1696

Mercure galant, juillet 1696 [tome 7].

2017
Source : Mercure galant, juillet 1696 [tome 7].
Ont participé à cette édition électronique : Nathalie Berton-Blivet (Responsable éditorial), Anne Piéjus (Responsable éditorial), Frédéric Glorieux (Informatique éditoriale) et Vincent Jolivet (Informatique éditoriale).

Mercure galant, juillet 1696 [tome 7]. §

[Prélude] §

Mercure galant, juillet 1696 [tome 7], p. 7-9.

Jamais Monarque n’a esté si égal en tout que le Roy. Il a toujours aimé la justice jusqu’à décider souvent contre luy-même, & en tout temps il a soutenu avec éclat les qualitez merveilleuses qui le distinguent de tous les autres Souverains, toujours sage par ses Ordonnances, toujours prudent dans ses entreprises, toujours aussi honneste homme que grand Roy, & toujours affable sans descendre de la majesté que luy doit donner l’élevation du Trône qu’il remplit si dignement. C’est sur cette égalité qui ne peut estre assez admirée, que Mr Magnin, Conseiller au Siege Présidial de Mâcon, a fait une Devise, dont le Soleil est le corps, & qui a ces mots pour ame, Æterni numinis Index.

On les a expliquez par ces quatre Vers.

Images de celuy qui ne change jamais,
Loüis & le Soleil, dans leur grandeur suprême,
Pleins de la majesté du Dieu qui les a faits,
Et regneront toujours, & brilleront de même.

[Reception de M. l'Evêque de Chalons] §

Mercure galant, juillet 1696 [tome 7], p. 38-64.

 

Je vous ay marqué dans ma derniere Lettre que Messire Jean-Baptiste-Louis-Gaston de Noailles, Evêque & Comte de Châlons, Pair de France, y avoit été reçû avec des acclamations extraordinaires. On ne doit pas en estre surpris. Son nom y est devenu si cher dans la personne de Mr l'Archevêque de Paris son frere, qu'on ne sçauroit exprimer les applaudissemens & les témoignages d'amour & de respect que tous les Peuples de ce Diocese ont fait paroître à sa reception. Ce Prelat est aussi tres-recommandable par luy-même, d'avoir à l'âge de vingt-sept ans une pieté & une doctrine consommée ; & mille autres qualitez peu communes, qui l'ont rendu digne des bien-faits de Sa Majesté, qui ne veille pas moins aux besoins de l'Eglise par la qualité de Roy tres-Chrestien, en luy donnant des Evesques capables de la bien gouverner, qu'à la gloire de son Empire, par celle du plus grand Heros de la terre. L'abondance de la matiere ne m'ayant pas permis alors d'entrer dans le détail des circonstances de cette reception, je vous diray aujourd'huy que le 7. du mois passé, le Chapitre de Châlons ayant appris que ce Prelat devoit arriver le lendemain, députa Mr Laigneau, Grand Archidiacre, Mr de S. Remy, Archidiacre d'Astenay, Mr de Létache & Mr de Bar, Chanoines, pour l'aller complimenter à l'entrée du Diocese ; & de la part de la Ville, Mr de Cuissotte, premier Echevin, & Mr Baugier, Echevin, & Conseiller au Presidial, furent aussi députez pour luy aller faire un semblable compliment. Le 8. qui fut le jour qu'il entra, on mit toute la Bourgeoise sous les armes. Les Boutiques furent fermées, & les chemins par où il devoit passer, couverts d'une infinité de personnes de toutes conditions & de tous âges, qui allérent au devant de luy. La Porte par où ce Prelat devoit passer, fut entiérement couverte d'un dessein de Portique de l'Ordonnance Toscane, pris du Sçavant Vignole, & peint par le sieur Aubert, dans un si bon ordre, tant de la Peinture, que de l'Architecture, que cela faisoit un relief admirable. Dans le couronnement qui composoit le principal ceintre, on avoit representé les Armes de la Maison de Noailles. [...]

Cependant Mr de Châlons estoit attendu de son Peuple avec impatience, & il arriva environ à quatre heures du soir, accompagné de Mr le grand Prevost qui avoit esté au devant de luy à la teste de ses Archers, & de quantité de jeunesse à cheval. Il passa à travers la Bourgeoisie qui estoit restée pour border les ruës, depuis l'extremité du Faubourg, jusqu'au Palais Episcopal. Son Carosse s'arresta devant l'Eglise de Saint Sulpice, où ce Prelat entra pour se revestir de ses habits Pontificaux, après avoir oüi un Discours du Curé de cette Paroisse. Pendant ces ceremonies, tout le Clergé, tous les Ordres Religieux vinrent en Chappe au devant de luy jusques à cette Paroisse de Saint Sulpice, d'où il sortit sous un Dais magnifique, & remplissant de mille benedictions son Peuple, qui le benissoit dans son coeur, il vint dans la Cathedrale, où aprés avoir prêté le serment, il fut harangué [...] au grand Portail de cette Eglise, par Mr l'Abbé Laigneau, Docteur de Sorbonne, & digne Chef de son Chapitre. [...]

Ce Prelat répondit fort doctement & avec une grace qui fit sentir dans le coeur de tous ceux qui l'écoutérent, des mouvemens secrets d'estime & d'inclination, en mesme temps qu'elle imprimoit un profond respect. Aprés cela il fut introduit & installé par Mr le Doyen à la teste du Chapitre, dans la forme que l'on a coûtume d'observer en de pareilles occasions ; ensuite de quoy il entonna le Te Deum, qui fut chanté par la Musique. Il fut conduit dans son Palais Episcopal, par le Chapitre, au nom duquel Mr le Doyen luy fit encore un compliment. Il y reçut aussi ceux de tous les Corps de la Ville, de Mr de Vaugency, Lieutenant General du Presidial à la teste de sa Compagnie ; de Mr du Sorton, President des Tresoriers de France, de Messieurs les Elûs, de Mr de Letrées à la teste des Echevins & Conseillers de la Ville. On avoit mis ces Vers au dessius de la Porte de la salle. [...]

Ad nos in medio vivacis flore juventæ
Doctus ades, sapiens, stemmate clarus avûm.
Dent annos Superi, namque à te cætera sumes,
Sint modo virtuti tempora longa tuæ.

Ils estoient en François dans un autre endroit.

Tout brillant de l'éclat du sang de tes Ayeux,
Pieux, sage, & sçavant dans ta vive jeunesse ;
Aujourd'huy, grand Prelat, tu parois à nos yeux.
Que de ses jours, Seigneur, jamais le cours ne cesse,
Tous les autres tresors il les tient en ses bras,
Pourvû qu'à sa vertu le temps ne manque pas.

