1698

Mercure galant, mars 1698 [tome 3].

2017
Source : Mercure galant, mars 1698 [tome 3].
Ont participé à cette édition électronique : Nathalie Berton-Blivet (Responsable éditorial), Anne Piéjus (Responsable éditorial), Frédéric Glorieux (Informatique éditoriale) et Vincent Jolivet (Informatique éditoriale).

Mercure galant, mars 1698 [tome 3]. §

Sur la Paix. Vers libres §

Mercure galant, mars 1698 [tome 3], p. 7-13.

La Paix dont le Roy veut bien nous faire goûter les douceurs, aprés neuf ans d’une rude guerre, ne peut recevoir assez d’éloges. Ainsi vous ne devez pas estre surprise, si chacun s’empresse à luy en donner. La matiere est grande, & comme elle ne pourra estre si-tost épuisée, je ne doute point qu’elle ne produise longtemps des Ouvrages pareils à celuy qui fait le commencement de cette Lettre. Il est de Mademoiselle l’Heritier, dont l’heureux genie vous est connu, par quantité d’autres Pieces de sa composition que je vous ay déja envoyées.

SUR LA PAIX.
VERS LIBRES.

Plaisirs, aimables jeux, que l’horreur de la guerre
Avoit exilez de la terre,
Revenez dans ces lieux redoubler vos appas.
LOUIS, dont la sagesse & sublime & profonde
 Ne veille qu’au bonheur du monde,
 Vous a rappellez icy-bas ;
À ses justes desirs il faut que tout réponde.
***
 Ce Monarque cheri des Cieux,
Autant que l’Univers le criant & le revere,
 Qui sans cesse victorieux
 Remplit l’un & l’autre Hemisphere
Du bruit de ses exploits rapides, glorieux,
 Vient de calmer l’Europe en Pere.
***
À se vaincre luy même il trouve des attraits,
 Et sort tout éclatant de gloire
 Du char pompeux de la Victoire,
 Pour y faire regner la Paix.
***
Elle brille en ces lieux avec ses plus doux charmes,
 Et déja son heureux retour
 Fait triompher le tendre Amour.
Deux augustes Amans qui luy prétent des armes,
Préparent à l’Hymen un triomphe à son tour.
***
 Ce Dieu qu’une injuste habitude
 Asservit à l’inquietude
 Dans le reste de l’Univers,
N’aura plus rien de gênant ny de rude.
 Exempt de ses chagrins divers,
 Et réuni par une ardeur sincere
 À l’aimable Enfant de Cithere,
Il ne formera plus que des nœuds gracieux ;
 Affranchi d’un joug odieux
Il ne donnera plus que des jours faits pour plaire.
***
La jeune Adelaïde & son charmant Epoux
Produiront par leurs feux ces changemens si doux.
De la faveur du Ciel leur flâme couronnée
Comblera de plaisirs un Prince, qui cent fois,
 Se fit voir par d’heureux exploits,
Et par mille vertus dont son ame est ornée,
 Digne Fils du plus grand des Rois.
Les Amans dont il voit l’union fortunée,
 Donnant en spectacle aux Mortels
 Tous les charmes de l’Hymenée,
D’un éternel encens assurent ses Autels.
***
Avec ce Dieu l’Amour d’intelligence
 Cessera de porter les cœurs
 À la jalouse défiance,
Aux noires trahisons, aux coupables fureurs.
 La fidelité, l’innocence
 Regleront seules ses ardeurs
Sous le regne fameux du Heros de la France.
***
C’est dans ce temps heureux qu’on verra les beaux Arts,
Pour celebrer un Roy si rempli de sagesse,
 Unir leurs soins de toutes parts
 À ceux des Nymphes du Permesse.
Elles s’empresseront par de nobles efforts
À former à l’envi d’harmonieux accords,
Ces doctes Soeurs tranquilles, satisfaites,
Celebreront LOUIS & la Paix sur des airs,
Dont les bruyans Tambours ny les aigres Trompettes
Ne viendront plus troubler les aimables concerts.

Sur les Démolitions des Forts du Rhin. Sonnet §

Mercure galant, mars 1698 [tome 3], p. 14-16.

L’Amour du Roy pour ses Peuples, & le desir de leur procurer la Paix l’ayant obligé d’accorder à ses Ennemis la démolition de quelques Forts de l’autre costé du Rhin, & des Ponts de Huningue, de Brisac, & du Fort-Loüis, sur le même Fleuve, Mr de Saint Genis, premier Capitaine du Regiment d’Infanterie du Comte de Permangle, qui est en quartier à Hombourg, aprés sa derniére Campagne d’Allemagne, a fait sur ce sujet le Sonnet qui suit.

SUR LES DÉMOLITIONS
DES FORTS DU RHIN.
SONNET.

Quel débris étonnant retentit sur ces bords ?
L’Univers touche-t-il à son heure derniere ?
Quel fracas ! quels éclats ! quelle masse ! quel corps
S’ouvre, se désunit, & retourne en poussiere ?
***
On vit contre ces Murs, ces Rampars, & ces Forts,
Pâlir des Nations l’audace la plus fiére.
LOUIS les démolit, & veut qu’à leurs efforts
Sa bonté toute seule oppose une barriere.
***
Superbes Monumens des Rois & des Heros,
Qui portez jusqu’aux Cieux leur gloire & leurs travaux,
Palais, Arcs triomphaux, Pyramides, Statuës,
***
Pour consacrer un nom vos soins sont superflus,
Quand sur des tas épars de pierres abattües
LOUIS a trouvé l’art de graver ses vertus.

Les Ponts sur le Rhin, abattus §

Mercure galant, mars 1698 [tome 3], p. 16-18.

Le même Mr de Saint Genis a fait le petit ouvrage que vous allez lire.

LES PONTS SUR LE RHIN,
ABATTUS.

Enflé de tout l’orguëil de sa puissance humide,
 Le Rhin d’une course rapide
Descendoit vers la Mer, & ses flots diligens
Approchoient le rivage & les murs de Coblens1
Quand ce Fleuve en son cours rencontrant la Moselle,
Luy dit en l’embrassant : Nymphe que je cheris,
Nymphe avec qui mon cœur & mes flots sont unis,
 Ecoute une heureuse nouvelle.
J’en nage de plaisir, je suis si rempli d’elle,
Que jusqu’à l’Ocean j’en parleray toujours
Sçais tu bien que ces Clefs des Provinces captives,
Ces Ponts audacieux, ces Tirans de mon cours,
Sont enfin renversez ? J’en ay vu sur mes rives
 Ramasser les débris flottans.
Ce Prince, ce Heros, qui de ses Combattans
Allarmoit chaque jour mes ondes fugitives
Ne peut me traverser, & mes fers sont rompus.
Ainsi parloit le Rhin, quand la Nymphe legere
 Répondit : Vous n’y pensez plus
 Un Pont luy fut-il necessaire
 Quand il vous passoit à Tolhus ?

[Réjoüissances faites à Prémontré, avec un Discours prononcé à la gloire du Roy] §

Mercure galant, mars 1698 [tome 3], p. 34-38.

 

[...] Ce Discours, dont je n'exprime icy que la substance, fut suivi d'un Te Deum chanté en Musique par les Religieux de la Maison, qui formoient un tres-beau Choeur, & par d'habiles Musiciens qu'on avoit fait venir des meilleurs endroits. On chanta ensuite l'Exaudiat, & d'autres Prieres pour Sa Majesté, au son des Orgues, des Trompettes, & de plusieurs instrumens de Musique, qui firent un effet merveilleux dans l'Eglise. Aprés cette Cérémonie où la joye & la devotion se trouverent heureusement mélées l'une avec l'autre, toute la Communauté passa dans la grande Cour de l'Abbaye, où elle trouva devant le logis Abbatial un tres-beau feu préparé. On l'alluma au bruit des Tambours, des Timbales, des Trompettes, & de la Mousqueterie de prés de deux cens personnes qui étoient sous les Armes, tant des habitans de Prémonstré, que des Villages circonvoisins. Il y eut des illuminations à toutes les fenêtres de cette Abbaye qui est fort grande, & qui firent retrouver le jour au milieu de la nuit, pendant laquelle on entendoit retentir tous les échos de cette belle Solitude qui est au milieu des bois, du bruit continuel, de l’artillerie & des acclamations publiques, & des cris de joye qui ne discontinuoient pas. La Maison donna un magnifique Repas aux personnes de distinction qui voulurent bien honorer cette Cerémonie de leur presence, & comme cette illustre Communauté ne met point de bornes au zele & à l’ardeur qu’elle a pour la gloire de son Prince & pour celle de la France, elle n’en voulut point mettre à ses liberalitez. Il y eut pendant tout le jour Table ouverte pour tout le peuple qui s'y rendit de divers endroits, & surtout beaucoup d’aumônes envers les Pauvres.

[Réjouissances faites à Troyes] §

Mercure galant, mars 1698 [tome 3], p. 38-54.

