1697

Mercure galant, janvier 1697 [tome 1].

2017
Source : Mercure galant, janvier 1697 [tome 1].
Ont participé à cette édition électronique : Nathalie Berton-Blivet (Responsable éditorial), Anne Piéjus (Responsable éditorial), Frédéric Glorieux (Informatique éditoriale) et Vincent Jolivet (Informatique éditoriale).

Mercure galant, janvier 1697 [tome 1]. §

[Eloge du Roy par Mr l’Abbé de Lioniere] §

Mercure galant, janvier 1697 [tome 1], p. 7-15.

Il n’y a rien qui ait de quoy satisfaire davantage ceux qui sont nez pour pouvoir tout ce qu’ils veulent, que les loüanges que leur attirent l’amour de la Religion & de la Pieté. On n’en peut faire son particulier attachement, sans estre comme assuré d’unir ensemble toutes les autres vertus, & jamais cette union n’a esté ny si parfaite, ny si éclatante qu’elle se trouve dans nostre Auguste Monarque. Ainsi on ne doit point s’étonner de ce qui vient d’estre dit de ce grand Prince, dont l’Eloge a esté commencé en ces termes.

Y eut-il jamais Monarque plus religieux & plus Zelé pour soutenir les droits de l’Eglise que Loüis le Grand ? N’a-t-il pas dés ses plus tendres années, suivi les saintes traces des Rois les plus religieux, & son Zele n’a-t-il pas toujours augmenté comme le nombre de ses années ? Combien de Brebis égarées ont esté ramenées dans le troupeau de l’Eglise ? Combien d’Autels ont esté élevez à l’honneur de J.C. & à la gloire de Dieu ? Combien d’Eglises ont esté ouvertes & rétablies dans leur premier éclat par les soins de ce pieux Monarque ? Ses Etats quelque vastes qu’ils soient, ont esté trop petits pour contenir son Zele ; il a fallu que les Peuples des extrémitez de la terre en ressentissent les effets, & que ses Vaisseaux traversant une vaste étenduë de mers, portassent dans un monde nouveau les richesses du Christianisme ; je veux dire, des Hommes Apostoliques, qui estant charmez de la pieté de ce grand Roy, & animez de son Zele, ont voulu avoir l’honneur de concourir avec luy pour établir la Religion Catholique, & engendrer de nouveaux Enfans à l’Eglise dans un Pays, où les lumieres de l’Evangile avoient esté obscurcies par les tenebres de l’erreur & du mensonge. C’est encore le même Zele qui luy a mis les armes à la main pour proteger l’innocence, relever la Majesté Royale abaissée, & défendre la sainteté des Autels contre toutes les Puissances de l’Europe ; mais aussi il faut avoüer que c’est à ce zele & à cette pieté si parfaite, qu’il est redevable de toutes ses victoires. Voilà un Réciproque bien agreable. L’Eglise obtient par ses prieres d’heureuses issues aux entreprises des Princes religieux & soumis à ses loix, & ces pieux Conquerans n’ambitionnent les Couronnes de la victoire, que pour faire triompher cette sainte Mere avec plus de pompe & d’éclat. Il est vray que tous ceux qui ont respecté l’Eglise ont éprouvé les misericordes du Seigneur. Constantin n’obtint l’Empire du Monde que parce qu’il reconnut avec une sincerité de cœur, & qu’il adora en esprit & en verité la Croix de l’Eglise, au moment que Dieu la luy fit voir dans l’air, pour luy apprendre qu’il seroit victorieux de ses Ennemis. Clovis n’eut pas plutost conceu le dessein de se faire enfant de l’Eglise, que la Victoire qui avoit déja commencé à répandre ses couronnes sur ses Ennemis, les dépoüilla de ces précieux ornemens pour les mettre sur la teste de ce Roy, qui n’estoit encore Chrestien qu’en idée.

Cet Eloge est tiré d’un Ouvrage que Mr l’Abbé de Lionniere vient de mettre au jour sous le titre de Instruction familiere & historique, contenant les caracteres de la vertu heroïque selon les maximes de la Morale & les regles du Christianisme. Il est divisé en plusieurs chapitres, dans chacun desquels l’Auteur a employé de pareils Eloges ; en sorte que les veritables caracteres du Heros qu’il peint, y sont rendus sensibles dans la personne de Sa Majesté. Vous jugerez de tous ces Eloges par celuy que je vous envoye. Il conclut que celuy qui fait briller dans sa personne les plus beaux ornemens de la Morale & les plus vives lumieres de la Religion, possedant pleinement toutes les vertus, parce que c’est une verité incontestable dans l’école de la sagesse, qu’une vertu ne peut estre souverainement parfaite sans le secours de toutes les autres, il est évident que le Roy a toutes les perfections qu’on peut desirer dans l’honneste homme, dans le grand Capitaine, & dans le Monarque parfait. Ce Livre se vend chez le Sieur Edme Couterot, ruë Saint Jacques, au Bon Pasteur.

[Remarques sur un passage de Virgile] §

Mercure galant, janvier 1697 [tome 1], p. 15-35.

Voicy des Remarques qui ont esté faites sur une explication dont je vous fis part il y a quelques mois, d’un passage de Virgile.

A MONSIEUR ***

Je suis persuadé, Monsieur, que vous avez eu grande raison de donner à la Dissertation de Mr Sarrau, sur cet endroit de Virgile,

Atque Lupæ fulvo nutricis tegmine lætus
Romulus excipiet gentem.

l’Eloge de pleine d’érudition ; & je souscris volontiers aux loüanges qui sont chantées à sa gloire dans le beau Sonnet qu’on luy adresse à cette occasion. Je ne regarde pourtant cette derniere Piece de sa façon, que comme un jeu d’esprit, où il a affecté de faire paroistre principalement la souplesse de son beau genie, & son grand sçavoir dans les belles Lettres ; car je n’y trouve pas cette solidité de raisonnement, avec laquelle il se soutient si bien par tout ailleurs. Si ma critique en cela est bonne ou mauvaise, vous pourrez, Monsieur, en juger par les remarques suivantes.

Les termes s’entendent, dit-il d’abord, mais qui entendoit avant Mr Sarrau, que Tegmen fulvum lupæ nutricis, par rapport à Romulus, fussent des feüilles de chesne dont la Louve sa nourrice le tenoit enveloppé & à l’abry des injures de l’air ? ou si cela s’entend, pourquoy employer Virgile, Aristote, & les autres Naturalistes, son Amy, & son Berger avec sa Brebis, pour nous le faire entendre ?

Je ne sçay pas non plus comment il est vray de dire, que les termes s’entendent, mais que le sens ne s’entend pas par les termes.

Mr Sarrau demande aprés cela quelle idée de Romulus ? s’il s’en faut tenir au vulgaire, je veux dire, dit-il, de le regarder couvert de la peau d’une Louve, sa Nourrice ? Nous la donnerons, cette idée, sur la fin de ces Remarques.

Est-ce donc là, ajoûte-t-il, la reconnoissance que doit Romulus à cette admirable & tendre Nourrice, qu’il faut qu’elle soit écorchée ou vive ou morte, afin que son Nourrisson porte sa peau ? Par un semblable raisonnement l’on pourroit nier ce que nos Historiens assurent, & ce que Mr Sarrau ne niera pas, que Saint Louis estant mort à Tunis, on l’embauma ; que sa chair & ses entrailles furent portées en Sicile, son Chef à la Sainte Chapelle, & son Corps à S. Denis. Mais pour répondre directement, je n’ay qu’à dire, comme le vulgaire, qu’en cela Romulus par une juste reconnoissance, a voulu honorer la memoire de sa merveilleuse Nourrice, à l’imitation de Jupiter, son grand Pere, qui aprés la mort de la Chévre qui l’avoit allaité, en conserva la peau, & en couvrit ce fameux bouclier avec lequel il resista à tous les coups des Titans ses ennemis, quand ils luy firent la guerre pour le détrôner.

Mr Sarrau qui n’ignore rien, & qui fait tourner tout à son but, prévient cette objection, & dit, qu’il semble que Jupiter eut quelque remords d’avoir fait écorcher sa Nourrice, & que pour cela mesme, il la fit revivre. Mais remords ou non, Romulus n’a-t-il pas fait plus d’honneur à la peau de sa Nourrice en s’en couvrant le corps, que s’il en eut couvert son bouclier, & peut-on douter qu’il ne l’eust fait revivre, s’il luy eust esté possible ?

La peau du Lyon d’Hercule, & celle du Lynx d’Harpalice, ne sont encore que des preuves d’érudition.

A ce qui suit que de mettre la peau d’une Louve sur les épaules de Romulus, c’est luy donner la figure d’un Lycanthrope, il suffit de répondre est modus in rebus.

Si Mr Sarrau entend aprés cela qu’absolument parlant, le Loup parmy les Romains estoit un animal de mauvais augure, & si le Passage de Tite-live le prouve, qu’il accorde donc & Tite-live & Virgile, & generalement tous les anciens Romains avec eux-mêmes ; car ils ont tous pris à tres bon augure la nourriture que Romulus exposé a reçûë d’une Louve.

Virgile estoit trop habile, dit Mr Sarrau, pour couvrir d’une peau fatale le Fondateur de Rome, & en faire un présage de calamité & de desolation. Si son trop d’habileté a dû empêcher cela, comment a-t-elle pû luy permettre de faire nourrir le Fondateur de Rome par une Louve, incomparablement plus fatale que sa peau, & qui luy communiquant son naturel cruel & farouche, avec son lait, devoit bien plutost estre un présage de calamité & de desolation ?

Il faut donc avoüer qu’il y avoit parmy les Romains certaines regles pour tirer des Loups & des Louves de bons & de mauvais augures, & Mr Sarrau n’a qu’à consulter sur cela les Hieroglifiques de Pierius.

Cette ingenieuse illusion de Mr Sarrau dissipée rend inutile tout ce qu’il nous debite des raisons qui ont obligé Mrs de Segrais & Martignac a passer par dessus fulvo tegmine, & à le laisser sans l’exprimer dans leurs traductions.

La refutation du sentiment de ceux qui prétendent que Lætus fulvo tegmine, &c. sont des termes qui designent la situation de Romulus tetant la Louve, & estant alors sous son ventre, cette refutation, dis je, me paroist fort juste.

Mais il n’en est pas de même, ce me semble, du sens, qui selon luy convient noblement au sujet des Vers en question. Tegmen, dit-il, se prend pour le feüillage.

Ante leves ergo, &c.

Il le prétend prouver alleguant le premier Vers de la premiere Eglogue de Virgile,

Tityre, tu patulæ recubans sub tegmine fagi.

