1697

Mercure galant, novembre 1697 [tome 11].

2017
Source : Mercure galant, novembre 1697 [tome 11].
Ont participé à cette édition électronique : Nathalie Berton-Blivet (Responsable éditorial), Anne Piéjus (Responsable éditorial), Frédéric Glorieux (Informatique éditoriale) et Vincent Jolivet (Informatique éditoriale).

Mercure galant, novembre 1697 [tome 11]. §

[Prélude] §

Mercure galant, novembre 1697 [tome 11], p. 7-9.

Si la Priere pour le Roy, que vous allez lire, n’est pas dans la bouche de tous les François, on ne peut douter qu’elle ne soit dans leurs cœurs, puis que jamais Prince n’a merité par tant de bontez, l’amour & l’admiration de ses Peuples. C’est donc à nous à nous récrier tout d’une voix.

 Que Dieu par sa bonté
 Dans une paix profonde,
Donne au Roy de longs jours, une heureuse santé ;
A ses augustes Fils une race feconde,
 Afin que sa Posterité
 Puisse autant durer que le monde,
 Dont il fait la felicité.

Ces Vers sont de Madame le Camus, dont le zele pour le Roy est aussi connu, que ce feu d’esprit qui la distingue avec tant d’éclat parmy celles de son Sexe.

Sur le Mépris qu’on a pour les Muses. Ode §

Mercure galant, novembre 1697 [tome 11], p. 63-75.

L’Ouvrage qui suit est de Mr Magnin, ancien Conseiller au Presidial de Mascon. Il est de l’Academie Royale d’Arles, & les Ouvrages que je vous ay déja envoyez de luy sur differentes matieres, vous ont fait connoistre son heureux talent pour la Poësie.

SUR LE MÉPRIS
qu’on a pour les Muses.
ODE.

Muses, l’amour & les delices
 Des plus grand Heros, autrefois,
On reveroit vos sacrifices,
Vous aviez la faveur des Rois.
Dans ces temps heureux, où la Grece,
Fit admirer sa politesse,
Vous regniez parmi les humains.
Les Guerriers, les Sçavans, les Sages,
N’estimoient rien dans les Ouvrages,
Que ce qui passoit par vos mains.
 Alors que Rome triomphante
Donnant des Loix de toutes parts,
Vous fit d’une main caressante
Prendre place auprés des Cesars,
Qui n’aspiroit pas à la gloire
D’entrer au Temple de Memoire,
Par vos soins, avec vos concerts ;
Et qui dans cette Cour Auguste,
Refusoit l’hommage si juste,
Qu’on doit au merite des Vers ?
***
 Qui dés la naissance du monde
Pourroit voir, sans estre surpris,
Dieu dans sa sagesse profonde
Faire reverer vos écrits ?
Le Texte Sacré plein de rimes
Les a déclarez legitimes,
Ces honneurs qu’on vous a rendus.
Son suffrage les autorise ;
Tel en reçoit, & vous méprise,
Qui ne luy sont pas si bien dus.
***
 Pour moy, quand je vois Alexandre,
Aimer vos concerts les plus doux,
Non, Muses, je ne puis comprendre
Le mépris que l’on a pour vous.
Un Héros de ce caractere
Ne s’endormir qu’avec Homere,
Parmi tant de travaux Guerriers.
Ne nous permet il pas de croire,
Qu’il n’est mêlé dans son Histoire,
Que pour partager ses lauriers.
***
 S’il est vray que Cesar lui mesme,
Dont le goût ne s’est point trompé,
En montant au degré suprême,
De vos chansons s’est occupé,
Si la plus grave * politique
A trouvé dans l’Art Poëtique
Des plaisirs pour se délasser,
Muses, comment se peut-il faire
Qu’avec tant de charmes pour plaire,
On cesse de vous caresser ?
***
 Que le feu que l’amour allume
Cherchant dans les sens, ses plaisirs,
S’éteigne quand on s’accoûtume
A contenter tous ses desirs ;
Aux charmes de ce qu’on possede,
Qu’un indigne dégoust succede,
Lors qu’on le possede long-temps,
Tant de Femmes sont infidelles,
Et quand elles ne sont plus belles,
Les Hommes ne sont plus constans.
***
 Mais que pour vous, Vierges Celestes,
Dont les beautez charment l’esprit,
On prenne ces dégousts funestes,
Que vous n’ayez plus de credit ;
Oüi, je le diray, que j’augure
Dans une pareille avanture,
La cheute de nos bonnes mœurs,
Et cette triste décadence,
Sera peut estre un jour, ô France,
La source de tous tes malheurs.
***
 Que ta prévoyance sublime,
Qui regle tout dans l’Univers,
Détourne, ô Prince magnanime,
Ce que j’annonce par mes Vers.
LOUIS, en vain de tes conquêtes,
Tu verras celebrer les fêtes,
Comme tu vois à tous momens,
