1695

Mercure galant, juin 1695 [tome 6].

2017
Source : Mercure galant, juin 1695 [tome 6].
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Mercure galant, juin 1695 [tome 6]. §

[Morts] §

Mercure galant, juin 1695 [tome 6], p. 52-54.

Je vous ay appris la mort de Mr l’Abbé Saurin, ce celebre Traducteur des Hymnes de l’illustre Mr de Santeul ; mais je ne vous ay pas dit qu’il estoit de l’Academie Royale de Nismes, & de celle de Ricovrati, & que ses Ouvrages de Prose & de Vers, presque tous de pieté, estoient entre les mains de Mr l’Abbé Pioton, l’un de ses Amis, qui doit les mettre au jour, pour éterniser la memoire de cet excellent Auteur.

Les Academies de Nismes & de Padouë regrettent encore un de leurs principaux ornemens, qui estoit Mr Graverol, dont je vous ay parlé plusieurs fois. C’est une grande perte pour la Republique des Lettres, aussi-bien que celle de Mr Lantin, Conseiller au Parlement de Dijon, qu’on pouvoit dire estre un Magistrat accompli, qui n’ignoroit rien. Il estoit de la docte Academie de Padouë, où l’on ne reçoit que des personnes de distinction & de merite, de l’un & de l’autre Sexe.

Madrigal §

Mercure galant, juin 1695 [tome 6], p. 54-55.

Dijon, Ville fertile en beaux esprits, à laquelle rien ne manque qu’une Academie de belles Lettres, a vû les Muses s’exciter à l’envi les unes des autres à celebrer le rare genie & les belles qualitez de ce sage Senateur. Voicy ce qui a esté fait sur sa mort, par Mr Moreau, Avocat General en la Chambre des Comptes.

MADRIGAL.

Vous du sacré Vallon & l’honneur & la gloire,
Celebrez tous l’illustre & le docte Lantin.
Il vient de succomber à l’ordre du destin,
C’est à vous par vos chants d’honorer sa memoire.
Pour moy, quand je voudray d’un seul mot exprimer
Tous les riches talens qu’un bel esprit rassemble,
Les Sciences, les Arts, & les Graces ensemble,
 Je n’auray rien qu’à le nommer.

[Vers de Mr de la Monnoye]* §

Mercure galant, juin 1695 [tome 6], p. 56.

Les Vers qui suivent sont du fameux Mr de la Monnoye, Correcteur en la même Chambre des Comptes, qui a remporté plusieurs fois le Prix de la Poësie, au jugement de Messieurs de l’Academie Françoise.

 Lantin repose en ce Tombeau.
Toy qui sceus nous donner ce Saumaise nouveau,
 Dijon, revere sa memoire.
La Plume a du premier fait admirer l’esprit ;
 Et le second n’a rien écrit,
De peur que du premier il n’obscurcist la gloire.

[Lettres en Vers de Mr l’Abbé de Chaulieu & de Mr de S. Evremont] §

Mercure galant, juin 1695 [tome 6], p. 79-83.

Je n’ay rien à vous dire sur les Lettres dont je vous envoye une copie. Elles sont d’un fort bon goust, & de personnes tres-considerables.

LETTRE
De Mr l’Abbé de Chaulieu, à
Me la Duchesse Mazarin.

La divine Boüillon, cette adorable Sœur,
Qui partage avec vous l’Empire de Cithere,
Et qui sçait comme vous par cent moyens de plaire,
Seduire & l’esprit & le cœur,
Malgré tout ce que j’ay pû faire,
Veut aujourd’huy que mes Vers
Au hazard de vous déplaire,
Aillent traverser les mers.
Ma raison s’est opposée
A cet insensé projet.
Je vay devenir l’objet,
Ay-je dit, de la risée
De cet homme si fameux,
De qui le goust seul décide,
Du bon ou du merveilleux,
Et qui plus galant qu’Ovide,
Est comme luy malheureux.
Ce Sage qui se confie
Au seul secours du bon sens,
Et dont la Philosophie
Bravant l’injure des ans,
Pour suspendre la vieillesse
Par de doux enchantemens,
Y sçait rejoindre sans cesse
Mille & mille amusemens,
Et mesme les enjoûmens
De la plus vive jeunesse.
Ce Critique tant vanté,
Qui par sa délicatesse
Des Ouvrages de la Grece
Auroit esté redouté,
Ne sçaura jamais peut estre
Que ces Vers m’ont peu cousté ;
Enfans de l’oisiveté,
L’amour seul les a fait naistre,
Et sans vous la vanité
Leur défendroit de paroistre.
Daignez donc, divine Hortense,
Par un regard de ces yeux,
Qui desarmeroient des Dieux
La colere & la vangeance,
Obtenir quelque indulgence,
Et d’un accueil gracieux
Payez mon obéissance.

Réponse de Mr de S. Evremont,
à Mr l’Abbé de Chaulieu.

