1698

Mercure galant, mai 1698 [tome 5].

2017
Source : Mercure galant, mai 1698 [tome 5].
Ont participé à cette édition électronique : Nathalie Berton-Blivet (Responsable éditorial), Anne Piéjus (Responsable éditorial), Frédéric Glorieux (Informatique éditoriale) et Vincent Jolivet (Informatique éditoriale).

Mercure galant, mai 1698 [tome 5]. §

[Satyre sur la Conversation] §

Mercure galant, mai 1698 [tome 5], p. 77-85.

Il n’y a rien de plus agréable que la conversation, mais pour y estre reçû avec plaisir il faut s’examiner avec soin, & voir si l’on n’a point les défauts dont il est parlé dans la Satyre que je vous envoye. Elle est de Mr Hebert de Château-Thierry.

À Madame de ***.

La Conversation est un commerce aimable,
Quand joignant comme vous l’utile à l’agréable,
On connoît ce qu’on vaut sans trop de vanité,
Et qu’on montre par tout de la docilité.
Mais je ne puis souffrir ces gens dont l’ignorance
N’a pour le soûtenir qu’une sorte arrogance,
Et qu’on voit tous les jours faire les connoisseurs,
Décider hardiment, s’ériger en Censeurs,
En un mot s’aveuglant d’une vaine manie
Pretendre que tout cede à leur foible genie.
La dispute contr’eux n’est jamais de saison,
Ne les pas applaudir c’est choquer la raison ;
Ils pensent avoir seuls le bons sens en partage,
Mécontens d’un chacun, ennemis de l’usage
Sans cesse on les entend contredire & blâmer,
Ils sont piquans, chagrins, prests à tout reformer.
Prétend-t-on par hazard entâmer une histoire,
Ils en sont seuls instruits, si l’on veut les en croire,
Quelque démangeaison qu’on ait de la conter,
Ils prennent la parole, il les faut écouter ;
Pour débiter des riens ils imposent silence,
Et des plus modérez lassent la patience.
Ils parlent brusquement ; on diroit à leur ton
Que ce sont des Docteurs qui nous font la leçon.
 D’autre part un Sçavant qui croit que l’art de plaire
Est de toûjours briller, & jamais ne se taire,
Oubliant de répondre aux choses qu’on luy dit,
Ne songe tout au plus qu’à montrer de l’esprit.
Impatient d’abord de le faire connoistre,
Il ôte le plaisir aux autres de paroistre,
Et fatiguant chacun par ses beaux sentimens,
Perd le fruit attendu de ses raisonnemens,
Car pour estre goûté, la plus sûre maxime
N’est pas par ses discours de briguer de l’estime,
N’est pas tant de donner du lustre à ce qu’on dit,
Que de faire trouver aux autres de l’esprit.
 Un Puriste d’ailleurs, esclave de l’usage,
Ne produit rien d’heureux par son fade langage.
Il ne risqueroit pas la moindre expression,
Deust-elle estre l’objet de l’admiration.
Il parle proprement, mais à chaque parole
Sa morne attention déconcerte & désole ;
Et pour affecter trop la régularité,
Il rebute chacun par sa sterilité.
 Un diseur de Phebus dédaignant le vulgaire
Fait prendre à son genie un essor témeraire.
S’imaginant parler le langage des Dieux,
De sens froid il débite un fatras ennuïeux
De grands mots assommans, d’épitetes forcées,
Un galimatias de phrases entassées,
Et de tout son beau dire unique Admirateur,
S’acquiert la qualité d’impertinent Parleur.
On ne parle en effet que pour se faire entendre.
À quoy sert un beau mot que l’on ne peut comprendre ?
Il est d’autres défauts, dont l’incongruité
Ne dégoûte pas moins de la société.
 J’aperçois Philemon qui brusquement approche,
Et porte le bon sens, & la raison en poche,
Car à peine entre-t-il en conversation,
Qu’il veut que l’on défere à son opinion,
Et pour tout fondement il parie, il assure.
Pour peu que l’on conteste, il se tourmente, il jure,
Vingt Loüis bien comptez sont toutes ses raisons.
 Le fâcheux Dorilas fait des comparaisons,
Qui choquent le bon sens, les mœurs, la bien-séance.
Il ne sçait point avoir d’égard, de déference ;
Il est désobligeant, satirique, indiscret ;
À peine parle-t-il que chacun a son fait :
 Ariste est à l’affust de la moindre parole,
Rire, turlupiner, badiner c’est son rôle,
Il croit trouver par tout de la subtilité,
Et pas un mot n’échappe à sa vivacité ;
Mais de ce bel esprit la plus grande finesse
N’est que fatuité, fausse délicatesse,
Qu’on aperçoit d’abord, & quelque fois on rit
De la pointe, & souvent d’Ariste qui la dit.
 L’insolent Antiphon parle avec non-chalance.
Il est reveur, abstrait, amateur du silence.
Avec tout son esprit il n’a point d’agrément,
Et n’écoutant pas bien il répond sottement.
 Le sterile Cleon pour toute gentillesse,
Pour tout fond, ne fait voir qu’un peu de politesse,
En termes different repete ce qu’on dit.
Sourit à tous momens, & sans cesse applaudit.
 Mais je voudrois en vain par ma foible censure,
Reformer les défauts dont je fais la peinture.
C’est de vous qu’on attend cet important effet,
Vous estes en cet Art un modele parfait.

Le Sceau d’Amalthée §

Mercure galant, mai 1698 [tome 5], p. 130-135.

Mr de Betoulaud, dont vous avez vû plusieurs Ouvrages, a envoyé à Mademoiselle de Scuderi pour le Roy une Agathe antique, où la corne d’Abondance est gravée. Cette pierre du Sceau d’Amalthée est tres rare, & les plus sçavans Antiquaires conviennent qu’elle est du temps d’Alexandre second, Roy de Syrie, qui gagna une Bataille proche de Tir contre Demetrius, dont il conquit le Royaume. Cette double corne d’Abondance, où l’on voit des coquilles pourprées & des fleurs entremeslées, est tres-curieuse ; & vous trouverez la Fable dont Mr de Betoulaud l’a accompagnée, fort ingenieuse & fort agreable. Le tout a esté tres-bien receu de Sa Majesté.