Si malgré cette gloire immense
On laisse germer la semence,
Des plus honteux déreglemens.
***
 Ces Vierges chastes & discretes
Que je te presente en ce jour,
Sont de si fidelles sujettes,
Pour les Heros ont tant d’amour.
Si ta bonté les favorise,
Et fait voir à qui les méprise
Que ce mépris ne te plaist pas,
Bien loin chez les races futures
La gloire de tes avantures,
Vivra par elles ici bas.
***
 Pour peu qu’on anime leur zele,
Qu’on soûtienne leurs Chants divins,
Elles sont de race immortelle,
Tout est immortel dans leurs mains.
Hors les droits sacrez du Parnasse,
S’il n’est rien que le temps n’efface,
Il sçait respecter les beaux Arts.
Oüi, malgré sa course rapide,
Nous avons toûjours l’Eneide.
Que nous reste-t-il des Cesars ?
***
 Mais dans ce devoir dont s’acquite
Ma grossiere & pesante voix,
Croiray-je mes Vers d’un merite,
Propre à faire valoir vos droits ?
Non, Muses, je sens ma foiblesse,
Et quelque ardeur qui m’interesse
A parler en vôtre faveur,
Le feu dont mon ame est remplie,
Prest à s’éteindre avec ma vie,
Ne sçauroit plus me faire honneur.
***
 Autrefois en lisant Malherbe,
Charmé du beau tour de ses Vers,
J’ay souvent pris un vol superbe,
LOUIS, sur tes travaux divers.
Mon aile tremblante & timide
N’a pu suivre ce divin guide ;
Mais à prendre un essor pareil
Le vol le plus hardi s’égare,
Et trouve le destin d’Icare
En s’aprochant trop du Soleil.
***
 O vous, qui sentez dans vos veines
De jeunes & vives ardeurs,
Allez, par ces routes hautaines,
Allez au faiste des honneurs.
S’il est de tristes destinées,
Il vient des heureuses années
Rendre justice aux beaux esprits.
Les plus grands Guerriers ont beau faire,
Tous leurs travaux ne durent guere
Sans le secours de nos écrits.
***
 Mais, à la gloire de la France,
Qu’on ne sçauroit assez vanter,
Quand vous n’auriez pour récompense
Que le seul plaisir de chanter,
Elevez vos voix immortelles,
Des vertus les échos fidelles ;
Et pour soûtenir les beaux Arts,
Voyez que la Muse Romaine
Ne vous parle que d’un Mecene,
Et l’on compte douze Cesars.
***
 Vit-on jamais, Troupe sçavante,
D’exploits, de travaux inoüis
Une moisson plus abondante,
Que le Regne du Grand LOUIS ?
Que ne fait on point, quand on aime ?
Un jour à ce Héros, moy-mesme,
Je donnay je m’en souviens bien,
Du fond sterile de ma veine,
Quatorze ** LOUIS pour étreine,
Et je les luy donnay pour rien.
***
 J’ay long temps gardé le silence,
Honteux d’oser mêler ma voix
A tant d’autres dont l’excellence
Peut charmer l’oreille des Rois.
D’où vient sur le panchant de l’âge,
Qui doit m’assoupir davantage,
Que je prens ce nouvel essor ?
C’est ainsi je le dois comprendre,
Que le Cygne aux bords du Meandre,
Chante aux aproches de la mort,
***
 Sur le déclin d’une carriere
Qui doit terminer mes travaux,
Combien ma mourante paupiere
Voit naître de sujets nouveaux !
Combien pour de nouvelles fêtes
Voit elle d’avantures prêtes,
Sous ce Regne heureux & naissant,
Où le fier & brave Sarmate,
Bien loin au delà de l’Euphrate,
Fera reculer le Croissant !
***
 Nations de l’Inde & du Gange,
Peuples barbares, accourez,
Il est temps que le Ciel vous vange
Des Tirans sous qui vous souffrez.
Voulez-vous avoir des Monarques,
En qui vous puissiez voir les marques
D’un bon & légitime choix ?
Choisissez avec confiance,
Choisissez en du Sang de France ;
De ce Sang naissent les Grands Rois.
***
 LOUIS fait du haut de sa gloire,
Tout ce qu’il faut leur enseigner,
Ils n’ont qu’à lire son Histoire,
Pour apprendre l’art de regner.
Fils, petit Fils, Princes, Princesses,
Par ses vertus ; par ses caresses,
Toûjours charmez, toûjours soumis.
Sur les maximes qu’il leur donne
Pour le soûtien de la Couronne,
Font trembler tous nos Ennemis.
***
 C’est de cette source feconde,
Que nous verrons avec la Paix
Naître tous les Maîtres du Monde,
Elle ne tarira jamais.
Croissez avec nostre allegresse,
Croissez, genereuse Princesse,
L’espoir le plus doux de nos Lys.
Ouy, ce sera vostre Himenée,
Qui changeant nostre destinée,
Va rendre nos vœux accomplis.
1 2

