1696

Mercure galant, octobre 1696 [tome 10].

2017
Source : Mercure galant, octobre 1696 [tome 10].
Ont participé à cette édition électronique : Nathalie Berton-Blivet (Responsable éditorial), Anne Piéjus (Responsable éditorial), Frédéric Glorieux (Informatique éditoriale) et Vincent Jolivet (Informatique éditoriale).

Mercure galant, octobre 1696 [tome 10]. §

[Ode au Roy] §

Mercure galant, octobre 1696 [tome 10], p. 7-15.

Quoy que le Roy ait toujours fait l’admiration de toute la terre, on peut dire que ce Monarque n’a jamais montré tant de grandeur d’ame, qu’il en fait paroistre dans les favorables dispositions où nous le voyons de donner encore une fois la Paix à l’Europe. N’attendez point que je m’étende sur ce qu’il y a d’heroïque dans ce glorieux dessein. Je ne trouve point de termes pour exprimer ce que nous devons aux bontez de ce grand Prince, & il vaut mieux que je m’en rapporte à l’Ouvrage dont je vais vous faire part. Il est de Mademoiselle l’Heritier, & a esté honoré des prétieuses loüanges de Sa Majesté, à qui il fut presenté il y a quelques jours.

AU ROY.
ODE.

Heros que tout cherit, Heros que tout admire,
Grand Roy, dont le seul nom fait trembler l’Univers,
J’ose ceder enfin au zele qui m’inspire,
 Et chanter tes faits dans mes Vers.
Aucun feu n’est pareil au beau feu qui me guide,
En vain ma voix peu seure, & mon Sexe timide,
Tremblant d’un tel projet veulent m’épouvanter ;
Un noble empressement rend leur crainte inutile.
 Plus l’entreprise est difficile,
 Plus il est beau de la tenter.
***
Jusqu’icy m’exerçant sur des accords champestres,
J’ay celebré Pomone & Flore tour à tour :
Ou gravé sur les troncs des saules & des hestres,
 Des maximes contre l’amour.
Mais aujourd’huy quittant la rustique Musette,
Pour toy, brave Loüis, j’embouche la Trompette,
Sur la foy du secours que j’attens des neuf Sœurs.
Lors qu’avec un pur zele on travaille à ta gloire
 Ces doctes Filles de Memoire
 Doivent prodiguer leurs faveurs.
Que ton nom glorieux n’a-t-il point fait pour elles ?
Tes brillantes vertus & tes exploits divers,
Sont cause que cent fois leurs Lyres immortelles,
 Ont charmé par leurs doux concerts.
Si ton ame à la fois & tranquille & guerriere,
N’avoit sceu leur fournir une illustre carriere,
Elles auroient langui dans un honteux repos.
Les Heros font briller cette Troupe sçavante,
 Ainsi que leur langue élegante
 Sçait faire briller les Heros.
***
Mais jamais on ne vit aucun d’eux sur la terre,
Luy fournir des sujets si merveilleux que toy.
Tu charmes dans la Paix, & quand tu fais la guerre,
 Ton bras porte par tous l’effroy.
Avec rapidité tu gagnes des Batailles,
Tu détruis des remparts, tu forces des murailles :
Tu fais dans mille lieux admirer ta valeur :
Et quand chez l’Ennemi tu semes l’épouvante,
 D’une tranquillité charmante
 Tes Sujets goûtent la douceur.
***
Les funestes poisons d’une fatale envie,
Rendant de tes vertus vingt Souverains jaloux,
Les portent à troubler ta triomphante vies
 Mais que servent leurs foibles coups ?
En vain leur fol orgueil sçait les unir ensemble,
Sous tes vaillans efforts leur fiere Ligue tremble,
Et te cede malgré son aveugle fureur.
Contrainte d’admirer le Heros qui la dompte,
 Elle reconnoist à sa honte,
 Ce que peut ton bras & ton cœur.
***
Mais quoy qu’avec éclat tes redoutables armes
Te fassent triompher au milieu des hazards,
Tu préferes la Paix, & ses solides charmes,
 Aux plus brillans lauriers de Mars.
Ta bonté, ta candeur, ta sagesse profonde,
N’occupent ton esprit que du repos du monde,
Un soin si glorieux regle tous tes desseins.
Comme l’Estre Eternel dont les Rois sont l’Image,
 Tu fais sans cesse ton ouvrage
 Du bonheur de tous les humains.
***
Rien ne peut s’opposer à ta valeur rapide,
Et cependant bien-tost remplissant nos souhaits,
Nous te verrons domptant ton courage intrepide,
 À l’Europe donner la Paix.
Par tes soins bienfaisans cette belle exilée
Sera dans l’Univers à la fin rappellée,
Malgré la fiere Ligue & ses vœux impuissans.
Lors cent Peuples divers, où déja l’on t’adore,
 Feront du Couchant à l’Aurore
 Pour toy toujours fumer l’encens.

[L'art de prononcer parfaitement la Langue Françoise] §

Mercure galant, octobre 1696 [tome 10], p. 91-106.

 

Il paroist depuis peu un Livre intitulé, L'art de prononcez parfaitement la Langue Françoise. Il se vend chez le Sieur d'Houry, ruë Saint Jacques, devant la Fontaine Saint Severin, au Saint Esprit. J'aurois beaucoup de choses à vous dire de ce Livre, mais un fort habile homme ayant écrit sur cet Ouvrage, je vous envoye sa Lettre, qui vous fera connoistre l'utilité que le Public en retirera.

Si l'impolitesse de ces importuns, dont vous me faites un si plaisant portrait, & le long sejour qu'il faut que vous fassiez chez eux, Monsieur, vous fait regreter celuy de nostre Ville, & si ce que vous dites est vray, que le souvenir de nos conversations passées fait presentement tout vôtre plaisir , je ne doute pas que le nouveau Livre que je vous envoye avec ceux que vous me demandez, ne vous donne beaucoup de satisfaction, & que sa lecture ne vous dédommage de tout ce que vous souffrez dans le commerce de ces Précieux, qui parlent & qui prononcent si mal une Langue que vous parlez si bien, & que vous aimez préferablement à toutes celles que vous possedez ? Comme elle estoit le sujet le plus ordinaire de nos entretiens, & que vous avez dû remarquer que je l'aimois autant que vous, & que je ne souhaitois pas moins de la voir en degré de perfection, où nos derniers Auteurs l'auroient portée, sans doute, si le manque d'application de tous les Ecivains à l'une des choses la plus essentielle, pour en fixer l'usage, n'en eust retardé le progrés. Vous n'aurez pas de peine à deviner que c'est de la prononciation que j'entens parlez ; mais peut estre ne voudrez vous pas croire que mon nouvel Auteur n'ait rien laissé à dire sur ce sujet, & qu'il ait entierement épuisé une matiere si épineuse, si delicate, & si necessaire pour bien parler nostre Langue. Peut estre, dis je, que vous ne le croirez pas que vous n'ayez lû son Livre, qui est intitulé, L'art de prononcer parfaitement la Langue Françoise, lequel j'apprehende que vous ne receviez pas si-tost, parce que le paquet des Livres dans lequel j'ay mis celuy cy, n'ira pas à beaucoup prés si vite que ma Lettre. Ainsi pour satisfaire à l'impatiente curiosité que cette nouvelle vous donnera, & pour m'épargner les reproches que vous ne manqueriez pas de me faire, si je ne vous expliquois pas autant au long que peut souffrir cette Lettre, le contenu de ce nouveau Traité, je vous diray en peu de mots que ce Livre, quoy que simple dans la maniere de l'intituler, ne laisse pas d'estre également utile & aux François, & aux Etrangers ; qu'il peut même estre d'un grand secours aux Avocats, aux Prédicateurs, & à tous ceux qui parlent en Public, & qui, quelques delicats qu'ils soient dans l'énonciation, ne le sont pas toujours autant dans la prononciation de nostre Langue. Peut estre qu'un Titre si resserré que celuy que luy donne son Auteur, le fera rebuter de quelques esprits superficiels, qui croyent que l'on apprend aussi facilement à bien prononcer une Langue qu'à boire & à manger. Mais ils se trompent. C'est une erreur où l'on estoit au commencement de ce siecle, où quantité de gens croyoient avoir acquis l'art de bien parler, pourvû qu'ils fissent bien entendre ce qu'ils pensoient. C'est de quoy les esprits superieurs à ces derniers ne sont pas convenus, quand ils ont fait reflexion sur les Remarques que Mr de Vaugelas, Mr Ménage, le Pere Bouhours, & quantité d'autres personnes polies & sçavantes ont données au Public. Ces Maistres de l'Art de parler ont fait assez connoitre la difference qu'il y a entre s'exprimer nettement, & s'exprimer simplement pour se faire entendre. Cette difference est encore parfaitement bien prouvée par nostre Auteur, qui s'applique aussi à démontrer sensiblement la difference qu'il y a d'une prononciation reguliere & polie, à celle qui est trop negligée & trop affectée. Tout son Ouvrage est divisé en quatre parties. La premiere nous donne une définition précise de l'articulation, nous apprend ce que signifient les mots d'articuler & d'articulation dans le sens propre & dans le figuré ; nous fait connoistre que les anciens Grammairiens n'ayant point de mots propres pour signifier les mouvemens des organes de la voix, se sont servis des termes d'articuler & d'articulation, qui sont des termes d'anatomie, pour signifier la jonction qui se fait d'un son avec un autre, par rapport à l'articulation qui se fait des membres du corps humain ; considerant ces sons & ces mouvemens d'organes, commes autant d'articles & de petits membres separez, qui font le corps d'une parole, quand on les joint ensemble pour la former ; il nous fait connoistre tous les mouvemens qui servent à l'articulation des sons simples & composez, & nous prouve enfin en quoy consiste la bonne articulation, ce qui regarde particulierement les Enfans François, les Etrangers, & les personnes qui ont quelque indisposition dans les organes, qui les empêche de bien articuler. La seconde partie traite de la maniere de prononcer les trois sons differens de nos E, & la maniere de les orthographier ; en sorte qu'à l'inspection des caractères qui les figurent sur le papier on en puisse connoistre parfaitement les sons. La troisiéme s'étend sur la prononciation des consones finales devant des mots commencez par des voyelles, soit qu'on parle en public, qu'on lise ou déclame des Vers, ou soit qu'on parle dans le discours familier, dont il fait une distinction toute particuliere, & c'est une des essentielles parties de la premiere action, & dans laquelle une quantité de gens de toute sorte d'ordre manquent, & même des plus sçavans, & qui se mêlent de parler en public.