LE SCEAU D’AMALTHÉE.

Non loin de la Dordogne, & de son beau rivage,
S’éleve en un costeau couronné d’un bocage,
Un Palais de rocher à l’honneur de LOUIS,
Monument éternel de ses faits inoüis.
Damon qui l’a creusé, rempli d’un noble zele,
Dont son cœur est épris pour sa gloire immortelle,
Y rêvant depuis peu sous des Orangers verts,
Que ce beau lieu défend des plus rudes Hivers,
Fut surpris tout-à coup d’y voir un vase antique,
D’une sçavante Fée ouvrage magnifique.
Un feston de Laurier à des épis mêlé ;
Entouroit par le haut le marbre ciselé.
Au dessous sur un fond plus poli qu’une glace,
Qui du reste du vase occupoit tout l’espace,
Dés mille ans cette Fée en caracteres d’or
Avoit gravé ces mots qui s’y lisent encor,
Et qui de la façon dont nos Quatrains s’écrivent,
Forment tout alentour les douze Vers qui suivent.
***
Au temps où Damon trouvera
Sous ce roc le Sceau d’Amalthée,
L’abondance alors regnera
Avec la Paix si souhaitée.
***
Les beaux Arts seront honorez,
Et les neuf Filles de Memoire
Monteront sur des chars dorez
Au brillant Palais de la Gloire.
***
LOUIS par ses puissans efforts
Ayant calmé la Terre & l’Onde,
Ne s’occupera plus alors
Qu’à faire le bonheur du Monde.
***
Damon à peine eut lû que dans le même instant
Il enfonce sa main dans le vase éclatant,
Et par l’heureux hazard qui le comble de joye,
Il y trouve aussi tost le Sceau qu’il vous envoye,
Et qui, chere Sapho, va paroistre à vos yeux,
Comme un riche present de l’Olimpe des Dieux.
Remettez-le à Loüis. Le Sceau de l’abondance
Ne peut estre qu’aux mains du Heros de la France,
Qui connoist vos vertus, qui cherit les beaux Arts,
Qui des rares Esprits dans son Empire épars,
Et de biens & d’honneurs couronne le merite,
Et ramene les jours & d’Auguste & de Tite.

[Réponse à cette Fable par Mademoiselle de Scudéry] §

Mercure galant, mai 1698 [tome 5], p. 136-137.

RÉPONSE
De Mademoiselle de Scuderi à
Mr de Betoulaud.

 La Fable du Sceau d’Amalthée
 Est tres-noblement inventée.
 On ne peut mieux en peu de mots
 Louër le plus grand des Heros.
 Dans la Paix comme dans la guerre,
 De l’aveu de toute la Terre,
Il sçait se distinguer par sa Religion.
Il ne connut jamais la fausse ambition.
Si l’on écrit au vray sa merveilleuse Histoire,
On le verra pour le bien des Mortels,
 Mépriser au pied des Autels
Les plus rares faveurs de l’aimable Victoire.
Mais en vain aprés vous je veux me signaler,
Je ne parleray plus quand vous voudrez parler.

Madrigal §

Mercure galant, mai 1698 [tome 5], p. 137-138.

Les Vers qui suivent sont de la même Mademoiselle de Scuderi à Mr de Betoulaud, au sujet d’une Ode qu’il a faite sur la Paix.

MADRIGAL.

 Damon, quand vous louez le Roy,
 Sans comparaison mieux que moy,
 Je n’en ay point de jalousie.
 J’aime sa gloire en un tel point,
Qu’en lisant vos beaux Vers mon ame fut ravie
Que vous fissiez si bien ce que je ne fais point ;
Mais pour me consoler de mon manque d’adresse,
 Je voudrois, je vous le confesse,
Que ce parfait Heros, qu’admire l’Univers,
Fust content de mon cœur plûtost que de mes Vers.

[Dispute pour le corps de Mr de Santeul] §

Mercure galant, mai 1698 [tome 5], p. 168-172.

Vous sçavez, Madame, vous qui avez tant regreté feu Mr de Santeul, mort à Dijon, qu’il y fut inhumé en l’Eglise Abbatiale de Saint Estienne, & que son corps ayant esté revendiqué depuis par Mrs les Chanoines de Saint Victor de Paris, à la recommandation de Monsieur le Prince, il fut apporté au commencement de cet Hiver, dans leur Eglise. C’est ce qui a donné lieu aux Vers que je vous envoye, de la composition de Mr Moreau, Avocat General en la Chambre des Comptes de Dijon. Ils ont esté tres favorablement reçus de Son Altesse Serenissime, à qui l’Auteur les a envoyez.

Deux illustres Citez disputent pour Santeuil,
Comme sept autrefois le firent pour Homere,
Et jalouses d’avoir sa cendre & son Cercueil,
L’une & l’autre à l’envi s’en déclarent la Mere.
C’est, dit l’une, en mon sein qu’il a receu le jour.
C’est, dit l’autre, pour moy qu’a parlé son amour,
Chagrin de tes mépris son cœur te desavouë ;
Content de mes bienfaits en mourant 1 il me louë,
Me choisit pour sa Mere, & se nomme mon Fils.
Pour éprouver leurs cœurs, & sonder leurs esprits,
 Un grand Prince prudent & sage,
D’un genie admirable, ainsi que sa valeur,
Entre elles de Santeul propose ce partage ;
Donne à Dijon le corps ; donne à Paris le cœur.
D’abord l’ame d’amour & de chagrin émuë,
Dijon s’est récrié, dans sa juste douleur,
Non, je veux tout ou rien, un partage me tuë.
 Quoy ? pourrois-je voir sans mourir
 Cette division fatale ?
 Ah, plûtost que de la souffrir,
Que le corps & le coeur, tout soit à ma Rivale.
À ces mots qui marquoient un vray ressentiment,
Du vray coeur maternel on connoist la tendresse,
Et le grand Prince alors fit par son jugement
D’un second Salomon éclater la sagesse.

[Tombeau de Mr de Santeul] §

Mercure galant, mai 1698 [tome 5], p. 172-173.