Pour moy, je croirois plutost que tegmine fagi ne signifie pas seulement les feüilles, mais aussi les branches & le tronc, en un mot, tout le hestre, qui par son ombrage mettoit Tityre à couvert des incommoditez de l’ardeur du Soleil.

Je ne veux pourtant pas nier que l’admirable Nourrice de Romulus ne l’ait, suivant son instinct de Louve, couvert de feuïlles ; mais qu’elle ait employé pour cela des feüilles de chesne précisément, & que cela nous soit signifié par le tegmine fulvo de Virgile, c’est une expression qui ne me paroist pas plus usitée que tegmine, pour sub alvo à Mr Sarrau.

Je n’estime pas non plus que fulvo, soit un terme expressif pour marquer la couleur des feüilles tombées des arbres, & que ce soit de là qu’est venuë cette couleur que l’on nomme feüille morte.

Fulvus dans les Animaux, est le Roux, qui marque leur feu & leur ardeur martiale. Le S. Esprit même, au jugement de Mr de Meaux, & de tous les Sçavans, nous represente la guerre, Apoc. 6. v. 4. sous l’emblême d’un cheval roux, equus fulvus.

Ce qu’Horace raconte de luy-même, lib. 3. Ode 4. ne donne pas à l’opinion de M. S. tout le jour qu’il prétend ; car enfin le fronde nova, lauroque collataque myrto, dont les Romains couvrirent autrefois ce Poëte dans le temps de son enfance, ne pourra jamais entrer justement en parallele avec les feüilles de chesne de M. S. par le moyen de fulvo tegmine Lupæ nutricis de Virgile.

Ainsi ce que M.S. dit ensuite de la noblesse des chesnes, & de leur durée, n’est encore, à le bien prendre, qu’une érudition hors d’œuvre.

Il ne nous reste plus, Monsieur, qu’à examiner ce que c’est que lætus. Ce mot, dit M. S. se rapporte admirablement au sens qui naist de celuy qui couvre de feüilles Romulus ; passe dans le cas de la supposition. Il nous avoit avertis plus haut, que lætus, est là dans Virgile un terme de présage & d’heureux présage. Cela est vray par rapport à autruy ; comme quand les Generaux augurent bien de la gayeté qui paroist sur le visage de leurs Soldats un jour de Bataille. Mais icy le même Romulus lætus excipiet gentem ; & il me semble qu’il ne peut guere se faire à soy-même de sa propre gayeté un heureux présage, pour l’exciter à prendre soin de sa Nation. Je ne vois pas même que l’expression de Virgile puisse recevoir ce sens-là.

Bien plus, lætus, sur tout dans Virgile, exprime toujours la joye presente où se trouve la personne précisément au même temps qu’elle fait l’action qu’on luy attribuë. En voicy des exemples.

Mutuaque inter se læti convivia curant. Georg. lib. 1.
Vela dabant læti. Æneid. lib. 1.
Et lætus fluvio succedit opaco. Ibid. 7.
Et placidum læti componite fœdus. Ibid. 10.

Or selon M.S. Romulus lætus tegmine, &c. c’est Romulus enfant riant sous les feüilles de chesne dont sa Nourrice le couvroit. Mais estoit-ce en cet estat que selon l’Oracle de Jupiter, il devoit prendre le soin de sa Nation, lætus excipiet gentem. Il y a eu du moins vingt ou vingt-cinq ans d’intervalle du premier estat de M.S. au second.

Disons donc enfin, Monsieur, avec le Vulgaire, que Virgile dans ces Vers en question, exprime à son ordinaire, & nettement & noblement, comme quoy Jupiter prédisoit que Romulus, son Petit fils, l’imitant lors qu’il seroit devenu fort grand, feroit gloire de porter la peau de la Louve qui l’allaiteroit ; & ce avec d’autant plus de joye, que cette peau rappellant en memoire les merveilles de sa naissance & de sa conservation, elle mettroit la premiere par même moyen à couvert de tout ce qu’on eust pû luy attribuer autrement de bas & de honteux, & qu’ainsi cette peau serviroit aussi puissamment à son dessein, quand il voudroit prendre en main les resnes de la Monarchie Romaine. Qu’y a-t-il de plus propre, en effet, pour donner à des Peuples Payens, belliqueux, l’idée d’un grand Conquerant, que de le leur representer comme le fils du Dieu de la guerre, mais Fils tres chery, en ce qu’ayant esté exposé dans une forest par ses Parens, qui vouloient le faire perir, il suscita pour sa conservation, la Louve qui devoit plutost le devorer que luy servir de Nourrice. Mais c’est un animal consacré à Mars, & c’est icy tout dire, tant est grande la relation de l’un à l’autre ; relation qui fait dire à Jupiter, immediatement aprés, & mavortia condet mœnia. Mais en voila trop, & il est temps de vous dire que je suis, Monsieur, vostre, &c.

A Monsieur *** §

Mercure galant, janvier 1697 [tome 1], p. 35-47.

Voicy encore une réponse sur ce mesme passage de Virgile. Elle est d’un Academicien de l’Academie d’Angers.

A MONSIEUR ***

J’ay examiné les Vers de Virgile dont nous avons vû l’interpretation, inserée dans le Mercure du mois d’Avril dernier.

Inde lupæ fulvo genitricis tegmine lætus,
Romulus excipiet gentem.

L’Auteur de cette interpretation m’a paru homme d’esprit & de beaucoup d’érudition. En effet, il a curieusement recherché tout ce qui peut favoriser le sens qu’il donne à ces Vers, & comme il dit luy-même, il a creusé autant qu’il a pû pour trouver un tresor ; mais comme tous ceux qui foüillent dans la terre n’y trouvent pas des richesses, il me semble que le travail de celuy-cy n’a pas eu tout le succés qu’il avoit esperé. Je vous diray mon sentiment sur le sens de ce Vers, aprés que je vous auray déduit les raisons qui semblent détruire celuy qui est employé dans le Mercure. L’Auteur dit que ce tegmen fulvum, doit s’entendre des feüilles séches dont la Louve, mere nourrice de Romulus & Remus, avoit couvert ces deux enfans. Mais en premier lieu il n’est pas possible qu’il y ait eu des feüilles propres à couvrir ces enfans sur le rivage du Tibre, où flottoit encore vray-semblablement parmy des roseaux, la petite nacelle qui les portoit.

Secondement, c’est un monstre d’expression d’employer les mots tegmen lupæ, pour signifier un amas de feüilles fait par une Louve, pour servir de couverture à Romulus. Cette feüille ne seroit pas tegmen lupæ, elle seroit appellée tegmen Romuli. Quand nous sommes sous un toit, on ne dit pas que c’est le toit de l’Artisan qui l’a fabriqué, mais que c’est nostre toit ; & Tytire n’estoit pas à l’ombre de celuy qui avoit planté le hestre, mais sous le feüillage de cet arbre.

D’ailleurs, l’épithete de fulvum, assortie avec folium, ne ressent point la justesse & la beauté de celles dont Virgile se sert ordinairement. Ce Poëte si judicieux en auroit employé une plus propre en son application, au lieu que cette épithete de fulvum convient parfaitement au poil du Loup, animal que l’on compte entre les bestes fauves. Fulvum est la couleur que nous appellons fauve, laquelle ne se trouvera point avoir esté attribuée aux feuïlles par aucun Auteur, ny en Vers, ny en Prose. Enfin selon cette explication il sembleroit que Romulus, en sortant de dessous ces feuïlles imaginaires, auroit aussi tost travaillé à la fondation de Rome, tout fier d’avoir eu ce bel habit de feuïlles, ou que mesme il en auroit encore esté couvert.

 — Fulvo tegmine lætus
Romulus excipiet gentem

Ne semble-t-il pas qu’il auroit encore ces feuilles sur le dos, ainsi que la brebis dont l’Auteur rapporte l’exemple ?

Il semble donc qu’il y a plus de raison d’interpreter ces Vers en cette maniere toute simple. Romulus paré & revestu de la peau d’une Louve, fondera la Ville de Rome, & pour l’explication & le soutien de ce sens, il y a deux choses à observer : la premiere, que Virgile prend icy le particulier pour le general, & l’individu pour l’espece, & qu’en disant lupæ genitricis, il n’a pas entendu que ce fust la Louve même qui avoit allaité Romulus, mais un animal de la mesme espece de celuy qui l’avoit allaité. Si par une avanture quelqu’un avoit esté conservé par la rencontre d’un Loup, & qu’aprés il voulust détruire quelque autre Loup, on luy diroit fort juste : Vous voulez tuer l’animal qui vous a sauvé, ou bien mesme : Vous voulez ôter la vie au loup qui vous l’a conservée. C’est en ce sens figuré qu’il faut entendre ce lupæ genitricis, comme si l’on disoit un animal de la mesme espece de celuy qui avoit allaité Romulus.

En second lieu, il faut se souvenir que les Heros, les grands Hommes, & particulierement les Fondateurs des Villes & des Empires, sont bien aises que l’on croye qu’il y a eu quelque chose de divin dans leur naissance. Par cette raison Romulus tâchoit d’insinuer au Peuple qu’une Louve l’avoit allaité par une faveur des Dieux, & pour faire montre de ce miracle, il affectoit qu’on le vist toûjours marcher couvert de la peau d’un loup ; car il n’importe icy que ce soit un loup ou une louve, Virgile s’estant servy du terme de lupæ, pour mettre devant les yeux le miracle de l’éducation de Romulus.

On ne doit pas objecter que Romulus avec cette peau de loup, auroit paru aux yeux des hommes une espece de Lycanthrope, ainsi que le marque l’Auteur du sens opposé ; car ceux qui ont le goust de l’Antiquité sçavent que les anciens Heros faisoient gloire de paroistre vestus de peaux de bestes farouches, & particulierement de celles qu’ils avoient tuées de leur main.

Dans le cinquiéme Livre de l’Eneide, Aceste vient recevoir Enée,

Horridus injaculis & pelle Lybistidis Ursæ.

Une peau d’Ours n’est pas moins hideuse que celle d’un Loup, & neanmoins Virgile en fait une robe à Aceste.

On ne doit pas dire non plus que le Loup estant un animal dont la rencontre estoit de mauvais augure parmy les Anciens, il n’est pas à croire que Romulus eust voulu paroistre revestu de la peau de cette beste ; car bien que la rencontre d’un Loup ne soit pas d’un bon présage, selon le sentiment mesme d’Horace.

 — aut ab agro
Rava decurrens lupa lanuvino.

