1694

Mercure galant, octobre 1694 [tome 10].

2017
Source : Mercure galant, octobre 1694 [tome 10].
Ont participé à cette édition électronique : Nathalie Berton-Blivet (Responsable éditorial), Anne Piéjus (Responsable éditorial), Frédéric Glorieux (Informatique éditoriale) et Vincent Jolivet (Informatique éditoriale).

Mercure galant, octobre 1694 [tome 10]. §

[Détail de tout ce qui s’est passé à la Ceremonie du Mariage de la Princesse de Pologne, & de l’Electeur de Baviere] §

Mercure galant, octobre 1694 [tome 10], p. 9-34.

Comme il faut des mois entiers pour estre bien instruit de toutes les circonstances de ce qui se passe d’important dans les Pays éloignez, je ne vous ay rien dit jusqu’à present d’un illustre Mariage. Le Comte de Terin, Envoyé extraordinaire de Mr l’Electeur de Baviere, ayant apporté au Prince Jacques de Pologne, les pleins pouvoirs d’épouser, au nom de S. A. E. la Princesse Fille du Roy, on disposa toutes choses pour cette grande ceremonie, en sorte que les Fiançailles se firent dans l’Eglise de S. Jean de Varsovie, le Samedy 14. d’Aoust à une heure aprés midy, à la fin de la Messe pontificalement celebrée par le Cardinal Radziewski, Archevesque de Gnesne, Primat du Royaume, à laquelle S. A. R. communia. [...]

Le jour des Fiançailles on avoit esté à l’Eglise par de longues galeries de communication entre deux hayes de Gardes du Corps, de Suisses & des quatre Compagnies, dont je viens de vous parler ; mais le jour du mariage on traversa à pied les cours du Chasteau, sur de longues pieces de drap d’écarlattes bordées par les mesmes Troupés, depuis le bas de l’escalier jusqu’à Saint Jean par la Ville. Cela se fit au bruit du canon, des Trompettes, des timbales, & des tambours, accompagnez d’instrumens guerriers à la Turque, placez sur des Balcons dans la principale cour, & qui se répondant les uns aux autres, formoient un concert tout martial, qui mettoit la joye dans tous les coeurs.

Aux sons aigus & perçans des haut-bois des Janissaires, & des clairons des Hongrois, se joignirent les cris de Vive le Roy, renforcez par les acclamations de la populace, à l’aspect des fontaines jallissantes de vin de Hongrie. Il y en avoit deux dans la mesme cour. Au-dessus du reservoir de ces fontaines, s’élevoient deux grandes statuës de Pallas, dont la premiere avoit sur la teste le bonnet Electoral, & à la main droite un esponton, avec un bouclier ovale au bras gauche. Sur ce bouclier estoient en relief les armes de Mr de Baviere ; & l’autre avoit la Couronne de Pologne, & un Bouclier à l’antique, qui est l’écusson de la famille du Roy. A six heures du soir on commença à marcher [...]

Quand on fut arrivé à l’Eglise, où le Cardinal Radziewski, assisté de huit Evesques en Mitre & en Crosse, s’estoit rendu, leurs Majestez se placerent sur un trône qu’on leur avoit préparé à la droite du Choeur, pendant que la Princesse & les Princes s’avancerent vers le marchepied de l’Autel, où aprés le Veni Creator, chanté par la Musique de la Chapelle, on lut tout haut les Pouvoirs de Monsieur l’Electeur : aprés quoy le Cardinal donna la Benediction nuptiale. La tenture de drap fut cependant déchirée, & partagée par les Soldats, selon la coutume. L'Eglise, quoy qu'assez grande, se trouva si remplie de gens de tout âge, sexe & condition que plusieurs Dames ne pouvant y avoir place, furent obligées de monter dans des Tribunes vitrées, qui regnent tout le long du costé droit de ce Temple. La Princesse Royale, qui malgré sa grossese & sa fièvre voulut assister à la ceremonie, occupa avec S. E. Mr le Marquis, Pere de la Reine, une de ces Tribunes, entre l'Autel & le Trône de leurs Majestez.

La Cour estant revenuë par les Galeries au Château, dont tous les appartemens estoient meublez fort superbement, & parfaitement illuminez, leurs Majestez & leurs Altesses Royales jusqu’à l’heure du souper receurent les complimens sur ce qui venoit de se passer. Dans l’enfoncement de la grande Salle de la Diette, sur une Estrade élevée de trois marches, & couverte d’écarlate, avec un tres-magnifique Dais au dessus, on avoit posé une table pour leurs Majestez, la Maison Royale, le Nonce du Pape, & l’Ambassadeur de France, ausquels on donna des fauteüils. Mr le Marquis d’Arquien, sur une indisposition se dispensa de s’y trouver. Cette table fut servie par les Officiers de la Couronne. Le Roy placé immediatement sous le Dais dans un grand fauteüil de Vermeil doré, garny de velours cramoisi, avec de grosses crespines d’or, avoit à sa droite la nouvelle Electrice, le Prince Royal, & le Nonce du Pape ; à sa gauche, la Reine, les deux jeunes Princes, & l’Ambassadeur de France. Sur les costez de la mesme salle on avoit dressé deux grandes tables de soixante couverts chacune, l’une à droite pour les Generaux, les Officiers de la Couronnes, & autres Grands, & l’autre à gauche pour les Dames. Il y en avoit encore plusieurs dans des chambres voisines pour le reste de la Cour. A costé de la table de leurs Majestez, dans l’embrasure d’une fenestre, estoit une espece d’Amphitheatre où l’on avoit placé la Simphonie. Trois étages de larges tabletes, avec des tables qui leur servoient de base, formoient le Buffet, & occupoient trois costez d'une Salle quarrée, proche celle où l'on mangeoit. Le premier de ces étages se trouvoit plus accablé qu'orné par quantité de gros vases, la pluspart ciselez, avec de grandes girandoles entre-deux. Le second estoit garny de vastes & pesans bassins, dont les vuides se remplissoient par autant de piles de Vaisselle, & le troisiéme, par un grand nombre de Vases à l'antique de toutes façons, coupez par un pareil nombre de flambeaux garnis de grosses bougies, le tout d'argent & de Vermeil.

Je ne vous dis rien de la profusion & de la delicatesse des viandes & des entremets dont toutes ces tables furent couvertes, non plus que de la rareté des fruits & des confitures qui les releverent. Les Vins les plus exquis de Hongrie, d’Italie & de France, aussi-bien que les Liqueurs & les Eaux glacées, y furent moins distribuez que prodiguez. Aprés ce splendide repas, qui fut reiteré les deux jours suivans avec la mesme magnificence, il y eut un Bal qui dura jusques au jour.

Le 16. & le 17. aprés dîné, leurs Majestez & leurs A. R. receurent de nouveaux complimens, accompagnez des presens qu’on a coutume de faire dans une pareille occasion. Ils firent connoistre veritablement le profond respect & la veneration des Seigneurs & des Grands du Royaume pour leurs Majestez. Ce fut des marques plus convaincantes par la richesse, la galanterie & le bon goust des Bijoux qu’on presenta. Le 18. pour diversifier les plaisirs, on tira sur la Vistule un grand Feu d’artifice qui representoit un Vaisseau de guerre avec tous ses agrés. Sur les voiles, parmy les cordages, & le long de ses masts, on lisoit quantité d’Inscriptions, de Devises, d’Emblêmes & de Chifres convenables au sujet. Le 19. on representa un Opera Italien avec des changemens de decoration, & plusieurs entrées de Balet dans les Entre-actes. A la fin de ce divertissement, qu’on a eu plus d’une fois, on servit un magnifique Ambigu, où chacun eut entiere liberté de prendre part. Le 22. pour achever la pompe de cette Feste, le Prince de Radzevil, Neveu du Roy, traita magnifiquement tous les Seigneurs de la Cour ; en quoy il fut imité le 24. par le Prince Sartoreski, l’un des plus magnifiques Seigneurs de Pologne. Les autres doivent faire tour à tour de pareils regales. On m’apprend que ce fut l’Evesque de Polin, & non le Cardinal Radziewski, qui fit la Ceremonie du Mariage.

[Epistre en Vers à Mademoiselle de Maunay] §

Mercure galant, octobre 1694 [tome 10], p. 34-42.

