1695

Mercure galant, septembre 1695 [tome 9].

2017
Source : Mercure galant, septembre 1695 [tome 9].
Ont participé à cette édition électronique : Nathalie Berton-Blivet (Responsable éditorial), Anne Piéjus (Responsable éditorial), Frédéric Glorieux (Informatique éditoriale) et Vincent Jolivet (Informatique éditoriale).

Mercure galant, septembre 1695 [tome 9]. §

[Galanterie] §

Mercure galant, septembre 1695 [tome 9], p. 28-40.

La galanterie qui suit est d’un Cavalier que l’amour a rendu Poëte, & qui s’estant trouvé la derniere fois aux Eaux de Bourbon, plus pour son divertissement que par le besoin qu’il avoit d’en prendre, prit de l’attachement pour une Dame d’un fort grand merite, à laquelle il écrivit cette Lettre mêlée de Vers & de Prose.

À MADAME D***

Iris, je vous ay veuë, & c’est assez vous dire
Que l’Amour veut enfin que pour vous je soupire.
Les traits que vos beaux yeux font par tout redouter,
Ne sont point de ces traits que l’on puisse éviter.
En vain ce libre aveu tient vostre ame alarmée.
Je suis né pour aimer, & vous pour estre aimée ;
Et par les nœuds secrets d’un mutuel accord,
C’est à chacun de nous à remplir nôtre sort.
Vos rigueurs contre moy seroient de foibles Armes,
En feriez-vous briller moins d’attraits, moins de charmes ?
Et pour fuir ces rigueurs quels que fussent mes soins,
Estant belle toujours, vous aimerois-je moins ?
Croyez moy, la revolte est toûjours condamnée.
N’allons ni vous ni moy contre la destinée,
Et tâchons d’éviter ce qu’on court de hazard,
A rejetter son ordre, ou se rendre plus tard.
C’est sans aucun regret, IRIS, que je vous aime,
Faite pour estre aimée, agréez-le de mesme.
Tous deux avec l’Amour tâchons d’en bien user,
Et ne l’obligeons point à nous tyranniser.
Qui l’eust creu, quand j’estois Maistre encor de mon ame,
Que le sejour des Eaux m’en seroit un de flame,
Et qu’ainsi tout d’un coup, par un charme vainqueur,
Où l’on guérit les corps, on deust blesser mon cœur ?
C’en est fait, je me rends, mais du moins quand je cede,
La cause de mon mal peut estre mon remede.
Je l’ay pris à vous voir, & quel qu’en soit le cours,
Je seray soulagé, si je vous vois toûjours :
Mais n’en consultez point ce doucereux Critique,
Ce grand Speculatif en fausse politique
Qui toûjours réservé, toûjours misterieux,
A peine à vous laisser la liberté des yeux.
Si son qu’en dira-t’on empesche qu’on vous aime,
Vous voyant sans Amant, qu’en direz-vous vous-mesme,
Et que vous servira d’avoir avec le jour,
Receu l’heureux talent de donner de l’amour ?
De ses froides leçons fuyant l’indigne piege,
Joüissez malgré luy d’un si beau privilege,
Et prenant sur mon cœur un pouvoir absolu,
Veüillez ce que de vous le sort a resolu.

Je sçay bien, Madame, que c’est prendre quelque soin de mon repos, que vous obstiner à vouloir que je regle sur les termes de la bonne amitié l’ardente passion que vous m’avez inspirée. Vous estes faite d’une maniere à ne laisser jamais vos esclaves en pouvoir de rompre leurs fers, & je conçois aisément qu’il n’y a rien de plus dangereux que de vous abandonner sa liberté sans réserve.

 L’amour que j’ay pour vous par mille inquietudes
M’a fait déja sentir ce qu’il m’en doit couter,
Et sur un ton bien haut vous me ferez chanter,
 Si je m’en rapporte aux préludes.
Dans la mer où je vogue il est mille rochers.
Dont pasliroient les plus hardis Nochers ;
Mais la peur d’y perir trouble peu mon courage.
Mon cœur sous les dangers s’enfle d’un noble orgueil,
 Et par la beauté de l’écueil
 Il fait vanité du naufrage.

Ainsi, Madame, laissons, s’il vous plaist, les choses au point où elles sont ; si mes chaînes sont trop lourdes à porter, vous me les verrez traîner avec joye, & il n’y a rien de si déterminé de ma part, que l’hommage éternel de ma servitude.

De mes maux je voy le gouffre,
Et qu’avant que d’en mourir,
Ce qu’il me reste à souffrir
Passera ce que je souffre :
Mais quel que soit le tourment
Qui m’attende en vous aimant,
Il n’a rien que j’apprehende.
Je me plais dans mes ennuis,
Et tout battu que je suis
Je veux bien payer l’amende.

Comme il n’y a des peines que pour moy, il me semble que le scrupule vous prend mal à propos. Ce que vous appellez amitié qui ne tire point à consequence, a des langueurs bien incommodes, & je doute fort que vous les ayez examinées, quand il vous a pris envie de l’établir entre nous.

Agissons de bonne foy,
La main sur la conscience,
L’amitié sans consequence
Est-elle de bon alloy,
Pour qui, comme vous & moy,
En connoist la nonchalance ?
Si sous ce terme adoucy
De quelque amoureux soucy
L’on tient l’intrigue secrete,
Le terme vous est permis ;
Mais, de grace, estes-vous faite
Pour n’avoir que des Amis ?