Je vous ai dit si peu de choses des réjoüissances faites à Troyes, à l’occasion de la Paix publiée entre la France, l’Empereur & et l’Empire, que je ferois tort au zèle que les Habitants de cette Ville ont fait paroistre, si je negligeois de vous en donner un plus grand détail. Cette publication s'y fit le 25. de Janvier en la maniére qui suit. Mrs les Maires & Echevins accompagnez du Corps de Ville & d'une partie de la Bourgeoisie qui estoit sous les armes, se rendirent au Palais, où Mrs du Baillage & du Presidial s'estoient assemblez. Mr le Baron de Chappelenne, Bailly de Troyes, y harangua, & Mr Motet, Procureur du Roy, fit à l'Assemblée un Discours tres éloquent. La Paix y fut enregistrée, & publiée sur le Perron, à la descente du grand escalier.Ceux du Bailliage prirent la droite, & se rendirent avec tous les autres Corps vers l'Hostel de Ville, puis à la Place des Quatre-vents, & de là dans le Parvis de Saint Pierre. La Paix fut annoncée en ces quatre endroits. Il y eut un grand concours de Peuple, & l'on entendit pendant presque toute la marche, le bruit des tambours, le son des hautbois & des fifres, les fanfares des Trompettes, de frequentes & vigoureuses décharges de mousquets, & les acclamations réïterées de Vive le Roy. Le lendemain sur les trois heures du soir, tous les Corps de la Ville ayant esté invitez d'assister au Te Deum, se trouvérent à l'heure marquée, en l'Eglise de Saint Pierre, Cathedrale, où Mr l'Evêque de Troyes & tout le Clergé s'étoient rendus. Il y eut une Musique celebre. L'Orgue y fut touché par Mr Siret, habile Organiste, & l'on y chanta un tres beau Motet, dont la Musique estoit de la composition du Maistre des Enfans de Choeur. Les actions de graces renduës, le Maire & les Eschevins retournérent à l'Hôtel de Vile, où les hautbois, les fifres, les tambours, les trompettes & les violons formérent une tres-belle simphonie. A sept heures du soir Mr Lion, Maire, mit le feu à l'artifice que l'on avoit preparé devant la Maison de Ville. Il fut tiré par le sieur Parisot, Architecte & Sculpteur.

Voicy quelle en estoit la disposition. Sur une plate-forme quarrée, soutenuë par quatre piliers, l’on avoit mis un piedestal de la hauteur de deux pieds & demy ou environ, sur lequel estoit élevée une figure de grandeur naturelle couronnée d’olivier, tenant une branche de laurier à la main droite, & à la main gauche une corne d’abondance, d’où sortoient differens fruits. Cette figure representoit la Paix, & au bas sur un des angles du piédestal, du costé que cette Figure regardoit, ces Vers estoient écrits.

D’un triomphe complet arrestant l’esperance,
Et prest d’exterminer ses Ennemis défaits,
LOUIS immole tout au bonheur de la France
Et change sa Victoire en une heureuse Paix.

Sur les autres angles du même piédestal, étoient dépeints des Soleils qui jettoient quantité de rayons. Le Theatre estoit à quatre faces, dont chacune avoit son cartouche ou tableau. Chaque representation avoit une Devise, un Emblême, & des Vers au bas qui en expliquoient le sens. Le premier Tableau representoit les Arts. Sa Devise estoit,

Gaudet Athenie
Post habitis coluisse Trecas.

Il avoit pour emblême une Ruche, autour de laquelle voltigeoit un Essein d’Abeilles. Les Vers estoient,

Par les soins de LOUIS si la Paix renaissante
Fait succeder Minerve à l’Empire de Mars,
En Eleves fameux nostre Ville abondante
Va nous donner bien-tost des Chefs à tous les Arts.

Le second Cartouche faisoit voir le Commerce, avec ces mots qui s’adressoient à la Ville.

Erit mox altera Colchos.

Pour emblême estoit une fontaine qui distribuoit ses eaux, & plus bas ces Vers.

Comme cette eau qui sort d’une source feconde,
Dés qu’elle est sur la terre y répand mille biens ;
Le Commerce qui fait que chez nous tout abonde,
Rend les Peuples heureux du bonneur des Troyens.

Le troisiéme representoit le Mariage de Monseigneur le Duc de Bourgogne ; l’emblême une Hirondelle. La Devise estoit, Pacis amor Deus est.

Comme on voit au Printemps la premiere Hirondelle
Qui nous vient annoncer le retour des beaux jours,
Marie annonce au monde une Paix éternelle,
Dés qu’au Sang de LOUIS elle unit ses amours.

Le quatriéme faisoit voir l’Heresie détruire. La Religion tenoit une verge ardente à la main, avec cette Devise, Hac virga furias expellit. L’emblême estoit l’Ocean, qui sembloit se décharger de tous les corps inutiles. Voicy les Vers.

Le superbe Ocean dans ses bords se resserre,
Quand de tout corps impur ses flots sont déchargez.
LOUIS compte pour rien le reste de la terre,
Si tost que de l’Erreur ses Etats sont purgez.

L’idée de ce dessein avoit esté conceuë par Mr Sanson, Echevin, qui dans cette occasion a marqué toute l’ardeur imaginable pour la gloire de son Prince. Aprés que l’artifice fut consumé, les Compagnies qui estoient sous les armes allerent reconduire Mr le Maire jusqu’en son logis, où elles s’arresterent, & firent plusieurs décharges. Ensuite Mr Lion convia à souper les Echevins & Officiers de Ville, & autres personnes de marque ; & le soupé fini, il leur donna le divertissement d’un Bal avec celuy d’un Feu d’artifice qu’il avoit fait dresser devant son logis. Mr Lion, son Fils, y mit le feu. Mr de Chavaudon, Lieutenant General, & Mr le Courtois, Lieutenant Particulier, donnerent chez eux des marques d’une joye particuliere par des repas magnifiques & des Collations somptueuses. Mr de la Huproye de la Cumine se distingua aussi de la même sorte.

Le sixiéme du mois passé, jour du Jeudy gras, les Habitans du Fauxbourg de Croncels se rangerent sous les armes. Sur les trois heures du soir, les Capitaines & Lieutenans, à la teste de trois cens hommes, se rendirent chez Mr l’Abbé, Juge des quatre Fauxbourgs, & de là chez Mr Langlois leur Majot, qui assisterent au Te Deum, que les Peres de Saint Lazare, & tous les Seminaristes chanterent dans l'Eglise de Saint Gilles. Sur les huit heures du soir, Mr l'Abbé mit le feu à l'artifice qu'on avoit dressé devant le Convent des Religieuses de la Visitation ; afin qu’elles eussent plus de part à la joye commune. Il y eut une fort grande affluence de gens de toutes sortes d'estats. L'on y fit plusieurs décharges de fusils & de mousquets, & l'on y tira quantité de fusées volantes, ausquelles les Peres de la Mission répondirent par un fort grand nombre d'autres fusées. Aprés que l’artifice eut esté tiré, les Compagnies remenerent le Juge des quatre Fauxbourgs & leur Major jusqu'en leur logis, au son des Hautbois & des Tambours, & les saluerent de plusieurs décharges de mousquets. Elles en userent de la même sorte pour leurs Capitaines. Le reste de la nuit fut employé en joye & en divertissemens.

Je ne puis finir l’article de Troyes, sans vous faire part d’une chose qui merite d’estre remarquée. Un jour de Vendredy du mois de Février dernier, dans une Eglise dediée à S. Aventin, l’on fit lever une Tombe sous laquelle reposoit depuis plus de onze cens ans, le Bien-heureux Vicent, dixième Evêque de Troyes, qui vivoit sous Childebert sixiéme Roy de France; l’on trouva dans un Sepulchre de pierre une grande partie de ses os en leur forme entiere, une Phiole pleine d’un Baume dont l’odeur saisit l’odorat de tous les Assistans. Elle fut cassée par mégarde, lorsqu’on remuoit la terre, quelques-uns assurent y avoir vû & tenu un Suaire ; Mr l’Evêque de Troyes a fait remettre ces ossemens dans leur Tombeau, jusqu’à ce qu’aprés ces marques visibles de sainteté, ce Bien-heureux Prélat ait esté Canonisé.

[Réjouissances faites à Niort] §

Mercure galant, mars 1698 [tome 3], p. 54-73.