Voicy des Vers sur la Profession faite depuis peu par Mademoiselle de Maunay, seconde Fille de Mr le Marquis d’Etampes. Ils sont de Mr l’Abbé Nadal, dont on doit souhaiter de voir les Ouvrages, puis qu’il ne fait rien qui ne merite l’approbation des Connoisseurs, soit en Prose, soit en Vers.

A MADEMOISELLE
DE MAUNAY.

La Foy, sage Maunay, vous prêtant sa lumiere,
Vous a conduite enfin au bout de la carriere,
Et vostre cœur s’engage en ce celebre jour,
A faire par devoir ce qu’il fait par amour.
En vain l’éclat trompeur d’une illustre fortune ;
En vain dans le sejour d’une Cour importune.
Le luxe, les honneurs, les charmes, les plaisirs
Venoient se presenter à vos jeunes desirs.
Vous n’avez estimé que les biens de la Grace.
Vous sçavez qu’il n’est point de grandeur qui ne passe,
Et que malgré l’éclat qu’on cherche avec ardeur,
L’humilité devient la solide grandeur ;
Que l’on doit moins priser dans un degré suprême,
Le sang de ses Ayeux que les eaux du Baptesme ;
Que de tous les tresors étalez à nos yeux
La parole sacrée est le plus précieux ;
Que le silence exact où ce vœu vous engage,
Est avec le Seigneur un éternel langage,
Que l’unique beauté qui jamais ne perit,
Est d’exprimer en soy les traits de Jesus-Christ,
Qu’enfin de quelque rang dont vous fussiez jalouse,
Il n’est rien de si beau que d’estre son Epouse.
Ainsi de sa maison se déroba Rachel
Pour suivre son Epoux, & le Dieu d’Israël,
Et n’offrant de l’encens qu’au Souverain des estres,
Osa fouler aux pieds les Dieux de ses Ancestres.
Ouy, quelque attrait en luy qui nous puisse fraper,
Le monde sur ses biens devroit nous détromper.
Contre tous ses honneurs & contre tous ses charmes,
Ce superbe Ennemi peut nous prêter des armes,
Et qui de la raison ouvre sur luy les yeux,
Y rencontre à la fois mille objets odieux.
Injustice, interest, cruauté, perfidie,
La tendre enfance mesme aux crimes enhardie ;
De mille passions les Mortels combattus,
Et tout est faux en eux jusques à leurs vertus.
Du fond du siecle ainsi la Sagesse suprême
Nous tira des secours contre le siecle mesme,
Et nous menant au Ciel par de secrets chemins,
Fit servir le desordre au salut des Humains.
Heureux qui comme vous adorant ses maximes,
Sauve si jeune encor son cœur de tant de crimes,
Et qui sans luy laisser le temps de s’avilir,
Cherche la solitude, & court s’ensevelir.
C’est alors qu’à son Dieu, qu’à soy-mesme livrée,
Des douceurs de la Grace une ame est enyvrée,
Et dans le saint transport de ses vives ardeurs
Met parmi ses plaisirs d’innocentes rigueurs.
Là d’un solide espoir s’ouvre une heureuse voye.
C’est là que l’on joüit d’une aussi pure joye,
Qu’au sortir de l’Egypte en goûtoit Israël,
Libre du joug affreux d’un Prince criminel.
Mais c’est peu qu’au Seigneur vostre sagesse immole
Du siecle corrompu la dangereuse Idole,
Jusqu’en ces murs sacrez redoutez les attraits,
Et, s’il se peut encor, ne le voyez jamais.
Dans le cœur qui l’écoute il répand ses usages,
Il offre quelquefois de flateuses images,
Et couvrant a vos yeux mille perils pressans,
Doit vous rendre suspects ses discours innocens.
Dans son silence ainsi Judith ensevelie,
Au milieu des honneurs que luy fit Bethulie,
Tout sentiment d’orgueil en elle s’étouffant,
Craignit les cris flateurs d’un peuple triomphant.
De ces lâches Chrestiens loin d’icy la foiblesse,
Qui déplore chez vous la beauté, la jeunesse,
Et qui s’effarouchant de tant d’austerité,
Croit qu’on immole en vous la Fille de Jephté.
Que dans le choix heureux que vostre cœur embrasse,
Ils respectent au moins l’ouvrage de la Grace,
Es que moins ébloüis d’un perissable éclat,
Ils tentent la grandeur de ce nouvel estat.
Jamais rien ne parut plus digne de Dieu-mesme,
Rien ne nous peignit mieux sa majesté suprême,
Que l’humble abaissement d’un Dieu crucifié,
Que son amour pour nous avoit sacrifié.
De quelque espoir flateur dont un cœur s’entretienne,
Rien n’est plus digne aussi d’une Fille Chrestienne,
Que le Ciel fit sortir du sein de la faveur,
Que l’humble & pauvre estat qu’a choisi le Sauveur.

La Victoire à Mademoiselle de Scudery §

Mercure galant, octobre 1694 [tome 10], p. 91-96.

Je vous ay déja fait part de quelques Vers qui vous ont appris que les Muses ont mis Mr de Betoulaud en commerce avec Mademoiselle de Scudery. En voicy de nouveaux qu’il a envoyez depuis peu sous le nom de la Victoire, à cette illustre personne, qui a si bien merité le nom qu’on luy donne de Sapho. Ils accompagnoient une Onyx Orientale mise en Cachet, pour la donner à Sa Majesté. Cette Pierre est tres antique & tres-curieuse. On y voit la Victoire gravée avec de grandes ailes, comme les Anciens la representoient, tenant d’une main une couronne de Lauriers, & de l’autre une Palme. La Pierre, & les Vers que vous allez lire, ont esté donnez au Roy.

LA VICTOIRE
A Mademoiselle de Scudery.

Vous puis-je ouvrir, Sapho, tout le fond mon ame ?
 Il est vray, LOUIS seul m’enflâme,
 Je ne guide plus que son Char.
En quelque lieu qu’il marche, en quelque lieu qu’il tonne,
Je luy porte aussi-tost la Palme & la Couronne,
 Que j’offrois jadis à Cesar.
***
De ses bords renommez Déesse tutelaire,
 Pour le servir, & pour luy plaire,
 Sans regret je quitte les Cieux,
Est-il quelque rocher où pour luy je ne grimpe ?
Tous ses Camps ont pour moy les attraits de l’Olympe,
 J’y croy voir le Maistre des Dieux.
***
Cependant quand son cœur si grand, si magnanime,
 Jusqu’au bout du monde m’anime,
 Et m’embrase toute pour luy,
Se peut-il qu’à son tour, parmy le bruit des armes,
Ce Heros trop modeste aux douceurs de mes charmes
 Soit si peu sensible aujourd’huy ?
***
Quoy ! depuis son berceau qu’il voit mes soins fidelles,
 Et que pour luy seul j’ay des ailes,
 Pour voler d’abord sur ses pas,
Le verray-je toujours si prompt à se défendre
De cet encens si pur qu’Alcide & qu’Alexandre
 Autrefois ne refusoient pas ?
***
Je viens m’en plaindre à vous dans mon respect extrême,
 N’osant pas m’en plaindre à luy-mesme,
 Ne pourriez vous point le changer ?
Est-ce que vostre esprit, que vostre noble adresse,
Sapho, d’une excessive & trop haute sagesse,
 Ne sçauroient pas le corriger ?
***
Que les ordres d’un Roy si fameux sur la terre,
 Si semblable au Dieu de la guerre,
 Soient par moy du moins tous remplis,
Et que du moins sa main si brillante de gloire
Se serve aussi souvent du Sceau de la Victoire,
 Que de celuy des Fleurs de Lis.

[Réponse de Mademoiselle de Scudery] §

Mercure galant, octobre 1694 [tome 10], p. 96-97.

Voicy la réponse que Mademoiselle de Scudery a faite à la Victoire.

Vous vous plaignez en vain, heroïque Victoire,
Que l’encens pour Louis a de foibles appas.
Par ce charmant discours vous ne me trompez pas ;
Au lieu de l’accuser vous publiez sa gloire.
 Un Conquerant sans vanité
Voit au dessous de luy toute l’Antiquité,
De qui les faux Heros, n’aimant que la fumée,
 Ne cherchoient que la Renommée ;
 Mais un Heros comme le mien,
Plus grand que tous vos Dieux dont vous parlez si bien,
Sans faste & sans orgueil, est un Heros Chrestien.