Je n’ay point, comme Censeur,
Examiné vostre Ouvrage ;
Mais comme bon Connoisseur,
Je luy donne l’avantage
Sur les plus galans Ecrits
Qui nous viennent de Paris,
Disons qu’on ait vûs en France.
Et Voiture & Sarazin,
Vous cedent dans l’excellence
Du goust délicat & fin.
Nous ajoûterons qu’Hortense,
Nostre Sapho Mazarin,
Vous donne la préference
Sur tout Grec & tout Latin.

[Ceremonies faites à l’établissement d’un Bureau des Finances à la Rochelle] §

Mercure galant, juin 1695 [tome 6], p. 88-109.

Le Roy ayant esté informé combien il estoit important au bien de son service & pour l’avantage & la commodité de ses Sujets, d’établir une Generalité & un Bureau des Finances dans la Ville de la Rochelle, Sa Majesté en fit expedier l’Edit de Creation au mois d’Avril de l’année derniere 1694. [...]

L’Office de Maire de la Ville de la Rochelle, avec les fonctions & gages qui y ont esté attribuez, a esté uni & incorporé au Corps des Presidens, Tresoriers de France, Generaux des Finances, pour estre exercé annuellement par un d’entr’eux, à commencer par le plus ancien en reception, & continué d’année en année, à tour & par ordre de tableau, sans qu’à l’avenir cet Office puisse estre desuni ny separé.

Mr Begon, Intendant de la Generalité de la Rochelle, qui se distingue en toutes sortes d’occasions, par son zele & son application singuliére pour le service de son Prince, & qui est également estimé de tout le monde par son sçavoir & par sa pieté, ayant eu ordre de faire cet établissement si avantageux aux Habitans de la Rochelle, il jugea à propos avant toutes choses de commencer par faire faire des Prieres publiques, & pour cet effet le 2. du mois passé, estant revestu de sa robe rouge, precedé de deux Hoquetons armez de leurs Carabines, & suivy des Tresoriers de France & des autres Officiers du Bureau des Finances, en robes de satin noir, il se rendit à l’Eglise Cathedrale, où ils assisterent à la Messe du S. Esprit chantée solemnellement par la Musique. Mr le Doyen officia en l’absence de Mr l’Evesque qui estoit occupé à la visite des Paroisses de son Diocese, qu’il fait avec beaucoup d’exactitude & d’édification. Le Chapitre & le Clergé assistérent à la Ceremonie qui fut tres-celebre.

[...] Le lendemain, toute la Bourgeoisie eut ordre de prendre les armes, & de se mettre en bataille dans la Place d’armes de la Ville. Pendant qu’on estoit occupé à cet exercice, les Députez choisis par les Paroisses, au nombre de cinquante, & plusieurs autres Habitans, se rendirent à l’Hostel de Ville, où ils avoient esté convoquez. Mrl’Intendant, qui en fut averty, s’y rendit au mesme instant, pour faire proceder en sa presence à la nomination des quatre Echevins & des douze Notables qui devoient composer le Conseil de Ville, où doit assister le Commissaire aux Reveuës avec les douze Assesseurs.

Le premier Echevin fut choisi du Corps du Presidial. On tira le second Echevin du nombre des Officiers de l’Election ; le troisiéme du Corps de la Bourgeoisie, & le quatriéme du Corps des Marchands. A l’égard de la nomination des douze Notables, on suivit l’ordre prescrit par l’Edit de creation du Corps de Ville. Ces Messieurs ayant tous fait serment de fidelité au Roy, & pris la seance convenable à leurs dignitez, le nouveau Maire, Doyen des Tresoriers de France, qui est entré cette année en exercice, fut placé leur teste, à costé de Mr l’Intendant, qui le fit reconnoistre en pleine Assemblée. Le rétablissement du Corps de Ville ayant esté ainsi arresté, fut divulgué & rendu public, comme il se pratiquoit anciennement, au son de toutes les cloches & des acclamation populaires. On chanta le en action de graces, & tous ces Mrs y assisterent en cet ordre.

Mr l’Intendant revêtu de sa robe rouge, avoit à sa gauche le nouveau Maire de la Ville, revêtu d’une robe de velours rouge cramoisi, tres-riche, doublée de satin noir, ayant sur l’épaule gauche un chaperon de mesme velours, fourré d’hermines, & chargé de trois Fleurs de Lis d’or en broderie. Il estoit précedé de deux Hoquetons, de douze Hallebardiers, & de douze Archers de Ville, ayant des casaques rouges avec les armes de la Ville en broderie, au milieu du dos & sur l’estomach. Les quatre Echevins marchoient aprés luy, ainsi que le Procureur du Roy, & le Greffier de la Ville, revestus de tres-belles robes de drap d’écarlate ; les douze Assesseurs, les douze Notables, plusieurs autres Habitans. Ils allerent à l’Eglise Cathedrale, où le Chapitre & le Clergé estoient assemblez. Mr le Doyen officia, & le Te Deum fut chanté solemnellement par la Musique, avec les Prieres ordinaires pour le Roy, & pour la prosperité de ses armes.

Le Maire de la Rochelle a esté de tout temps consideré en qualité de Colonel né de toute la Bourgeoisie & de toute la Milice de la Province. Mr le Maréchal d'Estrées eut la bonté de se transporter avec sa Compagnie des Gardes, assisté de toute la Noblesse du pays, & des Officiers de la Garnison, dans le Place publique, où toute la Bourgeoisie en armes estoit assemblée, pour le faire reconnoistre en cette qualité, ce qui fut executé avec beaucoup de joye & de satisfaction de la part des Habitans, & de tous les assistans.