Non, Madame, vous estes trop belle & trop aimable pour consentir à n’estre pas toujours aimée de la plus noble maniere dont on puisse aimer ; & les charmantes qualitez qui vous donnent tant d’avantages parmy celles de vostre sexe, me sont trop connuës, pour me laisser jamais en estat d’affoiblir le parfait amour que je vous ay voué. D’ailleurs,

 Aprés avoir, sans m’en rien dire,
 Rangé mon cœur sous vostre empire,
Si de ses soins jamais vous vous lassez,
 Pour m’obliger à le reprendre,
 Croyez-vous que ce soit assez
 Que vous offrir à me le rendre ?

Il est juste que vous le gardiez, puis que vous en avez fait vostre conqueste, & il n’y auroit point de tirannie pareille à la vostre, si vous prétendiez l’assujettir à se détacher des sentimens passionnez qui l’attachent tout à vous. Ne faites point là-dessus un essay du pouvoir que vous avez sur luy. Aussi bien ce seroit un ordre fort inutile que celuy qu’il en recevroit, & il ne pourroit produire autre chose, qu’un secret dépit de l’injuste contrainte que vous m’en voudriez imposer.

Quand deux beaux yeux de leur gloire jaloux,
 Etalent tout ce qui peut plaire,
 Un pauvre cœur qui les revere,
 Est obligé de filer doux,
 Et pour luy, quoi qu’il puisse faire
 Pour se défendre de leurs coups,
 L’amour est un mal necessaire.
A voir le vif éclat de vos divins attraits,
 J’en prens plus qu’on n’en prit jamais
 Chaque fois que je vous regarde :
 Comme il naist de vostre beauté,
 S’il vous déplaist que je le garde,
 Ostez m’en la necessité.

C’est ce que vous ne sçauriez faire, puis qu’il n’est point en vostre pouvoir de n’estre pas la plus aimable de toutes les Femmes ; mais comme il n’est pas moins hors du mien de cesser d’estre le plus amoureux de tous les hommes,

Ne corrigeons rien aux Planetes,
Par qui nos jours semblent conduits.
Soyez toujours ce que vous estes,
Et moy toujours ce que je suis.

[Allegorie] §

Mercure galant, septembre 1695 [tome 9], p. 67-72.

Vous ne serez pas fâchée d’apprendre des nouvelles de la guerre. Je ne vous en diray pourtant que d’Allegoriques, qui serviront à vous divertir. Voicy ce qui s’est trouvé dans la Lettre d’un Officier, dont il n’est pas necessaire de vous apprendre le nom.

Nostre General la Raison, irrité des dégasts que l’Amour fait dans son pays depuis quatre mois, a pris enfin la resolution de le combattre & de le chasser. Pour cet effet, nous nous mismes en campagne le 17. de ce mois, avec nos meilleures Troupes. Aprés quelques jours de marche un Deserteur des Ennemis vint se rendre, & nous apprit que l’Amour fatigué de ses courses, se reposoit dans la Vallée du Chagrin, à une petite lieuë de nostre Camp, en attendant son Armée que le pillage avoit dispersée, & qu’il n’estoit accompagné que des Regimens des Pleurs, de la Constance, & de l’Esperance. Sur cet avis la Raison fit partir à l’entrée de la nuit un Sergent avec quinze Grenadiers du Regiment de Dépit mortel, pour aller aux nouvelles. Nous nous mismes en marche presque en mesme temps. Nostre Sergent nous confirma le rapport du Deserteur, & nous assura que tout paroissoit tranquille dans le Camp de l’Amour, quoy que l’on y vist beaucoup de feux. Aussi-tost la Raison rangea son Armée en Bataille. Dépit mortel commandoit nostre Aîle droite, & Transport jaloux, l’Aîle gauche. Nous marchâmes en cet ordre aux Ennemis, & nous les chargeâmes vivement à la pointe du jour. Je ne vous feray point le détail de cette action, je vous diray seulement que tout l’honneur a esté de nostre costé, & que nous eussions infailliblement fait l’Amour prisonnier, si son Regiment de l’Estime ne fust arrivé fort à propos pour luy. Ce secours imprévû nous étonna, & nous empescha de poursuivre nostre Victoire. Nous nous retirâmes donc le soir dans nostre Camp en bon ordre, & sans avoir perdu aucun Officier de marque. Dépit mortel & Transport jaloux ont fait des prodiges, & nostre General est charmé de la valeur de ces deux Braves Etrangers. Voicy ce que nous sçavons de la perte des Ennemis.

La Constance blessé & fait prisonnier, son Regiment entierement défait. Des Pleurs, Brigadier d’Infanterie, legerement blessé au coin de l’œil, son Regiment défait. L’Esperance blessé à mort, son Regiment taillé en pieces. L’Estime a reçû une legere contusion d’un éclat de soupçon. On dit que ce ne sera rien, mais que les moindres coups sont dangereux dans la Canicule. Son Regiment n’a point souffert. Adieu, mon Amy, je suis fatigué du Combat, & vais me coucher. Je te manderay demain quelque chose de nouveau. l’Insensible Du Camp de la Raison, le 24. Juillet.

[Elegie] §

Mercure galant, septembre 1695 [tome 9], p. 72-81.

Rien n’est si cruel que de perdre ce qu’on aime, vous en jugerez par les choses tendres & passionnées que vous trouverez dans l’ouvrage dont je vous fais part.

ELEGIE.

