1694

Mercure galant, août 1694 [tome 8].

2017
Source : Mercure galant, août 1694 [tome 8].
Ont participé à cette édition électronique : Nathalie Berton-Blivet (Responsable éditorial), Anne Piéjus (Responsable éditorial), Frédéric Glorieux (Informatique éditoriale) et Vincent Jolivet (Informatique éditoriale).

Mercure galant, août 1694 [tome 8]. §

Sonnet au Roy §

Mercure galant, août 1694 [tome 8], p. 13-14.

Vous en trouverez un foible Portrait, dans le Sonnet que vous allez lire.

SONNET AU ROY.

Quel Heros est égal au Monarque des Lis ?
Il dispose du Sort, il fixe la Victoire,
Et ses travaux guerriers avec soin recueïllis
D’un éclat éternel orneront son Histoire.
***
Tant de Murs abbatus, tant de Forts démolis,
Des ombres de l’oubly sauveront sa memoire,
Et ses nouveaux Lauriers par l’Olive embellis,
De tous ses grands Exploits vont couronner la gloire.
***
Vous, trop fiers Ennemis, dont les puissans efforts
Ont fait pour l’accabler, mouvoir tant de ressorts,
Soumettez vostre orgueïl aux loix de sa Puissance.
***
Sages à l’avenir, ne l’irritez jamais ;
Redoutez sa valeur, admirez sa clemence,
Il vous a tous vaincus & consent à la Paix.

[Sonnets sur divers sujets] §

Mercure galant, août 1694 [tome 8], p. 68-74.

Les Pauvres du Diocese d’Auch ont coûté cette année vingt mille livres à Mr leur Archevesque, pour les chauffer & pour les nourrir pendant six mois, à commencer du premier jour de Janvier dernier. C’est sur cette édifiante charité qu’a esté fait le Sonnet suivant, sur les Bouts-rimez proposez pour le Roy, par l’Academie des Lanternistes de Toulouse.

Dressons, Necessiteux, à Suze un digne Buste,
Il nous a rachetez dans le temps des glaçons,
Livré dans nostre faim largement ses moissons,
Par là le moribond est devenu robuste.
***
Que ce Prelat est grand ! En luy tout est auguste.
Sa vie est un tissu d’excellentes leçons ;
Il regarda toujours comme simples chansons,
Ce qui ne paroist point solide, noble, juste.
***
Ennemi de tout temps du faste & de l'orgueil,
Il fait à tous venans un favorable accueil,
Et ne connut jamais que la raison pour digue.
***
Aussi sans le secours d’aucuns secrets ressorts,
De cent talens pour luy la nature prodigue
Fait voler sur ses pas nos cœurs pleins de transports.

Voicy un autre Sonnet sur les mêmes Bouts-rimez, touchant la glorieuse Campagne de Mr le Maréchal Duc de Noailles en Catalogne.

Heros, c’est peu pour toy que les honneurs d’un Buste,
Ta gloire percera la Zone des glaçons,
Et pour grossir encor tes guerrieres moissons,
Ton cœur est assez grand, ton bras assez robuste.
***
Tes triomphes nouveaux seroient dignes d'Auguste.
Donne aux Enfans de Mars souvent de ces leçons,
Il n’est plus qu’Apollon par ses Vers, ses chansons,
Qui tes faits éclatans puisse nous peindre au juste.
***
Quel plaisir de te voir brillant d’un noble orgueil
Faire aux fiers Espagnols un foudroyant accueil,
Opposant à leurs traits ton courage pour digue.
***
C’est à toy d’une Armée à mouvoir les ressorts.
Mais au moins de tes jours ne sois pas trop prodigue ;
Rien ne pourroit calmer nos douloureux transports.

Ce troisiéme Sonnet est sur ces mesmes progrés du Roy en Catalogne. Il est de Mr Janisson le Fils.

AUX PRINCES
de l’Europe.

Hé bien ! que dites-vous, Potentats, Princes ; Rois ?
Vous voyez que de vous s’éloigne la Victoire,
Par tout Louis le Grand aura toujours la gloire,
Et par tout il sçaura donner ses justes loix.
***
Deux Villes, un combat remporté dans un mois,
Orneront à jamais une si belle histoire ;
Et l’occupation des Filles de Memoire
Sera de reciter ses glorieux exploits.
***
Palamos est à nous aussi-bien que Gironne,
Noaille à son grand cœur en Heros s’abandonne,
Il sçait de nostre Prince accomplir les souhaits.
***
Admirez sa valeur, redoutez sa puissance,
Regardez ses bontez, implorez sa clemence,
Qui pour vous rendre heureux n’aspire qu’à la Paix.

Ode §

Mercure galant, août 1694 [tome 8], p. 74-86.

Mr Robinet zelé à son ordinaire quand il se presente quelque occasion de celebrer la gloire du Roy, ne s’est pas teu sur la glorieuse Campagne de Catalogne, qui luy a donné lieu de faire l’Ouvrage qui suit.

ODE.