 

Mr de Chateauneuf, Seigneur de Pierrelevée, la Goupillere, la Riviere, & autres Places, Lieutenant de Roy, & Maire perpetuel des Ville & Chateau de Niort, dont Mr de Lapara, Maréchal de Camp des Armées du Roy, est Gouverneur ; ayant reçu l'ordre d'assister au Te Deum, de faire tirer le Canon, & d'allumer des feux au sujet de la publication de la Paix, s'assembla à l'Hôtel de Ville avec les Echevins & autres Officiers de Ville, le Dimanche 2. du mois passé, & fit mettre sous les armes le Regiment Royal de milice Bourgeoise, composé de douze Compagnies. Ce regiment a esté crée en titre des l'année 1621. par le feu Roy Loüis 13. au Siège de S. Jean d'Angely, & a depuis ce tems là servy en plusieurs occasions, tres utilement & avec beaucoup de zéle, particulierement lorsqu'en 1674, la flotte Hollandaise fit une descente en l'Isle de Noirmoutier, ce Regiment estant entré en l'Isle de Bouin, distante de Niort de plus de 30 lieües, sous les ordres de Mr le Duc de Vieuville, Gouverneur du Poitou, y demera fort long tems à la vûe des ennemis, qui n'en estoient éloignez que d'une lieuë, & a encore servy recemment, par un detachement de deux cens hommes, qui se rendirent à la Rochelle en 1696. à la première nouvelle de l'arrivée des Anglois, sur les côtes de l'Isle de Rhé. Les deux Bataillons de ce Regiment estant assemblez par les ordres de Mr le Lieutenant de Roy, sous la conduite de Mr de la Terraudiere, subdelegué de Mr l'Intendant, ancien Maire & Lieutenant Colonel, le Te Deum fut chanté en l'Eglise de Nôtre Dame, où tous les Corps se rendirent avec les Communautez ecclesiastiques & Religieuses, & un grand concours de peuple. Les Troupes défilerent ensuite dans la Place du Marché-vieux, où elle furent rangées en bon ordre, sous le Commandement du Lieutenant Colonel, par les soins de Mr Assailly sieur de l'Aubonnerie Major. On y avoit fait dresser un Bucher magnifique, & Mr de Pierrelevée s'y estant rendu à la tête du Corps de Ville, & où se trouverent aussi Mr de Fontmort Presidant, & Mr Rouget Lieutenant General du Siége, les Flambeaux furent distribuez par oredre de Mr le Lieutenant de Roy. Le feu fut mis au bucher en même tems par lui, par le premier Echevin, par le Lieutenant Colonel, par le Major, & par Mrs les President & Lieutenant General, à chacun desquels Mr de Pierrelevée fit presenter un Flambeau, ce qui fut accompagné de plusieurs décharges de Mousqueterie, de plusieurs coups de canon, & de divers feux d'artifices & fusées dont l'air fut remply, au bruit des Tambours & des Trompettes, & aux acclamations du peuple dont la Place estoit remplie, par des cris plusieurs fois redoublez de, vive le Roy.[...] L'on y jetta aussi quelques fusées, les Trompettes & les Hautbois s'y faisant toujours entendre ; & ce qu'il y eut d'agreable, c'est qu'au bruit des Canons & au son des Violons, un grand nombre de peuple s'estant assemblé en cette place, on y dansa publiquement comme dans un Bal reglé, avec toutes les dames qui s'y presenterent sans aucune distinction. Ce fut par ces danses que la feste fut terminée bien avant dans la nuit. On admira en toute la ceremonie le zele de Fontmort, President, lequel, quoy que dans un âge avancé, fit la figure d'un jeune homme à la table, au Bal, & par tout. Le lendemain Mr Rouget de la Barbiniere, Lieutenant General, aussi distingué par son merite personnel que par l'exercice de sa Charge, regala à souper un nombre considerable des plus distinguez de la Ville, & fit ensuite allumer un feu au devant de son Hostel, où les Conviez tirerent à l'envi un grand nombre de coups de pistolet jusques à minuit, & firent encore danser autour de ce feu toutes les Femmes & Filles de toutes conditions, qui s'y presenterent, avec les violons qui avoient joüé pendant tout le repas.

En même temps plusieurs Bourgeois allumérent des feux en divers endroits, & particuliérement dans la place du Chasteau. On a oublié de remarquer que le jour du feu de joye, Mr de la Terraudiere avoit fait placer sur la porte de sa maison, un fort beau tableau du Roy, environné de lauriers, au bas duquel sur un Cartouche estoient écrits ces quatre Vers :

VOEUX
Pour Louis le Grand.

Répans, Seigneur, répans, tes benedictions,
Sur LOUIS, qui toûjours, combattit pour ta gloire.
Ce Heros fit trembler toutes les Nations,
Et vient de préferer la Paix à la Victoire.

faisant ainsi allusion à la Devise dont on a parlé : Terra tremuit & quievit.

Les Vers qui suivent & qu’un habile Musicien a mis en air, conviennent fort au sujet dont il s’agit.

Ah, qu’il est beau de vaincre sa vangeanceL’Air, Ah qu’il est beau, &c. page 71.
Quand on en peut faire éclater les traits !
LOUIS eust pû se vanger d’une offense,
Et renverser de coupables projets.
Il s’est servi de toute sa puissance
Pour procurer le retour de la Paix
Ah, qu’il est beau de vaincre sa vangeance
Quand on en peut faire éclater les traits !
images/1698-03_054.JPG

Bouts-rimez proposez pour l’année 1698 §

Mercure galant, mars 1698 [tome 3], p. 73-76.

BOUTS-RIMEZ
proposez pour l’année 1698.

Pendant que toute l’Europe se réjoüit sur la Paix que nostre genereux Monarque vient de donner, il seroit honteux aux Lanternistes de ne se pas joindre aux acclamations publiques, eux qui font uniquement profession de celebrer la gloire de LOUIS LE GRAND. Ce Heros ne brille pas moins dans le temps de la Paix que dans le temps de la Guerre. Ses vertus sont inépuisables, & si l’on peut parler ainsi, il y en a pour toutes les Saisons. Les Muses qui d’ordinaire se reposent avec les Conquerans, auront autant d’occupation à loüer un si grand Roy dans ses travaux pacifiques, qu’elles en ont eu à le suivre dans le cours rapide de ses prosperitez guerrieres. C’est à ce sujet que nostre Compagnie va renouveller son zele, en proposant des Bouts-rimez, comme elle a accoutumé de faire. La Paix semble les favoriser davantage ; ils en portent le caractere par un doux amusement, & une espece de gayeté qu’ils inspirent.

Propice, Souhaits, Bienfaits. Caprice.
Exercice, Parfaits, Attraits, Sacrifice.
Soins, Témoins, Source.
Rivaux, Course, Travaux.

Les Sonnets seront toujours accompagnez d’un Quatrain pour le Roy, & d’une Sentence. Les Auteurs mettront leur seing couvert & cacheté au bas de leurs Sonnets, ou dans une Lettre séparée, le tout sous la même envelope, & rendu franc de port chez Mr Seré, prés la Place de Roaix, à Toulouse, huit jours aprés la Saint Jean, jour de la distribution du Prix.

Ode sur la Riviere de Marly. Au Roy §

Mercure galant, mars 1698 [tome 3], p. 76-85.

Vous entendez si souvent parler de la Riviere de Marly, que vous ne serez pas fâchée d’en voir la description que je vous envoye. Elle est de Mr l’Abbé Boutard, qui l’a d’abord faite en Vers Latins, en quoy il excelle, & qui l’a ensuite traduite en nostre Langue. On ne peut avoir plus d’applaudissemens que cet Abbé en a receu du Roy & de toute la Cour, sur cet Ouvrage.

ODE
SUR LA RIVIERE
DE MARLY.
AU ROY.

