1694

Mercure galant, juillet 1694 [tome 7].

2017
Source : Mercure galant, juillet 1694 [tome 7].
Ont participé à cette édition électronique : Nathalie Berton-Blivet (Responsable éditorial), Anne Piéjus (Responsable éditorial), Frédéric Glorieux (Informatique éditoriale) et Vincent Jolivet (Informatique éditoriale).

Mercure galant, juillet 1694 [tome 7]. §

[Sonnet qui a remporté le Prix de l’Académie des Lanternistes] §

Mercure galant, juillet 1694 [tome 7], p. 7-11.

Je satisfais, Madame, à ce que vous avez souhaité de moy, en vous envoyant le Sonnet qui a remporté le Prix sur le sujet proposé par l’Academie de Toulouse, qui a pris le nom de Lanternistes. Comme il est à la loüange du Roy, & qu’on y trouve en quatorze Vers un Portrait de ce Monarque aussi vif que ressemblant, je ne puis donner à cette Lettre un commencement qui vous soit plus agreable. Lisez ; vous l’auriez vous-mesme trouvé digne du prix dont on l’a récompensé, si vous aviez esté du nombre des Juges.

SONNET.

Grand Roy, dont jadis Rome eust adoré le Buste,
Tu sçais malgré l’horreur des frimats, des glaçons,
Hâter de tes Lauriers les fertiles moissons,
Mars ne parut jamais si fier ny si robuste.
***
Tout tremble, tout se rend à ton aspect auguste,
Ton exemple fournit d’heroïques leçons.
Peut-on assez vanter par de nobles chansons,
Un Vainqueur comme toy sage, intrepide, juste ?
***
Au comble de la gloire on te voit sans orgueil,
A l’air majestueux tu joins un doux accueil,
Tes progrés ont toujours ta clemence pour digue.
***
De cent Peuples unis tu romps tous les ressorts,
Et ton cœur attendri du sang qui se prodigue,
Sacrifie à la Paix ses plus vaillans transports.

PRIERE.

 Seigneur, daigne appaiser tant d’horribles tempestes ;
Prens soin d’un Roy fameux par mille exploits divers.
Il est prest à borner le cours de ses conquestes,
 Pour le repos de l’Univers.

[Discours de la mesme Academie] §

Mercure galant, juillet 1694 [tome 7], p. 11-14.

Mrs de l’Academie des Lanternistes ayant voulu rendre ce Sonnet public, l’ont fait précéder par ce que vous allez lire.

Nous avons eu cette année un si grand nombre de Sonnets, qu’on peut croire que nostre dessein n’a pas déplû aux honnestes gens, & particulierement à ceux qui font profession des belles Lettres. On a examiné avec beaucoup d’exactitude tous les Ouvrages qui nous ont esté envoyez. C’est une loy parmy nous, de ne regarder que le merite des Vers ; & pour n’avoir rien à nous reprocher dans ces sortes de décisions, on a soin d’y appeller des Personnes de qualité, & dont le goust exquis & l’érudition profonde ont dequoy garantir nostre conduite, & prévenir toutes les plaintes qu’on pourroit faire là dessus. Mr le Chevalier Dupont de Castelsarrasi, & Major d’Infanterie en Danemarck, a remporté le Prix. On a mis icy son Sonnet accompagné de deux autres. Nous aurions souhaité d’y joindre encore tous ceux qui nous restent, mais il auroit fallu faire un volume. Il ne s’est jamais vû une si grande émulation sur le Parnasse. On s’est piqué à l’envi de remplir nos Bouts rimez proposez à la loüange du Roy ; & il a bien paru que les Auteurs estoient moins animez par l’espoir de la récompense que nous avions promise, que par l’ardeur du zele que tout le monde sent naturellement pour la gloire d’un Prince qu’on ne peut assez loüer.

Pour vous faire mieux connoistre Mr le Chevalier Dupont, dont il vient d’estre parlé, je vous diray qu’il est de Castelsarrasi en Languedoc, Major d’Infanterie en Dannemarck, & Ajutant general de Mr le Duc de Guldenleu, Viceroy de Norwege, & Generalissime des Armées de S.M. Danoise. Mr du Pont de Bay-Surbay-Rochefort, Seigneur de Viviers & Miremont, Chevalier de l’Ordre du Roy, & Capitaine des Grenadiers du Bataillon Colonel de Navarre, est Frere de ce Chevalier.

[Autres sonnets]* §

Mercure galant, juillet 1694 [tome 7], p. 14-19.

J’ajoûte les deux autres Sonnets, que l’Academie des Lanternistes a fait imprimer avec celuy qui a remporté le prix.

SONNET.

Qu’en tous lieux de Louis on éleve le Buste,
Ce Prince tous les ans au mépris des glaçons,
En cueillant de Lauriers les fertiles moissons,
Dans les travaux de Mars lasse le plus robuste.
***
Alexandre, Hannibal, & le fameux Auguste,
De ce fier Conquerant auroient pris des leçons.
Ses hauts faits, des neuf Sœurs épuisent les chansons,
Louis est un Heros & plus grand & plus juste.
***
De tous ses Ennemis il abattra l'orgueil,
Ils iront à ses pieds tenter un doux accueil,
Ce torrent de valeur ne trouve point de digue.
***
Contre luy vainement ils meuvent leurs ressorts ;
Il n’a pas un Sujet qui de son sang prodigue,
Ne cherche à luy marquer ses plus ardens transports.

PRIERE.

Conserve nous, Seigneur, le plus grand des Humains,
Le soutien de l’Etat, l’appuy de ton Eglise,
Et ne souffre jamais qu’un Ennemi détruise
 Ce bel Ouvrage de tes mains.

AUTRE.

Grand Roy, qu’on doit d’honneur à ton nom, à ton Buste !
En dépit des torrens, des frimats, des glaçons
Tu fais au champ de Mars d’immortelles moissons,
L’Aigle n’est devant toy vaillante, ny robuste.
***
Ta conduite à la fois sage, prudente, auguste,
Du grand art de regner fait de nobles leçons,
Les plus fameux Pinceaux, les plus doctes chansons,
N’ont rien pour te loüer d’assez vif, d’assez juste.
***
Tu triomphes toujours sans faste & sans orgueil,
Terrible par ton bras, charmant par ton accueil,
Tes rapides exploits ne trouvent point de digue.
***
D’une Ligue en fureur tu brises les ressorts,
Et pendant que le Ciel sa faveur te prodigue,
Nassau confus se livre aux plus jaloux transports.

PRIERE.

Seigneur, qui de Louis vois l’ardeur & la foy.
Daigne benir toujours ses desseins & son zele,
 Puis qu’à tes saintes Loix fidelle,
Il combat moins pour luy qu’il ne combat pour toy.

[La Victoire de la Marsaille. Ouvrage qui a remporté le Prix de Vers de l’Academie d’Angers] §

Mercure galant, juillet 1694 [tome 7], p. 43-55.

Je vous ay souvent parlé de l’Academie d’Angers. Elle continuë à se distinguer, & s’applique à tout ce qui regarde les belles Lettres, avec un soin tres-particulier. Elle vient de distribuer les Prix donnez par Mr le Pelletier, Evesque d’Angers, qui est de ce Corps illustre. Celuy de Vers a esté remporté par Mr l’Abbé Bardou. Vous jugerez de la beauté de sa Piece en la lisant.

LA VICTOIRE
de la Marsaille.