Pour la troisiéme fois, que de bruit dans les airs !
 En un beau jour la nuit se change.
Que de feux éclatans ! que de brillans éclairs !
Que de concerts par tout de joye & de loüange !
Quel grand évenement cause tous ces transports,
Où pour se signaler chacun fait des efforts ?
On parle de Bataille & de Place gagnée.
Ah ! ce sont les exploits d’un Duc digne d’amour,
Qu’encor tout de nouveau l’on celebre en ce jour,
Et dont jusqu’à Madrid l’Espagne est consternée.
***
Ses Troupes à couvert d’un grand Retranchement,
 Et d’une humide & vaste Plaine,
Craignoient peu d’un Combat le triste évenement,
Et triomphoient déja par une audace vaine.
Elles croyoient pour nous un succés malheureux ;
Mais au Vainqueur de Rose, à ce Duc genereux,
Les destins de Louis assuroient la Victoire.
Vainement le Ter s’enfle, & forme de ses bords
Une double barriere à ses heureux efforts :
Plus il trouve d’obstacle, & plus il a de gloire.
***
Aussi-tost qu’il l’ordonne on voit fendre les flots,
 Par tout nos Braves à la nage,
Et le moindre Soldat paroist comme un Heros,
Dans les nobles transports de son boüillant courage.
Il semble que le Fleuve en sent sa forte ardeur,
Que d’en estre embrasé tout ému par la peur,
Il veut précipiter la course de son onde.
Le flottant Element est donc vaincu d’abord.
L’Armée en triomphant arrive à l’autre bord,
Où pour elle en Lauriers la Victoire est feconde.
***
L’Ibere à peine croit ce qui fait son effroy,
 L’intrepidité d’une Armée,
Qui sous les Etendarts d’un invincible Roy,
S’avance vers son Camp de la sorte animée.
Il voudroit en fuyant éviter le malheur.
Il ramasse pourtant ce qu’il peut de valeur.
Pour n’estre pas vaincu tout-à-fait avec honte.
Il se défend aussi d’abord fort fierement.
Mais bien tost on le force en son retranchement,
Et jamais on n’a vû de défaite plus prompte.
***
De Morts & de Mourans tout le champ est couvert ;
 Plusieurs qui pensent par la fuite
Trouver à leur salut quelque refuge ouvert,
Sont encor immolez dans l’ardente poursuite.
Ce merveilleux succés a tout son plein éclat :
On y voit pour trophée, & pour gain du combat,
Prisonniers, Etendarts, enfin armes, bagages.
Mais il ne remplit pas les projets du Vainqueur :
Il ne fait qu’animer son zele & sa valeur,
A qui d’autres progrés il sert comme de gages.
***
La Victoire à son gré bien plus loin le conduit,
 A Palamos elle l’appelle.
Il ne balance point, à l’instant il la suit,
Certain qu’à son ardeur elle sera fidelle.
A peine nostre Armée arrive au pied des murs,
Que les vaillans Soldats, qui de vaincre sont surs,
Le fer brillant en main escaladent la Place.
L’effroy qui se saisit du cœur des défenseurs,
Aide les Assaillans à se rendre vainqueurs ;
C’en est fait, & tout cede à leur guerriere audace.
***
Quelle rapidité de surprenans exploits !
 Que les Ennemis elle étonne !
En moins d’un mois, ce Duc vainqueur jusqu’à trois fois,
A l’Empire des Lis soumet encor Gironne,
Gironne, devant qui deux fameux Generaux
Ont d’un Siege chacun fait en vain les travaux.
A quel point aujourd’huy voit on monter sa gloire ?
Gagner une Bataille, & forcer les remparts
De deux Places ensuite, on croiroit que c’est Mars
Qui se fait, comme il veut, suivre de la Victoire.
***
Bien-tost de toutes parts se répand la terreur
 Par ces trois premiers coups de foudre.
L’Espagne si superbe en est frapée au cœur,
Son grand Conseil en tremble, & ne sçait que resoudre.
Il pense déja voir nos valeureux Guerriers
Faire de tous costez des moissons de Lauriers,
Rouges du sang versé dans mille funerailles,
Il croit les voir déja planter leurs Etendarts
Sur tous ses Bastions, & sur tous ses remparts,
Et mesme de Madrid foudroyer les murailles.
***
L’épouvante de là chez le Peuple Germain,
 Le Piedmontois, & le Belgique,
Vole, & dans tous les cœurs s’ouvre un large chemin,
Chacun frissonne & craint une scene tragique.
Nassau mesme fremit malgré tout son orgueil,
Il croit ses hauts projets menacez d’un écueil,
Et sa Ligue, en un mot en demeure étonnée.
Reconnoissez enfin, aveugles Ennemis,
Qu’au plus grand des Heros tout peut estre soumis,
Et qu’en vain vous croyez voir sa gloire bornée.
***
La Paix seule pourroit desarmer ce Vainqueur,
 Elle a fait taire son tonnerre
Déja plus d’une fois, pour rendre le bonheur
A cent Peuples lassez de l’effroyable guerre.
Il est prest ce Heros par tout victorieux,
Aprés tant de succés si grands, si glorieux,
De la faire pour vous du Ciel encor descendre.
Cessez, cessez de suivre un Prince Usurpateur :
Et d’un Roy triomphant recherchez la faveur.
Quel plus digne parti pouvez-vous jamais prendre ?
***
Quoy, ne pouvez-vous rompre un foible enchaînement !
 Quels sont les puissans caracteres,
Par qui cet Enchanteur fait vostre entestement ?
Est-ce que vous aimez les pompeuses chimeres ?
A quoy bon vous nourrir de belles fictions ?
Gagne-t-il vostre estime avec des visions ?
Ses grands progrès à Brest doivent vous satisfaire.
On vient d’y repousser ses Troupes, ses Vaisseaux,
Et du sang des Anglois faire rougir les eaux.
Sa victoire est ainsi par tout imaginaire.
***
Toy, Noailles, sans cesse augmente ton renom
 Par des conquestes de la force
Des exploits dont tu viens d’honorer ton Baston,
Et d’un destin fameux, suy la charmante amorce.
Un grand champ de Lauriers à ton bras est ouvert,
Montre nous des plus beaux encor ton front couvert,
Ta place est assurée au Temple de Memoire.
Mais quand on t’y verra joindre avec la valeur,
Une haute sagesse, une aimable douceur,
Enfin, ta pieté, quoy ! le pourra-t-on croire ?

Les Sots de Beaune §

Mercure galant, août 1694 [tome 8], p. 102-108.

Voicy un nouvel ouvrage de Mr de Vin. Je n’ay rien à vous en dire aprés vous avoir nommé l’Auteur.

LES SOTS DE BEAUNE.

Chacun connoist du Ciel la fatale puissance,
Et l’on sçait qu’une bonne ou mauvaise influence
 Produit sur toutes les Citez,
 Ces differentes qualitez,
 Qui dès le point de leur naissance
Font de leurs Citoyens la honte ou l’excellence.
A leurs Astres malins Beaune doit tous ses Sots,
Les Poissarts leur orgueil, les Langrois leur folie,
 Les Gantois leur mutinerie,
Lagny ses paresseux, & Paris ses Badauts.
De tous les quolibets qu’on donne à chaque Ville,
Peut-estre qu’on pourroit faire un plaisant recit,
 Mais cela seroit inutile,
 Et ce peu que j’en dis suffit.
 Reprenons Beaune. Un tres-grand Prince,
Dont la gloire & le nom ne periront jamais,
Condé, des Bourguignons visitant la Province,
Y fut disner un jour, & par deux ou trois traits
 Connut de son impertinence
Que les Contes plaisans qui couroient par la France,
 N’estoient dans le fond que trop vrais.
 Ses Echevins le regalerent
D’un ample compliment qui leur coûta des soins,
 Mais qui valoit pourtant bien moins
 Que le Vin qu’ils luy presenterent.
Ce grand Prince en sçavoit la réputation ;
 Et comme il le trouva fort bon,
Un d’eux qui pensoit estre habile autant que noble,
Et par là faire honneur à leur heureux Vignoble,
 Luy répondit, Ah ! Monseigneur,
 Nous en avons bien de meilleur.
 Je n’ay pas de peine à le croire,
Reprit en souriant ce Vainqueur de Rocroy,
 Mais vous attendez pour le boire
 Un plus honneste homme que moy.
 C’est en user avec prudence,
 Et je vois bien par ce bon sens
 Que vous estes d’habiles gens.
 D’une profonde reverence
Messieurs les Echevins payerent cet encens,
Et de ce trait railleur loin de voir la finesse,
 Descendirent tous fort contens
 De leur Vin & de Son Altesse.
 Mais à peine estoient-ils sortis,
Qu’au milieu de la cour par quelqu’un avertis,
Que pour laver sa bouche un peu de leur eau prise
Avoit par ce grand Prince esté nommée exquise,
Ils crurent là dessus qu’avant qu’il s’en allast
Il estoit bon aussi que l’on l’en regalast.
 Aussi tost à perte d’haleine
Par leur ordre donné l’on court à la Fontaine,
 Et de cette eau par vingt garçons,
Gemissans sous le poids & suans de foiblesse,
 Font de retour chez son Altesse
 Porter avec eux cent flacons.
 Le Prince alors à la fenestre
 Causoit avec un grand Seigneur,
 Et dit en les voyant, peut-estre
Est-ce là de ce Vin qu’ils nous ont dit meilleur.
Ils s’en avisent tard, j’ay disné, mais n’importe,
 Allons voir ce present nouveau,
 Qu’en si grand haste on nous apporte.
Voila, luy dirent-ils, Monseigneur, de cette eau
Que Vostre Altesse vient de trouver excellente,
 Et que la Ville vous presente.
Elle eust accompagné nos Bouteilles de Vin,
Si plûtost on eust sceu son fortuné destin,
Mais à vous l’apporter on a fait diligence,
Si-tost qu’on nous en a donné la connoissance.
Ah ! vous avez raison, Messieurs,
S’écria Son Altesse, & rien n’est plus honneste
Que de m’offrir dequoy rabattre ses vapeurs.
 J’en aurois eu mal à la teste,
Et cette eau ne pouvoit venir plus à propos.
Il est vray que la doze a lieu de me surprendre ;
Mais tant mieux, si la soif s’avise de nous prendre,
Nous n’en manquerons point, ny moy, ny mes chevaux.