Si nous nous restraignons au simple titre du Livre, il paroistra n'estre utile qu'aux Etrangers, mais dés que nous considererons toutes les remarques qu'il renferme, nous demeurerons d'accord qu'il nous est encore plus necessaire qu'aux autres, puis qu'il est plus pardonnable à un Etranger de ne pas prononcer nostre Langue dans la derniere regularité, qu'à un François, qui est de naissance & de condition à devoir bien parler sa Langue. Voilà, Monsieur, quel est à peu près l'essentiel de ce Livre, qui d'ailleurs comprend tout ce que l'on peut dire sur la prononciation. L'on ne doit pas s'imaginer que l'Auteur, pour arriver à la fin qu'il s'est proposée, se soit fait un modele de préceptes imaginaires & inusitez, ny qu'il se soit fait des monstres pour les combattre, comme disent quantité de gens remplis d'eux-mêmes, parce que l'Auteur cite des prononciations, qu'ils n'ont, disent-ils, jamais oüies que dans la bouche de la populace, quoy qu'il y en ait quantité parmy eux, qui sont sujets à faire les mêmes fautes. Ce n'est pas aux gens de la lie du peuple qu'il s'adresse ; c'est aux gens les plus sçavans & les plus polis, & qui se mêlent d'écrire & de parler en public, à qui plusieurs fautes échapent, pour n'y pas faire de reflexion, & quelque-fois manque de sçavoir le bon usage. Il l'établit sur celuy de la Cour, & de la plus saine partie des gens polis & sçavans, qui sont nez & élevez à Paris. C'est de cet usage qu'il a recueilli toutes les voix, & dont il a tiré toutes ses remarques. C'est par le commerce qu'il a sceu entretenir avec des gens sçavans & polis, qu'il a acquis toutes ces manieres fines & deliées de prononcer sa Langue ; & c'est encore plus par la connoissance des Langues étrangeres, tant mortes que vivantes, & particulierement par la difference de la leur avec celle de la Françoise, qu'il est parvenu à nous en prescrire la juste & parfaite prononciation. Enfin ce Livre me paroist si complet dans son genre, que je ne crois pas qu'on puisse aisément s'en passer, si l'on veut bien parler nostre Langue ; & ce qui me le fait croire, est que l'on ne peut ordinairement parvenir à ces manieres de prononcer avec justesse, que par deux moyens, qui sont aussi peu certains, qu'il nous font faire bien du chemin. L'un est qu'en refléchissant de soy même sur nostre prononciation, on pourroit rencontrer par hazard, & par une succession de plusieurs années ce que ce Traité nous démontre si certainement, & en bien peu de temps ; & l'autre ne se peut acquerir que par la reflexion, que des Amis prévenus, & qui croiroient parfaitement bien parler, nous feroient faire sur nostre Langue : en quoy nous nous trompons aussi bien qu'eux ; ce que l'on ne fait point en s'instruisant dans ce Livre, puis qu'il est entierement conforme au meilleur usage, qui est celuy du Prince, & de la plus saine partie des gens qui l'environnent, & qui est suivie de tous ceux du Royaume qui parlent le plus regulierement & le plus poliment. Je suis.

Le Berger Mouton, Fable §

Mercure galant, octobre 1696 [tome 10], p. 106-134.

Je vous envoye la Fable du Berger-Mouton. Elle est de Mr Boüillet Ingenieur. Cette Fable a esté fort applaudie dans quelques assemblées où elle a esté leuë.

LE BERGER
MOUTON.
FABLE.