Dans l’aimable Saison qu’une verte peinture
Orne les bois, les champs, embellit la nature,
Que le Soleil brillant d’une plus vive ardeur
Donne une ame nouvelle à la plus riche fleur ;
Sur le bord d’un ruisseau dont les eaux argentines
Conservent la fraischeur de deux Costes voisines,
L’esprit libre de soins, & le cœur sans amour,
J’écoutois les concerts des oiseaux d’alentour,
Quand du pied d’un vieux Saule une voix affoiblie,
Vint troubler par ces mots, leur douce melodie.
 Doux Chantres de nos bois, animaux innocens,
Allez flatter plus loin l’oreille des passans ;
Faites dans le chagrin où mon ame se noye,
Un plus heureux mortel témoin de vostre joye,
Ou si vous demeurez dans les lieux où je suis,
Daignez, petits oiseaux, partager mes ennuis.
Angelique n’est plus ; une fiévre cruelle
A l’ardeur de mes feux a ravi cette Belle.
Et l’injuste destin, jaloux de mon bonheur,
A fait depuis deux jours cette playe à mon cœur.
Helas ! combien de fois assis sous ces ombrages,
Avons-nous admiré vos differens ramages !
Helas ! combien de fois dans ces Valons cheris,
Brûlâmes nous des feux dont vous estiez épris !
Nous y passions les jours à payer nos tendresses,
De tout ce qu’ont de doux d’innocentes caresses,
Et dans tous les plaisirs que vous pouviez goûter,
Nous n’avions autre soin que de vous imiter.
Ce temps, cet heureux temps, trop tost suivi d’un autre,
Rend mon sort aujourd’huy bien different du vostre.
Amoureux & contens, tout répond à vos vœux,
Vous vous applaudissez du bonheur de vos feux,
Tandis que nuit & jour l’ame aux ennuis ouverte,
Je suis à soupirer, effrayé de ma perte.
Infortuné Tircis, Angelique n’est plus.
Ah ! mes plaisirs passez, qu’estes vous devenus ?
Et toy, Tyran des cœurs, Amour impitoyable,
Que ne la faisois-tu moins belle, & moins aimable ?
Ou si tu luy donnois ce trait toûjours vainqueur,
Pourquoy ne l’armer pas d’une froide rigueur ?
Mais non, cette Beauté digne d’estre éternelle
Avoit pour moy l’ardeur que je sentois pour elle,
C’est icy qu’animé d’un rayon de ses yeux,
Je méprisois les biens de la terre & des cieux.
C’estoit sur ce gazon qu’elle aimoit à m’entendre
Luy jurer un amour aussi constant que tendre,
Et que dans ses regards elle me laissoit voir
Ce que mon feu sur elle avoit pris de pouvoir.
Si la Parque funeste au repos de ma vie,
Dans la fleur de ses ans ne me l’eust pas ravie,
Beaux lieux vous nous verriez au gré de nos desirs
Toujours de nostre amour faire tous nos plaisirs,
Mais la nuit du tombeau la derobe à ma vûë,
Ah ! ma chere moitié, qu’estes-vous devenuë !
Je ne vous verray plus, mon malheureux espoir
Ne sçauroit se flater du bien de vous revoir,
Et de ce beau sejour la retraite tranquille,
Ne nous prestera plus son charitable azile.
Encore si vostre Ombre attentive à ma voix
Pouvoit se rendre icy pour la derniere fois,
Qu’elle pust un moment s’asseoir sur cette couche,
Que je pusse imprimer un baiser sur sa bouche !
Mais elle suit du sort l’implacable courroux,
Qui veut qu’elle me soit plus cruelle que vous.
Ô toy, charmant Ruisseau, qui murmures sans cesse,
Suspens un peu ton cours, tu n’as rien qui te presse.
Avant que du Soleil les feux soient amortis,
Tu te vas reposer dans le lit de Thetis.
Sensible à ma douleur, dans ton sein pacifique,
Fais moy, petit Ruisseau, retrouver Angelique ;
Sous ce saule ombrageux, voisin de ces roseaux,
Nous avons vû cent fois son portrait dans tes eaux.
Mais loin de soulager ma tristesse profonde,
Je ternis par mes pleurs le cristal de son onde,
Et moy-mesme, ennemy de mon contentement,
Je donne de la force à son foible panchant.
Va, cours, dis à la Mer … Sa poitrine oppressée
Refusa de donner le jour à sa pensée,
Et son amour ardent par de derniers efforts,
Détacha son esprit des liens de son corps.
 De ces lieux désolez deux Nimphes boccageres,
Couvertes tristement de mousse, & de fougeres,
Vinrent d’un pied leger au bord de ce Ruisseau,
Et de leurs belles mains creuserent son tombeau.
Pour garder de son nom une longue memoire,
Elles eurent le soin d’y graver son histoire,
Et les oiseaux touchez de ses cuisans soucis
Chanteront aux Ecos l’infortuné Tircis.

[Histoire] §

Mercure galant, septembre 1695 [tome 9], p. 81-112.