Le Jeu de Paume §

Mercure galant, août 1694 [tome 8], p. 108-111.

LE JEU DE PAUME.

 Tandis que je tiens ces Beaunois,
 Souffre, Lecteur, que je te dise
 Encore un trait de leur sottise.
 L’un des plus justes de nos Rois
 Curieux de voir son Royaume
Passa chez eux. Hé-bien, leur dit-il en disnant,
 Verrons-nous vostre Jeu de Paume
Dont vous parliez tantost, & que vous vantiez tant ?
Dés qu’il vous plaira, Sire. Allez, qu’on le prépare ;
 Je veux avant que de partir
 M’exercer & m’y divertir.
Ravis qu’ils en estoient leur troupe se separe,
 Et chacun va de son costé
 Détendre sa tapisserie.
Pour quoy faire ? Ah ! Lecteur, t’en serois-tu douté ?
 Jusqu’à ceux de la galerie
Les murs de ce Tripot en furent tapissez,
Et quand le Roy, venu pour joüer sa partie,
 S’informa de ces insensez
 S’ils joüoient de cette maniere,
 Non, Sire, avec naïveté
 Répond leur impertinent Maire,
 Mais par là nous avons cru faire
 Honneur à vostre Majesté.
Je vous suis obligé, reprit ce Roy si sage
 Et qu’on ne peut assez loüer.
Je vous l’aurois esté cependant davantage
Si ce lieu n’estoit pas hors d’estat d’y joüer.
A ces mots plus confus qu’un Souffleur ne peut l’estre
Quand il voit en vapeurs son espoir disparoistre,
 Nos pauvres Beaunois toujours sots,
 Sans dire mot se regarderent.
Ils rougissoient de honte, & jamais n’oublierent
 Qu’il ne faut point tapisser les Tripots.

[Madrigaux] §

Mercure galant, août 1694 [tome 8], p. 127-130.

Mr le Comte de Saint George, nouvel Archevesque de Lyon, n’eut pas plutost pris possession de son Eglise, qu’il alla au College des Peres Jesuites, où des complimens luy furent faits en toutes sortes de Langues. Les loüanges qu’on luy donna ne pouvoient paroistre affectées, puisque sa vaste érudition est connuë de tout le monde. Ce Prelat excelle sur tout dans la connoissance de l’Histoire Ecclesiastique, du Droit Canon, des Conciles, des Mathematiques, de la Langue Greque, & de l’Hebraïque. Voicy une partie de ce qu’on luy dit en Vers François.

MADRIGAL.

Quand le sage Louis remplissant nostre attente,
 Vous confia cette Eglise importante,
On crut qu’au seul merite il vouloit faire honneur ;
 Détrompons-nous, c’est une erreur.
Il n’entra dans ce choix justice, ny faveur ;
Il avoit un motif qui plus prés l’interesse.
 Par un choix si judicieux
Il voulut faire honneur à sa propre sagesse.
 Il n’a pas pû s’y prendre mieux.

AUTRE.

 Lorsque le plus sage des Rois
Parmi cent Concurrents de vous seul a fait choix,
 Pour remplir cette illustre place,
Il n’a point prétendu de vous faire une grace.
 S’il vous choisit par dessus tous,
C’est qu’il n’en connoist point de plus digne que vous.

Stances §

Mercure galant, août 1694 [tome 8], p. 130-132.

STANCES.

Prelat, l’ornement de la France,
 Et les delices de ces lieux,
Vous ramenez la Paix, le calme, & l’esperance,
 En vous faisant voir à nos yeux.
***
Assez & trop long-temps une importune absence
 A troublé nos plus doux plaisirs,
 Il est temps que vostre presence
 Remplisse nos plus chers desirs.
***
Clermont & l’heureux Tours ont eu seuls l’avantage
D’avoir esté dix ans vostre sejour,
 Il faut bien que Lyon partage
 Le mesme bonheur à son tour.
***
Cette Ville autrefois si chere à vostre enfance
Cultiva pour les Arts vostre heureuse naissance,
Et vous fit d’Appollon goûter le doux repos.
Elle compte à present avec quelque apparence,
D’avoir bien plus de droit qu’aucune autre de France,
 De profiter de vos travaux.
***
Sans effort, sans murmure, elle sera docile
Aux fidelles avis de son sage Pasteur :
 La chose n’est pas difficile
Quand on a par avance & l’estime & le cœur.
***
 La grace, l’art, & la nature
 Ont versé dans vous sans mesure
 Tout ce qui fait un grand Prelat,
 La vertu, l’esprit, la noblesse,
 Le profond sçavoir, la sagesse,
 La droiture, la politesse,
Et tous les grands talens qui donnent de l’éclat.

[Autres Madrigaux] §

Mercure galant, août 1694 [tome 8], p. 133-137.

Aprés qu’on eut fait l’éloge de ce Prelat, en Vers Grecs, on luy recita ce Madrigal.

 Si pour vous faire compliment
 Nous empruntons des Grecs l’agreable langage,
Ce n’est pas, Grand Prelat, sans quelque fondement,
Il est vray que le Grec ne seroit pas d’usage
 Pour haranguer toute sorte de gens,
 Mais il convient bien aux Sçavans.
La langue de Platon & d’Homere est la vostre ;
 Vous la parlez aussi bien que la nostre.
 Nous le sçavons, & nous l’admirons tous.
Ce qu’on appelle Grec, est du Grec pour tout autre ;
 Mais c’est du pur François pour vous.

Les Vers que vous allez lire, furent les derniers qu’on luy fit entendre.

Le Public qui prétend vous connoistre fort bien,
Assure, Grand Prelat, que vous n’ignorez rien :
Que l’Histoire, les Arts, & les Langues sçavantes,
 Les Langues mortes & vivantes,
 Ce que les Anciens ont écrit,
 Ce qu’ils ont fait, ce qu’ils ont dit,
Tout est sans embarras rangé dans vostre esprit.
On dit qu’en fait de Loix, de Canons, de Conciles,
 Vous faites peur aux plus habiles ;
Que vous avez appris, penetré, medité
 Les secrets de l’Antiquité
 Les plus abstrus & les plus difficiles ;
 En un mot, que vous sçavez tout,
Que vous avez tout lû de l’un à l’autre bout.
Voilà ce que de vous par tout on entend dire.
N’en déplaise au Public, pour qui j’ay grand respect.
Contre son témoignage en faux j’ose m’inscrire.
 Un tel discours m’est fort suspect.
 Je puis nommer plus de vingt choses
Qui sont pour vous des lettres closes,
 Et sans craindre de m’abuser,
Je gage cent contre un qu’avec vostre science,
Vous ignorez autant & plus qu’homme de France,
L’art de se contrefaire, & de se déguiser,
 De donner tout à l’apparence,
 Le grand art de thesauriser,
 L’art mesme de vous reposer,
 Celuy de conduire une intrigue,
De ménager une secrette brigue,
 L’art si commun de se vanter,
 L’art commode de se flatter,
 L’art facile de s’entester.
 Mais sans qu’icy je vous fatigue
 Par un long & fâcheux amas
 De ce que vous ne sçavez pas,
J’ose du moins dire avec assurance
Quels que soient les talens en quoy vous excellez,
Que vous ne sçavez pas deux choses d’importance :
C’est combien on vous aime, & combien vous valez.
 Malgré vostre vaste genie,
Qui penetre, qui creuse avec tant de clartez
 Les plus grandes difficultez,
Je vous donne aujourd’huy vingt ans de vostre vie,
 Pour sçavoir ces deux veritez.

