1696

Mercure galant, juin 1696 [tome 6].

2017
Source : Mercure galant, juin 1696 [tome 6].
Ont participé à cette édition électronique : Nathalie Berton-Blivet (Responsable éditorial), Anne Piéjus (Responsable éditorial), Frédéric Glorieux (Informatique éditoriale) et Vincent Jolivet (Informatique éditoriale).

Mercure galant, juin 1696 [tome 6]. §

Eloge de Louis Le Grand §

Mercure galant, juin 1696 [tome 6], p. 7-14.

Je vous ay toujours vû tant de zele pour le Roy, & tant d’ardeur pour sa gloire, que je suis persuadé que ce seroit vous priver d’un fort grand plaisir, que de ne vous pas faire part de l’Eloge que Mr l’Abbé de Fourcroy a fait de cet Auguste Monarque. Tous les Ouvrages que je vous ay envoyez de luy, vous ont convaincuë qu’il pense juste, & qu’il s’explique tres-heureusement sur tout ce qu’il pense.

ELOGE
DE
LOUIS LE GRAND.

Naistre Prince, c’est un pur don de la fortune, mais estre né Roy, & le sçavoir estre par merite, c’est de Roy par fortune se faire Roy par soy-même. Ne reconnoissez-vous pas icy le Portrait de Loüis le Grand, le plus sage & le plus Chrestien des Rois ? En effet, qu’y a-t-il dans cet invincible Monarque qui ne soit digne d’admiration, & au dessus de tous les Eloges ? Parleray je de cette assiduité dans les Conseils, où tout se passe sous ses yeux, de cette sagesse qui tempere le pouvoir des Grands, de cette activité, qui sans troubler son repos, penetre & renverse les desseins de ses Ennemis, de cette valeur qui force tous les obstacles ? Quand je tairois toutes ces choses, pourrois-je oublier cette droiture de cœur qui fait les bons Rois ? Non sans doute ; faire l’Eloge de Louis le Grand, & ne pas dire qu’il donne des exemples immortels d’une équité pure & sans tache, ce seroit luy refuser un honneur qui est préferable à tous les autres. Sa vie n’est employée qu’à étendre & à maintenir les droits & l’Empire de la veritable Religion. Avec quel zele n’a t-il pas banny le Duel & l’Heresie de son Royaume ? Je ne m’étendray ny sur la puissance de ce Prince, ny sur ses prosperitez, mais seulement sur ses vertus personnelles ; car si les avantages de la prosperité se font souhaiter, ceux de la vertu se font admirer. Sa douceur, sa bonté, son courage intrepide, sa pieté solide & son amour pour les interests de l’Eglise, le font respecter de tous ceux pour qui la probité est une vertu. Il est liberal par le seul desir de faire du bien, magnifique sans orgueil, modeste sans affectation, tendre sans foiblesse, & ferme sans dureté. Il se possede si bien, que ny la joye, ny la tristesse, ny la colere n’ont point de pouvoir sur son auguste Personne. Il écoute en Maistre, & il-parle en Pere. S’il promet quelque chose, il s’en souvient toujours pour la donner, & il ne l’accorde que pour l’oublier. On l’approche avec crainte, à cause de cet air majestueux qui luy est si naturel, & on s’en retire avec admiration & avec joye, tant ses manieres sont engageantes. Les Officiers de sa Maison joüissent auprés de luy d’un bonheur parfait. Il les excuse dans leurs fautes comme des hommes ; il les aime comme des amis, & il les comble de bienfaits, comme s’ils estoient toujours dans le besoin. Ce sont toutes ces grandes qualitez qui le rendent le plus heureux Prince du monde ; heureux en Sujets qui luy rendent hommage ; heureux en un Fils qui fait gloire de marcher sur ses pas ; heureux en Petits-fils, qui tâcheront de l’imiter à mesure qu’ils avanceront en âge ; heureux en un Frere qui le respecte & l’admire ; heureux en Princes de son Sang qui font consister toute leur felicité à luy obeir, encore plus par amour que par devoir ; heureux enfin en toutes choses. Puissiez-vous durer encore longtemps pour l’honneur de nostre Histoire, & pour le bonheur des François, glorieuses années de Louïs le Grand ! Ce sont les vœux continuels de toute la France pour un Roy si sage & si Chrestien.