Sur les sept heures du soir, le nouveau Maire, précedé des Trompettes, des Tambours, des Hallebardiers & des Archers de la Ville, & de quantité de flambeaux de cire blanche, accompagné des quatre Echevins, du Procureur du Roy, du Greffier, tous en robes rouges, des Assesseurs & des Notables, partit de l’Hostel de Ville pour aller à la Place d’armes. Les ruës estoient bordées de Soldats en haye des deux costez ; & aprés avoir observé les ceremonies ordinaires, il alluma au son des fanfares des Trompettes & des tambours, le feu de joye qui avoit esté préparé pour la réjoüissance publique. La Bourgeoisie, ainsi que les autres Habitans qui assistoient à cette ceremonie, ayant fait plusieurs salves au bruit de la Mousqueterie, marqua par ses acclamations & par ses cris de Vive le Roy, sa reconnoissance envers Sa Majesté, du bien & de l’avantage qu’elle recevoit en cette occasion, & combien le rétablissement de leur Corps de Ville estoit glorieux pour ses Citoyens. Pour achever la solemnité de cette feste, Mr l’Intendant fit préparer un Soupé magnifique, pour regaler le nouveau Maire, & tout le Corps de Ville, que Mr le Maréchal d’Estrées voulut encore honorer de sa presence.

Le jour suivant 4. du même mois, Madame l’Intendante voulant bien en faveur de la réjoüissance publique, donner tréve pour quelques momens à ses exercices de pieté, où elle est actuellement occupée pour le soulagement des Pauvres de la Province, regala toutes les Dames de la Ville. Il y eut Bal ensuite, & quantité d’illuminations, ce qui attira une tres nombreuse Compagnie. On ne se souvient point en ce pays là, qu’il se soit jamais passé dans la Ville de la Rochelle, des réjoüissances si generales, chacun s’est distingué dans cette rencontre pour donner des marques de sa joye, & particulierement les Officiers du Presidial.

[Tite-Live réduit en Maximes] §

Mercure galant, juin 1695 [tome 6], p. 178-181.

Vous serez bien-aise d’apprendre que le Sr Brunet, Libraire au Palais, debite un Livre nouveau, qui doit estre de vostre goust, puis que les Ouvrages de reflexion vous ont toujours plû. Il a pour titre, Tite-Live reduit en Maximes. Mr Corbinelli, son Auteur, qui est un des plus beaux esprits & des plus galans hommes du Royaume. Son veritable caractere est celuy d’un Philosophe qui sçait vivre, & on a dit de luy avec beaucoup de justice, qu’estant François de naissance & Italien d’origine, il avoit réuny en sa personne ce que les deux Nations ont de meilleur, & fait un juste temperament du phlegme de l’une, & de la vivacité de l’autre. En réduisant Tite-Live en Maximes, il a mis le passage Latin aprés la maxime Françoise, & il l’a fait en faveur de ceux qui entendent la Langue Latine, & qui ne seront pas fâchez de confronter quelquefois le passage avec la maxime, ny d’avoir en petit ce que les anciens Historiens ont de plus exquis. Les Livres composez par traits détachez, ou par maximes sans ordre, sont aujourd’huy du goust du Public, & ils ont cet avantage qui leur est particulier, qu’ils demandent peu d’attention, & qu’en amusant ils ne laissent pas d’instruire. Ainsi il y a grande apparence que celuy dont je vous parle aura tout le succés qu’il merite.

[Histoire] §

Mercure galant, juin 1695 [tome 6], p. 181-209.