[Nouvelles de Touraine] §

Mercure galant, août 1694 [tome 8], p. 147-154.

Soit que le Roy inspire à ceux qui l’approchent les sentimens de bonté qu’il a pour son Peuple, soit qu’ils se fassent une gloire de les suivre, il est ordinaire, & comme naturel aux personnes de qualité qui sont à la Cour, de faire du bien par tout où elles vont. Ce qui s’est passé il n’y a pas long-temps en Touraine en est une preuve. Mr le Marquis de Dangeau, Gouverneur de cette Province, s’y rendit au mois de Juin avec Madame la Marquise de Dangeau, Madame la Duchesse de Montfort, Mr le Prince de Morbac, Frere de Madame de Dangeau, & Mr l’Abbé de Dangeau, dont vous connoissez le rare merite. A peine y fut-il arrivé dans sa belle maison de la Bourdaisiere, qu’il y ordonna des ouvrages, afin que les pauvres Paysans pussent gagner de quoy vivre. Le 20. Juin il vint à Tours aux acclamations du Peuple, pour faire chanter en differens jours le Te Deum, pour la nouvelle Victoire de Catalogne, dans les deux grandes Eglises de S. Gatien & de S. Martin, & il y assista avec sa compagnie, & les Corps de la Ville. Il visita l’Hostel-Dieu & l’Hôpital General, qu’il combla d’aumônes & de liberalitez, & peu de jours aprés estant allé voir le Chasteau des Ducs de Luines, qui est sur la coste de la Loire, la charité le poussa plus loin, & s’estant fait rendre compte de ravages que font au-delà de la petite Ville de Langeais plusieurs bestes farouches, qui depuis dix-huit mois y ont dévoré plus de trois cens personnes, il consola les Habitans du Pays ; & depuis il leur a procuré les Equipages de Monseigneur pour la Chasse du Loup.

Vous sçavez le nouvel Edit du Roy touchant la creation des Charges de Maire. La Cour ayant à remplir celle de Maire de Tours, a jetté les yeux sur Mr Desloges, ancien Echevin de la Ville, & Frere d’un fameux Avocat au Parlement. Comme il pouvoit y avoir quelques difficultez touchant le lieu de prestation du serment, que les Maires de Tours, depuis leur premier établissement, ont coutume de faire dans les Galeries de l’ancienne Eglise de Saint Martin, ce qui fut mesme confirmé par un Arrest contradictoire que le Roy Henry le Grand rendit sur ce sujet dans son Conseil le 23. Mars de l’année 1607. Mr l’Abbé Milon, Chanoine & Prevost d’Oé, dans cette celebre Eglise, fit connoistre le droit & la possession où elle est à cet égard, à Mr le Marquis de Dangeau, qui en ayant informé la Cour, dés qu’il en eut receu les ordres, se rendit le matin du 8. Juillet à S. Martin pour y faire la ceremonie de prendre le nouveau serment.

Les Députez du Chapitre, qui est tres-nombreux, le receurent à la porte de l’Eglise, & Mr l’Abbé de Galliezon, Grand Chantre, le complimenta. Tous ensuite le conduisirent au lieu du serment, où en presence du Presidial, du Corps de Ville, & d’un tres-grand concours de peuple, Mr Desloges prêta le serment accoutumé entre les mains de Mr le Marquis de Dangeau ; & ayant fait un Discours tres respectueux, Mr de Dangeau y répondit en des termes charmans, pleins de soumission aux ordres du Roy, de bonté pour le peuple de Tours, & d’estime pour le nouveau Maire. La ceremonie estant faite, ce Marquis, toujours conduit par les Députez du Chapitre, vint avec toute sa compagnie devant le grand Autel entendre la grande Messe, qui fut chantée par la Musique. Les Corps y assisterent selon la coutume. A la fin les mesmes Députez le conduisirent à ses Carosses, où aprés leur avoir témoigné son zele pour l’honneur de leur Eglise, il s’en retourna à la Bourdaisiere, & de là en Cour.

Conseil à l’Espagne d’accepter la Paix §

Mercure galant, août 1694 [tome 8], p. 167-171.

L’Ouvrage qui suit est du Pere Durand, Jesuite, Professeur de Rhetorique du College de Saintes.

CONSEIL A L’ESPAGNE
d’accepter la Paix.

Orgueilleuse Hesperie, autrefois formidable,
 Par le bruit de tes grands exploits ;
Qui mesme osois braver le pouvoir de nos Rois,
Que ton sort aujourd’huy me paroist déplorable !
Vois-tu tes champs jadis si feconds en Guerriers,
 Devenir des terres desertes,
Des theatres fameux de tes honteuses pertes,
Et se changer pour nous en moissons de Lauriers ?
Vois-tu les bords du Ter tout fumans de carnages ?
Vois-tu ses flots tout teints du sang de tes Soldats,
 Couler le long de tes rivages,
Et fremir de couroux d’aller de nos Combats
A cent Peuples divers porter les avantages ?
***
De quel œil as-tu vû ces Boulevars affreux
 Que Palamos crut invincibles,
Abaisser leur orgueil & leurs fastes terribles
Devant nos Legions, & trembler à leurs yeux ?
 Regarde à son tour Barcelone
 Pâlir d’effroy dans ses rampars ;
Vois-y ses habitans courir de toutes parts,
Reclamer le secours de Mars & de Bellone.
***
 Que tous ces glorieux progrés
 Aveugle & superbe Hesperie,
 Triomphent de ta noire envie,
Et te portent enfin à demander la Paix.
 C’est le seul endroit qui te reste
Pour te mettre à couvert d’un orage funeste ;
Car n’attens plus du Ciel de secours ny d’appuy.
Il combattit, je le sçay, pour ta gloire,
 Pendant que tu le fis pour luy,
Mais il a de tes mains enlevé la victoire,
 Pour la soumettre à d’autres loix,
Lors qu’il t’a vû trahir les plus saints de ses droits ;
Et ternir de ton nom l’éclat & la memoire.
 Te faut-il un meilleur garant
 Pour te prouver qu’il t’abandonne.
 Que le fameux renversement
Des superbes ramparts de la fiere Gironne ?
 Tu le vois, ce saint Protecteur,
Qui faisoit de tout temps sa plus ferme esperance,
Vient de l’abandonner à son propre malheur,
 En negligeant le soin de sa défense.
Qui l’a pû détacher de ses chers interests,
 Luy qui leur fut toûjours propice ?
 En voicy les motifs secrets,
C’est qu’elle soutenoit aujourd’huy l’injustice.
***
Vois donc par tous ces coups quel est de ton Vainqueur
 Et le bonheur & la puissance.
 Aprés avoir éprouvé sa valeur,
A la fin resous-toy d’éprouver sa clemence.
S’il sçait humilier ses plus fiers Ennemis,
Il sçait leur pardonner quand il les a soumis.

[Sonnet du Pere Mourgues à Mr de Noailles] §

Mercure galant, août 1694 [tome 8], p. 171-175.

Le Pere Mourgues, Jesuite, Professeur Royal des Mathematiques à Toulouse, qui a donné les Regles de la Poësie Françoise, & mis au jour differens Ouvrages en Prose & en Vers, a fait imprimer depuis peu de jours des Apophtegmes, où brillent également l’esprit & la delicatesse de l’Art poëtique. Voicy un Sonnet de sa façon à Mr le Maréchal Duc de Noailles, Viceroy de Catalogne.