Description de Marly. Ode §

Mercure galant, novembre 1697 [tome 11], p. 75-89.

Je vous envoye la Traduction d’une Ode Latine de Mr l’Abbé Boutard, qui a esté presentée au Roy, & qui a reçû de grands applaudissemens de toute la Cour. Cette Traduction est de Mr Perrault de l’Academie Françoise.

DESCRIPTION
DE MARLY.
ODE.

Quittez, Muses, quittez les rives du Permesse :
Et venez de Marly voir les Eaux & les Bois,
Qu’anime le Genie & l’auguste sagesse
 Du plus puissant des Rois.
***
C’est-là qu’inimitable en tout ce qu’il projette,
LOUIS, à le servir contraint les Elemens :
Et qu’au gré du Heros la Nature sujette,
 Regle ses mouvemens.
***
Les Arbres & les Eaux, où les Nymphes se mirent,
Sortent en un moment des plus arides fonds :
La Terre en est surprise, & les sables s’admirent
 De se voir si feconds.
***
L’Ormeau, dont ces Jardins empruntent leur parure,
Au caprice de l’Art se laisse gouverner :
Docile il obéït, & prend telle figure,
 Que l’on veut luy donner.
***
Qu’il étalle à nos yeux de scenes magnifiques !
Soit qu’il se forme en Boule, ou s’étende en Berceaux :
Soit qu’en sombres Réduits, en superbes Portiques
 Il courbe ses rameaux.
***
Non ; le Chesne orgueilleux, ny la Palme immortelle,
Ny du Platane épais l’ombrage tant vanté,
Ny le Peuplier blanc, ny le Pin de Cibelle
 N’ont point tant de beauté.
***
Quel Palais couvert d’or éclate en ce Bocage !
La Lyre d’Amphion l’auroit-elle construit ?
N’est-ce point la demeure & le superbe ouvrage
 De l’Astre qui nous luit ?
***
J’apperçois le Soleil dans son char de lumiere :
Les rapides Chevaux conduisans les Saisons,
Et d’une course égale il fournit sa carriere
 Dans ses douze Maisons.
***
Cet auguste Palais, vray Temple de la Gloire,
Renferme de LOUIS les belliqueux travaux,
Qu’ont peints, pour en garder l’éternelle mémoire,
 Apelle ou ses rivaux.
***
Là Dole & Besançon, par mille funerailles,
Eprouvent de son bras le pouvoir souverain :
Icy de Luxembourg s’écroulent les murailles
 Sous ses foudres d’airain.
***
Là Gennes fume encor : Icy les Tours captives,
Que baignent & la Sambre, & la Meuse, & l’Escaut,
Succombent sous le fer, où justement craintives,
 N’attendent pas l’assaut.
***
Il semble qu’à regret, quoy que privez de vie,
Les Césars jettent l’œil sur de si grands Exploits :
Et que le marbre blanc encor moins que l’Envie,
 Les rend pâles & froids.
***
Muse, par les accords de vôtre foible Lyre,
N’allez pas avilir l’éclat des ses hauts faits :
Ne songez qu’à chanter les Jardins, où respire
 L’image de la Paix.
***
C’est-là que l’Age d’or se choisit un azile :
Là regnent les Plaisirs & les Jeux innocens :
Et le Printemps rassemble en ce Vallon fertile
 Ses plus riches presens.
***
L’Art qui joint son adresse aux soins de la Nature,
L’a ceint de gazons verts, & de riantes fleurs
Que ces jeunes Ormeaux, par leur fraîche verdure,
 Deffendent des chaleurs.
***
D’habits tout differens les Tulipes parées
Attirent à l’envi le Maistre de ces lieux :
Mais les Lis argentez, les Jonquilles dorées
 Arrêtent plus ses yeux.
***
Là brille le Narcisse, ornement du Parterre,
La Rose qu’empourpra la Mere de l’Amour,
L’Hyacinthe & l’Oeillet, tous Astres de la Terre,
 Que n’éteint point le jour.
***
Les Champs les plus féconds de l’Arabie heureuse
N’exhalérent jamais de si douces odeurs :
De la celeste Iris la voûte lumineuse
 N’a pas tant de couleurs.
***
Cent Vases précieux, où l’Art même s’admire,
Etalent du cizeau l’ouvrage consommé :
Et des troupes d’Enfans semblent joüer & rire
 Sous le Bronze animé.
***
Voyez ces Bois naissans, où la fiére Bacchante
Fait de ses cris aigus retentir les Vallons :
Où la legereté de la jeune Atalante
 Passe les Aquilons.
***
Les neuf Sœurs & Vesta logent sous ces Ombrages :
De ces Prez en tremblant Euridice s’enfuit :
Et plus loin, deux Amours repaissent de feüillages
 La Chévre qui les suit.
***
Là pour mettre à couvert les Dryades & Flore,
S’élevent des Costeaux au gré de leurs desirs :
Pour elles dans son sein le Vallon tâche encore
 D’arrester les Zephirs.
***
L’œil se proméne au loin sur les Champs & les Villes :
Et pour ne point cacher ces objets pleins d’appas,
L’Ormeau baisse la teste, & les Ifs immobiles
 N’osent lever les bras.
***
J’apperçois dans les airs la Seine suspenduë :
Prompte à suivre par tout la voix de son Heros,
Elle franchit les Monts, & jusques dans la nuë
 Semblent porter ses flots.
***
Mais la Nymphe cherchant des routes soûterraines,
Prefere ce Vallon à la voûte des Cieux :
Et veut bien devenir mere de cent Fontaines,
 Pour orner ces beaux lieux.
***
De ces Jardins pompeux elle fait la richesse,
Soit que de son crystal de longs Canaux soient pleins :
Soit que ses claires eaux, d’une auguste Princesse
 Aillent remplir les Bains.
***
Muse, admirez icy la Colomne liquide :
Ces Dauphins à grand bruit vomissant des Ruisseaux :
Et l’impetueux cours de ce Fleuve rapide
Qui descend des Costeaux.
***
Peignez ces flots d’argent, qui bondissent sur l’herbe :
Ces humides Rochers écumans de Crystal :
Et le sombre bocage, où reluit de la Gerbe
 Le fluide métal.
***
Peignez les Nappes d’Eau, les brillantes Cascades :
De la riche Coquille étalez les Tresors,
Dont l’Inde somptueux, pour parer les Nayades,
 A dépoüillé ses bords.
***
Descendus de l’Olympe & cachez sous le marbre,
Tous les Dieux sont venus habiter ces Jardins :
Là s’arreste Cerés, & Bacchus sous cet Arbre
 Presse ses doux raisins.
***
Diane au pied leger, & de carnage avide,
Poursuit les Cerfs fuyards, le carquois sur le dos :
Faune las de courir, & le fameux Alcide
 Y cherchent du repos.
***
La Déesse de Cypre à qui tout rend hommage,
Le Pere des beaux Arts, le Messager des Dieux,
Tous sans peine ont quitté pour ce rustique Ombrage
 La demeure des Cieux.
***
Auprés de toy, LOUIS, s’efface leur puissance :
Les eaux, les bois, les fleurs, tout respecte ta Loy :
Et ces lieux fortunez, qu’embellit ta presence,
 Ne respirent que Toy.
***
C’est-là que déposant le terrible Tonnerre,
Dont tu viens d’ébranler & la Terre & les Mers ;
Tu prens cet air serain, qui dissipe la Guerre,
 Et calme l’Univers.

[Eglogue sur la Paix, par Mr l’Abbé Bailé] §

Mercure galant, novembre 1697 [tome 11], p. 98-106.

Il est juste de vous faire part de quelques Ouvrages qui ont paru sur la Paix. Celuy que vous allez lire est de Mr l’Abbé Bailé.

DIALOGUE.
DAPHNIS, LYCIDAS.

Tu chantes, Lycidas ? quel sujet d’allegresse
Peut bannir de ton cœur la commune tristesse ?
Que m’annonce d’heureux un si doux passe-temps,
Ce repos que j’envie, & ces yeux si contens ?
Tes moutons, tes agneaux bondissans sur l’herbette,
Ton chien, tout se ressent d’une feste complette.
Je n’entens en tous lieux que des concerts de voix,
Que des Bergers dansans au son de leur Hautbois.
L’onde, qui sur ces bords se fait à peine entendre,
Paroist se conformer au zephir le plus tendre.
Les plaisirs & les jeux s’assemblent sous l’ormeau.
Eust-on mieux celebré la feste du hameau ?
L’Echo même attentive à ces transports de joye,
Est sensible au bonheur que le Ciel vous envoye,
Et l’on diroit que Mars favorable à nos jeux,
Suspende ses fureurs, ou s’éloigne pour eux.
On n’entend plus parler des craintes, des alarmes,
Qu’inspiroit à nos cœurs le ravage des armes.
Dis-moy donc, quel destin fait naistre les douceurs,
Où regnoient les chagrins, les troubles, les horreurs ?

LYCIDAS.