Une belle & jeune Bergere,
Au teint de lis, aux yeux fripons,
Mais d’une humeur farouche & fiére,
N’aimoit que ses petits moutons.
***
Tous les Bergers de son Village
Avoient gémi pour ses appas ;
Mais comme le mépris outrage,
Ils estoient sortis d’esclavage,
En voyant que Philis ne les écoutoit pas.
***
Le seul Berger Tircis, plus fidele & plus tendre,
 Ne cessoit point de soupirer,
Et souvent à la Belle, il alloit faire entendre
Les maux que son amour luy faisoit endurer ;
 Mais son coeur farouche & rebelle
 Rebutoit ses pressans desirs,
 Et le plus souvent la cruelle
 Rioit de ses ardens soupirs.
***
 Outré de cette indifference
 Ce Berger se plaignoit un jour,
 Et des Destins, & de l’Amour
 Qu’il accusoit de sa souffrance,
Et le dépit mortel qui luy serroit le coeur,
Luy fit en ces regrets épancher sa douleur.
***
Non, tu n’és pas un Dieu, tu n’és qu’une chimere,
 Disoit-il, au fils de Cythere,
En vain des insensez encensent tes Autels,
Un Barbare n’est point au rang des Immortels.
 Quelle est ta cruelle manie
Tu me brûles le coeur pour l’ingrate Philis,
 Qui n’aime que sa Bergerie,
Et ne paye nos feux que par de froids mépris.
Moutons par trop chéris d’une fiére Bergere,
Qui paissez sous ses yeux, au pied de ce côteau,
Puisque vous seuls sçavez luy plaire
Que ne suis je un mouton de vostre heureux troupeau.
***
Amour sans se fâcher, entendit sa complainte.
 Et ses propos injurieux.
Le tranquille repos dont joüissent les Dieux,
 Fait qu’ils n’ont jamais l’ame atteinte
 De douleur, de haine, de crainte,
Ny de cent passions qui devorent nos coeurs,
Et puis d’oüir se plaindre, & conter ses douleurs,
Amour est dés longtemps fait à ce badinage.
Pour un Amant content du succés de ses feux,
 Il en fait mille malheureux,
 Qui contre luy disent la rage.
***
Il descend donc du Ciel, & vient dans le Hameau
 Où Tircis au pied d’un Ormeau,
Dans les bras de Morphée alloit finir sa plainte,
Le Berger fut saisi de surprise & de crainte.
Amour le rassura, Non, Berger, ne crains rien,
Luy dit-il, & je viens pour soulager ta peine.
Tu veux estre Mouton. Tu veux par ce moyen
 Estre aimé de ton inhumaine ?
 Sois donc Mouton, je le veux bien,
 Que ton corps se charge de laine,
 Et bien-tost viendra l’heureux jour
 Qui couronnera ton amour.
***
 Il dit, & de son arc touchant trois fois la teste
Du Berger qui s’estoit prosterné devant luy,
 Se changea tout d’un coup en moutonniere beste,
 Oreilles, jambes, queuë, & tout ce qui s’ensuit ;
 Mais le tout si parfait que Jupiter luy-mesme.
 Qui descend quelquefois de sa grandeur suprême,
 Pour se cacher sous l’animale peau,
S’il se fust fait mouton, ne se fust fait plus beau.
***
 L’Amour aprés ce coup s’envole à tire d’ailes,
 Et la douce vapeur que ce Dieu répandit,
 Adoucit si fort les cruelles,
 Que chaque Amant, à ce qu’on dit,
Obtint dans ce jour-là des faveurs de sa Belle.…
 Je dis faveurs de bagatelle.
 Honny soit qui pense autrement.
Baiser le bras, la main, un doigt tant seulement,
Pour qui sçait bien aimer, cela vaut tout un monde.
Quelqu’un alla plus loin, qui ne s’en repentit ;
 Enfin une lieuë à la ronde,
 Tout le monde s’en ressentit.
***
 Beauté pour qui je fais ce conte,
Amour ne fut jamais si proche de chez vous,
Et fy, ne point aimer avec des yeux si doux,
 Vous devriez mourir de honte.
***
Mais, me dira quelque Caton,
Tout ce discours est inutile,
Revenez à vostre mouton,
Ne vous échauffez point la bile.
Tout à l’heure j’y vais venir ;
Il faut pardonner ma foiblesse :
Lors que je parle de tendresse
Je ne sçaurois jamais finir.
***
 Le Berger fait mouton, & tres-content de l’estre,
 Descend au pied de ce côteau,
 Où Philis prés de son troupeau,
Pour se desennuyer, chantoit un air champestre ;
Il se mesle au troupeau, s’approche doucement,
La dévore des yeux, faisant semblant de paistre,
Et quoy que bien masqué, tremble à chaque moment
 Qu’elle n’aille le reconnoistre.
***
Le Soleil se plongeoit dans le sein de Thetis,
Philis se leve, & marche, assemble ses brebis
 Sous l’empire de sa houlette.
Et d’abord mon Berger sous la laine caché,
Suit pas à pas la Belle, & va broutant l’herbette
 Sur laquelle elle avoit marché.
***
Ses tendres béellemens, dont raisonnoit la Plaine,
Son attache à la suivre, & plus que tout cela,
 Son embonpoint, sa belle laine,
 (Femme souvent se prend par là)
Le firent remarquer par l’aimable Bergere :
Grands Dieux, le beau mouton, dit-elle, en l’approchant,
T’avois-je en mon Troupeau, puis de sa pannetiere
Tire un morceau de pain, puis le va carressant,
Puis l’appella Robin. Robin vient & la flatte,
 Ainsi qu’un chien donne la patte,
Du bout de son museau luy caresse la main,
Fait mille petits bonds, pour plaire à sa Maîtresse,
La Bergere luy rend caresse pour caresse,
Et le laisse déja s’appuyer sur son sein.
***
 Amour inspire icy ma Muse
 Pour dire les transports charmans
Que Robin ressentit, dans ces heureux momens,
 Mais je sens qu’elle me refuse :
Ah ! pour les dire bien, il faudroit estre Amant
  Content.
Un profane ne peut parler de ce mistere.
Et lors qu’on est heureux, on veut toûjours se taire.
***
Ce ne fut point encor le comble des plaisirs
Où Robin vit porter ses plus tendres desirs.
Tous les jours, mille fois, une bouche charmante
 Le baisoit amoureusement,
Des mains d’une blancheur vive autant qu’éclatante ;
Luy mettoient tous les jours des fleurs pour ornement.
Il joüissoit tout seul de sa belle Bergere,
 Seul prés d’elle sur la feugere,
Il goûtoit, tous les jours, un plaisir enchanté.
 Qu’estant Berger il n’eust jamais goûté.
On ne se cachoit point de Robin pour rien faire.
Un ruisseau dont l’onde étoit claire
Invitoit quelquefois Philis à s’y baigner,
Et Robin, au ruisseau l’alloit accompagner.
 Que de beautez & que de charmes
Interdits aux mortels, estoient vûs dans le bain,
  Par Robin ;
 Mais qu’ils luy coûteront de larmes,
Que de maux vont troubler ses tranquilles douceurs,
 Je fremis alors que j’y pense,
 Hé qu’il luy faudra de constance,
 Pour supporter tous ses malheurs.
***
 Philis auprés d’une fontaine
 Baisoit tendrement son Robin
 Lavoit ses pieds, peignoit sa laine,
Partageoit avec luy son fromage & son pain,
 Et déja toute la journée
Dans cet amusement s’estoit presque écoulée.
Elle alloit du Hameau reprendre le chemin,
 Lors qu’un Berger de son Village
Cherchant pour son Troupeau quelque gras pâturage,
Arrive à la fontaine où la Bergere estoit.
 Par hazard ce Berger tenoit
Un chien dessous son bras qui plut fort à la Belle.
 Vous avez-là, Berger, dit-elle,
  Un joly petit chien.

LE BERGER.

 Bergere, il est à vous,
Je suis trop content qu’il vous plaise.

LA BERGERE.

Ne mord il point, est il bien doux ?
Voulez-vous bien que je le baise ?
Laissez-le moy pour un moment ;
Sçait-il quelque tour de souplesse ?

LE BERGER.