[L’Amour & la Folie, Fable] §

Mercure galant, juin 1696 [tome 6], p. 25-31.

Voicy un Ouvrage de Poësie dont vous ne trouverez pas le sujet nouveau, puis qu’il a déja esté traité par plusieurs personnes ; mais il y a des matieres toujours susceptibles de graces nouvelles, selon le tour heureux qu’on leur donne. La Fable qui suit est de ce nombre, & Mr Moreau, Avocat General en la Chambre des Comptes de Dijon, en est l’Auteur. Vous sçavez quel est son talent pour la Poësie, & qu’on en peut tout attendre.

L’AMOUR ET LA FOLIE.

Un jour le grand Maistre des Cieux,
Content d’un amoureux mistere,
Et plus joyeux qu’à l’ordinaire,
Voulut regaler tous les Dieux.
***
Il fit préparer l’Ambrosie,
Et les mets les plus delicats,
Et luy-mesme de ce repas
Ordonna la ceremonie.
***
Par son ordre de tous costez
Mercure porta la nouvelle
De cette feste solemnelle
À toutes les Divinitez.
***
D’abord chacun fit sa partie
Pour y paroistre des premiers.
Les deux qui vinrent les derniers,
Furent l’Amour & la Folie.
***
Pour la feste de ce beau jour
Leur presence estoit importante ;
Car toute feste est languissante
Sans la Folie & sans l’Amour.
***
Dans une bonne intelligence
On les voyoit vivre tous deux,
Et mesme on remarquoit entr’eux
Une assez juste ressemblance.
***
Mais il arriva par malheur
Qu’à la porte ils se rencontrerent,
Et que tous deux se querellerent,
Et mirent le Ciel en rumeur.
***
Le point d’honneur en fut la cause.
L’Amour voulut prendre le pas,
Mais l’autre n’y consentit pas,
Et prétendit la mesme chose.
***
Tu n’entreras pas devant moy,
Dit l’Amour, d’un ton de colere,
Le grand Jupiter est mon Pere,
Et tous les Dieux suivent ma loy.
***
Et moy, repartit la Folie,
Moy que tu viens chercher toujours,
Que ferois tu sans mon secours,
Si je n’estois de la partie ?
***
Comme on voit parmy nous souvent
Les Précieuses, les Bourgeoises,
Exciter de semblables noises,
Pour passer dessus, ou devant.
***
Aprés les raisons, les injures,
Aprés les injures les coups,
Puis on met sans dessus dessous
Raisons, cornettes & coëffures.
***
De la Folie & de l’Amour
Telle fut alors la querelle,
Qui pour ce dernier fut cruelle,
Mais l’autre fit un mauvais tour.
***
Comme il osa dans sa furie
La fraper avec son carquois,
Elle à l’instant avec ses doigts
Luy creve les yeux, il s’écrie.
***
Et de toutes parts on entend,
À l’aide, au meurtre, on m’assassine,
Si fort, que la Troupe Divine
Accourut à cet accident.
***
Jupiter mesme en diligence
Y vint, laissant là le regal.
L’Amour luy découvrit son mal,
Et le pressa pour la vangeance.
***
La Folie de son costé,
Dit ses raisons pour se défendre,
Mais à peine put-on l’entendre,
À voir l’Amour si maltraité.
***
Alors vint certaine Déesse,
Que toucha ce malheur nouveau,
Sur les yeux luy mettre un bandeau,
Luy marquant toute sa tendresse.
***
Cependant malgré sa douleur
Il avoit un parti contraire,
Car il n’est si mauvaise affaire
Qui ne trouve son défenseur.
***
Je veux dire qu’en ce rencontre,
Comme en tous autres differends,
On se partagea sur les rangs,
L’un estoit pour, l’autre estoit contre.
***
Les uns soutenoient que l’Amour
Devoit préceder sa partie,
D’autres tenant pour la Folie,
Condamnoient l’Amour à leur tour.
***
Enfin, Jupiter en bon Pere
Accorda ce long démeslé,
Et dit à l’Amour désolé,
Ces mots qui finirent l’affaire.
***
Puis qu’il faut qu’à vivre sans yeux
La Folie ainsi te réduise,
Je veux qu’en tout temps, en tous lieux,
Ce soit elle qui te conduise.
***
Ainsi dit, ainsi fait, & c’est depuis ce jour
Que par tout la Folie accompagne l’Amour.