La fierté sied bien aux jeunes personnes, quand elles sçavent la soutenir noblement. Une fort jolie Demoiselle trouvoit dans sa naissance & dans sa conduite de quoy estre satisfaite d’elle-mesme. Elle n’estoit ny coquette, comme le sont la pluspart de celles qui par je ne sçay quel charme attirant forcent tout le monde à leur dire des douceurs, ny dédaigneuse comme beaucoup de jeunes personnes, qui entestées de leur beauté & de leur merite, croyent faire grace quand elles répondent une honnesteté. Elle observoit un juste milieu, & si elle ne s’attiroit pas des Adorateurs par des avances honteuses, elle n’avoit rien de rebutant pour ceux qui luy venoient offrir leurs hommages. Elle en recevoit de toutes parts, & peu de personnes pouvoient la voir, sans ressentir ce je ne sçay quoy qui force le cœur à plus qu’on ne veut, mais il estoit dangereux de s’en expliquer autrement que par des regards, & par des termes d’estime. Le moindre mot qui eust fait connoistre de la passion, l’auroit blessée, & les expressions un peu fortes luy faisoient prendre un air si severe, qu’on estoit contraint de renfermer tous les sentimens que sa beauté inspiroit. C’est ce qui arrestoit les plus hardis, & comme elle ne souffroit aucune assiduité, malgré ses manieres honnestes & insinuantes, elle passoit pour estre fort fiere. C’estoit un deffaut qui la rendoit plus aimable à ceux qui ne s’attachoient à elle que dans le dessein de l’épouser. Les charmes de sa personne soutenus d’une fort grande sagesse, & d’un esprit fin & délicat, qui luy faisoit chercher la droite raison en toutes choses, luy avoient acquis une estime generale, & plusieurs partis avantageux s’estoient déja presentez pour elle, mais quoyqu’elle n’eût pas assez de fortune pour devoir rien negliger de ce qui pouvoit contribuer à son établissement, il n’estoit pas fort aisé de toucher son cœur, & le seul merite pouvant tout sur son esprit, elle n’avoit pas trouvé jusque-là dans ceux qui la recherchoient d’assez bonnes qualitez pour se resoudre à changer d’estat. Son Pere qui entroit assez dans ses sentimens, & qui connoissant son caractere estoit fort persuadé que fort peu de personnes la rendroient heureuse, luy laissoit une entiere liberté dans sa conduite, & le choix qu’elle avoit à faire d’un Mary estant son affaire la plus importante, il ne croyoit rien de plus injuste que de se donner le pouvoir de la contraindre. Le caractere de cette aimable personne, dont le cœur estoit si difficile à toucher, ayant donné lieu de parler d’elle chez une Dame, où il y avoit assez de monde, un Cavalier qui estoit present dit que cette difficulté de s’en faire aimer, ne pouvoit venir que du peu d’habileté de ceux qui l’entreprenoient ; que les Femmes les plus fieres avoient leur foible par où il estoit aisé de les surprendre, & qu’il n’y avoit qu’à le reconnoistre pour estre assuré de les attaquer avec succez. On luy répondit que quelque éclairé qu’il fust, s’il vouloit rendre des soins à la Belle, il auroit peine à trouver ce foible qu’il croyoit estre dans toutes les autres, & sa curiosité fut si bien piquée par toutes les choses qui luy furent dites, qu’il resolut de la voir. La Belle avertie de la conversation, ne fut pas fâchée de son costé qu’on luy amenast le Cavalier dont la réputation luy estoit connuë. C’estoit un homme extrémement distingué, non-seulement par l’esprit & par l’usage du monde, mais encore par beaucoup de gloire qu’il avoit acquise pendant plus de vingt années, en plusieurs emplois tres-importans pour la guerre. Ce merite generalement reconnu, luy donnoit par tout de grands avantages, & sa conqueste, que plusieurs belles personnes avoient entrepris inutilement de faire, n’estoit pas à dédaigner. Il se déclaroit pour la liberté, & la facilité qu’il avoit toujours trouvée à se faire aimer, luy faisant regarder l’amour comme un simple amusement, dont le seul plaisir détermine la durée, & non comme une passion tirannique qui force la volonté, & ne laisse plus l’usage de la raison, il ne pouvoit concevoir qu’on fust la dupe des fausses rigueurs qu’affectent souvent les Femmes, & qu’on ne vinst pas à bout de les reduire à y renoncer. Plein de cette confiance, il se fit mener chez la Demoiselle qu’on luy avoit peinte d’un caractere opposé à toutes celles qu’il avoit connuës. Il luy trouva plus d’esprit & de beauté qu’il ne l’avoit cru ; & aprés luy avoir rendu cinq ou six visites, il avoüa qu’elle meritoit tout l’attachement d’un honneste homme. L’agrément de son humeur, & la solidité de son esprit, qui ne s’occupoit jamais de bagatelles, luy faisant gouster un vray plaisir à la voir, il voulut estre assidu ; mais quoy que les soins qu’il s’attachoit à luy rendre dussent flater la vanité de la Belle, sa fierté & l’interest de sa réputation l’emporterent, & ne voulant pas donner à parler, elle luy refusa tres obstinément la permission de venir chez elle, comme un Ami, qui ne tiroit point à consequence. La contrainte qu’il se fit pour s’accommoder à la regularité de sa conduite, luy parut insupportable. Il estoit rêveur par tout ailleurs, & quelques divertissemens qui pussent s’offrir, tout y manquoit pour luy sans la Belle. Il la revit quelques jours aprés, & les plaintes qu’il luy fit de ses trop severes scrupules, ne la pouvant obliger à rien relâcher de son austere vertu, forcé par sa destinée qui l’entraînoit malgré luy, il luy dit enfin que n’ayant pour elle que des veuës tres-legitimes, il ne voyoit pas pourquoy elle vouloit borner des visites, qu’elle devoit souhaiter frequentes pour le bien connoistre, à moins qu’il n’eust le malheur de luy déplaire. La Belle répondit au Cavalier, que quand il auroit expliqué ces veuës à son Pere, elle n’auroit rien à se reprocher, puis que ses ordres seroient la regle de sa conduite. Cette réponse le mit dans un extrême embarras. Jamais homme ne s’estoit fait voir si ennemi du mariage que luy. Il railloit tous ceux qui s’engageoient pour toujours, & comptoit pour le plus grand des malheurs un engagement qui ne finissoit que par la mort. Cependant la Belle continuant à ne vouloir plus souffrir ses soins s’il n’obligeoit son Pere à les approuver, il se déclara sans trop sçavoir ce qu’il avoit resolu de faire. Le Pere luy témoigna qu’il se tenoit honoré de sa recherche, mais comme il ne vouloit pas contraindre sa Fille, il luy demanda du temps afin de la consulter, & de la laisser se consulter elle-mesme. Le Cavalier n’avoit pas assez de bien pour l’ébloüir de ce côté-là, mais la gloire dont l’avoient couvert quantité d’actions considerables, estoit d’un grand prix pour elle, & moins par amour que par estime, elle consentit en sa faveur à renoncer à la liberté qui luy avoit toujours esté chere. Ce ne fut pas sans representer plusieurs fois au Cavalier qu’il ne devoit pas se laisser surprendre à ce qu’avoit de flateur une passion