Quoy, toujours des Combats ? toujours dans la Victoire
Nous verrons-nous reduits à chercher nostre gloire,
Et pour nous aujourd’huy n’est-il plus d’autre employ,
Que de porter par tout le carnage & l’effroy ?
Dans ses retranchemens profonds, inaccessibles,
Nassau voit penetrer nos Escadrons terribles ;
Ses Bataillons rompus, dans l’onde renversez,
Les morts & les mourans l’un sur l’autre entassez,
Sur le Fleuve grossi du sang & du carnage,
Luy font dans sa déroute un horrible passage.
Mais, Vainqueurs à regret, & cruels malgré nous,
Nervinde, tu devois finir nostre couroux.
Quel nouveau témeraire au champ de la Marsaille
A nos Chefs redoutez vient offrir la Bataille,
Du François adouci ralumer la fureur,
Et fournir coup sur coup matiere à sa valeur ?
 Contre nous, jeune Prince, écoute moins ta haine.
Je voy sur quel espoir tu descens dans la plaine.
Tu crois pouvoir combattre & défaire un party,
Où l’on ne voit briller ny Chartres, ny Conty,
Mais loin d’eux vainement ta valeur se hazarde :
Tu vas trouver encor le Vainqueur de Stafarde,
Qui brûle de payer par un nouvel exploit,
Les faveurs qu’à son Roy tout récemment il doit.
Connois par tes malheurs ce Heros magnanime ;
De Turenne & Condé le double esprit l’anime.
Attentif aux desseins qu’il luy faut mediter,
Prompt à saisir l’instant qu’il doit executer ;
Toujours quelque action décisive, éclatante,
Vient de ses longs projets récompenser l’attente.
 Voy deux Freres vaillans, digne sang des Bourbons,
D’un air qui promet tout, ranger nos Bataillons.
Chez tous, la mesme ardeur dans les yeux se remarque,
Tu connois à ces traits le bonheur du Monarque ;
Ailleurs plus necessaire, à ses moindres Soldats
Il semble avoir presté son courage & son bras.
Son Armée en fureur inspire la vangeance.
Louis s’est à luy seul reservé la clemence.
Mais, clemence inutile à ton cœur obstiné.
Déja pour le Combat le signal est donné.
 Je vois, au premier son des Trompettes bruyantes,
Marcher vers l’Ennemi nos Troupes foudroyantes.
Catinat, à la droite, attache le combat,
Vendosme, sur la gauche, anime le Soldat.
Tout s’émeut, tout s’ébranle, & du choc le plus rude
Le Salpestre allumé devient l’affreux prélude.
Mais le François d’abord, pour assurer ses coups,
Du fer étincelant veut armer son couroux.
En vain du plomb mortel l’effroyable tempeste,
Dans son abord affreux semble luy dire, arreste ?
Fidelle à son devoir, son invincible cœur,
Ainsi qu’à la pitié, devient sourd à la peur.
D’un air impetueux, & d’un air intrepide,
Il porte dans les rangs le tranchant homicide.
Qui le fuit, sur ses pas sent voler le poignard ;
Qui veut luy resister perit un peu plus tard.
Le sage General, parmy le fer, la flâme,
Dans un noble sang froid sçait maintenir son ame.
Tel, en butte aux fureurs des Aquilons divers,
L’Aigle tranquille & fier plane au milieu des airs.
 Bien tost, sous nos efforts, tout s’enfonce, tout plie :
Schomberg pour quelque temps soutient & se rallie.
Du Prince en sa déroute il est encor l’espoir ;
Sous luy nos Revoltez font trop bien leur devoir.
Soumis par leur révolte aux loix d’un nouveau maistre,
Leur valeur pour François les fait toujours connoistre.
 On s’arreste, on se trouble à leur premier aspect :
Leurs visages, leurs noms tiennent dans le respect.
L’un y voit son Ami, l’autre y remarque un Frere,
Chacun se trouve en teste un trop cher adversaire.
Mais à leur perfidie on ouvre enfin les yeux.
La noire trahison nous les rend odieux.
Plus fort que l’amitié, l’amour de la justice
Porte au fond de nos cœurs l’Arrest de leur supplice ;
Et d’un bras que conduit l’heroïque fierté,
Sur eux, au mesme instant, il est executé.
 Ainsi vit Israël sous une main hardie,
Expirer du Veau d’or l’adorateur impie.
L’Hebreu contre l’Hebreu saintement inhumain,
Dans le sang le plus cher osa tremper sa main.
La nature en fremit, mais une Loy plus pure
Imposa dans les cœurs silence à la nature.
 François, vous imitez leur pieuse fureur,
Comme eux vous consacrez vostre main au Seigneur ;
A son Prince, à son Dieu, cette troupe rebelle,
Vous couvre avec son sang d’une gloire immortelle,
Et quand vous immolez ces fameux criminels,
Vous vangez tout d’un coup le Trône & les Autels.
 De cet heureux succés souffre qu’on t’applaudisse.
Grand Roy, ne permets pas que ton cœur en gemisse,
Luy mesme en ses malheurs il s’est précipité,
Ce Prince que vouloit épargner ta bonté.
Ce flambeau, dont l’orgueil a nourri la matiere,
D’un double embrasement menaçoit la Frontiere,
Et dans ses vains projets la détestable erreur
Devoit estre en entrant compagne à la fureur,
Mais enfin dans le Pô cette flâme est éteinte :
Il n’est plus pour ton Peuple aucun sujet de crainte.
De tes mains malgré toy le foudre est échapé,
Et le vray Phaëton vient d’en estre frapé.

Priere pour le Roy.

 Au bien de l’Univers prest d’immoler sa gloire,
Grand Dieu, ce Roy puissant renonce à la victoire :
La Paix fait du Vainqueur le plus ardent desir.
Enchaîne par ses mains le Demon de la guerre.
Fais-luy goûter encor l’heroïque plaisir,
 De donner la Paix à la terre.

Discours à la gloire du Roy, sur la Victoire remportée en Catalogne §

Mercure galant, juillet 1694 [tome 7], p. 62-81.

A peine la nouvelle de la Victoire remportée en Catalogne, par Mr de Noailles, fut elle arrivée icy, que Madame de Pringy, qui ne fait pas moins briller son esprit que son zele pour le Roy, dans toutes les occasions qui s’en presentent, fit l’Ouvrage que vous allez lire.

DISCOURS
A la gloire du Roy, sur la Victoire remportée en Catalogne.

Au milieu de la crainte du peuple, la Victoire vient d’annoncer le bonheur des Armes du plus grand Roy de l’Univers, dans le temps mesme où la durée de la Guerre semble avoir diminué la tranquillité publique. Un champ de corps morts condamne aujourd’huy l’injustice des vivans ; & cette premiere défaite prépare un sort semblable à tout cet assemblage d’Illustres Testes qui nous outragent. Le Ciel enfin cessant de faire attendre ses oracles à ce Prince qui le presse par sa pieté, vient de manifester ses desseins, & nous promet un triomphe general par cette Victoire qui nous l’annonce ; car qui auroit osé se flatter de pouvoir courir à la gloire sans risquer son sang & sa vie ; & quel autre que le Tout-Puissant eust pû mettre tout le peril d’un costé, & tout l’avantage de l’autre ? C’est ce que nous venons de voir au bord de cette Eau attentive au bruit de nos Armes, il sembloit qu’elle suspendist son mouvement pour le prester à nostre valeur, comme si elle eust pû ressentir de la joye de nostre Victoire. Mais ce n’est pas seulement cet heureux succez des Armes de France, qui nous doit assurer d’une Campagne tissuë de Victoires ; de plus forts préjugez nous servent de garants, & la Justice des ordres de nostre Prince est un gage asseuré du bonheur de nostre obéissance. Y a-t il rien de plus grand que de suivre les loix d’un Monarque, qui ne soutient la Guerre que par les justes raisons qui l’y forcent, qui cherit la Paix dans son cœur, & qui cherche toutes les voyes de la faire gouster à tout son peuple ? S’il sçait vaincre dans les Combats, il sçait encore mieux pardonner dans les Victoires ; & s’il continuë ses Conquestes, c’est moins pour sa gloire, que pour un interest plus fort.

La cause de Dieu est unie à la sienne. C’est le patrimoine des Elûs qu’il deffend avec le sien, & la Religion méprisée dans un Prince détrôné, réveille sans cesse en luy un zele fort, une sainte fureur qui le porte à détruire les Ennemis de la Loy, en combattant les Ennemis de l’Etat. La Ligue injuste qui a associé la lumiere avec les tenebres, & qui a meslé par une mesme volonté la sainteté de nos Mysteres avec la profanation de l’Erreur, a uny des hommes si differents en doctrine, & a separé en quelque maniere le Fils du Pere, en desunissant les Princes, qui estant de mesme Religion, devoient estre de mesme sentiment. Pourquoy la France qui n’est pas seule Catholique, sera-t-elle seule à proteger la Catholicité ? Les autres Princes qui ont le bonheur d’estre de la Religion dont nous sommes, devroient avoir la raison d’imiter l’exemple, s’ils n’ont pas eu la force de le donner. Qu’ils suivent Loüis le Grand dans ses maximes, s’ils ne l’évitent pas par les leurs, & qu’il apprennent leur Religion de sa pieté & leurs devoirs de sa generosité & de sa constance. Faut-il toûjours du sang pour les éclairer ? N’est-ce point assez que celuy qui est répandu, & ce monceau de corps jonchez sur terre qui crie misericorde pour les vivans, plutost que vangeance pour les morts, ne leur suffit il point pour les rappeller à leurs devoirs, & pour les faire souvenir de l’interest qu’ils ont de demander la paix !