[Ode de Mademoiselle des Houllieres] §

Mercure galant, juin 1696 [tome 6], p. 54-60.

Je vous envoye une Ode d’un tour tres-fin & tres-delicat, & je ne puis vous en donner une idée plus avantageuse, qu’en vous disant qu’elle est de Mademoiselle des Houlieres. Cette illustre Fille d’une Mere qui n’estoit qu’esprit, & qui excelloit dans la Poësie, a herité d’un si beau talent, & donne aux matieres qu’elle traite un tour qui n’est pas commun. Elle a voulu faire voir pourquoy les Belles s’acquierent si peu d’Adorateurs, & que les dégousts que les hommes ont pour elles, ne viennent que du peu de soin qu’elles ont de leur cacher leur foiblesse. Cet Ouvrage merite d’autant plus l’approbation qu’il a receuë d’un grand nombre de Connoisseurs, que les Vers ne sont que de cinq syllabes, ce qui rend les rimes difficiles à trouver.

ODE.

Le plus beau des mois
Remplit nostre attente.
La terre est riante,
Déja dans les Bois
Le Rossignol chante :
Déja les moutons
Paissent les herbettes,
Et font mille bonds
Au son des Musettes.
***
 Cent objets aimez,
Dont la mort trop dure
Borna l’avanture,
En fleurs transformez
Parent la verdure.
Un frais éclatant
Sur son teint demeure,
Qu’un zephir galant
Anime à toute heure.
***
 Le naissant gazon
Dans les bois, à l’ombre
D’un boccage sombre,
Offre à la raison
Des perils sans nombre.
Le Maistre des cœurs
Qui veille sans cesse,
Cache sous les fleurs
Le trait qui nous blesse.
***
 Mais à quoy vous sert,
Pour vous mieux surprendre,
Amour, de nous tendre
Sur le gazon vert
Un piege si tendre ?
Quel est le Berger
Qui daigne nous mettre
Dans l’affreux danger
De luy trop permettre ?
***
 En vain tous les jours
La Nature appelle
La saison nouvelle
À vostre secours.
Ah, que vous sert elle ?
Les seuls animaux,
Tout fier que vous estes,
Sont dans nos hameaux
Vos seules conquestes.
***
 Les brillans appas,
Qui dans le belâge
Sont nostre partage,
Ne nous valent pas
Un seul tendre hommage.
Quitte ton carquois,
Enfant plein de charmes,
À de vains emplois
Refuse tes armes.
***
 Pour l’aneantir
Replonge le monde
Dans la nuit profonde,
D’où l’a fait sortir
Ton ardeur feconde.
Icy, comme ailleurs,
Que rien ne s’augmente,
Et de nos malheurs
Que tout se ressente.
***
 Mais pourquoy crier ?
Quel dépit m’anime ?
Eh ! quoy donc sans crime
L’Univers entier
Seroit ta victime !
Ouy, ce n’est qu’à nous,
Foibles que nous sommes,
Qu’on doit les dégousts
Qu’ont pour nous les hommes.
***
 Lors que la pudeur
Sans qui la tendresse
Détruit la sagesse,
Cachoit au vainqueur
Un peu de foiblesse,
Cent & cent Autels
S’érigeoient aux Belles,
Et sur les Mortels
Tu regnois par elles.

Suite du Dialogue historique et moral du Perroquet & de la Pie §

Mercure galant, juin 1696 [tome 6], p. 158-178.

Sur la fin du Dialogue que je vous envoyay le mois passé, de deux Oiseaux babillards, la Pie promettoit au Perroquet de luy raconter ses avantures. Mr Robinet, qui en est l’Auteur, luy a fait tenir parole, & c’est un recit que vous prendrez plaisir à entendre.

SUITE DU DIALOGUE
HISTORIQUE ET MORAL
Du Perroquet & de la Pie.

LA PIE.

Ouvre l’oreille, Perroquet.
Je suis preste à te satisfaire.
 Je viens d’affiler mon caquet
Dans le petit repas qu’exprés j’ay voulu faire.

LE PERROQUET.

Je suis pareillement tout prest à t’écouter,
 Et pour te donner audience,
Sans que mes intestins puissent m’inquiéter,
 Je les ay remplis d’importance.

