1696

Mercure galant, avril 1696 [tome 4].

2017
Source : Mercure galant, avril 1696 [tome 4].
Ont participé à cette édition électronique : Nathalie Berton-Blivet (Responsable éditorial), Anne Piéjus (Responsable éditorial), Frédéric Glorieux (Informatique éditoriale) et Vincent Jolivet (Informatique éditoriale).

Mercure galant, avril 1696 [tome 4]. §

Priere pour le Roy §

Mercure galant, avril 1696 [tome 4], p. 7-10.

Le zele ardent qu’ont les François pour le Roy continuë toujours, & comme le temps approche où la Campagne doit s’ouvrir, l’amour que les grandes qualitez de cet Auguste Monarque, a fait naistre dans le cœur de tous ses Sujets, les engage à renouveller les vœux qu’ils font tous les ans pour la prosperité de ses armes. Ils y sont d’autant plus portez, que la Religion ayant grande part à la guerre qui agite toute l’Europe depuis tant d’années, c’est soutenir la cause de Dieu que de souhaiter que les desseins de Sa M. réussissent. Un interest si noble & si saint, exprimé heureusement dans le peu de Vers que vous allez lire, nous doit faire esperer beaucoup des Prieres qu’on adresse au Ciel pour en obtenir le secours qui a toujours éclaté visiblement pour la France.

PRIERE POUR LE ROY.

Seigneur, que vostre main benisse
Loüis, le plus grand des Mortels,
Et pour l’honneur de vos Autels
Faites qu’en tout son desir s’accomplisse.

AUTRE.

Au Char du grand Loüis enchaîne la Victoire,
Seigneur, s’il ne combat que pour ta sainte Loy,
 Daigne prendre soin de sa gloire,
Et combattre pour luy lors qu’il combat pour toy.

Explication nouvelle d’un Passage de Virgile §

Mercure galant, avril 1696 [tome 4], p. 25-43.

Vous ne serez pas fâchée de voir ce qui a esté écrit sur une question aussi curieuse que pleine d’érudition.

EXPLICATION
NOUVELLE
D’un Passage de Virgile.
À MONSIEUR C***

Il seroit à souhaiter, Monsieur, qu’à l’exemple de Mrs Voiture & Costar, on se proposast quelquefois les difficultez qui se rencontrent en certains passages des Anciens. Si leurs Entretiens, où il y en a plusieurs de ce caractere, ont eu l’usage de plaire & d’instruire, on retireroit de leur imitation, le même avantage.

Il me semble que cet endroit de Virgile est de la nature de ces passages, qui ont besoin de reflexion pour estre bien expliquez.

Atque Lupæ fulvo nutricis tegmine lætus,
Romulus excipiet gentem.

Æneid. 1.

Les termes s’entendent, mais le sens ne s’entend pas aussi aisément que les termes. Quelle idée de Romulus, s’il faut s’en tenir au vulgaire, je veux dire, de le regarder couvert de la peau d’une Louve, sa nourrice ? Soit Histoire, soit Fable, on dit qu’une Louve a sauvé la vie à Romulus, lors que ses Parens l’avoient exposé sur le bord du Tibre pour le faire perir. Est-ce donc là la reconnoissance que doit Romulus à cette admirable & tendre nourrice, qu’il faut qu’elle soit écorchée, ou vive, ou morte, afin que son nourriçon porte sa peau ? On ne peut point objecter que selon la Fable, Jupiter fut allaité par une Chevre, & qu’il se servit de sa peau, car outre qu’il n’en estoit pas revestu, & qu’il la mit seulement sur un bouclier, il semble qu’il en eut quelque remords, puis qu’on ajoûte, qu’il fit revivre cette Chevre, & qu’il luy rendit sa peau. N’importe encore, qu’Hercule soit couvert de la peau du Lion de la forest de Nemée, c’est la dépouille d’un ennemy vaincu, c’est le trophée du Heros ; & si la Nimphe Harpalice, dont Virgile parle dans ce premier livre de l’Eneide, est vêtuë de la peau d’un Lynx tacheté, il y a aussi de la gloire pour elle, c’estoit la proye de sa chasse. Mais de mettre la peau d’une Louve sur les épaules de Romulus, c’est luy donner la figure d’un Lycantrope, nom même étrange & hideux ; & en cet état pourroit-il-estre lætus. On dépeint au contraire les Lycantropes comme estant d’une mélancolie affreuse. Enfin, le Loup parmy les Romains estoit un animal de mauvais augure. Viso lupo in Capitolio, dirum putatum, & urbs postea lustrata. Un loup ayant esté vû dans le Capitole, dit Tite Live, cela fut pris dans un sens funeste, & ensuite on purifia la Ville. Virgile estoit trop habile pour couvrir d’une peau fatale le Fondateur de Rome, & en faire un présage de calamité & de désolation. Aussi Mr Segrais, qui a mis en Vers François l’Eneide, n’a point voulu se charger de representer Romulus avec la peau d’une Louve. Il laisse là fulvo tegmine, & passant par dessus, il se contente de dire,