Cela ne regarde point la peau de cet animal privé de vie, qui ne doit en cet estat présager rien de mauvais, non plus que les dépoüilles d’un ennemy vaincu, & on ne peut pas douter de cette verité, si l’on observe que selon le témoignage de Pline, au Livre 10. chapitre 4. de son Histoire naturelle, avant le temps de Marius, qui consacra l’Aigle pour la faire marcher seule à la teste des Legions Romaines, la figure d’un loup avec celles du sanglier, du cheval, & du Minotaure, estoit l’une des cinq representées dans les cinq Enseignes des Romains, ce qui fait voir que parmy eux la figure d’un loup n’estoit pas toûjours d’un mauvais augure. J’estime que cette interpretation est la veritable. Nisi tu quid dissentis. Je suis, &c.

Eglogue sur la naissance du fils de Dieu §

Mercure Galant, janvier 1697, p. 47-54.

Les vers qui suivent sont de saison, puisque nous ne sommes pas encore bien éloignez de la grande Feste, qui fut solemnisée sur la fin du mois passé. Ils sont de Mr Dader, de Toulouse.

EGLOGUE
SUR LA NAISSANCE
DU FILS DE DIEU.

DAPHNIS.

Quel changement dans la nature !
L’Hiver est plus charmant que les Autres Saisons.
Eté, malgré l’éclat de tes riches Moissons,
Printemps, malgré tes fleurs, & malgré ta verdure :
Malgré mesme tes fruits les plus delicieux,
Que tu produits, fertile Automne,
Nous n’aimons que les fruits des Cieux,
Qu’au milieu de l’hiver une Vierge nous donne.

LICAS.

Les frimats ne sont plus affreux.
Nostre divin Sauveur, ce Soleil de la Grâce,
Pour rendre les Mondes heureux,
Vient jusque dans nos coeurs faire fondre la glace.

TERSANDRE.

Du pouvoir du Sauveur miracles éclatants,
Nous goûtons dans l’hiver les douceurs du Printemps,
Déjà la campagne est fleurie ;
Nos moutons bondissans
Sous l’aspect du Fils de Marie
Y suivent à l’envi tous les loups ravissans.

LE CHOEUR.

Qu’à l’adorer, chacun s’empresse,
Dieu qui nous marque son amour,
N’attend de nous en ce beau jour
Que cris, que chants, que concerts d’allegresse.
Chantons, chantons sans cesse,
Chantons avec ardeur,
Chantons tous sa grandeur,
Chantons tous sa victoire,
Celebrons, respectons, adorons tous sa gloire.

ALEXIS.

Ce Soleil glorieux,
Cet Enfant adorable.
Charme bien mieux
Nostre coeur & nos yeux
Dans le coin d’une etable
Que tout ce que le monde a de plus agreable,
Et de plus précieux.

DAMON.

Cet Enfant quitte son Pere
Pour venir vivre avec nous
Après un bienfait si doux
Ne songeons plus qu’a luy plaire.
Qu’en tous lieux on le revere
Malgré le démon jaloux.

ALCANDRE.

Les lis, les oeillets, & les roses
Sur son teint écloses,
Plaisent mieux à nos coeurs contens
Que les fleurs du printemps.

DAPHNIS.

Bergers, au milieu de la joye
Que le Ciel nous envoye,
Parmy tant de bonheur, parmy tant de plaisirs
Mon coeur pour cet Enfant pousse mille soupirs.

DAMON.

Triste Daphnis, que pretens-tu nous dire ?
Lors qu’il n’est point de coeur
Qui ne respire
La Paix du divin Redempteur,
Lors que partout il inspire
L’amour & le plaisir, la joye & la douceur.
Verra-t-on parmi nous un Berger qui soupire,
Accablé sous le poids d’une vive douleur ?

DAPHNIS.

Ce Dieu naissant, cet objet de ma flame
M’attriste en mesme temps qu’il réjoüit mon ame.
J’ay mon coeur partagé de divers mouvemens.
Si ce divin Enfant me charme,
Je sens que tout mon coeur déjà pour luy s’alarme.
Ah, ne condamnez pas mes justes sentimens !
Bergers, parmy l’éclat de ces roses divines
Dont son teint est orné,
Helas ! je voy les cruelles épine
Dont un jour ce Sauveur doit estre couronné.

DAMON.

Daphnis, mal à propos ta pitié s’interesse.
Nostre pitié pour luy
N’est pas ce qu’il veut aujourd’huy,
Il nous veut tous remplis d’une sainte allegresse ;
Mais lors que nous verrons ce puissant Roy des Rois
Expirer pour nous sur la Croix,
Heureux, heureux qui mourra de tristesse !

LE CHOEUR.

Qu’à l’adorer, chacun s’empresse,
Dieu qui nous marque son amour,
N’attend de nous en ce beau jour
Que cris, que chants, que concerts d’allegresse.
Chantons, chantons sans cesse,
Chantons avec ardeur,
Chantons tous sa grandeur,
Chantons tous sa victoire,
Celebrons, respectons, adorons tous sa gloire.

A Mademoiselle des Houlières §

Mercure galant, janvier 1697 [tome 1], p. 74-88.

Je vous ay envoyé depuis quelques mois une Epistre de Mademoiselle des Houlieres à Iris, dans laquelle elle luy fait voir à combien de chagrins elle s’expose, si elle souffre que l’amour touche son cœur. Cette Epistre a receu par tout les applaudissemens qu’elle meritoit, mais elle n’a pas détruit l’erreur où sont la pluspart de ceux qui aiment, que la vie est insipide lors qu’on la passe sans attachement. C’est ce que vous allez voir en lisant les Vers qui suivent.

A MADEMOISELLE
DES HOULIERES.

Ouy, quand on aime bien on soupire sans cesse.
Heureux l’Indifferent dont le paisible cœur
N’a jamais reconnu l’amour pour son vainqueur :
Rien n’est plus dangereux qu’une forte tendresse.
***
Peut-on aimer parfaitement
Sans éprouver mille allarmes,
Qui font trop acheter les charmes
Du plaisir d’un leger moment ?
***
Par vos conseils, belle Amarante,
 Empeschez Iris d’aimer.
 Amour pour la mieux enflamer
Luy peint de son Berger une image touchante,
Mais qu’elle évite bien de s’en laisser charmer.
 Plus l’objet qui nous a sçu plaire
 Est digne de nous engager,
Et moins nous luy pouvons marquer nostre colere,
 Quand il ose nous outrager.
On soupire, on gémit, sans pouvoir se vanger.
  Rarement une Bergere
  Quitte un aimable Berger.
***
Si la sensible Iris ne veut pas vous en croire,
Que du moins elle en croye un Amant malheureux ;
 Et que pour la convaincre mieux,
Elle apprenne aujourd’huy l’histoire
De mon malheur & de mes feux.
***
 Sur le sabloneux rivage
 Du vaste empire des eaux,
 Où mille petits ruisseaux
Viennent rendre à Thetis un gazoüillant hommage,
 Je chantois la nuit & le jour
Qu’on ne peut vivre heureux quand on est sans amour.
***
 Charmé d’une aimable Belle
 Je pensois en estre écouté,
Et plein d’un doux espoir mon coeur tendre & fidelle
Ne trouvoit rien d’égal à sa felicité.
***
 De cette flatteuse idée
 Enfin j’ay reconnu l’erreur,
Et d’un juste dépit mon ame possedée,
 Voit que l’Amour est un trompeur.
***
Helas ! qu’il est bien doux d’estre aimé quand on aime !
 Qu’un cœur s’applaudit en luy-mesme,
Quand il voit partager sa joye & ses soupirs !
Non, encore une fois, il n’est point de plaisirs
 Qui vaillent le plaisir extrême
 De trouver dans l’objet qu’on aime,
 Mesmes vœux, & mesmes desirs.
***
 Content, dans une paix profonde,
Remply de mon bonheur, errant en liberté,
 Sans songer au reste du monde,
Sur le sable mouvant d’un rivage écarté,
Souvent je confiois aux Déesses de l’onde
Les douceurs du faux bien dont j’étois enchanté.
***
Je ne veux plus aimer, déja je m’abandonne
Au soin de me vanger d’un trop cruel mépris.
 De ce dessein mon cœur s’étonne.
Qu’il gémisse, s’il veut ; peut-estre mieux qu’Iris,
 Je suivray les sages avis
 Que vostre Muse luy donne.
***
 Mais quoy ? de tendres mouvemens,
Condamnent les transports du dépit qui m’inspire.
 Helas, je pleure, je soupire,
 Je n’ay plus de fiers sentimens.
 Je sens que ma colere expire.
Amour, il est bien vray qu’il n’est rien de si doux
 Que de vivre sous ton empire.
 Un tendre Amant tout percé de tes coups,
Adore ta rigueur & chérit ton martyre.
 Amour, par quels enchantemens
 Sçais-tu faire aimer les tourmens ?
***
Les maux d’un tendre cœur sont une image vaine,
On ne doit point nommer un Amant malheureux.
Amour, de tous les cœurs qui vivent dans ta chaîne
 On n’en voit point former des vœux
 Pour voir mettre fin à leur peine ;
Tous se plaignent à tort, & pour les en punir,
Tu n’aurois qu’à permettre à leurs maux de finir.
***
En vain, pour empescher Iris d’estre sensible,
 Vous luy faites des coups du sort
 Un tableau funeste & terrible.
 Si quelquefois on voit la mort
 Aux voeux d’une Amante inflexible,
  Une telle reflexion
Doit-elle éteindre en nous la douce passion
 Que cause un objet adorable ?
  C’est vouloir estre miserable,
Dans d’éternels chagrins, c’est vouloir s’engager.
 Ces craintes sont des craintes vaines
Et l’heure de la Mort & l’heure du Berger,
 Sont des heures bien incertaines.
Mais autant qu’un Amant ne doit rien negliger
 Pour trouver l’heure favorable
 Où l’Amour peut le soulager,
Autant ne doit-on point pour mieux se dégager
 De ce qu’on trouve trop aimable
 Dans l’avenir impenetrable,
 Chercher ce qui peut affliger.
***
A se tromper soy-mesme on est ingenieux.
 C’est en vain, aimable Amarante,
Que vous voulez qu’on ait toûjours l’heure presente,
Où l’on perd pour jamais ce qu’on aime le mieux.
Tout l’Univers bien tost seroit un hermitage,
 Les richesses & les honneurs
 Resteroient sans adorateurs,
 Et de la fortune volage
 On mépriseroit les grandeurs.
L’homme content des fruits que donne la nature
 Vivroit content sans aimer rien.
 Séduit par l’éclat du faux bien,
On ne le verroit plus traistre, menteur, parjure,
 Suivre l’envie & l’imposture.
N’ayant point d’autre loy que la simple équité,
On le verroit sans trouble achever sa carriere,
On le verroit attendre avec tranquillité
 Le moment de l’heure derniere.
***
L’homme, encore une fois, se plaist à s’abuser,
 Et l’on a beau moraliser,
Aprés mille faux biens il aspire sans cesse.
Moy-mesme qui condamne en Caton sa foiblesse,
Helas ! je recommence à faire mille voeux,
Et trop préoccupé d’une vive tendresse,
Je prévois tous les maux d’un destin rigoureux,
Je les prévois en vain, suis-je moins amoureux ?
***
Puis qu’il faut estre foible, & qu’en vain on raisonne
 Sur ce qui sçait trop nous flatter,
 Suivons, suivons sans résister
 Ce qu’un doux panchant nous ordonne.
Si l’Amour quelquefois tyrannise nos coeurs,
 De mille appas il assaisonne
 La cruauté de ses rigueurs.
***
Quoy qu’on dise, jamais la triste indifference
Pour un coeur genereux n’eut de touchans attraits.
Le trouble de l’amour est plus doux que sa paix ;
 Non ce n’est point pour l’indolence,
 Que les coeurs genereux sont faits.
***
Ne condamnez donc plus les maux que l’amour cause,
Les maux les plus pressans sont également doux.
 Sans examiner autre chose,
 Jeune Amarante, engagez-vous.
Vous avez l’esprit grand, le coeur droit & sincere,
Tel qu’il doit estre enfin pour bien aimer ;
 Tel l’avoit vostre illustre Mere,
Tel est celuy d’Iris, il s’est laissé charmer.
 De l’Amour seul on doit attendre
 Tout l’agrément des plus beaux jours.
 Amarante, sans les amours
Quels plaisirs goûte un coeur formé pour estre tendre ?
 Ah, si c’est une loy pour nous
Que d’aimer tost ou tard, pourquoy nous en deffendre ?
 Plus on differe de se rendre,
Plus on perd de momens agreables & doux.