Du temps que les Egiptiens estoient en guerre avec les Israëlites, jamais le peuple de Dieu ne livroit combat sans l’avoir consulté, & ne le consultoit jamais sans confiance & sans soumission, aussi ne combattoit-il jamais sans Victoire. C’est une leçon dans laquelle Louis le Grand s’instruit de ses devoirs, & qui trop oubliée par les Ennemis de la France, ne leur apprend, lors qu’ils la consultent trop tard, que la justice de la confusion qu’ils reçoivent pour ne l’avoir pas consulté. Dans quel étonnement doit estre tout l’Univers de voir l’impuissance de tant de forces unies ensemble, & qu’un seul contre tout soûtienne l’effort de tant d’injustice, que Loüis sans se lasser de deffendre sa juste cause, confonde la témerité de ses Ennemis par son courage, & reléve son courage par sa vertu ! Qu’il est rare d’admirer la vertu qui nous condamne, & de soutenir le bras qui nous a vaincu ? Cependant la gloire de Loüis le Grand est une gloire si pure, que l’envie ne peut assembler un assez grand nombre d’Ennemis pour la ternir, & chacun de ses Ennemis seroit contraint de l’admirer en particulier, s’ils ne l’attaquoient en commun. Quel surcroist de honte pour les vaincus que cette sanglante défaite ? N’ont-ils pû prévenir leur malheur, & ne diminuera t-il rien de leur témerité ? C’est au fond du cœur de Louis le Grand qu’est le Trône de la Paix. C’est là qu’ils doivent chercher avec empressement les moyens d’arrester les suites d’un bonheur qui les accable ; mais le Ciel qui répond à nos esperances, semble se fermer pour les leurs, & ne les endurcit que pour nous élever ; & je ne voy ces préparatifs terribles d’armes & de corps qui s’assemblent de tous costez pour s’opposer aux charmes de la Paix, qui afin d’entendre la Renommée se plaindre que le nombre de nos Victoires surpasse celuy de ses voix, & qu’elle ne sçauroit fournir à publier tout ce que Louis execute. Ce Monarque est admirable. On le voit soutenir sans peine la haine & l’effort de tant d’Ennemis, qui sont encore moins témeraires que jaloux. Il est des victoires de Louis le Grand à peu prés comme des Etoiles, on en voit bien l’éclat, on n’en sçauroit compter le nombre ; plus on les examine, plus elles se multiplient, & on peut bien les admirer & les dépeindre, mais on ne sçauroit en approcher. Trop de glorieuses circonstances accompagnent ses desseins ; & fortifient ses entreprises, pour qu’il fust possible à d’autres mortels de monter au sommet de la gloire, où le Ciel l’a élevé. Le desir qu’ils en ont est tout ce qu’ils en peuvent avoir, & la puissance d’estre grand par de merveilleuses qualitez, est le partage du Monarque des Lis. C’est luy qui sçait unir ensemble la Victoire & la tranquillité, & qui trouvant sa felicité dans toutes les vertus, accorde Bellone & Themis, & ne s’amuse à vaincre ceux dont la témerité l’oblige à combattre, que lors que l’équité l’engage à préferer le Laurier à l’Olive, & à goûter le triomphe de la victoire en attendant les douceurs de la Paix. Quel prodige pour les témeraires esperances de nos Ennemis, que le succés heureux de nos armes ! Leur étonnement doit égaler leur douleur, & comme ils se flattent sans raison, leur surprise aussi bien que leur desespoir les préparent à de plus grands malheurs en les fortifiant dans l’obstination qui les y précipite. Le murmure confus de leurs plaintes & de leurs desirs peut moins les corriger que les seduire, & la voix tumultueuse de ce grand nombre de Liguez contre les interests de la France, n’augmente ny leurs forces, ny leur bonheur, & ne fait que redoubler sa puissance & sa gloire. Où se peut-il trouver maintenant des François assez timides pour s’effrayer des perils de Mars, & à qui la poudre & le feu pussent inspirer de lâches mouvemens de craintes, affermis par tant de Victoires ? Ils ne sçauroient plus douter de la protection de Dieu, ny apprehender que les armes journalieres, ne leur préparent ce qu’ils font éprouver. Trop de marques de la benediction du Ciel par la constance d’une prosperité guerriere leur assurent des Combats glorieux & des Victoires futures. La durée d’une guerre qui nous exalte sans nous affoiblir, l’ouverture de la Campagne qui se fait par une Victoire qui ne coûte que la peine de l’aller chercher, & la facilité que tous les Elemens nous offrent pour vaincre, ne laissent plus dans le cœur de nos Citoyens ces restes de foiblesse que le courage immole à la vertu. On ne voit plus qu’un zele uniforme qui anime, & sans la moderation qui nous retient, on ne nous empêcheroit point ces futures conquestes qui nous appellent. C’est icy où la valeur des François fait honte à l’antiquité. Il ne faut qu’un courage témeraire pour enflammer les cœurs, lors qu’une grande occasion les anime, mais pour soutenir les diverses attaques d’une ennuyeuse guerre, dont la durée lasse beaucoup plus que les rigueurs qui l’accompagnent, & pour conserver toujours le mesme feu dans les differentes occasions qui se presentent, il faut des courages intrepides ; car les armes ne se reposent que pour se préparer à un exercice d’autant plus violent, qu’elles ne suspendent leurs mouvemens que pour augmenter ceux dont elles doivent tirer leur origine. C’est à ces occasions où l’on reconnoist la veritable valeur, cette valeur, qui sans se rebuter par le temps ny par la peine, montre qu’elle sçait toujours vaincre lors qu’il est juste de combattre, & c’est ce qu’on a veu parmy nous. On n’a point entendu de souhaits imprudens pour des batailles, tout est demeuré tranquille jusqu’au moment que nos Chefs instruits de la situation des lieux, & de l’estat des Troupes, ont ordonné ce qu’ils ont jugé à propos de faire ; & alors de ce calme profond où tout le Camp sembloit estre, il s’est élevé un bruit que le mouvement a fait naistre, qui s’augmentant par l’obéïssance, n’a cessé que lorsque la Victoire nous a obligez de prendre du repos. On a esté moins fatigué, qu’animé par la fatigue des Ennemis & la Victoire, sans borner le courage, nous a laissé retourner moins las, que glorieux.

C’est ainsi que la France en use. Peuple ennemy de sa gloire, vous venez encore d’éprouver comme elle commence sa course. De si tristes préludes vous doivent faire apprehender qu’elle ne finisse vostre sort avec cette Campagne, & si Loüis le Grand n’a pas épuisé ses bontez par son attente, que vostre interest vous oblige à forcer sa clemence par un prompt retour à vous accorder une paix dont vous avez besoin. Il a tant de gloire, même dans son repos, qu’il ne sçauroit refuser les douceurs d’une tranquillité qu’il cherit luy mesme au milieu de ses Victoires ; mais si la grandeur de ses bontez n’est pas un attrait assez puissant pour vous faire aimer la Paix, que la crainte des malheurs qui vous menacent, vous oblige à les éviter. Vous n’avez rien veu que de grand dans celuy que vous attaquez, vos entreprises ont toujours esté sans succez, & vous ne devez rien esperer que de funeste, si vous attendez que le Ciel cesse de proteger ce Prince, qui ne cesse point de luy obéir, & qui combat moins pour conserver ses droits que ses vertus.

[Mort de Maximilien-Pierre-François de Béthune, duc de Sully]* §

Mercure galant, juillet 1694 [tome 7], p. 83-87.

L’abondance de la matiere m’empescha le mois passé de vous parler de la mort de plusieurs personnes d’un rang distingué. Mr le Duc de Sully dont le nom estoit Maximilien Pierre-François de Bethune, mourut dans sa maison de Sully, âgé de cinquante quatre ans. Il estoit Pair de France, Chevalier des Ordres du Roy, & Fils de Maximilien François de Bethune, Duc de Sully Pair de France, Prince d’Enrichemont, & de Charlote Seguier, Fille de Pierre Duc de Villemor, Pair & Chancelier de France, qui estant demeurée Veuve en 1661. épousa en 1668. Henry legitimé de France, Duc de Verneüil, Fils du Roy Henry IV. Ayeul de Sa Majesté, Mr le Duc de Sully qui vient de mourir, estoit Frere de Madame la Duchesse du Lude, auparavant Comtesse de Guiche. Il avoit pris alliance en 1658. avec Marie-Antoinette Servient, Fille d’Abel, Marquis de Sablé, Sur-Intendant des Finances, & il en a eu entre autres Enfans Mr le Prince d’Enrichemont qui espousa Mademoiselle de Coissin il y a quelques années. La Maison de Bethune est si connuë, & je vous en ay parlé tant de fois, qu’il me seroit inutile de rien ajouster à ce que je vous en ay déjà dit. Mr le Duc de Sully, estant Gouverneur du Vexin François, Mr le Noir, en qualité de Maire de la Ville de Mante, fit faire le 6. de ce mois un Service solemnel, pour le repos de son ame, dans l’Eglise Royale & Collegiale de ce lieu. Mrs du Presidial, & toutes les autres Compagnies y assisterent en corps, ainsi que les Echevins & Arquebusiers de la Ville. Toute l’Eglise estoit tenduë de drap noir, avec des Armoiries de distance en distance, & on avoit eslevé un superbe Mauzoléee au milieu du Choeur, éclairé d’un tres-grand nombre de Cierges. La Musique qu’on entendit à la Messe répondit parfaitement aux magnifiques preparatifs que l’on avoit faits.