qui estoit trop violente pour n’estre pas affoiblie avec le temps ; qu’ayant beaucoup de naissance & de réputation, s’il se vouloit marier ailleurs, il auroit des avantages qu’il ne trouvoit pas en l’épousant, & qu’avant que de pousser les choses plus loin, il se devoit bien examiner, pour n’avoir jamais sujet de se repentir. Le Cavalier répondit, que l’assurance d’estre aimé d’elle, luy tiendroit lieu de la plus haute fortune ; que c’estoit la seule chose qu’il luy demandoit, & qu’il croyoit meriter, aprés l’avoir convaincu de son entier & sincere attachement, qu’elle ne luy déguisast aucun de ses sentimens. Quelque rigide que fust sa vertu, ce qu’il demandoit ne la blessoit point. Cependant toutes ses prieres n’en purent obtenir rien autre chose, sinon qu’il la verroit toujours appliquée à bien remplir ses devoirs, & qu’il pouvoit juger de la disposition de son cœur à son égard, par le peu de répugnance qu’elle avoit à le préferer à tous les autres. Cette réserve le laissant douter de son triomphe, qu’il faisoit consister à entendre de sa bouche qu’elle avoit pour luy autant d’amour qu’il luy en marquoit, rendit ses desirs plus violens, & soit passion, soit vanité, il pressa luy-mesme la conclusion de son mariage. On en dressa les articles, & dés qu’ils furent signez, il receut les complimens de tous ses Amis. On luy applaudit sur le digne choix qu’il avoit fait, mais on s’étonna en mesme temps qu’il pust se resoudre à se marier, luy qu’on en croyoit entierement incapable. Il s’en étonna luy-mesme, & commençant à envisager ce qu’il avoit fait, & toutes ses suites, il en demeura tellement épouvanté, que sa raison se perdit dans les continuelles reflexions qu’il fit sur son imprudence. L’aversion invincible qu’il avoit toujours euë pour le mariage se réveilla dans son cœur, & s’y fit sentir avec une force qui le mit hors de luy-mesme. Son estime pour la Belle ne s’affoiblit point ; mais tout son amour ne put le mettre à couvert des dégousts inseparables d’un engagement qu’on ne sçauroit rompre ; & sans sçavoir comment il se tireroit de cette affaire, il resolut de ne la point terminer. L’honneste homme en luy donnoit de tres-grands combats contre l’amour propre ; mais se marier & s’en repentir éternellement estoient des choses à quoy sa raison l’empêchoit de consentir. Il pensoit sans cesse au parti qu’il devoit prendre, & les agitations de son esprit le firent tomber dans un chagrin qui fut remarqué de tout le monde. On crut que les avantages qu’il trouvoit avec la Belle du costé du bien, estant assez mediocres, ce chagrin estoit causé par l’embarras qu’il auroit à luy faire soutenir le rang que luy donnoit sa naissance ; & on le crut d’autant plus, qu’on le vit changer tout à coup d’humeur par un bonheur impréveu qui arriva à la Belle. Un Parent fort riche, marié depuis un an, & dont la Femme avoit accouché d’un Fils depuis six jours, mourut en tres peu de temps d’une fiévre violente, & l’Enfant estant mort huit jours aprés, la Belle qui en étoit Heritiere, se vit dans une fortune tres-considerable. On felicita le Cavalier sur un évenement si peu attendu, & il n’en cacha sa joye à personne. Le Pere voyant que sa Fille estoit devenuë un parti avantageux, luy conseilla de chercher quelque prétexte pour rompre, à quoy elle répondit que n’ayant écouté le Cavalier que par une forte estime, sans avoir esté prévenuë d’amour, rien ne pouvoit apporter de changement à ce qu’elle avoit promis, & que si avant que d’avoir souffert ses soins elle eust eu le bien que la mort de son Parent luy donnoit, elle auroit peut-estre pris une resolution qu’elle n’étoit plus en estat d’executer. Ainsi tout sembloit se préparer pour le mariage, quand le Cavalier aprés luy avoir marqué par les termes les plus vifs la part qu’il prenoit dans ses avantages, luy dit qu’elle alloit estre convaincuë qu’il n’en avoit de la joye que pour elle seule, puis qu’il venoit la prier de retracter le consentement qu’elle avoit donné pour l’épouser. Ce compliment la surprit, & ce fut alors que luy montrant tout son cœur à découvert, il luy avoüa que la forte passion qu’il avoit pour elle, ne luy avoit pû cacher, aprés avoir signé les articles, que le mariage luy feroit mener la vie du monde la plus malheureuse ; qu’il n’estoit point propre à en supporter les suites, & que le chagrin qu’on luy avoit vû n’avoit eu pour cause que l’embarras de trouver un moyen pour rompre avec une personne qu’il estimeroit éternellement, & qu’il ne se tenoit pas assuré de rendre heureuse, s’il se hazardoit à l’épouser ; qu’ainsi il avoit senti une joye inconcevable par le changement de sa fortune, puis qu’on auroit tout sujet de croire qu’elle l’auroit refusé ; qu’il estoit tout prest luy-mesme de le publier, & qu’enfin de quelque maniere que tournast la chose, tout le desagrément de cette rupture tomberoit sur luy, n’y ayant aucune vrai semblance qu’il se pust faire une peine d’épouser une personne devenuë fort riche, aprés avoir fait tous ses efforts pour l’obtenir dans le temps qu’elle estoit presque sans bien ; qu’il devoit à la parfaite estime qu’il avoit pour elle, la sincerité des sentimens qu’il luy expliquoit ; qu’il ne luy déguisoit point qu’il sentoit une espece de desespoir en songeant qu’elle seroit bientost à un autre, mais qu’il estoit juste qu’elle fust heureuse aux dépens de son repos, & que pour le consoler de sa perte, il la conjuroit de luy vouloir bien promettre son amitié. Il ajoûta plusieurs autres choses qui estoient d’un cœur aussi droit que genereux, & qui étonnerent d’autant plus la Belle, que les plus honnestes gens ont de la peine à consulter la raison quand la passion est violente. Elle trouva dans son procedé, je ne sçay quoy de grand & d’honneste qui redoubla son estime, & comme c’estoit par ce seul motif qu’elle s’estoit engagée à luy, sans que l’amour eust encore pris aucun pouvoir sur son cœur, elle le combla de joye, en luy promettant non seulement de le regarder toujours comme son Ami, mais de vivre dans l’indépendance, sans songer jamais à se marier. C’est le parti que son inclination luy eust fait prendre dés les premieres propositions qu’on luy avoit faites, si son Pere eust dû luy laisser assez de bien pour pouvoir mener une vie aisée. On fut fort surpris de voir qu’un mariage si avancé ne s’achevoit point. Chacun raisonna à sa fantaisie, & on ne sçavoit qu’inferer de ce que le Cavalier disoit à tous ses Amis, qu’aprés une grande succession venuë à la Belle, il s’estoit cru obligé en honneste homme, de n’abuser pas de la bonté qu’elle avoit de la luy vouloir sacrifier. Il partit peu de temps aprés pour l’Allemagne, où ses emplois l’appelloient, & il ne s’est point trouvé jusqu’icy d’Heureux qui ait pû toucher la Belle. Elle paroist estre la plus contente du monde, & toujours dans la résolution de ne dépendre jamais que d’elle-mesme.