S’il en sçait, vous allez le voir tout maintenant.
 Allons, Marquis, que l’on se dresse,
Dansez autour de moy, sautez sur ce baston,
 Allez caresser le mouton,
 Donnez la patte à la Bergere ;
 Etendez-vous.…
Faites le mort, mais avec agrément ;
Marquis, obeissez à ce commandement.
Le Berger s’apperçut qu’il plaisoit à la Belle,
Et comme dés longtemps, il soupiroit pour elle,
Il crut par ce moyen arriver à sa fin :
 Ce n’est pas le plus long chemin
 Pour terminer une amoureuse affaire,
 Et la vertu la plus austére
 Ne tient gueres contre un Amant
  Donnant,
 C’est un dangereux caractere ;
Il offrit donc encor son chien à la Bergere,
Qui fit quelque façon, quelque temps resista,
 Et puis à la fin l’accepta.
***
Hé, que faisoit Robin, me direz-vous, peut-estre,
Pendant tout ce temps-là, s’amusoit-il à paistre ?
Helas, non, le pauvre Robin
Auprés de sa Bergere estoit triste & chagrin :
Du Berger & du chien, il avoit tout à craindre,
De luy, comme mouton ; de l’autre, comme Amant :
Tous les deux pouvoient nuire à son contentement,
Mais que bientost il eut des sujets de se plaindre.
***
Philis se radoucit au present du Berger,
Et l’Amour dans son coeur, prit aussi-tost naissance
Sous l’habit specieux de la reconnoissance.
Robin, s’apperçut bien qu’elle alloit s’engager :
Ses regards, ses discours, tout sentoit la tendresse.
Que faire en pareil cas, caresser sa Maistresse,
Redoubler ses transports, ce sont soins superflus,
Robin fit tout cela, mais il ne plaisoit plus.
Osoit-il s’approcher, une main ennemie
S’armoit de sa houlette, & le chargeoit de coups,
 Ces momens autrefois si doux,
Se passoient à traîner une mourante vie,
Pendant qu’un chien chéry, joüissoit à ses yeux
Des baisers prodiguez qu’il meritoit bien mieux.
 Pendant que cette heureuse beste
Portoit ces fleurs, jadis ornement de sa teste,
Et que Philis parfois disoit en le flattant,
Helas ! qu’à son Berger n’osay-je en faire autant.
***
Du desolé mouton mettez-vous en la place.
Amans qui ressentez des mouvemens jaloux,
Est-il prés de ses maux un mal qui ne soit doux.
Je sens à ce recit que tout mon sang se glace.
***
 L’heureux Berger en sa presence
À l’aimable Philis venoit parler d’amour,
 La suivoit tout le long du jour
 Et Philis avec complaisance
Recevoit du Berger & les soins & les voeux.
Il est vray que Marquis partageoit sa tendresse,
Mais il n’estoit aimé de sa belle Maîtresse,
Que parce qu’il venoit de cet Amant heureux.
On aime le Berger quand son chien on caresse.
***
Le malheureux Robin voyoit avec douleur
Le chien dans son giron, le Berger dans son coeur ;
Mais ce ne fut pas tout, on parla d’himenée.
Philis du mot d’amour autrefois allarmée,
 N’est plus cette mesme Philis :
 Elle y consent, le jour est pris,
Chacun & s’empresse & s’appreste,
 Et veut avoir part à la feste
 Qui se faisoit dans le Hameau.
 Philis cherche dans son troupeau
Le mouton le plus gras pour faire un sacrifice,
 Qui luy rende l’Himen propice.
 Robin, malgré tous ses malheurs
Quoy qu’il ne broutâst plus, quoy qu’il versast des pleurs,
Se trouva le plus beau de la troupe béelante,
 Et vit la rage dans le coeur,
Sa Maistresse cruelle encor plus qu’inconstante,
Le mettre entre les mains du Sacrificateur.
***
 Déja l’on avoit vû paroistre
Les Epoux précedez par un concert champestre,
 Déja le cortege nombreux
 De Bergers en habit de feste,
 Des chapeaux de fleurs sur leur teste ;
Et pour un sort pareil faisans chacun des voeux,
Avoient passé parmy les Bergeres aimables,
Qui par cent airs joyeux prioient les Immortels
D’estre aux Amans benins & favorables.
Déja l’encens fumoit sur les Autels,
Et Robin destiné pour estre la victime,
Chargé de fleurs, helas ! lugubres ornemens,
Et des fleurs du passé souvenirs desolans,
Dont l’ingrate Philis pour aggraver son crime,
Elle mesme avoit fait les festons, & les noeuds,
Saisi de desespoir, de fureur, & de crainte :
Ne comptant déja plus sur le secours des Dieux,
Et prest à recevoir une mortelle atteinte,
Presentoit son gosier au meurtrier couteau ;
 Quand par un spectacle nouveau
 Toute la feste fut troublée,
 L’Amour parut dans l’Assemblée.
Et s’approchant d’abord des Sacrificateurs,
Arrestez, leur dit-il, c’est assez de malheurs,
Trop loin, de ce Berger, j’ay poussé la souffrance,
 Il est temps de tarir ses pleurs,
 Et de couronner sa constance.
Mouton, deviens Berger, aussi-tost fait que dit,
 Robin mouton s’évanoüit
 Et Tircis parut en sa place.
La Bergere transie & plus froide que glace,
Connut d’abord son crime, & craignoit justement
 De l’Amour quelque chastiment,
Quand ce Dieu se tournant vers elle,
Et luy perçant le coeur d’un trait vif & brûlant :
 Soupire, luy dit-il, cruelle,
Soupire & rends heureux un si fidele Amant.
Ce coup fit son effet. L’aimable Pastourelle
Versant de tendres pleurs, qui la rendoient plus belle,
Aux pieds de son Tircis se prosterne à l’instant.
 Tant de témoins de sa foiblesse,
 Ny sa propre délicatesse,
Ne purent arrester ce premier mouvement.
 Tircis avec empressement
 Releve l’aimable Bergere.
Par mille embrassemens, ils unissent leurs coeurs.
Chacun à cet aspect, s’attendrit, fond en pleurs,
Tous deux pleurent aussi, la douleur les fait taire,
Mais certaine douleur, qui vaut bien des plaisirs,
Douleur qui vient toujours de l’excés des desirs,
Que n’eussent-il pas dit si dans cette occurrence,
Où l’Amour les unit pour la premiere fois,
Ce Dieu, leur eust permis l’usage de la voix,
Que ne dirent-ils point par ce tendre silence.
***
L’Amour dans ce moment reprit son vol aux cieux
 En presence de l’assemblée.
Tircis ne sçait encore s’il doit croire à ses yeux,
 Et craint que son ame troublée
 De desespoir & de frayeur,
 Ne luy donne d’un faux bonheur
 La fausse & peu durable idée
 Le Peuple plein d’étonnement
 Entoura ce parfait Amant,
Chacun à ses malheurs prend part & s’interesse ;
Mais rempli tout entier de sa belle Maistresse,
 Ses regards languissans & doux
Semblent luy dire, helas, qu’attendons-nous,
 Unissons nostre destinée.
Les Sacrificateurs tous prests pour l’Himenée,
Ne firent que changer le sujet de leurs voeux :
 Ils offrent au lieu de victime,
 Leurs coeurs au Dieu qui les anime,
Et l’Himen sur le champ, en vient serrer les noeux.
***
 Que de Morale dans ce Conte.
 Ou y peut voir premierement
 Que quand on aime constament
 Il n’est rien qu’on ne surmonte.
On y voit la foiblesse & la legereté,
  On y voit l’infidelité,
 Les compagnes inseparables
Du Sexe à qui les Dieux donnérent le beauté
Comme un poison fatal qui nous rend miserables,
 Mais l’on y voit en mesme temps
Que lors qu’enfin l’Amour nous rend contens :
Un moment de plaisirs paye toutes nos peines,
 Et que si l’on souffre longtemps
 Lors qu’on aime des inhumaines,
 Plus on endure de tourmens
Plus les plaisirs en deviennent charmans.

Traduction en Vers du Livre de la Sagesse §

Mercure galant, octobre 1696 [tome 10], p. 137-138.

Je vous envoye le Livre de la Sagesse, traduit en Vers François, avec une Epistre dedicatoire, contenant le parallele de la vie du Roy. Cet Ouvrage est de Mr du Vernay, Avocat au Parlement. On en voit peu qui doivent estre plus recherchez, tant par la beauté de la matiere, qui convient à toutes sortes de personnes, que par l’agrément que les Vers luy donnent.

Epistre en Vers de Mademoiselle des Houlieres §

Mercure galant, octobre 1696 [tome 10], p. 138-148.

Vous ne pouvez mieux regaler vos Amies, qu’en leur faisant part de l’Ouvrage que je vous envoye.

EPITRE
De Mlle Deshoullierres,
À MADEMOISELLE ***

 Helas ! où vous engagez-vous ?
Vous ignorez les maux qu’un parfait amour cause ;
Vous ne voyez, Iris, que ce qu’il a de doux,
 Sans examiner autre chose.
Le Berger qui vous plaist est charmant, je le crois,
Il a mille vertus, il est tendre, agreable,
 Mais ce Berger, pour estre aimable,
Vous met-il à couvert des maux que je prévois ?
***
Je ne crains point pour vous la funeste avanture
D’Ariane laissée en proye à sa douleur.
Vous n’éprouverez point un semblable malheur,
Vous n’aurez point d’Amant perfide, ny parjure.
 Vostre vertu, vostre beauté,
Les dons qu’à mis en vous la sçavante Nature,
Seront les seurs garans de sa fidelité.
***
 Mais pour rendre heureuse une Belle,
Est ce assez, croyez-vous, qu’un Amant soit fidelle ?
Qu’il possede à la fois les précieux tresors
 De l’esprit, de l’ame & du corps,
Et qu’il soit des Bergers le plus parfait modele.
***
Le sort ingenieux à nous persecuter,
Ne vous donne peut-estre un Amant plein de charmes,
Que pour vous condamner à d’éternelles larmes.
Ah ! si dans vostre cœur que tout semble agiter,
La raison aujourd’huy se fait encore entendre,
Evitez un panchant qu’il est beau d’éviter,
 Et songez pour vous mieux défendre
Du dangereux poison qui sçait tout enchanter,
Que la mort d’un Amant soumis, fidelle, & tendre,
Est de tous les malheurs le plus à redouter.
***
On se dit, mais en vain, quand la mort nous separe
D’un Amant dont l’amour a formé les beaux nœuds,
Que rien ne garantit de cette loy barbare,
Et que tout est soumis à ce qu’elle a d’affreux.
Quoy qu’à tous les Mortels cette loy soit commune,
On se croit seul en butte au destin rigoureux,
 Et dans cet estat douloureux
 Tout nous rend la vie importune,
La perte des presens que nous fait la fortune,
 Touche moins un cœur genereux.
***
La raison qui vous met au dessus des foiblesses,
Vous peut mettre aisément au dessus des richesses,
Dont l’appas seducteur enchante les humains.
Mais helas ! belle Iris, quand on perd ce qu’on aime,
Cette fiere raison dont l’empire est suprême,
Renonce sans effort à ses droits souverains,
Et loin de condamner nostre douleur extrême
Dans les cœurs malheureux, elle rend elle-même
Ses plus sages conseils inutiles & vains.
***
Pour affoiblir les maux où ma crainte vous livre,
Je vois, j’entens déja l’industrieux amour
 Toujours attentif à vous suivre,
Vous déguiser l’horreur que l’on a de survivre
À la perte d’un bien que l’on perd sans retour.
Du temps où nous vivons (si vous osez l’entendre)
 Jusqu’aux temps les plus reculez,
Helas ! charmante Iris, ce Dieu pour vous surprendre,
Vous parlera de cent & cent cœurs desolez,
Qui sur les sombres bords toujours prests à descendre,
 Par ses soins se sont consolez.
***
 Mais loin de vous laisser séduire
Aux charmes trop puissans de ce Dieu plein d’appas,
Dans ce qu’il vous dira cherchez à vous instruire ;
Un cœur que la raison gouverne & sçait conduire,
Est, vous le sçavez bien, d’un grand prix icy-bas.
***
Ne vous reposez point sur les puissantes armes
 Du temps qui triomphe toujours,
Des plus vives douleurs, des plus tendres amours,
Le temps, quand la raison autorise nos larmes ;
Contre nostre douleur est d’un foible secours.
***
Artemise autrefois, cette illustre Artemise,
Ce modele étonnant de vertu, de grandeur,
Conserva pour Mausole une heroïque ardeur,
Et pleine des transports d’une flâme permise,
Elle porta si loin l’excès de sa douleur,
 Que ny le temps, ny sa valeur,
Ny même ce tombeau d’éternelle memoire,
Ne purent l’empêcher de faire de son cœur
Un sepulcre vivant, où l’amour eut la gloire
De renfermer (ah ! j’en fremis d’horreur)
Les restes précieux de son fameux vainqueur.
***
D’un destin si cruel, d’une vertu si rare,
Pourquoy chercher, Iris, un exemple si loin ?
D’un amour aussi grand, d’un sort aussi barbare
Ce siecle heureux est le témoin.
Dans un Temple sacré brillante, jeune & belle,
Des Ursins, dont le nom doit estre respecté,
 Donna de sa fidelité
Un exemple fameux qui la rend immortelle.
Le temps de ses douleurs n’arresta point le cours.
Au pied des saints Autels elle pleura toujours,
Toujours d’un Epoux mort la tendre & triste image
Se retraçoit à son cœur amoureux,
 Et jusqu’à ce moment heureux,
Que le foible Mortel avec crainte envisage,
 Elle porta la gloire de ses feux.
***
Cet exemple pour vous doit estre redoutable,
Un grand cœur aux malheurs est souvent destiné,
Le vostre est genereux, grand, sensible, équitable,
Et tel enfin qu’il faut pour estre infortuné.