[Autres Vers à Mademoiselle de Scudery, avec la réponse] §

Mercure galant, octobre 1694 [tome 10], p. 97-103.

Ces autres Vers ont esté adressez par Mr de Betoulaud à Mademoiselle de Scudery.

La prompte Renommée & l’aimable Victoire,
Fille de la valeur & Mere de la gloire,
Disputoient tour à tour qui d’elles servoit mieux
Le Heros que le Ciel fait regner en ces lieux.
La Victoire disoit, Doutez-vous de mon zele ?
Vous voyez mon ardeur dés que LOUIS m’appelle.
Bien que l’Envie affreuse en gemisse aujourd’huy,
Garday-je mes Lauriers pour d’autres que pour luy ?
Quel Hector aujourd’huy résiste à cet Achille ?
Et le Rhin & la Meuse en miracles fertiles,
Et le Ter, & le Po fugitif, plein d’effroy,
Diront comme je vole au gré de ce grand Roy.
Me lassai-je un instant malgré le nombre immense
De ses fiers Ennemis jaloux de sa puissance ?
Ne l’ai-je pas suivi jusque sous ces Rampars,
D’où la Mort en fureur voloit de toutes parts ?
Louis efface en moy par son ame intrepide
L’aimable souvenir & de Mars & d’Alcide.
Avoient-ils sur la terre, avoient-ils sur les mers
A lutter comme luy contre tout l’Univers ?
Jupiter que j’aidois à lancer le tonnerre
Ne foudroya pas mieux les Geants de la terre.
La Renommée alors en élevant sa voix,
S’écria, Pouvez-vous me disputer mes droits ?
Que seriez-vous sans moy, redoutable Victoire ?
C’est moy qui de Louis ay publié la gloire.
Pour quel autre Heros ai-je volé si loin ?
Comme l’ardent Midy, le Nort en est témoin.
Mais ma voix, qu’on entend du Couchant à l’Aurore,
Pour ses faits inouïs seroit trop foible encore,
Si, pour les porter même aux oreilles des Dieux,
Je ne la redoublois jusqu’au plus haut des Cieux.
Vous prenez, il est vrai, vos plus rapides ailes,
Pour moissonner pour luy mille Palmes nouvelles ;
Icy vous prévenez, là vous suivez ses pas,
Et reservant pour luy vos plus charmans appas,
Vous voulez, en dépit de l’infernale envie,
Conduire encor son Char tout le temps de sa vie.
Mais mes soins par ses jours ne seront point bornez,
Et c’est moy qui sans vous aux humains étonnez,
En cent climats divers de la terre & de l’onde
Conterai ses exploits jusqu’à la fin du monde,
Et jusqu’au dernier jour où le Temps arresté
Sur les ailes des ans ne sera plus porté.
***
Vous qui prés de la Seine entendez ces Déesses,
Des Heros & des Dieux immortels Maistresses,
Et qui pouvez juger comme un autre Paris,
A qui donnerez-vous la Couronne & le Prix ?

Mademoiselle de Scudery a répondu à ces Vers par ceux qui suivent.

Selon mon premier sentiment,
Le prix seroit pour la Victoire.
La Renommée assurément
Ne doit pas usurper sa gloire.
Tres-souvent, sans discerner rien,
 Elle dit le mal & le bien.
Par elle nous sçavons que ce Grand Alexandre,
Au sortir d’un festin, mit un Palais en cendre,
Et tua de de sa main le malheureux Clitus.
Elle blâme à son tour les Cesars, les Cyrus ;
 Enfin elle parle sans cesse,
 Et plus en Femme qu’en Déesse.
Mais comme par bonheur vous la faites parler,
Je conviens qu’aujourd’huy rien ne peut l’égaler ;
Qu’elle dit que Louis, que j’admire & que j’aime,
Ce qu’en pense mon cœur, ce que j’en dis moy-mesme,
Et qu’entre les Heros c’est le Heros suprême.

[Vers de Mr Bosquillon sur un Chef-d’œuvre en Pharmacie] §

Mercure galant, octobre 1694 [tome 10], p. 129-133.

Le Lundy 4. de ce mois, le Sr Estienne-François Geoffroy s’acquitta d’un Chef-d’œuvre qu’il avoit proposé pour la Pharmacie. Mr Rolin ; Professeur d’éloquence, ayant fait de tres-beaux Vers Latins, à son ordinaire, sur l’Estampe placée à la teste ce Chef-d’œuvre, Mr Bosquillon, illustre Academicien de Soissons, les a rendus par ceux-cy en nostre Langue.

Aux beaux jours qui du monde éclairerent l’enfance,
Où tout ne respiroit que l’aimable innocence,
Logeant un esprit sain dans un corps vigoureux,
Sans chagrins & sans maux que l’homme estoit heureux !
Mais dés qu’Epimethée ouvrit l’Urne funeste,
Qui cachoit les tresors de la fureur celeste,
Et que Pandore offroit à ses yeux enchantez ;
On vit les maux affreux fondre de tous costez.
La Peste meurtriere, & la Faim devorante,
Les glaçons de la Fiévre, & son ardeur brûlante,
Creuserent aux Humains cent tombeaux différents,
Et hastérent la Mort qui venoit à pas lents.
L’Urne trompeuse exhale une vapeur impure
Qui dépoüille les champs de fleurs & de verdure ;
La Nature succombe à cet air assassin,
Et pour se relever cherche un appui divin.
Mais les pasles langueurs loin d’elle sont bannies,
Aussitost qu’Apollon luy montre les Genies
Qu’il a formez lui-mesme au grand art de guerir.
Par les prez, par les bois l’un s’occupe à courir,
Et ne dédaignant pas les herbes les plus viles,
En tire un suc de vie & des secours utiles.
Celuy-la plus hardi va jusqu’au sein des mers,
Jusqu’au cœur de la terre & proche des Enfers
Chercher les perles, l’or, & ces autres richesses,
Des regards d’Apollon précieuses largesses.
Celui-cy fait changer de nature aux serpens,
On les voit dans ses mains devenir bienfaisans,
Leur venin le plus noir se transforme en remede.
Ainsi par ce grand Art, à qui tout autre cede,
En butte à tant de coups l’homme est en seureté,
Et parmi tous les maux joüit de la santé.

[Bouts-rimez] §

Mercure galant, octobre 1694 [tome 10], p. 133-143.

Je vous envoye encore quelques Sonnets sur les rimes proposées dans ma Lettre d’Aoust. Ils sont tous sur differentes matieres. Le premier est de Mr de Baize, Receveur à Saint Florent ; les deux suivans, de Mr Robinet ; le quatriéme, de Mr de Vertron, & le dernier, de Mr Gillet le Fils, Avocat au Parlement de Dijon.

I.
A la gloire du Roy.

Le sang des Ennemis plus rouge qu'Ecarlate,
Sortant à gros boüillons comme celuy d’un Bœuf,
Devroit contre l’envie estre leur Mithridate,
Et les morts aux vivans devroient faire un cœur neuf.
***
Nassau craint le Dauphin plus que le Rat la Chate,
La coque est pour Nassau, pour nostre Dauphin l’œuf,
De ce jeune Heros qui n’a rien d’un Sarmate,
Les faits l’affligent plus que s’il devenoit Veuf.
***
Au chant du Coq vainqueur l’on voit s’envoler l'Aigle,
Le Batave & l’Anglois ayant leur sens pour regle,
Suivent aveuglement le chemin des Enfers.
***
Au lieu de regarder l’Eglise pour leur centre,
Au lieu de se sauver & des feux & des fers,
Esclaves du Demon, ils vont chercher son antre.

