1695

Mercure galant, mars 1695 [tome 3].

2017
Source : Mercure galant, mars 1695 [tome 3].
Ont participé à cette édition électronique : Nathalie Berton-Blivet (Responsable éditorial), Anne Piéjus (Responsable éditorial), Frédéric Glorieux (Informatique éditoriale) et Vincent Jolivet (Informatique éditoriale).

Mercure galant, mars 1695 [tome 3]. §

[Nouveau Prix sur de nouveaux Bouts-rimez, proposez par Mrs de la Compagnie des Lanternistes de Toulouse] §

Mercure galant, mars 1695 [tome 3], p. 12-20.

Je vous ay fait part d’un grand nombre de Sonnets sur les Bouts-rimez de Buste, glaçons, moissons, robuste, &c. proposez l’année derniere par la celebre Compagnie des Lanternistes de Toulouse. Cette même Compagnie en propose de nouveaux pour l’année presente, & voicy ce qu’elle a fait publier sur ce sujet.

On auroit peine à s’imaginer combien les Bouts-rimez des Lanternistes ont fait fortune dans la Republique des Lettres. Le grand nombre de bons Sonnets que nous avons reçûs de presque tous les endroits du Royaume en est une preuve convaincante. C’est un divertissement loüable, un amusement honneste, où les plus beaux Esprits s’appliquent avec plaisir ; & ce qu’il y a de remarquable, c’est que ceux-là mesme qui ont voulu décrier les Bouts-rimez, ne laissent pas quelquefois d’en faire leur occupation la plus sérieuse.

On a beau dire que ce genre de Poësie a quelque chose de gesnant ; on voit du moins qu’il n’y a rien qui fournisse de plus belles pensées à l’Esprit, que peut-estre il n’auroit pas trouvées, sans le secours de ces Rimes, quelque détournées qu’elles paroissent.

D’ailleurs, on peut juger du merite des Bouts-rimez par le succés qu’ils ont eu dans les divers temps qu’on les a vûs paroistre. Ils ont agreablement inondé la Cour & la Province, & l’accueïl favorable qu’on leur a toûjours fait, nous marque qu’ils ont des agrémens dont on ne sçauroit se passer.

Quand nous n’aurions d’autre obligation aux Bouts-Rimez que celle de nous avoir procuré une Critique ingenieuse & délicate, dont le but n’estoit que de briller, & qui a donné lieu à une réponse pleine d’observations solides, cela suffiroit pour nous engager à cultiver ces sortes de Vers, & à continuer un exercice qui n’est pas moins utile qu’agreable.

C’est dans cette vûë, & pour satisfaire à l’empressement du Public, que nous allons proposer de nouveaux Bouts-Rimez, pour estre remplis à la loüange du Roy. Ce sera le jour de Saint Jean Baptiste que l’on donnera le Prix. Ceux qui y prétendront auront soin d’accompagner leurs Sonnets d’une Priere pour le Roy en quatre Vers, & d’une Sentence en Latin, & de mettre leur seing & le lieu d’où ils sont dans une Lettre separée, qu’on n’ouvrira qu’aprés l’adjudication du Prix, ainsi qu’on a accoutumé de faire.

Les Auteurs doivent estre persuadez de l’exactitude qui s’observe sur l’examen des Ouvrages qu’on nous envoye. Les Lanternistes n’ont des égards que pour le merite, & les plus puissantes sollicitations ne sont pas capables de leur faire violer la loy qu’ils se sont faite de rendre justice.

L’Illustre Academie des Jeux Floraux qui vient d’estre autorisée par des Patentes, ne desaprouvera pas sans doute la continuation de nos exercices. Ce n’est pas nostre intention de rien entreprendre sur ce qui regarde cette ancienne & celebre Compagnie. Elle a pris pour son partage, les Odes, les Elegies, les Eglogues, & les Poëmes ; & nous nous retranchons toujours à nos Bouts Rimez. On auroit tort de les abandonner. LOUIS LE GRAND est si digne de loüanges, qu’il merite d’estre loüé en tout genre de Poësie. Les Bouts-Rimez ont si souvent & si heureusement servi à son Eloge, qu’on ne doit pas leur envier l’honneur d’estre consacrez à cet usage, & il ne sçauroit y avoir assez de Societez differentes à publier la gloire de nostre invincible Monarque.