LA PIE.

 Je te parois ce que je ne suis pas.
 On ne doit point en croire ma figure.
De cette verité toy-mesme jugeras
Quand je t’auray fait part d’une étrange avanture.
Tous mes Parens estoient du noble Genre humain,
 Et du temps des Metamorphoses,
Où des Dieux ce dit-on, le pouvoir souverain,
Ainsi qu’il leur plaisoit, changeoit soudain les choses.
En ce temps-là vivoit un certain Pierus,
Quoy que d’un sang commun, riche comme un Ciésus.
Epoux d’une Evippé, Femme à tel point feconde
 Que l’on ne pouvoit l’estre plus.
 Elle mit neuf Filles au monde,
Qui se piquoient de sçavoir bien chanter.
Leur orgueil devint tel qu’elles eurent l’audace,
 En un beau jour de disputer
Le Prix du Chant aux Filles du Parnasse.
 Que cet orgueil leur dut coûter !
Neuf Mortelles, comment ! attaquer neuf Déesses !
Mieux auroient-elles fait d’irriter neuf Tygresses.
Chez les Mortels, le Sexe est fort vindicatif ;
Mais chez les Dieux, il l’est bien davantage,
 Et son couroux peut faire outrage
 Dans le degré superlatif,
De ces trop fiéres Sœurs, en les traitant d’impies,
 Les neuf Muses firent neuf Pies.
 Peut-on voir un sort plus chetif ?
D’un corps comme le mien, d’un semblable plumage,
On revestit chacune ; & pour les mieux railler,
On changea leur discours en ce rude ramage
Où du gozier souvent on m’entend piailler,
 Incommodant le voisinage.
On leur laissa l’humeur de babiller
Que leur donna la Nature en partage.
Aussi-tost dans les Bois, on les vit s’envoler
 Pour vivre là, d’un air sauvage.
Cette punition doit apprendre, à mon sens,
Qu’il est tres dangereux de s’attaquer aux Grands,
Mais qui s’attaque aux Dieux court plus grand risque encore.
 C’est une noire impieté,
Et qui l’ose commettre, en devinst-il Pécore,
Reçoit un chastiment qu’il a bien merité.

LE PERROQUET.

 Ho, ho ! Margot, ma chere Pie,
 Est-ce à toy de moraliser ?

LA PIE.

Comme je te l’ay dit, à mon lignage impie
La faculté resta de sçavoir bien jaser,
Et sa Posterité jusqu’à moy la conserve.
 C’est le Poëte Martial,
 De qui si piquante est la verve,
 Qui le dit, & ne dit pas mal.
 Il ajoûte qu’à nous entendre
 Parler si délibérément,
À moins que de nous voir, on ne pourroit comprendre
Que nous fussions Oiseaux.

LE PERROQUET.

  Il a raison, vraiment.
Tu viens-là de m’apprendre une assez belle histoire,
 Et sur ta foy, je la veux croire.
 Je ne sçay si les Perroquets
Ont par metamorphose autrefois esté faits,
 A te dire le vray, j’en doute.
Mais qu’importe ? reprens ton sujet, je t’écoute.

LA PIE.

Tu vois que sans le sort du sang de Piérus,
Dont la fecondité s’est par tout répanduë,
 Et dont il faut que je sois descenduë,
J’aurois peut-estre esté de ces Objets pourvûs
Des appas tout-puissans dont les cœurs sont vaincus.
 Cela s’entend, quelque Fille charmante.

LE PERROQUET.

Egrillarde sur tout, & mesme trop allante.
Les Amans dont pour toy le cœur auroit pris feu,
Auroient en vain tâché de te rendre constante ;
 Tu leur aurois joüé beau jeu.

LA PIE.

 Bon, bon, Perroquet, tu veux rire.
 De tout ce que je viens de dire,
 Je ne te cautionne rien.
C’est ainsi que je l’ay souvent entendu lire,
 Et je m’en ressouviens tres-bien.
Ecoute maintenant ce qu’avec certitude
Je puis te garantir estre une verité.

LE PERROQUET.

 Dy, mais supprime le prélude
 Qui n’est d’aucune utilité.

LA PIE.