Le 19. du même mois, Mr l'Evêque de Châlons alla au College des Jesuites, où il assista à la representation d'une Piece de Theatre, que l'on avoit préparée pour marquer la joye que toute la Ville ressentoit de ce que le Roy luy avoit donné la conduite de ce Diocese. Cette Piece estoit divisée en trois parties, avec autant de Concerts de Musique que l'on y avoit entremeslez. Le premier de ces Concerts exprimoit les regrets de plusieurs Bergers, sur l'absence d'un Sacrificateur qu'on leur avoit enlevé. Le second faisoit parler ces mêmes Bergers à l'Echo, qui leur répondoit favorablement, & le troisième estoit un Dialogue entre eux & le Dieu Pan, qui leur accordoit un Protecteur. La Musique & les Simphonies estoient de la composition de Mr Bouteiller, Parisien, Maistre de Musique de la Cathedrale de Chalons. Plusieurs Devises servoient à la décoration du Theatre, & elles estoient disposées sur les deux faces. Dans l'une estoient celles qui regardoient les personnes de la Maison de Noailles les plus distinguées par leurs Dignitez Ecclesiastiques.

[Lettre sur un Passage de Terence] §

Mercure galant, juillet 1696 [tome 7], p. 80-97.

On seroit bien-aise de sçavoir le sentiment des Sçavans sur un passage de Terence, qui fait le sujet de la Lettre que vous allez lire.

J’ay lû, Monsieur, avec plaisir dans le Mercure d’Avril dernier, l’explication d’un passage du premier livre de l’Eneide, & suis bien-aise qu’on ait enfin pris cette voye pour se proposer les difficultez qui se rencontrent en certains autres passages des Anciens. Ce sera un moyen de plaire & d’instruire en mesme temps. Pour imiter celuy qui vient de nous donner ses conjectures sur les deux Vers de Virgile, rapportez dans ce Mercure, voicy un passage de Terence qui a bien moins encore esté entendu jusqu’à present. Il est dans la premiere Scene du second Acte de Phormion. Nil suave meritum est.

Toute l’obscurité qu’on y trouve regarde le verbe meritum est. On a prétendu la résoudre dans les Nouvelles de la Republique des Lettres, du mois de Février 1687. en disant que mereri signifie gagner. Ce passage donc signifieroit, on n’a rien gagné de bon, sçavoir, à faire des noces, parce que ces paroles qu’on lit un peu auparavant, non, non sic futurum est, non potest, s’entendent des noces. Mais ce n’est pas seulement à ces paroles qu’il faut rapporter ce passage de Terence, mais aussi à ce qui précede immediatement. Egon’ illam cum illo ut patiar nuptam unum diem ? Vous verrez dans la suite, Monsieur, que l’usage de la Latinité le demande. Ainsi je ne vois pas que nil suave meritum est puisse signifier, on n’a rien gagné de bon à faire ces Noces.

Je m’estois autrefois déterminé au sentiment de ceux qui ont cru qu’il y avoit dans l’original, nihil suave meritu’ est, pour nihil suave meritus est, & que ce qu’on lit autrement dans les Manuscrits, n’estoit qu’un effet de l’ignorance des Copistes. Cette conjecture ne repugnant ny à la maniere d’écrire des Anciens, ny à la mesure des Vers ; & d’ailleurs presentant un sens assez naturel, je fus autrefois d’autant plus disposé à la suivre, qu’elle dissipoit tout coup d’un toute l’obscurité, que Mrs de Port Royal, & les autres, ont trouvée dans ce passage ; mais tout bien consideré, c’est faire au regard de cette difficulté, ce que fit Alexandre à l’égard du Nœud-Gordien, & je ne crois pas qu’il soit permis à Mrs les Critiques, quand un passage les arreste, de supposer pour certaines leurs conjectures contre le témoignage de tous les exemplaires. Il faudroit au moins pour cela qu’il fût autrement entierement impossible d’y donner un bon sens, ce qui ne se peut pas dire du passage en question.

Le fameux Mr le Févre rapporte icy deux endroits de Plaute, dont le premier est, in Pænul. Act. 1. Sc. 3. Ut non ego te hodie emittam manu, non meream quantum aquæ in mari, neque nubis quantum, neque quot stellæ in cœlo, neque hoc, neque illud. L’autre passage, dont il ne marque pas précisément le lieu, porte. Neque nodie, ut te perdam, meream Deûm divitias mihi. D’où il infere que nihil suave meritum est, se doit ainsi expliquer. Quidquid possum merere, quidquid à me mereri potest, quæcumque ad me utilitas ex tolerantia mea redire queat, totum id respuam, & longè asperner, illam ut cum illo nuptam vel unum patiar diem, nolim Deûm immortalitatem merere. Aprés quoy il conclut, & hæc ad locum Terentii satis difficilem, sed qui, ut spero, nihil posthac habebit quod lectorem possit morari.

Cette paraphrase fait parler Demiphon comme s’il regardoit pour soy l’avenir, au lieu que constamment ce bon homme parle du passé, disant meritum est, & non pas mereatur, ou meritum sit, comme il y a dans les passages de Plaute, meream. De plus, nihil suave, sont des termes bien foibles pour un Pere outré de colere avec tant de sujet. Ajoûtez que Terence faisoit gloire d’imiter Plaute ; & outre qu’il avoit lû ses Livres, il n’estoit ny moins fort, ny moins riche en expressions, ce qui se trouveroit pourtant icy, si Mr le Févre avoit bien rencontré.

Verùm, dit cet illustre Critique, antequam manum de tabula tollo, hoc quoque monendum arbitror illud nomen meritum non esse substantivum, quod tamen putavit non modo Donati excerptor, sed & Budæus ipse. Hinc autem omnes doctos arbitror in errorem inductos fuisse,

Peu s’en est pourtant fallu que je n’aye esté du sentiment de ces Auteurs, & je n’y balancerois pas, si nihil suave estoient des termes seulement à peu prés aussi forts que quantum aquæ &c. Deûm divitias, Deûm immortalitatem. Mr le Fevre dit luy même dans ses Notes, Pretium ætas altera sordet, qui locus Horatii huic germanus est. Or Pretium & Meritum sont quelquefois synonimes. Ne pourroit on pas dire sur ce fondement-là, nihil suave meritum est, ut &c. pour nihil suave pretium est, ut &c. Il n’y a point de douceur qui puisse estre pour moy un motif assez puissant pour m’engager à cette complaisance. En verité je suis quasi tenté de m’en tenir là.

Mais j’ay encore quelques remarques à faire qui m’entraînent ailleurs. Premierement au regard de l’usage qu’on faisoit autrefois de mereri & de meritus, Je trouve dans Plaute in Captivis. Act. V. Sc. derniere Tynd. At ego grandis grandem natu ob furtum ad carnificem dabo. Meritus est. Phil. Meritus est. Tynd. Ergo huic ædepol, meritum mercedem dabo.

