie arrachez,
Aiment par tes remontrances
La peine de leurs pechez.
Ce Peuple que ta voix flate,
N’abhorre plus tant l’Euphrate,
Ennobly de tes chansons.
Et voudroit sur son rivage
Vivre encor dans l’esclavage
Eclairé par tes leçons.
***
 O beautez, qui du Parnasse
Avez connu l’art touchant,
A Cheron, qui vous efface,
Cedez la grace du Chant.
Les éclatantes merveilles,
Qui sont l’objet de ses veilles,
L’élevent jusques aux Cieux,
Et sa gloire nous devance,
Comme le Dieu qu’elle encense
Devance les autres Dieux.
***
 Vole, Déesse, où t’engage
Le soin de nos interests.
Le Rhin, la Meuse, & le Tage,
Frissonnent de nos apprests.
Recommence la fatigue,
Qu’à la honte de la Ligue
LOUIS te donne aujourd’huy ;
Seul il te met hors d’haleine,
Et tes cent bouches à peine
Suffisent-elles pour luy.

[Histoire] §

Mercure galant, mai 1694 [tome 5], p. 148-174.

Les malheurs qui arrivent tous les jours par les mariages mal-assortis, ne sont point des exemples assez forts pour empescher que l’interest ou l’ambition ne prévalent toûjours aux motifs d’estime, de rapport d’humeur, & de simpatie, qui devroient former ces sortes d’engagemens. Ce que je vais vous conter en est une preuve. Un Officier revêtu d’une Charge tres-considerable dans la Robe, & d’une Famille où de grandes dignitez avoient mis beaucoup d’éclat, jetta la vûë pour se marier sur une jeune personne, dont la naissante beauté commençoit déja à faire force conquestes. Cet avantage estoit soutenu d’une fortune, qui l’auroit fait rechercher quand elle n’auroit pas eu tous les agrémens qui brilloient dans sa personne. Il est vray que sa naissance estoit assez mediocre, mais ce deffaut n’est pas grand lors que l’argent a dequoy le reparer, & l’Officier qui estoit avare le compta pour rien. Comme il se laissoit conduire à l’interest seul, il s’adressa à son Pere, sans se mettre en peine s’il pourroit toucher le cœur de cette jolie personne. Le Pere qui de son costé s’abandonna à l’ambition, fut ravy d’une alliance qui mettoit sa Fille dans un rang fort élevé, & sans luy rien dire de la proposition qu’on luy faisoit, il arresta toutes choses avec l’Officier, qui ne voulant point joüer le personnage d’Amant, pressa fortement la conclusion de son mariage. Ainsi la Belle fut fort étonnée quand on luy vint annoncer qu’elle estoit promise, & qu’elle devoit estre mariée dans quatre ou cinq jours. Un terme si court luy fit frayeur. Quoy que son cœur fust un cœur tout neuf, qui n’ayant jamais aimé devoit estre indifferent au choix que son Pere avoit fait pour elle, il luy parut qu’elle avoit le principal interest dans cette affaire, & elle luy dit que s’il vouloit bien luy donner un peu de temps pour s’accoutumer à la vûë d’un homme qui luy estoit entierement inconnu, elle engageroit sa liberté avec moins de repugnance. Il luy répondit que c’estoit à elle à obéïr, & qu’il sçavoit bien ce qu’il faisoit, & la peur qu’il eut que le party ne luy échapast, luy fit user de la pleine autorité de Pere pour tenir parole à l’Officier. Toutes les larmes de la Belle furent inutiles pour obtenir le moindre delay. Le mariage se fit presque aussitost qu’il fut proposé, & vous pouvez vous imaginer dans quel triste estat elle se trouva, lors qu’elle se vit au pouvoir d’un homme, qui ne l’ayant point choisie par amour, ne luy fit paroistre dans ses manieres d’agir, aucun de ces tendres sentimens qui peuvent gagner les jeunes personnes. Il n’y eut jamais une plus grande opposition que celle qui se rencontra dans leur humeur. La Belle estoit douce, il estoit fort turbulent. Elle se sentoit portée à une dépense honneste, rien ne luy ayant esté épargné dés ses plus jeunes années, & il se privoit de tout pour faire toûjours quelque nouvelle acquisition. Il estoit sur tout si contrariant, qu’il suffisoit qu’elle témoignast avoir envie d’une chose, pour l’obliger à ne vouloir pas souffrir qu’elle se pust satisfaire. Cette conduite luy fit prendre malgré elle un si grand dégoust pour luy, que tout son attachement à bien remplir ses devoirs, ne fut point capable d’étouffer la secrette aversion qu’elle sentoit dans son cœur. L’enjoûment qui luy estoit naturel se changea bientost en un chagrin sombre, qui la rendoit insensible à tous les honneurs que son rang luy attiroit. Son teint vif & éclatant se trouva terny, elle devint maigre, & le peu de soin qu’elle prit d’elle, laissa évanoüir sa beauté. Elle passa quatre ou cinq années de cette sorte, & ce qui la fit souffrir davantage, c’est qu’estant d’une merveilleuse propreté, elle ne put par ses douces remontrances obtenir de son