Plainte du perroquet. A Mademoiselle de L... §

Mercure galant, janvier 1697 [tome 1], p. 109-112.

Je croy que vous ne dédaignerez pas d’entendre les plaintes qui suivent.

PLAINTE
DU PERROQUET.
A Mademoiselle de L…

Non, Clarice, l’on n’est point
Toujours heureux de tout point.
Natif des lieux où l’Aurore
Brille sur la rive Maure,
Perroquet prédestiné,
Pour vous je fus amené,
Beau, bien fait, d’un verd plumage,
D’un agreable caquet,
Le plus mignon Perroquet
Que l’on mit jamais en cage.
Je bornois tout mon bonheur
A regner sur vostre cœur.
 En vostre seule personne,
 Douce, complaisante, bonne,
J’avois trouvé de quoy fixer les vœux
 Du Perroquet le plus heureux.
 Sur vostre vertu severe
J’avois fondé l’espoir de mon sort le plus doux.
Jamais dans nos amours, de crainte ou de colere,
Maistre de vostre cœur, encor plus seur de vous,
 J’estois amant, & n’estois point jaloux.
Nul d’un air caressant avec même tendresse,
Nul, comme moy, d’un ton languissant & flateur,
 Ne vous nomma mon petit cœur.
 A toute autre flame insensible,
 Sourde à cent frivoles discours,
Vous n’écoutiez que moy, vous m’écoutiez toujours.
A moy seul vous prétiez une oreille paisible,
 Quand je parlois de nos amours.
 Mais, helas ! quel affreux présage
Vient de troubler mon cœur & confondre mes sens ?
 Les Oiseaux toujours en partage
 Eurent l’art des pressentimens.
Je crains je ne sçay quoy que je n’ose vous dire,
Que malgré ma tendresse & malgré vostre foy,
Un plus juste devoir ne vous dérobe à moy.
 Peut-estre, helas ! vous n’en faites que rire.
  Mais moy taciturne & confus,
Je mourray de dépit, ou ne jaseray plus.

Cupidon courrier, à Monseigneur le duc de Bourgogne §

Mercure galant, janvier 1697 [tome 1], p. 135-141.

 

Le titre de la Piece qui suit vous fera croire d’abord que vous l’avez veuë, parce que je vous en ay déja envoyé une autre sous ce même titre ; mais celle-cy est entierement differente, & vous doit paroistre toute nouvelle, quoy que Madame la Princesse de Savoye soit en France. Ce sont des Vers qui ont esté faits avant qu’elle y arrivast.

CUPIDON COURRIER,
A MONSEIGNEUR LE DUC
DE BOURGOGNE.

Prince, c’est Cupidon.
 A ce nom,
  Point d’alarmes,
 Ne craignez rien, je suis sans armes.
 Adelaïs pour vaincre Mars,
 M’a pris mon carquois & mes dards.
 Elle vient donc accompagnée
 De la Paix & de l’Hymenée,
 Et tout le Peuple Savoyard,
 Avec des chants d’allegresse
 Suit à l’envi sa Princesse,
 Et s’empresse autour de son Char.
 Dés qu’au sortir de ses montagnes
D’un plus heureux climat elle voit les campagnes,
De tendres soins s’emparent de son cœur.
 Amour, Amour, où sont tes ailes ?
 Vole, vole vers mon Vainqueur,
 Va luy dire de mes nouvelles.
Tu le reconnoîtras à sa noble fierté,
Du Pere & de l’Ayeul il a la majesté ;
 Amour, mon Vainqueur leur ressemble.
  Ce n’est pas le Pere seul
  Ce n’est pas aussi l’Ayeul,
 C’est l’un & l’autre tout ensemble,
 Vole donc. Soit que dans les bois
 Il reduise un cerf aux abois ;
Soit qu’avec art il dompte un
  Coursier dans la plaine ;
Soit qu’au milieu des fleurs ce
  Heros se promene,
  Et qu’au doux bruit des eaux
  Il s’entretienne
 Avec deux plus jeunes Heros,
Avance toy di-luy cent choses de ma peine,
Et redis-m’en sur tout encor plus de la sienne.
 S’il veut sçavoir ce que je fais,
Tu pourras sur ce point, Amour, le satisfaire,
 Tu n’ignores pas mes secrets,
 Raconte tout à ta maniere.
Dis-luy que chaque instant est un siecle pour moy,
Que je voudrois voler aussi vite que toy.
 Dis que je m’impatiente
 Dans une si longue attente
Que pourtant son Portrait soulage mon ennuy,
 Que j’ay toujours les yeux sur luy,
 Que je luy parle, que je l’aime.
 Le mien l’occupe-t-il de même ?
Prince, d’Adelaïs voila les sentimens.
Si Cupidon osoit ajoûter ce qu’il pense…
Telles estoient Diane & Pallas à dix ans,
Telle Junon dans son auguste enfance.
 Mais vous-même vous la verrez,
 Et je suis seur que vous direz,
Ma Princesse est encor mille fois plus parfaite
 Que Cupidon ne me l’a faite.

Eloge de Cupidon. Courrier §

Mercure galant, janvier 1697 [tome 1], p. 141-142.

Le Madrigal que vous allez lire est de l’illustre Mademoiselle de Scudery.

ELOGE DE CUPIDON
Courrier.

Cupidon Courrier est joli,
Il est agreable & poli,
Et quand il viendroit de Cythere,
Il n’entendroit pas mieux un amoureux mistere ;
 Mais ce qui me paroist tres-beau,
 C’est que cet Amour sans bandeau,
 Sans arc, sans fléches, sans flambeau,
 Qui parle si bien de tendresse,
 N’abandonne pas la sagesse.
 Il n’est ny malin, ny fripon
 Comme celuy d’Anacreon.

A Madame la Princesse de Savoye §

Mercure galant, janvier 1697 [tome 1], p. 142-147.

Voicy d’autres Vers, qui ont esté faits dans le temps du départ de cette même Princesse.

A MADAME LA PRINCESSE
DE SAVOYE.

Au moment que les eaux commençoient à décroistre,
Que l’air devint plus pur & que l’on vit paroistre
Les arbres de verdure & de feüilles ornez,
Dans les champs que les flots avoient abandonnez,
Dans cet heureux moment la Colombe inspirée
Prit un rameau d’olive, & d’une aile assurée,
Au reste des humains que l’Arche contenoit,
Vint annoncer la Paix que le ciel leur donnoit
Par un sort plus heureux, Princesse incomparable,
Comme un Ange du ciel à nos vœux favorable,
Vous portez avec vous les douceurs de la Paix,
Et reparez les maux que la Discorde a faits.
Le nœud sacré qui doit unir vostre Personne
A l’auguste Heritier d’une illustre Couronne,
Faisant cesser le trouble entre deux Potentats,
Retiendra pour jamais la Paix dans leurs Etats.
Le ciel touché des maux qui desoloient la terre,
Vouloit la délivrer d’une trop longue guerre,
Mais pour nous garantir de ses funestes coups,
Le Ciel dans son projet avoit besoin de vous.
De Princes & de Rois une Princesse issuë,
De rares qualitez heureusement pourvûë,
D’un esprit éclairé, d’une extrême douceur,
D’un discernement fin, d’un sens droit, d’un grand cœur,
Fidelle à ses devoirs meritoit l’alliance
Qui luy fera donner des Maistres à la France.
Sur un objet si beau le Ciel jettoit les yeux,
Pour former de la Paix le lien précieux.
Déja toute l’Europe attentive à la joye
Qui remplit aujourd’huy la France & la Savoye,
Au bruit de nos concerts commence à respirer ;
La Paix que vous donnez fait par tout esperer
Qu’on la verra bien tost d’oliviers couronnée,
Triompher en tous lieux de Bellone enchaînée,
Et malgré le desordre & la rebellion
Faire fleurir les Loix & la Religion.
Allez, grande Princesse, achevez vostre ouvrage.
Faites regner la paix du Rhin jusques au Tage,
Et que le monde entier vous doive le repos ;
Dont la perte a couté tant d’illustres Heros.

Au Roy §

Mercure galant, janvier 1697 [tome 1], p. 147-148.

J’ajoûte un Madrigal, fait sur la Paix de Savoye. Il est de Mr l’Abbé Jaquelot.

AU ROY.

Heros, qui ne vois rien d’illustre comme toy,
Qu’en la Paix que tu viens de faire
Brille un auguste caractere,
Et que j’y connois bien la grandeur de mon Roy !
De Dieu tu t’y fais voir le parfait exemplaire.
Souvent de la même maniere
Par les foibles Mortels quand il est irrité,
Sous les éclats de sa colere,
Sont les effets de sa bonté.

[Histoire] §

Mercure galant, janvier 1697 [tome 1], p. 149-193.