Secondement, du temps de Terence on tenoit sans doute, comme on a toujours fait, ces maximes de Morale qui ont obligé Plaute à dire Stich. Act. 1. Sc. 2. Promerenti optimè hocce preti redditur ? Bene merenti mala es, malè merenti bona es.

Alors aussi l’on croyoit sans doute, qu’un homme par la consideration de sa vie passée pourroit meriter, ou non, le pardon d’une faute qu’il venoit de commettre. Ainsi Caton opinant dans le Senat sur le sujet des complices de Catilina, qu’on avoit arresté, dit entre autres choses. Videlicet vita cætera eorum huic sceleri obstat.

D’ailleurs, je ne trouve pas impossible que Demiphon n’eust sujet de dire, comme Chremes, Act. IV. Sc. I. Est sæva mulier intus. Vereor ne uxor aliquâ hoc resciscat mea. Quod si sit, ut me excutiam atque egrediar domo, id restat, nam ego meorum solus, sum meus ; & je crois d’autant mieux que Demiphon n’avoit pas plus de sujet de se loüer de son Fils Phædrie, que Chremes d’Antiphon, dans l’idée de Terence, qui tenoit pour maxime au regard des jeunes garçons, Qui unum novit, omnes noverit, adeo sunt simili ingenio.

Quand donc il dit presentement, nihil suave meritum est, aprés avoir dit, Egon’ &c. ne pourroit on pas rendre ainsi sa pensée ? Videlicet cætera vita illius harum nuptiarum veniam à me postulat, immo nunquam bene de me meruit is sævæ uxoris filius, matri obnoxior, eique adeo haud quaquam siem bonus, in re præsertim tam mala. ou bien en François. Quoy, je souffrirois qu’elle soit sa femme seulement un jour ? Non, non, ne m’ayant jamais obligé en rien, au contraire n’ayant toujours fait que me chagriner, il ne merite pas que j’aye pour luy cette complaisance.

Pour mieux entrer dans la pensée de Terence, il faut considerer que Demiphon estoit en colere, d’autant plus qu’Antiphon & Geta venoient de le pousser à bout par leurs réponses. Il parle donc icy comme Neptune dans Virgile, Quos ego ! Je veux dire qu’il ne dit pas tout ce qu’il auroit dit de sang froid. Que si nous suppléons ce qui manque à son Discours, toutes les difficultez se trouveront, à mon avis, levées.

Pour cet effet j’ay encore recours à Plaute, disant Aulul. selon Lambin, ut inopem atque innoxium abs te atque abs tuis me irrideas ? Namque de te neque re, neque verbis merui, ut faceres quod facis. Prenons icy le tour de Terence, & faisons dire à Plaute ; namque de te neque re, neque verbis quid à me meritum est, ut faceres quod facis. Et reciproquement donnant aux paroles de Terence le tour de celles de Plaute, disons, Egon’ &c. nihil suave de me autre aut verbis meruit, ut hoc faciam. N’ay je pas icy raison de dire, Plautina germana sunt Terentianis, & vicissim Terentiana Plautinis ?

Ceux qui prendront la peine de lire cette explication de ce passage de Terence, en jugeront ; & si j’apprens, Monsieur, par le jugement que vous en ferez que ces sortes de recherches peuvent estre de quelque utilité, je pourray vous en donner de temps à autre. Cependant je voudrois bien que quelque Critique m’apprist comment il entend ces deux passages du même Terence, Ita fugias, ne præter casam. Terent. Phorm. Act. V. Sc. 2. nam de te quidem sat scio, peccando detrimenti nil fieri potest. Hecyr. Act. II. Sc. 1. Je ne suis guere content des Interpretes, ny de moy même sur ces deux passages, mais je suis veritablement, Monsieur, vostre tres, M.M.

[Sonnet] §

Mercure galant, juillet 1696 [tome 7], p. 97-100.

La Dissertation sur un Passage de Virgile, dont il est parlé au commencement de cette Lettre, est de Mr Sarrau, Auteur de plusieurs ouvrages qui ne portent point son nom, & que je vous ay envoyez en differentes occasions. Je luy rens la justice que je luy dois à l’égard de cette Dissertation, si-tost que j’apprens qu’elle est de luy. Un de ses Amis, qui souffre avec peine qu’il se cache si long-temps, luy a adressé ce Sonnet.

Sarrau, dont les polis & les sçavans Discours
Augmentent fort souvent les Tresors du Mercure,
Quand tu répans les fruits de ta belle lecture ;
Dans les moindres sujets on t’admire toujours.
***
Les plus fameux Auteurs, dont les écrits ont cours,
Pour pouvoir t’imiter se donnent la torture,
Et les foibles Sçavans, de ta litterature,
Pour former leur genie, empruntent le secours.
***
Le tour de ta pensée, & si juste & si rare,
Est le fleau declaré d’un esprit qui s’égare,
Ton entretien, sur tout, a des charmes divers.
***
Le Mercure le sçait ; il cherit tes Ouvrages,
Et quand tu prens le soin de luy remplir ses pages,
De ton Nom en revanche il remplit l’Univers.

[Ceremonie faite en Sorbonne] §

Mercure galant, juillet 1696 [tome 7], p. 107-117.

 

Le 28. du mois passé, jour de l'Octave de la Feste-Dieu, Mr l'Archevesque de Paris, Docteur de Sorbonne, porta le Saint Sacrement à la Procession de Sorbonne, qui ne se fait tous les ans que ce jour-là de l'octave, sans qu'elle se fasse le premier jour de la Feste. Comme c'est un usage étably depuis longtemps, que les Archeveques de Paris fassent cette fonction la premiere année qu'ils sont Archevesques, ce Prelat avoit esté invité à la faire par une députation de huit Docteurs. Ainsi ce jour-là, il se rendit dans l'Eglise de Sorbonne à six heures & demie du matin, en habit & en camail violet. Estant passé dans la Sacristie, il s'y revestit de ses habits Pontificaux, & il en sortit pour commencer la grand'Messe. On devoit faire la Procession auparavant, mais le mauvais temps empescha que l'on ne sortist à l'heure marquée, & Mr l'Archevêque la celebra pontificalement, ayant pour Diacre, & Soudiacre, deux des plus anciens Docteurs.