Mary qu’il prist quelque soin de se rendre propre. Enfin une maladie survenuë fort à propos l’en delivra, dans le temps que le chagrin qui la devoroit, la menaçoit elle mesme d’une mort prochaine. Quoy qu’elle parust fort moderée dans la joye que ce changement lui devoit causer, elle gousta d’autant plus la douceur de se voir Veuve, que n’ayant point eu d’Enfans, elle se trouva sans aucune charge, & maistresse d’elle-mesme. Son Pere n’eut plus de pouvoir sur elle, & tous les partis qu’il luy proposa bien tost aprés furent rejettez. Elle se voyoit beaucoup de bien avec un rang distingué, & pour former des prétentions encore plus hautes, elle n’avoit qu’à attendre le retour de sa beauté. Le repos & la satisfaction d’esprit où elle vivoit, luy redonnerent en fort peu de temps les vives couleurs qu’elle avoit perduës, & l’embonpoint qui luy avoit manqué dans tout le temps de son mariage, s’estant joint aux charmes que la nature avoit répandus sur sa personne, elle fut regardée de tous côtez comme la merveille de son Sexe. Elle n’avoit alors que vingt ans, & comprenant que l’estime qu’on auroit pour elle dépendroit de sa conduite, elle s’observa si bien, qu’il n’y en eut point de plus reguliere. On la rencontroit chez ses Amies, mais on la voyoit rarement chez elle. Les visites assiduës blessoient ce qu’elle devoit à sa réputation, & ce fut ce qui enflamma encore davantage beaucoup d’Amans qu’elle fit. Plus elle marquoit de retenuë, plus ils s’empressoient à se trouver dans les lieux où ils sçavoient qu’elle alloit le plus souvent, & c’estoit à qui pourroit luy donner de plus fortes marques de la passion que chacun d’eux avoit de luy plaire. Elle payoit leurs galantes declarations par toute l’honnesteté qu’ils pouvoient attendre d’elle ; mais sans dire qu’elle renonçoit à un second mariage, elle faisoit concevoir que les chagrins que le premier luy avoit causez, la rendroient difficile sur le choix, & on voyoit bien que sa conqueste ne seroit pas une chose aisée. Elle avoit raison de ne rien précipiter. Son estat estoit heureux, & à moins d’une fortune extraordinaire, ou que l’Etoile n’agist, il luy devoit estre avantageux de garder le nom de Veuve. Il y avoit déja deux années entieres qu’elle conservoit cette prétieuse qualité, sans avoir eu aucune tentation de s’en défaire, lors que s’estant trouvée en un lieu où l’on donnoit une grande feste, elle y remarqua un jeune Marquis, dont l’air commença à luy imposer. Il avoit la taille fine & fort dégagée, & ce qui estoit le plus capable de la toucher, son ajustement estoit si bien entendu, & marquoit une personne si propre, qu’elle ne put résister à la curiosité qui la porta à vouloir sçavoir son nom. Ce qu’elle en aprit, soit pour le bien, soit pour la naissance, ne put que luy donner des impressions favorables au Marquis, qui l’ayant distinguée d’abord parmy celles de son Sexe, ne fut pas moins empressé à demander qui elle estoit. Ce rapport de sentimens dans leur curiosité, en produisit dans l’estime qu’ils sentirent l’un pour l’autre dés cette premiere veuë. Le Marquis la fit paroître en s’approchant de la jeune Veuve, & cherchant toujours à luy parler. Elle répondit avec esprit aux choses flatteuses qu’il prit plaisir à luy dire, & elle le fit d’une maniere qui ne luy donna pas lieu de faire diversion. La feste ayant finy par le Bal, il la mena danser plusieurs fois, & s’en acquitta avec tant de grace, qu’elle ne pût se défendre de le regaler de quelque douceur sur son air aisé. Comme il n’est pas difficile de remarquer quand on plaist, le Marquis se separa de la Veuve persuadé qu’il n’estoit pas mal dans son esprit. Voulant profiter de cet avantage, il s’attacha à luy rendre quelques soins, & s’il ne pût l’obliger à luy permettre des visites aussi assiduës qu’il les vouloit rendre, il eut au moins l’heureux privilege de se faire recevoir beaucoup plus souvent que tous ses Rivaux. Il ne put la voir longtemps sans s’abandonner à tout ce que fait sentir la plus forte passion. Comme il se sentit tres-amoureux, il resolut de se faire aimer, & n’oublia rien de ce qui pouvoit luy faire acquerir quelque empire sur son cœur. Il eut quelque lieu de se flater d’avoir réussi. Plus l’aimable Veuve le voyoit, plus ses manieres polies, sa conversation aisée & galante, & sur tout sa propreté, ébranloient insensiblement le dessein où elle estoit de ne se point rendre. Elle s’en appercevoit, & s’accusoit de foiblesse, en se demandant à elle-mesme ce qui luy manquoit dans la situation où la mettoit le Veuvage, mais en concevant le peril qu’elle couroit, elle