Nourriçon d’une Louve, & Fils de la Vestale,
Romulus fondera la Ville Martiale.

Mr de Martignac, nouveau Traducteur de Virgile, en a usé de même. Quoy qu’il ne fust pas contraint dans la Prose, comme on l’est dans les Vers, il a pourtant obmis le sens des deux termes, fulvo tegmine. Aprés cela, dit-il, Romulus nourry du lait d’une Louve prendra soin de cette Nation. Ces deux celebres Traducteurs avoient lû Servius, qui dit, tegmine lupæ, id est, pelle lupæ ; mais ny le nom, ny l’exemple de cet ancien Commentateur ne leur a point imposé, & ils ont mieux aimé estre muets sur fulvo tegmine, que d’employer ces termes à travestir Romulus en loup, figure effrayante, & capable de mettre en fuite les peuples qu’il devoit assembler pour en former une Monarchie.

Il se presente un autre sens, si l’on considere l’estat de Romulus auprés de la Louve, comme si ces termes, lætus fulvo tegmine lupæ, désignoient la situation de Romulus tettant la Louve, estant alors sous son ventre. Ce sens me paroist trop simple, & ne signifie rien de singulier, qui est pourtant ce qu’on doit chercher en divers endroits de Virgile, où ayant commencé par le merveilleux, il y doit avoir une suite de ce merveilleux. Le Poëte fait nourrir son Heros par une voye extraordinaire. Il est allaité par une Louve. Aprés cela le mettre seulement sous le ventre de cette beste, y a-t-il rien là qui fasse une idée, & qui réponde au de merveilleux. Le terme encore qu’il ajoûte, lætus, & qui est là un terme de présage, & d’heureux présage, n’y trouve point sa force & son caractere. De plus, les petits qui tettent les bestes, ne sont pas sous le ventre, comme les œufs sont sous le ventre de la poule, & les poulets sont sous ses ailes. J’ay même remarqué dans les Medailles, où l’on voit Romulus & Remus avec la Louve, qu’ils ne sont pas couchez & étendus sous son ventre, mais qu’ils sont debout, posture qui repugne à tegmine ; car ils n’y peuvent pas avoir le corps sous la Louve, & en estre couverts. J’ajoûte que tegmine, pour sub alvo, n’est pas une expression usitée. Que faut-il donc penser pour rencontrer un sens qui convienne noblement au sujet de ces Vers ?

Atque lupæ fulvo nutricis tegmine lætus
Romulus excipiet gentem.

Il me semble que l’on pourroit attribuer à Romulus ce fulvo tegmine, sans le tirer de la peau ou du ventre de la Louve. Tegmen se prend dans la premiere Eglogue de Virgile, pour le feüillage.

Tytire, tu patulæ recubans sub tegmine fagi.