[Mariage de M. le comte de Merinville et Mlle du Cambout]* §

Mercure galant, juin 1695 [tome 6], p. 214-216.

 

On apprend par les Lettres de Languedoc, les réjoüissances qui ont esté faites à Narbonne, au sujet du mariage de Mr le Comte de Merinville, son Gouverneur, avec Mademoiselle du Cambout. Les Consuls partirent le 8. de ce mois, le soir en robes rouges, de l’Hostel de Ville, avec toute la pompe dans laquelle ils ont accoutumé de marcher aux plus grandes Festes. Ils estoient précedez par les Compagnies de Milices Bourgeoises, au bruit des Tambours & des Trompettes, & estant arrivez au milieu de la grande Place, vis à vis la Vicomté, dont la porte estoit ornée d’un arc de triomphe, avec les Armes de Mr & de Madame de Merinville, prenant chacun un flambeau, aprés les ceremonies ordinaires, ils allumerent le Feu que l’on avoit préparé, & auprés duquel les Milices firent leur décharge, qui fut suivie du canon & d’autres Feux d’artifice.

[La connoissance des Genres François, tirée de l’usage & des meilleurs Auteurs de la Langue] §

Mercure galant, juin 1695 [tome 6], p. 228-229.

Mr Richelet vient de mettre au jour un Livre nouveau, intitulé, La Connoissance des Genres François, tirée de l’usage & des meilleurs Auteurs de la Langue. Il y a peu de Livres qui doivent faire plus de plaisir au Public, & particulierement aux gens de Lettres, parce qu’il y a plusieurs noms dans nostre Langue dont on a de la peine à sçavoir le genre, quand on a dessein de faire paroistre quelque Ouvrage. Ainsi l’on est redevable à Mr Richelet, qui par celuy qu’il vient de donner, épargne le temps qu’on estoit obligé de perdre en recherches, que l’on faisoit quelquefois inutilement.

[Prix proposez par Mrs de l’Academie des Jeux Floraux de Toulouse] §

Mercure galant, juin 1695 [tome 6], p. 239-247.