L’amour est bizarre dans les pieges differens qu’il tend à nos cœurs, & il est mal-aisé de n’y pas succomber, sur tout quand on est dans le bel âge où tout nous porte à aimer. C’est ce que vous allez connoistre par l’avanture qui suit. On m’assure qu’elle est vraye dans toutes ses circonstances, & je la laisse dans les mêmes termes que je l’ay receuë. Un jeune Cavalier, bien fait, plein d’esprit, & ayant tout ce qu’il faut pour plaire, vivoit dans une entiere indifference pour le beau Sexe, & sans vouloir se servir des talens que la nature luy avoit liberalement prodiguez. Les agreables intrigues ne le touchoient point. La Chasse faisoit son unique passion, & sembloit suffire pour remplir tous les desirs de son cœur. L’amour ennuyé de voir toujours inutile un homme d’une si jolie tournûre, chercha non seulement à luy faire éprouver le pouvoir de ses charmes, mais il voulut, pour rendre son triomphe encore plus beau, que la personne qui l’assujetit, eust autant d’aversion que luy pour toutes sortes de tendres engagemens, afin qu’en soumettant l’un & l’autre à son empire, leurs cœurs changeant, pour ainsi dire, de nature, ils ne pussent jamais se rien reprocher dans la suite sur leur premiere indifference, qui alloit un peu trop loin. La Ville où ce Cavalier faisoit son ordinaire séjour estant tres grande, & remplie de personnes de qualité, le Gouverneur, qui estoit un homme galant, & fort curieux de donner de petites festes aux Dames, ne manquoit aucune occasion de faire éclater sa magnificence, tant par les grands repas qu’il donnoit souvent, que par mille autres divertissemens qui se succedoient les uns aux autres. Un soir ayant invité toutes les Dames de se trouver aprés souper à un Bal assez considerable, afin de rendre la chose plus agreable, & de donner lieu en même temps aux Cavaliers de conter indifferemment leurs raisons par tout, sans estre connus de leurs Maistresses, il pria qu’aucun homme n’entrast dans l’assemblée sans un masque, & fit entendre qu’on l’obligeroit de ne l’ôter point, ce qu’il executa le premier fort exactement. Les Dames au contraire, comme estant toujours bonnes à voir, n’y estoient receuës qu’à visage découvert, & sans aucun déguisement. Le Cavalier ayant esté entraîné par une troupe de ses Amis qui le forcerent de se masquer, & de venir avec eux passer une heure à cette feste generale, l’amour profita de ce moment pour luy mettre dans le cœur une passion violente, dans le temps qu’il s’en croyoit le plus éloigné. Ses yeux s’attachant d’abord à considerer plutost les habillemens superbes des Dames, qu’à étudier leurs traits, il y en eut une particulierement qui luy parut si magnifique en pierreries & en ajustemens, qu’il y fixa ses regards assez long-temps, & chercha même à s’en approcher pour voir de plus prés le joly tour qu’elle avoit donné à sa parure. Cette Dame, quoy qu’inconnuë à toute l’assemblée, ne laissoit pas d’avoir plus d’adorateurs qu’aucune autre. La curiosité enfin le porta à luy dire quelque chose de galant, mais dans le seul dessein de voir de quel air elle sçauroit y répondre. Comme il avoit infiniment de l’esprit, la vivacité qu’il remarqua dans les réponses de cette spirituelle Personne l’ayant engagé peu à peu à lier une vraye conversation avec elle, il se trouva bien-tost enchanté par les oreilles, & ses yeux ne tardérent guére gouter ensuite le même plaisir. Ainsi il fut obligé de tomber d’accord avec luy-même, que s’il n’avoit rien vû de plus charmant que cette Belle inconnuë, il n’avoit aussi jamais ressenti si peu d’indifference pour une femme, qu’il en ressentoit pour celle-là. Certaine joye secrette qu’il avoit à voir cette jeune personne, certains petits empressemens ignorez de luy jusques alors, son émotion, enfin son trouble soudain, tout luy annonça qu’un moment d’attaque suffit quelquefois pour vaincre le cœur le plus rebelle à l’amour. Dés cet instant loin de se faire un crime d’aimer, s’en faisant même un devoir, il seroit mal-aisé de repeter toutes les galanteries que sa passion naissante luy inspiroit continuellement, quoy qu’il n’eust jamais eu qu’un tres-leger commerce avec les Dames. On peut dire cependant qu’on ne peut tourner les choses plus agreablement, ny expliquer plus finement les mouvemens d’un cœur tout à coup charmé, que faisoit ce nouvel Amant. La Belle de son costé qui prenoit plutost ses assurances d’amour pour un jeu d’esprit, que pour une affaire sérieuse, y répondoit avec toute la politesse imaginable, & ne croyoit d’aucune consequence quelques paroles flateuses qu’elle laissoit échaper dans la conversation, & qui ne laissoient pas de mettre un vray comble à la passion du credule Cavalier. Deux raisons empeschoient cette Dame de se faire aucun scrupule de cet air de liberté, l’une qu’elle estoit fort sûre que personne ne la pouvoit connoistre en ce lieu-là ; & l’autre qu’elle parloit à un Masque qu’elle n’aimoit aucunement, & qu’elle croyoit ne devoir revoir de sa vie. Pour cet effet il eut beau redoubler ses prieres pour l’engager à luy apprendre son nom, & le lieu de sa demeure, elle s’obstina à luy cacher l’un & l’autre, & dans la crainte qu’elle eut que l’envie qu’il marquoit de la connoistre, ne l’engageast à la suivre quand elle sortiroit du Bal, elle prit le temps qu’on le vint prendre à danser, pour se tirer sans qu’il en vist rien, & elle le fit si adroitement qu’il ne s’en apperçût point. Quelle fut la surprise du Cavalier, lors qu’aprés avoir dancé, il revint au lieu où il l’avoit laissée, & qu’il ne l’y trouva plus. Il sortit brusquement, & ne negligea rien pour apprendre de ses nouvelles. Mais tous ses soins furent inutiles. Le Carosse de cette aimable inconnuë estoit déja extrêmement éloigné, & quelques-uns de ses gens qu’il avoit dépêchez aprés pour sçavoir du moins de quel costé il pouvoit estre tourné, luy rapportérent qu’il estoit sorti de la Ville, & alloit à toute bride du costé de la campagne. Quoy que cette nouvelle fût pour luy un coup de foudre, loin de se consumer en regrets inutiles, il ne perdit aucun temps pour satisfaire à ce qu’il crut devoir à son amour, & aprés avoir parcouru toute la Ville pour découvrir en quel lieu la Carosse de sa Dame s’estoit arresté en arrivant, il prit luy-mesme des chevaux de Poste, & courut pendant quelques jours en Chevalier errant, s’informant par tout de la charmante personne qui luy causoit tant d’inquietude, sans pouvoir la désigner autrement que par une tres-belle Dame sortie de la Ville dans un carrosse à six chevaux : mais soit que l’obscurité de la nuit luy eust donné lieu de s’éloigner beaucoup sans estre vûë de personne, ou que la bizarrerie de sa destinée l’ordonnast ainsi pour le punir de ses airs d’indifference qu’il avoit gardez un peu trop long-temps, il revint de sa course aussi mal instruit qu’il estoit parti, mais bien plus piqué qu’auparavant, & ne pouvant, quoiqu’il deust souffrir, se repentir d’avoir donné son cœur à la personne du monde la plus accomplie selon ses yeux, & selon ceux de tous ses amis qui l’avoient vûë au bal, & qui ne trouvoient de fâcheux dans son choix que l’impossibilité apparente de voir jamais ses desirs contens. Des commencemens si cruels, loin d’affoiblir son amour, ne firent qu’y donner un nouvel aiguillon. Quelque mal fondée que sa constance parust il s’en fit une austere loy, & rien ne put jamais le détromper de l’esperance flateuse dans laquelle il s’entretenoit de voir à la fin sa passion suivie d’un heureux succez. Ses grands biens, sa naissance, sa figure, son esprit, tout enfin parloit en sa faveur ; mais le moyen de faire valoir aucune de ces qualitez auprés d’une personne qu’on ne connoist point, & qu’on ne sçait où pouvoir trouver ? Ces raisons qui le devoient rebuter ne l’effrayoient point. Parmi les plus grands troubles dont il estoit agité, certains pressentimens secrets du bonheur qu’il esperoit, servoient à le rasseurer. On avoit beau le railler sur sa folle fidelité, il estoit inébranlable dans ses amoureuses resolutions, & rien ne pouvoir les faire changer. Deux mois aprés son avanture du bal, comme on parla de donner la chasse à un loup qui faisoit des dégasts considerables, quoique ce fût à vingt lieuës de la ville où il demeuroit, il ne manqua pas à estre des premiers à s’embarquer dans cette partie. Le jour fixé, il se trouva ponctuellement au rendez-vous, & son ardeur estant des plus empressées, à peine fut-il entré dans la forest, qu’il poussa son cheval si vivement que pas un ne le put suivre. A la fin, comme il ne connoissoit aucunement les routes, la crainte de s’égarer l’ayant empêché d’avancer plus loin, en attendant les autres Chasseurs, il mit pied à terre, cherchant ensuite des yeux quelque petite fontaine pour tâcher d’étancher la soif que luy causoient l’excessive chaleur du jour, & la violence de son exercice. Il vit, à force de tourner, un endroit qui luy parut moins sombre que les autres, & crut mesme entendre un bruit sourd assez semblable à celuy que cause ordinairement l’écoulement des eaux d’un Fleuve. Il ne se trompoit point, & il n’eut pas sitost avancé la longueur de deux portées de mousquet, qu’il reconnut que ce lieu estoit une des extremitez de la Forest, au bord de laquelle couloit une petite Riviere, mais des plus claires, & telle qu’il la pouvoit souhaiter. Il ne faut pas demander si cet aspect le réjoüit, & s’il profita avec empressement d’une si heureuse découverte. La solitude, & le doux murmure des eaux luy faisant insensiblement naistre l’envie de rêver, il attacha son cheval à un hêtre, & s’assit dans le dessein de bien promener son imagination ; mais le sommeil le surprit presque aussitost, & le renversa peu à peu sur un lit de gazon que la nature sembloit luy avoit preparé exprés en ce lieu là. Une Marquise dont la demeure ordinaire estoit un magnifique Chasteau, situé environ à deux cens pas de l’endroit où ce Cavalier dormoit si tranquillement, s’étant trouvée ce jour là sans compagnie étrangere, ce qui estoit tres-rare chez elle, voulut joüir de la promenade, & vint sur le bord de cette petite Riviere dans l’esperance d’y trouver un air plus frais que dans son Chasteau. Elle prit pour cet effet une simple Demoiselle Suivante avec elle, & le hazard luy fit choisir entre plusieurs autres une allée qui luy procura bientost l’aimable vûë du beau Dormeur. Cette Marquise estoit veuve depuis trois ans, sans toutefois que son cœur se fust apperçû de la perte de son Epoux, que par des sentimens de joye assez bien fondez. Elle se trouvoit par ce moyen une tres-riche doüairiere, & débarassée d’un vieux Septuagenaire qui la voyant tres belle & dans la fleur de ses ans, mettoit tous ses soins à la retenir dans son Chasteau, ou la suivoit pas à pas toutes les fois qu’elle ne pouvoit se dispenser de sortir, sa jalousie luy faisant