BOUTS-RIMEZ
Pour l’année 1695.

Guide.
Parts.
Rampars.
Décide.
Rapide.
Cesars.
Hazars,
Intrepide.
Emplois.
Loix.
Tempestes.
Divers.
Conquestes.
Univers.

On fera l’adresse à Toulouse, chez Mr Seré, ruë des Chapeliers, à la Place de Roüais. Il aura soin de retirer les Paquets, pourvû qu’ils soient francs de port.

Les premiers Bouts-rimez qu’a proposez cette Academie, ayant fait travailler une infinité de personnes sur toutes sortes de sujets, il y a lieu de croire que ceux-cy feront encore faire la mesme chose. Sur tout il ne sera pas difficile de les remplir pour un Roy qui merite tous les jours de nouveaux Eloges. Ceux qui voudront travailler, doivent prendre garde à ne point changer les rimes, comme on fit l’année derniere. Il y eut plusieurs Sonnets qui auroient peut-estre disputé le Prix s’ils n’eussent pas finy par Accords au lieu de Transports.

[Le Colonel, Conte] §

Mercure galant, mars 1695 [tome 3], p. 49-52.

Je ne vous diray rien à l’avantage des Vers que vous allez lire, sinon qu’ils sont de Mr de Vin.

LE COLONEL.

Un Colonel sage & vaillant
 Avoit une Femme assez belle,
Et par malheur pour luy, coquette & peu fidelle.
 Aux douceurs d’un certain Galant
Elle prestoit sans cesse une oreille docile,
Et fier de son bonheur, quand sa joye éclatoit,
 Ce Galant par tout se vantoit
 D’une conqueste si facile.
Cet Epoux offensé trouvoit dans sa valeur
 Assez de quoy le faire taire ;
Mais comme il connoissoit le veritable honneur,
 Quelques sots contes qu’on pust faire,
 Il feignoit de n’en rien sçavoir,
 Et toujours froid à l’ordinaire
 Sans se troubler, sans s’émouvoir,
Voyoit des deux Amans la liaison galante
 Comme une chose indifferente.
 Sa noble insensibilité
Parut à certain Brave un trait lâcheté ;
Et voulant d’un affront qu’il croyoit d’importance
L’exciter à tirer vangeance,
 Cet Ami chaud, mais furibond,
Luy propose un duel, & s’offre pour second.
Ah ! dit le froid Epoux, non, je vous remercie,
 Vostre amitié va trop loin ; croyez moy,
 Faisons tous deux de nostre vie,
 Que nous devons à nostre Roy,
 Un meilleur & plus sage employ,
La risquer sans son ordre est & crime & folie ;
Luy seul a droit sur elle, & sans en jeunes sots
 La prodiguer mal à propos,
 Conservons-la pour la Patrie.
Ce petit étourdi ne vaut pas mon couroux.
 Encor presque sous la ferule,
Il auroit sur le pré trop de gloire avec nous,
 Et si pour luy ma Femme brûle
 Tant pis pour elle. Mon honneur
Dépend-il aprés tout de son peu de pudeur ?
 Non, ses tours de coquetterie
Ne peuvent me donner vos sentimens boüillans ;
Car de me battre enfin contre tous ses Galans,
 Trop forte seroit la partie,
Et bien-tost sur les bras j’aurois assurément
 La moitié de mon Regiment.

[Le retour des Plaisirs, Ballet dansé à S. Malo] §

Mercure galant, mars 1695 [tome 3], p. 68-90.

Les divertissemens ont esté grands ce dernier Carnaval à Saint Malo. Les Habitans se sont souvenus avec plaisir du peu d’effet qu’avoit eu le Bombardement tenté il y a quelques mois par les Ennemis ; ce qui est cause qu’on y a dansé un Balet entremêlé de paroles, dont la Musique a esté faite par Mr le Batteux, Maistre de Musique de la Cathedrale de la mesme Ville. Je vous en envoye les paroles.

LE RETOUR DES PLAISIRS.

BALLET.
Premiere Entrée.

La France, les Plaisirs, Choeur de François.

LA FRANCE.

Le calme répond à nos voeux.
Venez, Plaisirs, venez, Ris, venez, Jeux,
Achevez de nous rendre heureux.