Ambitieuses Naïades,
Qui regnez dans ces beaux lieux,
Par vos brillantes Cascades
Cessez d’enchanter mes yeux.
Cessez d’occuper ma Lyre :
À la Seine qui m’inspire,
Je veux consacrer mes Vers ;
Et celebrer la puissance
De l’Hercule de la France,
Qui l’éléve dans les airs.
***
Par une énorme 3 Machine
Forcé de changer son cours,
Le Fleuve monte & domine
Sur les plus superbes Tours.
Mais des Cieux quittant la voûte,
D’un Roy qui regle sa route,
Il suit l’ordre souverain ;
Et dans le fer qui l’enchaîne,
Tel qu’Alphée, il se proméne
Par un chemin souterrain.
***
Quand d’une Montagne aride
L’Onde sort à gros boüillons,
J’admire un argent liquide
Qui rejallit des sillons.
Le sein de la Terre enfante
Une 4 moisson plus brillante
Que les épies de Cerés.
Déja les vagues superbes
Grossissent comme les Gerbes,
Que produisent nos guerets.
***
De ses gazons dépoüillée
La Colline offre son dos,
Et sur la roche taillée
Reçoit l’écume des flots.
Dans cette route prescrite.
La Seine se précipite.
Tel le Nil majestueux,
Sur les prochaines Campagnes,
Roule du haut des Montagnes
Ses torrens impetueux.
***
Il semble que la Nature
Sur le penchant du Côteau
Dresse parmy la verdure,
Une riche 5 Theatre d’eau :
Où s’élevant par étage
Les Ormeaux de leur feüillage
Etalent les ornemens ;
Où la Nymphe ingenieuse
D’une scene ambitieuse
Forme les enchantemens.
***
Là suspenduë elle admire
Ces Jardins délicieux,
Où Flore tient son Empire,
Où se rassemblent les Dieux.
Elle y voit créer les arbres,
Les moissons de fleurs, les marbres
Dont ses yeux sont ébloüis :
Et croit que ces beaux spectacles
Sont les étonnans miracles,
Ou des Dieux, ou de Louis.
***
Elle paroist plus contente
Dans ces Vallons enchantez,
Que de marcher triomphante
Dans 6 la Reine des Citez :
Que de voir ces murs antiques,
Ces augustes Basiliques
Sieges des Arts, & des Loix ;
Et cent monumens de gloire,
Que la Paix & la Victoire
Ont consacrez à nos Rois.
***
Là du plus grand Roy du monde
Tu secondes les desirs,
Là tu fais servir ton onde
À ses innocens plaisirs.
Soit que les eaux souteraines,
Se transformant en Fontaines,
Animent ces bois fleuris,
Soit que dans l’air suspenduës,
Elles imitent les nuës,
Et les couleurs de l’Iris.
***
Mais ta liqueur argentine
Offre à mes yeux plus d’appas,
Quand du haut de la Colline
Elle descend à grands pas.
Jamais le limon, l’arene,
Ny des vents la froide haleine
Ne trouble ton pur cristal.
Une lumineuse glace
Semble couvrir la surface
De ton superbe Canal.
***
Le Soleil sur ton rivage
Se repose pour te voir,
Et retrace 7 son image
Dans ton liquide miroir.
Là cet Astre aime à paroistre,
Tel que Thetis le voit naistre
De l’humide sein des Mers,
Lors qu’il ouvre sa carriere,
Et partage sa lumiere
Aux peuples de l’Univers.
***
O Seine trop fortunée,
Qui des rayons du Soleil
Es richement couronnée,
Triomphe en cet appareil.
Toutes les Nymphes sans peine
Te reconnoissent pour Reine,
Et par le bruit des Ruisseaux
Que tant de 8 Monstres vomissent,
On diroit qu’ils applaudissent
À la Déesse des Eaux.
***
Le Gange, l’Inde & le Tage,
Qui roulent l’or sur leurs bords,
N’ont plus sur toy l’avantage
Par l’éclat de leurs tresors
Le Roy des Fleuves luy-même
Orné de son Diadême
L’Eridan est moins pompeux,
Et dans la Voute azurée
Jamais sa teste dorée
Ne brilla de tant de feux.
***
Fidelle dépositaire
Du brillant Flambeau du jour,
C’est toy, de qui l’onde éclaire
Ce délicieux séjour.
Là du pere de l’Aurore,
Sur les richesses de Flore,
Ton cristal répand les traits.
Les vifs rayons qu’il renvoye,
Et de lumiere & de joye
Remplissent tout le Palais.
***
Mais tu dois estre plus fiere
Des honneurs dont tu joüis,
Tu plais, heureuse Riviere,
Moins au Soleil qu’à LOUIS.
Dés qu’en étouffant la Guerre,
Cet Arbitre de la Terre
A terminé ses travaux :
Le front couronné d’Olive,
Il vient goûter sur ta rive
Les doux charmes du Repos.

[Lettre contenant plusieurs nouvelles] §

Mercure galant, mars 1698 [tome 3], p. 85-92.

La Lettre que vous allez lire contient diverses Nouvelles que vous ne serez pas fâchée d'apprendre.

 

À MONSIEUR ***

 

Je suis bien glorieux, Monsieur, d'avoir à vous mander quelque chose qui puisse vous donner une bonne idée du goust que l'on commence à avoir en Portugal pour les Sciences, & de l'honneur qu'on rend à ceux que l'on appelle Sçavans. Il est mort au Bresil il y a cinq ou six mois un Jesuite, nommé le Pere Antoine Vieyra. [...] Jeudy dernier 19. de ce mois, la ceremonie s'en fit dans l'Eglise des Jesuites de Saint Roch, choisie pour ce dessein. [...] [La cérémonie] fut ouverte par l'Office des Morts que chanta la Musique de la Chapelle du Roy. Ensuite l'Evêque d'Illaria celebra la Messe, à la fin de laquelle Dom Manuel Cajetan, homme de condition, Religieux Theatin, prononça une Oraison Funebre, qui répondit fort au merite & à l'érudition de celuy de qui l'on honoroit la memoire.

[Prix proposez] §

Mercure galant, mars 1698 [tome 3], p. 117-123.

 

Jamais il n’y eut tant d’ardeur pour les belles Lettres. Elle doit estre grande, puis qu’on propose des Prix de tous costez pour les Ouvrages d’esprit. C’est ce que vous connoistrez par le Programme qu’une Societté de Toulouse vient de publier. En voicy les termes.

PRIX PROPOSEZ.

La Societé des belles Lettres formée de plusieurs personnes depuis long-temps apliquées aux exercice d’esprit, sent redoubler le zele, que la Paix doit inspirer à tous ceux qui ont du bon goût pour l’avancement des Sciences & des Arts. Elle estoit convaincuë par son experience, qu’il n’y a point de moyen plus propre à réveiller l’émulation, que celui de distribuer des prix. C’est dans cette veuë, qu’appliquée à rechercher le goût le plus general du siécle, elle découvre de nouvelles voyes pour le satisfaire. La Traduction des meilleurs Ouvrages de l’Antiquité, l’Histoire des Nations, les vies des grands Hommes, & les découvertes enfin des Problemes de la Physique, & des Mathematiques également utiles pour perfectionner les Sciences & les Arts ; toutes ces matieres qui font l’occupation de tant de celebres Ecrivains, luy fournissent de grands sujets pour ses Prix. Elle en donnera trois. Le premier sera pour la traduction Françoise d’une des Oraisons de Ciceron marquées ensuite, & dont elle laisse le choix aux pretendans. Ces sujets seront les quatre Catilinaires, les trois premieres Philippiques, les Oraisons, pour Dejotarus, pour Milon pour Marcellus, pour Ligarius, & pour la loy Manilia. Le second Prix sera ajugé à celuy qui fera avec plus de justesse le recit historique de la conjuration des Pazzi de Florence. Et le troisiéme, sera distribué à celuy qui montrera avec le plus de solidité quelle est la veritable cause de la chûte des corps pesans. Le premier prix, qui est une Medaille d’Or de la valeur de dix à douze Loüis, ne sera distribué que le jour de Loüis de l’année prochaine 1699. afin de donner le temps aux Auteurs de polir leurs Ouvrages. Les autres prix, qui sont des Medailles d’Argent, seront distribuez cette année 1698. Ces Medailles representent d’un côté une Pallas qui donne un prix, & de l’autre des Rayons de Miel avec ces paroles, condîta labore, qui en sont l’ame. Cette devise est aussi celle de la Compagnie qui a pris le nom de Societé des belles Lettres ; nom qui n’a rien d’ambitieux, mais qui fait parfaitement connoistre son inclination & son genie. Ceux qui auront travaillé pour les prix, envoyeront les pieces chez Mr Martel, logé dans la Paroisse saint Sernin prés des Religieuses de la Visitation. Ils accompagneront leurs Ouvrages d’une Sentence écrite de leur main & de leur paraphe ; mais s’ils ne peuvent pas assister à la distribution des Prix, ils envoyeront une copie de leurs Ouvrages avec la Sentence dont ils auront fait le choix, & leur paraphe à ceux qu’ils auront priez de les venir recevoir. La Compagnie ne recevra des Pieces que jusqu’au 25. du mois de Juillet. Elle en fera ensuite la distribution le 25. du mois d’Aoust, dans la maison de Mr de Mondran, où elle fait ses exercices ordinaires ; & si c’est inviter par son exemple le Public à travailler, que de promettre de donner tous les ans un Recueil de diverses Pieces d’esprit, elle le fait, afin que l’experience qui luy aura fait sentir combien il coûte à polir des Ouvrages, l’accoutume à estre indulgent pour ceux d’autruy, s’ils ne sont pas sans défaut, & en même temps équitable dans ses jugemens.

[Réjouissances faites par les Peres de la Doctrine Chrestienne de Toulouse] §

Mercure galant, mars 1698 [tome 3], p. 123-136.

Si la Ville de Toulouse se distingue par les diverses Compagnies de gens de Lettres qui s'y sont formées, elle ne le fait pas moins dans toutes les occasions qui s'offrent de marquer son zele pour son Souverain. Ainsi vous jugez bien que les réjoüissances y ont esté grandes pour la Paix. Il s'y en fait de particulieres par les Peres de la Doctrine Chrestienne du College de l'Esquille, dont vous trouverez les circonstances dans la Lettre que vous allez lire.

 

À MONSIEUR ***

 

MONSIEUR,

On vous a fort parlé, me dites-vous, des réjoüissances que les Peres de la Doctrine Chrestienne du College de l'Esquille de Toulouse viennent de faire pour la Paix, & vous souhaitez d'en apprendre le détail. Il est juste de vous contenter. La chose est digne de votre curiosité. Ces Peres ont fait paroistre dans cette occasion tout le zele possible pour la gloire du Roy. C'est une feste de trois jours qu'ils viennent de celebrer. [...]