Le Chœur estoit remply des Docteurs de la Maison de Sorbonne, & Faculté de Theologie & des Bacheliers, tous en fourure ; sçavoir, les Docteurs aux hautes chaises, & les Bacheliers aux basses formes. On avoit distribué à la pluspart de ces derniers, des fonctions pour la Procession. La Messe estant finie, & la pluye ayant cessé, on se mit en marche en cet ordre. La Croix de Sorbonne estoit portée par un Bachelier de Licence, precedé par un Porte-bourse, c'est à dire par celuy qui porte le Corporal, c'estoit Mr l'Abbé de Monaco. Deux Acolytes ou porte-Chandeliers, un desquels estoit Mr l'Abbé de Seve, un Maistre des Ceremonies, un porte-Epistre, & un porte-Evangile. Un grand nombre de Docteurs, la pluspart Curez de Paris, en Chappes, suivoient deux à deux, & aprés eux marchoit la Croix de Mr l'Archevesque portée par un Bachelier, la Crosse ensuite, portée de mesme. Six Bacheliers en surplis suivoient chacun un flambeau de cire blanche à la main, entre lesquels estoient Mr l'Abbé de la Fare, & Mr l'Abbé de Rochebonne ; quatre Thuriferaires au milieu, qui encensoient le S. Sacrement alternativement deux à deux. Aprés eux marchoient six Bacheliers en fourure, chacun un flambeau à la main, dont quatre estoient simples Bacheliers ; sçavoir, Mr l'Abbé de Louvois, Mr l'Abbé de Majeinville, & Mr l'Abbé de Laval-Montmorency. Les deux autres qui precedoient immediatement le Saint Sacrement avec un flambeau à la main, estoient Bacheliers de Licence ; sçavoir, Mr l'Abbé de la Bastie, Doyen de la Licence, & Mr l'Abbé Marion. La différence qu'il y a entre un simple Bachelier & un Bachelier de Licence, c'est qu'un simple Bachelier est celuy qui a soutenu une These en Sorbonne, appellée Tentative, & les Bacheliers de Licence, sont ceux qui aprés avoir esté reçûs Bacheliers, & avoir attendu le temps marqué par les Statuts de la Faculté de Theologie, sont Bacheliers sur les Bancs de Sorbonne, pour assister aux Theses de Tentatives & y donner leur suffrages pour la reception des Bacheliers, & soutenir eux-mesmes pendant le cours de deux années, trois Theses appellées Theses de Licence, aprés lesquelles ils sont Licenciez, & prennent le bonnet de Docteur.

Le Dais venoit ensuite porté par six des plus anciens Docteurs en fourure ; sçavoir, Mr de Lestocq, Professeur en Theologie, Mr le Cappelain, Mr Morel, Mr Boucher, Mr le Caron, Curé de Saint Pierre aux Bœufs, & Mr le Blond, Curé de S. Leu S. Gilles. Mr l'Archevesque sous le Dais portoit le Saint Sacrement, aidé par deux Docteurs en Chasubles. Deux Bacheliers portoient derriere le Dais, les deux Mitre de Mr l'Archevesque, & ensuite marchoit le Doyen de la Faculté, Grand-Maistre de la Maison de Navarre, suivy de tous les Docteurs en Corps revestus de leur fourure, un cierge à la main. Aprés eux marchoient aussi deux à deux les Bacheliers de Licence, suivis de simples Bacheliers, entre lesquels estoit Mr l'Abbé de Soubize, qui n'avoit point pris de fonction, tous un cierge à la main. La Procession passa devant le College de Harcourt, où il y avoit une grande Symphonie, & mesme un concert de Trompettes. Il y en avoit aussi un magnifique au College du Plessis. Le zele & l'air modeste de Mr l'Archevesque, qui ne manque point de se trouver à toutes les actions de pieté où il peut assister, quelque penibles qu'elles puissent estre, édifierent beaucoup en cette Procession, laquelle estant rentrée dans l'Eglise, ce Prelat donna la Benediction du S. Sacrement, & chacun se retira.

Le Bonheur de l’honneste Homme §

Mercure galant, juillet 1696 [tome 7], p. 122-124.

Voicy des Vers qui enseignent les moyens de vivre heureux. Ils sont de Mr l’Abbé Bardou.

LE BONHEUR
de l’honneste Homme.

Plus de bonheur que de science,
Beaucoup de foy pour son Curé.
Un bien mediocre assuré,
Peu d’Amis, gens de confiance.
Point de Maistre, peu de Valets,
Beaucoup d’horreur pour le Palais.
Assez de travail & d’étude
Pour éviter l’inquietude ;
Autant qu’il faut d’oisiveté.
Pour une honneste volupté,
Eviter l’amoureux caprice,
L’ambition & l’avarice ;
Laisser couler sans murmurer
Ce qui ne peut toujours durer :
Au jour d’éternelle durée
Tenir son ame préparée.
Ami, voila, selon mes vœux.
Tout ce qu’il faut pour estre heureux.

[Vers à l’imitation des precedens] §

Mercure galant, juillet 1696 [tome 7], p. 124-126.

Nous devons à une Muse anonyme les Vers suivans, qui ont esté faits à l’imitation de ceux de Mr l’Abbé Bardou.

Joüir d’un bien qu’on ne doit point au crime,
Avoir de ses Amis la tendresse & l’estime,
 Les rassembler quand on veut, non toujours,
Tout autour d’une table & propre & delicate,
 Où l’esprit brille, où l’allegresse éclate ;
Au merite oublié prester quelque secours.
Lassé du tumulte des Cours
Revoir de temps en temps la paisible Province,
Où par de seuls bienfaits éclate le pouvoir.
 Honoré des regards du Prince,
Le servir par amour autant que par devoir,
Libre de mille emprunts que trop de faste exige,
Ne se voir assiegé que par gens qu’on oblige.
Sans que d’un Creancier le visage odieux,
Et vous glace le sang, & vous blesse les yeux.
D’un feu toujours modeste avoir l’ame saisie,
Et toujours ignorer la noire jalousie,
 Ami, voila, selon mon jugement,
Tout ce qu’il faut pour vivre heureusement.

[Sur une courte visite] §

Mercure galant, juillet 1696 [tome 7], p. 126-129.

La même Muse anonyme a produit ces autres Vers, sur une visite imprévûë & courte d’une fort belle personne, & d’une naissance distinguée.