Choeur de François.

Le calme, &c.

LA FRANCE.

Assez longtemps une cruelle absence
Nous a privez des momens precieux,
Qu’autrefois dans ces mesmes lieux
Nous procuroit vostre aimable presence.
Il est temps, doux Plaisirs, de paroistre à nos yeux.
Contentez nostre impatience
Dans ce sejour delicieux,
Tout vous invite à rompre le silence.
Le calme répond, &c.

Choeur de François.

Le calme, &c.

LES PLAISIRS.

Evitons, évitons le bruit affreux des armes.

LA FRANCE.

Revenez, Plaisirs, revenez.

LES PLAISIRS ;

Evitons, évitons le bruit affreux des armes.
On n’entend plus icy qu’alarmes,
Quittons des lieux qui leur sont destinez.
Evitons, évitons le bruit affreux des armes.

LA FRANCE.

Revenez, Plaisirs, revenez.
Où desormais trouverez-vous des charmes,
Si ces lieux sont pour vous des lieux infortunez ?
Revenez, Plaisirs, revenez.

LES PLAISIRS.

Evitons, évitons le bruit affreux des armes.

LA FRANCE.

Revenez, Plaisirs, revenez.

LES PLAISIRS.

C’est la France qui nous appelle,
Courons, volons, rangeons-nous auprés d’elle,
Et que les Jeux & les Ris desormais
Ne songent plus qu’à remplir ses souhaits.

LA FRANCE.

Plaisirs volages,
Où fuyez vous ?
Revenez tous
Sur ces rivages.
Vous n’avez plus à craindre aucuns orages :
Joüissez d’un repos si doux.
Ces charmans lieux sont faits pour vous ;
Exercez y vos petits badinages.
Où fuyez-vous,
Plaisirs volages ?
Plaisirs volages,
Revenez tous.

LES PLAISIRS.

Nous vous suivons, Déesse aimable,
Où voulez-vous que nous portions nos pas ?
Sont-ce icy les heureux climats,
Où nous devons gouster ce repos agreable ?

LA FRANCE.

Ouy, vous pouvez en seureté
Jouir dans ces beaux lieux de la douceur charmante
Qu’un heureux sort vous y presente :
Tout y parle de liberté.
Loin d’y trouver des sujets d’épouvante,
Vous y serez surpris de leur tranquillité.

LES PLAISIRS.

Aprés de cruels orages,
Quand le calme est de retour ;
Qu’un pur & tranquille jour
A de charmans avantages !

LA FRANCE.

Que le repos a d’attraits.
Lors qu’au bruit affreux des armes,
On voit succeder la Paix !

Choeur de François.

Que le repos a d’attrait,
Lors qu’à de vives alarmes
On voit succeder la Paix !

LES PLAISIRS.

Apprenez-nous quels Dieux à nos malheurs sensibles,
Nous donnent des jours si paisibles.

LA FRANCE.

Le Dieu des eaux touché de nostre déplaisir,
Nous a procuré ce loisir.

Choeur de François.

Le Dieu des eaux, &c.

LES PLAISIRS.

Qu’on n’entende donc plus de plaintes
Puis que ce Dieu puissant s’interesse pour nous.
Commençons aprés tant de craintes,
A jouir d’un destin plus doux.

LA FRANCE.

Accourez, que chacun se presse
De satisfaire à nos desirs.
Que tous vos pas inspirent l’allegresse :
Qu’on n’entende que chants aprés tant de soupirs.

CHOEUR.

Accourons, que chacun se presse,
De satisfaire à vos desirs ;
Que tous nos pas inspirent l’allegresse,
Qu’on n’entende que chants aprés tant de soupirs.

SECONDE ENTREE.

Neptune, premier Maloüin, second Maloüin, Choeur de Maloüins.

NEPTUNE.

Partez, allez, volez, soufles impetueux,
Le Dieu de la Mer vous l’ordonne
Que rien ne trouble icy les plaisirs & les jeux ;
Eloignez ce qui les étonne.
Portez aux Ennemis de ce rivage heureux,
Tout ce que vous avez d’affreux ;
Le Dieu de la mer vous l’ordonne.
Partez, allez, volez, soufles impetueux.
Vous, Peuples, sur ces bords vivez sans épouvante,
Neptune a de l’Anglois repoussé la fureur
Jouissez du bonheur
Que mon bras vous presente.