[Madrigal] §

Mercure galant, juillet 1694 [tome 7], p. 94-96.

Voicy des Vers de Mademoiselle de Scudery, sur la Victoire remportée par Mr le Maréchal de Noailles, & sur les Vaisseaux brûlez par Mr de Chasteaurenaud.

MADRIGAL,

Je vous l’avois bien dit, Ennemis de mon Roy,
Le Ciel combat pour luy, tout reconnoist sa loy,
 Et sur la Mer & sur la Terre,
Malgré les vains efforts de la fiere Angleterre,
Et de tous les Auteurs de cette injuste guerre.
Vous pourriez le fléchir en demandant la Paix,
Mais les armes en main vous ne vaincrez jamais,
Et l’on verra toujours la charmante Victoire
Le suivre constamment au Temple de la gloire.

Ce Madrigal a donné lieu à cet autre de Mr Bosquillon, de l’Academie Royale de Soissons.

LOUIS triomphe encor & sur mer & sur terre,
Mille Ennemis liguez pour luy faire la guerre,
De ses Faits immortels n’arrestent point le cours :
 Que peut il manquer à sa gloire ?
Seul il a des faveurs de la fiere Victoire,
Et la main de Sapho le couronne toujours,

[Autre madrigal]* §

Mercure galant, juillet 1694 [tome 7], p. 97-100.

Les Vers qui suivent sur cette mesme VictoireI, sont de Mademoiselle Itié, qui fit il y a deux ans cette celebre Chanson, qui a esté chantée dans toute l’Europe, & où il y avoit pour refrein à chaque couplet, Tout le long de la Riviere. Ce fut lors que le Prince d’Orange avec cent mille hommes regarda prendre Namur, couvert de la Mehagne, qu’il feignoit toujours de vouloir passer, & que pourtant il ne passa point.

Les desseins de Louis sont secondez des Cieux,
Il vient de remporter une grande victoire,
Et malgré ses fiers envieux
Il est toujours couvert de gloire.
Ils ont beau se liguer pour rompre ses projets,
Par mille inventions effrayer ses Sujets.
C’est en vain, rien ne peut ébranler son courage.
On le voit constamment marcher d’un pas égal.
Et ce que contre luy peut inventer leur rage,
Pour eux seuls est toujours fatal.

SUR LA VICTOIRE
De Mr le Maréchal
de Noailles.

Un Heros n’est Heros parfait
Que lors que tous ses pas sont conduits par sa teste,
Et que de conqueste en conqueste,
La sagesse en tous lieux répond de ce qu’il fait.
Ce n’est pas tout, il faut dans cette noble lice,
Où tous ses Ennemis demeurent abbatus,
Que l’aspect du Heros soit la terreur du Vice,
Et que son grand nom ne s’unisse
Qu’au nom des plus grandes vertus.
Dans ses travaux, dans ses Batailles,
Dans tous ses succés inoüis,
Tel est toujours le grand Louis,
Et tel est aujourd’huy Noailles.

A LA FRANCE.

Quelle rapidité dans toutes vos conquestes !
Quel excés de valeur dans tous vos Generaux !
France, que vous avez d’habiles Marèchaux !
Il semble que Loüis est toujours à leurs testes.

[Sonnets] §

Mercure galant, juillet 1694 [tome 7], p. 100-104.

Je vous envoye encore deux Sonnets sur les Bouts-rimez de l’Academie des Lanternistes. Le premier est de Mr David, de Bordeaux, & l’autre de Mr Hutuge, d’Orleans.

SONNET.

C’est au fameux * Rigaud à montrer dans un Buste,
Que Louis ne craint pas les plus affreux glaçons,
Qu’il triomphe en hiver comme au temps des moissons,
En le representant vaillant, fort & robuste.
***
Les traits & les couleurs de ce Portrait auguste,
Seront pour l’avenir de sçavantes leçons.
Les exploits des Cesars ne sont que des chansons ;
Sous un Roy reconnu si fort, si grand, si juste.
***
A son aspect on voit l’Ennemi de l'orgueil.
Son port majestueux, son favorable accueil,
Opposent à l’envie une puissante digue.
***
C’est ainsi que le Ciel par de charmans ressorts,
Toujours en sa faveur liberal & prodigue,
L’a rendu le sujet de nos plus doux accords.
1

AUTRE.

Que l’on place en tous lieux du grand Loüis le Buste,
Que la Zone torride, & celle des glaçons,
Sçachent que tous ses jours sont des jours de moissons,
Où ses fiers Ennemis sentent son bras robuste.
***
Que l’Univers instruit par ce Monarque auguste,
En guerre comme en paix propose ses leçons,
Et marque à l’avenir dans cent doctes chansons,
Que paisible ou vainqueur on le reconnoist juste.
***
Qu’envers ses Ennemis il montre un noble orgueil,
Qu’à tous les malheureux il fait un doux accueil,
Qu’au crime, à l’Heresie, il oppose une digue.
***
Que de la Providence adorant les ressorts,
Pour ceux qu’il a vaincus il est mesme prodigue,
Et qu’en luy les vertus forment de doux accords.

[Histoire] §

Mercure galant, juillet 1694 [tome 7], p. 104-138.