Dans quel sombre chagrin sa retraite me plonge !
Quelle tristesse suit un moment si flateur !
Helas ! je pers si-tost un objet enchanteur ;
Mais l’ay-je vûë au moins, & n’est-ce point un songe ?
Quel sujet l’amenoit ? dans quel temps ? dans quels lieux ?
Ne me trompay-je point ? en croiray-je mes yeux ?
 En vain une Mere en alarmes
La dévore de l’œil, l’attache à son costé.
Aurois-je vû venir cette jeune beauté
Seule & sans suite icy que l’éclat de ses charmes ?
 Que dis-je, ô Ciel ! quel appareil pompeux
Peut égaler les ris, les graces & les jeux,
Les folâtres amours, les Venus ravissantes,
Compagnes en tous lieux de ses beautez naissantes ?
Jamais si belle escorte & si brillante Cour
Ne sceut accompagner la Mere de l’Amour.
Mais enfin trop presente à mon ame éperduë,
 Peut-estre ay-je crû l’avoir vûë.
Non, je n’en doute plus, c’est l’objet accompli,
 C’est la Princesse que j’adore.
J’ay vû qu’à son aspect le jour s’est embelli,
 Et de mon cœur j’en crois le trouble encore.
 D’un fier dépit ce matin occupé
 Je jurois de briser mes chaînes.
Contre elle je formois mille entreprises vaines,
Elle vient, d’un regard elle a tout dissipé.
J’ay senti dans mon cœur expirer ma colere,
 Et n’ay plus songé qu’à luy plaire.
D’un esprit amoureux, étrange aveuglement ?
 Sur un rigoureux traitement,
 Sur un procedé qui nous blesse,
On s’arme quelquefois d’un fier ressentiment.
 Loin d’un objet charmant.
Paroît-on devant luy ; dès le premier moment,
Plus que jamais encor on ressent sa foiblesse.
Au moins tel fut pour moy le fruit de mille efforts.
Mais, Dieux, quelle est l’ardeur dont mon ame est saisie ?
 D’un cœur épris i’ay les feux, les transports,
 J’en ay même la jalousie,
Et ie sens dans un sort étrange à concevoir,
Tous les feux d’un amour dont ie n’ay nul espoir.

[Histoire] §

Mercure galant, juillet 1696 [tome 7], p. 138-166.