sentoit bien qu’elle n’avoit pas la force de faire tout ce qu’il faloit pour l’éviter, & quoy qu’elle ne dist rien de positif au Marquis, le peu de soin qu’elle prenoit de le fuir, luy faisoit assez connoistre que pour l’obliger à prendre un entier engagement, il n’avoit besoin que d’un peu de temps. Les choses estoient en cet estat, lors qu’on luy fit une affaire, où un des plus particuliers Amis du Marquis la pouvoit servir utilement. Elle resolut de le prier de tâcher à mettre cet Amy dans ses interests, & quoy qu’elle sceust que luy vouloir avoir obligation, c’estoit s’engager à l’écouter encore plus favorablement qu’elle n’avoit fait, elle ne balança point à luy rendre une visite, afin que sa priere fust faite dans toutes les formes. Elle alla chez luy à neuf heures du matin, & ses Laquais luy ayant ouvert l’appartement où entroient ceux qui avoient à luy parler, coururent à la chambre de leur Maistre pour l’avertir de cette visite. Comme elle jugea qu’il n’estoit pas habillé, & qu’il la feroit attendre, elle s’en voulut épargner l’ennuy, & montant aussi-tost qu’eux, elle le trouva en robe de chambre. Il se plaignit du mauvais tour qu’elle luy faisoit en le surprenant ainsi en desordre, & venant au devant d’elle pour l’empêcher d’avancer, il la voulut mener dans un autre lieu, mais il le voulut inutilement. Elle prit un siege dans sa chambre, où tout luy parut si mal arangé & si mal propre, qu’elle fut bien-aise de s’en imprimer fortement l’idée, pour trouver par elle la guerison de son cœur. Il estoit luy-mesme dans un deshabillé dégoûtant, qui luy fit chercher en luy ce Marquis toujours si paré & si magnifique, quand il rendoit des visites, ou qu’il se montroit dans un lieu public. Ce fut pour elle en cet estat negligé un homme tout autre que celuy qu’elle avoit vû jusque-là, & elle avoit peine à le reconnoistre. Cet incident luy fit faire de grandes reflexions. Elle fut persuadée que sa parure n’estoit qu’un effet de sa vanité ; que la propreté ne luy estoit point naturelle, & que quand il cesseroit de chercher à plaire, il n’auroit plus aucun soin de sa personne. Il ne fallut rien de plus pour la refroidir dans ses sentimens. Le Marquis luy demanda ce qu’elle venoit luy ordonner, & sans luy rien dire du besoin qu’elle avoit de son Ami, elle répondit qu’elle s’estoit creuë obligée de payer au moins par une visite toutes celles qu’elle avoit receuës de luy. Il ne sceut que s’imaginer de cette réponse, & fut étonné en la revoyant, de ne plus trouver en elle un certain air gracieux qui luy répondoit de l’agrément qu’elle donnoit à ses soins. Il avoit beau estre regulier dans sa parure & dans son ajustement ; tout sembloit affectation à la jeune Veuve, & en se representant son deshabillé, & le desordre qu’elle avoit vû dans sa chambre, elle n’estoit plus sensible au plaisir que luy avoit fait d’abord sa propreté, qui commença à luy paroistre trop étudiée. La froideur qu’elle luy marqua l’ayant surpris, il crut que c’estoit l’effet d’une humeur bizarre, & qu’il ne falloit, pour la faire revenir, que luy donner de la jalousie. Il s’attacha pour cela à une jolie personne qui luy convenoit en toutes manieres, & il luy fit mesme des avances assez fortes, afin que le bruit s’en répandant, elle pust s’en alarmer, ce qui luy redonneroit la premiere place qu’il avoit euë dans son cœur ; mais cet artifice n’eut aucun succés. Le nouvel attachement du Marquis ne luy donna point d’inquietude, & elle le vit, non seulement sans s’en plaindre, mais sans changer ses manieres avec luy. Enfin, voulant s’éclaircir entierement des sentimens de la Dame, il luy fit dire par une de ses Amies, que dans quelque engagement qu’il se fust mis, il estoit prest de le rompre, si elle vouloit consentir à l’épouser. La belle Veuve, à qui le dégoust qu’elle avoit pris avoit rendu toute sa raison, répondit à cette Amie, que le Marquis avoit fait un trop bon choix pour y vouloir renoncer, & que l’amour qu’il sembloit avoir pour elle, devoit d’autant moins servir d’obstacle à ce que ses interests demandoient qu’il fist, que l’heureuse qualité de Veuve, qui la rendoit maistresse absoluë de ses volontez, luy paroissoit préferable à tout. Cette réponse détermina le Marquis. Il se maria quelques jours aprés, & la Dame s’estant expliquée sur son avanture, avoüa que ce qu’elle avoit vû de mal propre dans la visite qu’elle luy avoit renduë, luy faisant mal juger là-dessus de tous les hommes, qui n’avoient attention qu’à des dehors apparens, l’avoit guerie pour toujours de la tentation de songer à un second mariage.