Tegmine fagi, c’est le feüillage d’un hestre, & il n’y a point là de licence poëtique, c’est une expression ordinaire Aristote au 2. livre de l’Ame, nomme les feüilles des arbres schepaoma, terme Grec que l’Interprete Latin a traduit par tegmen. Je m’imagine donc que ce que Virgile veut dire icy, c’est de representer Romulus enfant, couvert de feüilles par la Louve, sa nourrice, soit pour le cacher, soit pour le tenir envelopé, & à l’abry des injures de l’air. Tout icy paroist propre à soutenir ce sens, qui a un air particulier, & qui est digne de Virgile pour son Enfant merveilleux. C’est le naturel de la Louve, non seulement de se tenir dans les bois, mais aussi lors qu’elle y a apporté sa proye, un agneau ou une brebis, de couvrir de feüilles cette proye, afin que lors qu’elle s’en éloigne, les passans ne puissent pas la découvrir. J’ay oüy dire à un de mes Amis, que son Berger ayant esté surpris par un loup, qui luy enleva une brebis du troupeau qu’il gardoit, il eut le bonheur le lendemain de la voir revenir dans l’étable avec quelques feüilles sur le dos, cette brebis ayant pris son temps pour s’échaper, lors que le loup, qui ne l’avoit encore égorgée, s’estoit éloigné. Fulvo est un terme expressif pour marquer la couleur des feüilles tombées des arbres, & que la Louve avoit amassées. C’est de là qu’est venu le nom de cette couleur que l’on nomme Feüille morte. Lætus se rapporte admirablement au sens qui naist de celuy qui couvre de feüilles Romulus. Cet illustre enfant étant né de Mars, qui estoit adoré comme un Dieu, meriteroit d’avoir des langes de pourpre, mais sa naissance estant obscurcie, il n’est envelopé que de feüilles, & neanmoins sous ces feüilles c’est un enfant riant, lætus tegmine fulvo. Enfin, ce qui peut donner du jour à cette opinion, c’est ce que raconte Horace de luy même, & qui luy arriva sur la montagne de Vultur.

Me fabulosæ Vulture in Appulo,
Altricis extra limen Apuliæ, &c.
Fronde novâ puerum palumbes
Texêre, &c.

Un jour que j’estois sur la montagne de Vultur, hors des frontieres de la Poüille, où j’ay esté élevé, des pigeons sauvages me couvrirent de feüilles. Il ajoûte que tout le monde s’étonnoit de le voir en seureté parmy des Serpens & des Ours.

Mirum quod foret omnibus, &c.
Et tuto ab atris corpore viperis
Dormirem & ursis.

Je ne m’arresteray point au parallele de quelques termes, où Horace semble avoir imité Virgile. Si l’un dit nutricis & tegmine, l’autre dit altricis & texêre. Il y a lupæ dans le premier, il y a viperis & ursis dans l’autre. Enfin, lætus est dans Virgile, & tuto corpore dans Horace. Il y a là de la ressemblance ; mais ce qu’il y a de plus remarquable, c’est ce que dit Horace, que des pigeons le couvrirent de feüilles, & que de ces feüilles il en tire un glorieux présage pour luy, sçavoir qu’il seroit Poëte, & Poëte Lyrique, car il ajoûte, Lauro collatâque myrto. On trouve de même qu’il y a un illustre augure en faveur de Romulus, dans les feüilles dont la Louve le couvre : feüilles de chesne, car les chesnes sont les arbres des forests, où les loups se retirent ; & les chesnes sont des arbres nobles consacrez à Jupiter : & ce qui leur est singulier, c’est qu’ils sont d’une tres longue durée. Pline dit que de son temps on voyoit encore les chesnes qui avoient esté plantez auprés de Troye sur le sepulcre d’Ilus, qui est celuy dont parle Virgile avant Romulus. Longue durée des chesnes, qui les rend parmy les arbres un simbole d’immortalité, immortalité qui se rapporte fort bien au Vers suivant,

Imperium sine fine dedi.

Voilà quel est mon sentiment sur ce passage de Virgile, Atque lupæ sulvo, &c. Il y a là une idée grande & noble, qui convient au Poëte & au Heros. S’il paroist que j’ay creusé un peu avant pour trouver ce sens, c’est que je m’imagine qu’il y a presque par tout des mines d’or dans Virgile, & qu’on a besoin de penetration pour les découvrir. Je suis, &c.

Pigmalion. Fable §

Mercure galant, avril 1696 [tome 4], p. 43-53.

L’avanture de Pigmalion est connuë de tout le monde, puis qu’il n’y a personne qui n’ait lû les Metamorphoses d’Ovide. Voyez si celuy qui s’est diverti à nous l’expliquer en nostre Langue, n’a pas conservé les principales beautez de l’Original.

PIGMALION.
FABLE.