Il paroist depuis peu de jours un recueil d’excellens Vers Latins, de la composition de Mr l’Abbé Feydit. Il est intitulé, Tombeau de Mr de Santeul, & toutes les Pieces qui le composent font l’éloge de ce fameux Poëte, dont les Hymnes qui se chantent dans l’Eglise, & qui sont d’une beauté achevée, conserveront le nom jusqu’à la consommation des Siécles. Ce recueil qui se vend chez la Veuve de Robert le Nain, ruë du Foin, proche Saint Yves, finit par une Piece qui a pour titre, Luctus Academiæ Gallicanæ de morte Santolii. Elle est fort à l’avantage de Mrs de l’Academie Françoise, mais bien plus de Mr l’Abbé Feydit, qui y fait voir, comme dans toutes les autres, combien son heureux genie pour les Vers Latins, le rend digne de loüer un aussi grand Poëte que Mr de Santeul.

Air nouveau §

Mercure galant, mai 1698 [tome 5], p. 174-175.

Mr Pivain a mis en Air les Vers de la premiere Strophe d'une Ode de Mademoiselle des Houlieres, que je vous ay envoyée entiere depuis un an. Ils conviennent fort à la saison, & vous ne serez pas fachée de les entendre chanter dans vostre Province.

AIR NOUVEAU.

L’Air qui commence par, Le plus beau des mois, doit regarder la page 174.
Le plus beau des mois
Remplit nostre attente.
La terre est riante.
Déja dans nos Bois
Le Rossignol chante ;
Déja les moutons
Paissent les herbettes,
Et font mille bonds
Au son des Musettes.
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Eloge de la Santé §

Mercure galant, mai 1698 [tome 5], p. 175-178.

Ces Vers qui marquent si bien les premiers plaisirs qu’on goûte au Printemps, donnent lieu de souhaiter que cette belle saison durast toujours ; mais quel avantage pourroit-on tirer de ce qu’elle a de plus agreable, si on manquoit du plus grand des biens ? Il consiste en la Santé, dont vous allez entendre l’Eloge.

ELOGE DE LA SANTÉ.

O Charmante Santé,
 Que ta presence aimable
Est un bien desirable ?
Quelle felicité
De t’avoir pour partage
En tout temps, en tout âge ?
Est-il d’autre bonheur
Dans le cours de la vie
Qui doive faire envie,
Et chatoüiller le cœur ?
Le luxe, l’abondance,
Le sçavoir, l’éloquence,
Les amours, les honneurs,
Le brillant des grandeurs,
Et la faveur des Princes,
Sont des presens bien minces.
Un monceau de tresors,
Une grande lignée,
Et la beauté du corps
D’une Femme bien née,
Ont-ils des biens sans toy ?
Quand ce seroit un Roy,
Si la douleur l’accable,
Je le tiens miserable ;
Et les bienfaits divers
Qu’accorde à la nature
L’Auteur de l’Univers,
La charmante verdure
Qui renaist tous les ans
Au retour du Printemps,
Ce qu’il produit de rare
Pour recréer nos sens,
Tout ce qui les répare
Quand ils sont languissans,
Et ce que sa largesse
Répand sur nous sans cesse,
Peut-il estre compté
Comme un bien desirable,
Sans ta presence aimable,
O charmante Santé.

[Ceremonie faite à Marseille] §

Mercure galant, mai 1698 [tome 5], p. 182-190.

 

Le Roy informé du merite de Madame d’Arcussia du Revest, Religieuse à Hyeres de l'Ordre de Cisteaux, luy ayant fait l'honneur de la nommer il y a deux ans, à l'Abbaye de Montsion de Marseille, du mesme Ordre, dont l'Abbesse avoit esté elective & perpétuelle, cette Dame choisit un jour du mois passé, pour se faire benir. On fit la ceremonie dans l'Eglise des Peres Jesuites, qui des plus belles de Marseille, celle du Monastere n'estant pont assez spatieuse, pour recevoir tout le grand monde qui devoit s'y trouver. On prit soin de la parer extraordinairement, & d'orner l'Autel de quantité de Vases remplis des plus belles fleurs de la saison, & de l'éclairer de mesme de plusieurs Lustres aux Armes de Mr l'Evêque de Marseille, & de Madame l'Abbesse. Un Trône estoit dressé à côté de l'Autel pour ce Prélat avec un grand Fauteüil au milieu. Un autre Fauteüil estoit placé vis à vis au bas des dégrez sur une petite estrade, pour l'Abbesse qu'on devoit benir, avec deux autres un peu plus bas & plus reculez, pour les Assistantes. Sur les neuf heures du matin, cinquante Dames des plus qualifiees vinrent en Chaize au Monastere, qui est prés de la Cour, pour prendre Madame l'Abbesse & pour l'accompagner. Cette Dame les ayant receuë avec beaucoup d'honnesteté, se mit aussitot en Chaize, les Carrosses n'estant point en usage à Marseille à cause de l'inégalité du terrein, & que les ruës sont la plupart fort estroites. elle se rendit à l'Eglise des Peres Jesuites, suivie de quelques unes de ses Religieuses, de plusieurs autres de divers Ordres, & de tout ce nombreux cortege de Dames. Les Violons & les Hautbois la regalerent à son entrée d'une piece qui sentoit la Feste, & qui ne pouvoit qu'inspirer beaucoup de joye à toute la Compagnie. Estant arrivée à l'Autel au travers d’une infinité de peuple, dont elle eut peine à percer la foule, elle se mit aprés une courte Priére dans la place qui luy avoit esté destinée, ayant à ses côtez Madame d’Arcussia l’Esparron sa Tante, Abbesse du Monastere des Augustines d’Aubaigne ; & Madame d’Arcussia du Revest sa soeur, qui luy servirent d'Assistantes. Mr l'Evêque de Marseille parut en mesme temps à l'Autel vêtu Pontificalement, & après quelques Priéres, il recita les Litanies des Saints, pendant lesquelles cette Abbesse demeura toûjours à genoux derriere luy, la face prosternée contre terre, n'ayant qu'un carreau pour appuyer sa tête. Les Litanies & quelques autres Oraisons finies, Mr l'Evêque s'estant assis dans son Fauteüil, Madame d'Arcussa fit Profession de foy entre ses mains, avec tant de fermeté & de modestie, qu'elle s'attira les yeux & l'admiration de tout le monde ; après quoy ce Prélat luy donna la Bague, la Croix, & la Crosse. Elle estoit assise sur son Fauteüil, le visage tourné contre le peuple, à qui cette cerémonie parut d'autant plus nouvelle, qu'elle n'avoit point esté pratiquée à Marseille depuis bien des siécles. Mr l'Evêque celébra ensuite la Messe qui fut chantée en Musique. À l'offrande, Madame l'Abbesse s'approcha de l'Autel, accompagnée de ses deux Assistantes, qui luy mirent en main deux gros Flambeaux ou estoit attaché l'écusson de ses Armes, qu'elle presenta l'un après l'autre, Madame sa sœur tenant toûjours sa Crosse à son coté. Elle communia des mains de l'Evêque. Ce Prélat l'estant allé prendre à la fin de la Messe, la mena au devant de l'Autel, la faisant asseoir dans son propre Fauteüil, où elle demeura pendant le Te Deum, qu'il entonna. Il fut chanté par la Musique de l'Opera, mêlée au son des Instruments.