II.
AUX ALLIEZ
du Prince d’Orange.

De dépit je me sens plus rouge qu'Ecarlate,
Grands Princes, de vous voir au joug comme le Boeuf,
Sous un Avanturier Vendeur de Mithridate,
Qui ne devroit avoir de chalans qu’au Pont- neuf.
***
Les exploits amoureux d’un Chat & d’une Chate,
Les œuvres d’une Poule en produisant un oeuf,
Valent tous les beaux faits de Nassau, vray Sarmate,
Et qui le croit un Mars, de la raison est Veuf.
***
Il ne sçauroit passer pour Lion, ny pour Aigle,
C’est au plus un Renard, la finesse est sa regle,
Il a bien moins de foy qu’on n’en garde aux Enfers.
***
O cercle d’Alliez, dont il s’est fait le centre,
Quittez-là ce Tyran qui veut tout mettre aux fers,
Et qu’il s’aille cacher, de honte, au fond d’un antre.

III.
Les propos rompus.

Ainsi que sous la Bure, aussi sous l'Ecarlate,
(L’étoffe n’y fait rien) on peut estre un gros Boeuf.
Qu’il est de Charlatans vendeurs de Mithridate !
Bien des Maris n’ont pas des Femmes le cœur neuf.
***
Un Fou jadis a fait la sienne d’une Chate.
Quel caquet d’une Poule, helas, pour un pauvre oeuf !
Guillaume à son Beau-pere est pire qu’un Sarmate,
Plusieurs Epoux voudroient avoir le nom de Veuf.
***
Le Croissant en Hongrie a souvent plumé l'Aigle,
Maint Moine hait le Froc, & suit tres mal sa regle,
Que de Menages sont l’Image des Enfers !
***
Le beau Sexe à Paris est comme dans son centre,
Tout Usurier merite en Galere des fers.
Heureux qui dans l’orage à propos trouve un antre.

IV.
SUR LA VIE
Chrestienne.

On n’est plus ébloüi par l’or ny l'écarlate,
Et l’on n’adore plus ny le veau ny le Bœuf ;
Contre tous ces poisons l’homme à son Mithridate,
Et Dieu du vieil Adam en a fait un tout neuf.
***
La Femme maintenant plus douce qu’une chate,
Garde mieux son Mary qu’une Poule son œuf,
Et l’Epoux qui jadis avoit le cœur Sarmate,
Est saisi de douleur d’abord qu’il devient veuf.
***
L’Homme, enfin, ne veut plus s’élever comme l'Aigle,
Et la Religion luy sert par tout de regle,
Dés son bas âge il prend horreur pour les enfers :
***
Son ame au Paradis tend comme à son vray centre ;
Il sçait que les Pécheurs sont condamnez aux fers,
Et sont précipitez pour jamais dans un antre.

V.
L’AMANT CONSTANT.

On me verra plutost revestu d'écarlate,
Cultiver nuit & jour la terre avec le bœuf,
J’iray plutost à Pont, où regnoit Mithridate,
Que de changer d’amour & reprendre un cœur neuf.
***
Philis, je t’aime plus qu’une vieille sa chate,
Qu’un pere ses enfans, qu’une poule son œuf,
Mais je crains qu’un rival plus cruel qu’un Sarmate,
T’enlevant à mes yeux ne me rende un jour veuf.
***
En penetration ton esprit est un Aigle,
De tout ce que tu fais la prudence est la regle,
Ta vertu brilleroit mesme dans les Enfers.
***
Ne t’étonne donc pas si l’amour est mon centre,
Je baiserois la main qui m’a chargé de fers.
Que ne puis-je avec toy vivre seul dans un antre !

[Avantages de la Langue Françoise] §

Mercure galant, octobre 1694 [tome 10], p. 144-158.

Le petit Ouvrage qui suit vous plaira sans doute, puis qu’il nous fait voir quels sont les avantages de nostre Langue, & que vous en connoissez toutes les beautez, vous estant toujours attachée à bien parler, & à bien écrire.

A MONSIEUR.…

Ce sont, Monsieur, des titres de noblesse dans la Republique des Lettres, d’estre Citoyen d’Athenes, & d’avoir le droit de Bourgeoisie à Rome ; mais si c’est une prérogative de sçavoir bien le Grec & le Latin, il y a aussi de l’honneur de sçavoir la Langue Françoise. Cela paroistra dans sa dignité, que je vais representer avec quelques-uns de ses traits. Son extraction est illustre. Elle est dérivée de plusieurs mots Grecs & Latins, & mesme Hebreux, & par les changemens qu’elle y a faits pour son usage, ce ne sont plus des emprunts & des dettes dont elle soit chargée, ce sont des acquests & des fonds incorporez dans son domaine. Pour les autres termes qui luy sont communs avec les Langues étrangeres, elle y ajoûte outre les accens d’une prononciation particuliere, un air d’agrément, & d’élegance, qui fait qu’elle les possede avec distinction, & dans une nature toute nouvelle.

L’étenduë de la Langue Françoise est digne de la noblesse de son origine. Elle passe les limites du Royaume. Elle ne se borne ny par les Pyrenées & les Alpes, ny par le fleuve du Rhin. On entend le François dans toute l’Europe. La Langue Françoise a son Academie, le Tribunal de ses Juges en France ; mais elle a dans les autres Etats des Ecoles & des Maistres qui l’enseignent ; elle est connuë dans toutes les Cours, les Princes & les Grands la parlent, les Ambassadeurs l’écrivent, & le beau monde en fait une mode, & un air de politesse. Elle merite d’estre ainsi universelle. Elle a de la beauté, de l’élegance, de la force, de la clarté, & beaucoup de delicatesse. Dans la composition de ses syllabes, elle n’est point hérissée de trois ou quatre consones, comme le sont les Langues du Nort, qu’on ne sçauroit prononcer qu’avec des efforts de gosier, & des tons rudes & mugissans ; elle n’en a que ce qu’il faut pour des liaisons fines & des jointures naturelles. Elle est tissué de plusieurs voyelles, comme une nuance de couleurs douces, & la varieté de leur harmonie plaist toujours à l’oreille. Elle ne serpente point, elle ne se dérange point, en mettant la queuë à la teste, & la teste à la queuë par une transposition si frequente dans le Grec & dans le Latin, & qui leur cause de l’obscurité & de l’ambiguïté ; ce qui servoit aussi aux équivoques des Oracles de la Grece, pour assurer leur réputation, & pour tendre des pieges, & faire des illusions à celuy qui les consultoit. Témoin cette réponse à double entente de l’Oracle de Delphes, qui engagea Pyrrhus à donner une Bataille dans laquelle il fut vaincu par les Romains. L’amphibologie est sensible dans le Latin.

Aiote, Æacide, Romanos
vincere posse.

Ses phrases simples & unies ne font point de pareilles surprises, il y a toujours de la lumiere & des rayons, comme si elles estoient Filles du Soleil.

La Langue Françoise est riche & abondante ; les Sciences & les Arts ont fort augmenté. On a fait des découvertes considerables dans la Physique. Nostre Chymie qui prépare extraordinairement les metaux, & qui en compose des remedes admirables, estoit inconnuë aux Anciens. Il y a de grandes additions à l’Optique, à la Fortification, & à la Navigation. Toute l’Artillerie à feu, si prodigieuse & si surprenante, est seulement du quatorziéme siecle. On ne voit point de ces machines ardentes dans les guerres d’Alexandre & dans celles de Cesar. La Langue Françoise a tous les termes propres à désigner & à faire comprendre tant de rares & differentes nouveautez, pour en pouvoir faire l’étude & l’usage.

Elle s’accommode de toute sorte de sujets, & elle réussit admirablement pour le genre deliberatif. N’est elle pas forte & énergique dans nos Manifestes, dans nos Memoires d’Etat, & dans nos Traitez d’alliance ? Pour le genre judiciaire elle est subtile & solide. Elle a de la douceur, de l’action & du transport, dans les Plaidoyers du Maistre, & dans ceux de Patru. Celuy qui est pour un Gradué ne le cede point à l’Oraison de Ciceron pour le Poëte Archias. Et pour le genre démonstratif, elle est éloquente & sublime, dans le Panegirique de Pelisson, dans les Oraisons Funebres de Bossu, & dans celles de Flechier. Les belles Traductions d’Ablancourt, de Vaugelas, & de plusieurs autres, témoignent que la Langue Françoise a un genie éminent qui atteint & qui penetre dans toutes les Langues. Elles ne font rien perdre à l’Original, & quelquefois elles l’élevent, semblables à ces grands Peintres, qui trouvent parfaitement la ressemblance, & qui la peignent en beau. Lucien y parle mieux François que Grec, & Tacite y est plus clair & plus intelligible qu’en Latin. Ciceron trouveroit nostre François aussi beau dans ses Offices, que nous y trouvons belle sa Latinité. Quinte Curce est un Chef d’œuvre en François, il n’est pas moins charmant qu’en Latin, quoy qu’on ait dit qu’Alphonse, Roy d’Arragon, guerit d’une grande maladie en le lisant. Ces illustres Interpretes qui ont le talent de soûtenir le relief des Anciens, font paroistre la Langue Françoise dans un lustre qui est également beau par tout.