L’Amour fertile en bizarres desseins,
 Fait toujours sentir aux Humains
 La dureté de son empire.
Si malgré tant de vœux Pigmalion soupire,
 Il faut encor que l’œuvre de ses mains
 Soit la raison de son martire.
Pouvoit-on faire mieux pour calmer ses desirs ?
Ce Prince delivré d’une tendre habitude,
Croyoit se garantir par d’innocens plaisirs
 Du danger de la solitude.
 Il exprima d’une jeune Beauté
 Tous les attraits, toute la ressemblance ;
 L’art, le loisir, l’indifference
Conspirerent à faire un Ouvrage enchanté.
 D’abord les yeux auroient douté
Si quelque passion n’est point dans la Statuë.
 A croire seulement la veuë,
Il paroist que d’agir elle a la volonté,
Mais que c’est la pudeur qui fait sa retenuë.
 Les efforts de l’attention
Mélent aux mouvemens de quelque émotion
 Je ne sçay quoy qui continuë
 L’apparence de l’action.
Pigmalion luy-mesme a de la peine à croire
 Que ce qu’il touche est de l’yvoire.
 Un secret penchant de son cœur
 Semble effacer de sa memoire
Que de cette statuë il vient d’estre l’Auteur.
Il croit que dans ses feux l’Image s’interesse,
 Il la regarde à tous momens,
 La tient, luy parle, la caresse.
De peur de l’offenser par ses empressemens,
Il modere avec soin l’excés de sa tendresse.
 Comme si sa delicatesse
 Pouvoit meriter ses faveurs,
Pour elle il assortit les Jonquilles aux Roses,
De l’Oeillet & du Lis il mêle les couleurs,
Luy donne des oiseaux, des fruits, les autres choses
 Qui peuvent plaire aux jeunes cœurs.
 Persuadé que le Sexe aime
 Les superbes habillemens,
Il prend plaisir d’accommoder luy-mesme
De l’or & des Rubis les riches ornemens.
 Quelquefois son amour extrême
 Est content d’avoir imité
 La bien-seante honnesteté,
 Qui promet des ardeurs fidelles.
Puis soupçonnant ces marques de fierté,
Il recherche bien-tost des beautez naturelles
 L’innocente simplicité.
Dans les transports où son cœur s’abandonne,
 Il choisit les noms les plus doux,
 Que plus de cent fois il luy donne
 Lors qu’il ajuste ses bijoux,
 Ou que de fleurs il la couronne.
Recevez, luy dit-il, de vostre tendre Epoux
 Les marques de ses complaisances,
Si contre moy je ne pouvois avoir
 Que les legeres repugnances
De l’âge, de l’humeur, des loix, ou du devoir,
 Obstacles vains, vulgaires resistances,
 La cause de mon desespoir
Arreste mieux que vous toutes les violences.
Quand je serois exempt du mal dont je me plains,
Il pourroit arriver que le destin contraire
 Vous feroit cruelle ou legere.
 Quel est le tourment que je crains ?
 Peut-estre seroit-il possible
 De vous empêcher de changer ;
 Mais le soin de vous engager
 Ne sçauroit vous rendre sensible.
Du moins si je pouvois vous faire partager
 L’excés des peines que j’endure,
Satisfait de vous voir capable de douleur,
Vous pourriez écouter l’amour que je vous jure.
 Pour un moment des loix de la Nature
 Ne peut-on vaincre la rigueur ?
***
 Ainsi conduit par ses caprices
 Pigmalion passoit les jours,
Quand le temps vint qu’à Cypre on fait des sacrifices
 À la Déesse des Amours.
 Son desir luy servant de guide,
Il se presente au Temple incertain & timide.
 Sur les Autels déja fumoit l’encens,
 Et des genisses couronnées
Dans leur flanc faisoient voir aux mortels palissans,
 Les secrets de leur destinée.
 Le Prince ayant fait ses presens,
 Dit en secret, Dieux tout puissans,
Ne peut on obtenir que l’Hymen favorable
 Avec d’inviolables nœuds
 M’unisse… À ce discours honteux,
N’osant dire qu’il trouve une Statuë aimable,
Que la belle, dit-il, qui me doit rendre heureux,
 À mon image soit semblable.
Venus pour les Amans n’est point inexorable,
 La hardiesse de leurs vœux
 N’est pas toujours ce qui peut luy déplaire.
Des choses que souvent la pudeur a fait taire,
Elle aime à penetrer le sens mysterieux,
De ses Sujets le langage ordinaire.
Aussitost dans le Temple on vit briller des feux,
Qui du Prince trois fois ébloüirent les yeux.
De retour promptement il court à son Image,
 La baise, la tient dans ses bras,
 Et se plaint que de tant d’appas
 On ne peut faire aucun usage.
 Dans les transports de son ardeur
 Il crut sentir une chaleur subite.
D’abord ce sentiment parut estre trompeur,
Mais aussi-tost il voit, touchant l’endroit du cœur,
 Qu’un soudain mouvement l’agite.
Il ne peut plus douter que ce soit une erreur ;
 L’espoir augmentant sa tendresse,
L’yvoire s’amollit sous la main qui le presse ;
 Sa naturelle dureté
 Cede à l’effort de son ame embrasée,
Comme on voit que la cire au Soleil exposée
Devient flexible à nostre volonté,
Et peut estre tournée en diverses figures.
Pendant que son esprit de desirs occupé
 Craint encor de s’estre trompé,
 Il entend quelques doux murmures,
 Et découvre insensiblement
 Les autres marques de la vie.
L’Image avec le jour ayant vû son Amant ;
 L’épreuve de ce sentiment
 D’un peu de rougeur est suivie,
Qui donne à ses attraits un nouvel ornement.
Alors Pigmalion fit des festes pompeuses
 À la Dêesse de Paphos,
Et leurs flames toujours également heureuses
 Joüirent d’un parfait repos.
***