On voit tous les jours arriver des choses entierement éloignées de ce qu’on a crû qui devoit estre ; mais jamais peut-estre il n’y a rien eu de plus extraordinaire que ce que je vais vous dire d’un Cavalier sage & plein de raison, à qui l’usage du monde avoit fait faire de grandes experiences. Il estoit âgé de trente cinq ans, & comme il joignoit beaucoup de bien à toutes les qualitez qui font l’honneste homme, il s’estoit offert plusieurs Partis dont il n’avoit pû s’accommoder. Aprés avoir examiné à loisir la diversité des caracteres des Femmes, il entendit parler avec beaucoup d’avantage de l’union de deux jeunes Sœurs qui sembloient n’avoir qu’une volonté, & qui vivoient sous la conduite d’une aimable Mere, qui s’étoit acquis d’autant plus d’estime, qu’estant demeurée Veuve à vingt ans, elle avoit refusé divers Partis considerables, pour se donner toute entiere au soin de bien élever ses Filles. Comme elle avoit trouvé dans l’une & dans l’autre un excellent naturel qu’il n’avoit fallu que cultiver, elle y avoit parfaitement réussi, & leur docilité à la croire sur tous les avis qu’elle leur donnoit, jointe à leurs bonnes inclinations les rendant dignes de tout son attachement, il s’estoit formé entr’elles une tendresse reciproque qui n’étoit distinguée à l’égard des Filles que par le respect qu’elles avoient pour leur Mere. Le Cavalier trouva moyen d’avoir accés dans cette maison, & il fut charmé de tout ce qu’il remarqua de noble & de peu commun dans ces trois personnes. La Mere estoit encore assez jeune & tres-bien faite ; & si elle n’avoit pas ce vif éclat que donnent les belles années, elle conservoit de la beauté dans ses traits ; & d’ailleurs il y avoit un tel agrément dans son esprit, qu’on ne pouvoit jamais s’ennuier en la voyant. L’aînée de ses Filles estoit dans sa dix septiéme année. C’estoit une Blonde aimable ; enjoüée, qui avoit en toutes choses des expressions heureuses, & qu’on écoutoit toujours avec plaisir. La Cadette qui estoit Brune, & moins âgée d’un an que sa Sœur, avoit quelque chose de plus doux, & dans son esprit & dans son visage, & quoy qu’elle fust d’une humeur plus serieuse, ses manieres étoient si piquantes, qu’il estoit bien mal aisé de ne s’y pas rendre. La politesse & l’honnesteté estoient égales dans l’une & dans l’autre, & le Cavalier ne put les voir si bien élevées sans donner mille loüanges à celle qui avoit pris soin de leur éducation. Comme il remarquoit qu’elle leur donnoit l’exemple sur toutes les bienseances, il eut pour elle une estime singuliere ; & la Mere qui le connut bien-tost pour un homme avec qui il y avoit beaucoup à profiter, soit pour l’esprit, soit pour la pratique du monde, ne fut pas fâchée qu’il s’attachât à ses Filles, avec qui il avoit souvent en sa presence des conversations vives & fort agreables. Insensiblement il se rendit familier en cette maison, & la Mere ne se plaisoit pas moins à le voir que ses deux Filles. Leur sagesse & l’amitié tendre qu’elles se marquoient l’une à l’autre en toutes sortes d’occasions, furent des charmes pour luy qui l’engagerent à une assiduité extraordinaire. Il entretenoit tantost l’Aînée, tantost la Cadette, selon que le hazard les luy faisoit rencontrer separément, & on remarquoit à ses manieres qu’il estoit toujours également satisfait. Cependant comme ses visites commençoient à faire bruit sans que l’on pust démesler de laquelle il estoit le plus touché, de la Blonde ou de la Brune, la Mere se crut obligée de le faire déclarer, afin que s’il n’en vouloit à aucune d’elles, il s’accoutumast à estre moins assidu, & qu’il se bornast pour elles aux simples devoirs d’Amy. Le Cavalier qui connut bien qu’il falloit parler, se trouva dans un fort grand embarras. Il convint que l’interest de ses filles demandoit qu’il s’expliquast ; & il assura d’abord sa Mere, que si elle vouloit l’accepter pour Gendre, il estoit prest de la contenter sur cet article ; mais en même temps il luy avoüa qu’ayant découvert dans ses deux Filles mille qualitez aimables qui l’avoient charmé, il n’avoit pû s’empêcher de les aimer toutes deux, & que ne voulant se marier que pour posseder entierement le cœur de la personne qu’il épouseroit, il la conjuroit de pressentir laquelle de la Blonde ou de la Brune seroit la plus disposée à estre sensible à son amour. Il ajoûta qu’il ne les vouloit contraindre ny l’une ny l’autre ; que la disproportion de son âge au leur pouvoit leur donner quelque éloignement pour cette alliance, & que s’il estoit assez heureux pour estre veritablement aimé de l’une d’elles, il n’auroit aucune peine à conclure si tost qu’on l’en auroit assuré. La Mere se trouva embarrassée à son tour par cette réponse. Le Cavalier estoit un Party avantageux qu’elle voyoit n’estre pas à negliger. Il falloit satisfaire sa délicatesse sur ce qu’il ne vouloit point d’engagement qu’il ne fust seur d’estre aimé, & l’égalité de sa tendresse pour ses Filles, dont l’âge estoit fort peu different, la portoit à ne vouloir rien résoudre qu’aprés qu’elle auroit connu de quelle maniere chacune avoit le cœur disposé pour le Cavalier. Elle parla d’abord à l’Aînée, qui voyant un établissement considerable dans ce mariage, ne balança point à vouloir le ceder à sa Cadette. Ainsi elle assura aussi-tost sa Mere qu’elle connoissoit ses plus secrets sentimens, & qu’elle luy avoit vû un si fort panchant pour le Cavalier, qu’elle ne pouvoit douter que sa perte, s’il arrivoit qu’il luy échapast, ne luy fust un coup sensible ; qu’à son égard il ne falloit point apprehender qu’elle se fist une peine de voir marier sa Cadette la premiere ; qu’au contraire, comme elle l’aimoit tres-tendrement, elle seroit ravie qu’on fist réussir la chose à son avantage ; & qu’elle en auroit d’autant plus de joye, qu’elle ne se sentoit rien pour le Cavalier qui passast l’estime, & que si on la vouloit obliger à l’épouser, l’inclination y auroit bien moins de part que l’obéissance. La Mere luy dit en l’embrassant qu’elle ne luy ordonneroit jamais rien sur le mariage qui fust contraire aux sentimens de son cœur, & sans approfondir davantage si elle parloit sincerement, elle l’envoya à sa Cadette, la chargeant du soin de ménager l’affaire avec elle. Cette aimable Fille parla la mesme langue à sa Sœur, & sa Cadette trompée par la fausse indifference qu’elle témoigna pour le Cavalier, ne fit point difficulté de luy avouër, que ses belles qualitez avoient fait assez d’impression sur son cœur, pour luy faire écouter avec plaisir la proposition qui luy estoit faite, mais elle luy dit en mesme temps que si absolument elle vouloit renoncer à luy, ce qu’elle avoit peine à luy conseiller, parce qu’il estoit fort riche & tres-honneste homme, la tendresse qu’elle avoit pour elle, & ce qu’elle luy devoit comme à son Aînée, ne permettoient pas qu’elle consentist à l’épouser, qu’il ne se fust presenté pour elle un party qui luy convinst. Ce combat d’honnesteté obligea la Mere à dire que si l’inclination de l’une & de l’autre estoit pareille pour le Cavalier, il seroit juste que l’on preferast l’aînée, mais qu’il falloit craindre que leur contestation ne le blessast en luy marquant trop d’indifference, & que le party luy sembloit assez avantageux pour ne se pas arrester aux formalitez accoutumées. Le Cavalier qui sceut quelque chose de ce qui les empeschoit de se déclarer, fit à la mere une plainte délicate, & dit qu’il voyoit regner beaucoup d’amitié entre ses Filles, mais qu’il remarquoit peu d’amour pour luy. Cependant la dispute des