Si elle est merveilleuse dans la Prose, elle ne l’est pas moins dans les Vers. La Tragedie Françoise est aussi sublime & aussi passionnée dans Corneille & dans Racine, que la Tragedie Grecque le peut estre dans Sophocle & dans Euripide. Le caractere Comique sur le ridicule des gens, est parfait dans Moliere. Les Satyres de Despreaux qui découvrent finement les foiblesses de l’homme, & qui s’en expriment avec des termes précis & tournez noblement, ne sont pas inferieures aux Satyres d’Horace. Les Fables de la Fontaine dont les images sont si naturelles & si ingenieusement touchées disputent le prix à toutes les Fables. Il y a dans tous ces Ouvrages, des tours d’expression & des manieres fines, qui ne le cedent point à l’atticisme des Grecs, & à l’urbanité des Romains. Pour le stile galant, soit en Prose, soit en Vers, il ne peut estre plus galant, ny plaire davantage qu’il est galant, & qu’il plaist dans Voiture, tant il y a de sel & de graces.

La Langue Françoise n’a pas toujours eu ces avantages ; mais au contraire des Femmes, qui n’ont de beauté que dans la jeunesse, & qui la perdent avec les années, elle avoit des rides estant jeune, & à mesure qu’elle s’est avancée en âge, elle est embellie, & ses attraits ont augmenté. Elle est à present dans son embonpoint & dans son éclat ; les Remarques de Vaugelas, & de Bouhours, & le Recueil des mots usitez, des phrases châtiées, des regles severes des figures chastes, & de l’usage approuvé, Ouvrage digne de l’Academie, ont achevé la correction de la Langue Françoise. L’Epoque en est illustre. L’Epoque de l’élegance & du stile fleury de la Langue Hebraïque, se marque au siecle de Salomon ; ce Prince si heureux & si éclairé, à lui le Ciel, dans une profonde paix, ouvrit les tresors de la sagesse. L’Epoque de la force & de la gravité de la Langue Grecque est du temps des conquestes d’Alexandre, qui avoit auprés de luy Aristote, l’heritier des lumieres & de la sagesse de Platon & de Socrate, trois grands Philosophes de la Grece, plus à estimer que toutes ses Divinitez. L’Epoque de la majesté & de la perfection de la Langue Latine, est sous l’Empire d’Auguste, admirateur de l’élegance de Ciceron, & jaloux des Muses de Virgile & d’Homere, Auteurs incomparables. L’Epoque de la pureté & de la beauté de la Langue Françoise n’est pas moins celebre. Elle se rencontre sous le regne de Louis le Grand, que son puissant genie, & le cours triomphant de ses armes remplissent d’évenemens merveilleux. Ce grand Roy parle luy-mesme si bien & si juste, que son exemple suffiroit seul pour justifier que la Langue Françoise est aujourd’huy parvenuë au point de sa maturité, & au periode de sa gloire. C’est, Monsieur, tout ce que j’avois fait dessein de répondre à vostre Lettre. Je suis, &c.

[Arlequiniana] §

Mercure galant, octobre 1694 [tome 10], p. 167-169.

Le Sieur Brunet debite depuis peu la seconde édition du livre intitulé Arlequiniana, ou les bons Mots, les Histoires plaisantes, & les agreables recueils des conversations d’Arlequin. Quelque bon que soit un livre, il est difficile d’assurer s’il est trouvé tel par le Public, mais aprés un grand debit & plusieurs éditions, personne ne peut disconvenir, à moins d’estre d’un sentiment particulier, & de vouloir passer pour Misantrope, qu’il n’ait eu l’avantage de luy plaire. Les mesmes raisons prouvent la bonté des Lettres sur toutes sortes de sujets, avec des avis sur la maniere de les écrire. La derniere Edition, qui est augmentée d’un grand nombre de Preceptes, & de Lettres, se vend chez le Sr Guignard à l’entrée de la grande Salle du Palais, à l’Image Saint Jean, & chez le Sr Brunet.

Les petites Histoires ayant pris depuis peu la place des Romans, qui lassoient l’impatience Françoise, malgré les grandes beautez dont ils estoient remplis, il en paroist une depuis peu chez le Sr de Luynes, intitulée Ildegerte, Reyne de Norvvege. Ce livre pouvant estre lû en quelques heures, je ne vous en fais aucun détail, afin que vous puissiez, en le lisant, joüir du plaisir de la surprise.

[Madrigaux] §

Mercure galant, octobre 1694 [tome 10], p. 169-173.

Je vous envoye un Madrigal de Mademoiselle l’Heritier, qui s’estant trouvée depuis peu dans le Diocese de Mr l’Evesque de Bayeux, a esté si édifiée des grandes vertus de ce Prelat, & du zele qu’il fait paroistre pour la Religion & pour l’Estat, en toutes sortes d’occasions, qu’elle a cru devoir employer sa Muse à les celebrer. Sa charité pour les malheureux n’a point eu de bornes, & malgré la disette de l’année, il n’y a presque personne qui ait souffers dans toute l’étenduë de son Diocese.

A Mr L’EVESQUE
de Bayeux.

De l’illustre Nesmond le fortuné Troupeau
De la fureur des Loups n’est jamais le partage,
 Guidé par un Pasteur si sage,
 Que son sort est doux, qu’il est beau !
Ce Pasteur des Vertus est un brillant flambeau ;
Modeste, liberal, assidu dans les Temples,
Il donne à ses Brebis les plus touchans exemples
 De candeur & de pieté,
Et par mille actions d’éternelle memoire,
Où regne la sagesse ainsi que la bonté,
 On le voit acquerir la gloire
 D’une double immortalité.

La mesme Mademoiselle l’Heritier fit cet autre Madrigal dans le temps que les armes du Roy soumirent Gironne.

SUR LA PRISE
de Palamos & de Gironne.

Humble aux pieds des Autels, & fier dans les Batailles,
 On voit l’intrepide Noailles
 Imiter son auguste Roy.
A l’orgueilleuse Espagne il va donner la loy.
Mille Etendarts conquis, Palamos & Gironne,
De lauriers immortels luy font une Couronne,
Son bras portant par tout la terreur & l’effroy,
Va soumettre à Louis les murs de Barcelone ;
Et les braves Guerriers, qui sur le sein des eaux,
 Guidez par Neptune & Bellone,
Firent cent & cent fois triompher nos Vaisseaux,
Vont briller à leur tour d’une nouvelle gloire.
Que de Palmes encor pour nostre grand Heros !
Il combat pour le Ciel : mais aussi la Victoire
Le couronne toujours sur la terre & les flots.

[Histoire] §

Mercure galant, octobre 1694 [tome 10], p. 174-206.