L’amour est une passion violente qui n’écoute point les conseils de la raison, mais quelque rapide que soit ce torrent, il n’est pas toujours impossible de l’arrester, pourvû que l’on s’y conduise avec prudence. L’avanture que je vais vous raconter vous en servira de preuve. Un Cavalier des plus accomplis, soit pour son esprit, soit pour sa personne, aprés plusieurs années passées agreablement dans le commerce des Dames, sans aucun attachement qui eust esté remarquable, donna enfin tous ses soins à une jeune Demoiselle qui les meritoit de toutes manieres. Elle estoit belle, fort riche, & d’une naissance assez distinguée, mais ce qui faisoit son principal caractere, elle avoit l’esprit bien fait, & une douceur charmante, qui luy attiroit l’estime de tous ceux qui la voyoient. Avec un merite si essentiel, vous jugez bien qu’elle ne pouvoit manquer d’Amans. Ainsi il s’agissoit pour le Cavalier de luy plaire assez pour l’emporter sur tous ses Rivaux. Il n’oublia rien de ce qui pouvoit persuader à la Belle qu’il la rendoit maistresse absoluë de toutes ses volontez, & il le fit si heureusement, que ses assiduitez, & les témoignages continuels qu’il luy donnoit de l’amour le plus soumis & le plus sincere, luy acquirent dans son cœur le rang glorieux qu’il cherchoit à y tenir. Il eut pourtant à combattre l’obstacle facheux de quelques Parens, qui proposoient pour la Belle divers partis, dont elle eust pû tirer des avantages plus grands du costé de la fortune ; mais rien ne le rebuta, & continuant toujours à aimer avec une ardeur qui ne se démentoit point, sa perseverance luy fit enfin obtenir le consentement qu’on luy avoit longtemps refusé. Le mariage se fit, & il fut suivi de tout le bonheur que peut causer l’union la plus parfaite. La tendresse de la Belle, & sa complaisance à s’accommoder entierement à l’humeur du Cavalier, le rendirent attentif à faire de son costé tout ce qu’il croyoit luy devoir estre agreable, & il sembloit qu’ils combatissent ensemble à qui pourroit se donner de plus fortes marques de l’échange mutuel qui s’estoit fait de leurs cœurs. Un estat si doux meritoit d’estre envié. Cependant, comme avec le temps on s’accoutume au bonheur, & que l’habitude d’en joüir le rend moins sensible, le Cavalier commença à prendre goust à la conversation d’une assez jolie personne qui avoit pour luy un charme particulier. C’estoit celuy de la voix, qu’elle accompagnoit admirablement du Tuorbe. Le hazard seul luy en ayant donné la connoissance, il luy rendit quelques visites d’abord d’une maniere qui ne marquoit rien par delà l’amusement, mais à force de la voir & de l’entendre chanter, il sentit son cœur touché pour elle ; & sans songer à quoy cet engagement le meneroit, il ne se put empêcher de luy parler une langue qui luy fit connoistre ce qu’elle pouvoit sur luy. La Demoiselle ne fut point fachée d’avoir fait cette conqueste, & s’attacha d’autant plus à se l’assurer, que sa Mere qui avoit fort peu de bien, & qui regloit sa conduite, luy fit comprendre que le Cavalier estant fort riche, elles en pourroient tirer d’utiles secours, si elle venoit à bout de s’en faire aimer veritablement. Le Cavalier enflammé par les complaisances qu’on avoit pour luy, s’abandonna sans reflexion à sa passion naissante, & comme il est impossible de ne pas rêver quand on a quelque chose dans le cœur, sa Femme qui trouva quelque changement dans ses manieres, se plaignit à luy du relâchement de son amour. Il luy protesta qu’il avoit toujours pour elle & le même cœur, & les mêmes sentimens. Ce fut assez pour luy remettre l’esprit dans sa premiere tranquillité, & elle ne la perdit que quand la nouvelle passion du Cavalier eut fait assez de bruit dans le monde, pour ne luy plus laisser ignorer qu’il avoit une Maistresse. Le coup luy fut tres-sensible, mais comme il est dangereux d’aigrir un Mary en s’opposant avec trop d’empire, & d’une maniere trop impetueuse à des sentimens qui flatent le cœur, elle luy parla de l’injustice de ceux qui condamnoient sa conduite, comme si elle eust esté veritablement persuadée que toutes les visites qu’il rendoit estoient innocentes, & qu’elles n’avoient pour veuë que le plaisir d’entendre une belle voix. Le Cavalier ravi de la voir sans jalousie, luy avoüa qu’il ne croyoit pas qu’on luy dût défendre d’aller quelquefois chez une personne qui avoit beaucoup de talens pour la Musique, qu’il avoit toujours aimée passionnement, & qu’il y avoit si peu de mistere dans l’atachement qu’on sembloit luy reprocher, qu’il n’auroit point de peine à le rompre, si elle vouloit l’exiger de luy. La Dame luy répondit, que ne cherchant qu’à le voir heureux, elle n’avoit rien à luy prescrire ; qu’elle le croyoit trop raisonnable pour vouloir permettre qu’on luy dérobast son cœur, & qu’il connoissoit mieux que personne ce que sa tendresse meritoit de luy. Cette matiere ne fut pas poussée plus loin. La Dame se contenta de s’estre mise en droit de parler, & employa pendant quelque temps les manieres les plus tendres & les plus douces pour ramener son Mary à elle ; mais ayant connu que son engagement augmentoit, & que ses visites chez la Demoiselle estoient plus frequentes & plus longues, elle crut luy devoir ouvrir son cœur d’une maniere un peu serieuse. Elle l’assura que son interest ne l’obligeoit à aucune plainte, & que si tout le monde vouloit juger de ses sentimens aussi favorablement qu’elle faisoit, elle verroit sans en murmurer, qu’il se fust fait un amusement, qui luy faisoit passer agreablement quelques heures inutiles, mais elle le pria en même temps de considerer l’injure qu’on luy faisoit lors qu’on l’accusoit d’un engagement injuste, & qu’il devoit pour luy-même cesser de donner occasion à des bruits qui ne luy pouvoient estre que desavantageux. Quoyque cette remontrance fust aussi juste qu’honneste, le Cavalier s’en sentit blessé, & la souffrant impatiemment, il interrompit la Dame pour luy dire qu’il n’avoit qu’elle seule à satisfaire, sans qu’il dust s’inquieter de ceux qui condamnoient sa conduite, & qu’il croyoit qu’elle avoit tout lieu de s’en loüer, puis qu’il ne la contraignoit en aucune choses, & qu’il l’aimoit toujours avec une tres-grande tendresse, dont il ne pouvoit luy donner de meilleures marques qu’en la laissant en pouvoir de faire telle dépense qu’elle souhaitoit, comme il le trouvoit fort juste, ayant eu beaucoup de bien d’elle en l’épousant. Cela fut dit un peu aigrement, & la Dame qui étoit fort douce, comprit qu’il luy seroit inutile de combattre alors plus fortement une passion qu’elle voyoit dans sa violence. Ainsi elle resolut de fermer les yeux sur l’aveuglement où il estoit, & de tâcher de rappeller toute sa tendresse par un redoublement de marques d’amour & de complaisance. Dans ce dessein, elle sceut si bien se moderer, qu’il ne luy échapa aucune chose qui donnast la moindre marque de ce que les égaremens de son Mary luy faisoient souffrir. Elle l’excusoit quand ses Amies vouloient qu’elle se plaignist, & trouvoit qu’on avoit tort de blâmer le choix qu’il avoit fait d’une Amie. Un procedé si touchant troubloit le bonheur du Cavalier, qui se reprochant son injustice, ne joüissoit pas tranquillement de l’entiere liberté qu’elle luy laissoit de voir la personne qui avoit touché son cœur. La jalousie luy osta bien-tost aprés le peu de repos qu’il essayoit de se conserver. Lors qu’il avoit commencé à rendre des soins à la Demoiselle, il l’avoit trouvée presque sans meubles, & tout d’un coup il luy vit une assez belle tapisserie, & tout ce qui pouvoit servir à rendre propre un appartement. Il demanda d’où cela venoit, & la Demoiselle répondit, qu’un inconnu avoit fait donner le tout à sa Mere, & qu’il y avoit beaucoup d’apparence que c’estoit un present qu’il avoit voulu luy faire d’une maniere galante. Le chagrin qu’il leur marqua à l’une & à l’autre, leur fit bien connoistre qu’il n’avoit aucune part à cette galanterie ; & sur ce qu’il prit son serieux, la Mere luy dit que la personne qui avoit envoyé ces meubles, les avoit fait laisser sans rien dire ; que dans l’embarras de leurs affaires, sa Fille ne se trouvoit point en estat de refuser ces sortes de choses, à moins qu’il ne voulust luy donner moyen de s’en passer, ce qu’il pouvoit faire dans les grands biens qu’il avoit, sans s’incommoder en aucune sorte. Cette declaration luy ferma la bouche. On fit de nouveaux presens, & ce fut encore un nouveau sujet de jalousie. Le même Inconnu conduisit la chose avec la Mere, qui n’en put avoir d’autres éclaircissemens, sinon qu’il avoit un ordre exprés de se taire, & que le temps luy découvriroit ce qu’elle vouloit sçavoir. Cette réponse luy donna sujet de croire qu’un Amant caché vouloit gagner le cœur de sa Fille par ces liberalitez avant qu’il se déclarast ouvertement, & la Demoiselle qui croyoit la mesme chose, s’applaudissoit en secret de ce prétendu triomphe. Il arriva une chose qui les confirma dans cette pensée. Le Cavalier les ayant menées peu de temps aprés à une maison des environs de Paris, qu’elles l’avoient prié de leur faire voir, à leur retour de la promenade qu’elles firent dans les Jardins, elles trouverent dans un Salon magnifique, une tres-belle collation servie d’une maniere fort propre. Elles ne douterent point qu’elles ne la dûssent aux ordres du Cavalier, mais le chagrin qui l’empêcha de manger leur ayant fait voir qu’elles se trompoient, on demanda à celuy qui avoit le soin de cette maison, d’où pouvoit venir la feste, & l’on devina par sa réponse qu’elle avoit esté ordonnée par celuy même qui avoit fait les presens. Le Cavalier fit de longues plaintes à la Demoiselle de l’insulte qu’elle souffroit qu’on luy fist, & menaça de rompre avec elle, si on luy faisoit plus longtemps mistere d’une intrigue qu’il voyoit bien qu’on se plaisoit à entretenir. Elle luy jura cent fois qu’elle n’en sçavoit que ce qu’il sçavoit luy-même, estant aussi surprise que luy de tout ce qu’elle voyoit. Comme il jugea bien qu’il ne seroit pas possible de se déguiser toujours, il resista à la jalousie dont il estoit tourmenté, & observa avec soin jusqu’aux moindres choses qui pouvoient contribuer à luy faire découvrir le Rival qui se cachoit. Ses inquietudes furent violentes, & il les sentit augmenter beaucoup un soir, qu’ayant soupé chez la Demoiselle, un concert de Violons & de Hautbois vint la divertir sous ses fenestres. Le concert fut accompagné d’un air qu’on chanta fort rempli de passion, ce qui mit le Cavalier dans un nouveau trouble, qui le fit sortir tout en colere, & protestant qu’il se gueriroit de sa passion. La Demoiselle, aprés avoir tâché inutilement de l’appaiser, craignit d’autant moins son changement, qu’elle estoit persuadée que l’Amant qui ne se declaroit point, ne cherchoit qu’à l’éloigner, afin de prendre sa place. Cependant le Cavalier, qui avoit l’esprit entierement occupé de son avanture, fut extremement surpris lors qu’il receut un billet, par lequel une femme luy faisoit sçavoir, que tout ce qu’il imputoit à un Rival, avoit esté fait pour luy ; que l’on avoit fait meubler exprés un appartement, afin qu’il eust le plaisir de se voir dans un lieu propre ; que la feste dont il s’estoit plaint n’avoit nul rapport à la Demoiselle, & que la chanson qui l’avoit rendu jaloux, luy marquoit les sentimens qu’une Dame avoit pour luy ; que cette Dame meritoit peut estre bien son entier attachement, qui ne feroit jamais tort à ce qu’il devoit d’ailleurs par une obligation indispensable, & qu’il ne devoit point prétendre qu’elle se resolust à se declarer, tant qu’on le verroit dans l’engagement qu’il avoit pris. Le Cavalier ayant releu plusieurs fois la Lettre, fit cent questions à celuy qui en estoit le porteur, & n’en ayant pû tirer autre chose, sinon qu’on attendoit sa réponse, il se sentit entraîné par un mouvement secret à suivre cette avanture. Il promit pour premiere marque de reconnoissance, de n’aller plus que de temps en temps chez la Demoiselle, & seulement pour joüir du plaisir de voir ses esperances trompées, lors que les soins qu’elle croyoit luy estre rendus par un Amant inconnu, cesseroient entierement. La correspondance se forma par Lettres d’une maniere tres-vive. Il y avoit un tour d’esprit délicat dans toutes celles que l’on apportoit au Cavalier, & comme on luy declaroit qu’on n’aspiroit avec luy qu’à une liaison estroite de cœur, qui n’auroit jamais de suite qu’on pust condamner, on ne faisoit point difficulté de l’asseurer d’une tendresse éternelle, & de s’expliquer sur cette asseurance dans les termes les plus forts ; mais la Dame s’obstinoit à demeurer invisible, & il sembloit luy suffire qu’elle luy apprist qu’il estoit aimé. Elle luy demandoit quelquefois si la Demoiselle recevoit encore des soins de son Amant inconnu. Il en parloit luy-mesme à la Demoiselle, qui tantost luy répondoit qu’elle avoit renoncé à ce commerce pour luy oster tout sujet de jalousie, & qui luy disoit une autrefois qu’elle conduisoit les choses avec le mistere qui luy convenoit ; & qu’il ne tenoit qu’à elle qu’elles n’éclatassent. Le Cavalier qui voyoit de l’artifice dans cette diversité de réponses, & qui se persuada que les visites, qu’il continuoit à rendre, empeschoient la Dame inconnuë de se découvrir, rompit entierement cette intrigue, & ne chercha plus qu’à meriter qu’on le voulust éclaircir sur sa nouvelle conqueste. Il pressa pourtant inutilement pour l’obtenir. La Dame luy répondit, que quoy qu’elle fust ravie de le voir tiré d’un engagement qui luy faisoit honte, elle ne pouvoit se resoudre qu’avec peine à luy déclarer qui elle estoit ; qu’elle se croyoit neanmoins assez bien faite pour ne pas craindre de blesser ses yeux ; mais que ne cherchant que l’union de l’esprit, des raisons particuliereres & importantes pour elle, l’obligeoient à se cacher encore quelque temps. Le jour de la feste du Cavalier estant arrivé pendant qu’elles obstinoit à le laisser dans l’inquietude, il receut d’elle un bouquet, dont la richesse égaloit la galanterie & le bon goust. Toutes les choses qu’elle avoit faites pour luy, luy donnant lieu de penser qu’elles venoient d’une Femme d’un rang distingué, & qui estoit en estat de faire de la dépense, il forma differentes conjectures, & ne sçachant à laquelle s’arrester, il consulta un de ses amis sur l’embarras où il se trouvoit. Il luy expliqua son avanture dans toutes ses circonstances, luy monstra les Lettres qu’il avoit receuës, & luy nomma plusieurs Dames sur qui ses soupçons estoient tombez. Son Amy qui estoit sage, resva long-temps sur la chose, & aprés luy avoir dit que toutes les femmes que la passion entraîne, n’en sont point assez maistresses, pour se posseder autant que faisoit celle qui avoit commencé à luy donner des marques de la sienne, dans le temps mesme qu’elle le voyoit dans un autre attachement, sans luy avoir demandé aucun sacrifice pour le prix du cœur qu’elle vouloit luy donner, il conclut qu’il falloit necessairement que ce fust sa propre Femme qui joüast ce personnage. Il luy fit examiner qu’estant d’une humeur fort douce, pleine de sagesse, & l’ayant toûjours aimé fort tendrement malgré l’infidelité qu’il luy avoit faite, & dont elle avoit cessé de luy rien dire, dés qu’elle avoit reconnu que ses remonstrances l’aigrissoient, il n’y avoit qu’elle seule qui eust pû estre capable d’envoyer des meubles pour rendre propre un appartement où il passoit la pluspart des jours. Le Cavalier trouva les reflexions de son Amy fort justes. Il s’en sentit frapé tout à coup, & rappellant plusieurs choses qui estoient entierement du carectere de sa Femme dans le veritable amour qu’elle avoit pour luy, il ne chercha plus ailleurs la Dame qui ne vouloit point se faire connoistre. Dés ce-jour-là mesme, il alla luy dire qu’il vouloit luy faire un fort beau present, & luy ayant monstré le riche bijou qu’il avoit receu le jour de sa Feste, il la vit assez déconcertée, pour demeurer convaincu que ce bijou venoit d’elle. Il l’embrassa avec toute la tendresse que meritoit une femme, qui s’estoit uniquement appliquée à ne le point perdre de veuë dans ses égaremens, & aprés qu’il l’eut asseurée cent fois qu’il n’aimeroit jamais qu’elle, elle demeura d’accord de l’innocent artifice dont elle s’estoit servie pour amortir son injuste passion, ce qu’elle estoit resoluë de continuer sans luy faire aucun reproche, tant qu’il seroit demeuré dans le malheureux entestement dont sa patience l’avoit retiré.