deux Sœurs ne finissoit point. L’Aînée qui avoit connu que sa Cadette aimoit veritablement le Cavalier, se montroit toujours indifferente, & la Cadette disoit que quand il seroit certain que sa Sœur fust telle pour luy qu’elle vouloit le paroistre, la bien-seance luy deffendoit de se marier avant son aînée. Ce droit d’aînesse estant le plus grand obstacle qui se presentast, la charmante Blonde se crut obligée de le lever, ce qu’elle fit en se retirant dans un Convent, d’où elle détermina de ne point sortir qu’elle n’eust veu sa Cadette mariée. Sa retraite leur ayant fait croire à tous qu’elle n’étoit attachée au Cavalier que du costé de l’estime, on pensa serieusement à faire le mariage qui la devoit mettre en estat de revenir. Le Cavalier convaincu de n’en estre point aimé, par la resolution qu’elle avoit prise, réunit pour une seule les sentimens de tendresse qu’il sentoit auparavant pour toutes les deux, & la Cadette ne luy cachant plus qu’il pouvoit tout sur son cœur, il s’abandonna si fort à sa passion, qu’il pressa la Mere de terminer promptement la chose. Déja le jour estoit arresté pour la conclurre, & l’Aînée toujours devouée aux interests de sa Sœur, avoit promis de se trouver à la feste, quand cette Sœur qui se devoit marier deux jours aprés, sentit tout d’un coup de grandes douleurs suivies d’accidens qui dénotérent d’abord une dangereuse maladie. Le mal se déclara dés le lendemain pour la petite verole, & ce fut une affliction extraordinaire pour la Mere. Le Cavalier qui la partagea tres-sensiblement, tâcha de la consoler en l’assurant que quelque changement qui arrivast au visage de sa Fille, comme il n’en pouvoit arriver aucun ny à son cœur ny à son esprit, il seroit toûjours empressé également à la vouloir épouser. L’Aînée ayant eu cette fâcheuse nouvelle, pressa beaucoup pour sortir de son Convent, afin de venir assister sa Sœur, mais la Mere qui craignoit le mesme malheur pour elle, ne le voulut point souffrir. Le mal devint d’une violence qu’aucun remede ne put appaiser & la fiévre estant tres-forte il fut suivy de la mort en quatre jours. Le Cavalier en demeura consterné, & rien ne peut égaler le déplaisir de la Mere. On déguisa d’abord la chose à la Sœur, mais enfin il fallut luy avouër la perte qu’elle avoit faite, & le saisissement qu’elle en eut fut tel, que ne trouvant point de larmes, elle parut comme insensible, & dans un accablement qui luy osta presque la connoissance de toutes choses. Quand elle fut un peu revenuë à elle-mesme, elle se soulagea en pleurant, mais la douleur avoit fait de tels efforts qu’elle n’y put résister. On la mit au lit, & on douta plus d’un mois, si elle seroit plus heureuse que sa Sœur. Il est aisé de juger du triste estat où estoit la Mere, qui, ne pouvant aller voir sa Fille, n’osoit la faire venir chez elle, non-seulement de peur de luy nuire en la faisant transporter, mais à cause du mauvais air dont sa maison luy paroissoit infectée. Elle n’avoit point d’autre consolation que les visites du Cavalier, qui l’aimant autant qu’il l’estimoit, ne la quittoit presque point. Les remedes ayant esté employez avec succés, elle respira enfin sur l’assurance qu’on luy donna que sa Fille estoit sauvée, & ce fut alors qu’elle ouvrit son cœur au Cavalier, en luy demandant pour elle ce qu’il avoit esté prest de faire pour sa Cadette. Il la rendit maîtresse de ses volontez, pourveu qu’elle voulust bien luy laisser le temps de se faire aimer, ne voulant point épouser sa Fille, pour peu qu’elle témoignast de répugnance à y consentir. La Mere se chargea de sçavoir ses sentimens, & quand elle fut tout-à-fait guerie & en estat de se montrer à la grille, ils allérent l’un & l’autre mesler leurs larmes aux siennes. Cette premiere visite fut pleine de douleur, & de regrets, & cette aimable personne ayant témoigné dans deux ou trois autres, des sentimens tres-particuliers de consideration & d’estime pour le Cavalier, la mere souhaita l’entretenir seule, ne doutant point qu’étant prévenuë pour luy aussi favorablement qu’elle l’étoit, elle ne voulust bien déferer à ses conseils, sur le mariage qu’elle souhaitoit. Elle la pria d’envisager les avantages qu’elle recevroit de cette alliance, soit pour le bien, soit pour le repos d’une vie heureuse, & comme il falloit une réponse précise, parce que tout ce qu’elle luy disoit luy estoit connu, sa Fille luy répondit qu’il n’estoit point question de luy peindre le merite du Cavalier pour luy faire voir qu’il meritoit qu’on l’aimast ; qu’elle vouloit bien ne luy plus cacher que son cœur avoit toûjours esté fortement touché pour luy, & qu’elle ne l’avoit cedé à sa Sœur que par un excez d’amitié pour elle, ayant découvert que ce seroit luy faire plaisir. La mere l’interrompit pour luy témoigner la joye qu’elle ressentoit de ces dispositions, qui mettroient le Cavalier hors d’inquietude, sa délicatesse le portant à souhaiter, si elle vouloit se donner à luy, que ce fust sans se faire violence. Sa Fille l’interrompit à son tour, & l’ayant priée de l’écouter jusqu’au bout, elle ajoûta que si elle avoit à se marier, ce seroit au Cavalier préferablement à tout autre, mais que la mort de sa Sœur & la maladie qui luy étoit survenuë ensuite avec danger de mourir, luy avoient fait faire de si serieuses reflections, sur le peu qu’étoient les choses du monde, qu’elle avoit résolu d’y renoncer, & de se donner tout à fait à Dieu. Cette déclaration fut un coup de foudre pour la Mere : mais elle eut beau faire ; ses prieres ny ses pleurs ne la purent obliger à changer de sentiment, & tous les efforts qu’elle employa pendant plus d’un mois furent inutiles. Il fallut enfin lui permettre de prendre l’habit de Religieuse, & on la vit s’acquiter de cette cérémonie avec des marques de joye qu’on ne sçauroit exprimer. Comme on se flate toûjours, la Mere espera que l’austerité du Noviciat la dégouteroit, mais la grace qui la soûtenoit luy donna toûjours de nouvelles forces, & elle fit profession avec le même détachement des vanitez de la terre qu’elle avoit reçû l’habit. Le Cavalier continua de voir la Mere avec de grandes assiduitez, & comme elle luy imputoit un jour de luy avoir ôté une de ses Filles, qui n’auroit jamais songé à entrer dans le Convent, si elle n’eût pas voulu luy faire épouser sa sœur, il luy répondit qu’il ne pouvoit réparer la perte qu’elle prétendoit qu’il luy eût causée, qu’en se donnant tout à elle, & l’épousant elle même, puis qu’il n’avoit pû épouser aucune de ses deux Filles. La Dame se mit à rire de la proposition, & ce qu’elle écouta ce jour là comme une plaisanterie, devint peu de temps aprés une chose serieuse. Le Cavalier qui étoit charmé de sa vertu & de sa conduite, l’avoit aimée, si tôt qu’il l’avoit connuë. Elle avoit encore de la beauté, & ils étoient tous deux du même âge. Il luy remontra si fortement qu’ayant perdu ses deux Filles, elle n’avoit plus les mêmes raisons que l’avoient obligée de renoncer à un second mariage, qu’insensiblement elle se laissa persuader. Le Cavalier étoit revenu de toutes les folles passions qui entraînent la jeunesse, & son humeur douce & complaisante, jointe à une solidité d’esprit peu commune, ne la laissoient pas en état de craindre qu’on pût condamner son choix. Ainsi aprés avoir résisté un peu de temps, elle consentit à être sa femme, & l’on admira la bizarrerie de la destinée, qui ayant rendu le Cavalier amant des deux Filles, dont il sembloit devoir épouser l’Aînée, aprés la mort de sa Sœur, lui avoit fait enfin épouser la Mere.