Le second jour, septiéme de Février, le R. P. Vayssiere fit representer une Piece de Theatre, dont le Heros estoit Achille. Elle estoit allegorique, aussi bien que les Balets dont elle estoit ornée, & l'on y pouvoit remarquer une Paix souhaitée avec empressement, recherchée avec ardeur, & celebrée avec joye dans le Palais du Roy Lycomede. Elle fut accompagnée d'intermedes, qui firent en partie récitez, & en partie chantez. Le sujet en estoit l'Heresie bannie pour toujours de la France par le retour de la Paix. On n'y avoit pas oublié le Mariage de Monseigneur le Duc de Bourgogne ; & il auroit esté malaisé de le faire dans une Piece destinée à chanter une Paix, avec laquelle on sçait assez qu'il a des rapports si necessaires. Ce fut dans l'Hostel de Ville qu'elle fut representée. L'assemblée fut encore plus belle ce jour-là que le premier. Le Parlement y assista. Il y eut un grand concours de Dames de la premiere qualité. Mrs les Capitouls toujours zelez pour les interests de Sa Majesté, ne manquerent pas aussi de s'y trouver. Enfin chacun s'empressa d'assister à un spectacle consacré à la gloire du Roy ; & l'on ne comprit jamais mieux le plaisir extrême que ceux de Toulouse ont d'entendre les loüanges d'un si grand Prince. La Piece eut tout le succés qu'on avoit esperé. L'assemblée se retira fort satisfaite de l'Auteur & des Acteurs, & l'on ne se plaignit que de la trop grande foule. La Musique fut trouvée d'un goust merveilleux. Elle estoit de la composition de Mr Aphroidize, Maistre de Musique du Chapitre de S. Sernin.

[Autres réjouissances faites en plusieurs endroits de la Bourgogne] §

Mercure galant, mars 1698 [tome 3], p. 156-162.

 

Les Riceys, qui sont trois Bourgs au commencement de la Bourgogne, situez dans une belle vallée entre Bar sur Seine, Mussy-Levêque, Tonnerre, & Chastillon sur Seine, assez connus par leurs Vignobles, se sont distinguez dans leurs réjoüissances, mais particulierement celuy qui porte le nom de Ricey-le-Bas, fit un feu de joye le 9. du mois passé, qui attira l'applaudissement d'un nombre infini de spectateurs. [...]

Cela se fit à l'issuë du Te Deum qui fut chanté dans l'Eglise du lieu, où assisterent tous les Habitans au bruit de la mousqueterie, du carillon des cloches, qui sont en grand nombre ; & fort agreables, & au bruit des Orgues, Hautbois & Violons, avec des Fifres & plusieurs Tambours, le fameux Joüeur de Hautbois, qui a si souvent joüé devant le Roy & Monseigneur, s'y estant aussi trouvé. Ensuite le Capitaine donna un grand repas à toute la jeunesse, où le vin ne fut pas épargné. Le Lieutenant du lieu regala aussi tous les Officiers du Bailliage, & chacun à l'envi donna des marques de la joye qu'il ressentoit.

[Autres faites à Nogent le Rotrou] §

Mercure galant, mars 1698 [tome 3], p. 162-165.

 

Nogent le Rotrou, Province du Perche, Generalité d'Alençon, quoy que Bourg seulement, mais le plus grand du Royaume, marqua son zele le 25. de Janvier. La Cavalcade du Maire & des Echevins, accompagnez de trois Herauts & de deux cens cinquante des principaux Bourgeois à cheval, avec des Trompettes, Timbales & Fifres, pour la publication de la Paix, fut magnifique. Le lendemain 26. le Te Deum fut chanté en action de graces dans l'Eglise Collegiale de Saint Jean, où assisterent les Officiers de l'Hostel de Ville, la meilleure partie de la Bourgeoisie au nombre de 800. hommes sous les armes. Ensuite le Maire alluma le feu dans la place devant l'Hostel de Ville, & la Bourgeoisie y fut regalée de vin. La nuit parut éclairée par un nombre infini d'illuminations ; ce qui fut suivi d'un magnifique repas donné aux hommes de distinction au nombre de quarante-deux, à une table en forme de fer à cheval. Les Pauvres du lieu se sentirent de la feste par la distribution qui leur fut faite de plusieurs vivres le même jour, & le lendemain on donna le Bal & un repas ambigu aux Dames, qui ne fut pas moindre que celuy des hommes.

[Entrée de Mr l’Evesque de Metz] §

Mercure galant, mars 1698 [tome 3], p. 168-173.

Le 16. du mois passé, Mr L’Abbé de Coislin, Evêque de Metz, & premier Aumônier du Roy, fils de Mr le Duc de Coislin & neveu du Cardinal de ce nom, arriva à Metz, & quoi qu’il eust fait pour y arriver incognito, afin d’éviter toutes les ceremonies d’une Entrée, il trouva neantmoins à une lieuë de la Ville, tous les Chanoines du Chapitre en Surplis & en Aumusses. En entrant dans la Ville, il fut salué de tous les Canons de la Citadelle, toute la Garnison estant sous les armes. Le lendemain il prit possession de son Evêché. Il fit un tres beau discours en Latin, & donna ensuite un magnifique Repas â quarante Chanoines, ce qui fut suivi d’une distribution de deux mille livres aux Pauvres. Mr Lambert de S. Pierre, Avocat au Parlement, & Secretaire de Mr le premier President de Metz, a fait sur ce sujet les Vers suivans, que l’on a trouvez tres-beaux.

À Mr L’Evêque de Metz.

Enfin Metz vous possede, & ces peuples heureux
Ont sçû rendre le Ciel favorable à leurs vœux,
Vos vertus, dont le bruit remplit la France entiere,
Vont répandre à nos yeux leur plus vive lumiere,
Issu de ce Heros, dont la noble valeur
De l’Etat tant de fois releva la splendeur,
Que les Arts rétablis, la Justice, Bellonne,
Ont ceint si justement d’une triple Couronne.
Quels que soient ces Heros, vous les surpassez tous,
Ce qu’en eux on a vû se réunit en vous.
Que si vous n’allez pas, plein d’une ardeur guerriere,
Vous couvrir dans un camp d’une noble poussiere,
Soldat de JESUS CHRIST, Pasteur de son Troupeau,
Vous brillez d’un éclat plus durable & plus beau.
En vain les voluptez avec leurs artifices
À vôtre ame innocente offrirent leurs délices.
En vain l’ambition avec des traits flateurs
Dés vos plus tendres ans vous peignit les grandeurs.
Du Dieu que vous aimez une grace invincible
Vous fit à leurs appas un cœur inaccessible,
Et vous fit mépriser tous ces amusemens
Qui détournent toûjours les meilleurs sentimens.
Au lieu du vain orguëil, de la molle indolence,
Qui de nos cœurs soüillez corrompoient l’innocence,
Sous ce sage Prélat nous verrons desormais
Regner la sainteté, la ferveur & la paix,
De l’Enfer indigné tout l’effort inutile,
Et le vice éperdu ne trouve point d’azile.
Je vois déja son peuple attentif à sa voix
D’un Dieu crucifié suivre les saintes Loix,
Charmé de ses vertus, de sa vive éloquence
Au lieu des faux plaisirs chercher la penitence.
Vous qui du haut des Cieux conduisez nôtre sort,
Qui tenez en vos mains & la vie & la mort,
Ne nous faites jamais sentir vôtre colere
Jusqu’à nous enlever une tête si chere ;
Que d’un Oncle zelé fidelle imitateur,
Son mérite l’éleve au comble de l’honneur,
Qu’aprés avoir véçu plein de gloire & d’années,
Ses vertus dans le Ciel soient enfin couronnées.

Air nouveau §

Mercure galant, mars 1698 [tome 3], p. 182-184.

Les Vers de l'Air nouveau que vous trouverez icy gravé, sont de Mademoiselle d'Alerac de la Charce, de la Tour du Pin, & ils ont esté notez par Mr l'Abbé de Poissy, qui devient fort à la mode, non seulement pour la Musique, qu'il ne fait que dans le dessein de se divertir, mais encore pour tous ses Ouvrages d'esprit, qui sont extremement estimez dans le beau monde.

AIR NOUVEAU.

L’Air, Terrible Mars, &c. page 183.
Terrible Mars, fiere Bellone,
Vous laissez conclure la Paix,
Qu'est-ce qui vous étonne ?
Pourquoy tout l'Univers ne sent il pas vos traits ?
Vous avez fait perir mon agreable Alcandre,
Pour moy la Paix n'est plus un bien.
Pour tous les pleurs que l'on me voit repandre
Voicy de vous ce que j'oze pretendre,
C'est de voir tous les cœurs souffrir comme le mien.
images/1698-03_182.JPG

[Histoire] §

Mercure galant, mars 1698 [tome 3], p. 189-221.