[Reception de Mademoiselle l’Heritier à l’Academie des Lanternistes de Toulouse] §

Mercure galant, mai 1698 [tome 5], p. 197-219.

Les Ouvrages de Mademoiselle l’Heritier vous ont fait connoistre son merite. Je ne puis vous donner une preuve plus glorieuse pour elle de l’estime qu’ils luy ont fait acquerir par tout, qu’en vous disant que Mrs les Lanternistes de Toulouse luy ont donné une place dans leur Société. Voicy en quels termes sont conçuës les Lettres de reception qui luy ont esté envoyées en Velin pour l’y admettre.

Pendant que l’Academie Françoise, l’ornement de la Capitale du premier Royaume du monde, employe ses fameux talens à perfectionner l’Eloquence & la Poësie ; pendant qu’elle fait paroistre son zele pour son incomparable Monarque, la Compagnie des Lanternistes, excitée par un si bel exemple, s’applaudit d’estre particulierement consacrée à l’honneur de LOUIS le Grand, Protecteur des Rois & de la Religion, luy par qui les Sciences & les beaux Arts fleurissent mesme dans le sein de la Guerre, toûjours entreprise avec justice, soûtenue avec succés, & finie avec gloire. C’est dans cette vûë qu’on s’applique à assembler des Personnes capables de contribuer à l’exécution d’un si glorieux dessein ; & comme l’esprit & le merite est non seulement de tout Pays, de tout âge & de toute condition, mais encore de tout Sexe, cette Compagnie estant convaincuë de l’exacte probité, de l’érudition polie & des autres brillantes qualitez de Mademoiselle l’Heritier de Villandon, de Paris ; la reçoit aujourd’huy quatriéme du mois de Novembre mil six cens quatre-vingt-seize, pour estre reconnuë du nombre de ceux qui la composent, esperant que le Titre de Lanterniste acquerra un jour dequoy mieux répondre à la dignité du sujet qui va remplir la Place adjugée, en vertu des presentes Lettres données à Toulouse, l’an, jour & mois qu’on vient de marquer.

Arnaud-Laborie, Secretaire des Lanternistes.

Vous voyez par la datte de ces Lettres que la modestie de Mademoiselle l’Heritier luy a fait cacher jusqu’à present, un honneur qu’elle estoit si digne de recevoir, & que ses Amis ont eu besoin d’en surprendre une copie. Elles estoient accompagnées de cette autre Lettre pour elle, de la part de Mrs les Lanternistes.

À Mademoiselle l’Heritier.

Mademoiselle,

Jamais nôtre Compagnie n’a eu plus de bonheur qu’en vous choisissant pour estre du glorieux nombre de ceux qui la composent. Ce choix est plus glorieux pour elle que pour nous. Son interest particulier s’y rencontre, & le beau commerce de vos talens & de vos lumieres, est d’une élevation & d’un secours qu’on ne sçauroit assez estimer. Aussi pour mieux nous assurer cet honneur & vous attacher plus fortement à nous, on vous envoye vos Lettres de reception. Ne soyez pas surprise, Mademoiselle, d’y voir vostre Eloge en si peu de mots. Il seroit fort difficile de le mettre dans toute son étenduë. Comment dépeindre une foule d’excellentes qualitez réünies en vostre Personne, plus propres à estre gravées sur le Bronze qu’écrites sur du Velin ? Comment faire un juste Portrait de la netteté & de la politesse de vostre stile, de la vivacité de vos expressions, de la beauté de vos pensées toûjours nouvelles, de vostre érudition profonde & dégagée, de cette grande facilité que vous avez a bien écrire, de ce goust fin, & de ce naturel heureux qui donnent à vos écrits tout l’agrément & toute la délicatesse possible ? Et sur tout comment relever les dispositions merveilleuses de vostre cœur, cette bonté, cette droiture, & cette vertu heroïque, qui vous distinguent dans tout vôtre Sexe, & qui vous attirent de fameux & de solides applaudissemens ? Tous ces differens avantages & cent autres que l’on pourroit ajoûter, demandent une plume plus habile que celle qui explique les sentimens d’une Compagnie enchantée de votre merite. Ne vous repentez pas d’y estre, vous y trouverez dequoy satisfaire vostre plus douce inclination. Vous verrez dans le cœur de vos Confreres, Mademoiselle, un zele ardent pour le Roy, & une constante application à faire célébrer la gloire d’un Heros que vous aimez avec tant de tendresse, & que vous sçavez loüer avec tant d’esprit. Cette seule consideration vous rendra nostre Société plus agréable, & vous fera recevoir avec plus de joye les témoignages de sincerité, d’empressement & d’estime avec lesquels nous sommes ; Mademoiselle, Vos tres, &c.

ARNAUD-LABORIE, Secretaire des Lanternistes.