Madrigal §

Mercure galant, avril 1696 [tome 4], p. 115-116.

Le Madrigal que je vous envoye, convient à bien des Amans qui ne sont pas traitez favorablement. Il est de Mr Gudin de Blois.

MADRIGAL.

 Echo, Nymphe tendre & sensible,
 Qui de ton palais invisible
Me rends plainte pour plainte, & soupirs pour soupirs ;
Que mon sort seroit doux dans le mal qui me presse,
Si l’ingrat Licidor qui fait mes déplaisirs,
Me rendoit comme toy, tendresse pour tendresse ?

Rondeau redoublé §

Mercure galant, avril 1696 [tome 4], p. 116-118.

Voicy un Ouvrage d’une autre nature, que Mr l’Eglantier, qui en est l’Auteur, envoya pour Etrennes à un de ses Amis, le premier jour de cette année.

RONDEAU REDOUBLÉ.

À Vous offrir ce foible témoignage,
Que mon respect doit à vostre vertu,
Ma passion, ce me semble, m’engage,
Autre motif y seroit superflu.
***
Si du destin j’estois maistre absolu,
Et si la terre estoit en mon partage,
Je n’aurois pû me trouver resolu
À vous offrir ce foible témoignage.
***
Mais n’ayant rien qui soit à vostre usage,
Et me voyant sans aucun revenu,
Je suis réduit à vous rendre l’hommage
Que mon respect doit à vôtre vertu.
***
Il est sincere autant qu’il vous est dû,
N’en doutez pas, vous me feriez outrage.
À vous en rendre une fois convaincu
Ma passion, ce me semble, m’engage.
***
Acceptez donc l’agreable présage
Que dans ce jour j’ay moy-même entendu.
De mon amour c’est un secret langage,
Autre motif y seroit superflu.
***
Bien plus heureux que Noè n’a vêcu,
Vous atteindrez la course de son âge.
C’est le desir ardent que j’ay conçû,
Pour mon plaisir, ay-je rien davantage
 À vous offrir ?

Reflexions sur le bon usage qu’on doit faire de la Parole §

Mercure galant, avril 1696 [tome 4], p. 118-127.

Je vous envoye de nouvelles Reflexions. Ce mot vous doit faire entendre qu’elles sont de Mr l’Abbé de Fourcroy. C’est une matiere qu’il a l’art de bien traiter.

REFLEXIONS
Sur le bon usage qu’on doit
faire de la Parole.

Ne parler pas trop, tenir des discours graves & élevez quand il le faut, parler dignement des choses importantes & serieuses, s’abaisser quand il est à propos ; sçavoir mêler les loüanges & les civilitez veritables parmy les jeux & les divertissemens innocens ; ne rien dire qui puisse blesser la charité, la verité & la pureté ; en un mot, ne parler que pour loüer Dieu, c’est faire un bon usage de la parole.