À quelque chose malheur est bon. L’avanture dont je vais vous faire part justifiera ce proverbe. Une jeune Demoiselle, toute aimable par son esprit & par son humeur, & aussi comblée de graces du costé de la nature, que la fortune s’en étoit montrée avare pour elle, vivoit avec une Mere qui l’aimant fort tendrement, se privoit de toutes choses pour avoir de quoy fournir à la dépense que fait une Fille qui est en âge de paroistre dans le monde. Comme elle estoit d’une beauté vive & éclatante, le moindre ornement la faisoit briller, & le soin qu’on avoit eu de cultiver sa voix, qu’elle avoit fort belle, & de luy faire apprendre à toucher le Clavessin, luy donnoit des avantages qui luy attiroient quantité d’Adorateurs. La Mere les recevoit agréablement, dans l’esperance que quelqu’un d’entre-eux seroit assez touché de ses charmes pour la vouloir épouser ; mais le Mariage estant un engagement trop important pour s’y résoudre sans y avoir fait de longues reflexions, le manque de bien dans la Demoiselle, estoit un défaut qui éloignoit les plus empressez, sitost qu’on leur demandoit un peu sérieusement quel estoit le but de leurs assiduitez. Le mauvais estat des affaires de la Belle, qui avoit fait naistre en eux les injustes esperances d’un agreable & frivole amusement, s’ils marquoient avoir l’ame liberale, leur faisoit envisager sa beauté comme un bien qui periroit avec le brillant de sa jeunesse, & qui n’ayant aucune solidité, ne pouvoit qu’estre préjudiciable à leur fortune ; & la rigide vertu qu’elle opposoit à leurs protestations, quand elles estoient accompagnées d’offres qui pouvoient blesser sa gloire, détruisant ses esperances, ils se retiroient d’eux-mêmes d’un lieu tout rempli de charmes pour eux, mais où il falloit se déclarer si l’on aspiroit à de frequentes visites. Cette loy n’eut rien de rebutant pour un jeune Cavalier, qui n’eut pas si-tost rendu ses premiers soins à la Belle, qu’il en devint éperdûment amoureux. Il estoit bien fait, plus sage à vingt ans que la pluspart ne le sont à trente, d’une humeur fort douce, & propre au dessein qu’avoient la Mere & la Fille de trouver un Epouseur, mais il avoit un défaut qui ne laissoit pas de les effrayer. C’est qu’il dépendoit d’un Pere severe, qui estant fort riche, ne leur donnoit pas sujet de croire qu’il dust consentir à l’engagement qu’il pourroit prendre. La Belle qui se sentit d’abord prévenue pour luy par un panchant qu’elle avoit peine à combattre, pria sa Mere de ne le point recevoir chez elle, pour éviter l’embarras où elle jugeoit qu’il pourroit mettre son cœur. Elle affecta mesme des manieres froides avec luy, afin de le détourner d’une passion dont elle craignoit les suites. Cette froideur ne servit qu’à l’enflâmer davantage, & pour l’obliger à n’estre pas insensible aux vœux qu’il luy adressoit, il luy offrit les plus fortes assurances qu’elle pourroit exiger de luy, pour la convaincre qu’il l’aimoit parfaitement. La Belle luy répondit qu’elle le croyoit trop éclairé pour ignorer que le mariage estoit la seule qu’elle pouvoit recevoir ; qu’elle étoit persuadée que s’il estoit maistre de luy-même, il ne balanceroit point à luy faire part de sa fortune ; mais que dépendant d’un Pere plein d’ambition & fort absolu, il se flatoit inutilement, s’il esperoit luy pouvoir faire agréer une recherche où l’inégalité du bien mettoit des obstacles invincibles ; qu’ainsi le meilleur conseil qu’elle pouvoit luy donner, estoit qu’il tâchast de vaincre une passion qui ne pouvoit que luy attirer l’indignation de sa Famille, & qu’afin qu’elle n’eust rien à se reprocher à elle-même, elle le prioit de ne la plus voir, puis qu’aussi bien son attachement ne pouvoit servir qu’à donner lieu à de mauvais contes, & à troubler son repos. Ce conseil estoit prudent, & la raison faisoit voir que c’estoit le seul qu’il falloit suivre, mais dequoy est-on capable, quand l’amour a commencé à estre maître du cœur ? Non seulement le Cavalier trop épris ne s’en put accommoder, mais la Belle n’auroit pas esté contente s’il eût esté assez sage pour chercher à s’en servir. Ils s’abandonnerent l’un & l’autre à leur panchant, & ne purent résister à la douceur qu’ils trouverent à se jurer qu’ils s’aimeroient éternellement. Ils ne voyoient pas à quoy cette passion devoit aboutir, mais ils regardoient comme le plus grand des maux la necessité d’y renoncer, & ne pouvant s’y résoudre, ils attendoient, sans rien esperer de favorable, ce que le Ciel ordonneroit de leur destinée. Le Cavalier qui ne songeoit qu’aux moyens de se rendre heureux avec la Belle, avoit un Ami qui voyoit son Pere assez familiérement, & qui avoit grand pouvoir sur son esprit. Il le mena chez la Belle, & cet Ami luy trouva tant de merite, qu’ébloüi d’ailleurs de sa beauté, il ne put blâmer l’amour qu’il avoit pour elle. Ainsi il entra dans la confidence de l’un & de l’autre, sur tout ce qu’ils ressentoient de tendresse reciproque. Le desir qu’il eut de leur estre utile, luy fit accepter la commission de voir, sans rien découvrir, si le pere avare aimeroit assez son fils, pour luy laisser faire un choix qui pust contenter son cœur sans aucun égard à la fortune. Il le trouva entierement éloigné de ce sentiment. L’amour du bien qui le possedoit l’avoit obligé de jetter les yeux sur une riche Heritiere, qui n’avoit encore que douze à treize ans, & il estoit demeuré d’accord avec son Tuteur, qu’il luy feroit épouser son fils sitôt qu’elle en auroit quinze. Ce mariage arrêté en quelque sorte, affligea beaucoup la Belle, qui pria tout de nouveau son Amant de ne la plus voir, puisqu’on l’avoit destiné ailleurs, & qu’il n’y avoit pas d’apparence qu’il pût résister aux ordres pressans qu’on luy donneroit, pour luy faire exécuter ce que l’on avoit arrêté sans luy, avec des avantages tres considerables. Ce n’estoit point sans raison que la Belle s’alarmoit. Elle poussa si loin ses inquiétudes, que le Cavalier ne la pouvant rassûrer par ses sermens, offrit de l’épouser en secret, pour se mettre hors d’état d’estre vaincu par tout ce que pourroit employer son Pere, pour l’obliger à effectuer le mariage qu’il avoit conclu avec le Tuteur de l’Heritiere. Le Cavalier, quoi que jeune, estoit connu pour un homme incapable de faire une lâcheté, & la Belle ayant consulté sa Mere sur ce qu’il luy proposoit, crut ne rien hazarder en y consentant, qu’une vie un peu contrainte par le secret qu’il faudroit garder, jusqu’à ce qu’on pût le rompre avec quelque sûreté. On signa un Contrat de mariage, & il fut fait en presence de l’Amy qu’on fut bien aise d’y voir servir de témoin. On ne sçauroit exprimer la joye que goûterent la Belle & le Cavalier dans la parfaite union où ils vécurent. Le nom d’Epoux ne leur ostoit point celuy d’Amans, & les mesures qu’ils estoient contraints de prendre, pour cacher aux yeux du monde ce qui n’auroit pû estre découvert, sans que cette connoissance leur eût attiré les plus fâcheux embarras, leur faisoient trouver dans leurs entrevûës mille & mille charmes, qui sont inconnus à ceux qu’une entière liberté laisse en état de n’avoir point de desirs à faire. Ils ne perdoient aucune occasion de passer les jours ensemble, mais quoy qu’ils se vissent le plus souvent qu’ils pouvoient, ce n’estoit jamais assez pour contenter leur amour. Le Cavalier tiroit de son Pere dequoy soustenir une dépense proportionnée au bien qu’il avoit, & comme il donnoit beaucoup à la Belle, si elle ne se voyoit pas dans la fortune éclatante dont elle eust joüi si son Mariage eût eu le consentement qui luy manquoit, elle trouvoit beaucoup d’adoucissement dans sa fortune, depuis qu’il avoit commencé d’en prendre soin. Ils passerent deux ans de cette sorte, leur tendresse l’un pour l’autre augmentant de jour en jour, lorsque le Pere fit connoître sa volonté à son Fils sur l’alliance de