RÉPONSE
De Mademoiselle l’Heritier à
Mrs de la Compagnie
des Lanternistes.

Messieurs,

L’honneur que je reçois par le titre glorieux dont vous avez daigné me parer, fait naistre en moy des sentimens bien opposez. Je suis comblée de joye de me voir admise dans une Compagnie aussi celebre que la vostre ; mais en même temps je suis saisie d’une juste crainte de ne pouvoir remplir avec succés tous les engagemens attachez à la place distinguée dont vostre choix vient de m’honorer. Comment trouver dans mon esprit des lumieres assez vives pour estre dignes d’estre unies avec les vostres ? Comment y trouver un sçavoir & une politesse propres à entrer en société avec une troupe d’Hommes choisis, aussi remplis d’une solide délicatesse que d’une brillante érudition ?

Non, Messieurs, quelques efforts que je fasse pour m’élever au dessus de mon genie, je ne pourray jamais occuper qu’avec confusion la place que vous m’avez donnée, si l’heureux commerce que j’auray avec vostre sçavante Compagnie, ne me communique des clartez qui me mettent en estat de la remplir dignement. Il est à present de vostre gloire, Messieurs, de me communiquer ces clartez. J’apporteray de ma part tout l’empressement & toute l’attention imaginable à les recevoir, & je n’oublieray aucuns soins pour atteindre au bonheur de ressembler un jour en quelque sorte au brillant Portrait que vous avez voulu faire de moy, dans l’élegante Lettre que vous m’avez fait l’honneur de m’écrire. Ce Portrait est si bien touché, tous les traits en sont si nobles, si fins & si délicats, qu’on est au désespoir de n’y voir de ressemblance que dans les couleurs qui sont employées à peindre un cœur penetré de reconnoissance par les bontez de vostre illustre Compagnie. Ses lumieres sont toujours si seures, qu’on pourroit croire qu’elle les a peu consultées en me choisissant pour m’associer avec elle.

Il est vray que dans ce choix elle a plus cherché à faire une grace qu’à rendre justice ; mais cependant comme rien n’échape à sa pénetration, on doit se persuader qu’elle n’a pas fait cette grace sans reflexion. Voulant me tenir compte d’un panchant que je dois à la nature, cette docte Compagnie a plûtost envisagé l’inclination que j’ay pour les sciences & les beaux Arts, que les progrés que j’ay faits dans ces nobles exercices. Ouy Messieurs, vous avez sceu que je connois tout le prix de la vertu & du sçavoir. Vous avez sceu quels honneurs je leur rens sans cesse ; & enfin l’admiration & le zele que j’ay pour le merite m’ont tenu lieu de merite auprés de vous, persuadez que vous estes, que lors qu’on le cherit avec passion, on fait tant d’efforts pour en acquerir, qu’on ne manque guére de réüssir dans un si beau dessein.

C’est sur cette idée, Messieurs, que vous m’avez admise dans vostre fameuse Assemblée, malgré la tirannie d’un usage dont le caprice sembloit en exclure mon Sexe. L’injustice de cet usage se détruit chaque jour d’elle-même, & sans que nous ayons cherché à nous révolter contre ses loix, les solides lumieres & les rares talens qu’on a vû briller en ce siecle dans d’illustres Femmes, ont prouvé avec éclat que le Ciel leur prodigue quelquefois les dons de l’esprit & de la science aussi liberalement qu’aux Hommes.

Ne craignez donc pas, Messieurs, qu’on s’étonne de vostre choix par rapport à mon Sexe. On ne pourra en estre surpris qu’en examinant les talens qui me manquent. Mais je vous l’ay déja dit, j’espere les aquerir par l’heureuse liaison que j’auray avec vous. C’est alors qu’unissant les lumieres que j’auray puisées dans vostre docte Societé au zele naturel & ardent que j’ay pour le Roy, je celebreray la gloire de ce Heros d’une maniere qui me fera enfin trouver digne de la place que vous m’avez donnée dans vostre illustre Compagnie.

Quel touchant plaisir pour moy, d’entrer dans tous les soins empressez qu’elle se donne pour établir des concerts où les Muses puissent chanter éternellement les vertus & les grandes actions d’un Conquerant, dont la moderation peut seule égaler les Triomphes, & qui ne cherche qu’à faire regner la Paix, malgré la rapidité dont la Victoire est attachée à le suivre !

Que ne m’est-il permis, Messieurs, de posseder dés aujourd’huy les talens que je me flate d’acquerir avec le temps dans vostre sçavant commerce ! Que j’aurois de joye de tracer un Tableau de toutes les nobles & brillantes idées qui se presentent à mon imagination ! Que j’aimerois à peindre la sagesse, la valeur, la generosité, la bonté, la prudence & l’exacte justice d’un Monarque, mille fois plus grand par son cœur que par son rang, quoy que l’Univers le regarde comme le plus puissant de tous les Rois !

Mais je sens que je succomberois dans un projet si hardy. Ouy, Messieurs, quand j’aurois appris par vostre secours à me servir des plus riches ornemens de l’Eloquence, je ne pourrois encore executer un si grand dessein qu’en tremblant.

J’impose donc silence à mon zele, mais en l’empêchant de parler sur un si beau sujet, je laisse un libre cours à sa voix pour applaudir à la noble application que vous avez à faire celebrer la gloire du Heros à qui il s’est dévoüé.

Quand vostre science profonde & vos heureux talens ne vous distingueroient pas autant qu’ils font entre les plus celebres Sçavans, je serois toûjours charmée d’estre d’une Compagnie qui s’est imposé un devoir si juste & si glorieux. Jugez donc, Messieurs, quels sont mes sentimens quand je pense aux brillantes qualitez que vous mêlez au zele passionné que vous avez pour le Roy. Ces reflexions me font sentir avec une vivacité inexprimable tout le prix de vostre bienfait, & m’engagent à estre toute ma vie avec une aussi sincére reconnoissance, qu’une parfaite estime, Messieurs, Vostre, &c.

[Histoire] §

Mercure galant, mai 1698 [tome 5], p. 219-246.