Il est dangereux de s’assurer trop sur ses propres forces contre les surprises de l’amour. La fidelité la plus éprouvée a quelquefois peine à résister à ses charmes, & qui ne fuit point dans le peril, manque rarement à estre vaincu. Un Cavalier, dont le seul defaut estoit son peu de fortune, s’estant par hazard rencontré un jour auprés d’une Veuve d’un merite distingué, embrassa avec plaisir l’occasion de connoistre par luy même, si on ne la flatoit point dans les belles qualitez que ses Amis luy donnoient. Il s’attacha à l’entretenir, & fut si content de son esprit & de ses manieres, qu’ayant obtenu permission de la voir chez elle, il fit son bonheur des soins empressez qu’il luy rendit. La Dame pouvoit avoir vingt cinq ans, & l’indépendance où la mettoit le Veuvage, la laissant maistresse de ses actions, elle menoit une vie douce & aisée, sans aucune autre contrainte que celle qui est commune à toutes les Femmes raisonnables, qui doivent compte de leur conduite au Public. Elle estoit bien faite, avoit des manieres pleines d’agrément, les yeux petits, mais remplis de feu, le teint vif & fort brillant, la taille grande, une fraischeur qui faisoit plaisir, & sans un peu de grosseur, rien n’auroit esté à condamner dans son embonpoint. Elle avoit d’ailleurs l’air noble, & un sçavoir vivre qui faisoit le charme de tous ceux qui la voyoient. Mais tout cet exterieur qui frapoit les yeux, n’avoit rien de comparable aux qualitez de son ame. Elle l’avoit droite, & sans aucun fard, les sentimens élevez, l’esprit bien faisant & toujours égal, & l’humeur si douce, qu’on se pouvoit assurer en tout de sa complaisance. Le Cavalier ne la vit pas fort long-temps sans découvrir tout ce qui la distinguoit de la pluspart des personnes de son Sexe. Il en demeura charmé, & l’égalité qu’il luy trouva en toutes rencontres, luy ayant fait concevoir combien il seroit heureux s’il pouvoit passer sa vie avec elle, il luy declara tout le pouvoir qu’elle avoit sur luy, & la pria de vouloir résoudre de sa destinée. La Dame qui le trouvoit d’un caractere estimable, & qui jugeoit par l’attachement qu’il luy faisoit voir, combien il y avoit de sincerité dans ses protestations, voulut bien luy avoüer que son cœur n’y estoit pas insensible ; mais comme elle avoit de la prudence, & qu’elle sçavoit que presque toujours une passion aveugle se trouve suivie des plus fâcheux repentirs, elle luy representa, que quelque violent amour qu’il sentist pour elle, il devoit examiner les suites terribles de l’engagement qu’il luy proposoit; que la fortune de l’un ny de l’autre n’estoit point assez considerable pour se hazarder à se marier ensemble, s’il n’y arrivoit du changement, & qu’elle avoit assez d’estime pour luy, pour le preferer à des partis beaucoup plus avantageux, dés que ses affaires seroient dans l’estat où il se flatoit de les pouvoir mettre ; que jusque-là il devoit se contenter de la voir comme une Amie en qui il pourroit avoir une entiere confiance. Ces sentimens estoient si honnestes & si raisonnables, que le Cavalier ne s’obstina point à les combatre. Il dit à la Dame qu’il luy suffisoit d’estre asseuré des favorables dispositions qu’elle luy marquoit, pour venir à bout de faire réüssir en peu de temps certains projets qui luy devoient procurer de grands avantages. La Dame luy ayant promis d’employer pour leur succés tout le credit qu’elle avoit sur des personnes puissantes, il redoubla son attachement, & ses assiduitez furent si fortes, qu’on les soupçonna d’estre mariez secretement. Cependant il se passa plus de trois années, sans qu’on vist le dénouëment des esperances qui avoient flaté le Cavalier. C’estoit toujours un surcroist d’amour du costé du cœur, mais rien n’avançoit du costé de la fortune, & enfin la Dame étant obligée d’aller en Province, où ce qu’elle avoit de bien sembloit déperir faute d’y veiller par elle mesme, elle resolut de quitter Paris, & de se charger des soins qu’elle avoit toûjours negligé de prendre. Il falloit s’en éloigner de cinquante lieuës, & il parut que la séparation fut tres rude au Cavalier. Quelles assurances ne luy donna-t-il point avant qu’elle s’éloignast, qu’il l’aimeroit toujours avec passion, & que jamais il n’aimeroit qu’elle ? Il la conjura, pour le consoler de son absence, de luy vouloir bien écrire souvent, & il vous est aisé de juger qu’il n’eut pas de peine à obtenir ce qui luy faisoit plaisir à elle-mesme. Elle partit, il en soupira, mais le long-temps que les affaires de l’aimable Veuve devoient l’obliger de passer à la Campagne, ayant fait, faire reflexion au Cavalier qu’il meneroit une vie bien triste, s’il soupiroit jusqu’à son retour, il crut qu’il estoit d’un homme sage, de chercher à adoucir par d’agreables visites le chagrin que luy causoit son éloignement. Ainsi il se plut à voir une Dame, entre autres, dont le merite n’estoit pas moins distingué que sa naissance. Il la trouva d’un commerce aisé, & les égards qu’elle luy marqua, luy ayant donné de l’empressement à venir chez elle, cet empressement redoubla beaucoup aprés qu’il se fut rendu un peu familier avec sa Fille. C’estoit une jeune Blonde, dont la naissante beauté avoit dequoy faire impression sur les cœurs les moins disposez à la tendresse. Elle estoit fort enjoüée, avoit l’esprit délicat & penetrant, beaucoup de raison & de sagesse, quoy que son peu d’âge la pust dispenser d’en avoir tant, & une vivacité qui la faisant briller dans la conversation, luy attiroit beaucoup de loüanges. Elle joignoit d’ailleurs à mille agrémens répandus dans sa personne, une taille fine qui charmoit tous ceux qui la voyoient. Aussi le Cavalier ne put-il résister à tant de charmes. Il aima la Belle presque aussi tost qu’il la vit, & dés la premiere occasion qu’il trouva de luy parler sans témoins, il s’en déclara éperduement amoureux. La Belle qui n’estoit pas Fille à s’accommoder d’une passion si prompte, luy dit qu’il alloit bien vite, & que toute jeune qu’elle estoit, elle sçavoit bien que les protestations qu’il se plaisoit à luy faire, estoient un langage ordinaire aux hommes ; qu’elle vouloit bien qu’il se divertist, mais qu’il devoit aussi trouver bon qu’elle écoutast comme un conte toutes les protestations qu’il luy faisoit. Le peu de foy qu’ajoûta la Belle aux discours du Cavalier, ne fut point capable de le rebuter. Il redoubla ses visites & ses soins, & dés qu’il pouvoit trouver la Belle seule, il estoit à ses genoux à luy jurer un amour qui ne finiroit jamais. Il luy marquoit même par ses larmes le desespoir qu’elle luy causoit, en ne répondant point à sa passion, & il en estoit si fort aveuglé, qu’il l’eust épousée sur l’heure, sans attendre l’imaginaire fortune dont il se flatoit, si elle eust voulu y consentir. La Belle traita longtemps de plaisanterie la conqueste qu’il vouloit luy persuader qu’elle avoit faite, & agissoit avec luy comme n’y faisant nulle attention ; mais enfin connoissant par ses manieres, & par ses transports de passion, que la chose estoit devenuë fort serieuse, elle le pria de luy expliquer comment il accordoit dans son cœur l’amour qu’il prétendoit qu’elle luy eust inspiré, avec celuy qu’il avoit pour l’aimable Veuve. Il luy répondit qu’il n’y avoit plus de Veuve pour luy ; que comme elle avoit pris son parti en le quittant, il se tenoit dégagé de ce qu’il pouvoit luy avoir promis ; & pour la convaincre qu’il ne songeoit plus à elle, il luy apporta toutes les Lettres qu’il en recevoit, & luy offrit de n’avoir plus avec elle aucun commerce, pourvû qu’elle l’assurât de son amour. Les Lettres qu’il luy montra, luy firent connoistre que la Veuve estoit instruite du nouvel attachement qu’il avoit pris. Elle le felicitoit d’avoir sceu plaire à une jolie personne, dont le merite estoit une preuve de son bon goust, & luy disoit que quand elle n’auroit pas esté informée de ses assiduitez, le peu d’empressement qu’il avoit à luy écrire, luy auroit appris qu’il sçavoit remedier aux déplaisirs de l’absence ; qu’il faisoit bien de se dissiper agreablement, & qu’elle luy sçavoit bon gré de chercher toujours à mener une vie douce. Le Cavalier crut avoir gagné beaucoup en faisant voir à la Belle que la Veuve s’estoit apperceuë de son refroidissement, ce qui estoit une marque qu’elle commençoit à luy estre indifferente. Il ne se contenta pas de ce sacrifice, il voulut y ajoûter celuy d’un petit Portrait de l’aimable Veuve qu’il portoit au bras, & qu’il avoit receu d’elle pour assurance de l’engagement qu’elle s’estoit fait de l’épouser, si leur fortune le pouvoit permettre. Ces sacrifices firent un effet contraire à ce qu’il avoit pensé. La Belle cessa d’estimer le Cavalier, & ne songea plus qu’à s’en défaire. Le peu de bien qu’il avoit ne luy permettoit aucune pensée de mariage. Elle estoit trop sage pour se pardonner un amour d’amusement, & quand elle en eust esté capable, elle ne pouvoit douter qu’il ne la sacrifiast à son tour à une nouvelle passion, comme il vouloit luy sacrifier la Veuve. D’ailleurs, ses visites assiduës ne produisoient rien que de fâcheux pour sa reputation. Ainsi la Mere, qu’on blâmoit de les souffrir, se chargea d’en rompre le cours. Elle dit au Cavalier qu’estant Ami de sa Fille, il devoit chercher tout ce qui pouvoit servir à sa gloire, & que puisqu’on murmuroit de ce qu’il venoit si souvent chez elle, elle estoit persuadée qu’il voudroit bien renoncer en sa faveur à cette assiduité. Le Cavalier ne put consentir à voir rarement la personne qu’il aimoit. Il resista à la Mere, & luy parla avec tant d’emportement, que s’en tenant offensée elle rompit entierement avec luy, & luy deffendit de la voir jamais. Il eut beau faire, elle ne s’adoucit point, & il chercha inutilement pendant quinze jours les moyens de voir la Belle. Il ne le pouvoit à moins qu’elle ne voulust luy donner un rendez vous, & pour l’obtenir il luy écrivit de la maniere du monde la plus tendre, luy reïterant que si la Veuve luy faisoit la moindre peine, elle n’avoit qu’à parler, & que jamais il ne la verroit. La Belle, à qui l’on donna la lettre, refusa obstinément d’y faire réponse, & le Cavalier en fut si piqué qu’il n’eut plus pour elle les égards qu’il luy devoit. Il n’en dit rien qui luy pust estre desavantageux, mais il fit l’indifferent, & cherchant à se consoler de l’avanture avec des personnes plus commodes qu’elle, il répondit à ceux qui luy en parlérent, qu’il s’estoit trouvé avec la Belle en de certaines situations, qui l’avoient obligé à dire des honnestetez qu’on avoit voulu appeller amour, mais qu’il n’avoit cherché qu’à se divertir, & que si tost qu’il avoit connu que ses visites mettoient la Mere en mauvaise humeur contre sa fille, elles luy tenoient si peu au cœur qu’il n’avoit eu aucune peine à y renoncer. La Belle à qui l’on conta ce qu’il disoit d’elle, crut qu’un homme qui en usoit d’une maniere si desobligeante, ne meritoit pas qu’elle l’épargnast. Elle avoit appris l’adresse dont il se servoit en écrivant à la Veuve, à qui elle envoya l’unique lettre qu’elle avoit de luy. La Lettre estoit si parlante que la Veuve fut convaincuë qu’il l’avoit sacrifiée. Elle trouva pourtant à propos de dissimuler, & continua toûjours à luy écrire, feignant de prendre pour des veritez tout ce qu’il voulut luy faire croire sur cette rupture. Aprés tout, il n’estoit pas trop blâmable. Il estoit jeune. L’absence affoiblit l’amour, & une belle personne qu’on voit souvent doit faire excuser un peu d’infidelité. Ainsi il n’eut tort que pour luy-mesme, parce que s’abandonnant trop à ses plaisirs, il n’eut pas le soin qu’il devoit avoir de ses affaires, & negligea bien des choses qui auroient contribué à son établissement. L’aimable Veuve en usa d’une autre sorte. Non-seulement elle remit son bien en valeur par toutes les peines qu’elle se donna, mais elle s’attacha avec tant d’adresse auprés d’un vieil Oncle qui n’avoit jamais voulu se marier, qu’estant mort un an aprés qu’elle fut dans la Province, il luy laissa par son Testament une somme assez considerable. Enfin, elle revint à Paris, où le Cavalier reprit ses empressemens. Elle luy reprocha d’une maniere fine & spirituelle, ses avantures galantes, qui luy avoient laissé si peu sentir son éloignement, & il se tira d’affaires en luy disant qu’on ne pouvoit estre dans le commerce du monde, sans laisser échaper auprés des femmes des choses flateuses qu’elles expliquoient selon que le cœur leur en disoit, & que jamais, quelques douceurs qu’il eust debitées, le sien n’avoit esté attaché qu’à elle seule. La Veuve n’insista point là-dessus, mais elle prit fort son serieux sur sa nonchalance à se procurer des avantages dont il avoit un fort grand besoin. Il luy parla de nouveau des esperances où quelques Amis l’entretenoient, & elle luy dit de bonne amitié, que s’il n’agissoit plus fortement, & ne sortoit de son indolence, le genre de vie où il s’estoit trop accoutumé, l’empescheroit d’arriver à rien de solide. Il ne put se vaincre, & continua de rechercher le plaisir sans aucun attachement pour les choses qui devoient faire sa principale occupation. Cependant la Veuve, toûjours pleine de merite, & dans une fortune plus abondante qu’elle n’avoit esté jusques-là, trouva un party qui luy convenoit. Elle donna sa parole, & les conditions estoient arrestées quand le Cavalier en fut averty. Il fit paroistre un vif desespoir, & crut avoir droit de la traiter d’Infidelle. L’aimable Veuve luy laissa jetter son feu, & aprés avoir écouté tous ses reproches, elle luy montra pour toute réponse la Lettre qu’il avoit écrite à la jeune Blonde, par laquelle il s’engageoit à ne plus garder nulle liaison avec sa Rivale. Il la quitta fort confus, n’ayant pas crû jusques-là, que cette Lettre eust esté entre ses mains. Rien ne le pouvoit justifier de l’avoir écrite, & se condamnant soy-mesme, il laissa achever le mariage auquel il voyoit qu’il s’opposeroit inutilement. Ainsi n’esperant plus rien ny de l’amour ny de la fortune, il embrassa le party que ses Amis luy conseillerent de prendre, sur l’offre qui luy fut faite d’un Benefice qui le mettoit en estat de subsister tres honnestement. Il prit le petit collet, & comme il a beaucoup d’esprit & d’étude, il peut aller loin s’il veut s’appliquer à bien remplir ce nouvel estat.