SONNET.

A Titre de Vainqueur devenu Viceroy,
Ton triomphe est complet sur le Duc d’Escalone,
Noailles, il t’évite, & couvre Barcelone,
Tandis qu’à Palamos tu vas porter l’effroy.
***
Ta valeur desormais te donne un libre employ,
Ton bras n’a qu’à choisir les Lauriers qu’il moissonne.
L’écueil de vingt Heros, l’imprenable Gironne,
De vingt Sieges sauvée, en cinq jours est à toy.
***
Combattant pour Louis la fortune te guide,
Le cours de tes progrés n’est guere moins rapide,
L’Espagne a cru le voir foudroyer ses rampars.
***
Ouy, tes exploits des siens nous tracent quelque image,
Et c’est, en un seul mot, te loüer davantage,
Que si je te mettois au dessus des Cesars.

Le Pere l’Heritier, Jesuite, de la Maison Professe de Toulouse, homme distingué dans cette celebre Compagnie, ayant fait une Anagramme en Vers Latins sur les Mouches de S. Narcisse, le Pere Mourgues en a rendu toutes les beautez en nostre Langue, par ces quatre Vers.

Tant qu’un zele pieux arma vos Escadrons,
Les Moucherons pour vous furent des gens de guerre ;
Mais lors que vous servez le Tyran d’Angleterre,
Vos Gueriers sont des Moucherons.

[Histoire] §

Mercure galant, août 1694 [tome 8], p. 175-200.