[Réjouissances faites pour la Paix de Savoye] §

Mercure galant, octobre 1696 [tome 10], p. 148-152.

 

Je ne vous parle point des réjoüissances qui se sont faites dans toutes les Villes de France ; ma Lettre seroit trop remplie de repetitions. Je me contenteray de vous dire ce qui s'est fait à cette occasion dans la Ville de Mante, afin que par ce qui s'est passé dans une Ville, qui n'est pas du premier rang, vous jugiez de la joye qui a éclaté dans toutes les autres, & de la dépense ingenieuse qui s'y est faite.

On y avoit representé sur un Theatre de seize pieds en quarré, Mercure avec des ailes aux pieds, & un caducée dans sa main droite, autour duquel on avoit écrit ce Vers,

On vient à bout de tout lors que l'Amour s'en mesle.

De sa main gauche pendoient les Armes de France & de Savoye accolées ensemble, & au dessus, Sic juncta foedere pacis. A la face du Theatre estoit un grand Tableau, contenant cet Emblême, avec ces paroles pour inscription, La vangeance desarmée par l'Amour. Cet Emblême representoit un grosse nuë en forme d'orage, & Jupiter dessus, le visage en colere, son tonnerre sous ses pieds, & ses foudres à la main, prest à lancer sur une grande & vaste plaine, ornée de Chasteaux, Villes maisons, arbres, fruits, fleurs & verdure. Au dessus de cette Ville paroissoit l'Amour s'élançant & fendant les airs, pour aller à la rencontre de Jupiter, avec le Portrait de la jeune Princesse de Savoye, soutenu d'un ruban couleur de feu. Ces Vers estoient écrits au dessus.

À voir Jupiter en colere,
Le bras levé, le foudre en main,
Qui n'auroit pas cru que demain
Ces lieux ne seroient plus que cendre, que poussiere ?
Mais pour fléchir un Dieu justement irrité,
Admirez le pouvoir d'une jeune Beauté,
Et quel est l'effet de ses charmes.
Jupiter s'adoucit en voyant tant d'attraits,
Et l'Amour l'obligeant de mettre bas les armes,
En faveur de l'Himen luy fait donner la Paix.

Le Feu d'artifice fut executé avec l'admiration de toute la Ville, par les soins du Sieur Quillet, Ingenieur. Aprés que le Te Deum eut esté chanté dans l'Eglise Collegiale, par la Musique, en presence de Mrs les Maire & Echevins, & de tous les Corps de la Ville, Mr le Duc de Sully & Me la Duchesse, son Epouse, prirent part à cette réjoüissance publique.

[Madrigaux] §

Mercure galant, octobre 1696 [tome 10], p. 168-172.

Les Vers qui suivent sont de Mademoiselle Itier, dont je vous en ay souvent envoyé, qui ont eu l’avantage de vous plaire.

Sur la publication de la Paix
de Savoye, dans le temps
de la maladie du Roy.
MADRIGAL.

La Savoye avec nous, grace au Ciel, est unie.
Louis par cette Paix vient de combler nos vœux.
On n’en sçauroit douter, par tout on la publie,
Il est vray, mais Louis souffre un mal douloureux,
Tout le monde l’a veuë, & ne l’a point sentie.

AU ROY.
Sur le retour de sa santé, &
sur la Paix de Savoye.
MADRIGAL.

Grand Roy, l’aimable Paix si longtemps attendüe ;
Par vos penibles soins du Ciel est descendüe,
Mille feux dans la nuit faisant un nouveau jour,
 Nous ont annoncé son retour.
Les Peuples ont beni celuy qui nous l’envoye ;
 Cependant parmy tant de joye
Nous ne pouvons joüir d’un tranquille bonheur,
Tant que d’un mal cruel vous sentiez la douleur :
Mais vostre santé, Sire, a calmé nos alarmes,
Et seule, de la Paix nous fait goûter les charmes.

À MONSEIGNEUR
LE DUC
DE BOURGOGNE.
MADRIGAL,
Fait à Versailles en voyant
passer ce Prince.

Prince, tout rit à vos desirs,
La Paix, l’Hymen, & les Plaisirs
Amenent en ces lieux une jeune Princesse,
 Digne d’avoir vostre tendresse.
 Vous luy plairez à vostre tour.
Qui pourroit resister, Prince, à tant de merite,
 Vous estes plus beau que l’Amour,
 Et la gloire est à vostre suite.

[Histoire] §

Mercure galant, octobre 1696 [tome 10], p. 172-203.