[Détail de tout ce qui s’est passé touchant l’Evesque de Liege, ce qui a suivi cette élection, & ce qui regarde l’Ordre Teutonique] §

Mercure galant, mai 1694 [tome 5], p. 174-175, 225-227.

Quoy que je vous aye déja parlé de l’affaire de Liege, je n’ay pas prétendu l’avoir traitée avec toute l’étenduë que vous attendez de moy, ny vous avoir expliqué les diverses circonstances, qui mises ensemble doivent faire un morceau d’histoire. Il faut du temps pour les recueillir. Il ne s’agissoit, quand je vous en ay parlé, que de satisfaire une premiere curiosité, qui ne demande d’abord qu’un éclaircissement general sur ce qui fait bruit par tout. Je viens donc au particulier de cette affaire, & je commence par ce que c’est que l’Etat de Liege. [...]

Voilà la teneur du Bref d’éligibilité que le Pape Innocent XI. donna au Prince Clement de Baviere le 19. Juin 1688. & c’est ce Bref, où il est aussi parlé de l’Evesché de Liege, que le Grand Doyen Mean, & ceux de son party ne trouvent pas bon. Vous en pouvez voir les causes dans le grand nombre de Dispenses qui y sont marquées, & toutes de la plus grande importance, qui sont accordées au Prince qu’Innocent XI. vouloit rendre éligible. Le Party contraire au Prince Clement s’estant donc opposé à son élection, sortit en protestant contre ce que la partie restante du Chapitre alloit faire en vertu de ce Bref que le Grand Doyen trouvoit defectueux.

Mr Mean ayant quitté l’Assemblée avec ceux de son party, les vingt-quatre Chanoines qui demeurerent élurent le Prince Clement de Baviere pour Prince de Liege ; aprés quoy on alla chanter le Te Deum à l’Eglise, & mettre ce nouvel Evesque en possession. On le mena de là dîner au Palais, où tout estoit préparé, & où il fut salüé Prince & Evesque de Liege, par les Corps de Ville, & mesme par Mr Dikwelt, Envoyé des Hollandois. Le Canon tira, & il y eut de grandes réjoüissances.

[Paroles remarquables, et bons mots des Orientaux] §

Mercure galant, mai 1694 [tome 5], p. 310-315.