L’avanture que je vais vous raconter a des circonstances assez singulieres pour meriter que je vous en fasse le détail. Une Dame, demeurée Veuve dans un âge où les conquestes sont encore aisées à faire, faisoit son plaisir d’avoir une grosse Cour. Le merite de sa personne pouvoit avoir part aux soins qu’on s’empressoit à luy rendre, mais une raison plus forte luy attiroit un fort grand nombre d’Amans. Elle avoit beaucoup de bien, & pourvû qu’on eust l’adresse de ménager son esprit, elle estoit capable de se laisser prendre, & de renoncer à l’heureux estat d’indépendance où l’avoit mise la mort de son Mary, dont elle s’estoit consolée en peu de temps. Deux ou trois de ceux qui s’attacherent le plus à gagner son cœur, réussirent successivement à le toucher, & elle entra avec eux dans des engagemens assez forts pour leur donner lieu de croire que le mariage dont elle arrestoit les conditions auroit son effet, mais ils ne songerent pas que la passion qu’ils luy inspiroient estant violente, estoit sujette à n’estre pas de durée, & faute de la presser de conclurre si-tost qu’elle avoit promis, ils luy laisserent le temps de se dégoûter, & de se défaire des sentimens favorables dont elle avoit esté prévenuë d’abord pour eux. Ces experiences ayant rebuté la pluspart de ses Amans, elle commençoit à se trouver seule, & à se faire une honte de ne plus avoir d’adorateurs. Ses prétendus Heritiers se réjoüissoient de son caractere, qui sembloit les assurer que jamais elle ne succomberoit à la dangereuse tentation de prendre un second Mary, lors qu’un jour elle vint prier une Dame de ses Parentes, de venir passer huit jours avec elle à une Terre qu’elle avoit à douze lieuës de Paris. La Dame estoit toute pleine d’agrémens, avoit une vivacité d’esprit merveilleuse, & faisoit la joye de toutes les societez qui la recherchoient. Comme elle joignoit une grande complaisance à mille autres qualitez qui la rendoient estimable, elle consentit à ce que voulut la Veuve, & se laissa emmener dans le mesme instant, parce qu’on vouloit l’entretenir à loisir d’un fort important secret, qu’on ne vouloit confier qu’à elle seule. Elle arriva chez la Veuve, dont le premier soin fut de prendre un habit fort magnifique, & de se parer d’une maniere extraordinaire. La joye qu’elle vit d’ailleurs briller dans ses yeux, luy fit demander la cause de tout cet ajustement, & la Veuve répondit qu’elle l’avoit amenée pour signer à son Traité de mariage, que le Notaire avoit ordre de dresser suivant les articles qu’on luy avoit mis entre les les mains ; qu’elle devoit épouser le lendemain de fort grand matin, un Cavalier tres-bien fait, qu’elle avoit rendu éperdûment amoureux, & qu’incontinent aprés ils partiroient tous pour la Campagne. La Dame qui se trouvoit de noces lors qu’elle y pensoit le moins, luy fit quantité de questions sur le Cavalier, & apprit d’elle qu’il n’y avoit que huit jours qu’ils se connoissoient, & qu’un homme sage qu’elle verroit avec luy, avoit conduit cette affaire. La Dame luy dit en riant qu’elle voyoit bien que le Cavalier avoit de l’esprit puis qu’il l’avoit obligée à conclure promptement, & qu’elle n’avoit rien à luy conseiller, les choses estant trop avancées pour y vouloir apporter du retardement. La Veuve l’ayant asseurée qu’elle approuveroit son choix, & qu’elle n’avoit rien fait qu’avec une attention tres-serieuse sur l’importance de l’engagement qu’elle avoit pris, elle applaudit à ses sentimens & ne voulut point combattre inutilement une passion qui luy paroissoit tres-vive. Peu de temps aprés entrerent le Cavalier & l’Entremetteur, accompagnez du Notaire qui avoit esté chargé du Traité de mariage. Le Cavalier que la Veuve presenta d’abord à sa Parente, n’avoit pas plus de trente ans, il estoit assez bien fait, & à n’en juger que par la mine, il pouvoit n’estre pas indigne qu’on l’aimast. Le contrat fut lû, & comme il portoit tous les avantages que l’on peut faire à un homme, la Parente de la Veuve dit au Cavalier, qu’un procedé si honneste & si genereux, devoit l’engager à une éternelle reconnoissance. Il ne répondit qu’en prenant la main de la Veuve, qu’il baisa avec beaucoup de respect, & le Notaire ayant presenté la plume, les interessez signerent, ainsi que la Parente & l’Entremetteur qui servirent de témoins. On soupa bientost aprés, & la Parente qui ne connut pas un fort grand genie dans le Cavalier, le déconcerta par son enjoûment, en luy disant cent choses plaisantes où souvent il ne sçavoit que répondre. Pour le consoler de son desordre, elle prétendoit que ce fust la marque d’un cœur tout remply d’amour, qui estant entierement occupé de son objet, n’aimoit point à s’en distraire. On se separa aprés avoir donné l’heure pour le lendemain de tres-grand matin. Cependant la Veuve estant demeurée seule avec sa Parente, luy demanda ce qu’elle pensoit de son Amant, à quoy elle répondit qu’il n’estoit pas surprenant qu’un excés d’amour luy eust étouffé l’esprit, & qu’ainsi elle n’en pouvoit rien dire, puisqu’il n’estoit pas dans son estat naturel. Elles coucherent ensemble, & continuerent d’en parler, jusqu’à ce que la Dame se fut endormie. Son sommeil ne dura pas fort longtemps. La Veuve fit reflexion sur le peu d’esprit qu’avoit fait voir son Amant devant sa Parente, & aprés plusieurs choses agitées en elle mesme, elle commença à dire tout haut qu’il ne devoit point prétendre qu’une femme aussi riche & aussi bien faite qu’elle estoit, se resolust à estre la femme d’un malheureux qui estoit sans aucun bien, & qui ne pouvoit que luy faire honte. La Dame éveillée par son soliloque, luy demanda s’il estoit temps de se repentir, & si elle croyoit pouvoir rompre un Contrat signé, sans s’exposer à payer de gros interests. Cette legere opposition à ses sentimens ne fit que l’affermir davantage dans la resolution de ne se pas marier. Elle se fit un portrait hideux de son Amant, & il commença à luy paroistre le plus méprisable de tous les hommes. Son idée se remplissant des mauvaises qualitez qu’elle luy donnoit, elle ne pouvoit se pardonner son aveuglement, de s’estre caché ses deffauts pendant huit jours. Quatre heures sonnerent dans le temps qu’elle disputoit avec sa Parente ; & le Cavalier attentif à l’heure donnée pour le mariage, vint presque aussitost. Il luy rendit compte de sa diligence à tenir tout prest dans l’Eglise, où celuy qui les devoit marier les attendoit. La Veuve luy répondit fierement qu’elle ignoroit ce qui luy donnoit la liberté d’entrer dans sa chambre tandis qu’elle estoit encore au lit ; qu’elle avoit bien d’autres choses dans la teste que de songer à se marier ; & que s’il avoit tant d’impatience d’avoir une Femme, rien ne l’empêchoit de l’aller chercher ailleurs. Un changement si peu attendu mit le Cavalier dans une surprise qui le rendit quelque temps muet. Il voulut sçavoir son crime, & plus il parla en Amant soumis, plus il fut traité desobligeamment. L’Entremetteur qui l’accompagnoit toujours, ne put s’empêcher de dire, qu’aprés les mesures qu’elle avoit souffert qu’on prist, un semblable procedé estoit trop injurieux pour le souffrir sans s’en plaindre, & ces paroles luy en attirerent de si aigres, qu’il fut obligé de se retirer dans l’antichambre, où le Cavalier & luy tinrent conseil. Les Dames les entendirent raisonner longtemps, & par une sorte de dispute qu’ils eurent ensemble, elles comprirent que le Cavalier s’opposoit à ce que l’Entremetteur avoit resolu de faire. La Parente priée par la Veuve, sortit du lit promptement, & à demy habillée elle alla leur dire, qu’il leur estoit inutile de prétendre qu’on luy fist perdre si-tost le dégoust où elle estoit ; que certaines choses qui luy avoient passé par l’esprit dans le moment qu’elle estoit le plus resoluë au mariage, luy en faisoient apprehender l’embarras, & qu’il n’y avoit que des manieres honnestes & un peu de temps qui la pûssent ramener. L’Entremetteur, aprés plusieurs plaintes sur l’affront qu’alloit recevoir le Cavalier, à qui elle n’avoit jamais demandé le secret sur cette affaire, s’échapa à dire qu’il auroit au moins sujet de se consoler par mille pistoles qu’il faudroit qu’elle payast, si elle vouloit manquer à l’engagement qu’elle avoit pris. Il n’avança rien sans le prouver. La Dame fut fort surprise de voir un Dédit signé par la Veuve, à qui elle alla demander sur l’heure pourquoy elle maltraitoit des gens qui pouvoient agir contre elle pour mille pistoles. Elle expliqua cette Enigme, & en luy parlant du Billet signé qu’elle avoit vû, elle la mit dans une colere qui ne se peut exprimer. La Veuve se souvint d’avoir mis son nom au bas d’une Lettre qu’on luy avoit presentée, comme une réponse qu’elle faisoit à un compliment de civilité qu’elle avoit receu sur son mariage, d’un Parent du Cavalier. Elle avoit signé sans lire, suivant sa maniere brusque de faire beaucoup de choses, & l’Entremetteur qu’on avoit instruit de son peu de fermeté dans ses resolutions, avoit cru venir à bout de fixer son inconstance en se servant de cette surprise pour luy faire signer un dédit. Elle se leva fort promptement pour aller deliberer sur ce qu’elle avoit à faire, & trouvant dans l’antichambre ceux qui estoient saisis du Billet, elle en demanda une lecture. Elle luy fut refusée, & ce refus excita la plus piquante dispute qui soit jamais arrivée. Ce qui se dit de facheux & de cruel ne finit que par la fuite de l’Entremetteur, qui se lassant d’estre maltraité, s’échapa sans plus répondre. La Veuve sortit presque en même temps, & laissa le Cavalier, qui avoit tâché inutilement de l’adoucir, dans une espece d’évanoüissement qui luy fit avoir besoin du secours que luy presterent ses gens. La perte d’une fortune qu’il avoit cruë assurée le mit dans un saisissement de douleur inconcevable. Il poussa de longs soupirs, & il les poussa si haut, que la Parente, demeurée au lit pour prendre un peu de repos, aprés une nuit entiere passée sans dormir, le pria le plus honnestement qu’il luy fut possible, de moderer ses chagrins, ou s’il vouloit s’y abandonner, de vouloir au moins soupirer un peu plus bas. Cela luy donna lieu d’entrer dans sa chambre. Il luy peignit en des termes fort touchans l’indigne maniere d’agir de la Veuve, fit des lamentations tres-pitoyables, & aprés qu’il l’eut assurée plus d’une fois qu’il sentoit bien qu’il mourroit de cette affaire, la Dame luy dit qu’elle ne luy conseilloit de mourir que dans la derniere necessité ; mais que si c’estoit une chose qu’il fust absolument resolu de faire, il l’obligeroit tres-fort d’aller mourir en quelque autre lieu, parce que c’estoit un spectacle qui n’estoit point du tout de son goust. Il sortit enfin, & de sa chambre & de la maison. Elle s’endormit, & ne s’éveilla que quand la Veuve revint. Ceux qu’elle avoit consultez trouvoient son affaire tres-facheuse, s’il estoit vray qu’elle eust signé un dédit, & pour chercher les moyens de l’en tirer, il falloit attendre qu’on luy eust communiqué le Billet. Elle se resolvoit quelquefois à épouser le Cavalier, pour ne point payer les mille pistoles, & en mesme temps elle protestoit que ce seroit pour le rendre le plus malheureux de tous les hommes. Six jours se passerent sans qu’elle entendist parler de rien ; & enfin on luy vint dire que le Cavalier estoit à l’extrémité, & qu’il n’y avoit aucune esperance qu’il en échapast. Un si rare excés d’amour renversa tous les desseins de vangeance qu’elle avoit formez. Elle en fut touchée, & obligea sa Parente d’aller luy dire, que s’il vouloit travailler à sa guerison, elle acheveroit le mariage. La Parente eut de la peine à se charger de cette parole, mais elle songea qu’elle sauveroit peut-estre la vie au Cavalier par cette nouvelle. Elle la donna trop tard, & la joye mêlée d’agitation qu’il en fit paroistre en la recevant, ne fit peut-estre qu’avancer sa mort, qui arriva trois heures aprés. Ainsi la Veuve n’eut point de procés à essuyer, & ce luy fut un grand sujet de triomphe d’avoir réduit un Amant à mourir d’amour pour elle.

Rondeau §

Mercure galant, août 1694 [tome 8], p. 200-202.

L’Illustre à qui nous devons la Lettre en Prose contre les Bouts-rimez que je vous envoyay le mois passé, en ayant receu d’assez difficiles à remplir, a répondu par le Rondeau que vous allez lire, à celuy qui les luy avoit envoyez.

RONDEAU.