Comme le Public a interest de sçavoir les sujets que la pluspart des Academies de France proposent pour les Prix qu’elles distribuent chaque année en de certains temps, on ne sera pas fâché de voir dans vostre Province ce que contient un Imprimé de Toulouse qui m’a esté envoyé. En voicy les termes.

L’Academie des Jeux Floraux de Toulouse, à laquelle le Roy vient d’accorder de nouveaux privileges, fait sçavoir au Public qu’on y distribuera toutes les années, le 3. de May, quatre Prix ou Fleurs.

Le premier sera une Amarante d’or, de valeur de quatre cens livres, pour une Ode.

Le second sera une Violette d’argent, de valeur de deux cens cinquante livres, qui sera adjugée à un Poëme de soixante Vers au moins, & de cent Vers au plus, tous Alexandrins & suivis, ou à rimes plates, dont le sujet sera heroïque.

Le troisiéme sera un Soucy d’argent, du prix de deux cens livres ; on le donnera à une Elegie, à une Eglogue, ou à un Idille. Le sujet de toutes ces Pieces de Poësie sera au choix des Auteurs. A l’égard des Vers, ils doivent estre reguliers, & n’avoir rien de burlesque, de satirique, ny d’indecent.

Le quatriéme sera une Eglantine d’argent, du prix de deux cens cinquante livres, qui sera adjugée à une Piece de Prose d’un quart d’heure, ou d’une petite demi heure de lecture, dont l’Academie des Jeux Floraux publiera toutes les années le sujet, qui sera pour l’année prochaine 1696. Du bon usage de la parole.

Toutes les personnes, de quelque qualité & pays qu’elles soient, de l’un & de l’autre Sexe, pourront aspirer aux Prix. Les Ouvrages qu’on reconnoistra avoir déja paru en tout, ou en quelque partie considerable seront rejetez. Les Auteurs qui prétendront aux Prix, feront remettre leurs Ouvrages dans tout le mois de Janvier de l’année 1696. lequel expiré on n’en recevra plus. Il faudra qu’on s’adresse à Mr Lafaille. Secretaire perpetuel des Jeux Floraux, qui loge prés la Place de S. Georges. Les Auteurs ne se feront point connoistre avant la distribution des Prix. Ils ne signeront point leurs Ouvrages, mais se contenteront d’y mettre un Paraphe & une Sentence. Le Secretaire des Jeux en écrira la reception sur un Registre, où il mettra le nom, la qualité, & la demeure des personnes qui luy auront délivré les Ouvrages, lesquelles personnes signeront le Registre, & en recevront un extrait en forme de recepissé, signé du Secretaire. Les Auteurs seront obligez de luy fournir trois copies pareilles & bien lisibles de chacun de leurs Ouvrages. L’aprés-midy du 3. jour de May on distribuera les Prix aux Auteurs mesmes, s’ils sont presens ; ou, s’ils sont absens, à ceux qui auront charge d’eux. On les désignera par la Sentence qu’ils auront mise au bas de l’Ouvrage. Aprés ils seront tenus de montrer le recepissé du Secretaire des Jeux, & de se faire connoistre en recevant les Fleurs ; aprés quoy on leur donnera, ou à ceux qui auront charge d’eux, les attestations, portant qu’un tel, une telle année, pour un tel Ouvrage par luy composé, a remporté un tel Prix, & l’Ouvrage en original y sera attaché sous le contreseel des Jeux. Un mesme Auteur ne pourra neanmoins avoir le même Prix que trois fois en sa vie ; mais il pourra les avoir tous ou plusieurs en une mesme année.

Ceux qui obtiendront les Prix, ne seront point tenus de faire aucun autre remercîmentI.

Celuy qui aura remporté trois Prix, l’un desquels doit estre l’Amarante, pourra obtenir des Lettres de Maistre, & il sera toute sa vie du Corps des Jeux Floraux, avec droit d’assister & d’opiner comme Juge avec le Chancelier, les Mainteneurs, & les autres Maistres, aux Assemblées publiques & particulieres, qui regarderont le jugement des Ouvrages, & l’adjudication des Prix.

Ceux qui voudront parfaitement s’instruire de l’origine des Jeux Floraux. & des nouveaux Statuts que Sa Majesté a voulu ajoûter à ses Lettres Patentes, le pourront estre par le Recueil des Pieces concernant les Jeux Floraux de Toulouse, qu’on va donner au Public. On verra dans ce Recueil, qui sera de l’Impression du Louvre, quelles sont les occupations ordinaires de cette Academie, & quelle sera l’exactitude avec laquelle on procedera à l’examen des Ouvrages qu’on luy adressera.

[Reception de Mr l’Abbé de Clerembaud à l’Academie Françoise] §

Mercure galant, juin 1695 [tome 6], p. 263-270.