Le vray merite manque rarement à estre récompensé, & l’avanture dont je vais vous faire part en est une preuve. Une Dame d’une fort grande vertu, demeurée Veuve à trente ans, se trouva presque sans bien par le desordre que la mort de son Mary mit dans ses affaires. Elle avoit épousé un Gentilhomme d’une naissance assez distinguée, à qui des envieux avoient suscité de fâcheux procés, qu’il avoit toûjours soutenus sans les bien entendre, par le credit qu’il avoit auprés de ses Juges. Il fallut aprés sa mort s’accommoder avec les Parties, & une fort belle Terre dont il joüissoit, fut enfin abandonnée à ses Creanciers, pour sauver ce qui luy restoit d’ailleurs, qui consistoit en fort peu de chose. L’accommodement fut fait par l’avis & par les soins d’un Amy du Gentilhomme, qui prit fortement les interests de la Veuve, & qui ne trouva que ce seul moyen de luy procurer quelque repos. Il estoit tres-riche & tres-genereux, & pour satisfaire l’ambition de sa femme, il permettoit malgré luy qu’on luy donnast le nom de Marquis. C’estoit un esprit hautain. Elle aimoit le jeu & la dépense, & il n’y avoit jamais assez de plaisirs pour elle. Son Mary avoit beaucoup à souffrir de cette hauteur, qui n’estoit point de son caractere, mais il s’en plaignoit inutilement. Sa complaisance pour un Pere imperieux, à qui le nom qu’elle avoit de riche heritiere avoit fait vouloir cette alliance, l’avoit obligé d’y consentir, & on n’avoit jamais vû deux humeurs si opposées. Le Marquis l’avoit douce & obligeante, & rien ne luy faisoit un plus grand plaisir, que l’occasion de faire du bien. Aussi sa bourse ouverte en tout temps pour la Veuve de son Amy, luy épargnoit de grands embarras où elle seroit tombée sans le secours qu’elle en recevoir. Cependant il n’y avoit rien de plus désinteressé que les services qu’il ne se lassoit jamais de luy rendre. Il ne la voyoit que dans les temps où il croyoit qu’elle avoit besoin de luy, & il luy recommandoit sur toutes choses l’éducation d’une Fille de sept à huit ans, que son Mary luy avoit laissée, & à laquelle il disoit qu’il vouloit servir de Pere. Elle meritoit les soins qu’il en prit, & il les prit avec d’autant plus d’ardeur qu’il se voyoit sans enfans & sans esperance d’en avoir. Tous ses traits estoient formez avec un certain brillant qui faisoit connoistre que ce seroit une fort belle personne. La douceur qui se trouvoit répanduë sur son visage, s’étendoit sur son humeur, & quoy qu’elle fust encore dans l’enfance, la vivacité de son esprit ne laissoit pas de paroistre. Elle n’avoit aucune inclination qui ne la portast à ce qui estoit louable, & en cultivant un naturel si heureux, il y avoit dequoy faire quelque chose d’achevé. Comme le Marquis aimoit la Musique avec passion, & qu’il luy trouvoit beaucoup de voix, il choisit les meilleurs Maistres pour luy apprendre à chanter & à bien toucher le clavessin. Elle y réussit parfaitement, & elle n’avoit pas encore dix ans qu’on la regardoit comme une merveille. Elle eut le même avantage pour la danse, & si la fortune luy eust esté aussi favorable que la nature, on peut dire qu’elle n’auroit eu rien à desirer. Sa Mere de son costé contribuoit beaucoup, & par son exemple, & par ses leçons, à la rendre digne d’elle. Ce n’estoient que sentimens de vertu & de sagesse qu’elle cherchoit à luy inspirer, & elle n’avoit qu’à imiter sa conduite, pour marcher en sûreté. Point d’air coquet, point de présomption ridicule. Tout estoit réglé, & il n’y avoit point à craindre de faire un faux pas dans une si bonne école. La Belle avoit déja atteint dix-sept ans, & tous ceux qui trouvoient moyen d’avoir quelque accés chez elle, luy donnoient mille loüanges sur ses belles qualitez. Les visites n’y estoient permises qu’autant qu’elles doivent l’estre pour faire appercevoir le merite d’une jeune personne à qui la beauté & les agrémens doivent tenir lieu de bien. On n’y souffroit point d’assiduité qui fust remarquable, & ceux que l’on recevoit de temps en temps, n’avoient pas de peine à voir, que pour s’acquerir quelque privilege particulier il falloit parler de mariage. Ce fut ce qui engagea un de ses Adorateurs des plus taciturnes à luy déclarer sa passion. Il estoit charmé toutes les fois qu’elle chantoit devant luy, ou qu’elle joüoit du Clavessin ; & comme il ne brilloit pas dans la conversation, il la prioit fort souvent de luy donner ce plaisir, afin de n’avoir qu’à écouter. La froideur qu’elle luy marqua sur sa déclaration ne l’étonna point. L’amour le pressoit, & sans plus perdre de temps il s’adressa à la Mere, qui trouvant en luy de quoy établir sa Fille avec beaucoup d’avantage, luy répondit assez favorablement ; mais elle eut beau faire ses efforts pour la faire entrer dans les raisons qui la portoient à agréer sa recherche. Cette charmante personne la supplia de ne se laisser point ébloüir si fort par le bien, qu’elle voulust luy faire épouser un homme fort mal fait, & qui n’avoit point d’esprit. La Mere qui estoit trop obligée au Marquis pour prendre aucune résolution sur une affaire de cette importance sans le consulter, luy parla de l’occasion qui se presentoit pour l’établissement de sa Fille, le priant de prendre sur elle un pouvoir de Pere, pour l’empêcher de refuser un Parti qui luy devoit estre avantageux. Il eut une conversation particuliere avec la Belle, qui luy dit en soupirant qu’une des fortes raisons qui portoient sa Mere à vouloir ce mariage, & la seule qui pouvoit l’obliger à y consentir, s’il luy marquoit qu’il le souhaitast, c’estoit pour cesser de luy estre à charge, puis que le malheur de leurs affaires les avoit réduites à abuser souvent des bontez qu’il avoit pour elles ; mais que voulant faire son devoir dans quelque genre de vie qu’elle se vist forcée d’embrasser, elle sentoit bien qu’avec le Mary que luy destinoit sa Mere, elle vivroit dans un supplice continuel, puisqu’il n’avoit rien qui fust capable de toucher son cœur, & que ce ne seroit qu’avec d’extrêmes efforts qu’elle vaincroit le dégoust que luy donnoient ses mauvaises qualitez. Le Marquis n’eut pas besoin d’un plus long discours, pour applaudir à la Belle sur le refus de l’Amant en question. Il connoissoit trop par sa propre experience quelle peine on trouve dans le mariage où il n’y a point de rapport d’humeur. Non-seulement il luy conseilla de congedier l’Amant, mais bien loin de se lasser de luy être utile, il l’assura qu’il prendroit luy même le soin de la marier, & que ce ne seroit jamais qu’à une personne qui seroit selon son cœur. Il est inutile de marquer quels furent les remercimens de la Mere & de la Fille. On pria l’Amant de ne plus songer au mariage qui avoit flâté son esperance, & l’on usa mesme de plus de reserve à recevoir les autres visites qui pouvoient marquer quelque dessein, afin qu’il parust que le destin de la Belle dépendoit uniquement des soins du Marquis à luy choisir un Epoux. Il luy témoignoit