Pour gouverner sa langue avec tant de sagesse, il faut mettre un sceau à sa bouche, & avoir soin qu’il n’en sorte jamais aucune parole qui puisse offenser, ou qui doive estre blâmée. Figurons nous que nous sommes dans les compagnies comme sur la glace, & qu’il y faut marcher lentement & sagement ; craignons toujours que nostre langue ne glisse, & que nostre jugement ne tombe avec elle. Autant de paroles messeantes, indifferentes & témeraires qu’on prononce, ce sont autant de chutes de l’esprit qui tombe sur les autres, & qui les blesse ou les incommode. Ainsi c’estoit avec raison que le Sage desiroit qu’on mist une garde à sa bouche, & un sceau à ses lévres ; il connoissoit parfaitement que la vie & la mort sont au pouvoir de la langue. C’est ce qui le faisoit toujours craindre ; si les cedres du Liban sont ébranlez, les roseaux seront ils en assurance ? Quelle précaution & quelle vigilance n’est pas necessaire, pour éviter les pieges & les perils où nostre langue peut nous exposer ? L’affaire est de la derniere consequence, il s’agit de nostre salut ou de nostre perte éternelle. Vous serez justifiez par vos paroles, dit Jesus-Christ, & vous serez condamnez par vos paroles. Quiconque donc veut arriver à la perfection, doit travailler à se rendre le maistre de sa langue. Il faut prendre garde à quatre choses toutes les fois qu’on parle, à ce qu’on dit, à la maniere dont on parle, au temps auquel on parle, & à là fin pour laquelle on parle. Quant à ce qu’on dit, il faut observer ce conseil de l’Apostre, Qu’aucune mauvaise parole ne sorte de vostre bouche, mais seulement celles qui seront bonnes, & capables d’édifier les autres ; que les paroles deshonnestes, folles, boufonnes & médisantes, qui sont contraires à la gravité de vôtre profession, ne s’entendent jamais parmy vous ; bien loin de proferer aucunes paroles indécentes, on ne doit employer sa langue que pour publier les loüanges du Seigneur de l’Univers. Quant à la maniere de parler, il faut prendre garde de ne parler, ny avec une lenteur trop affectée, ny avec une hardiesse démesurée, ny trop précipitamment, sçachant que c’est une action qu’on doit faire avec gravité, décence, netteté, & simplicité. Ainsi se trouve-t-on obligé de parler en Maistre à un Serviteur, on le fait sans le mépriser, & sans dire aucun mot dont il puisse estre offensé. Faut-il parler quelquefois en Juge à un coupable, & luy reprocher ses crimes avec des paroles severes, on parle, mais sans manquer au respect qu’on doit à la dignité de l’homme. Se trouve-t-on engagé malgré soy à joüer avec les autres agreablement par paroles, on le fait avec discretion & avec grace ; on sçait mêler le respect aux familiaritez, & empêcher que parmy les reparties de la belle humeur, & parmy les coups de l’amitié il ne se glisse quelque coup de l’orgueil & du dépit, & quelque parole desobligeante. Pour ce qui regarde le temps auquel on parle, il faut aussi y avoir beaucoup d’égard ; car une parole, comme dit Salomon, quoy que judicieuse, n’est pas bien receuë de la bouche d’un fol, parce qu’il n’est pas capable de la dire en son temps. Enfin il faut non seulement que les paroles soient bonnes, mais aussi on doit les dire avec une bonne fin, ayant toujours pour intention la gloire de Dieu & l’utilité du prochain. C’est à vous, divin Sauveur, qui estes la sagesse & la parole incréée du Pere Eternel, à gouverner la langue, qui est un feu & un monde d’injustices. Ne seroit-ce pas une horrible présomption de se flater qu’on peut faire un bon usage de la parole sans vostre divin secours ? Vous estes la voye, la verité & la vie, servez-nous de guide, conduisez nostre langue, arrestez en l’impetuosité, & ne permettez jamais que cet organe s’occupe à d’autres choses qu’à publier vos loüanges, & à ce qui vous est agreable.

[Ceremonie faite en Pologne] §

Mercure galant, avril 1696 [tome 4], p. 159-183.

 

Je vous ay déjà mandé que Mr le Marquis d'Arquien, Pere de la Reine de Pologne, avoit esté declaré Cardinal dans la promotion que le Pape fit le 12. Decembre dernier. Mr l'Abbé Accoramboni, Camerier d'honneur du Pape, ayant esté nommé par Sa Sainteté pour apporter le Bonnet à Son Eminence, partit de Rome le 22. du même mois, & ne put, à cause du mauvais temps, & de quelque sejour qu'il fut obligé de faire à Vienne, se rendre à Varsovie que le 12. Février sur le midy. [...]