Il s’est fait depuis peu de temps un Mariage entre deux personnes qui ne songeoient à rien moins qu’à s’épouser, & il s’est fait par des raisons si contraires à ce que portoient les apparences, que leur nouveauté m’engage à vous faire part de cette avanture. Une jeune Demoiselle toute aimable, ayant le teint vif & fort brillant, & tous les traits assez reguliers pour se distinguer parmy les belles Personnes, prit sans devenir coquette, des airs du monde si insinuans, qu’il estoit difficile de la voir sans prendre pour elle ce je ne sçay quoy qui approche de l’amour. Elle avoit une Mere habile & sage, dont les conseils regloient sa conduite, & son entiere soumission à ses volontez estant une marque de l’application qu’elle auroit toujours à bien remplir ses devoirs, luy gagnoit l’estime de tous ceux qui luy rendoient quelques soins. Son esprit estoit vif & penetrant, & sa conversation des plus agreables. Avec de semblables qualitez vous pouvez juger qu’elle eut un fort grand nombre d’Amans. Entre ceux qui s’attacherent à elle, un Cavalier extremement riche parut des plus empressez. Il n’estoit pas si bien fait que quelques autres, & son air n’imposoit pas, mais il reparoit par son grand bien ce qui luy manquoit du costé de la nature. Il estoit d’ailleurs d’une humeur douce & fort complaisante, & la Belle avoit tout sujet de se flater qu’elle vivroit heureuse avec luy. Comme son cœur n’avoit jamais eu d’attachement, il estoit capable de recevoir toutes les impressions que ses interests pourroient l’obliger à prendre. Ainsi par le conseil de sa Mere, à qui il estoit fort naturel de souhaiter de voir sa Fille opulente, elle eut pour luy des égards particuliers, qui le rendirent bien-tost le plus amoureux de tous les hommes. Elle fut plus moderée dans ses sentimens, & avant que de répondre à sa passion, elle voulut éprouver si elle n’estoit point l’effet de ces desirs violens qui commencent à languir si-tost qu’ils sont satisfaits. Cette passion qui de jour en jour prenoit de nouvelles forces l’ayant contraint de se declarer, & cette aimable personne, aussi raisonnable que charmante, ne voulant devoir son cœur qu’à la forte estime qu’il auroit pour elle, & qui seule pouvoit rendre son amour durable, elle luy representa qu’il ne voyoit pas qu’il nuisoit à sa fortune en prenant de l’attachement pour elle ; que comme la sienne estoit mediocre, il luy seroit aisé de trouver ailleurs des avantages beaucoup plus considerables, & qu’il devoit prendre garde, que si aprés l’avoir épousée il arrivoit qu’il s’en repentist, dans le temps qu’elle se seroit abandonnée à tout ce que son devoir & son inclination auroient pû exiger d’elle, il la mettroit dans un estat déplorable, d’où la sincerité qu’elle luy marquoit meritoit bien qu’il la garantist. Des sentimens si honnestes & si genereux ne firent qu’augmenter la violence de ce qu’il sentoit pour elle. Il y avoit déja quatre mois qu’ils se voyoient, lorsqu’un procés des plus importans rendit la presence du Cavalier necessaire dans une Province fort éloignée. Cela l’obligea de presser la Belle de l’épouser, afin qu’elle pust l’accompagner dans ce long voyage, & qu’il ne fust point privé pendant un longtemps de la douceur de la voir, qu’il disoit estre pour luy le plus grand de tous les biens. Comme elle ne se sentoit encore touchée que tres-foiblement, & qu’elle ne vouloit se marier que pour estre heureuse, elle luy dit qu’afin qu’il sçeust mieux à quoy il estoit resolu de s’engager, il devoit laisser les choses en l’estat où elles estoient, jusqu’à son retour de la Province ; que l’amour grossissant toûjours les objets par la presence, le merite qu’il trouvoit en elle en la voyant tous les jours, diminueroit peut estre beaucoup quand il seroit longtemps sans la voir, & qu’il estoit de ses interests de s’assurer par l’éloignement si la passion qu’un peu de beauté avoit eu la force de luy inspirer, n’avoit point fait de surprise à sa raison. Le Cavalier eut peine à s’accommoder du retardement, mais elle demeura ferme à exiger de luy cette rude épreuve, & il fut obligé de se contenter de l’assurance qu’elle luy donna que quelque party qui se pust offrir pendant son absence, on n’en coûteroit aucune proposition à son préjudice. La Mere fit ce qu’elle put pour faire conclurre le mariage avant son départ, & remontra à sa Fille, qu’il y avoit beaucoup d’imprudence à risquer une fortune qui luy pouvoit échaper, si quelque personne aimable que le Cavalier rencontreroit, pouvoit réüssir à luy donner de l’amour. La Belle luy répondit que s’il estoit capable d’un tel changement, il valoit mieux avoir ce chagrin à essuyer, que de s’exposer à luy voir prendre du dégoust pour elle quand elle seroit sa femme ; que luy voulant donner son cœur tout entier, elle ne pouvoit trop éprouver si le sien estoit veritablement à elle, & que de l’humeur dont elle estoit, quand il n’y auroit que du bien à perdre, il luy seroit aisé de s’en consoler. Le Cavalier la quitta, & alla mettre ordre à ses affaires. Il eut soin de luy écrire souvent, & il parut par ses lettres que l’absence ne faisoit que l’enflammer encore davantage. Cette exactitude à luy rendre compte de ce qu’il faisoit, & à luy donner les plus fortes assurances d’une vive passion, l’obligerent de s’abandonner insensiblement aux sentimens de reconnoissance & de tendresse, qu’elle devoit à un homme qui n’oublioit rien de ce qui pouvoit le faire aimer. Il revint plus amoureux qu’il n’estoit parti, & la Belle qu’une absence de six mois avoit convaincuë d’un parfait attachement, n’eut aucune peine à luy témoigner que la possession de son cœur estoit la chose du monde qui luy faisoit le plus de plaisir. L’union se trouvant déja si forte, les desirs du Cavalier n’eurent plus d’obstacle. Le mariage se fit avec des avantages si grands pour la Belle, que quand elle n’auroit pas éprouvé sa passion depuis si longtemps, elle n’en eust pu douter, aprés le soin qu’il prenoit de luy assurer un bien tres-considerable s’il arrivoit qu’il mourust. Cette derniere marque d’un amour sincere la toucha sensiblement. Elle l’aima avec une passion aussi violente que la sienne l’avoit esté jusques-là, & n’eut en vuë que ce qui pouvoit luy plaire. Ses complaisances allérent jusques à l’excez, & il ne formoit aucuns desirs qui ne fussent prévenus quand elle pouvoit les deviner. Amans dans le mariage, ils n’y trouvoient aucune amertume, & pendant deux ans la Belle fortement touchée des bontez de son Mary, eut sujet de se tenir la plus heureuse personne du monde ; mais enfin le Cavalier laissa peu à peu diminuer sa tendresse. L’habitude d’estre aimé luy rendit cette douceur moins sensible, & un amour qui luy estoit deu, cessa d’avoir des charmes pour luy. La Belle ne se fut pas plûtost apperceuë de son refroidissement, que sans luy en faire aucune plainte, elle redoubla ses soins pour regagner dans son cœur ce qu’elle craignoit d’y avoir perdu. Il garda toujours de grandes honnestetez, mais tous les soins qu’elle prit, & toutes ses complaisances ne pûrent luy redonner sa premiere ardeur. Il s’ennuyoit auprés d’elle, luy faisoit secret de mille choses, & ne se trouvoit jamais dans une situation plus agreable que quand il estoit ailleurs. Le déplaisir qu’elle en eut la fit recourir aux larmes & aux soupirs, qu’elle employa inutilement. Il en parut peu touché, & les reproches qu’elle osa luy faire, quoy que doux & raisonnables, n’eurent aucun autre effet, que de faire naistre entre eux certains differens, qui estoient souvent suivis d’un peu d’aigreur du costé du Cavalier. Il luy disoit quelquefois qu’elle avoit tort de se plaindre, puis qu’il estoit vray qu’il l’aimoit toujours, & qu’elle en devoit estre convaincuë par la liberté qu’il luy donnoit de se choisir toutes sortes de plaisirs, ne luy défendant ny le Jeu, ny l’Opera, ny la promenade. Ces permissions ne pouvoient suffire pour la rendre heureuse. Elle s’estoit accoutumée à l’aimer