toûjours la tendresse d’un vray Pere, & comme il n’avoit pas peu contribué à la faire devenir aussi accomplie qu’elle paroissoit à tout le monde, il joüissoit avec beaucoup de plaisir des applaudissemens qu’elle recevoit par tout. Deux ans se passerent de cette sorte. Elle s’estoit fait quantité d’Amies d’un rang distingué, qu’elle voyoit fort souvent, & ce fut chez l’une d’elles qu’aprés qu’elle eut chanté quelque temps & joüé du clavessin, avec la grace qui l’accompagnoit en toutes choses, un jeune Cavalier de Province qui s’y trouva, en fut tellement charmé, qu’il ne put s’empêcher de luy marquer dans les termes les plus forts l’admiration qu’il avoit pour elle. Il le fit avec tout l’esprit imaginable, & la Belle qui l’avoit fort vif & fort délicat, reçut ses douceurs d’une maniére qui luy fit connoistre que quand on estoit fait comme luy, on se faisoit écouter sans peine. Le Cavalier ne cessa point de l’entretenir que lors qu’il falut absolument qu’ils se séparassent, & ayant appris qui elle estoit, il alla chez elle dés le lendemain. Cet empressement ne déplut pas. Si le Cavalier s’estoit senti vivement touché du merite de la Belle dés cette premiere vûë, la Belle avoit esté prévenue pour luy d’un sentiment favorable, & sans qu’on y fist reflexion, comme il prit goust à la voir, on luy souffrit des visites plus frequentes qu’on ne les souffroit à d’autres. Elles devinrent insensiblement trop assiduës, ce qui obligea la Mere à le prier de les moderer. C’estoit souhaiter une chose juste, mais il avoit trop d’amour pour y pouvoir consentir. Il se déclara Amant tout de bon, fit cent protestations à la Mere & à la Fille, & les pria instamment de luy accorder un peu de temps pour pouvoir gagner l’esprit d’un Oncle fort riche, dont il estoit l’un des Heritiers, les assurant que quand même il ne pourroit en venir à bout, ce qu’il avoit pourtant sujet d’esperer, il ne laisseroit pas de conclurre si elles vouloient se contenter du bien qu’il possedoit par luy-même. Il estoit trop bien dans leur esprit pour n’obtenir pas ce qu’il demandoit. Sa negociation ne dura que quinze jours, aprés quoy il vint leur dire, transporté de joye, que son Oncle ayant esté informé du merite de la Belle, approuvoit sa passion, & qu’il devoit au plutost les en venir assurer luy-même. Cette nouvelle donna une extrême joye à la Mere & à la Fille, qui à leur tour demandérent quelques jours au Cavalier pour conferer de l’affaire avec un Ami dont elles ne pouvoient se dispenser de prendre conseil. Dés le soir même la Mere envoya prier le Marquis qu’elle pust le voir le lendemain. Il ne vint chez elle que trois jours aprés, & la raison qu’il en aporta, ce fut qu’il avoit voulu auparavant estre assuré d’une chose qui regardoit les interests de la Belle, & dont il seroit venu luy rendre compte, quand même on n’auroit point eu à luy parler. Il ajoûta qu’il lui avoit enfin trouvé un Amant qui la mettroit en estat de vivre contente, & qu’il ne pouvoit douter que ce qu’il venoit d’arrester pour elle, ne satisfist autant ses desirs qu’il en ressentoit de joye. Ces paroles mirent tout à coup un trouble extraordinaire dans l’ame de la Mere & de la Fille. Elles semblerent avoir perdu la parole, & commencérent à se regarder avec un étonnement inconcevable. Le Marquis qui devoit estre surpris de leur embarras, leur demanda pourquoy ce silence lorsqu’elles avoient à répondre sur la proposition qu’il leur faisoit, & que d’ailleurs, il estoit venu pour apprendre de la Mere en quoy elle avoit besoin de son service. La Mere prit un ton fort sérieux, & dit qu’il ne falloit plus songer à ce qu’elle avoit voulu luy faire sçavoir, puisqu’il avoit engagé sa Fille à prendre un Mary qu’il seroit injuste qu’elle refusast aprés les soins qu’il s’étoit donnez pour le choisir, & sur ce qu’il répondit que ce n’estoit pas luy qui se devoit marier, & qu’il ne suffisoit pas qu’il fust content si la Belle ne l’estoit aussi de son costé, on luy avoüa l’engagement que l’on avoit pris à l’égard du Cavalier, dont on luy fit une peinture tres-avantageuse. Le Marquis rassura la Belle, en luy disant qu’il seroit fâché de la contraindre, & que si les choses estoient telles qu’on le prétendoit, il donneroit volontiers les mains à son mariage, mais qu’il la prioit avant que de prendre un engagement plus fort, de voir l’Amant qu’il luy avoit destiné ; qu’il l’ameneroit le lendemain sous prétexte de luy faire entendre une belle voix, & que peut estre elle trouveroit en luy des qualitez qui l’engageroient à luy accorder la préference. La Belle luy dit que s’il vouloit la laisser dans la liberté du choix, il luy feroit un fort grand plaisir de ne luy point faire recevoir une visite qui ne pouvoit que l’embarasser, puis qu’elle estoit assez obligée au Cavalier pour ne luy point manquer de parole ; mais sa priere n’eut aucun pouvoir sur le Marquis. Il demeura obstiné dans sa demande, & étant venu lui dire le lendemain que celuy qu’il vouloit luy faire voir devoir arriver dans un moment, il la pria de prendre sa belle humeur, & de soutenir comme elle devoit le bien qu’il avoit dit d’elle. La répugnance qu’elle avoit à souffrir cette visite l’ayant fort déconcertée, elle le fut beaucoup davantage en voyant entrer le Cavalier qu’elle aimoit. Elle courut au devant de luy pour l’obliger à s’en retourner, afin de s’épargner l’embarras d’avoir auprés d’elle deux Amans, pour qui elle devoit également se contraindre ; mais le Marquis se mettant à rire, & prenant le Cavalier par la main, demanda à cette aimable personne, si elle le croyoit assez rempli de défauts pour meriter ses refus. Elle demeura dans une surprise inexprimable, ne sçachant si elle ne rêvoit pas, & s’il se pouvoit qu’on luy parlast tout de bon ? Le mistere fut bien-tost dévelopé. Le Cavalier estoit Neveu du Marquis, & en commençant à s’attacher à la Belle, il n’avoit point sceu que son Oncle prist assez d’interest en elle pour la regarder comme sa Fille. Le Marquis d’ailleurs ignorant l’attachement de ce Neveu, avoit esté fort surpris quand il luy avoit fait demander son consentement pour se marier avec la Belle. Il luy en auroit fait volontiers la proposition luy-même, s’il l’avoit cru disposé à n’écouter que son inclination. Son dessein avoit esté de tout temps, de donner une somme considerable à cette Fille adoptée, & l’occasion s’offrant de luy faire épouser son Heritier, il l’avoit acceptée avec plaisir. Il avoit seulement exigé de luy de ne parler qu’en general, & sans le nommer, du consentement que luy accordoit son Oncle, afin de pouvoir joüir de l’embarras de la Belle, qui luy déclaroit par là les sentimens de son cœur. Le Cavalier estoit Fils d’une des Sœurs du Marquis, & avoit acheté dans la Province une Charge qui luy donnoit un assez beau rang. La Belle l’y suivit sans répugnance, & vit avec luy dans une union qui la rend une des plus heureuses personnes du monde.