On est exposé à bien des chagrins, quand on aime une personne vraiment digne d’être aimée, & que la fortune ne seconde pas le desir qu’on a de la rendre heureuse. Un Cavalier des plus accomplis, & d’une naissance distinguée, avoit autant de desavantage du côté du bien, qu’il estoit heureusement partagé pour les qualitez qui font le veritable honneste homme. Son Pere qui avoit toujours vêcu avec grand éclat, s’étoit ruiné par l’excés de sa dépense & le peu qu’il avoit sauvé aprés sa mort, du débris de ses affaires, n’estoit pas assez considerable pour le faire subsister commodement, s’il ne trouvoit quelque moyen de les rétablir. Le plus propre pour cela estoit d’épouser une femme riche, qui luy donnast dequoy se tirer des embarras où le mettoit son peu de fortune, & c’est à quoy il eust réussi sans peine, estant d’un merite generalement connu, s’il eust eu moins de delicatesse sur le choix qu’il falloit faire, mais comme il cherchoit à vivre heureux en se mariant, la pluspart de celles qu’on luy proposoit, avoient pour luy des défauts essentiels, dont ils ne pouvoit s’accommoder. L’une le dégoûtoit pour estre trop laide, l’autre pour avoir l’esprit peu fin ou l’humeur bizarre, & il se sentoit pour quelques autres, selon leurs differentes manieres, une antipathie qu’il ne pouvoit vaincre. Cependant il vivoit comme il pouvoit, sans se mettre en peine que de son repos, estimé de tout le monde, & souhaité dans tout ce qu’il y avoit de Societez où l’on consideroit le merite. Ses honnestetez & sa complaisance faisoient qu’il plaisoit à toutes les Dames, quoy qu’il n’affectast de plaire à aucune en particulier, & il menoit une vie d’autant plus douce, que n’ayant point d’autre ambition que celle de faire voir beaucoup de droiture dans ses sentimens, il se faisoit des Amis de tous costez. Un jour qu’il rendit visite à une Dame qu’il voyoit de temps en temps, il trouva chez elle une fort jolie personne, que l’on pria de chanter, & qui s’en acquitta avec une grace qui charma tous ceux qui l’entendirent. Il s’approcha d’elle pour luy applaudir sur un si heureux talent, & estant entré en une conversation particuliere, avec cette aimable Fille, il luy trouva autant d’esprit que de politesse, & un agrément dans ses manieres, qui luy fit connoistre que l’on avoit pris grand soin de son éducation. Elle estoit née Demoiselle, mais sous une Etoile aussi malheureuse que celle du Cavalier, beaucoup de merite & fort peu de bien. Sa Mere luy avoit toujours donné d’utiles leçons pour sa conduite, & elles vivoient ensemble dans une union qui faisoit plaisir. Le Cavalier fut informé de toutes ces choses, & comme il aimoit passionnément la Musique, chantant luy-mesme assez agreablement, il ne se put empescher quelques jours aprés d’aller chez la Belle, où il fut reçû avec l’accueil obligeant qu’il trouvoit par tout. La Mere & la Fille luy parurent deux personnes admirables, & s’il fut charmé de leurs manieres aussi nobles que polies, il leur donna lieu de dire que le Portrait qu’on faisoit de luy, ne le flattoit point, & qu’il estoit parfaitement digne de la réputation qu’il s’estoit acquise. Il chanta quelques Airs avec la Belle qui accompagnoit du Clavessin. Elle en joüoit avec beaucoup de délicatesse, & elle n’ignoroit rien de ce qu’une Fille de naissance doit sçavoir, quand elle veut s’attirer quelque distinction dans le monde. Tout cela estant soûtenu par une figure aimable ; & un grand fond de raison meslé là-dedans, avec une égalité d’humeur dont rien n’approchoit, faisoit un merite que l’envie mesme avoit de la peine à contester. Cette premiere visite du Cavalier fut suivie de plusieurs autres, & on se fit un plaisir d’autant plus grand de les recevoir, qu’ayant l’esprit infiniment éclairé, il répandoit dans la conversation, je ne sçay quel agrément qui la rendoit toûjours vive, & qui faisoit qu’en sa bouche les choses les plus communes sembloient avoir de la nouveauté. Il faisoit voir de grandes honnestetez pour la Belle, mais elles n’estoient que sur le pied d’Ami, & ne pouvant rien pour sa fortune, quoy qu’elle luy inspirast de fort tendres sentimens, il eust cru faire une chose indigne de luy, s’il eust cherché à luy faire prendre de l’amour. Cependant insensiblement il s’accoûtuma à des assiduitez qui firent craindre à la Mere qu’un si grand commerce ne préjudiciast aux interests de sa Fille. Elle s’en expliqua avec luy, & aprés luy avoir representé qu’ils n’estoient point le fait l’un de l’autre, puisqu’aucun des deux n’étoit assez riche pour pouvoir s’abandonner à son inclination, elle le pria de mettre des bornes aux empressemens qu’il faisoit paroistre, & qui pouvoient estre cause qu’aucun party ne s’offriroit pour la Belle, par la crainte qu’on auroit qu’il n’y eust entr’eux quelque engagement de cœur. Le Cavalier entra dans ses sentimens, & ne trouvant rien que de fort juste dans ce qu’elle crut devoir exiger de luy, il s’y soumit, en luy protestant que s’il avoit eu cent mille écus dont il eust pu la faire maistresse, elle n’auroit point esté en peine de chercher ailleurs un Gendre. Le retranchement de ses visites qui commençoient à n’estre plus si frequentes, luy fit sentir qu’il s’estoit trompé dans les sentimens qu’il avoit pris pour la Belle. Comme il n’avoit eu dessein que d’estre de ses Amis, il prétendoit n’avoir point esté plus loin ; mais ce qu’il souffrit à ne la plus voir aussi souvent qu’il avoit fait jusque là, luy fit connoistre que son cœur l’avoit trahy. Il en eut un veritable chagrin, & l’impossibilité qu’il trouvoit de part & d’autre, à rien esperer qui pust autoriser son amour, le mit dans un trouble qui luy fit passer de méchantes heures. La Belle de son costé vivoit moins contente, estant privée de la vûë du Cavalier. Elle avoüoit son foible à sa Mere, qui ne pouvant condamner l’estime particuliere qu’elle témoignoit pour luy, se trouvoit gênée comme elle de la contrainte où elle l’avoit assujettie. Aussi la trouverent-elles si rude pour elles-mesmes, que quand aprés l’avoir observée un peu de temps, il redevint peu à peu plus assidu, ny l’une ny l’autre n’eut la force de s’en plaindre. La Belle fit encore plus en sa faveur. Il s’offrit quelques Amans, qui en l’épousant luy assuroient une vie commode & assez tranquille, & la difference qu’elle trouva d’eux au Cavalier, ne luy permit pas de les écouter. La reconnoissance qu’il en eut, fit qu’il chercha toutes sortes de moyens pour se faire une fortune qui la pust indemniser des avantages qu’elle refusoit pour luy, & comme il luy échapoit quelquesfois des plaintes, sur ce que des Amis puissans qu’il faisoit agir, ne s’employoient point avec assez de chaleur pour le succés d’une affaire dont il auroit pû tirer un profit considerable, la Mere luy dit un jour en riant, que s’il estoit homme à se faire un peu de violence, parce que le bien ne se pouvoit acquerir sans peine, elle répondoit qu’elle luy feroit toucher deux cens mille frans en argent comptant, sans ce qu’il pourroit avoir de plus, pourvû qu’il se contraignist à bien ménager la chose. Le Cavalier répondit sans balancer qu’il n’y auroit rien de fâcheux pour luy, s’il estoit vray qu’on pust luy faire donner la somme dont on luy parloit, & alors la Mere ajoûta que peut estre il feroit le delicat, quand il auroit scû ce qu’elle avoit à luy proposer, mais qu’aprés tout, ce devoit estre une affaire tres-sérieuse pour luy, & que difficilement il pourroit trouver un moyen plus sûr de se tirer d’embarras pour toute sa vie. Il s’agissoit d’épouser une Dame extrémement riche, qui ne se donnant que soixante ans, estoit connuë pour en avoir au moins quatre-vingt, & qui par haine pour des Heritiers collateraux, qui l’avoient des-obligée en plusieurs rencontres, cherchoit à acheter un Mary qui les vangeast de leurs injustices, en la tirant de l’oppression qu’elle en souffroit. Le Cavalier s’écria sur la proposition, & la Belle qui estoit presente, luy demanda d’un air tendre & engageant, s’il se croiroit obligé de luy dérober son cœur pour le donner à la vieille Dame ; car pour les marques d’estime, de complaisance, & même d’amitié reconnoissante, elle sçavoit qu’il estoit trop honneste pour s’en vouloir dispenser, ce qui suffisoit dans les mariages de cette nature. Elle dit encore qu’elle estoit fort seure qu’en l’estat où il estoit, l’amour seul qu’il luy avoit protesté l’obligeoit à balancer sur la réponse qu’il avoit à faire ; & que s’il vouloit luy témoigner qu’il l’aimoit sincerement, il falloit qu’il acceptast le parti. On employa le reste du jour à examiner le pour & le contre ; & enfin, aprés de fort longs raisonnemens & des contestations que le Cavalier forma sans estre écouté, la Mere & la Fille conclurent au mariage. Il n’en voulut laisser le soin à la Mere, qu’à condition que les deux cens mille francs seroient partagez avec la Belle, pour qui seule il consentoit au sacrifice que l’on exigeoit de luy. On luy répondit qu’il falloit faire l’affaire, & qu’il verroit ensuite quelles resolutions il auroit à prendre. La vieille Dame, qui estoit d’une richesse à se faire rechercher, avoit force prétendans, & l’irresolution où elle estoit pour le choix, cessa tout d’un coup, lors qu’on luy eut proposé le Cavalier. Sa réputation, non seulement d’honneste homme, mais d’homme sage & d’une exacte équité, ne souffrit aucun obstacle à la conclusion de l’affaire. On la termina en peu de jours. Les deux cens mille francs luy furent comptez, & il en fit un usage dont la Belle eut tout sujet d’estre satisfaire. D’ailleurs, le contract qui fut signé entre les Parties, luy assura tous les avantages que les Loix permettent. Il y fut marqué que tous les meubles luy appartiendroient aprés la mort de la Dame, & cet article estoit tres-considerable. Sa complaisance valut encore beaucoup. Comme il en avoit pour elle dans toutes les choses qu’il prévoyoit luy devoir faire plaisir, il ménagea si bien son esprit, qu’il luy fit vendre une partie de son fond, dont l’argent passa entre ses mains. On luy avoit fait depuis long-temps des chicanes fort injustes, pour l’empêcher de toucher d’assez grosses sommes, qui luy estoient deuës par les Receveurs de quelques Terres dont elle avoit l’usufruit. Elle y alla avec son nouvel Epoux, & en six mois il luy fit avoit raison de ceux qui s’estoient declarez contre elle. Il n’agissoit avec tant d’ardeur que pour assurer du bien à la Belle, à qui il ne manquoit pas de rendre compte de tout, & dont les réponses adoucissoient le chagrin que luy causoit son absence. Il ne fut pas plûtost de retour qu’il courut chez elle. Il ne trouva que sa Mere, qui luy dit d’un visage assez riant, qu’elle avoit à luy apprendre une chose qui pourroit d’abord luy faire peine, mais qu’elle estoit fort persuadée que quand il y auroit fait reflexion, il avoûroit qu’elle estoit d’une nature à luy devoir donner de la joye. Sa Fille s’estoit mariée depuis trois jours à un homme extraordinairement riche, & qui luy avoit donné des sommes immenses. Le Cavalier fut frappé si vivement de ce coup terrible, qu’il demeura quelque temps sans pouvoir parler. Il dit ensuite tout ce que le desespoir & l’excessive douleur peuvent faire dire quand on a perdu tout ce qui peut faire aimer la vie. Il s’estoit sacrifié pour une personne qu’il aimoit uniquement, & cette mesme personne avoit esté assez infidelle pour se donner à un autre. Ce fut là-dessus un si rapide torrent de paroles & de plaintes, que la Mere eut peine à obtenir un moment pour luy apprendre que ses reproches estoient malfondez ; puisque sa Fille avoit cru ne devoir pas estre moins genereuse que luy, & qu’elle n’avoit consenti à se marier que pour le voir en estat de luy faire part d’une fortune qu’il trouveroit assez éclatante pour meriter qu’il s’en réjoüist. Le Cavalier s’adoucit un peu quand il eut appris le nom de celuy qu’elle venoit d’épouser. C’estoit un Financier riche à millions, qui n’avoit point eu d’enfans, & qui estant demeuré veuf depuis un mois dans une extrême vieillesse, avoit plutost choisi une compagne agréable pour vivre avec luy, que pris une femme. On luy avoit proposé une infinité de Filles, des plus aimables, & de toutes fortes de conditions, & il avoit préferé la Belle, qu’il connoissoit comme sa voisine, & qu’il se fit un plaisir de mettre dans un estat fort brillant. Ces circonstances affoiblirent fort le déplaisir que le Cavalier avoit marqué de la fâcheuse nouvelle qu’on luy avoit annoncée, & le lendemain il alla rendre visite à la Belle. Son vieux Mary le reçût fort obligeamment, & luy témoigna que les personnes de son caractere faisoient toûjours grand plaisir à voir. La Belle qui n’avoit pas moins de vertu que de conduite, ne le quittoit pas un seul moment, & par ses soins assidus elle luy ostoit tout sujet de jalousie. Elle n’en faisoit pas plus mal ses affaires. Plus elle se montroit empressée pour luy, plus il estoit liberal pour elle. Tous ses devoirs estoient remplis admirablement auprés de ce vieux Mary, & elle s’en acquitta toûjours de si bonne grace, qu’il ne parut point qu’il y eust de la contrainte. Du moins si ces devoirs la firent souffrir, ce fut pour fort peu de temps, puis qu’il mourut trois ou quatre mois aprés qu’il l’eut épousée. Sa mort affligea le Cavalier, qui voyant la jeune Veuve un party fort important par le grand bien que le bon homme luy avoit laissé, apprehenda que son cœur ne se laissast séduire à l’ambition dans un temps où il n’estoit pas en pouvoir de profiter des sentimens favorables qu’elle avoit pour luy. En effet, son merite & sa beauté tirérent un nouvel éclat de sa fortune, & parmy des propositions qui luy furent faites, il y en eut de quelques personnes d’un rang extrêmement élevé. C’estoit dequoy allarmer le Cavalier. Elle avoit beau l’assurer de sa constance. Sa Femme, dont il n’osoit souhaiter la mort, sembloit obstinée à vivre, & il avoüoit qu’il estoit injuste d’exiger de la belle Veuve qu’elle renonçast pour luy à tous les honneurs qu’il luy voyoit mépriser. Enfin, pour le tirer du chagrin où il s’abîmoit insensiblement, & se délivrer en mesme temps de cette foule d’Adorateurs dont elle voyoit de jour en jour augmenter le nombre, elle fit sans en consulter personne, ce qu’aucun d’eux n’auroit pû s’imaginer. Elle s’enferma dans un Convent avec sa Mere, & elle n’y vit que le Cavalier, & quelques personnes à qui il falloit qu’elle parlast quelquefois pour ses affaires. Il fut d’autant plus charmé de cette conduite, qu’elle la soutint pendant six années que vécut encore sa Femme, sans que tout ce qu’on pût faire pour la rappeller au monde, produisit aucun effet. Si tost que le Cavalier fut veuf, elle quitta sa retraite, & personne ne douta qu’il ne dûst estre l’heureux qui emporteroit ce que tant d’autres avoient poursuivi inutilement. Leur mariage qui fut arresté quelque temps aprés, fit admirer la conformité de leurs destinées, & on applaudit à la generosité de l’aimable Veuve, qui ayant reçu les marques les plus convainquantes de l’amour du Cavalier, par le sacrifice qu’il luy avoit fait de sa personne, pour luy procurer du bien, s’estoit conservée pour luy avec une fermeté inébranlable.