Choeur de Maloüins.

Desormais sur ces bords vivons sans épouvante,
Neptune a de l’Anglois repoussé la fureur.
Jouissons du bonheur
Que ce Dieu nous presente.

Premier Malouïn.

Nous avons vû par luy tomber l’audacieux
Sous une montagne brûlante.
C’est par luy que couvert d’un deluge de feux,
Nous l’avons vû contraint de voir à nos yeux
Les restes enflammez de sa rage mourante.

Second Maloüin.

C’est par luy qu’une paix charmante
Est de retour dans ces climats heureux,
Et c’est de sa main bienfaisante
Que nous tenons un bien qui comble tous nos voeux.

Choeur de Maloüins.

Desormais sur ces bords, &c.

Premier Maloüin.

Ne songeons qu’à jouir de la tranquillité
Qu’il assure à ces lieux par son bras invincible.
On ne peut estre plus sensible
Qu’il l’est pour nostre seureté.
Dans ses nobles travaux il passe nostre attente ;
L’amour qu’il a pour nous de jour en jour s’augmente,
Et n’a jamais tant éclaté.

Second Maloüin.

Neptune favorable !
Qu’un aussi doux repos soit à jamais durable.

Premier Maloüin.

Vous qui de nos malheurs avez finy le cours.

Second Malouin.

Vous par qui nous goûtons de si tranquilles jours.

Toux deux.

Neptune favorable !
Protegez-nous toujours

NEPTUNE,

Goustez, goustez en assurance
Les doux momens que vous offre mon bras ;
Vivez en paix, vivez sans embarras :
Neptune prend vostre défense.

Premier Malouin.

Que rien ne trouble plus des lieux si pleins d’appas.

Second Malouin.

Que les plaisirs icy suivent par tout nos pas.

Tous deux.

Que par vostre faveur puissante
Une felicité charmante
Regne toujours dans ces climats.

NEPTUNE.

Goustez, goustez en assurance, &c.

Choeur de Malouins.

Vivons en paix, vivons sans embarras,
Neptune prend notre défense.
Goûtons, goûtons en assurance
Les doux momens que nous offre son bras.
Honorons à jamais un Dieu si magnanime.
Que nos chants redoublez resonnent dans les airs.
Qu’un mesme zele nous anime.
Il est digne de nos concerts.

Premier Malouin,

Faisons de ses bienfaits retentir ces rivages.

Second Malouin.

Préparons luy des jeux nouveaux :
Que nos chants les plus beaux
Luy marquent nos justes hommages,
Pensons qu’il a puny nos injustes rivaux.

Choeur.

Honorons à jamais un Dieu si magnanime,
Que nos chants redoublez resonnent dans les airs,
Qu’un mesme zele nous anime,
Il est digne de nos concerts.

TROISIEME ENTREE.

Neptune, la France, les Malouins, Choeur de François & de Malouins.

NEPTUNE.

Si Neptune vous est propice,
Ses soins sont trop recompensez.
Pour prix de mes travaux ce me doit estre assez
Que Louis le Grand en jouisse.
Je fais le plus doux de mes voeux
De le rendre à jamais heureux.

La France,

Au milieu de la paix, au milieu de la guerre,
Une grande Divinité
Doit faire sa felicité,
Du bonheur de toute la terre :
Mais celuy d’un Heros favorisé des Cieux,
Fait le plus doux plaisir des Dieux.

Neptune.

A servir ce grand Roy l’on verra ma confiance
Contre un monde d’audacieux :
Contre mille & mille envieux.
Neptune prendra sa défense.

La France.

Quand j’ay vû des Anglois la jalouse fureur
Armer sur l’Empire de l’onde,
Contre le plus grand Roy du monde,
Mon coeur, je le confesse, estoit saisi de peur ;
Mais quand je vois ces Encelades,
Qui n’en vouloient pas moins qu’aux Cieux,
Tomber tristement à nos yeux,
Ecrasez sous leurs escalades ;
Et de leur malheureux débris
Elever un trophée à l’Auguste Louis,
Alors mon coeur rougit de sa tristesse,
Et me fait chanter mille fois,
Qu’on ne peut craindre sans foiblesse,
Pour le plus grand de tous le Rois.