Ne parlons plus, Berger, de troubles ny de guerre,
La Paix ramene enfin le repos sur la terre.
L’impitoyable Mars banni de ces hameaux,
Ne nous empêche plus d’enfler nos chalumeaux.
Ces montagnes de morts entassez dans nos plaines,
Ce sang qui profanoit les plus pures fontaines,
Ne sont plus, & bien-tost renaistront mille fleurs,
Qui refusoient d’éclore au milieu de nos pleurs.
Le rivage éclairci dissipe l’épouvante,
Qu’offrois à nos regards son onde rougissante.
Ces avides Guerriers pour nous trop inhumains,
Ou se sont separez, ou montrez plus humains.
L’effroy ne regne plus, & la gaye Bergere
Se roule sans danger sur l’épaisse fougere.
L’Oiseau qui n’entend plus de combats & de cris,
Mêle sa chansonnette à nos voix, à nos ris.
Les Flûtes ont repris la place des Trompettes,
Les Tambours l’ont cedée aux paisibles Musettes.
Et tu vois les Agneaux de nos chansons charmez
Paistre en paix au milieu des guerriers desarmez.

DAPHNIS.

Qu’entens-je ? quel bonheur ! helas, est-il possible,
Que le Ciel à nos vœux paroisse se sensible ?
Nous verrons donc en paix nos campagnes fleurir,
Nos moissons profiter, & nos raisins meurir ?
Nos vergers, nos maisons à l’abri du pillage,
Seront un seur azile au fardeau du vieil âge.
Le repos, l’abondance en ces lieux de retour,
Nous laisseront goûter les douceurs d’un beau tour.
Mais encore aprens moy, quel Dieu les fait renaistre.
Aprés tant de bienfaits ne puis-je le connoistre,
Afin que dés ce jour mon cœur reconnoissant,
N’immole ses brebis qu’à ce Dieu tout-puissant ?

LYCIDAS.

Du plus parfait des Rois, du plus grand, du plus juste,
Et non d’un Dieu, Daphnis, apprens le nom auguste.
C’est luy qui force Mars à calmer l’Univers.
C’est le terme qu’il donne à mille exploits divers.

DAPHNIS.

C’est Loüis, je le vois ; plus la joye est parfaite,
Plus elle nous apprend quelle main nous l’a faite.
Grand Roy, si je ne puis t’élever des Autels,
Si pour mieux reverer le plus grand des Mortels,
Il ne m’est pas permis d’immoler mes genisses,
Reçois au moins mes vœux au lieu de sacrifices,
Et que l’onde tarisse avant que ce bienfait
De ma memoire ingrate échape tout à fait.

LYCIDAS.

Pour moy, toute ma vie, au son de ma Musette,
Je chanteray celuy qui me rend ma houlette.
Je n’en joüissois plus, lors que dans le bercail
La crainte renfermoit le timide bestail.
C’est luy qui vous permet, mon cher Troupeau, de paistre
Dans ce vallon herbu, sur ce costeau champestre.
Ah, quand par ses douceurs le retour du repos
Ne nous forceroit pas à chanter ce Heros.
Sur tant d’objets d’orgueil ses vertus triomphantes
Exigent de nos cœurs des marques éclatantes.
Puisse son regne heureux se maintenir en paix,
Toujours digne d’envie, & ne finir jamais !

DAPHNIS.

Qu’au moins le Ciel protege un Heros qu’il fait naistre,
S’il n’est pas immortel, le plus digne de l’estre !

Fable Allegorique §

Mercure galant, novembre 1697 [tome 11], p. 106-107.

Les Vers qui suivent sont de Mr Maugard le jeune, & peignent bien ce qui vient de se passer.

FABLE ALLEGORIQUE.

Tout est donc calme & sur mer & sur terre ?
 Le Lion & le Leopard,
Qu’ont aidez tant de fois les conseils du Renard,
 Avec le Coq n’ont plus la guerre ?
 Tous les Oiseaux en imitant
 Les genereuses Hyrondelles,
Avec le Coq si craint ont vuidé leurs querelles,
 Et chacun d’eux paroist content.
L’Aigle seule obstinée en sa demande fiere,
Faisant pour résister un effort impuissant,
Vouloit jusques aux Cieux porter son aile altiere ;
Mais sentant du Soleil la trop vive lumiere,
Elle a tourné son vol du costé du Croissant.

[Réflexions sur le Ridicule]* §

Mercure galant, novembre 1697 [tome 11], p. 119-120.

Je vais vous parler pour la troisiéme fois des Reflexions sur le Ridicule, parce que le même Libraire, vient d’en donner une troisiéme Edition. Elle est encore augmentée, & vous ne devez pas douter que les nouvelles additions qui s’y trouvent, ne soient de bon goust, puisque Mr l’Abbé de Bellegarde, qui en est l’Auteur, pense tres-juste, & qu’on auroit peine à s’exprimer plus heureusement.

[Le dégoût du monde] §

Mercure galant, novembre 1697 [tome 11], p. 120-122.

Rien ne peut estre d’une utilité plus grande qu’un autre Livre nouveau, que le Sr Brunet, Libraire au Palais, vient de mettre en vente. Il a pour titre Le dégoût du Monde, matiere vaste, qui donne lieu à de saintes & tres-importantes reflexions. Pour se dégoûter du monde, il faut le connoître ; & qui en peut mieux avoir connu tout le vuide, que Mr l’Abbé Mauroy, cy-devant Curé des Invalides, qui nous a laissé ce bel Ouvrage ? Par combien de tristes experiences a-t-il été convaincu, que les plaisirs les plus durables & les plus flateurs ne sont rien autre chose qu’un beau songe, & qu’ils ne laissent, aprés qu’on les a goûtez, qu’un vif repentir de s’y être trop abandonné ? Le premier Chapitre qui fait voir le peu qu’est la vie, & dans quel excés d’aveuglement il faut estre pour s’y attacher, donne de l’empressement pour lire ceux qui le suivent, & ce sont par tout de salutaires avis pour nous éloigner de ce qui n’a rien de réel ni de solide, le vray bien de l’Homme ne pouvant être qu’en Dieu.

[Vers adressez à Mademoiselle de Scudery] §

Mercure galant, novembre 1697 [tome 11], p. 155-159.