croire que parmi les glaçons de la vieillesse, un homme d’une figure aussi peu ragoutante que la sienne devoit craindre de tomber dans les malheurs qui sont presque inévitables à tous les vieux maris, qui ont de jolies femmes. La Dame n’ayant encore gousté que tres-foiblement les douceurs du mariage, & en ayant au contraire connu les dés-agrémens dans toute leur étenduë, quelque parti qu’on luy proposât, elle faisoit la sourde oreille. Les plus doux engagemens n’avoient rien qui ne luy fist peur. L’indépendance dont le veuvage la faisoit joüir la flatoit par-dessus toutes choses. Cependant, à l’aspect du Cavalier, dormant dans un lieu où il estoit si extra-ordinaire de voir quelqu’un, elle fremit tout d’un coup. Elle voulut mesme s’en retourner au plus-viste, lorsque sa Suivante qui n’étoit pas naturellement timide l’obligea de s’arrester, en luy disant qu’une femme de sa qualité, au milieu de ses Terres, & à la porte de son Chasteau, n’avoit nul sujet d’apprehender qu’on luy fist insulte. D’ailleurs, ajoûta cette Suivante, que craindre d’un Cavalier que l’équipage de son cheval qui est assez magnifique, vous fait connoistre pour n’être pas un homme de rien ? Apparemment il s’est égaré en vous venant rendre visite. Nous en pouvons approcher sans crainte ; il n’a pas l’air de vouloir du mal aux Dames. Non-seulement ces paroles rasseurerent la jeune Marquise, mais il sembla qu’un secret penchant l’entraisnant malgré elle, ses pas redoublerent pour voir plus promptement qui pouvoit estre celuy qui dormoit. Son visage parut également inconnu à toutes les deux, mais la Marquise s’attacha bien plus que sa Suivante à en considerer tous les traits. Plus elle en approchoit, & plus ses yeux avoient peine à s’en détacher ; le moment fatal estoit proche, auquel son cœur devoit enfin ceder à l’amour. Un air noble, une physionomie heureuse, une grande douceur apparente, tout ce qu’elle voyoit, en un mot, la prévenant en faveur du Cavalier, elle avoüa bien-tost en elle-même que jamais un homme si accompli ne s’estoit offert à sa veuë. Elle commença dés ce moment à sentir un trouble qui luy estoit inconnu. Certains soupirs qui luy échaperent, la firent appercevoir de la sensibilité de son cœur. Bien loin de s’en repentir, elle s’y abandonna, & ne put même s’empêcher de dire à sa Suivante, que si son vieux Jaloux avoit eu un seul des traits de cet agreable Inconnu, sa perte ne luy auroit pas couté si peu de larmes. L’adroite Fille, à qui elle fit cette confidence, ne combattit point ces doux sentimens. Elle applaudit même à son bon goust, loüa sa delicatesse, & éleva infiniment la phisionomie brillante, la bonne mine, le caractere de grandeur, sa taille avantageuse, & generalement enfin toute la personne du Cavalier. Il n’étoit pas besoin d’aide pour achever de charmer l’aimable Veuve. Loin d’en demeurer aux simples termes de l’estime, elle avoit déja conceu une passion violente, & se disoit secretement dans l’ame, que si un Gentilhomme d’une pareille figure s’attachoit à sa conqueste, son aversion pour un second mariage seroit bien-tost dissipée. Aprés qu’elle eut à longs traits avalé le doux poison qu’elle prenoit par les yeux, comme elle estoit du nombre de ces genies rares, fins, infiniment polis, & d’une vivacité enchantée, l’impatience de décider si l’esprit du Heros qu’elle se proposoit, répondoit aux perfections de son corps, luy fit prendre le party de retourner promptement chez elle, afin d’envoyer un Valet de chambre pour éveiller le bel Inconnu, & pour l’engager à luy rendre une visite ; mais à peine eut-elle le dos tourné pour reprendre la route de son Chasteau, que la Cavalier s’éveilla en sursaut, occupé d’un songe qui luy avoit representé une Dame armée, laquelle vouloit luy percer le cœur avec un dard. Il rit de la peur que luy avoient pû causer les armes d’une femme, & remonta à cheval, aprés qu’un bruit confus de chiens & de cors de chasse luy eut indiqué la route des autres Chasseurs, sans que la tendre Marquise se fust apperçûe du moindre mouvement, à cause des détours du chemin qui le déroboient entierement à sa vûë. Quel chagrin, & quelle cruelle émotion ne ressentit-elle point, au rapport que luy fit son Valet de Chambre, du peu de succés qu’avoient eu ses soins empressez à chercher le Cavalier. Elle se reprocha mille fois l’imprudence qu’elle avoit euë de s’éloigner d’un objet qui luy déplaisoit si peu. Elle s’en voulut un mal infini, & dés ce moment, comme si les plaisirs luy fussent devenus odieux, elle se retira dans sa chambre, resoluë de fuir toute sorte de commerce, & de ne s’occuper que du souvenir du beau Dormeur. Tant d’amour peut il naistre en si peu de temps, dans le cœur de deux personnes également indifferentes, & y faire des ravages si terribles ! Quelque soin que prist la Suivante de distraire sa Maistresse, de ses mornes rêveries, l’amoureux fantôme la touchoit trop pour l’oublier un moment. Les jours & les nuits n’avoient guere de difference pour elle, puis qu’elle ne pouvoit jamais attraper une heure de veritable repos. Si elle ouvroit la bouche, ses discours rouloient toûjours sur l’obligation qu’elle auroit au ciel, s’il luy vouloit donner un époux aussi parfait que le Cavalier, quand mesme il seroit sans aucun bien. Elle se plaignoit aussi sans cesse de l’injustice du sort qui la traitoit si rigoureusement que de l’exposer à mille troubles inoüis, sans luy faire au moins connoistre le nom de celuy qui avoit allumé dans son ame des feux, que l’absence ny le temps ne pourroient jamais éteindre. Si elle ressentoit vivement les traits de cette passion, le Cavalier n’estoit guere moins à plaindre de son costé, dans l’entestement qu’il avoit d’aimer jusqu’à la mort, la Dame qui l’avoit touché le soir du Bal. Quoy que ses amis fissent pour le guérir, il n’écoutoit que son amour, & fermoit l’oreille à tout ce qu’on luy pouvoit dire sur ce sujet. Certaine Diseuse de bonne avanture luy ayant dit un jour par hazard, qu’il n’aimeroit jamais qu’une fois, & qu’il seroit également aimé, il ajoûta tant de foy à ce pronostic, qu’il aimoit mieux s’exposer à souffrir toujours par sa constance, que de chercher son bonheur avec une autre que sa chere Inconnuë. Il n’eut pas plutost rejoint les Chasseurs qu’il eut l’avantage de se trouver à la mort du Loup, à laquelle il ne contribua pas peu, par un coup de pistolet qu’il luy donna dans l’épaule droite. La Chasse ainsi agréablement finie, comme l’exercice avoit fait naistre beaucoup d’appetit à toute la Troupe, un Gentilhomme qui estoit de la partie, offrit sa maison, qui joignoit la Forest, pour s’y venir reposer. Le party fut accepté, & la chere delicieuse que l’on y trouva, fit oublier promptement toutes les fatigues de cette journée. Pendant le repas le Cavalier se distingua si fort au dessus des autres, par ses manieres engageantes & par tout le brillant de son esprit, que s’estant déja fait un solide merite auprés du Gentilhomme, qui avoit assez de penetration & de bon sens, pour luy rendre la justice qui luy estoit dûë ; lors qu’il fut question de prendre congé de luy, il fut prié si instamment de rester encore quelque temps, pour profiter de la belle saison, dans le pays du monde le meilleur, pour toutes sortes de chasses, qu’aprés beaucoup d’honnestetez reciproques, il y consentit. Quinze jours aprés, la Femme du Gentilhomme estant accouchée d’une Fille, le Pere crut ne pouvoir mieux marquer l’estime qu’il avoit pour le Cavalier qui estoit encore chez luy, qu’en le priant de luy vouloir bien donner le nom, avec une Dame de ses voisines, son intime Amie, qu’il ne seroit point fâché de connoistre. Le Cavalier ayant accepté la chose, crut devoir un compliment à cette Dame, avant que l’on fist la ceremonie. Il se fit conduire chez elle à l’insceu même du Gentilhomme, chez lequel il demeuroit. Mais quelle plaisante surprise pour luy, lors qu’en entrant dans son appartement, il la reconnut pour cette divine personne qui l’avoit charmé le soir du Bal, & qui l’occupoit uniquement depuis ce jour fatal à sa liberté. L’excés de son bonheur luy ayant d’abord osté la parole, il se jetta brusquement à ses pieds sans luy rien dire, embrassa ses genoux, prit une de ses mains avec toute la tendresse imaginable, & fit enfin tout ce qu’un homme qui retrouve ce qu’il aime dans le moment qu’il le croit le moins, peut imaginer pour exprimer l’excés de sa joye. A peine fut il un peu revenu de son premier étonnement, qu’il entra dans les discours du monde les plus tendres & les plus passionnez. Mille doux transports accompagnoient ses paroles ; ses yeux en disoient encore mille fois plus que sa bouche, & enfin il mettoit tout en usage pour persuader la jeune Dame de la sincerité de son amour ; luy racontant tout ce que la fidelité qu’il luy avoit gardée jusque-là, luy avoit fait entreprendre, & luy en jurant une pareille jusqu’au dernier soupir de sa vie. Mais s’il comptoit cette rencontre pour la plus fortunée de ses jours, la Dame de son costé estoit si pleinement satisfaite de ce qu’elle voyoit, que son unique crainte estoit que ses yeux ne la trompassent. Cette aimable personne estoit la même qui avoit vû ce Cavalier le jour de la Chasse au Loup, dormant au bord d’une riviere. Elle estoit cette même Dame qui l’avoit dés lors reconnu pour son vainqueur, & qui, comme nous venons de dire, ne demandoit au Ciel que l’avantage de rencontrer un pareil Epoux. Non seulement elle le retrouvoit dans le moment qu’elle avoit perdu presque toute esperance de le revoir, mais elle le retrouvoit penetré d’amour pour elle, & luy offrant cent fois son cœur avec les plus forts sermens de la laisser toujours maistresse de ses volontez. Quelle joye pouvoit égaler la sienne, & que ne devoit pas faire son amour dans une si charmante occasion ? Aussi crut elle hors de saison de dissimuler avec un homme qui luy estoit si peu indifferent. Elle luy conta naturellement tout le passé, & ne luy déguisa rien des fortes préventions qu’elle avoit euës en sa faveur. A ce récit il est aisé de juger quel plaisir il goûtoit, & si les assurances réciproques qu’ils se donnerent mutuellement d’un éternel amour, n’étoient pas prononcées avec tout ce que la passion peut inspirer de plus touchant. Qu’il eust esté réjoüissant de voir ces deux Amans dans ce premier quart d’heure, je veux dire, la Belle laissant agir tous ses charmes, & le Cavalier n’oubliant rien pour plaire parfaitement. Mais les paroles leur semblant bien-tost trop peu de chose pour se convaincre entierement de leur reciproque passion, ils songerent sans perdre de temps, à se former une chaîne qui ne pust se briser que par la fin de leurs jours, & apporterent tant de diligence pour la conclusion de leur mariage, qu’il se fit peu de temps aprés qu’ils eurent donné le nom à la Fille du Gentilhomme.