Neptune.

Quel sujet aviez-vous de craindre,
Puis que le Dieu des eaux s’interressoit pour luy ?
L’Anglois est beaucoup moins à redouter qu’à plaindre,
Lors qu’il jouit d’un tel appuy.
De l’un à l’autre bout l’Ocean me revere,
Tout reconnoist mes loix dans ses gouffres affreux.
Je puis enfler les flots, & je sçay quand je veux,
Calmer aussi-tost leur colere.
Vous n’avez qu’à parler, suis-je encor necessaire ?
Quelques Mortels audacieux
Osent-ils derechef sur mes eaux vous déplaire ?
Faut-il les combattre à vos yeux ?
Faut-il encor punir leur rage ?
Nommez, nommez les envieux,
Sur qui vous demandez que retombe l’orage.
Ah ! dans l’éclat de ma fureur
Jusqu’où n’iroit point ma vangeance !
Mon bras dessus les mers répandroit la terreur ;
Et mes flots par leur violence
Porteroient en tous lieux le desordre & l’horreur.

La France.

Quelle assez digne récompense
Peut jamais égaler des soins aussi parfaits ;
Et par quelle reconnoissance
Pouvons-nous payer tes bienfaits ?

Neptune.

Je vous l’ay déjà dit, je borne mes souhaits,
A servir Louis & la France :
Ce qui fait ma plus grande ardeur,
C’est de leur procurer un éternel bonheur.
Pendant que sur ces rivages
La Mer roulera ses eaux
Vous aurez mille avantages
Sur vos injustes rivaux.

Plaisirs, Choeur de François, & de Malouins.

Heureuse intelligence,
Que vous avez d’attraits !
Non, vous ne finirez jamais.
Le Dieu des eaux avec constance,
Sçaura garder les sermens qu’il a faits.
Heureuse intelligence,
Que vous avez d’attraits !
Non, vous ne finirez jamais.

La France.

Promettez de nouveau.

Neptune.

De nouveau je promets,
Que Louis le Grand, & la France,
Seront toûjours l’objet de mes bienfaits.

Choeur.

Heureuse intelligence,
Que vous avez d’attraits !
Non, vous ne finirez jamais.

Neptune.

Sacré Fleuve du Styx c’est par vous que je jure.
Retenez, retenez les sermens que je fais.
Je promets par vos eaux, par vostre sourd murmure,
De proteger Louis & la France à jamais.
Sacré fleuve du Styx, c’est par vous que je jure,
Retenez, retenez les sermens que je faits.

Choeur.

Heureuse intelligence,
Que vous avez d’attraits !
Non, vous ne finirez jamais.
Le Dieu des eaux avec constance,
Sçaura garder les sermens qu’il a faits.
Heureuse intelligence,
Que vous avez d’attraits !
Non, vous ne finirez jamais.

[Epistre à Mr le Duc de Vendosme] §

Mercure galant, mars 1695 [tome 3], p. 188-196.

Je vous envoye une Epistre en Vers, dont le tour est aisé & naturel, & fait voir que l’Auteur sçait le monde. Il est moins difficile de s’élever que d’attraper ce stile d’honneste homme, que tous les gens de bon goust estiment, & qu’ils trouvent dans peu d’Ouvrages.

À M. le Duc
DE VENDOSME,
Sur sa nomination au Generalat des Galeres.