[Prix de Prose de l’Academie de Toulouse] §

Mercure galant, juillet 1694 [tome 7], p. 154-166.

Je vous avois fait le plan des Conferences Academiques que Mrs Pelisson & de Malepeyre avoient établies à Toulouse, peu de temps aprés l’institution de l’Academie Françoise, & que ce dernier n’a pas peu contribué à rétablir dans leur premier éclat. Je vous avois même appris le nom de plusieurs de ces Illustres, qui par divers Ouvrages en Prose & en Vers enrichissent tous les jours la Republique des Lettres. Je dois aujourd’huy vous dire ce qui s’est passé dans leur Academie, le premier de ce mois. Comme ils se sont toujours distinguez par un grand zele pour la gloire du Roy, dont ils prononcent tous les ans le Panegyrique, ils n’avoient pû envisager les offres genereuses de paix que ce Prince fait à ses Ennemis, sans porter ses Sujets à loüer une moderation si heroïque. Ils firent donc publier un Ecrit il y a quelques mois, qui fut répandu dans les principales Villes du Royaume, par lequel ils proposoient un prix pour celuy qui feroit le meilleur Discours sur une si belle matiere. Le prix devoit estre une Medaille d’or de la valeur de dix Loüis, où l’on voyoit d’un costé l’Image du Roy en Buste parfaitement belle, avec ces paroles, Ludovico magno semper invicto, Europæ pacem piè offerenti c’est à dire, A Loüis le Grand, toujours invincible, offrant avec bonté la Paix à l’Europe. Le revers de cette Medaille representoit la Pallas de Toulouse, tenant en l’une de ses mains une corne d’abondance, avec ces mots, Olim flores, nunc fructus. Autrefois des fleurs, maintenans des fruits, pour faire entendre que cette Pallas, qui ne formoit auparavant que des Poëtes par les prix qu’on propose tous les ans, qui sont des fleurs d’argent, produiroit à l’avenir des Orateurs, dont les productions sont plus solides.