En liberté permettez que je rime ;
Vos mots prescrits font émousser ma lime,
L’abus m’en choque, & du plus grand des Rois
En Bouts-rimez celebrer les Exploits,
Amy Vertron, croyez-moy, c’est un crime.
***
Pegase est fier ; quand un beau feu l’anime,
Du seul caprice il reconnoist les loix,
Et veut monter à l’espace sublime
En liberté.
***
N’esperez pas que changeant de maxime,
Les fers aux pieds je coure aprés l’estime.
Chantons Loüis avec art, avec choix.
Ce grand nom seul est un assez grand poids ;
A ce Heros offrons nostre victime
En liberté

[Nouveaux Bouts-rimez] §

Mercure galant, août 1694 [tome 8], p. 202-206.

Le même a rempli en même temps les Bouts-rimez par le Sonnet suivant, qui fait connoistre qu’il est toujours dans le même sentiment contre les Bouts-rimez. Cependant il a si bien réussi, qu’il les fait aimer dans le même temps qu’il écrit contre. Ce Sonnet en est une preuve. Il a receu de grands applaudissemens, & fait souhaiter de voir comment des rimes si bizarres peuvent estre remplies. Je n’oserois toutefois les proposer au Public, les Ouvrages de cette nature n’ayant pas esté si-tost proposez que l’on en est inondé. Il m’en reste plus de cent sur les Bouts-rimez de Mrs de l’Academie des Lanternistes, parmy lesquels il y en a un grand nombre de tres-bons ; mais ayant connu que le Public commençoit à s’en lasser, je n’ay pas cru en devoir donner davantage. On en peut faire sur les rimes nouvelles, & chacun se peut choisir un sujet pour les remplir. Cette diversité fera peut-estre que le Public les verra en plus grand nombre avec plaisir. Ceux qui voudront bien y travailler sont avertis que je n’en mettray pas plus de huit ou dix dans mes Lettres ; ainsi les Auteurs qui ne seront pas de ce nombre, ne devront pas avoir moins bonne opinion de leurs Ouvrages, puis qu’il n’y aura que la grande quantité qui aura empêché leurs Sonnets d’avoir place parmy les autres.

SONNET
Contre les Bouts-rimez.

Visages que Bacchus a teints en écarlate,
Esprits nez pour le joug à l’exemple du bœuf,
Des fades Bouts-rimez vantez le Mithridate,
Et vendez vostre drogue aux Chalands du Pont neuf.
***
J’aime mieux les concerts des Amans d’une Chatte,
Ou le chant de la Poule aprés qu’elle a fait l'œuf.
Le François par cet art va devenir Sarmate,
Sa Muse est expirante, & son Parnasse Veuf.
***
Sarrazin pour Condé s’élevant comme un Aigle,
En vain des Vers pompeux nous a fourny la regle,
Du Lot qu’il a vaincu s’échape des Enfers.
***
Né dans l’extrémité le mal gagne le centre.
O bon goust ! ô raison que l’on veut mettre aux fers,
L’orage sera court, sauvons-nous dans quelque antre.

[Ceremonies faites à la reception des nouveaux Chevaliers de l’Ordre de l’Elephant] §

Mercure galant, août 1694 [tome 8], p. 227-239.

Le Roy de Danemarck a fait de nouveaux Chevaliers de l’Ordre de l’Elephant, & j’ay à vous apprendre les Ceremonies que l’on y a observées. [...] La Ceremonie des nouveaux Chevaliers fut commencée le 14. du mois passé par une excellente Musique, qui se fit entendre dés le grand matin. Le Docteur Petri fit une Predication sur ces paroles du Pseaume 15. Je prens mon plaisir aux Saints & aux Vertueux qui sont sur la terre. Pendant ce Sermon, le Roy de Danemarck estoit assis dans le large espace qui est devant l’Autel, & qu’on avoit préparé pour l’Assemblée des Chevaliers. [...] Le Sermon estant finy, la Musique recommença, aprés quoy le Sr Marc Gioé l’un des Chevaliers, fit sa harangue tres éloquente en la langue du pays, & s’étendit simplement sur tout ce qui regardoit la gloire de Sa Majesté Danoise, sur les grandes actions des Rois ses Predecesseurs, sur l’origine de l’Ordre de l’Elephant, & sur le merite de tous ceux qu’on y avoit reçus Chevaliers. Aprés ce Discours qui dura deux heures, un Secretaire & le Maître des Ceremonies de l’Ordre qui avoient tous deux de longs manteaux d’écarlate, s’avancerent vis-à-vis du Trône du Roy, & se tenant debout, ils firent lecture des Statuts, parlant à haute voix, & prononçant distinctement les noms & les qualitez de tous les membre de l’Ordre. Cela fait, on entendit un grand bruit de Trompettes & de Tymbales, aprés quoy Sa Majesté sortit de l’Eglise, & alla se mettre à table, où Elle fut conduite par un Heraut & par deux Maistres des Ceremonies. La table où le Roy traita tous les Chevaliers presens, estoit dressée dans la grande Salle des Balets, en forme de demy-lune. Il y eut six vingt plats portez à chaque service, & les Trompettes & les Timbales ne cesserent point de se faire entendre pendant le festin, sur tout aux santez qui furent buës & portées. Ce fut ainsi que se termina le premier jour de cette solemnité. Le lendemain 15. deux Herauts & douze Trompettes à cheval, & le Timbalier du Roy avec trois Carrosses de Sa Majesté, chacun attelé de six chevaux, s’en allérent à la Ville pour amener les Chevaliers qui s’y trouvoient, & les Procureurs de ceux qui devoient recevoir cet Ordre par Deputez. Comme c’estoient des Princes Etrangers, leurs Procureurs furent reçus au bas de l’Escalier par deux Maistres des Ceremonies, & conduits jusque dans l’Eglise, vis-à-vis du Trône du Roy, au bruit des Trompettes & des Timbales. Ils reçûrent l’Ordre des mains de Sa Majesté au nom du Duc de Saxe Cotha, du Duc de Holstein-Bek, du Landgrave de Hesse-Darmstadt, du Prince Philippe de Hesse-Cassel, second Frere de la Reine de Danemark, du Prince d’Ostvriestant, & des deux Ducs de Wirtemberg. Ceux qui reçurent cet Ordre en personne furent le Comte de Revenklaw, le Sr Walter, le Baron de Geirzmeyer, & le Grand Maistre de la Maison de la Reine de Danemark. Ils furent ensuite magnifiquement traitez par les autres Chevaliers dans leur grande Salle, ayant alors leurs habits de ceremonie.

Air nouveau §

Mercure galant, août 1694 [tome 8], p. 241-243.

Vous ne serez pas fachée de chanter dans vos agréables parties de Province, des Vers qui ont esté faits sur nos dernieres Conquestes.

AIR NOUVEAU.

Avis pour placer les Figures : l’Air doit regarder la page 242.
Les François ont du courage.
Par tout où croist le bon Vin,
N'ont-ils pas porté sur le Rhin
L'horreur & le carnage ?
Foudres, muids & tonneaux, ils ont tout mis à sec ;
Ils ont donné le mesme échec
Aux gros celiers de Catalogne.
Palamos est déja vuidé,
Et le Soldat affriandé
Dans Gironne en repos est à rougir sa trogne ;
Et pour faire un entier regal,
Il ira s'enyvrer jusqu'à l'Escurial.
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[Reception de Mr l’Abbé Boileau à l’Académie Françoise] §

Mercure galant, août 1694 [tome 8], p. 289-294.