Vendosme, malgré moy, je cède aux deux transports
Du Dieu des Vers qui m’anime,
Je sens malgré mes efforts
Que d’une involontaire rime
Ce Dieu va former les accords.
 C’estoit assez que la Prose
 Modeste, & sans ornement
De Toy nous dist quelque chose
Pour te loüer dignement.
Car, mon Prince, c’est d’un songe
Tirer des réalitez,
Qu’emprunter les vanitez
Du langage du mensonge,
Pour dire tes veritez.
***
 Laissons à la Renommée
Publier tes actions,
Qui paroistroient fictions,
Si tu n’avois dans l’Armée,
A nostre perte animée,
Pour témoins, vingt Nations.
C’est cette seule Déesse,
Qui par tout suivit tes pas,
Qui doit chanter ta sagesse,
Ton sang froid dans les combats.
Elle seule peut bien dire
Jusques où va ton ardeur,
Et ce que doit cet Empire
A ton bras, à ta valeur.
***
 C’est elle qui dans les airs,
Pour Toy, deployant ses ailes ?
Porte tes grandeurs nouvelles
Aux deux bouts de l’Univers,
Qui planant sur la Marsaille
Te vit, à cette Bataille,
Couvrir de morts les sillons,
Où dans un étroit passage
S’opposoient à ton courage
Les plus épais Bataillons.
***
 Icy c’est plûtost aux hommes,
C’est à tous tant que nous sommes
Qui ressentons ta bonté,
D’aller publiant sans cesse
Quel air haut, quelle noblesse,
Brille en ta simplicité ;
De quel prix inestimable
Pour nous est un Prince aimable
Qui sçait accorder si bien,
Loin de toute fierté vaine,
Aux talens d’un Capitaine,
Les vertus d’un Citoyen.
***
 Quoy donc, le Dieu qui m’enflame,
Et qui, bien ou mal, m’apprit
L’art de loüer ta grande ame,
Ne dit rien de ton esprit ?
Pour te plaire davantage,
Apollon l’a fait exprés.
Il sçait combien tu te plais,
Dans un simple badinage,
Quelquefois à l’oublier
Et croiroit commettre un crime,
Tout grand qu’il est, tout sublime,
D’oser l’aller publier.
***
Mais où suis-je ? quelle yvresse
Hors de moy m’a transporté ?
J’entens des cris d’allegresse.
Quel bruit d’un autre costé
Vient de frapper mon oreille ?
Je vois du Port de Marseille,
Tout ce pompeux appareil,
Et nos Galeres parées
Faire briller au Soleil,
Leurs magnifiques livrées.
J’entens ces Reines des Mers
Des cris de mille coupables,
Et des voix des miserables,
Former de charmans concerts.
***
 Je le vois, sur sa Galere
Ce General est monté.
Déja son humanité
Dans le sein de la misere,
A fait naistre la gayeté,
Et déja son air affable,
A dans ce sejour affreux
Consolé ces malheureux,
Seurs que son cœur pitoyable,
De leurs maux se touchera,
Et que sensible à leurs peines,
Ne pouvant briser leurs chaisnes,
Sa main les relaschera.
***
 Fuyez, Galeres d’Espagne,
Desormais loin de ces bords.
Allez cacher dans vos Ports
La peur qui vous accompagne ;
Vendosme s’en va sur vous
Bientost lancer ce tonnerre
Dont tans de fois sur la terre
Il a fait sentir les coups,
Et je vois déja Neptune,
Qui pour plaire à Jupiter
S’empresse de luy prester
Son Trident & sa Fortune.
***
 Ainsi par la bienveillance,
De ce grand Roy des François,
Qui déja dessous tes loix
Avoit remis sa Provence,
Tu vois croistre ta puissance,
Et l’un & l’autre élément.
Charmé de son esclavage,
Se disputer l’avantage
D’obéir aveuglément.
***
 D’une telle confiance,
Mon Prince, connoy le prix,
C’est l’effet de la prudence,
De la bonté de Louis.
Ton Roy sçait pour sa Personne
Quel est ton attachement,
Qu’en luy tu crois la Couronne
Son plus leger ornement,
Pour l’Etat quel est ton zele,
Et d’un Sujet si fidele.
Il connoist le dévouëment ;
Et c’est cette connoissance
Qui seule fait ton bonheur,
Et la seule récompense
Qui pouvoit flatter ton cœur.

[Mort de Mr l’Abbé Saurin]* §

Mercure galant, mars 1695 [tome 3], p. 271.

Mr l’Abbé Saurin, homme tres-considerable dans la Republique des Lettres. Les Ouvrages qu’il a donnez au Public de temps en temps, joints à la traduction en Vers François des Hymnes de Mr de Santeul, luy ont acquis une tres grande réputation. Il estoit d’une illustre & tres noble Famille du Bas Languedoc, qui a donné sous les regnes de Henry le Grand & de Louis le Juste, plusieurs Gouverneurs des Ville & Chasteau de Lommieres, Place la plus importante du Pays des Sevenes.