Tu sçauras donc qu’encor que si bien je caquette,
Je ne suis qu’un Enfant, & presqu’à la bavette.
 Je n’ay qu’un an au plus, & l’on m’a toujours dit
Qu’on vint me dénicher dans le Bois de Vincenne,
 Où Pierre, Martin, ou David,
Selon l’Adage, issu de caboche bien saine,
 Trouva pour lors la Pie au nid.
 J’avois dans ce nid Sœur & Frere,
 Et nostre Pere & nostre Mere
Firent tous leurs efforts, mais inutilement,
 Pour empêcher l’enlevement
 De leur prétieuse couvée,
 Qui fut de la sorte enlevée.
Je crois cela du moins conjecturalement,
Car je ne voyois goute en cet évenement.
Quelqu’un de ce Logis chez l’Oiseleur m’achete,
 Et me nourrit à la brochette.
 C’est des Oiseleurs le jargon,
Qui veut dire donner à l’oiseau nourriçon,
Comme je l’ay depuis appris d’un Interprete,
De l’aliment au bout d’un fort menu bâton.
Quand je fus parvenuë à l’âge d’être instruite,
 On me fit leçon sur leçon,
Dont je retins bien mieux le mauvais que le bon.
 Je fus espiegle dans la suite.
 Je pris & prens plaisir encor,
À dire aux Passans des injures
 Et quand je puis prendre l’essor,
 J’applique mon bec aux captures.
Je vole or, argent, fil, laine, aiguilles, lassets,
 Et les magasins que j’en fais
Sont en des lieux cachez, dont point je ne me vante,
Je laisse de mes vols soupçonner les Valets,
  Et la Servante.
 On les accuse, & moy j’en ris aprés.

LE PERROQUET.

Hé quoy, ton penchant donc, est d’estre larronnesse ?
Oh, tu fais-là, vraiment, un honneste métier !

LA PIE.

Plusieurs y font gagner tous les jours le Cordier.
Mais c’est pour de grands vols, les miens sont tours d’adresse.
Ce sont simples jeux d’un Oiseau ;
 Des passe-temps, des bagatelles,
Qui n’ont rien de fort laid, non plus que de fort beau,
Et qui sont moins pour moy, que fautes venielles.

LE PERROQUET.

 Quand tu voles, tu t’ébaudis ;
 Mais les injures que tu dis ?

LA PIE.

En vain sur ces sujets tu prétens me confondre.
 Il m’est aisé de te répondre
Touchant ma médisance, & touchant mes larcins.
 Je péche, mais sur les exemples.
 J’en ay tous les jours de trop amples,
 Et tous les quartiers en sont pleins.
 Combien de laides & de belles,
 Combien de Dames à carreau
Distilent tous les jours de leur malin cerveau,
 Des médisances criminelles,
Et par chaque parole arrachant un lambeau
 De l’honneur de tels & de telles ?
 Combien de vilains Usuriers
 Font des vols indignes de grace,
Faisant, pour devenir de monstrueux Rentiers,
 De toutes parts arborer la besace ?
 Sans sortir de cette maison
(Parlons bas, car souvent les murs ont des oreilles)
La Maistresse qui fut une Dame Alizon,
Et qui n’a point en luxe aujourd’huy de pareilles,
Discourt à tous momens, & du tiers & du quart,
 Et de chacun l’honneur déchire.
C’est à force d’oüir son bec si goguenard
 Que je m’accoutume à médire.
 Le Maistre est un Fesse-Mathieu
 Qui n’est riche que de rapines,
 Et qui n’auroit ny feu ny lieu,
 Sans les usuraires machines.
Je ne puis dérober que des colifichets,
Mais sans croire pécher contre les loix divines,
Si je pouvois voler au gré de mes souhaits,
Contre luy dans cet art je ferois maints projets
 Qui sur son bien rabatroient grosse somme,

LE PERROQUET.

Songes-tu bien, Margot, à ce que tu me dis ?
Nôtre Maître est un Gentilhomme
 Qui descend des preux Amadis,
  Si celebres jadis.
Il le disoit l’autre jour à sa table,
 Et comme moy tu l’entendis.

LA PIE.