Voicy des vers qui furent faits dans le temps de la prise de Barcelone, & donnez à Mademoiselle de Scudery avec une Agathe Orientale, où la Montagne du Parnasse se trouve naturellement representée. Ils sont de Mr de Betoulaud.

Du Parnasse fameux vous voyez la peinture,
Telle qu’en racourci la forma la Nature.
Mais, SAPHO, quand sa main ébaucha ce tableau,
Elle sçeut que la vostre en feroit un plus beau,
Et que vostre Art brillant d’une gloire immortelle,
Nous traceroit ce Mont d’un crayon plus fidelle.
Qui connoist comme Vous tous ses sentiers divers,
Où croissent d’Apollon les lauriers les plus verds,
Où les neuf Doctes Sœurs, compagnes de vos traces,
S’assemblent pour vous suivre avec toutes les Graces,
Et choisir pour vous seule en ces aimables lieux
Les fleurs dont vous parez les Héros, ou les Dieux ?
Mais quand vous recevez de leur troupe charmante
De ces monceaux de fleurs la richesse éclatante,
En avez vous assez pour couronner LOUIS,
Au bruit toûjours nouveau de cent faits inoüis ?
C’est Mons, ou Barcelone, ou Marseille, ou Nervinde :
Par tout des noms fameux pour les Echos du Pinde ;
Et qui pourroit alors trouver d’assez beaux sons
Pour un champ, où la Gloire offre tant de moissons ?
Mais que dis-je, SAPHO ? si jadis pour Achille
Le Parnasse en lauriers ne fut jamais sterile,
Si sans cesse les fleurs y renaissoient pour luy,
Que ne sera-ce point pour LOUIS aujourd’huy ?
Soit qu’il tienne la foudre, & que la Renommée
Le peigne surmontant toute l’Europe armée ;
Soit que moins occupé du tonnerre de Mars,
Il veüille sous l’Olive honorer les beaux Arts,
Ce Mont qui retentit aux vertus immortelles,
Peut-il manquer pour luy de couronnes nouvelles ?
Non, SAPHO, le Parnasse en fleurs pleines d’attraits
Pour de pareils Héros ne s’épuise jamais ;
Il en aura toûjours pour le tribut de gloire
Que doivent à LOUIS les Filles de Memoires
Et je vois qu’on y peut par vostre heureux secours,
Trouver un nouvel art de le loüer toûjours.

[Réponse] §

Mercure galant, novembre 1697 [tome 11], p. 159-161.

 

Mademoiselle de Scudery a répondu par ces autres Vers à Mr de Betoulaud.

Le Parnasse d’Agathe est rare & curieux,
Mais dans vos Vers, DAMON, il est plus précieux,
 Et cette agreable peinture
Surpasse de beaucoup celle de la Nature.
Ces beaux Vers ont pourtant un visible défaut,
Car ils parlent de moy beaucoup mieux qu’il ne faut.
J’ay pour LOUIS, sans doute, un zele incomparable,
Et j’en ay dans le cœur une image admirable,
Mais tout ce que j’en dis exprime foiblement
Les talens merveilleux d’un Héros si charmant.
La victoire le suit, la Gloire l’entonne,
Il prend Ath, il prend Barcelone ;
De son illustre sang on vient d’élire un Roy ;
Le Rhin, tout fier qu’il est, subit toûjours sa Loy,
 Et toutes les Muses ensemble
 Ne disent pas ce qui m’en semble.
Mais comme ce Heros ne peut estre flaté,
 Il n’a besoin que de la verité,
Et pour estre assuré d’une immortelle gloire,
 Il ne luy faut qu’une fidelle Histoire,
Qui, sans rien ajoûter à ses faits éclatans,
Le fasse triompher jusques aux derniers temps,
Et montre clairement que les Heros d’Homére
N’estoient auprés de luy qu’une vaine chimere.

[Histoire] §

Mercure galant, novembre 1697 [tome 11], p. 161-189.