La mort de Mr de la Fontaine ayant laissé une place vacante à l’Academie Françoise, cette celebre Compagnie l’a remplie avec l’agrément de Sa Majesté, par le choix qu’elle a fait de Mr l’Abbé de Clerembaud. Sa profonde érudition, & la connoissance parfaite qu’il a de l’Histoire, ont esté des titres qu’elle a plus considerez en luy, que l’éclat de sa naissance. Il est Fils de Philippes de Clerembaud, Comte de Palluau, Chevalier des Ordres du Roy, Maréchal de France, Gouverneur & grand Bailly de Berry, & de Loüise-Françoise le Bouthillier, Fille aisnée de Leon Comte de Chavigny, Secretaire d’Estat ; Petit-fils de Jacques de Clerembaud, & de Loüise Rigault de Millepié, & arriere-Petit-fils de Hardy Sr de Chantebuzan, issu d’un Puisné des Seigneurs de la Plesse & du Plessis-Clerembaud. Mr le Mareschal de Clerembaud son Pere, ayant porté les armes dés son jeune âge, se trouva au Combat du Thesin en 1636. au Siege de Landrecy en 1637. & se signala en 1640. à l’attaque des Lignes d’Arras. Aprés s’estre distingué en plusieurs autres occasions, comme au Combat de Fribourg en 1644. aux Sieges de Thionville, Philisbourg, Courtray, Dunkerque, la Bassée, il fut Lieutenant General des Armées du Roy, qu’il commanda aux Sieges d’Ypres & de Bellegarde. Sa Majesté le fit Maréchal de France en 1653. & Chevalier de ses Ordres en 1661. & il mourut à Paris en 1665. âgé de cinquante neuf ans.

Mr l’Abbé de Clerembaud vint prendre sa place à l’Academie le Jeudy 23. de ce mois, & fit connoistre par l’excellent Discours qu’il y prononça, qu’elle ne s’estoit point trompée en le choisissant comme un homme qui avoit toutes les qualitez qu’on peut souhaiter dans un Academicien. Il éleva les graces originales qui sont dans tous les Ecrits de Mr de la Fontaine, dont il remplissoit la place, & dit que s’il s’estoit quelquefois oublié dans quelques Contes trop libres, qui luy estoient échapez contre son intention, & peut-estre même sans y penser, ce qui est fort vray semblable, si on examine son caractere, il avoit effacé ces sortes de fautes par le regret qu’il en avoit témoigné dans les dernieres années de sa vie. Je ne vous dis rien du tour fin & délicat qu’il donna aux Eloges des trois Protecteurs qu’a eus l’Academie, & sur tout à celuy du Roy, dont le regne est une matiere inépuisable pour le Orateurs. Vous sçavez ce qu’on peut attendre d’un homme vrayment éloquent, & vous pouvez là dessus donner le champ libre à vos idées. Mr Rose, President en la Chambre des Comptes, & Secretaire du Cabinet, soutint noblement la qualité qu’il avoit de Directeur de la Compagnie. Il marqua en peu de mots le plaisir qu’elle se faisoit de recevoir dans son Corps un aussi digne Sujet que Mr l’Abbé de Clerembaud, à qui il representa que la place qu’il commençoit d’occuper, le mettoit dans une obligation particuliere de consacrer ses heureux talens à la gloire d’un Roy, dont les grandes actions faisoient l’admiration de toute la terre, & qui estoit encore plus de cœur que de titre Roy veritablement tres-Chrestien. Ce que je vous dis n’est ny dans l’ordre, ny dans les termes qu’il fut prononcé. Ces Discours devant estre donnez au Public, selon la coutume, vous feront voir quand vous les lirez, combien l’Assemblée nombreuse qui se trouva ce jour-là au Louvre, en dut estre satisfaite. Aprés qu’ils eurent esté prononcez, Mr Charpentier, Doyen de l’Academie, leut une Piece fort éloquente, qu’il a adressée à Mr l’Evêque de Noyon, & qui traite de l’utilité des Exercices Academiques. Vous connoissez ses rares talens, & je n’ay rien à vous en dire de plus.

[Nouvelles de Catalogne] §

Mercure galant, juin 1695 [tome 6], p. 325-326.

 

Nos Ennemis crient victoire lors qu’ils ne sont battus qu’à demy. Ainsi le Roy d’Espagne a esté en pompe faire chanter le Te Deum à Nostre-Dame d’Atoche, parce qu’il n’est entré dans Castelfollit que la moitié du Convoy qui avoit esté préparé pour le ravitailler. L’Armée du Roy s’assemble à une lieuë & demie de Gironne, afin d’estre plus en état de pourvoir cette Place de toutes les choses dont elle pourroit avoir besoin. Celle des Ennemis s’assemble à Blanes. Mr de Vendosme, qui s’est abouché à Perpignan avec Mr de Noailles, y doit estre arrivé il y a quelque temps.

Air nouveau §

Mercure galant, juin 1695 [tome 6], p. 330-331.

Je finis par les paroles de l'Air nouveau que j'ay accoutumé de vous envoyer gravé tous les mois.

AIR NOUVEAU.

L’Air [doit regarder] la page 330.
Que vostre constance a de charmes,
Doux Printemps vous ne changez jamais,
Vostre retour ne cause point d'allarmes,
Et j'entends dire à tous, mes vœux sont satisfaits.
Helas, helas, faut-il que moy seule soupire,
Dans ces beaux jours remplis d'attraits,
Pour un Ingrat qui fait tout mon martyre,
Qui n'est pas comme vous, qui ne changez jamais.
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