 Ouy, mais c’est une pure Fable.
Un Monsieur qui pour lors dînoit avecque luy,
 Remarqua qu’un nombre innombrable
 De francs vilains sont nobles aujourd’huy,
De qui tous les Parens furent de bas lignage,
 Chausse-guestres, Gagne-petits,
Qu’en Marquis, qu’en Barons, & gens d’un haut étage
Ils ont, pour s’illustrer, à plaisir travestis
Par le secours venal d’un Genealogiste.
Qui donnant un faux lustre à tous ces escargots,
 Les fait descendre, dans sa liste,
 De la côte des grands Heros.
Ne te souvient-il pas qu’il dit toutes ces choses,
 Et qu’il rioit de tout son cœur
 De ces sortes metamorphoses
Qui d’un Faquin, font un riche Seigneur ?

LE PERROQUET.

 Je m’en souviens, & mesme du bon conte.
 Que l’on fit d’un plaisant Marquis,
 Et d’un tres-ridicule Comte,
Qui, pour bien soutenir ces deux titres exquis,
N’avoient point d’autres Fiefs que de vieilles ruines,
 Où les Choüettes, les Hiboux,
Les Limaces, les Rats, & mille autres vermines,
 Avoient leurs dignes rendez-vous,
Si bien que des gaillards, qui faisoient les peintures
 De gens de semblable renom,
Et qui nommoient les choses par leur nom,
Les appelloient le Comte & Marquis des Mazures.

LA PIE.

Oh, de semblables Nobles faux,
 Qu’il est en effet un grand nombre,
Et combien on en voit qui par mille défauts
Rendent encor leur roture plus sombre !
 Pour revenir à ceux d’icy,
 Nostre Maître & nostre Maîtresse,
 J’en ay souvent oüy dire cecy
 À leurs Valets, Gille & Lucrece ;
 Que l’Epoux & l’Epouse aussi
 Estoient d’une vile naissance ;
 Qu’un Pere, fameux Usurier,
 Dont ils sont toujours le métier,
Les avoit par ses vols laissez dans l’opulence.
Et qu’on le regardoit par tout dans son quartier,
 Comme un homme sans conscience,
Qui voudroit, s’il pouvoit, voler le monde entier.

LE PERROQUET.

 Je suis surpris de ta Satyre,
 Et je trouve fort à redire
 Que tu parles si franchement
 Et du Maistre & de la Maistresse,
Qui t’ont fait élever chez eux soigneusement.
 Je condamne pareillement
  Gille & Lucrece,
De s’en entretenir si peu discretement ;
 Car il faut toujours qu’on honore
 Ceux de qui l’on mange le pain.
Je ne suis qu’un Oiseau, c’est-à-dire pécore,
 Mais mon sentiment n’est point vain
Le Decorum se doit garder en toute chose.

LA PIE.

 Tu fais l’important, je le voy.
 Corrige toutefois ta glose.
Lorsque nous médisons, Gille, Lucrece, & moy,
 Ce n’est pas à tort & sans cause,
 Car tu vois assez comme quoy
On nous fait chaque jour un chétif ordinaire.
Nous n’avons bien souvent que du pain & de l’eau.
Des jours maigres & gras, c’est la meilleure chere,
Et si par grand hazard on fait quelque cadeau,
Nous n’avons entre nous nulle part au gâteau.
  Dailleurs Gille & Lucrece
 Sont chaque jour, ou battus, ou criez,
 Par le Maistre ou par la Maîtresse,
 Et qui pis est, tres-mal payez.

LE PERROQUET.

Voilà bien des griefs, à moins on peut se plaindre,
 Je ne te condamne plus tant.

LA PIE.

 On peut même sans se contraindre,
 Pester contre eux tambour battant.
 Hé ! comment pourroit-on se taire ?
 Remarques-tu qu’on nous loge tous deux
 Dans des cages d’oiseaux poüilleux,
 Et qui n’ont rien de propre à plaire ?
 N’en dire rien est une grande affaire.
 En nous la Satyre prend feu,
Lors que l’on est piqué, comme l’on dit, au jeu.
Taisons-nous neanmoins, ou changeons de ramage.
 Jentens nostre train revenir.
 Ah ! foin, que c’est un grand dommage
 De ne pouvoir s’entretenir
 Sur un tel sujet davantage !
 Là, là, quelque jour reviendra,
 Où tout le reste se dira.

[Députation de l’Academie Françoise] §

Mercure galant, juin 1696 [tome 6], p. 301-305.