Le Jeudy 19 de ce mois, Mr l’Abbé Boileau, celebre Prédicateur, & qui a rempli avec un si grand succés les meilleures Chaires de Paris, fut receu à l’Academie Françoise, en la place de feu Mr du Bois. Comme la voix du Public s’estoit trouvée conforme à celle des Academiciens, dont il avoit eu tous les suffrages, l’Assemblée fut extrêmement nombreuse, & composée de quantité de Personnes, aussi distinguées par leurs emplois & leurs dignitez, que par leur sçavoir & leur merite. Vous sçavez, Madame, que Mr l’Abbé Boileau a le talent de donner des couleurs fort vives à tout ce qu’il peint. On s’en apperçut dans cette Séance, puis qu’il n’oublia rien de ce qui pouvoit se dire à la gloire du grand Cardinal de Richelieu, Fondateur sous l’autorité du feu Roy, & premier Protecteur de cette sçavante Compagnie, a laquelle il fit un remerciement, qui ne laissa point douter qu’il ne fust touché sensiblement du choix que l’on avoit fait de luy. Vous jugez bien qu’ayant autant d’éloquence qu’il en a, il la fit briller avec beaucoup d’avantage dans tout ce qu’il dit de nostre Auguste Monarque. La matiere estoit riche & abondante, & l’Orateur plein de finesse & d’esprit ; de sorte que l’on remarqua dans son Discours une infinité de ces beaux endroits, qui remplissant l’imagination, laissent à penser plus qu’ils ne disent. L’attention fut extraordinaire, & il n’y eut que les applaudissemens qui l’interrompirent. Le temps me presse si fort, que je suis contraint de remettre au mois prochain à vous faire part de quelques morceaux de cet excellent Discours.

Mr de Tourreil, presentement Directeur de l’Academie, fit une réponse digne de l’illustre Corps qu’il representoit. Elle fut juste, éloquente, & pleine de feu ; & l’éloge qu’il y fit du Roy luy attira l’approbation de tous ceux qui l’entendirent. Ces deux Discours ayant esté prononcez, Mr Charpentier, Doyen de la Compagnie, leut un petit Poëme sur la Vie rustique, & fit voir par là qu’il n’a pas moins de talent à donner aux Vers ce tour agreable, qui flate l’oreille, qu’à faire valoir les beautez de nostre Langue, dans ses Ouvrages de Prose. Mr l’Abbé Tallemant leut ensuite une Paraphrase du Pater noster & de l’Ave Maria, de la composition de Mr Boyer, & tout le monde demeura d’accord qu’il n’a jamais fait de Vers plus nets, plus forts, & plus chastiez.

[Ce qui s’est passé à l’Academie Françoise le jour de Saint Louis] §

Mercure galant, août 1694 [tome 8], p. 294-295.

Le 25. jour de la Feste de S. Loüis, l’Academie Françoise la solemnisa, selon sa coutume, dans la Chapelle du Louvre. Mr l’Abbé Testu de Mauroy, ancien Aumônier ordinaire de Madame, & l’un des quarante Academiciens, celebra la Messe, pendant laquelle une excellente Musique chanta un Motet qu’avoit composé Mr Oudot, & qui fut trouvé tres-digne de luy. Vous sçavez ce que valent ses Ouvrages, & la réputation qu’il s’est acquise par les Choeurs de Jephté & de Judith, dont il a fait la Musique. Mr Boyer est l’Auteur de ces deux Pieces.

[Dictionnaire de la mesme Academie présenté au Roy] §

Mercure galant, août 1694 [tome 8], p. 296-301.

Enfin, Madame, toute la France va estre contente. Cette Academie qui travaille depuis tant d’années à un Dictionnaire, attendu & souhaité de toutes parts, est prête à le publier, & vous n’en douterez point quand je vous auray dit qu’elle eut l’honneur de le presenter au Roy le 24. de ce mois, jour de la Feste de S. Barthelemy, & veille de celle de S. Loüis. C’est un Livre in folio, divisé en deux volumes. Sa Majesté qui avoit voulu qu’il n’y eust qu’un petit nombre d’Academiciens qui accompagnassent Mr de Tourreil, Directeur, qui devoit le presenter, leur avoit donné l’heure pour cela au sortir de son Prie-Dieu. Ils ne manquerent pas de s’y rendre. Mr le Duc de Coislin qui s’y rencontra, prit parmy eux sa place de Sous-Doyen de la Compagnie. Si-tost que le Roy les vit, Mr de Tourreil commençant à s’avancer pour luy faire son complimens, Sa Majesté leur dit avec cet air de bonté & d’honnesteté qui luy est particulier, qu’Elle les recevroit mieux dans son Cabinet. Ils y entrerent, & alors M. de Tourreil dit au Roy, que l’Ouvrage que Sa Majesté vouloit bien leur permettre de luy presenter, avoit esté achevé dans son Palais, par son ordre, & sous sa protection ; à quoy il ajoûta. Pourrions-nous, Sire, n’avoir pas réussi ? Nous avions pour gage du succés le zele attentif qu’inspire l’ambition de vous satisfaire, & la gloire de vous obéïr. Il nous est donc permis de nous flater que nostre Ouvrage explique les termes, develope les beautez, découvre les delicatesses que vous doit une Langue qui se perfectionne autant de fois que vous la parlez, ou qu’elle parle de Vous. Le reste du Compliment renfermoit des sentimens pleins d’un respect affectueux & tendre pour la Personne de Sa Majesté.

Le Roy ayant écouté ce compliment, répondit tout haut en ces propres termes. Messieurs, voicy un Ouvrage attendu depuis longtemps. Puis que tant d’habiles gens y ont travaillé, je ne doute point qu’il ne soit tres-beau & fort utile pour la Langue. Je le reçois agreablement ; je le liray à mes heures de loisir, & je tâcheray d’en profiter. Des paroles si obligeantes furent un prix glorieux de leur travail. Le Sr Coignard, Libraire de l’Academie, ne s’occupe maintenant qu’à faire relier un grand nombre d’exemplaires de cet excellent Dictionnaire, que tout le monde s’empresse à luy venir demander, & qu’il commencera à debiter dans les premiers jours du mois prochain.

[Dictionnaire universel des termes des Arts, & des Sciences] §

Mercure galant, août 1694 [tome 8], p. 301-304.

Vous ne serez pas fachée d’apprendre qu’il debitera dans le mesme temps un Dictionnaire universel des Termes, des Arts, & des Sciences, divisé aussi en deux volumes. Il a esté entrepris par un Particulier de la Compagnie, qui aidé des lumieres de quelques autres Academiciens, & de celles des plus habiles de ceux qui se sont appliquez à la connoissance des Arts, s’est attaché depuis un fort grand nombre d’années à la composition de ce curieux Dictionnaire. Outre les termes qui sont propres à chaque Art, il contient comme un Abregé de l’Histoire naturelle des Plantes, des Animaux, des Oiseaux, des Poissons, & quantité d’autres choses fort utiles pour ceux qui veulent sçavoir l’origine des Ordres Religieux, & de tous ceux de Chevalerie, avec les opinions des differens Heresiarques, qui ont paru dans l’Eglise depuis la naissance du Sauveur. Ainsi, les Curieux qui acheteront ces quatre Volumes, pourront s’assurer d’avoir le plus ample Dictionnaire qui ait paru jusqu’icy. Je ne vous dis rien de particulier de celuy de l’Academie Françoise. Vous n’aurez besoin que d’en lire quelques mots pour demeurer convaincuë qu’il est au dessus de tous ceux qui ont traité des mots simples de la Langue, soit par ses définitions, soit par les differentes significations de chaque mot, expliquées avec une entiere netteté, soit par l’abondance & l’agreable varieté de ses Phrases.