Quoy que la tromperie en amour passe pour un fort leger défaut dans ce qui n’est point essentiel, elle ne laisse pas quelque fois de blesser ceux qui ont le cœur droit, & qui veulent de la bonne foy en toutes choses. Un Cavalier qui avoit beaucoup de bien & une naissance assez distinguée, s’estoit acquis dans le monde ce qu’on appelle reputation de galant homme. Il avoit l’esprit aisé, sa figure estoit aimable, & avec ces qualitez il trouvoit l’accés ouvert chez tout ce qu’il y avoit de plus estimable parmy le beau Sexe. Il fut piqué du merite d’une fort jolie personne & comme il estoit vif dans ses passions, les Rivaux qu’il eut dans cette conqueste animerent ses desirs. Il voulut se faire aimer, & ne pouvant obtenir la préference sur ceux qui luy disputoient le cœur de la belle, qu’en parlant de mariage, il en parla & fut écouté. Sur la proposition qu’il fit ses rivaux furent chassez, & l’affaire ne pouvant estre traînée en longueur aprés l’engagement où il s’estoit mis, il fallut prononcer ce mot terrible qui rend éternel le joug qu’on s’impose. Il n’eut pas d’abord sujet de s’en repentir, puis que la Dame, outre beaucoup de beauté, avoit l’humeur douce & tres sociable ; mais il eut en peu de temps un chagrin qui luy fut sensible au dernier point. On s’apperceut par des indices certains, que sa femme estoit attaquée du poumon, & rien n’estant plus contraire à la durée de sa vie que les privileges du mariage, la tendresse qu’il avoit pour elle le fit consentir à s’en priver. Cet éloignement de caresses à quoy il se resolut par un pur motif d’amour, ne laissa pas d’en diminuer peu à peu l’ardeur. Il luy falloit quelque amusement. Il estoit jeune, il estoit galant, & debitoit des douceurs de fort bonne grace. Insensiblement il prit beaucoup d’assiduité pour une tres-aimable Veuve qui parut n’estre pas fâchée qu’il luy en contast. Sa femme le sçut, & n’osa s’en plaindre. Son malheur sembloit ne luy pas laisser le droit de le faire, & elle en avoit d’autant moins de lieu, qu’il gardoit pour elle toutes les honnestetez & tous les égards qu’elle auroit pu souhaiter. Son attachement pour cette Veuve fit assez d’éclat, mais comme elle meritoit toute l’estime qu’il marquoit pour elle, & qu’il n’est pas deffendu d’avoir une amie de confiance, les medisans n’osoient pousser trop loin leur censure. Quelques affaire ayant obligé le Cavalier d’aller passer quelque temps dans une Ville éloignée de Paris de trente lieuës, où il avoit une partie de son bien, il chercha à y vivre agreablement à son ordinaire, en voyant toutes les personnes considerables qui s’y trouvoient de l’un & de l’autre Sexe. Comme il estoit fort aimé en ce lieu là, on se réjoüit de son arrivée, & on fit de luy un portrait avantageux à une jeune personne qui ne l’avoit jamais veu, & que le hazard avoit fait venir chez une Tante. On ne manqua pas de vanter aussi au Cavalier le merite de la Belle qui luy estoit inconnuë, & ainsi avant que de s’estre veus, ils se trouvoient prévenus d’estime également l’un pour l’autre. La jeune personne plut extrêmement au Cavalier dés la premiere fois qu’il la vit, & le Cavalier ne luy déplut pas. Il sembloit que l’étoile agist dans tous les deux. Le Cavalier naturellement galant exerça son caractere en disant à cette charmante Fille tout ce qu’on peut dire de plus obligeant. Elle se faisoit un secret reproche du penchant qui la portoit à l’écouter favorablement, puisqu’il estoit marié. Cependant toutes les asseurances qu’il luy donnoit d’être plus à elle qu’à personne, luy faisoient plaisir ; & ce qui l’autorisoit à recevoir avec agrément les soins qu’il s’attachoit à luy rendre ; c’étoit la facilité avec laquelle sa Tante entroit dans toute l’intrigue. Elle aimoit sa Niece, & avoit ses veuës pour elle. Le Cavalier estoit riche, & fort estimable de toutes manieres. Son alliance luy eust fait honneur, & elle avoit sujet d’y prétendre, puisque sa Femme estant pulmonique sembloit devoir le laisser bientôt en liberté d’en choisir une autre. Toutes ces raisons rendirent la Niece moins scrupuleuse à l’écouter sur le pied d’Amant. L’interest qu’elle commença à prendre en luy, l’obligeant de s’informer avec soin de toutes les choses qui le regardoient, non seulement elle apprit son attachement pour la jolie Veuve, mais elle sçeut qu’elle luy avoit donné son Portrait, & qu’il le portoit quelquefois attaché au bras. Cette faveur luy parut l’effet d’un engagement trop fort pour n’en prendre point d’alarmes. L’inquietude qu’elle en eut ne la laissant pas aussi contente qu’elle estoit auparavant, elle lui montra quelque froideur sur les nouvelles protestations qu’il continua de de luy faire, & le Cavalier luy en ayant demandé la cause, elle ne luy cacha point qu’un cœur partagé n’estoit d’aucun prix pour elle. L’Enigme n’estoit pas fort difficile à déveloper. Il vint de luy mesme au fait, & luy dit qu’il voyoit bien qu’on luy avoit parlé de la Veuve ; qu’il estoit vray qu’il la voyoit quelquefois, mais que c’estoit comme vingt autres personnes, qui luy trouvant de l’esprit, estoient bien aises de joüir d’une agreable conversation ; que l’on rencontroit toûjours bonne compagnie chez elle, & qu’il ne comprenoit pas qu’il pust estre distingué parmy la foule. La Belle luy répondit qu’elle n’estoit pas assez bizarre pour trouver mauvais qu’il cherchast les societez qui convenoient à un homme de son âge, mais qu’il falloit que son cœur y demeurast libre, & qu’il luy persuaderoit difficilement, qu’il pust n’avoir que de l’estime pour une Dame dont il avoit receu le Portrait. Il nia long temps qu’il eust celuy de la Veuve, mais la Belle luy dit là-dessus des choses si positives, qu’il fut enfin obligé de l’avoüer. Ensuite il n’y eut plus de milieu. Il fallut choisir, & se resoudre à luy sacrifier le Portrait, ou à n’attendre aucune correspondance dans la passion qu’il luy marquoit. La chose fut dite avec tant de fermeté, que le Cavalier vit bien qu’il balanceroit inutilement à la satisfaire. Comme il en estoit veritablement épris, il prit le parti de commencer à gagner son cœur par la complaisance qu’elle souhaitoit de luy. Il luy promit de luy apporter le portrait le lendemain, l’asseurant qu’il ne se feroit nulle violence pour y renoncer, & qu’il l’avoit pris à la Veuve en badinant sans qu’elle eust songé à luy en faire un present. Il luy tint parole, & la Belle qui estoit honneste, luy dit en le recevant, que quelque conduite qu’il pust tenir avec elle, il ne devoit point apprehender qu’elle luy en fist jamais une affaire avec la Veuve ; qu’il luy suffisoit d’être asseurée par ce petit sacrifice que ses sentimens pour cette Veuve n’alloient point jusqu’à l’amour, & que comme aprés cette marque de son empressement