Ode sur la mort de Madame la Presidente Nicolaï §

Mercure galant, juillet 1696 [tome 7], p. 166-172.

Vous m’avez paru touchée de la mort de Madame la Presidente Nicolaï, qu’un mal aussi prompt que violent a enlevée de la terre, au commencement de ses plus belles années. Ainsi je croy vous faire plaisir de vous envoyer des Vers qui ont esté faits sur cette mort. Ils sont de Mr Dader de Toulouse.

ODE
SUR LA MORT
de Madame la Presidente
Nicolaï.

Esprit saint, daignez promptement
Exaucer mon humble priere,
Eclairez mon entendement
D’un rayon de vostre lumiere.
***
 À me l’accorder aujourd’huy
Vostre gloire vous sollicite.
Je veux chanter Nicolaï,
Vostre plus chere favorite.
***
 À vos Loix fidelle en tout temps,
Et de vos faveurs prévenuë,
Elle a suivi vos mouvemens,
Sans jamais vous perdre de veuë.
***
 Elle sceut joindre à la beauté
L’esprit, l’agrément, la sagesse.
Sa douceur, son humilité
S’accordoient avec sa richesse.
***
 Son cœur charitable & discret
Parmy l’éclat & l’abondance,
Trouva l’admirable secret
De luy faire aimer l’indigence.
***
 Aux regles des premiers Chrestiens
Elle s’estoit accommodée :
Elle posseda de grands biens,
Et n’en fut jamais possedée.
***
 Les livres saints & l’oraison
Faisoient ses plus cheres delices.
Ses Serviteurs dans sa maison
L’imitoient en ses exercices.
***
 Le meilleur d’entre les Parens,
Qui pour les siens toujours s’applique,
Prend moins de soin de ses Enfans,
Qu’elle n’en prit d’un Domestique.
***
 Du Jeu, du Bal, de l’Opera
Elle s’interdisoit l’usage.
Son exemple condamnera
Ceux qui n’en ont pas le courage.
***
 Sans fiel, sans trouble, sans chagrin,
Libre de toute inquietude,
Son salut, sa derniere fin
Faisoient sa principale étude.
***
 Elle joüit en ce bas lieu
D’une paix tranquille & profonde.
Son cœur toujours cheri de Dieu,
Le fut aussi de tout le monde.
***
Que si les Anges dans les Cieux
Estoient susceptibles d’envie,
Je dirois que ces envieux
Ont conspiré contre sa vie.
***
 Avec ces Esprits bienheureux
Elle avoit tant de ressemblance,
Que la prenant pour l’un a’entr’eux,
On admiroit son innocence,
***
 Sa vertu plus pure que l’or,
Fit voir, en tous lieux reverée,
Que la terre avoit un tresor
Qui n’estoit dû qu’à l’Empirée.
***
 Par l’ordre qui luy fut prescrit,
Du Ciel son ame estoit sortie,
Et sur les pas de Jesus-Christ
Elle a regagné sa patrie.
***
 Sur le point de finir son sort,
Bien loin de craindre le naufrage,
Elle vit approcher la mort
Sans jamais changer de visage.
***
 Grands & petits, tristes Mortels,
Vous qui la vistes dans nos Temples
Chaque jour au pied des Autels,
Reglez vos mœurs sur ses exemples.
***
Pour vaincre comme elle a vaincu,
Combattez de la mesme sorte.
Vivez ainsi qu’elle a vêcu,
Et vous mourrez comme elle est morte.