avec toute la tendresse que l’on peut avoir pour une personne dont on fait le seul plaisir de sa vie. Elle eust voulu estre aimée de mesme, & les attachemens qu’il prenoit chez quelques Dames, où il se montroit toujours de belle humeur, ne luy apprenoient que trop qu’il avoit le cœur usé pour elle. Alors elle comprit avec une douleur incroyable, qu’il est impossible qu’une violente passion soit de durée ; & que quand il s’agit de mariage, beaucoup d’estime est à préferer à beaucoup d’amour. Ce changement où elle s’estoit d’autant moins attenduë, qu’elle avoit fait toutes les épreuves necessaires pour estre certaine qu’elle possedoit le cœur du Cavalier, la mit dans une langueur qui la reduisit à l’extrémité. Sa beauté diminua ; son teint perdit la vivacité charmante qui frapoit tous ceux qui la voyoient & aprés avoir passé une année entiere dans un abattement qu’on ne sçauroit concevoir, les chagrins qui la rongeoient, & qu’elle tenoit renfermez en elle-mesme pour ne se pas donner en spectacle par l’éclat, luy auroient causé la mort, si celle de son Mary ne fust pas arrivée inopinément. Il est aisé de s’imaginer que cette perte luy fut beaucoup moins sensible qu’elle ne l’auroit esté s’il luy eust toujours donné les mesmes marques d’amour. Elle se servit de sa raison, & aprés s’estre soumise autant qu’elle y estoit obligée, aux loix de la bien-seance, elle reprit du goust pour la vie, & fut sensible au plaisir de voir ses Amis. Elle avoit beaucoup de bien, & elle en sçavoit user d’une maniere agreable. Ainsi, comme elle vivoit contente, & dans une indépendance qui fait le bonheur des personnes sages, sa beauté revint en peu de temps, & elle parut d’autant plus aimable, que les agrémens de sa personne estoient soutenus de beaucoup d’esprit. On la rechercha de tous costez, tant hommes que femmes, & le temps du deüil ne fut pas plûtost passé, que voulant bien recevoir du monde, elle se vit une grosse Cour. La sagesse de sa conduite luy attira de grandes loüanges. Elle recevoit tous ceux qui venoient chez elle avec des manieres honnestes & insinuantes, mais sans aucune de ces distinctions particulieres, qui en faisant des jaloux, nuisent à la réputation des Femmes, & donnent lieu de penser qu’elles se sont laissé entamer le cœur. Elle connoissoit parfaitement le merite de chacun, mais personne n’avoit sujet de se plaindre sur la préference, & on ne pouvoit s’appercevoir que son panchant l’entraînast d’aucun côté. Enfin un Gentilhomme tres spirituel & tres bien fait, & qui s’estoit attaché des premiers à luy rendre quelques soins, fut si charmé d’elle, qu’il resolut de s’en faire aimer. Il y réüssit par ses complaisances, & par des sentimens de droiture, qui font toujours leur effet quand ils sont connus. Elle trouvoit en lui un esprit solide, & toutes les qualitez qu’elle pouvoit souhaiter pour luy accorder sa confiance, & afin de l’empêcher de porter ses vuës plus loin qu’elle ne vouloit, elle jugea à propos de le prévenir sur la declaration qu’il eust pû luy faire, & luy avoüa qu’elle remarquoit depuis quelque temps qu’il s’appliquoit à chercher tout ce qui pouvoit luy être agreable ; sur quoi elle se croyoit obligée de l’avertir que s’il se bornoit à son amitié elle se sentoit dans des dispositions dont il auroit lieu d’estre content, mais que s’il se permettoit une esperance plus forte, elle estoit bien aise de luy dire, que quoy qu’il eust tout ce qu’il falloit pour autoriser ses prétentions, il alloit s’embarasser le cœur inutilement, puisqu’il n’estoit rien au monde qui pust la porter à un second mariage. Cela fut dit d’un ton si determiné que le Gentilhomme se trouvant heureux de voir ses soins agréez sous le nom d’Amy, ne poussa pas la chose plus loin Il l’assura qu’il n’aspireroit jamais à une autre qualité, & les assiduitez luy estant permises, il ne douta point qu’avec le temps il ne l’engageast, sans qu’elle s’en apperçust, à prendre pour luy les sentimens qu’il avoit pour elle. Pour mieux l’ébloüir il l’applaudissoit souvent sur la resolution où elle estoit de demeurer toûjours Veuve. Il luy disoit mesme quelquefois, que c’estoit avec raison qu’elle craignoit les chagrins qui sont attachez au mariage, & en luy ostant par là tout sujet de défiance, il l’accoustuma si bien à luy découvrir ce qu’elle avoit de plus caché dans le cœur, qu’il s’en rendit maistre en quelque sorte. Quand il fut bien assuré que le plaisir de le voir luy estoit assez sensible pour n’y pouvoir renoncer sans peine, il s’échapa de temps en temps à luy dire, que quoy que le mariage eust ses dégousts, leur amitié estoit si tendre & si éprouvée, qu’ils se pourroient épouser sans rien apprehender de fâcheux. La Dame luy répondoit en riant qu’il estoit la dupe de ses sentimens, & que tout honneste homme qu’il estoit, & quelque forte amitié qu’il luy eust jurée, il cesseroit de l’aimer si elle avoit la foiblesse de vouloir bien devenir sa femme. Il luy jura mille fois que son cœur seroit inébranlable, & reprit si souvent cette matiere, que la Dame se défiant d’elle mesme s’il continuoit de luy parler sur le mesme ton, commença à s’examiner serieusement. Elle sentoit que l’aimant plus qu’elle n’avoit pensé, non-seulement il luy seroit impossible de se priver de la satisfaction de le voir, mais que mesme il pourroit assez sur son esprit pour luy arracher le consentement qu’il souhaitoit. Cependant elle ne pouvoit songer au chagrin qui luy paroissoit inévitable, aprés ce qui luy estoit déja arrivé, sans se reprocher un aveuglement qu’il luy seroit honteux de se pardonner. Le peril où elle estoit luy estant connu, elle resva à tous les moyens qui l’en pouvoient garantir, & resoluë, quoy qu’il pust lui en coûter, de ne s’exposer jamais à voir l’amitié du Gentilhomme se refroidir par sa faute, elle en trouva un fort violent, mais qui la mettoit en sureté. Un jour qu’il la pressoit plus qu’à l’ordinaire de se vouloir déclarer, elle luy dit que luy connoissant de tres-belles qualitez, elle ne balanceroit pas à le préferer à tous les hommes, et elle n’estoit certaine que le mariage diminueroit sa tendresse, ce qui la mettroit au desespoir ; qu’elle vouloit qu’il l’aimast toûjours, & que pour estre hors d’estat de l’épouser, & par consequent de perdre ce qu’elle croyoit avoir gagné dans son cœur, elle alloit donner parole à un Officier fort considerable dans sa robe, qu’il sçavoit luy avoir fait faire des propositions fort avantageuses. Le Gentilhomme s’estant écrié sur l’injustice qu’elle songeoit à luy faire, elle répondit que n’ayant jamais esté aimée de cet Officier, il luy suffiroit qu’il l’estimast pour estre contente, & qu’une femme d’honneur faisoit toûjours son devoir sans peine, mais qu’aprés tant de tendres marques d’amitié qu’elle avoit reçuës du Gentilhomme, il faudroit, si elle pouvoit consentir à l’épouser, qu’il luy en donnast encore de plus forte sans que jamais il y arrivast la moindre diminution, & que c’estoit une chose entierement impossible. Il n’y eut rien que le Gentilhomme n’employast pour luy faire changer le dessein de se donner à un autre. Elle n’y trouva qu’un expedient qui dépendoit de luy seul. Il promit tout, pourveu qu’on n’exigeast pas de luy qu’il cesseroit de la voir. La réponse fut que loin de vouloir l’engager à une chose dont elle aurait autant à souffrir que luy, elle prétendoit se faire encore une obligation plus précise de le voir toûjours. L’expedient fut d’épouser sa Sœur, à qui elle vouloit assurer son bien en faveur du mariage, cette Sœur estoit jeune, bien faite, d’un esprit fort doux, & comme elle avoit peu vû le monde, il luy pouvoit donner les impressions qui luy conviendroient le mieux. Il rejetta quelque temps cette proposition, mais voyant que la Dame s’obstinoit, malgré tout ce qu’il put dire à luy vouloir faire épouser sa Sœur, s’il ne vouloit pas qu’elle se mariast elle-mesme, il aima mieux prendre le premier party, & le mariage se fit il y a trois mois.