à luy plaire, elle estoit persuadée qu’il étoit sincere dans les protestations qu’il luy faisoit, elle feroit ses efforts pour ne luy pas donner sujet de s’en repentir. Les effets suivirent cette asseurance. La Belle eut pour luy une ouverture de cœur dont il fut charmé, & il luy fut aisé de s’appercevoir que de tous ceux que les agrémens de sa personne & l’égalité de son humeur engageoient à luy rendre quelques soins, il estoit celuy qu’elle voyoit avec le plus de plaisir. Il fit dans le lieu où elle estoit un plus long séjour que ses affaires ne le demandoient ; mais enfin il falut se separer, & le commerce de Lettres entretint la liaison qui s’estoit formée entre eux. Ce ne fut pas sans que le merite de la Belle attirast des jaloux au Cavalier. La maniere avantageuse dont elle parloit de luy faisant juger de ses sentimens, on se prévalut de son absence pour effacer dans le cœur de cette aimable personne les impressions trop favorables qu’il y avoit mises. Comme il auroit esté inutile de l’attaquer sur ses bonnes qualitez dont on estoit obligé de tomber d’accord, on se contentoit de luy faire voir qu’un homme qui avoit de l’attachement pour une autre qu’elle, ne meritoit pas qu’elle eust pour luy toute la consideration qu’elle témoignoit avoir ; mais on avoit beau tâcher de lui donner de l’inquiétude sur le chapitre de la jeune Veuve, le portrait donné la rassuroit, & sans qu’elle s’expliquast elle prétendoit estre asseurée de ne courir aucun risque sur l’estime qu’elle avoit pu luy refuser. Quoy que les Letres qu’elle en recevoit toûjours pleines d’assurances d’une éternelle tendresse, luy causassent un plaisir sensible, il ne laissoit pas d’estre meslé de quelque chagrin, quand elle apprenoit qu’il continuoit toûjours à voir la Veuve ; & que c’estoit même avec assiduité. Elle n’osoit s’en plaindre en termes trop forts par ses réponses, de peur qu’aprés le sacrifice qu’il luy avoit fait, le pouvoir qu’elle vouloit conserver sur luy ne luy parust tirannique. Ce qui l’embarrassoit quelquefois, c’est que ceux qui prenoient à tâche de l’inquiéter sur la jeune Veuve, en luy disant finement qu’elle avoit une Rivale qui estoit à craindre, outre l’esprit qu’ils luy donnoient fin & delicat & l’humeur fort enjouée, la peignoient avec des traits qu’elle ne trouvoit point dans le Portrait. Elle y voyoit des yeux bleus & assez doux, au lieu qu’ils vouloient qu’elle les eust noirs & pleins de feu. L’éclaircissement qu’elle eut là-dessus peu de temps aprés, fit en elle un changement, que tout ce qu’on luy avoit dit au desavantage du Cavalier n’avoit pas esté capable de faire. On eut nouvelles qu’on ne donnoit pas encore deux mois de vie a sa femme, & qu’elle se preparoit à la mort avec une fermeté qui surprenoit. Une Dame qui passoit pour estre de ses meilleures amies, confirma cette funeste nouvelle qu’elle avoit receuë de sa propre main, ajoûtant pour circonstance, qu’elle luy avoit envoyé son portrait depuis trois jours, avec priere de le conserver tant qu’elle vivroit pour se souvenir de leur amitié. La Belle qui estoit chez cette Dame quand elle parla du portrait, eut de l’empressement pour le voir, & estant passée dans un Cabinet où il avoit esté mis, elle fut extrêmement surprise de remarquer, qu’il estoit semblable trait pour trait à celuy que le le Cavalier luy avoit donné. Le dépit qu’elle eut de la tromperie causa dans son cœur divers mouvemens qui l’agiterent le reste du jour. Cependant elle eut assez de force d’esprit pour n’en faire rien paroistre tant que dura sa visite, & ayant tenu conseil avec elle-mesme quand elle fut seule, il luy parut que le meilleur party qu’elle avoit à prendre estoit d’étouffer les sentimens qui luy parloient en faveur du Cavalier, qu’elle ne regarda plus, dés ce moment, que comme un homme qui avoit cherché à l’ébloüir sur la passion que la jeune Veuve luy avoit fait prendre. Elle fut persuadée qu’elle luy tenoit veritablement au cœur, puisqu’il n’avoit pu se resoudre à luy sacrifier son portrait, & elle trouvoit d’ailleurs tant d’indignité à luy avoir donné celuy de sa Femme, ce qui marquoit un trop grand mépris pour elle, qu’elle ne luy put pardonner cette conduite. Elle ne laissa pas de dissimuler, quoy qu’elle ne se mist plus en peine de luy écrire aussi souvent qu’elle avoit fait jusque-là, & qu’il y eust mesme de la froideur dans ses Lettres. Un Gentilhomme qui la voyoit quelquefois, sçeut profiter de la resolution qu’elle avoit faite de ne plus songer au Cavalier. Il s’apperceut que ses soins ne luy estoient pas indifferens ; & les ayant redoublez il eut le plaisir de voir en fort peu de temps que sa passion étoit agréée. Le Cavalier averti de ses assiduitez, & remarquant du changement dans la maniere d’écrire de la Belle, employa les expressions les plus vives pour luy apprendre combien il en estoit alarmé. Sa réponse fut qu’elle estoit de trop bonne foy pour luy déguiser que les soins du Gentilhomme luy faisoient plaisir ; qu’il se souvinst qu’il l’avoit trompée, & qu’il n’imputast qu’à luy seul le changement dont il se plaignoit. Le Cavalier qui ne sçavoit point qu’elle eust esté détrompée sur le prétendu portrait de la Veuve, ne pouvoit s’imaginer sur quel sujet ses plaintes estoient fondées. La mort de sa Femme arriva dans ce temps-là, & quand il eut donné ordre à ses affaires, & fait ce que la bienseance demandoit de luy, il vint luy mesme sçavoir de la Belle quel estoit son crime. Elle luy dit fort sincerement que ce n’estoit point le sacrifice du portrait de sa Femme qu’elle luy avoit demandé ; qu’au contraire il auroit fallu qu’elle eust esté sans raison de se fâcher qu’il eust voulu garder une chose qu’il devoit conserver si cherement ; que le peu de cas qu’il en avoit fait, luy faisoit connoistre qu’il estoit galant, mais Mary peu tendre, & qu’elle verroit sans aucun chagrin qu’il se donnast tout entier à la Belle Veuve, dont il avoit si soigneusement gardé le portrait. Quelques raisons que le Cavalier pust apporter pour justifier ou pour affoiblir ce qui l’avoit blessée dans cette conduite, elle fut inébranlable sur la resolution qu’elle avoit prise. Sa passion estant devenuë plus forte par la résistance, il eut beau parler de l’épouser sans aucun retardement pour luy faire voir qu’il n’aimoit qu’elle ; le Gentilhomme, quoi que moins riche luy fut preferé, & il eust esté témoin de leur mariage, si desesperant de surmonter ses refus, il ne fust parti quelques jours avant que l’affaire se conclust. Il continuë à estre assez assidu auprés de la Veuve, mais elle a déclaré si hautement qu’elle veut vivre dans l’indépendance, qu’on tient qu’il sera contraint de demeurer veuf, s’il ne cherche une autre Femme. Il n’en sera pas plus malheureux.