[Sonnets sur les derniers Bouts-rimez] §

Mercure galant, septembre 1695 [tome 9], p. 139-144.

Voicy encore trois Sonnets, qui ont esté faits sur les derniers Bouts-rimez de Mrs les Lanternistes de Toulouse. Le premier est de Mr Gillet le Fils, Avocat au Parlement de Dijon ; le second de Mademoiselle Chance ; & le troisiéme, de Mr de Schoster.

Quelle aveugle fureur, quelle rage vous guide,
Insolens Ennemis ? en vain de toutes parts,
Vous prétendez pouvoir abbattre nos remparts ;
En faveur de Louis la Victoire décide.
***
Vous l’avez vû cent fois dans sa course rapide,
Par des faits inoüis effacer les Cesars ;
Comme un simple Soldat affronter les hazards,
Et montrer en tous lieux un courage intrépide.
***
Toujours sage & prudent par de nobles emplois,
Il met la foudre en main à ceux, qui sous ses loix,
Vont chercher des lauriers au milieu des tempestes,
***
Rendez-vous, il est temps, mille Peuples divers,
Pour voir un si grand Prince, & grossir ses conquestes,
Sont venus à l’envy du bout de l’ Univers.

II.

LOUIS du monde entier pourroit estre le guide,
Pour voir ce fameux Roy, l’on vient de toutes parts,
Son bras a renversé les plus fermes rempars,
A son gré de la Paix, de la guerre il décide.
***
Le cours de ses hauts faits est si beau, si rapide,
Qu’il vole au Champ de Mars plus loin que les Cesars ;
Remporte la Victoire au milieu des hazards,
Prudent à commander, au combat intrepide.
***
Toujours Grand, toujours juste en ses nobles emplois,
Sa pieté s’applique à maintenir nos loix,
Son foudre est sur la mer plus craint que les tempestes.
***
Monarque eut-il jamais des talens si divers ?
S’il faisoit tous les ans d’aussi belles conquestes,
On le verroit un jour Maistre de l’ Univers.

III.