Les derniers jours du mois passé, l’Academie Françoise complimenta Mr le Duc de Richelieu, sur la naissance du Duc de Fronsac, son Fils. Mr Charpentier, Doyen & Chancelier de la Compagnie, & Mr l’Abbé Testu, furent chargez de ce compliment, & de presenter en même temps à ce Duc un exemplaire du Dictionnaire de l’Academie Françoise, ce qui fut receu avec beaucoup de ressentiment. Mr Charpentier, qui portoit la parole, luy dit en substance : Qu’encore que le nom de Richelieu ne pust jamais finir, & que ce fust un de ces noms celebres qui n’ont plus rien à craindre de la vicissitude des choses humaines, neanmoins on ne pouvoit s’empêcher de se réjoüir quand on voyoit naistre des heritiers de ce grand nom, & qu’on voyoit éclore de nouvelles fleurs de cette tige immortelle ; Que le glorieux ministere du Cardinal de Richelieu, & son zele infatigable pour le service de son Prince & de sa Patrie, avoient merité cet attachement universel aux interests de sa Maison. Que l’Academie Françoîse qui a une relation plus étroite avec ce grand Cardinal, qu’aucune autre Compagnie du Royaume, se faisoit un sujet de joye tout particulier de voir revivre le sang de cet homme incomparable en la personne de ce noble Enfant qui vient de naistre. Qu’elle les avoit chargez de l’en venir feliciter & en même temps de luy offrir ce fruit de ses veilles si longtemps attendu, & qu’ils luy presentoient non seulement de la part de cette Compagnie, mais encore de la part & au nom de ce fameux Cardinal. Que c’estoit un Ouvrage dont il avoit donné le Plan ; que c’estoit sur ses idées qu’on avoit travaillé, & que l’Academie auroit sujet de s’estimer heureuse, si elle avoit sceu profiter de ses lumieres, & si dans la poursuite d’un dessein si vaste, elle ne s’estoit point éloignée des routes qu’il luy avoit tracées.

[Réponse au Critique du Dictionnaire de l’Academie] §

Mercure galant, juin 1696 [tome 6], p. 305-307.

Je ne suis pas étonné que la Critique que l’on a faite du Dictionnaire de l’Academie n’ait fait nulle impression sur vostre esprit. L’Auteur l’attaque par de si foibles endroits, que si cette Compagnie n’y trouvoit autre chose à reformer, elle ne s’appliqueroit pas, comme elle fait, à revoir ce grand Ouvrage. Cependant, Mr Millement de Messange n’a pû laisser cette Critique sans y faire une réponse, qu’il presenta le 28. du mois passe à tous ceux de l’Academie, qui, ce jour-là, composérent l’Assemblée. La substance de son Compliment fut, qu’il luy estoit glorieux d’avoir trouvé une occasion de marquer son zele à ce Corps illustre, & que ce qu’il venoit de donner au Public n’estoit que la premiere partie de sa Réponse ; qu’il employeroit ses soins pour faire que la seconde fust plus digne des personnes pour qui il avoit l’honneur de parler ; qu’il avoit fait ce qu’il avoit pû pour se retenir sur leurs loüanges, & qu’il avoit eu plus d’égard à leur modestie qu’à leur merite. Ce Compliment fut reçû avec beaucoup d’honnesteté, & Mr Dacier, alors Directeur, remercia Mr de Messange au nom de la Compagnie. Cette Réponse est divisée en cinquante Articles dont les uns font voir que tous les caracteres d’une mauvaise Critique se trouvent dans celle du Dictionnaire de l’Academie, & les autres sont des Remarques sur une partie des choses que contient cette Critique. On la trouve chez le sieur Pierre Ballard, ruë Saint Jacques, à Sainte Cecile.

Air nouveau §

Mercure galant, juin 1696 [tome 6], p. 308-309.

L'Air nouveau que je vous envoye gravé, & dont vous allez lire les paroles, est d'un des plus sçavans hommes que nous ayons en Musique.

AIR NOUVEAU.

L’air doit regarder la page 309.
Beauté que la nature adore,
Dont la loy regle les Saisons,
Et fait succeder aux Glaçons,
Les fleurs que nous voyons éclore.
D'un regard favorable & doux
Bannissez de mon cœur la froideur criminelle,
Et changez mon ame rebelle
Trop lente à s'enflamer pour vous.
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