[Lettre en Prose & en Vers sur une Feste donnée par les Chevaliers de l'Arquebuse d'Epernay] §

Mercure galant, octobre 1696 [tome 10], p. 203-210.

 

Je vous envoye une Lettre mêlée de Prose & de Vers, que vous trouverez tres-agreable.

 

J'ay receu, Monsieur, avec plaisir le détail que vous m'avez fait de tous les feux de joye qu'on a allumez à Paris, en réjoüissance de la Paix de Savoye, & je suis persuadé que vous recevrez de même la Relation que je vous envoye, d'une feste que Mrs les Chevaliers de l'arquebuse ont faite à Epernay, sur le même sujet. Vous sçavez que cette illustre Compagnie, où j'ay l'honneur d'avoir une place, est composée de la meilleure Noblesse, & des premiers Officiers de la Ville : Ainsi vous ne doutez pas que nous ne nous soyons animez à l'envy à marquer nostre zéle pour la gloire de nostre invincible Monarque.

Au seul récit de son grand nom
Je me sens excité des transports d'Appollon,
Pour mieux raconter cette Histoire,
Où l'on verra l'effet des travaux de Louis,
Venez à mon secours, vous Filles de Memoire,
Qui rendez éternels ses exploits inoüis.

Mais où m'emporte mon ardeur ? je prens un ton trop haut, & j'ay peur de n'avoir pas assez d'haleine pour le soûtenir ; il faut ménager ma voix. Je vous diray donc plus simplement, Monsieur, que nostre Feste commença le 30. Septembre, par six Prix qui furent tirez en presence des plus honnestes gens de la Ville, invitez à cette ceremonie.

Chacun tira là de son mieux,
Moins pour les prix que pour la gloire
De remporter une victoire,
Et je fus des victorieux.

Il faut que la Gloire ait bien des charmes, puisque je ne puis m'empescher de vous faire un tel aveu. Pardonnez le moy ; il vient moins en pareille occasion d'un exces de vanité, que d'un transport de joye. Aprés cet exercice, nous allâmes tous en bon ordre au bruit des Tambours & des Hautbois, devant nôstre Hostel allumer un Feu d'Artifice qui y estoit preparé, & qui fit un effet admirable.

Lors que le feu prenoit au bois
Le Peuple assemblé dans les ruës
Faisoit retentir jusqu'aux nuës
Le nom du plus puissant des Rois :
À peine au bruit de tant de voix,
Nos armes estoient entenduës.

La Feste n'auroit pas esté complette si les Dames n'y avoient pas esté invitées. Dans nostre Hostel qui estoit illuminé de toutes parts, nous leur donnâmes un Bal, qui fut suiviy d'une magnifique collation.

Brillantes à l'envy de mille attraits divers,
Elles disoient dans leurs transport de joye,
Louis fait la Paix de Savoye,
Il conclura bientost celle de l'Univers,
Que n'avons nous part à sa gloire !
Que nous sommes à plaindre, helas !
De ne pouvoir le suivre où la Victoire
Accompagne toûjours ses pas.
C'est luy qui nous assemble en ce fameux repas,
À sa santé nous devons boire,
Il ne s'en offensera pas ;
Buveurs, si vous voulez nous croire,
Vous mettrez tous vos vins au bas.

Rien n'estoit plus capable de nous animer à la bonne chere. Je vous assure aussi que chacun s'acquitta parfaitement bien de son devoir, & que pour une Paix particuliere, il y eut bien des cartaux de bus.

Malgré la vendange frugale,
Quand nôtre invincible Louis
Conclura la Paix generale,
Combien nous vuiderons de muids !

La Collation finie, chacun se retira au bruit de nos boëtes & de nos arquebuses, qui n'avoient point cessé de tirer pendant toute le temps que nous restâmes dans nôtre Hostel. Voilà comment se passa nôtre Feste. Voyez si nôtre Compagnie ne s'est pas bien distinguée par ces differentes réjoüissances, & si vous ne serez pas bien aise de l'apprendre. Je suis, Monsieur,

 

Vostre tres-humble & tres-obeissant Serviteur,

Du Rocheret

[Madrigaux faits par Mademoiselle de Scudery] §

Mercure galant, octobre 1696 [tome 10], p. 210-212.