Le jour de la distribution du prix avoit esté marqué au premier de ce mois. Ces Messieurs ayant lû & examiné en plusieurs Séances avec beaucoup d’exactitude les Discours qu’on leur avoit envoyez en grand nombre des Villes les plus celebres du Royaume, donnerent leurs suffrages à celuy qui avoit pour Sentence, Dissipa gentes quæ bella volunt. Ils se rendirent le premier de ce mois chez Mr de Malepeyre, Doyen de cette Compagnie, qui est luy-même un des plus sçavans hommes, & un des plus beaux esprits de son siecle. On avoit choisi une fort belle Sale, où l’on avoit placé des fauteüils autour d’une table pour ces Academiciens, en la maniere ordinaire de leurs Conferences academiques. Il y avoit des sieges pour les Dames qui avoient quelque interest d’assister à cette action, quelques-unes ayant envoyé leurs Discours, & pour toutes les personnes de qualité & de merite qui s’y trouverent en grand nombre, avec tout ce qu’il y a de plus sçavant & de plus poli dans cette grande Ville, & plusieurs Religieux de distinction, entre autres le R. Pere Cambolas, Carme, qui par son sçavoir & par sa vertu, dont il a donné des preuves éclatantes en France & en Italie, a merité que Sa Sainteté luy ait accordé un Bref, pour joüir des honneurs du Generalat de son Ordre. Mr Martel, Secretaire de cette Compagnie, & agregé à l’Academie de Ricovrati de Padouë, qui y avoit prononcé l’année derniere avec beaucoup d’applaudissement, l’Eloge de Mr Pelisson, aprés la mort de cet illustre Academicien, avec qui il entretenoit commerce de Lettres, ouvrit la Séance par un fort beau discours sur l’Eloquence. Il dit dans son exorde, qu’il ne croyoit pas pouvoir mieux loüer, & les genereux Atheles qui avoient couru dans cette Carriere ; & les Restaurateurs de ces sçavantes Conferences, qu’en leur renouvellant les nobles idées de l’Eloquence, qui faisoit leurs delices. Il fit voir ensuite de quelle maniere elle avoit passé des Grecs aux Romains, comment les Muses pendant plusieurs siecles d’ignorance & de barbarie, refugiées en un coin de la Grece, dans les Cabinets de quelques Curieux, furent transportées en Italie, aprés la décadence de l’Empire d’Orient, avec quels honneurs elles y furent receuës, & protegées par le fameux Laurent de Medicis, & à son exemple par les Princes Voisins, qui favoriserent l’établissement de tant de celebres Academies, d’où elles passerent en France, sous le Regne de François Premier, le Pere & le Restaurateur des belles Lettres, & qui ayant sceu charmer le beau Sexe, n’eurent pas de peine à s’introduire dans une Cour, où regnoit la délicatesse & le bon goust. Il fit remarquer l’institution de l’Academie Françoise sous Loüis le Juste, par la protection que luy donna le grand Cardinal de Richelieu. Il s’arresta davantage au Regne present. Il dit que sous le plus sage & le plus vaillant des Rois, les belles Lettres avoient acquis leur derniere perfection, que comme l’on avoit vû par le passé que les plus celebres Ecrivains avoient paru sous les plus grands Princes, il n’y avoit pas lieu de s’étonner, que ce Regne fust fertile en Academies, qui s’élevoient dans toutes les Provinces. Il ajousta que c’estoit dans ces Academies que l’Eloquence se purifioit, & se conservoit ; que c’estoit là que les Ouvrages dépoüillez des graces de la prononciation qui imposent quelquefois, ne paroissoient qu’avec leurs beautez vrayes, & naturelles, & ne se soutenoient que par leur merite, aprés avoir passé par une severe Critique. C’est ce qui luy donna occasion de toucher les préceptes les plus fins de l’Art. Il fit voir que nostre siecle nous donnoit des Orateurs parfaits ; que les Balzacs, les Vaugelas, & les Voitures ; les Patrus, & les Pelissons, les Flechiers & les Bouhours, nous donnoient chacun en leur genre le modele de la veritable éloquence. Il ajoûta enfin que l’Eloquence s’exerçant principalement sur les grands sujets, ils avoient choisi la moderation de Loüis le Grand dans les offres avantageuses de Paix qu’il fait à ses Ennemis, dans un temps où ses Victoires & les progrez de ses Armes luy promettent de plus grands succez, sacrifiant ainsi sa propre gloire au repos des peuples, & au bien de la Chrestienté, par un Art de se vaincre inconnu aux Heros des siecles passez.

[Les Petits Maistres] §

Mercure galant, juillet 1694 [tome 7], p. 224-226.

Les Vers que vous allez lire, sont de Mr de Senecé, premier Valet de Chambre de la feuë Reine.

LES PETITS MAISTRES,
A Mr de Bellocq.

Vraiment, vous estes fort honneste,
Bellocq, & vous avez raison
De nous avoir lavé la teste
En Enfans de bonne Maison.
***
 Depuis le trépas de Moliere,
De nostre merite entestez,
Sans jugement & sans lumiere,
Nous devenions Enfans gâtez.
***
 Tel qui nous aime, nous châtie ;
Nous devons beaucoup à ce soin.
D’un Professeur en modestie
Nous avions un fort grand besoin.
***
 Vous meritez qu’on vous écoute,
Vos traits penetrent jusqu’au vif,
Et nous obligeront sans doute,
A prendre un air moins décisif.
***
 La Poësie & la Musique,
Et leurs Eleves outragez,
Auront un destin moins inique,
Et libre de nos préjugez.
***
 Pour vos avis de consequence,
Dont le profit est singulier,
Recevez la reconnoissance
D’un remerciment Cavalier.
***
 Mais ne croyez pas pouvoir faire
Qu’aprés nous avoir corrigez
De gens de nostre caractere,
Les temps à venir soient purgez.
***
 C’est une esperance inutile,
Et pour vous le dire en deux mots,
La Cour, aussi-bien que la Ville,
Aura toujours de jeunes sots.

[Epigramme sur le mesme sujet] §

Mercure galant, juillet 1694 [tome 7], p. 226-227.

J’ajoûte une Epigramme, adressée au mesme par un Inconnu.

Bellocq, ton nom devoit paroistre
Au bas de tes charmans Ecrits,
Tu sçais y parler en grand Maistre
En parlant si bien des Petits.

[Lettre de l’Auteur de la Satyre des Petits Maistres] §

Mercure galant, juillet 1694 [tome 7], p. 227-237.

Vous ne serez pas fachée de voir la Lettre qui suit. Elle a esté écrite à Mr de Senecé, par Mr de Bellocq.