[Lettre de Mr de la Fontaine à Madame de Boüillon] §

Mercure galant, octobre 1694 [tome 10], p. 243-248.

Je croy, Madame, que pour vous donner envie de lire la Lettre qui suit, il suffira de vous dire qu’elle a esté écrite par Mr de la Fontaine, de l’Academie Françoise, qui estoit alors à Chasteau-Thierry.

A MADAME LA DUCHESSE
DE BOUILLON.

Je ne sçay, Madame, qu’écrire à V. A. qui soit digne d’elle, & qui puisse la réjoüir. Il m’a semblé que la Poësie s’acquitteroit mieux de ce devoir que la simple Prose. Il m’a encore paru qu’il vous falloit donner un nom du Parnasse. Je croy vous avoir déja donné celuy d’Olimpe en des occasions de pareille nature. Ne pourroit-on point mettre en chant ces paroles ?

Qu’Olimpe a de beautez, de graces & de charmes !
Elle sçait enchanter les esprits & les yeux.
Mortels, aimez-la tous ; mais ce n’est qu’à des Dieux
Qu’est reservé l’honneur de luy rendre les armes.

Ce que je vais ajoûter n’est pas moins vray, & m’a esté confirmé par des Correspondans que j’ay toujours eus à Paphos, à Cythere, & à Amatonte. Je me doutay bien que cela seroit, & m’en estois déja apperceu la derniere fois que j’eus l’honneur de vous voir.

La Mere des Amours, & la Reine des Graces,
C’est Boüillon, & Venus luy cede ses emplois ;
Tout ce peuple à l’envi s’empresse sur vos traces,
Plus nombreux qu’il n’estoit, & tout fier de vos loix.

Vous fistes dire l’année passée à Mr de la Haye qu’il eust soin que je ne m’ennuyasse point à Chasteau-Thierry. Il est fort aisé à Mr de la Haye de satisfaire à cet ordre ; car outre qu’il a beaucoup d’esprit,

 Peut-on s’ennuyer en des lieux,
Honorez par les pas, éclairez par les yeux
 D’une aimable & vive Princesse,
A pied blanc & mignon, à brune & longue tresse,
Nez troussé, c’est un charme encor selon mon sens.
 C’en est mesme un des plus puissans.
Pour moy le temps d’aimer est passé, je l’avouë,
 Et je merite qu’on me loüe
 De ce libre & sincere aveu,
Dont pourtant le Public se souciera tres peu.
Que j’aime, ou n’aime pas, c’est pour luy mesme chose.
 Mais s’il arrive que mon cœur
Retourne à l’avenir dans sa premiere erreur,
Nez aquilins & longs n’en seront pas la cause.

[Conte] §

Mercure galant, octobre 1694 [tome 10], p. 295-304.

Le Conte que vous allez lire est de Mr de Vin, dont l’heureux genie vous est connu par un grand nombre d’ouvrages, que je vous ay envoyez de temps en temps.

LES ENTRAVES.

 Blaise n’estoit de son métier
 Qu’un mediocre Apoticaire,
 Mais plus glorieux qu’un Barbier,
Il voulut de Saint-Sauge, ainsi que fit son Pere,
 Taster un peu du Ministere.
 Au gré de ses souhaits, enfin,
 Devenu Monsieur l’Echevin,
Il en fut si gonflé de gloire,
 Que sans doute il en eust crevé
Sans certain malheur arrivé,
Dont voicy la fidelle histoire.
Ce maistre Blaise, un jour, fut dés le grand matin
 Porter deux prises d’Emetique
Au Curé moribond d’un Village voisin ;
Mais de retour chez luy, sans trouver Dominique,
 Pour mener son cheval au Pré,
Car dès qu’en Ariés le Soleil est entré,
Sans avoine ny foin, selon le vieux usage,
Tous chevaux Saint-Saugeois sont conduits à l’herbage.
De retour donc chez luy, sans trouver son Valet,
Luy-mesme il se résout d’y mener son Bidet,
Et là, prest à ses pieds de mettre les Entraves,
 Ah ! dit-il, tu me fais pitié,
 Pauvre Beste, & mon amitié
Ne peut voir dans ces fers tes deux jambes esclaves.
Dis-moy, quand tu les as, te font-ils bien du mal ?
Mais tu ne répons rien, & lors que ma tendresse
 Dans ton fort ainsi s’interesse,
 La paye t-on, sot animal,
 D’un si mal-honneste silence ?
 Quoy, par ma propre experience,
Faut-il donc m’en instruire ? hé bien, soit. A ce mot,
 Le tendre Echevin en vray sot
 A ses pieds se met cette chaisne,
 Et veut marcher, mais quelque peine
 Qu’il prist pour en venir à bout,
Il ne put faire un pas, & demeura debout.
Comme cette posture estoit un peu gesnante,
 Il voulut se desentraver ;
Mais par une avanture & fatale & plaisante,
Cherchant la clef par tout, il ne put la trouver,
 Et dans l’herbe déja touffuë,
 Cet imprudent l’avoit perduë.
Que faire ? sa boutique au travail l’appelloit.
 Ainsi croyant à pas de Pie
Pouvoir s’en retourner à travers la Prairie
 A joints pieds ce fou sautilloit ;
 Mais bien-tost las de cette allure,
 Il se couche sur la verdure
 Et se resout d’attendre enfin
Que quelqu’un pour l’aider, vienne par ce chemin.
Il ne passoit personne, & tandis qu’à la ronde
A regarder par tout en vain il se lassoit,
 Peu d’humeur à courir le monde,
 Le Roussin affamé paissoit
 D’une tranquillité profonde,
Et du Sot entravé fort peu s’embarassoit.
Cependant pour loger une grosse Recruë,
 Depuis son départ survenuë,
 Dans tout Saint-Sauge, mais en vain,
 On cherchoit Monsieur l’Echevin.
N’est-ce donc pas assez au milieu de la rue,
Disoit le Commandant, faire le pied de grue ?
 Où Diable s’est-il donc fourré ?
Veut-il encor longtemps ainsi me faire attendre ?
 Par la mort ! A ce mot juré
 Un passant dit, Je viens d’apprendre,
Que près de son Bidet on l’a vû dans son pré.
Allons donc le trouver, reprit ce Capitaine,
 Il est temps d’avoir nos Billets.
 Et vous, Messieurs, prenez la peine
D’y conduire mes pas, & m’en donnez l’accés.
 Quand on vit le Bidet paroistre
On crut qu’auprés de luy devoit estre son Maistre ;
Il y court, hé morbleu, luy dit-il de vingt pas,
 Avec ce beau cheval de bas
Estes-vous donc, Monsieur, venu de compagnie
 Prendre l’herbe en cette prairie ?
 Rien n’est meilleur pour vous purger ;
Mais qu’elle soit, ou non, bonne à chasser la bile,
Levez-vous, s’il vous plaist, & venez nous loger.
A cela pas un mot ; l’Echevin immobile,
 Et vers ses pieds baissant les yeux,
 Gardoit un morne & froid silence,
 Et faisoit perdre patience
 Au Capitaine bilieux.
Il en essuya mesme une fort grosse injure,
 Mais n’en pouvant souffrir l’affront,
Et tout mouillé de l’eau qui couloit sur son front,
Il fit du bout du doigt voir sa triste avanture.
 Est-ce donc la coutume icy,
S’écria plaisamment ce Chef de la Recrue,
 D’entraver les hommes ainsi,
 Et si-tost que l’herbe assez crue
 Aux champs rappelle les troupeaux,
Quoy, sur leur bonne foy laisse-t-on les chevaux ?
Vrayement, ajousta-t-il, en s’éclatant de rire,
Vostre Bidet, Monsieur, est heureux, & j’admire
 La tranquille douceur qu’il a.
Cependant, nos Billets, qui nous les donnera ?
 A ces mots, sur une civiere,
Qu’on envoya querir dans un Hameau voisin,
A Saint-Sauge on porta le stupide Echevin
 Chez une veuve Serruriere ;
 Et tandis qu’on limoit ses fers,
 Il traça d’une main tremblante
 Plus de six-vingt Billets divers
Qu’exigeoit des Soldats la Troupe impatiente.
 On crut d’abord qu’à l’enchaisner
Quelque ennemy secret avoit porté sa haine,
 Mais quand avec bien de la peine,
 Las de se voir questionner,
Il eut de sa sottise au public rendu compte,
Alors, sans nul respect du confus Magistrat,
Il s’éleva de rire un si bruyant éclat
Que fort peu s’en fallut qu’il n’en mourust de honte.