Suivez encore en vain la fureur qui vous guide
Ennemis obstinez, sortez de toutes parts,
Et revenez en foule au pied de nos remparts,
Attendre avec orgueil que le nombre en décide.
***
Affectez de marcher d’une course rapide,
Figurez-vous d’avoir pour soldats des Cesars,
Et quoy que peu portez à braver les hazards,
Paroissez animez d’un courage intrepide.
***
Louis n’interrompt pas ses augustes emplois,
Et de la mesme main qu’il vous donne ses loix,
Il forme contre vous ses foudres, ses tempestes.
***
Pensez en approchant de ses rampars divers,
Qu’un Heros, tel que luy, sçait garder ses conquestes,
S’il ne veut les ceder pour calmer l’ Univers.

[Traduction de Mr de Senecé] §

Mercure galant, septembre 1695 [tome 9], p. 145-152.

Les Vers que vous allez lire sont de Mr de Senecé. Tous ses Ouvrages sont recherchez, & l’estime que vous m’avez témoigné que l’on en fait dans vostre Province, m’oblige à vous faire part de celuy-cy. C’est l’Imitation d’une Ode Latine de Mr l’Abbé Boutard, à Mr le Cardinal de Boüillon, sur le sejour qu’il fait en sa belle Maison de Pontoise.

Race des Demi-Dieux, & soutien de l’Eglise,
Boüillon, pourquoy brillant de tant de Dignitez,
Préferer à la Cour, de vos vertus éprise,
 Le sejour des champs écartez ?
***
Je n’en suis point surpris. La Maison fortunée
Qui plaist à vostre cœur, & rit à vos regards,
Joüit d’un doux climat, pompeusement ornée
 Par le noble secours des Arts.
***
Augmentez par vos soins & par vostre dépense,
Les gais appartemens sous de superbes toits
Y disputent la grace & la magnificence
 Aux Palais lambrissez des Rois.
***
Là, des premiers Cesars que le monde vit naître
La riche Galerie offre les traits divers,
Où LOUIS les efface, & s’y montre leur Maistre,
 Comme ils l’étoient de l’Univers.
***
Là du grand Godefroy la pieuse victoire,
Dans des Tableaux exquis renaist sous la couleur,
Et dans d’autres Turenne embellit nostre Histoire
 Des miracles de sa valeur.
***
Vous-mesme étincelant dans la Pourpre Latine,
Au milieu des Heros vous tenez vostre rang,
Egal à ces grands noms d’où part vostre origine,
 Digne heritier d’un si beau sang.
***
A quoy bon vous parler du Pinceau salutaire
Qui sauve de l’oubly cent Princes differens ?
De vostre illustre Ayeul, de vostre illustre Pere,
 Dans le marbre encor respirans ?
***
Il vaut mieux celebrer ces charmantes Terrasses,
Ces Jardins suspendus de hauts murs couronnez,
Qui favoris de Flore, & retraite des Graces,
 Toujours de leurs dons sont ornez.
***
C’est là que d’un coup d’œil aux superbes montagnes,
Qui de vous obéir paroissent s’empresser,
Pour vous laisser l’aspect des fertiles campagnes,
 Vous commandez de s’abaisser.
***
Dans un lit transparent l’Oise lente, incertaine,
Baise les murs sacrez de cet heureux sejour,
S’en éloigne à regret, & va dire à la Seine
 Qu’il est l’objet de son amour.
***
La Ville qui reçoit son nom de la Riviere,
Forme un Amphitheatre au sommet d’un costeau,
Et pour se faire voir s’étalant toute entiere
Rit au magnifique Chasteau.
***
Soit pour la promenade, ou pour la rêverie,
Mille ormeaux enlacez prompts à faire leur Cour,
Ont soin de garantir vostre teste cherie,
Des ardeurs de l’Astre du jour.
***
C’est pour vous qu’au Printemps l’agreable Pomone
Répand ses doux parfums dans les airs épurez,
Et courbant ses rameaux vous presente en Automne
 Le choix de ses fruits colorez.
***
Que j’aime la Naïade à vos ordres docile,
Qui pousse en se joüant des torrens de cristal,
Et va morguer la nuë en ondes moins fertile,
 Jusqu’auprès de son lieu natal !
***
D’un Bois impenetrable aux gemeaux de Latone
Les Dryades en Chœurs viennent de tous costez,
A ce front plein de pourpre ajoûter la couronne
 Des Lauriers que vous meritez.
***
C’est vous, Boüillon, c’est vous, dont l’illustre presence
De l’aimable colline entretient la beauté,
Et par tout sous vos pas la tranquille abondance
 Fait naistre la felicité.
***
C’est là que sont par vous, Etranger, Domestique,
Regalez, accueillis d’un air plein de candeur,
C’est là que, de vos champs l’allegresse publique,
 Vous suspendez vostre grandeur.
***
Chacun de vos talens admire l’excellence,
Le sang, l’heureux genie, & l’esprit cultivé,
Charmé de voir en vous à la haute naissance
 Se joindre un cœur plus élevé.

[Ce qui s’est passé à l’Academie Françoise, le jour de S. Louis] §

Mercure galant, septembre 1695 [tome 9], p. 176-177.

Le 25. du mois passé, Mrs de l’Academie Françoise solemniserent, selon leur coutume, la Feste de Saint Loüis, dans la Chapelle du Louvre. Mr l’Abbé Testu-Mauroy, l’un des quarante de ce Corps, celebra la Messe, pendant laquelle on chanta plusieurs Motets de la composition de Mr Oudot. Il réussit à son ordinaire, & la Musique fut trouvée tres-bonne.

Le Rossignol & les Fauvettes §

Mercure galant, septembre 1695 [tome 9], p. 204-209.

Je vous envoye une Fable de Mr Diereville, dont le nom vous est connu par plusieurs Ouvrages d’un bon goust que je vous ay déja envoyez de sa façon.