Te Deum chanté à Paris, & Réjoüissances faites pour la conclusion de la Paix Generale §

Mercure galant, novembre 1697 [tome 11], p. 210-220.

Le Samedy 16. de ce mois, le Te Deum fut chanté icy dans l’Eglise Metropolitaine, pour rendre graces à Dieu de la conclusion de la Paix, suivant ce que le Roy avoit écrit là-dessus auparavant à Mr l’Archevêque de Paris pour luy expliquer sa volonté. La lettre de sa Majesté estoit conceüe en ces termes.

MON Cousin, Les heureux succés dont le Ciel a favorisé mes Armes dans le cours d’une si longue guerre, ne m’ont jamais éloigné du desir sincere que j’avois pour la Paix, qui a toujours été l’unique fin que je me suis proposée dans toutes mes entreprises. Quoique les glorieuses expeditions de cette Campagne, & les avantages qu’elles me préparoient eussent pû m’engager à soûtenir mes interests, & à porter même plus loin mes prétentions ; je les ay abandonnez avec d’autant moins de peine, que je me suis vû plus en état de les maintenir, & je me suis fait une loy de consacrer au repos de l’Europe le fruit de mes Conquêtes. Je suis assez récompensé de tout ce que me coûte cette modération, puisqu’elle finit les maux inséparables de la guerre. Le prompt soulagement que mes Peuples en reçoivent, & le plaisir que je ressens de les rendre heureux, me dédommagent assez de tout ce que je leur sacrifie ; & l’éclat des plus grands Triomphes ne vaut pas la gloire de récompenser le zele de mes Sujets, qui tous avec une ardeur égale, & sans jamais se démentir, ont prodigué leur sang & leurs biens pour mon service. Dieu favorable aux desseins qu’il m’a toûiours inspirez, a ouvert les yeux aux puissances Conféderées, qui desabusées de leurs fausses esperances, & touchées de leurs veritables maux, ont accepté les conditions que je leur ay si souvent offertes. La Paix qui fut signée le 20 Septembre dernier avec l’Espagne, l’Angleterre & la Hollande a été ratifiée depuis peu de jours. La Ratification de celle que je viens de conclure avec l’Empereur & l’Empire, achevera bien tôt cet ouvrage si important & si necessaire à l’Europe : mais je ne puis differer jusques-là de témoigner à Dieu ma juste reconnoissance, & de lui rendre les actions de graces que je lui dois, de ce qu’après avoir rendu tant de fois mes Armes victorieuses, il commence à répandre sur mon Royaume la plus précieuse de ses Benedictions, & fait renaître entre mes Etats & ceux de mes Voisins une Paix stable & sincere. Je désire donc que vous fassiez chanter le Te Deum dans l’Eglise Metropolitaine de ma bonne Ville de Paris, au jour & à l’heure que le grand Maître ou le Maîtres des Cérémonies vous dira de ma part : & je lui ordonne d’y inviter mes Cours & ceux qui ont accoûtumé d’y assister. Sur ce je prie Dieu qu’il vous ait, mon Cousin, en sa sainte & digne garde. Ecrit à Versailles le douzième jour de Novembre mil six cens quatre-vingt dix sept. Signé, LOUIS ; & plus bas, PHELYPEAUX .

Mr le Chancelier, les Cours Superieures & le Corps de Ville, ayant esté invitez d’assister au Te Deum par Mr le Marquis de Blainville, Grand Maistre des Ceremonies, & par Mr des Granges Maistre des Ceremonies, ils se trouverent à Nostre Dame à l’heure marquée, & les Actions de graces ayant esté renduës à Dieu en la manière ordinaire, Mrs les Prevost des Marchands & Eschevins, avec les Conseillers & Quarteniers se rendirent à l’Hôtel de Ville pour y recevoir Monsieur, Madame de Chartres & Mademoiselle. Mr le Nonce, & plusieurs autres Personnes de qualité s’y trouverent aussi pour voir tirer le Feu d’artifice, dont le dessein fut trouvé fort beau. [...] Aprés que l’on eut tiré le Feu, on presenta à leurs Altesses Royales des Corbeilles de fruits & de confitures, & l’on en porta ensuite dans toutes les Chambres de l’Hôtel de Ville : ce qui fut suivi d’un Bal, qui dura fort avant dans la nuit. Tous les Bourgeois de Paris marquerent leur joye ce même jour, tant par des Illumniations, que par les Feux qu’ils firent le soir devant leurs Maisons. [...]

Air nouveau §

Mercure galant, novembre 1697 [tome 11], p. 221-222.

On a fait beaucoup de Vers sur la Paix que la bonté du Roy a procurée à l'Europe. En voici qui ont esté notez par Mr Pivin. L'Auteur est d'un pays où l'on ne fait point de scrupule de faire rimer Trompette avec Conqueste.

AIR NOUVEAU.

Avis pour placer les Figures : l’Air qui commence par Ne songeons qu'a vuider les pots, doit regarder la page 222.
Ne songeons qu'a vuider les pots,
D'une tranquillité parfaite,
Beuvons, Amis, la Paix est faite,
Tous nos Guerriers sont de repos.
Battez, Tambours, Sonnez, Trompettes.
Le Grand Monarque des François,
A reduit la Ligue aux abois,
Par le nombre de ses conquestes.
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Sur la Paix. Madrigal §

Mercure galant, novembre 1697 [tome 11], p. 223.

Les autres Vers que vous allez lire sont de Mr de Poissy, de l’Academie de Caen.

SUR LA PAIX.
MADRIGAL.

Aprés un si cruel orage,
Aprés tant d’horribles combats,
Goûtons un repos plein d’appas,
De la Paix, c’est le digne Ouvrage.
Celebrons mille & mille fois
Le Nom du plus puissant des Rois ;
Chantons tour à tour à sa gloire,
LOUIS le plus grand des Guerriers,
Pour éterniser sa Memoire,
Prefere l’Olive aux Lauriers.

Air nouveau §

Mercure galant, novembre 1697 [tome 11], p. 278.

Voicy un seconde Chanson sur la Paix, & sur l'auguste Mariage qui se doit faire dans fort peu de jours. Les Vers ont esté encore notez par Mr Pivin.

AIR NOUVEAU.

Avis pour placer les Figures : l’Air qui commence par Ah ! qu'elle heureuse destinée, doit regarder la page 278.
Ah, qu'elle heureuse destinée !
On commence à goûter la douceur du repos.
C'est un bien que nous fait le plus grand des Heros
Par la Paix & par l'Hymenée
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