Vous devez recevoir presque aussitost que ma Lettre, un autre livre intitulé les Paroles remarquables, & les Bons Mots des Orientaux. Cet Ouvrage renferme une seconde Partie, où l’on trouve un grand nombre de Maximes des mesmes Orientaux. On y voit quel est leur esprit, & leur genie. Les paroles remarquables font connoistre seulement la droiture, & l’équité de l’ame, & les Bons mots marquent la vivacité, la subtilité, & mesme la grossiereté, & la simplicité de l’esprit, sur tout un penchant à railler & à piquer. L’Auteur a distingué ces deux caracteres, qui sont bien differens l’un de l’autre. On pourra connoistre par ce double titre que les Orientaux n’ont pas l’esprit moins droit, & moins vif que les Peuples du Couchant, & l’on remarquera que sous le nom d’Orientaux l’Auteur ne comprend pas seulement les Arabes, & les Persans, mais encore les Turcs, & les Tartares, & presque tous les Peuples de l’Asie, jusques à la Chine. Il ajoûte des remarques pleines d’érudition, qu’il a cruës necessaires pour l’intelligence entiere des paroles remarquables, & des Bons Mots, ce qu’il y a de plus curieux dans les livres Arabes, Persans & Turcs, ainsi que dans leurs manuscrits, & nomme les Auteurs des uns & des autres. Il marque les temps ausquels vivoient les Califes, les Sultans & les Princes qui ont dit les paroles remarquables, & les bons mots qu’il rapporte, ce qui apprend une partie de leur Histoire d’une maniere fort agreable. On ne vit jamais tant d’érudition dans un livre qui ne semble fait que pour amuser & pour divertir. On y apprend sans y penser l’Histoire de plusieurs siecles, en sorte qu’il faudroit plusieurs années de lecture pour faire autant de remarques qu’on en trouvera en ce seul ouvrage. Parmy le grand nombre de Maximes qui sont dans la Seconde Partie, il y en a quantité d’une tres-grande beauté, & l’on a tout lieu de croire que le Public ne sera pas moins content de ce Livre que plusieurs Sçavans de Cabinet & du monde, qui en ont lû le manuscrit avec un extrême plaisir. Il est de Mr Galant, qui ayant demeuré pendant plusieurs années à Constantinople, doit mieux connoistre qu’un autre la matiere qu’il a traitée, ce qui luy a fait trouver plus facilement les Auteurs qui en ont parlé, & fait faire le grand nombre de remarques remplies d’érudition, dont il a embelly son livre. Il se vend aussi bien que l’Etat present de l’Empire de Maroc, à l’Enseigne du Mercure Galant, chez le Sr Brunet, qui les a fait imprimer.

[Histoire secrette de Bourgogne] §

Mercure galant, mai 1694 [tome 5], p. 315-318.

Il debite aussi un autre Ouvrage fort à la mode, qui se vend à la ruë S. Jacques, chez le Sr Benard, aux Armes du Roy & de la Ville. Il est intitulé, Histoire secrete de Bourgogne. C’est un Roman, où l’Histoire se trouve ingenieusement meslée avec les agrémens de l’imagination. Il est attachant, & rempli d’incidens qui font plaisir, & de plusieurs histoires, dont la varieté est tres-agreable. On y trouve des pensées neuves, & un stile fort vif en beaucoup d’endroits, sur tout quand il s’agit de passion. Ainsi l’on ne doit pas s’étonner du grand succés de cet Ouvrage, & de l’approbation que la Cour luy a donnée. Il semble qu’il ne seroit pas aisé de trouver une matiere sur laquelle on n’ait pas fait de Livres ; cependant personne ne s’estoit encore avisé d’écrire contre le luxe des coëffures, dont il paroist depuis peu un Traité fort ample. L’ardeur du zele de l’Auteur l’a emporté loin contre les Dames qui parent leur teste avec excés. Elles peuvent ne pas demeurer d’acord de tout ce qu’il avance, & peut estre ont elles de bonnes raisons pour se défendre d’une partie, mais l’Auteur n’ayant travaillé que pour remplir son ministere, ne peut meriter que des loüanges.

Air nouveau §

Mercure galant, mai 1694 [tome 5], p. 328.

Vous serez sans doute contente de l'Air nouveau que je vous envoye.

AIR NOUVEAU.

Avis pour placer les Figures : l’Air doit regarder la page 328.
Cueillez, cueillez, jeunes Amans,
Les fleurs de l'aimable Printemps,
Ne perdez pas une saison si belle ;
Quand l'Amour vous appelle,
Goutez les charmantes douceurs ;
Aimez tendres cœurs.
Les beautez de Flore
Commencent d'éclorre.
Aimez ; la saison des Amours,
Ne dure pas toûjours.
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