[La Feste du Parnasse, ou le Triomphe de l’Himen & de la Paix]* §

Mercure galant, mai 1698 [tome 5], p. 251-252.

On ne s’est pas contenté de faire des réjouïssances extraordinaires dans toutes les Villes du Royaume, à la publication de la Paix, accompagnées de toute la magnificence & de toute la profusion qui pouvoit marquer le zele de ceux qui ont voulu témoigner leur joye. Plusieurs particuliers ont fait des Ouvrages d’esprit, & des descriptions de Festes, qui auroient beaucoup diverti si elles avoient esté executées. Celle qui a esté faite par Mr le Chevalier de Blegny est des plus ingenieuses, & a pour titre, La Feste du Parnasse, ou le Triomphe de l’Himen & de la Paix. Elle est remplie de Vers faits pour estre chantez. Il y a beaucoup d’invention, & tous les Personnages qui conviennent au lieu où se passe cette Feste, y soutiennent parfaitement leur caractere. Cet Ouvrage qui a esté imprimé à Angers, se vend à Paris chez Laurent Doury, ruë Saint Jacques, au Saint Esprit.

[Mort de Mr Nicolas Tavernier]* §

Mercure galant, mai 1698 [tome 5], p. 260-261.

Nicolas Tavernier, Prestre, Lecteur & Professeur du Roy en la Langue Grecque, ancien Recteur en l’Université de Paris, Sous-Principal du College Royal de Navarre, & Doyen de la Tribu de Beauvais en la Nation de Picardie. Il avoit prés de quatre-vingt ans. Le Roy a nommé en sa place pour Professeur en Langue Grecque, Mr Pienud, Professeur de la Seconde du College d’Harcourt.

[Mort de Mademoiselle de Champmeslé]* §

Mercure galant, mai 1698 [tome 5], p. 266-268.

Il est glorieux à ceux qui embrassent une profession, de s’y distinguer assez pour faire connoistre leur nom par toute la terre. C’est ce qui est arrivé à Mademoiselle de Champmeslé, qui vient de mourir. Elle s’estoit fait admirer à Paris sur trois Theatres François, où elle a toujours receu de si grands applaudissemens, qu’il semble qu’elle ait commencé par où les autres finissent. Elle a joüé d’original tous les premiers rolles de la pluspart des Tragedies de l’illustre Mr Racine. Ainsi l’on ne doit pas s’étonner si ces Pieces, qui ont toujours merité les loüanges qu’elles recevoient du Public, ont passé pour des Chef-d’œuvres, puis qu’elles estoient également belles, & bien jouées.

Air nouveau §

Mercure galant, mai 1698 [tome 5], p. 280-282.

Je vous envoye une seconde Chanson. L'Auteur des Vers prend le nom de l'Ombre des Tuileries, & ils ont esté mis en Air par Mr l'Abbé de Poissi.

AIR NOUVEAU.

L’Air qui commence par Rossignols amoureux, doit regarder la page 281.
Rossignols amoureux, de quoy vous plaignez vous ?
Si vous aimez, vous aimez qui vous aime ;
Vous ne soupirez point qu'on ne fasse de même,
Les rigueurs ne sont que pour nous.
Rossignols amoureux, de quoy vous plaignez vous ?
Taisez vous, indiscrets, ménagez mieux vos flâmes,
Du sort de nos Bergers ne soyez point jaloux ;
Sans qu'il en coute aucun trouble à vos ames,
Vous goûtez de l'amour les plaisirs les plus doux.
Rossignols amoureux, de quoy vous plaignez-vous ?
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