l’Heritiere. Elle avoit quinze ans, & son Tuteur qui estoit sollicité pour d’autres Partis, vouloit se tirer d’affaires. La Belle fut fort alarmée des efforts qu’on fit pour persuader le Cavalier. On ajoûta les menaces aux priéres, & la chose luy devant être fort avantageuse, & pour la naissance & pour le bien, il ne trouva d’excuse auprés de son Pere, qui parloit d’un ton fort absolu, que sur la laideur de l’Heritiere. Il luy fit répresenter, que s’il ne luy vouloit pas permettre de se marier selon son cœur, au moins il pouvoit esperer de sa bonté qu’il ne le forceroit pas à prendre pour femme, une personne qu’il sentoit bien que jamais il n’aimeroit ; que l’autorité des Peres avoit des bornes, quand il s’agissoit de rendre un Fils malheureux, & que si par respect pour luy il étoufoit toutes les pensées qu’il pourroit avoir de faire un choix qui satisfist ses desirs, il n’estoit pas juste qu’on l’assujettit à en faire un, dont il auroit à se repentir toute sa vie. Ces raisons furent repetées au Pere, & si souvent, & avec tant de force, qu’il fut enfin contraint de se rendre. L’Heritiere fut mariée à un autre, & le refus que le Cavalier en avoit fait, convainquit si bien la Belle de la pureté de son amour, que se tenant assurée qu’il ne finiroit jamais, elle avoüoit que rien ne manquoit à son bonheur. Mais qu’y a t-il de certain, ou qui dure dans la vie ? La Belle estoit tendrement aimée, & elle avoit lieu de croire que le Cavalier aidé du temps, feroit agréer son mariage, ou que la mort de son Pere le mettroit en liberté de le pouvoir déclarer. De si belles esperances furent détruites presque en un moment. Cet Epoux qu’elle aimoit plus qu’elle mesme, & qu’elle avoit tant de lieu d’aimer, se trouva tout à coup surpris d’un mal qui luy ôta la parole, & pendant six heures qu’il dura, il parut ne reprendre connoissance qu’à la veuë de son Ami qui accourut sur la nouvelle de cet accident. Il luy serra fortement la main, comme pour le prier d’avoir soin de la charmante personne qu’il estoit contraint d’abandonner, & que sa mort qui suivit mit dans un état qu’il est impossible de dépeindre. Elle demeura plusieurs jours comme stupide, & on peut dire qu’on ne meurt point de douleur, puisqu’elle n’en mourut pas. On délibera si elle se déclareroit Veuve en produisant son Contrat de Mariage, mais il fut jugé que ce seroit inutilement. Ce Mariage ayant esté fait sans les formalitez necessaires, il n’y avoit aucune apparence qu’on y dust avoir égard, & quand le défaut de l’âge ne s’y seroit pas trouvé du côté du Cavalier, son Pere dont on n’avoit pas eu le consentement, estoit si puissant que l’entreprise n’auroit eu aucun succés. Ainsi la Belle se vit obligée de dévorer son chagrin, sans faire connoître qu’elle perdoit plus que son Ami dans celuy qu’elle pleuroit. Elle avoit raison d’estre affligée. Mais quel surcroist de douleur pour elle, lorsque peu de jours aprés sa mort, elle s’apperçut qu’elle estoit grosse ! Ce fut un accablement qu’il n’est pas aisé de se figurer. Quel conseil prendre dans une extremité si fâcheuse ? Laisser éclater la chose, c’estoit renoncer à sa réputation. Elle eust eu beau, pour justifier son innocence, prendre l’excuse d’un mariage secret ; le public toûjours rigoureux & mal intentionné, auroit regardé son engagement comme illegitime & condamné par les Loix, & son avanture publiée par elle-mesme, sans esperance d’en retirer aucun fruit, auroit servi de risée à toutes celles à qui son merite & sa beauté donnoient de l’envie. La Mere & la Fille prirent avis de l’Ami que le Cavalier leur avoit donné, & qui sçavoit de quelle maniere les choses s’estoient passées. Le parti de s’éloigner fut le seul qu’il trouva propre à les tirer de tout embaras, & il se chargea du soin de leur procurer une retraite où le secret leur seroit gardé. Il avoit une liaison particuliere avec un vieux Marquis des plus opulens, qui demeuroit ordinairement à cinquante lieuës delà, dans une fort belle Terre accompagnée d’un Château, où elles pourroient se tenir cachées aussi long temps qu’il seroit besoin, sans que personne pût découvrir en quel lieu elles seroient. Il estoit venu à Paris pour quelques affaires, & on pouvoit luy confier les plus importants secrets en toute assurance. La Mere & la Fille accepterent l’offre, & deux jours aprés l’Ami commun amena le vieux Marquis. C’estoit un homme assez peu poli, qui ayant passé grand nombre d’années sur la mer, & dans des Pays fort éloignez, avoit contracté quelque chose de grossier qui pouvoit déplaire aux gens délicats ; mais dans le fond, il avoit le cœur fort bon, & toute la droiture qui fait le veritable honneste homme. Le manque de bien l’avoit obligé à courir les mers, & il avoit esté si heureux qu’il en estoit revenu avec deux cens mille écus, gagnez dans ses longues courses. Il parut touché du malheureux estat de la Belle, mais il le fut encore plus de sa beauté, & de ce je ne sçais quoy qui engage les cœurs des plus sauvages. Il luy promit toute sorte de secours, & ne la quitta qu’aprés l’avoir assurée à differentes reprises, qu’elle seroit maîtresse chez luy, & qu’il prendroit toutes sortes de mesures pour tenir secret, ce qu’elle avoit tant d’interêt de cacher. Le lendemain l’Ami leur vint faire une proposition qui surprit également la Mere & la Fille. Le Marquis offroit d’épouser la Belle, & d’adopter l’enfant qu’elle devoit mettre au monde. Il avoit sujet de haïr ses heritiers, & comme il pouvoit disposer de tout son bien, parce que c’estoit un bien d’acquisition qui ne venoit point de son patrimoine, il lui étoit permis d’en gratifier t’elle personne qu’il voudroit choisir. Il avoit une passion inconcevable de s’entendre nommer Pere, mais certains accidens qu’il n’avoit pû éviter, l’avoient mis hors d’état d’avoir lignée, & il ne pouvoit satisfaire son envie que par un Enfant d’emprunt. L’occasion luy paroissoit favorable. La Belle estoit tombée dans le plus grand des malheurs, sans que sa vertu eust esté blessée, & en s’acquerant une compagne avec qui passer agreablement le reste de ses années, il avoit la joye de mettre dans un état florissant la femme du monde qui luy paroissoit en estre plus digne. D’ailleurs il estoit seur d’avoir un Enfant que tout le monde croiroit à luy, & qui le croiroit luy-mesme son Pere. La Belle trembla à la proposition. La grande disproportion de l’âge jointe au vif chagrin que luy causoit la perte qu’elle avoit faite, la laissoit peu en état de l’écouter, mais elle avoit un Enfant à mettre au monde, & cet Enfant dont il falloit qu’elle accouchast avec un fort grand secret si elle vouloit sauver son honneur, ne pouvoit estre que tres-malheureux si elle n’acceptoit pas ce qui luy estoit offert contre toute sorte d’esperance. Ainsi l’affaire ne se pouvant reculer par bien des raisons, elle se rendit au conseil de son Amy, & aux persuasions de sa Mere qu’elle pouvoit rendre heureuse, en luy faisant part de la fortune où on l’appelloit. Tous ses Amis la feliciterent sur son bonheur d’avoir trouvé un homme si riche, & le Mariage n’eut pas esté plûtost fait, que le Marquis la mena dans son Château, où elle fut visitée de toute la Noblesse des environs. Il n’y eut personne qu’elle ne charmast par ses manieres douces & insinuantes, & le temps où elle devoit accoucher approchant, elle feignit une cheute, pour faire dire que son Enfant estoit venu à sept mois. Rien ne luy manque pour se pouvoir croire pleinement heureuse, & si elle pouvoit oublier le Cavalier dont elle s’est veuë aimée si tendrement, aucun estat ne seroit préferable au sien. Du moins si elle ne peut se l’ôter du cœur elle cache au vieux Marquis ce qu’elle souffre par là, & remplit si bien tous ses devoirs qu’il ne se peut rien ajoûter à la complaisance qu’elle a pour luy dans toutes les choses qu’il souhaite d’elle.