LE ROSSIGNOL
& les Fauvettes.

 Depuis le retour du Printemps,
 Un Rossignol & deux Fauvettes,
A former à l’envi les plus aimables chants,
 Passoient les jours dans leurs retraites.
Ces Oiseaux tous d’accord, par mille tons divers
 Faisoient retentir les boccages,
Tous les Bergers charmez de leurs tendres ramages,
 Venoient entendre leurs concerts.
Tout leur applaudissoit ; les Nimphes des Fontaines,
Pour les entendre mieux calmoient le bruit des eaux,
Et les Zephirs poussoient de plus douces haleines ;
 Il n’estoit permis qu’aux Echos
 De repeter des chants si beaux.
 Pour les rendre plus agreables,
Le silence regnoit dans ces aimables lieux
Quand un Hibou des plus épouvantables,
Jaloux de ces concerts tendres, harmonieux,
 Y mesla ses cris effroyables.
 Cet horrible & vilain Hibou,
 Caché dans le creux d’un vieux Hestre,
 Et craignant toujours de paroistre,
 Se contentoit de crier par un trou.
 Le Rossignol, loin de se taire,
Dilata son gosier, & par des roulemens,
 Mieux soutenus & plus charmans,
Confondit du Hibou l’audace témeraire.
Ce sot Oiseau de nuit tout bouffi de colere
 D’entendre de si doux accords,
Vient encore à son trou faire des cris plus forts,
Tâche d’imiter l’Asne, & comme luy veut braire.
 Le Rossignol ne se tait pas,
Le Hibou vainement à le troubler s’appreste.
Contre les cris affreux d’une si laide beste,
Les chants n’en ont que plus d’appas.
 Il sçait triompher de sa rage,
 Ses chants sont toujours entendus ;
 Mais les Fauvettes, quel dommage !
Plus timides que luy, ne luy répondent plus.
Par les plus tendres tons sans cesse il les engage
A reprendre les chants qui l’avoient enchanté,
Mais en vain il les presse, il n’est plus écouté :
Il s’en plaint jour & nuit de boccage en boccage.
 Helas, dit-il en son langage,
 Pour elles n’ay-je tant chanté
Que pour estre privé de leur charmant ramage ?
Aprés un beau Printemps, helas ! quel triste Esté
 Vai-je passer dans un lieu si sauvage ?
Estoit-ce là le prix que j’avois merité ?
Dans le cruel ennuy dont il est tourmenté,
Peut-estre en dit-il davantage.
***
 Dans ces Vers reconnoissez vous,
 Ennemis des plaisirs des autres.
 Quand vous en devenez jaloux,
 N’en pouvant pas faire les vôtres,
Et qu’enfin vous troublez des passe-temps si doux,
 N’estes-vous pas de vrais Hibous ?

[La foire de Besons]* §

Mercure galant, septembre 1695 [tome 9], p. 308-312.

Vous me demandez ce que c’est que la foire de Besons, dont vous n’avez jamais oüi parler, & qui a donné lieu à la Comedie qui a esté faite sous ce titre. Il y a eu de temps immemorial une Foire au Village de Besons, au commencement du mois de Septembre. Cette Foire estoit peu connuë à Paris, & la pluspart des Bourgeois qui avoient des maisons, dans les Villages des environs, & de la Noblesse des lieux circonvoisins s’y trouvoient seulement, & le menu Peuple s’y divertissoit à peu prés comme l’on fait à la Foire de Vaugirard. Depuis quelques années les Assemblées y ont augmenté tous les ans, quelques Danseurs de l’Opera, s’y estant trouvez avec de leurs Amis & s’y estant divertis à danser & à faire danser l’Assemblée. Ils y revinrent les années suivantes, avec une plus grosse compagnie, & quantité de leurs écoliers, en sorte qu’il se fit une espece de bal fort rejoüissant. La pluspart y ayant esté masquez, & depuis trois ou quatre années, les Assemblées y ont tellement crû que la confusion y a toûjours fait naistre quelque desordre divertissant. Ce qui a donné lieu à faire une espece de Comedie vaudeville, & comme rien n’est plus couru que ces sortes d’ouvrages, & que cette Comedie s’est trouvée tres-agreable, & tres enjoüée, on y a esté en foule. Tout a concouru à son grand succés, l’agrément de la Piece, le plaisir d’y voir deux jeunes Demoiselles, Filles de l’Auteur, qui sçachant mieux qu’un autre ce qui leur convient, a si heureusement réüssi dans la distribution de ces Personnages, que ces deux jeunes Demoiselles sont devenuës dans cette Piece, le charme de tout Paris. Les airs qui ont esté faits par Mr de Giliers, & les Balets par Mr de la Montagne, ont extremement plû. Il y a longtemps qu’ils ont l’un & l’autre beaucoup de reputation pour ces sortes d’ouvrages. Il n’y a pas jusques à la decoration qui n’ait fait beaucoup de plaisir à voir. Elle representoit la Foire de Besons. Elle est de Mr Joachim Peintre Italien, qui a un talent tout particulier pour ces sortes d’ouvrages, où il réussit parfaitement bien.

Air nouveau §

Mercure galant, septembre 1695 [tome 9], p. 315.

Je vous envoye des paroles dont l'Air vous doit paroistre agreable.

AIR NOUVEAU.

L’Air doit regarder la page 315.
Je ne voy rien de plus charmant
Qe la jeune Amarante,
Elle a l'esprit fort engageant
Et l'ame bien faisante.
Je voudrois qu'Amour dans son cœur,
M'eust enfin donné place ;
Mais jusqu'à present mon ardeur
N'a sçû fondre sa glace.
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