Sur le Tableau d’Athalie, de Mr Coypel. Vers libres §

Mercure galant, janvier 1697 [tome 1], p. 200-211.

Monsieur le Duc de Chartres ayant fait faire par Mr Coypel le Fils, le Tableau d’Athalie, cet Ouvrage a esté trouvé si beau, que ce Prince a cru le devoir faire voir au Roy. Il le fit porter au commencement de ce mois dans le grand Appartement de Versailles, où Sa Majesté donna à ce Tableau toutes les loüanges qu’il merite. Il receut ensuite de grands applaudissemens de toute la Cour. Je ne vous en diray rien davantage, pour laisser parler mon Voisin, connu par plusieurs Ouvrages, dont le succés a égalé celuy des Ouvrages d’esprit qui ont le plus réussi depuis quarante ans. Les Vers que vous allez lire, ont esté vûs & applaudis du Roy. Vous sçavez les lumieres & l’équité de ce Prince, qui ne se laisse jamais prévenir, & qui juge comme il gouverne par luy-même.

SUR LE TABLEAU
D’ATHALIE,
DE Mr COYPEL.
VERS LIBRES.

Je revenois de voir le Tableau d’Athalie,
Où le fameux Coypel, prompt à se surpasser,
 Fait sentir qu’on peut effacer
La reputation des Pinceaux d’Italie.
 Dans la douce mélancolie
 Que me causoit l’attention,
Le sommeil me saisit ; mon ame recuëillie
Succomba sous le poids de l’admiration.
 En cet estat où les idées
Sur les objets recents sont frequemment guidées,
 J’eus cette étrange vision.
***
Le spectre menaçant d’une hideuse Femme
Qui portoit la fureur peinte en ses yeux hagards.
 Se presentant à mes regards,
Jetta par ce discours la frayeur dans mon ame.
Jusqu’à quand, animez à me mettre en lambeaux,
Vos François viendront-ils dans les ombres obscures,
 Fouiller la poudre des Tombeaux,
Pour en faire sortir mes tristes avantures ?
C’estoit peu, qu’abusant d’un odieux loisir,
Un Auteur immortel embouchast la Trompette,
 Et fist aux Filles de Saint Cyr
 Chanter ma honte & ma défaite ;
 Il falloit encor que Coypel
S’ouvrit à mes dépens le Temple de la Gloire,
 Et par un affront solemnel,
 A la trop fidelle Memoire
 Vinst de mon opprobre éternel
 Consigner la fatale histoire.
Il falloit que du coup dont ma grandeur tomba,
Par son Art imposteur l’horreur fust augmentée,
Et qu’il fist contraster ma laideur inventée
Aux prétendus attraits qu’il preste à Josaba.
Eh ! quoy ? pour exercer la censure publique
Le siecle où vous vivez manque-t-il de sujets ?
Sans déterrer les Morts, la farouche Critique
Dans les mœurs de ce temps n’a-t-elle point d’objets ?
De la soif de regner les maximes hardies
Trouvent-elles chez vous des esprits moins pervers,
 Et la Scene de l’Univers
Fait-elle retentir de moindres Tragedies ?
 C’est l’usage de vos Sçavans ;
Sur ceux qui ne sont plus s’acharne leur furie,
 Au moment que leur flaterie
Erige des Autels pour les crimes vivans.
Va, lâche admirateur des Satyres muettes
 Qu’on exprime avec la couleur,
Annonce à ton Coypel, de ma juste douleur
 Les atteintes secrettes.
Dis-luy, qu’à tout propos prompte à l’inquieter,
Je feray ressentir à son ame agitée
 Ce que peut une Ombre irritée
 Qui s’attache à persecuter.
***
Si-tost qu’elle eut fini cette amere invective,
 Un Demon sortit des Enfers
 Qui reclamoit sa fugitive,
 Et venoit rapporter des fers
 A la malheureuse captive.
L’Ombre fuit, & l’Esprit la poursuit dans les airs.
***
 D’effroy l’ame alors penetrée,
Je me sentois glacer d’une froide sueur,
 Quand d’une soudaine lueur
 Ma demeure fut éclairée.
Au milieu d’un beau jour un Vieillard m’aborda,
Qui tenant d’une main sa barbe venerable,
Et dissipant ma peur par un regard affable,
Rassure-toy, dit-il, & connois Joïada.
D’une Femme en fureur l’impuissante menace
Ne doit point t’allarmer 
Le Demon qui la suit suffit pour reprimer
 Son insolente audace.
De ton illustre Amy l’honneur est appuyé
Sur les fondemens les plus fermes,
Va le voir de ma part sans paroître effrayé,
 Et luy parle en ces termes.
***
 Poursuy, Coypel, tes glorieux travaux,
 Fourny ta brillante carriere,
Ton nom de l’avenir forcera la barriere
 Malgré jaloux, malgré rivaux.
Par tes sages Pinceaux la Vertu consacrée
 Eleve l’ame jusqu’aux Cieux,
 Et son image reverée
 Passe au fond du cœur par les yeux.
La Beauté que tu peins, qui n’a rien de profane,
N’émeut par ses appas aucun trouble suspect.
Ta modeste Rachel, & ta chaste Susanne
Inspirent seulement l’amour & le respect.
Mais quand d’un crime affreux, dont gémit l’innocence,
 Tu veux exprimer les horreurs,
 On voit tomber son insolence
 Sous la force de tes couleurs.
Près de Iacob trompé, que la colere enflame,
Laban, * quoi qu’endurci, soupire de l’affront
 De voir les replis de son ame
Etalez de ta main sur son perfide front.
Les Vieillards obstinez dans leur rage cruelle,
Dont le Ciel confondit le mensonge effronté,
Par tes expressions pleines de verité,
Baissent tout de nouveau leur teste criminelle
Sous le pesant fardeau de leur iniquité.
Coupable des forfaits que l’histoire publie,
L’Ayeule de Joas n’a pas dû t’échaper,
 Et pour peindre Athalie,
Ton Pinceau dans le fiel n’a pû trop se tremper.
Ne te relâche point de ton noble exercice,
 Traite quels sujets tu voudras,
 Moderne ou vieux, malheur au vice,
 Coypel, quand tu l’entreprendras.
En achevant ces mots d’un accent redoutable,
Le Pontife majestueux
S’écoula devant moy comme un songe agreable,
 Ou comme un vent impetueux.

Je ne doute point que vous n’ayez remarqué avec quelle delicatesse l’Auteur de ces Vers a touché quelques endroits qui ne doivent pas estre échapez à ceux qui font reflexion sur les Affaires du temps.

[Prix de l’Academie Françoise] §

Mercure galant, janvier 1697 [tome 1], p. 225-228.

L’Academie Françoise a proposé deux Sujets à ceux qui voudront prétendre aux Prix d’Eloquence & de Poësie, qu’elle distribuëra le 25. Aoust prochain, jour de la Feste de Saint Loüis. Le Sujet pour l’Eloquence est qu’on doit faire du bien aux hommes dans la seule vûë de Dieu, & celuy qui est proposé pour la Poësie, que le Roy par la Paix de Savoye, a rendu la tranquillité à l’Italie, & donné à toute l’Europe l’esperance d’une Paix generale. On y peut ajoûter tel autre sujet de loüange qu’on voudra pour le Roy, avec une courte Priere à la fin pour Sa Majesté, en sorte que l’ouvrage n’excede point le nombre de cent Vers, sans y comprendre la Priere. Il faut que le Discours pour le prix d’Eloquence finisse aussi par une Priere pour le Roy, & qu’il ne soit que d’une demi heure de lecture. Les Pieces, tant Prose que Vers, seront envoyées sans aucun nom d’Auteur, dans le dernier jour du mois de May, chez Mr l’Abbé Regnier Desmarais, Secretaire perpetuel de l’Academie Françoise, ou chez le Sr Coignard, Libraire de la même Academie. Les Auteurs de celles de Prose auront soin que leurs Discours portent l’attestation de deux Docteurs.

[Quatriéme Volume du Parallele des Anciens & des Modernes] §

Mercure galant, janvier 1697 [tome 1], p. 239-244.

 

Mr Perrault, de l’Academie Françoise, a finy son excellent Ouvrage du Parallele des Anciens & des Modernes, par un quatriéme volume que le Sr Coignard Imprimeur & Libraire du Roy, a commencé à debiter depuis quelques jours, mais il n’y a point donné l’examen exact des plus beaux endroits des Poëtes Anciens & des Modernes, qu’il avoit promis de comparer ensemble. Il déclare qu’il avoit à cet effet traduit en Poësie Françoise, ces mêmes endroits pour mieux juger du sens & de la beauté des pensées qu’ils renferment, & qu’il avoit déja jetté sur le papier une grande partie des raisons qu’on peut apporter de part & d’autre, mais que l’amour de la paix luy a fait abandonner cette entreprise, & qu’il a mieux aimé se priver du plaisir de prouver la bonté de sa cause d’une maniere qui luy sembloit invincible, que d’être plus long-temps broüillé avec des hommes d’un aussi grand merite que ceux qu’il avoit pour adversaires, & dont l’amitié ne pouvoit estre achetée trop cher. Il dit là-dessus agreablement dans sa Préface, qu’il avoit crû d’abord qu’en s’opposant un peu aux loüanges sans bornes, dont la prévention est si prodigue pour tous les Auteurs anciens, & en reduisant l’estime qu’on en doit faire à sa juste valeur, ces Auteurs estoient éloignez de luy d’un si long espace de temps, que ny eux, ny ceux qui les estiment le plus, ne s’aviseroient jamais de s’en tenir offensez, ce qui estoit cause qu’il se regardoit dans cette situation comme des gens qui voulant joüer à la longue paume, vont se mettre dans une pleine Campagne, éloignée de tous chemins & de toutes habitations, pour estre bien assurez de ne blesser personne, mais qu’il avoit reconnu qu’il s’estoit trompé dans cette pensée, d’excellens hommes de nostre temps dont il avoit cité les Ouvrages avec éloge, comme des preuves incontestables de la superiorité de nostre siecle, aimant mieux se fâcher de l’injustice qu’ils prétendoient qu’il eust faite aux Anciens, que de luy sçavoir gré de la justice qu’il leur avoit renduë. Ainsi Mr Perrault qui n’a point voulu leur donner de plus longs sujets de plainte, quoy que fort peu legitimes, s’est contenté de traiter dans ce dernier volume, de ce qui regarde l’Astronomie, la Geographie, la Navigation, la Guerre, la Philosophie, la Musique, la Medecine, &c. & non-seulement il prouve que les Modernes y sont plus habiles que les Anciens, il fait voir combien les premiers ont esté plus loin dans la connoissance exacte de tous ces Arts & de toutes ces Sciences.