[Buste du Roy élevé à Rieux] §

Mercure galant, mars 1698 [tome 3], p. 229-237.

 

Le Maire & les Consuls, aprés avoir fait assembler le Conseil de Ville, destinerent le Dimanche 9e. de Février, pour faire la publication de la Paix. Tous les Peuples des environs en furent avertis la veille par plusieurs décharges d'Artillerie, & par le Carillon des Cloches de la Cathedrale, si renommé à cause de la diversité des airs & de la justesse de son harmonie. Tous les Artisans & les Bourgeois de la Ville se mirent le lendemain sous les armes. Les Artisans s’assemblerent devant la maison du Colonel, & les Bourgeois qui composent le Conseil de Ville au Preau, qui est hors la Ville. Les Artisans s’y rendirent ensuite, marchant en tres-bon ordre, & chacun se faisant remarquer par la propreté de son habit, orné des plus beaux rubans. Toutes les Troupes commencerent à défiler sur les deux heures ; l'Infanterie marchant la premiere quatre à quatre avec ses Officiers & le Colonel à la tête, au bruit d'un grand nombre de Tambours, de Hautbois & des Fifres. La Cavalerie suivoit en bel ordre au son des Trompettes, le Major & les Officiers à la tête, suivis du Maire de la Ville, revêtu de sa robe de ceremonie, des Consuls avec leurs robes Consulaires, & du reste de la Bourgeoisie à cheval. Ils estoient tous montez sur de beaux chevaux couverts de superbes harnois, & portoient des habits magnifiques avec des coccardes bleuës uniformes. Ce fut dans cet ordre qu'ils parcoururent plusieurs fois la Ville, & qu'ils se rendirent devant l'Eglise Cathedrale où le Te Deum fût chanté, Mr l'Evêque Officiant pontificalement. Cette action de graces fut accompagnée de plusieurs décharges d'Artillerie & de Mousqueterie, & du bruit des Tambours, des Trompettes & des Hautbois. Au sortir de cette ceremonie, les troupes s'avancerent vers la porte de la Ville, sur laquelle le Buste estoit placé & couvert. L'infanterie prit la droite, & la Cavalerie la gauche. On avoit placé vis-à-vis sur une éminence plusieurs pièces d'Artillerie qui repondoient à celles de Tours de l'Evéché, qui suivies de plusieurs décharges de la Mousqueterie, saluërent ainsi, au bruit de mille acclamations de tout le peuple, de Vive le Roy, la Figure de ce Prince aussitôt qu'elle fut découverte. L'affluence du peuple des environs y fut extraordinaire, & l'on ne vit jamais une joye si generale. Les troupes s'en retournerent dans le mesme ordre qu'elles estoient venuës, & s'estant rangées en haye de chaque côté devant l'Eglise Cathedrale, où le bucher avoit esté preparé, il fut allumé par le Maire aux cris reïterez de Vive le Roy, au bruit & aux fanfares des Tambours, des Trompettes, & des Hautbois, & des décharges d'Artillerie & de Mousqueterie. Elles défilerent ensuite le sabre à la main par les deux portes de l'Evêché, où elles firent une belle décharge en passant devant Mr l'Evêque, & allerent dans toutes les ruës de la Ville, suivies de la populace, à qui le Maire jetoit une grande quantité de confitures. Cependant plusieurs fontaines de vin couloient aux portes de Mr l'Evêque, qui fit faire aussi une Aumône generale à tous les Pauvres de son Diocese qui s'y rencontrerent, afin qu'ils se ressentissent de la joye publique. Mr le Maire, à la porte duquel couloient aussi des fontaines de vin, se distingua beaucoup ; & si on loüa le bon ordre qu'il avoit fait garder dans toute cette ceremonie, on n'admira pas moins le soir la profusion qu'il mêla avec la delicatesse de la bonne chere. Il donna un magnifique repas à vingt-cinq ou trente Dames des plus qualifiées, & fit servir avec la même propreté & la même magnificence une Table de soixante couverts, où estoient les Bourgeois & les principaux de la Ville. La santé du Roy y fut beuë au son des trompettes & de plusieurs autres instrumens. Il y eut ensuite un tres-beau Bal, pendant lequel on jetta un grand nombre de fuzées. Cette grande feste fut enfin terminée par de grands feux & de grandes illuminations qu'on fit dans toutes les ruës, & il n'y eut point de particulier qui ne se distinguast par quelque nouvelle maniere de réjoüissance.

[Réjouissances faites à Soissons] §

Mercure galant, mars 1698 [tome 3], p. 237-250.

 

Le 22. de Janvier, Mr de Buirette, Lieutenant Criminel de Soissons, qui avoit receu les ordres du Roy par Mr le Duc d'Estrées, Gouverneur de la Province, pour la publication de la mesme Paix, à cause que la Charge de Lieutenant General n’est point remplie ; ordonna suivant les Conclusions du Procureur du Roy, que ces ordres seroient enregistrez & publiez le lendemain ; qu’on tiendroit les Boutiques fermées ce jour là & le suivant, & que les Compagnies, Corps & Communautez, qui ont accoûtumé d’envoyer leurs Députez en de pareilles occasions, seroient priez de les y faire trouver. Le Jeudy 23. tous s'étans rendus dans la Salle des Audiences du Palais Presidial, Mr Vuarel, l'un des Avocats du Roy, fit un tres-beau Discours, dans lequel il montra les grands biens que toute la France doit attendre de la Paix. Le Lieutenant Criminel parla sur le même sujet avec beaucoup d'éloquence, & aprés que me Greffier du Bailliage eut fait la lecture des ordres de Sa Majesté ; on alla au bruit des Trompettes & des Timballes sur le perron qui donne sur la grande place, où il fit la méme lecture aux acclamations reïterées de Vive le Roy. Cela fait, les Officiers du Baillage & de la Ville monterent à cheval pour faire faire la publication par les Carrefours. Le Prevost des Marchands à la tête des Officiers de sa Compagnie, & suivi de ses Archers en habits propres & uniformes, commença la marche. Ensuite alloient les Officiers du Baillage à la droite, & ceux de la Ville à la gauche, tous en robes, & tres-bien montez, les uns precedez de six Huissiers aussi en robes, & les autres des Serviteurs de Ville & des Pertuisanniers en leurs habits de ceremonie. Entre ces Huissiers & ses serviteurs de Ville, estoit le Greffier du Baillage, ayant devant luy les Trompettes & les Timbales. La Compagnie des Arquebusiers, à laquelle s'estoit jointe une bonne partie des jeunes gens de la Ville à cheval & en bon ordre, servoit d'un nombreux cortege à ces deux Corps ; la Compagnie du Jardin de l'Arc voulurent aussi contribuer à la joye publique. Ils parurent dans cette marche vêtus en Indiens, tenant un Arc d'une main & une fléche de l'autre. Ils alloient à pied & le carquois sur l'épaule. La publication de la Paix fut faite à tous les Carfours par le Greffier du Baillage, toûjours precedée & suivie du bruit des Timbales, des Trompettes & des acclamations du peuple. Le soir on fit dans la grande Place devant l'Hotel de Ville un feu d'artifice qui reüssit parfaitement bien. Il y en eut un autre devant le Palais Episcopal avec des Illuminations & des Feux dans toute les ruës. Les Officiers du Baillage & Siége Presidial marchoient ensemble, & le repas où le Maire, les Echevins & autres Officiers de Ville furent invitez, se fit chez Mr Buirette ; Il fut propre & somptueux, & l'on y servit tout ce qu'il y a de plus rare & de meilleur. Dans le temps qu'on se donnoit le plus à la joye, les Musiciens entrerent, & ils chanterent ces Vers.

 

La Paix qui nous assemble est une Paix charmante,
LOUIS qui nous la donne est le plus grand des Rois.
Que chacun chante,
La Paix qui nous assemble est une Paix charmante,
LOUIS qui nous la donne est le plus grand des Rois.
Sa sagesse nous y convie.
Buvons, buvons, & réjouissons nous.
On trouve dans le vin les plaisirs les plus doux,
Quand on sçait y noyer la discorde & l'envie.

 

La Chanson parut fort convenable au sujet, & les Musiciens ayant esté priez de la chanter plusieurs fois, le plaisir de la table fut poussé bien avant dans la nuit. Cependant le bal avoit esté commencé dans une autre Salle, où toutes les personnes distinguées de l'un & de l'autre Sexe, formoient une Assemblée tres-agreable. La Salle estoit éclairée d'un grand nombre de bougies, & on presenta aux Dames beaucoup de Limonades, des Oranges de Portugal, & plusieurs Bassins de Confitures. Le Vendredy 24. le Maire & les Officiers du Corps de Ville, donnerent à souper à ceux du Baillage & Siége Presidial, aux Chefs des autres Compagnies, & aux Officiers de la Gendarmerie, qui estoient à Soissons. La Porte du Maire, chez qui on soupa, estoit ornée de Festons & de plusiers Armoiries. Une Fontaine de vin coula plus de cinq heures, & on y fit de grandes distributions à tous les Pauvres. il y eut trois tables de seize couverts chacune également bien servies, les poissons de mer & ceux de riviere disputant à qui satisferoit davantage la veuë & le goust. On y but la santé du Roy au bruit du canon, des Trompettes & des Timbales, & d'une salve de plusieurs Chevaliers de l'Arquebuse, qui estoient sous les armes devant la porte, & les mesmes Musiciens qu'on avoit veus le jour precedent, vinrent chanter ces autres Vers.

L'invincible LOUIS rend le calme à la terre,
Pour un Heros si grand la Paix quitte les Cieux.
Il bannit pour jamais les fureurs de la Guerre.
Que le plaisir regne en ces lieux
Dans ce jour de réjoüissance,
Sensibles à nostre bonheur
Marquons nostre reconnoissance.
LOUIS toujours heureux,
LOUIS toûjours vainqueur,
Pouvoit de l'Univers achever la conqueste,
Mais la bonté l'arrête.
Est il rien de plus glorieux ?
Dans le temps que tout cede à sa valeur extrême,
De ses fiers Ennemis un Roy victorieux,
Pour nous donner la Paix, veut se vaincre luy même.
Chantons un triomphe si beau,
Chantons ce triomphe nouveau,
Et quand nous partageons les fruits de la victoire,
Rendons, rendons au moins ce tribut à sa gloire.

Le Dimanche 26. du méme mois Mr le Maire donna chez luy une autre feste. Toutes les Dames de distinction y furent invitées, & il y eut un Bal qui fut interrompu sur le minuit par un bruit de guerre. Les fenéttres de la Salle & de la Chambre qui ont veuë sur le Jardin s'ouvrirent, & les Dames s'y estant placées, une partie des hommes entra dans le Jardin qui estoit illuminé par quantité de pots à feu, dont un grand nombre de fusées volantes, & tout ce qu'on peut voir de plus beau dans les feu d'artifice, augmenterent encore la lumiere Une fleche éclatante traçoit en caracteres de feu les paroles de Vive le Roy, & elles furent tres-lisibles depuis le commencement du feu jusques à la fin. On recommença ensuite le Bal qui ne finit que par l'arrivée du jour.