Le Dimanche [26] à midy les Officiers de Son Eminence allérent prendre Mr le Camerier, qu'ils trouvèrent en soutane & simarre de moire violete, & le conduisirent à l'Appartement de Son Eminence, qui ce jour-là estoit habillée de rouge en soutane, rochet, & camail, avec un bonnet quarré noir, ayant au col le cordon bleu, où pendoit la Croix de l'Ordre du Saint Esprit. Alors Mr le Cardinal precedé de ses Officiers, & Mr le Camerier, alla chez le Roy, où la Reine, & leurs Altesses Royales s'estoient renduës. Aprés les reverences faites & reçuës de part & d'autre, le Roy sortit de son appartement & precedé du Grand Marêchal de la Couronne, & du Marêchal de la Cour de Lithuanie, & d'une infinité de Seigneurs & de Prelats, il s'achemina par la Salle de ses Gardes du Corps & celle des Suisses, vers le grand escalier, au haut duquel il s'arresta pour attendre la Reine, qui parut un moment aprés, précedée de Mr le Palatin de Masovie, son Marêchal, & conduite par les Serenissimes Princes Jacques & Alexandre. Aprés la Reine marchoit la Serenissime Princesse Royale, conduite par le Serenissime Prince Constantin, & Mr l'Ambassadeur de France. Son Eminence precedée de ses Officiers, de Mr le Camerier & accompagnée de Mr le Marquis d'Arquien, de Mr le Comte de Bethune, & de plusieurs autres Seigneurs, suivoit cette Princesse, & enfin la foule des Courtisans. Dans cet ordre, au son des trompettes, tambours, hautbois, timbales, & de plusieurs autres instrumens guerriers, on descendit l'escalier, au pied duquel leurs Majestez montérent dans un superbe carosse, dans lequel la Princesse Royale & Son Eminence monterent aussi, & Mr le Camerier monta dans celuy du grand Maréchal de la Couronne, qui précedoit immediatement celuy du Roy. La marche se fit entre deux hayes de toute la Garde à pied de leurs Majestez ; & au bruit du Canon. Leurs Majestez, Son Eminence, & leurs Altesses Royales estant arrivées à l'Eglise, Mr le Nonce qui les y attendoit, leurs presenta de l'Eau benite. Leurs Majestez se placerent sous le Dais, & la Princesse Royale avec Elles. Mr le Cardinal & les Serenissimes Princes allerent à leur Priedieu, L.A.R. donnant toujours la main à Son Eminence, Mr le Camerier dans le sien, & ainsi du reste de la Cour. Tout le monde estant placé selon son rang & sans confusion, malgré la petitesse de l'Eglise, on commença la Messe, qui fut pontificalement celebrée par Mr l'Evéque de Posnanie, & chantée par la Musique de la Chapelle du Roy. Aprés l'Evangile, Mr l'Evêque de Plock prit le Missel des mains du Diacre, & ayant fait les reverences requises en pareil cas, il presenta l'Evangile à baiser à leurs Majestez, à la Princesse Royale, à S.E. & aux Serenissimes Princes. Ce Prelat fit aussi dans les temps, les encensemens, & donna la paix. Peu de temps aprés, Mr l'Evêque de Primistie, grand Chancelier de la Couronne, monta en chaire, & fit en Polonois un tres beau & tres sçavant discours sur le sujet de la ceremonie. Le Sermon finy, on continua la Messe, laquelle estant achevée, Mr le Camerier habillé de rouge avec la cappe fourrée d'hermine, se leva, sortit de sa place, & alla vers une table qui estoit du costé de l'Epître, & sur laquelle dans un bassin d'or on avoit mis le bonnet de Cardinal, couvert d'une toilette cramoisy & or. Aprés une genuflexion à l'Autel, & des reverences à leurs Majestez, à Son Eminence, & à leurs Altesses Royales, il découvrit le bonnet pour le faire voir à tout le monde. Il donna ensuite le Bref du Pape à Mr l'Abbé Faitout, Auditeur de Son Eminence, qui en ayant levé le sceau, le lut à haute & intelligible voix. Cette lecture faite, Mr le Camerier prit à deux mains le Bassin où estoit la Berrette, & d'un pas grave s'avança vers le Trosne, au pied duquel il fit une profonde reverence au Roy, & ayant monté l'estrade, il presenta le bonnet à Sa Majesté. Ce Monarque debout & découvert l'ayant pris dans le bassin, le mit sur la teste de Mr le Cardinal, qui accompagné des Serenissimes Princes, s'étoit approché du Trosne presqu'en mesme temps, & Son Eminence l'ayant osté aussitost, le Roy & la Reine l'embrassérent tres-affectueuesement. Alors Mr l'Evesque de Livonie entonna le Te Deum pendant lequel il se fit plusieurs décharges de canon, & Son Eminence estant retournée à son Priedieu, reçût de toute la Cour de nouveaux complimens sur sa dignité. Cette Ceremonie estant achevée, on passa de l'Eglise dans le Refectoire des mesmes Peres Capucins, où l'on trouva trois tables couvertes des mets plus exquis. Celle du fonds & en face de la porte, estoit de neuf couverts. Le Roy s'y estant assis, la Reine & la Princesse Royale se mirent à gauche de ce Monarque, & à droite tout joignant le fauteüil, Son Eminence se plaça, & aprés elle les Serenissimes Princes. Au bout de la table à gauche, estoient Mr le Nonce & Mr l'Ambassadeur de France. La seconde table fut occupée par les Senateurs, & Mr le Camerier y eut la place honorable. La troisiéme le fut par les Dames & Filles d'honneur de la Reine & de la Princesse Royale. La table du Roy fut servie par les Officiers de la Couronne, & Mr le Prince Lubomirski y fit sa charge de Postoli. Mr le Marquis d'Arquien à cause de quelque indisposition ayant esté obligé de se retirer, Mr de Bethune fit les honneurs de la seconde table, & Mr le Palatin de Masovie, ceux de la troisiéme. Aprés ce somptueux banquet, leurs Majestez, Son Eminence, & leurs Altesses Royales remontérent en carosse, & dans le mesme ordre auquel on estoit venu, rentrérent au bruit du canon, & au son de quantité d'instrumens, dans le Palais de Marieville, qui se trouva illuminé de mille flambeaux de cire blanche qu'on avoit mis aux fenestres en réjoüissance d'une si grande feste, & pendant toute cette illumination les instrumens & le canon ne cessérent point de se faire entendre. Voilà, Madame, ce que j'ay tiré, sans y changer aucun terme, d'une Lettre écrite à Varsovie le second du mois passé.