EPITAPHE
De Madame la Présidente
Nicolaï.

L’on ne vit jamais icy-bas
Tant de vertu, tant de merite.
La Terre pleure son trépas,
Lors que le Ciel s’en felicite.

[Prix remporté] §

Mercure galant, juillet 1696 [tome 7], p. 233-234.

Le Prix des Sonnets en Bouts rimez, donnez cette année par Mrs de la Compagnie des Lanternistes de Toulouse, & dont je vous ay fait part lors qu’ils ont esté proposez, vient d’estre donné à Mademoiselle de Nouvelon, Fille de feu Mr Lheritier, Conseiller & Historiographe du Roy, & Sœur Cadette de Mademoiselle Lheritier, qui remporta l’année derniere le même Prix, par le jugement de la même Compagnie. Comme il ne se peut que parmy le grand nombre de Sonnets qui ont concouru, il ne s’en soit trouvé d’excellens, la gloire de cette jeune Muse en est beaucoup plus complete.

Les Vers que vous allez lire sont de saison, & dignes du Pere François l’Ami, de la Doctrine Chrestienne, qui en est l’Auteur.

Prières pour le Roy §

Mercure galant, juillet 1696 [tome 7], p. 234-237.

PRIERE POUR LE ROY.

Seigneur, qui vois Loüis sur le char de la gloire,
User modestement des droits de la Victoire,
Et tout prest à borner ses glorieux projets,
Pour dresser dans l’Europe un trophée à la Paix,
Rens ses jours assurez aux dépens de nos testes
Et conserve à la Erance un Roy si genereux
Qu’il joüisse longtemps du fruit de ses conquestes,
 Qu’il vive, & nous mourrons heureux.

Mademoiselle l’heritier, dont je viens de vous parler, a fait voir le même zele par cette autre Priere pour le Roy.

Seigneur, qui de Loüis vois le zele & la foy,
De tes plus doux presens partage ce grand Roy.
Sur son front glorieux fais que la santé brille ;
Remplis de tes faveurs son auguste Famille.
Rens ce Prince vaillant vainqueur de toutes parts,
 Permets que ses armes heureuses,
Qui briserent cent fois Bataillons & remparts,
 Se rendent encor plus fameuses.
Tu lis du haut des Cieux dans le cœur des Humains.
De ce pieux Heros benis tous les desseins.
 Fais par ta main toute-puissante,
 Aprés cent triomphes nouveaux,
Qu’à l’Univers surpris de tant d’exploits si beaux,
 Il redonne une Paix charmante,
 Ne trouve pas trop de temerité
 Dans toutes ces vastes demandes,
 Puis que Louis par ta bonté,
Nous fait voir des vertus qui sont encor plus grandes.
Pour couronner tes dons, ta grace doit, Seigneur,
 Le mettre au comble du bonheur.

[Reflexions sur le Ridicule, & sur les moyens de l’éviter] §

Mercure galant, juillet 1696 [tome 7], p. 237-240.

Il a paru depuis peu de jours un Livre nouveau d’une grande utilité. Il a pour titre, Reflexions sur le ridicule, & sur les moyens de l’éviter ; & qu’y a-t-il de plus utile pour chaque Particulier, que de connoistre le ridicule qu’il a, puisqu’en effet, il n’y a personne qui en soit exempt, & que tel qui condamne dans les autres de grands foibles qu’il y trouve, s’en trouvera encore de plus grands, s’il veut bien s’examiner sans se faire grace ? Ce livre est divisé en plusieurs Chapitres qui traitent de differentes manieres, sçavoir, de l’indiscretion, de l’affectation, de la sotte vanité, du mauvais goust, de l’imposture, de l’esprit chagrin, de l’impertinence, de la prévention, de l’interest, de la suffisance, des contre-temps, de la bizarrerie, de la fausse delicatesse, & des bien-séances, & tous ces Chapitres sont comme autant de miroirs, où chacun pouvant se regarder sans estre vû, a tout le temps qu’il luy faut pour bien peser les avertissemens qu’on luy donne sur ses deffauts, & en profiter, sans estre obligé d’en rougir qu’avec luy mesme. La correction qu’on reçoit en cachette & sans témoins ne doit point blesser les personnes raisonnables, & c’est le fruit qu’on tire de la lecture de cet Ouvrage, qu’en nous faisant remarquer le foible que nous avons, il nous met en estat de nous en défaire, sans nous l’avoir reproché ouvertement. Il est de la composition de Mr l’Abbé de Bellegarde, qui prêcha l’année derniere au Louvre avec beaucoup de succés le jour de la Feste de Saint Louis, devant Mrs de l’Academie Françoise. Ce livre se trouve chez le Sr Jean Guignard, au Palais, à l’entrée de la grande Salle, & vous ne pourrez douter que le stile n’en soit tres-net & tres-épuré, quand je vous diray que son Auteur nous a donné depuis peu d’excellentes Reflexions sur l’élégance & la politesse du stile.

[Mort de Michel Lambert]* §

Mercure galant, juillet 1696 [tome 7], p. 283-284.

 

Michel Lambert, Maistre de la Musique de la chambre du Roy, dont les Airs & les compositions sont recherchées avec tant d'empressement. Mademoiselle Lambert, sa fille unique, avoit épousé le fameux Baptiste Lully, Secretaire & Surintendant de la Musique de S. M. Le Roy en donnant sa place à Mr Collasse, Maistre de la Musique de la Chapelle, a dit qu'il la lui donnoit comme au meilleur Musicien qu'il pust choisir. Il y a deux Maistres de Musique de la Chapelle. C'est Mr de la Lande qui a l'autre place.

Air nouveau §

Mercure Galant, juillet 1696 [tome 7], p. 331.

Je n'ay rien à vous dire de la Chanson nouvelle que je vous envoye. Vous estes trop connoisseuse pour n'en pas découvrir toutes les beautez.

AIR NOUVEAU.

L’Air doit regarder la page 333.
Vous brillez, jeune Iris, comme une fleur nouvelle ;
Mais n'en faites point tant de cas,
On n'est pas longtemps jeune & belle.
Cet heureux partage n'est pas
Pour une Beauté mortelle.
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