[Hommes illustres qui ont vécu en France] §

Mercure galant, janvier 1697 [tome 1], p. 244-249.

Le même Mr Perrault vient de donner au Public un autre Ouvrage fort considerable de toutes manieres, qui a pour titre Les Hommes Illustres qui ont vécu en France, pendant ce siecle. C’est un Recueil in folio de Portraits, qu’il a entrepris d’étendre jusques au nombre de cent, assurant qu’on a eu plus de peine à ne le pas exceder, que l’on n’en a eu à le remplir. C’est un avantage de l’heureux siecle où nous vivons, qui s’est trouvé si fecond en grands hommes, ce qui ne doit pas étonner, s’agissant de le rendre digne du regne de Louis le Grand, pour qui le Ciel les a formez, & de mettre quelque proportion entre les Sujets & le Prince. On a rassemblé dans ce Recueil, des hommes extraordinaires dans toutes sortes de Professions. Cette diversité de caracteres doit avoir son agrément, & d’ailleurs, l’intention principale de l’Auteur estant de faire honneur à nostre siecle, il n’auroit pû sans injustice oublier ceux qui ont excellé dans les beaux Arts, dont les Ouvrages n’ont pas moins élevé la France au dessus des autres Etats, que les prodiges de valeur de nos grands Capitaines, que la sagesse consommée de nos grands Politiques, & que les découvertes que nos Gens de Lettres ont faites dans toutes les Sciences. Cet Ouvrage, dont on donne presentement la moitié pour satisfaire à l’impatience du Public, est dû principalement à l’amour que Mr Begon, Intendant de Justice & du Maine, a pour la memoire de tous les grands hommes. Il ne s’est pas contenté d’avoir orné sa Biblioteque de leurs Portraits, il a voulu pour leur faire plus d’honneur, les mettre dans les mains de tout le monde, en les faisant graver par les plus excellens Graveurs que nous ayons, & comme il a souhaité que ces Portraits fussent accompagnez d’éloges historiques, qui en joignant l’image de leur esprit à celle de leur visage, les fissent connoistre tout entiers. Mr Perrault s’est appliqué à les composer. Il y a réüssi parfaitement bien, comme il fait en toutes choses, & il faudroit estre difficile pour n’en estre pas content. Il avertit ceux qui auront quelque chagrin de ne pas trouver dans ce premier volume les grands Personnages qu’ils reverent particulierement, qu’ils doivent s’attendre à les trouver dans le second, qui contiendra aussi cinquante Portraits qu’on grave actuellement, & il les prie d’estre persuadez qu’il n’y a pas plus d’avantage à estre mis dans l’un que dans l’autre, puisque la facilité qu’on a euë à recouvrer les Portraits de ceux qui sont dans celuy-cy, est la principale cause de ce qu’ils marchent les premiers. Ce livre est tres-curieux, & se debite chez le Sieur Antoine Dezallier, ruë Saint Jacques, à la Couronne d’or.

[Contes] §

Mercure galant, janvier 1697 [tome 1], p. 249-252.

Je me souviens de vous avoir envoyé l’année derniere le Conte de la Belle au Bois dormant, que vous me témoignastes avoir lû avec beaucoup de satisfaction. Ainsi je ne doute point que vous n’appreniez avec plaisir que celuy qui en est l’Auteur vient de donner un Recueil de Contes qui en contient sept autres, avec celuy-là. Ceux qui font de ces sortes d’ouvrages sont ordinairement bien aises qu’on croye qu’ils sont de leur invention. Pour luy, il veut bien qu’on sçache qu’il n’a fait autre chose que de les rapporter naïvement en la maniere qu’il les a oüi conter dans son enfance. Les Connoisseurs prétendent qu’ils en sont plus estimables, & qu’on doit les regarder comme ayant pour Auteurs un nombre infini de Peres, de Meres, de Grand’meres, de Gouvernantes & de grand’Amies, qui depuis, peut-estre, plus de mille ans y ont ajoûté en encherissant toujours les uns sur les autres beaucoup d’agreables circonstances, qui y sont demeurées, pendant que tout ce qui estoit mal pensé est tombé dans l’oubli. Ils disent que ce sont tous Contes originaux & de la vieille roche, qu’on retient sans peine, & dont la morale est tres-claire, deux marques les plus certaines de la bonté d’un Conte. Quoy qu’il en soit, je suis fort seur qu’ils vous divertiront beaucoup, & que vous y trouverez tout le merite que de semblables bagatelles peuvent avoir. C’est chez le Sr Barbin qu’ils se trouvent.

[Prix proposé par la Compagnie des Lanternistes] §

Mercure galant, janvier 1697 [tome 1], p. 263-270.

Mrs les Lanternistes doivent donner un Prix le 24. Juin prochain, jour de la Fête de S. Jean, à celuy qui aura fait le meilleur Sonnet sur les Bouts rimez, proposez dans l’Ecrit qu’ils viennent de publier. Il est conceu en ces termes.

Nostre Compagnie ne cessera point de proposer des Bouts rimez, les Gens de bon goust s’en accommodent, & le Public ne se lasse point d’en redemander. Ce sont de ces fruits rares dont ont attend la saison avec impatience. Il est à présumer que les Bouts rimez de cette année, marquez à la fin de cet Ecrit, ne plairont pas moins que les précedens. Et pourquoy ne plairoient-ils pas ? Les merveilleuses actions de Loüis le Grand en sont l’unique matiere. Ce Heros toujours attentif au bien de ses peuples, leur prépare un repos solide & une tranquillité qu’on ne verra jamais finir ? Est il rien de plus beau ? Est il de plus dignes sujets d’éloges ?

Les Lanternistes ont une grande delicatesse de reconnoissance à l’égard des personnes qui se sont déclarées pour eux. Ils ne seront point contens que le Mercure n’en ait instruit toutes les Nations. Elles apprendront sans doute combien nous sommes redevables au Zele que Mr de la Fevrerie a fait paroître pour les Bouts rimez ; il a défendu leur cause en galant homme, dans le Mercure du mois de May 1695. Avec quelle érudition, avec quel desinteressement n’a-t-il pas répondu à un habile Ecrivain, qui commençoit à se déchaîner contre ce genre de Poësie, luy qui d’ailleurs en avoit fait un de ses plus doux amusemens ? Mr de Vertron montra d’abord quelque opposition pour les bouts-rimez, mais il a bien voulu prendre parti en leur faveur. Ce fameux Historiographe nous a écrit d’une maniere spirituelle, qu’ils avoient enfin obtenu leur brevet d’entrée à la Cour chez les Princes & chez les Princesses. Mademoiselle l’Heritier n’a pas moins relevé les Bouts-rimez par l’excellente Apologie qu’elle en a faite, que par la beauté de ses Sonnets ; ils brillent, comme le reste de ses productions, dans ses œuvres mêlées. Le témoignage de Mademoiselle de Scudery est trop souverain pour ne pas l’alleguer. Cette illustre Fille, l’ornement de son Sexe, & l’admiration d’un siecle aussi poli que sçavant, n’a pas desaprouvé le projet de nos Bouts rimez ; elle a daigné même le combler de loüanges.

On pourroit nommer cent autres personnes officieuses, qui en particulier, & de leur propre inclination, ont soutenu nos interests, & fermé la bouche aux envieux de nostre Societé. Ces bienfaits seront éternellement gravez dans nos cœurs.

Il est bon d’avertir encore, que regulierement tous les ans, le jour de la Ceremonie, & dans la Salle de nos Assemblées, on exposera des Tableaux, où seront representez couronnez de laurier, ceux qui auront remporté le Prix. C’est pour exciter plus d’émulation parmy les Poëtes, & les mieux dédommager de leurs soins par cette maniere d’honorer leur triomphe.

Ceux qui estoient déja informez de toutes ces circonstances, ne trouveront pas mauvais qu’on les repete ; du moins cette exactitude fait voir que les Lanternistes ne sont pas moins appliquez au ressentiment des graces qu’ils ont receuës, que fidelles aux glorieux devoirs de leur établissement.

BOUTS-RIMEZ
proposez pour l’année 1697.

Aurore. Ayeux. Dieux. Ignore.
Flore. Ingenieux. yeux, arbore.
Pareil, appareil, modelle.
Accens, Fidelle, Encens.

Les Prétendans au Prix auront soin d’accompagner leurs Sonnets d’une Priere pour le Roy, en quatre Vers, avec une Sentence, & de mettre au bas de la page leur pays & leur nom cachetez, ou dans une Lettre separée, le tout sous la même envelope. Il faut que huit jours avant la Saint Jean, jour de la distribution du Prix, les paquets soient rendus à leur adresse, à Toulouse chez Mr Seré, à la Place de Roaix. Ils seront francs de port, autrement on ne les recevra point.

[Enigmes] §

Mercure galant, janvier 1697 [tome 1], p. 277-278.Référence faite au petit opéra présenté dans cet article.

 

Le mot de l’Enigme du dernier mois estoit l’Hiver, & a été trouvé par [...] ; Tamiriste de la rue de la Cerisaye. C’est luy qui a fait le divertissement sur la Paix de Savoye, en forme d’Opera [...] ;

Air nouveau §

Mercure galant, janvier 1697 [tome 1], p. 281-282.

Les Vers qui suivent sont de Mademoiselle de Scudery, & ils ont esté mis en chant par Mr le Camus.

AIR NOUVEAU.

L’Air doit regarder la page 281.
Avoir tous les appas de l'aimable jeunesse,
Joindre avec la beauté l'esprit & la sagesse,
Suivi d'un air charmant qu'on ne peut exprimer,
C'est ce qu'on trouve en la Princesse
Qu'on ne se lasse point de voir & d'admirer
Et qui de tous les cœurs sçait se faire adorer.
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