[Sur l’Arlequiniana]* §

Mercure galant, mars 1695 [tome 3], p. 286-287.

L’année derniere le livre intitulé, Arlequiniana, eut un grand succés. Ceux qui le critiquerent, & ceux qui le trouverent bon, l’acheterent également, & la premiere Edition fut debitée en trois semaines. La seconde est assez avancée, & on ne desespere pas de la troisiéme. Cela marque le merite du Livre. Un ouvrage qui porte un titre specieux peut bien ébloüir d’abord le Public, mais quand il est mauvais dans le fond, il tombe infailliblement. Arliquiniana au contraire se soutient bien, & il y a lieu de croire qu’il se soutiendra encore mieux dans les Editions suivantes, si l’on continuë à l’augmenter toujours de plusieurs choses agreables.

[Livre sans nom] §

Mercure galant, mars 1695 [tome 3], p. 287-288.

On debite presentement un nouveau tome intitulé, le Livre sans nom, à peu prés du mesme stile que Arliquiniana, & il semble avoir encore un plus grand succez, non-seulement à cause de quelques petites histoires qu’il contient, mais aussi parce qu’il est remply d’un grand nombre de Vers, & sur tout de quelques Odes traduites ou imitées d’Horace, qu’on y lit avec plaisir.

[Comedies nouvelles] §

Mercure galant, mars 1695 [tome 3], p. 288-289.

 

Les deux Pieces nouvelles que les Comediens François ont jouées ce Caresme, ont fait tant de bruit, que je ne m’étonne point que vous en ayez entendu parler. Celle qui est intitulée, Les Dames vangées, ou La Dupe de soy-mesme, ayant esté representée cinq fois avant Judith, elles ont esté jouées alternativement jusqu’à ce qu’on ait quitté le Theatre. Le succés qu’elles ont eu à Paris a fait souhaiter de les voir à la Cour, où elle ont esté representées. On les verra paroistre encore sur la Scene aussi tost aprés la quinzaine de Pasques, & elles seront ensuite debitées chez le sieur Brunet, dans la grande Salle du Palais, à l’Enseigne du Mercure Galant.

[Baptéme d’une Cloche tenuë à S. Paul, par Monsieur & par Madame la Duchesse du Maine] §

Mercure galant, mars 1695 [tome 3], p. 289-296.

 

Le 24 de ce mois, on fit en l’Eglise de Saint Paul, la ceremonie de la benediction d’une Cloche qui fut nommée Louise Benedicte par Monsieur le Duc du Maine & Madame la Duchesse du Maine, qui sont à present les premiers Paroissiens de cette Eglise. [...]

[...] Cette réponse finie, la Ceremonie commença, & l’on entendit une Musique chantée par les plus habiles de Paris, pendant laquelle leurs Altesses Serenissimes donnerent des marques d’une pieté exemplaire, & firent faire de grandes distributions d’aumônes que l’on appliqua aux prisonniers de S. Eloy, aux pauvres malades & pauvres honteux de la Paroisse, & à une grande multitude d’autres pauvres. On fit aussi par leur ordre de grandes liberalitez à ceux qui avoient contribué à toute cette ceremonie. Leurs Altesses Serenissimes sortirent au son des Orgues & des Cloches, accompagnées de Mr le President le Bailleul, des Maguilliers, & des principaux Paroissiens de saint Paul, qui furent comblez des bontez de ce Prince & de cette Princesse, qu’ils ne pouvoient se lasser d’admirer. Leur liberalité parut de nouveau lors qu’ils monterent en Carosse, & ils firent encore de grandes largesses à tous ceux qui se presenterent pour les recevoir. Quelques jours aprés Mr le President le Bailleul accompagné des Marguilliers, alla à Versailles remercier leurs Altesses Serenissimes.

Air nouveau §

Mercure galant, mars 1695 [tome 3], p. 333.

Voicy une Chanson nouvelle qui est estimée des Amateurs de Musique.

AIR NOUVEAU.

L’Air doit regarder la page 333.
Croyez-vous n'estre aimable
Que le verre à la main ?
Boirez-vous jusques à demain ?
Ne voulez-vous briller qu'à table ?
N'entendez-vous pas les Amours
Vous dire en leur doux langage,
Ne serons-nous d'aucun usage,
Philis boira-t-elle toujours ?
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