Les Vers qui suivent sont de Mademoiselle de Scudery.

SUR LA TREVE
Entre la France & la Savoye.
MADRIGAL.

Loüis est toujours admirable,
Et de tous les Heros le plus inimitable ;
Par luy nous allons voir une agreable Paix.
En pourrions-nous avoir un plus heureux présage ?
 Nous voyons déja son image
 Pleine de douceur & d’attraits.
Mais si les Alliez, peu touchez de ses charmes,
 Refusent de poser les armes,
Les Aigles, les Lions, & les fiers Leopards
Seront punis sur la Terre & sur l’Onde,
Et leur orgueil jusqu’à la fin du monde
 Sera maudit de toutes paris,
Quand Loüis triomphant joüira de la gloire
D’avoir pu préferer la Paix à la Victoire.

SUR LA PAIX
Entre la France & la Savoye.
MADRIGAL.

Ö Paix ! aimable Paix, qui descendez des Cieux,
 Que vous estes belle à nos yeux !
Nous avions déja vû vostre agreable image,
Mais en original vous plaisez davantage.
En vain les Alliez méprisent vos appas,
Vous leur verrez enfin un sentiment plus juste :
Honteux & rebutez d’inutiles combats
Ils vous tendrons la main aux pieds de nostre AUGUSTE.

Priere à la Reine §

Mercure galant, octobre 1696 [tome 10], p. 238-246.

Rien n’est plus commun que les Vers, mais rien n’est si rare que les bons, & l’on en trouve peu du caractere que demande la veritable Poësie. Ceux que je vous envoye sont de cette nature. Mr de Senecé, premier Valet de Chambre de la Reine, en est l’Auteur.

PRIERE
À LA REINE.

Esprit né pour regner, à qui le Sang d’Austriche
Jusqu’au Trône des Lis a frayé le chemin,
Où trop tost les Vertus vous ont prêté la main,
Pour vous faire monter sur un Trône plus riche.
***
Détournez un moment vos regards absorbez
Dans le vaste Ocean des divines lumieres ;
Contemplez de LOUIS les fatigues guerrieres,
Et tant de vains projets par sa valeur tombez.
***
Si les felicitez d’éternelle durée
D’un bonheur passager prennent accroissement,
Vous aurez du plaisir à voir l’abaissement
Où ce Heros réduit l’Europe conjurée.
***
Aprés huit ans complets, ses Agresseurs ardens
Languissent chaque jour dans un estat plus triste,
Et malgré leur fureur son Royaume subsiste
Invincible au dehors, & tranquille au dedans.
***
Ainsi des Aquilons quand la rage s’allume,
Ils poussent vers les bords Neptune fremissant ;
Ils ont beau l’y pousser, son orgueil menaçant
Se brise, s’aplanit, se résout en écume.
***
Le Party des Liguez va devenir desert ;
Chacun de la raison écoute les murmures :
Le mieux sensé d’entre eux a rompu leurs mesures,
Comme un son discordant desordonne un Concert.
***
Déja l’aimable Paix si longtemps desirée,
Descend du Mont-Cenis par un vol gracieux :
La Discorde en gemit, & se bouche les yeux
Offensez par l’éclat de son aile dorée.
***
Le Sang avec le Sang est reconcilié :
Pour gage de sa foy le Pô donne à la Seine
Une jeune Beauté, que l’Hymen nous amene
D’une chaîne éternelle avec l’Amour lié.
***
Ô Reine ! ô des François esperance solide,
Quel fâcheux souvenir elle va dissiper,
Et qu’il leur sera doux de luy voir occuper
Le Siege le plus prés de vostre Siege vuide.
***
Vostre protection nous permet d’esperer
Que vous procurerez à son esprit docile
De vos pieux talens la semence fertile.
Est-il rien de plus grand qu’on luy puisse augurer ?
***
Le bruit court que Loüis, qui sçait mieux que tout autre
L’art de former un cœur au Trône destiné,
A, comme il fait toujours, sagement ordonné
Qu’on luy fasse une Cour des débris de la vostre.
***
Comme un vase recent, qu’embaume une liqueur,
Par de sçavantes mains avec soin préparée,
Par ces vieux Courtisans la Princesse inspirée,
De vos rares vertus conservera l’odeur.
***
Icy, luy diront-ils, Terese prosternée
Méprisant des grandeurs les fragiles appas,
N’esperant qu’en son Dieu, méditant le trépas,
Passoit comme un moment la plus longue journée.
***
C’est dans cet Hôpital, où de ses charitez
On conserve à jamais la memoire adorable:
Voicy les mêmes plats, que sa main secourable,
Sans mépris, sans dégoust au Pauvre a presentez.
***
Par l’émulation sa jeune Ame excitée
Du Ciel qui la protege observera les loix,
Et l’Etat, qui se forme à l’exemple des Rois
Verra des vieux Chrestiens l’ardeur résuscitée.
***
Mais, quand de sa Maison le plan sera dressé,
REINE, si quelquefois les soins de consequence
Admettent des soucis d’une moindre portance,
Des horreurs de l’oubli préservez Senecé.

Air nouveau §

Mercure galant, octobre 1696 [tome 10], p. 288.

Voicy dequoy exercer vôtre voix, aprés avoir exercé vôtre esprit.

AIR NOUVEAU.

Avis pour placer les Figures : l’Air doit regarder la page 288
Mon bonheur feroit des jaloux,
Si je vivois sans cesse auprés de vous :
Les Dieux me porteroient envie,
Mais que je paye bien, helas !
Les instans précieux où je vous voy, Silvie,
Dans les momens cruels, où je ne vous voy pas.
images/1696-10_288.JPG

[Arrivée de Madame la Princesse de Savoye au Pont Beauvoisin, avec un détail de tout ce qui s'est passé à sa reception & son entrée à Lyon] §

Mercure galant, octobre 1696 [tome 10], p. 320-324.

 

[...] Les ruës de la Ville [de Lyon], par où [la princesse] passa, estoient bordées par dix-huit cens jeunes hommes, tous d'une mesme taille, & magnifiquement vétus. On avoit choisi dans tous les quartiers de la Ville, la jeunesse la mieux faite, & qui estoit le plus en estat de faire de la dépense. Mrs les Prevost des Marchands & Echevins firent leur compliment à la Princesse, entre les deux Portes. Mr le Marquis de Canaple qui commande dans la Ville, la reçut à la porte de la maison de Mr de Mascarany, qui luy avoit esté preparée comme la plus belle de la Ville. Ce Logis a toûjours été gardé par la Compagnie franche de Souternon, les Arquebusiers, & les Gardes du Corps du Roy. Le lendemain 19. la Princesse alla à la Messe à l'Eglise de S. Jean : Elle fut reçuë à la Porte par Mrs les Comtes de Lyon, & complimentée par Mr le Doyen : Elle estoit accompagnée de Mr le Comte de Brionne, de Mr le Marquis de Dangeau, & de toutes les Dames. La Messe fut chantée en Musique, quoy que ces Chanoines ne chantent jamais que le Plein-Chant. Cette Princesse alla l'aprés-dînée aux Jesuites. Elle entra dans leur maison & vit leur Bibliotheque. Elle permit aux Peres Celestins, de faire tirer le soir, dans leur jardin, un tres-beau feu d'artifice, qui fut accompagné de quantité de boëtes. Tout leur Convent estoit illuminé, aussi bien leur clocher, qui estoit remply de Trompettes.

Cette Princesse alla le 20. à la Messe dans leur Eglise, où elle fut receuë avec beaucoup de zele, & l'on peut dire avec magnificence, ce Convent ayant esté fondé par un Duc de Savoye. Le mesme jour Elle alla aux Dames de Saint Pierre, & aux Carmelites, où le Peuple la suivit, ainsi qu'il avoit fait les jours précedens. Elle se fit voir de temps en temps pour contenter sa curiosité. Pendant tout le temps qu'elle a demeuré à Lyon, toute la Place de Belle-cour, & toutes les avenuës ont esté éclairées toutes les nuits par un nombre infini de lanternes. Cette Princesse a toujours mangé seule, & tous les Instrumens de l'Opera, qui est établi à Lyon, se sont fait entendre pendant tous ses repas. Elle partit le Dimanche 21. & la joye cessa dans la Ville de Lyon. La Bourgeoisie se mit encore sous les armes, & luy donna mille benedictions à son départ, en l'appellant Princesse de la Paix.