Je croyois, Monsieur, qu’aprés la fameuse défaite des Bouts-rimez par le General Sarazin, ils ne se releveroient jamais de leur chute. Cependant les voicy qui paroissent en corps d’Armée plus nombreux & plus formidables qu’ils n’estoient, & qui menacent l’Etat des Muses d’une aussi perilleuse inondation, que le fut autrefois pour l’Empire Romain celle des Nations barbares ; & si vous remarquez ce danger dans les circonstances qui les accompagnent, vous trouverez que ma comparaison ne manque pas de justesse. Les Barbares n’avoient rien de cette veritable valeur qui agit avec connoissance & reflexion ; l’impetuosité & la fureur estoient leur partage. Les Bouts-rimez n’ont rien de ce sage genie, qui doit conduire les Ouvrages d’esprit, ce n’est que le caprice, que le seul hazard qui les fait réussir. C’estoit la disette des choses necessaires à la vie, qui forçoit les Barbares à quitter leur Pays pour venir chercher des climats plus heureux. C’est la pauvreté des esprits, & la disette d’invention, qui fait sortir les Bout-rimez du genie aride & sterile qui leur donne la naissance, pour faire irruption dans les champs où se recueillent les fertiles moissons de l’honneur & de la gloire. Enfin, pour achever mon Paralelle, c’est de l’ancien Royaume des Visigots que sortent aujourd’huy les Bouts-rimez, pour venir fourager sur les terres du Patrimoine d’Apollon. Je prie Mrs les Lanternistes de me pardonner cette petite plaisanterie. Ce sont gens que d’ailleurs je reconnois pleins de merite, & dignes de beaucoup de loüanges ; mais de bonne foy, auriez vous cru que les Bouts-rimez pussent jamais devenir des ennemis assez redoutables pour nous reduire à les attaquer dans les formes ? Cependant, je vois que cette bizarre composition s’accredite à la Cour, aussi-bien qu’à la Ville, qu’elle se répand dans les Provinces, & que si l’on n’y prend garde, elle va bien-tost faire autant de ravage, qu’en firent les Vers Burlesques il y a trente ou quarante années, lors qu’insensiblement tout le Parnasse fut étonné de se voir devenu Bateleur, & que les Muses gemirent de se trouver reduites à parler le langage des Halles. A quoy bon, je vous prie, gêner les esprits par l’extravagante contrainte de ces rimes disposées au hazard ? Les regles severes du Sonnet ne sont elles pas elles mêmes une gêne suffisante ? Ce n’est pas assez pour en composer un excellent, de remplir quatorze Vers de termes magnifiques, ou de Phrases empoulées. Il faut, s’il se peut, qu’il contienne une pensée originale, que tous les Vers la préparent par degrez, que tous les termes y répondent, cependant sans la faire deviner, afin qu’elle frape avec plus d’effort, & qu’elle brille avec plus d’éclat. S’il est permis de comparer les petits Ouvrages aux grands, il en est du Sonnet comme de la Tragedie, dont les incidens doivent insensiblement disposer la catastrophe ; & ce sont ces loix rigoureuses, lesquelles ajoûtées aux autres contraintes de la construction du Sonnet, font qu’il s’en rencontre si peu de bons. Et le moyen que des rimes témérairement assemblées, puissent servir de dignes materiaux pour un si noble édifice ? Pensez-vous qu’un Architecte pust jamais réüssir dans la construction d’un superbe Palais, s’il en jettoit les fondemens & en élevoit les murailles, sans songer aux entrées ny aux issuës, sans examiner où il placeroit son escalier, où il prendroit ses jours, où il ménageroit ses dégagements ? Je vous avouë que je ne puis souffrir que la gloire du Roy soit confiée au caprice, & que sa statuë majestueuse soit appuyée sur une base d’argile. On n’a pas trop de tout son esprit & de toute sa liberté, pour traiter les misteres de sa grandeur ; & ce Conquerant, qui ne vouloit estre peint que de la main d’Apelle, & qui avoit toujours Homere sous son chevet, n’auroit jamais souffert que l’on celebrast en Bouts-rimez, la Bataille d’Arbelles, ou le passage du Granique. Pour moy, j’estime que toute la grace que l’on peut faire aux Bouts-rimez, c’est de les reduire aux sujets Burlesques ou Satyriques, comme les Grotesques sont releguez aux bordures des Tapisseries. Il faut convenir que la loüange déplaist naturellement par la malignité de l’esprit humain, qui trouve de l’abaissement dans l’élevation d’un autre. Il faut donc beaucoup d’art pour la faire suporter, beaucoup de sel pour en relever le goust. Peut-elle attendre un tel secours des fades, des insipides Bouts-rimez ? Aprés toutes ces reflexions, que direz vous de moy, Monsieur, de trouver un Sonnet de cette espece à la fin de ma Lettre ? Vous direz, avec justice, que je me laisse entraisner au torrent, & que j’ay voulu extravaguer avec les autres. Il n’y a rien de plus déconcerté qu’un homme qui se trouve de sens froid parmy une troupe de gens eschaufez de la débauche ; il faut en prendre une petite pointe pour se pouvoir accommoder avec eux. Souffrez-moy donc, je vous prie, ce petit accés de la fureur des Bouts-rimez. On en a fait plusieurs pour Madame la Princesse de Conty. Pourquoy n’oserai-je pas tenter d’en faire un pour un si beau sujet ? Dans la difficulté d’atteindre à la hauteur d’une si noble entreprise, je me sauveray du moins par l’excuse de la contrainte, & je m’efforceray de faire croire que j’aurois mieux réüssi dans une plus grande liberté. C’est à vous, Monsieur, à qui il est reservé de faire quelque ouvrage pour elle, qui ait de la proportion avec ces brillantes qualitez, qui font l’admiration de toute la terre. Je vous invite à ce travail, comme au plus digne sujet de vos veilles, ou plutost c’est la gloire qui vous y invite. Ce sera pour lors que la loüange ne pourra déplaire, & que l’envie mesme sera charmée & des grandes qualitez de l’Heroïne, & du noble tour que vous aurez sceu leur donner.

Sur les Bouts-rimez prescrits par Mrs les Academiciens Lanternistes de Toulouse.
Pour S.A. Madame la Princesse de Contry.
SONNET.

Frappez une medaille, ou modelez un Buste
Doctes Sœurs ; méditez jusqu’au temps des glaçons,
Un dessein, qu’auront veu commencer les moissons,
De tendre Poësie, ou de Prose robuste.
***
Vous devez plus encore à la Princesse auguste,
Dont le sublime esprit vous feroit des leçons.
L’honneur qu’elle vous fait d’écouter vos chansons,
De vos plus grands efforts est un motif trop juste.
***
Joignez l’air de Minerve à son Illustre orgueil,
Les graces de Venus à son riant accueil,
De vostre art trop borné, Muses, forcez la digue.
***
Et vous globes brillants, harmonieux ressorts,
Pour celebrer les dons que le Ciel luy prodigue,
Au Parnasse impuissant unissez vos accords.

Peut-estre me trouverez-vous hardy, de donner à la Prose l’Epithete de Robuste ; mais on dit bien un stile masle, un stile vigoureux. Pourquoy ne dira-t-on pas aussi bien Robuste ? C’est la mesme espece de Metaphore. Les premiers qui ont hazardé ces expressions ont paru témeraires. L’oreille s’y fait. A dire le vray, peut-estre que sans la contrainte des Bouts-rimez, je ne l’aurois pas choisy.

[Mort de Mr du Bois]* §

Mercure galant, juillet 1694 [tome 7], p. 251-253.

Je finis par une autre qui a fort touché Mrs de l’Academie Françoise. C’est celle de Mr du Bois, mort d’une Fiévre maligne le premier jour de ce mois. C’estoit un homme d’un esprit fort net, & qui joignoit une pieté solide à une parfaite connoissance de tout ce qu’une longue application peut faire acquerir de vives lumieres dans les belles Lettres. De si grandes qualitez l’avoient fait choisir pour Gouverneur de feu Mr de Guise. Il nous a donné la Traduction des Lettres, des Confessions & de quelques Sermons de S. Augustin, & celles des Offices & des Traitez de l’Amitié & de la Vieillesse, de Ciceron. Tous ces Ouvrages sont accompagnez de Notes sçavantes & curieuses. Il s’appelloit Philippe Goibaut, & il estoit d’une fort bonne Famille de Poitiers. Il n’y avoit que neuf mois qu’il avoit esté receu à l’Academie.

[Journal du siege de Gironne] §

Mercure galant, juillet 1694 [tome 7], p. 290-293.

Pendant que la consternation remplissoit la Ville de Madrid, la joye éclatoit à Paris, & on s’y préparoit à faire des feux de joye, & à chanter le Te Deum. Voicy la Lettre du Roy écrite sur ce sujet à Mr l’Archevesque de Paris.

Mon Cousin. Je ne puis estre insensible à la joye d’avoir remporté un avantage que le sort des Armes m’avoit autrefois refusé. Je suis Maistre de Gironne. Cette Place a esté assiegée le 24. du mois dernier, par mon Cousin le Maréchal Duc de Noailles, & quoi qu’elle fust défendue par les avantages de sa situation, par une Garnison de prés de cinq mile hommes, & par la réputation qu’elle s’estoit acquise, elle s’est renduë après cinq jours seulement de tranchée ouverte, & aux conditions qu’on a voulu luy imposer. Plus cette conqueste a esté facile, plus je me sens obligé d’en rendre graces au Ciel, qui en èpargnant le sang de mes Sujets, ajoûte à la gloire du succès une faveur qui m’est plus precieuse que toutes les autres qu’il m’accorde. Je vous ècris donc cette Lettre, pour vous dire que mon intention est, que vous fassiez chanter le Te Deum dans l’Eglise Cathedrale de ma bonne Ville de Paris, le 14. de ce mois, à l’heure que le Grand Maistre ou le Maistre des Ceremonies vous dira de ma part, & je donne ordre à mes Cours d’y assister en la maniere accoutumée. Sur ce je prie Dieu qu’il vous ait, mon Cousin, en sa sainte & digne garde. Ecrit à Versailles, le 12. jour de Juillet 1694. Signé LOUIS. Et plus bas,Phelypeaux.

[Nouvelles de la Recolte] §

Mercure galant, juillet 1694 [tome 7], p. 338-339.

La joye que nos Ennemis ont euë du Bombardement de Dieppe a esté bien moderée par l’abondance de nostre Recolte. Vous ne devez pas ignorer que quatre années ensemble, n’ont jamais fourny une plus abondante moisson ; de sorte que d’un jour de marché à l’autre, on a vendu dans Amiens une pistole, ce qui en valoit quatre le jour precedent. Les Habitans en ont eu tant de joye, qu’en action de graces, ils y ont fait chanter le Te Deum ; & cet exemple a déja esté suivy par plusieurs Villes.

[Le Défenseur des Dames] §

Mercure galant, juillet 1694 [tome 7], p. 339-340.

Puisque nous sommes sur le chapitre de la joye, je vous diray que la Comedie Italienne, dont vous me parlez, & qui a pour titre, le Deffenseur des Dames, a fort réussi, & qu’elle a esté joüée plus de trente fois de suite, avec une petite Piece du mesme Auteur, où les hommes ne sont pas moins agreablement attaquez que les femmes, dans la premiere, on y voit un jeune Acteur qui promet beaucoup, & qui chante fort agreablement. Il est fils de Maistre, puisqu’il est fils de Mr Cinthio, qui vous a souvent diverty de plus d’une maniere sur le Theatre, estant le premier de ceux qui ont travaillé avec succez dans le goust François.