[Lettres Spirituelles] §

Mercure galant, avril 1696 [tome 4], p. 258-259.

 

On vient de donner au Public un premier tome de Lettres Spirituelles, d'un des hommes du monde qui a esté le plus éclairé dans la science mistique, & qui en a le plus solidement écrit. Ce que feu Monsieur le Prince de Conti a fait imprimer de ses Ouvrages en est une preuve. On attendoit le reste avec impatience. Ce premier tome sera suivi de plusieurs autres, qui satisferont le desir des bonnes ames. Il est imprimé à Nantes par Jacques Maréchal, & se vend à Paris chez Edme Couterot, rue S. Jacques, au bon Pasteur.

Air nouveau §

Mercure galant, avril 1696 [tome 4], p. 330-331.

La pluspart des Officiers sont déja partis pour aller se mettre en estat de commencer la Campagne. C'est ce qui a donné lieu aux Vers que vous allez lire, & qui ont esté mis en Air par un de nos plus habiles Musiciens.

AIR NOUVEAU.

L’Air doit regarder la page 330.
Helas ! faut-il qu'un peu de gloire
Me couste tant,
Et qu'une place dans l'Histoire
Paroisse si charmante aux yeux de mon Amant ?
Je me flatois que la tendresse
Occuperoit son jeune cœur,
Mais cette chimere d'honneur
A mes vœux le ravit sans cesse.
Tout ce qu'il a pour moy d'ardeur
S'éteint prés d'elle,
Et l'Infidelle
Le suit tous les Printemps, & rit de ma langueur.
images/1696-04_330.JPG

[Divertissemens nouveaux] §

Mercure galant, avril 1696 [tome 4], p. 332-333.

 

Les plaisirs innocens où pendant tout l'hiver, la foule a fait voir que la France est toûjours dans une mesme situation, recommencent aujourd'huy, & l'Academie de Musique donnera demain premier jour de May, un Opera nouveau, intitulé, La Naissance de Venus. Les Comediens Italiens donneront dans quelques jours une Piece qui a pour titre, Le Misantrophe amoureux ; & les François representeront le Medecin de Mante. Si-tost que l'actrice dont la maladie a fait quitter le Vieillard couru, ou les differens Caracteres des Femmes, le jours mesme que cette Piece devoit faire le divertissement de la Cour à Versailles, se portera mieux, on en continuera les representations. Je suis, Madame, vostre, &c.