1698

Mercure galant, juillet 1698 [tome 7].

2017
Source : Mercure galant, juillet 1698 [tome 7].
Ont participé à cette édition électronique : Nathalie Berton-Blivet (Responsable éditorial), Anne Piéjus (Responsable éditorial), Frédéric Glorieux (Informatique éditoriale) et Vincent Jolivet (Informatique éditoriale).

Mercure galant, juillet 1698 [tome 7]. §

Relation Academique & Galante §

Mercure galant, juillet 1698 [tome 7], p. 18-63.

Les Ouvrages de Mr de la Févrerie vous ont toujours fait beaucoup de plaisir. Ainsi vous dire que ce que vous allez lire est de luy, c’est vous dire qu’il merite d’estre lû.

RELATION
Academique & Galante.
À MONSIEUR L.V.D.M.

L’Interest que vous prenez, Monsieur, en tout ce qui me regarde, joint à la curiosité que vous avez pour les belles Lettres qui font mon occupation ordinaire, m’oblige à vous parler du lieu où je suis, & de la maniere que j’ay passé le temps depuis nôtre absence. Je demeure dans une petite Ville qui est presque au bout du monde, & qui n’estant ni Ville de guerre, ni Ville de commerce, est un séjour fort propre à la retraite, & à l’étude ; mais cette Ville pour estre champêtre, est plus peuplée, & plus considerable pour le merite de ses Habitans, qu’une Ville celebre d’Allemagne dont elle porte le nom. Il y a de l’esprit, de la politesse, & de la galanterie, autant qu’en aucun lieu du Royaume. Vous en conviendrez, par ce que je vais vous en apprendre, & je ne doute point qu’il ne vous prenne envie d’y venir passer quelques jours, si jamais vos affaires vous ramenent dans la Province.

Il y a quinze à seize ans, qu’il s’y forma une espece d’Academie sous les auspices d’un illustre President qui faisoit en ce temps-là les amours & les délices de cette Ville. Le Mercure Galant qui a soin de tout ce qui concerne en France, les Sciences & les beaux Arts, ne manqua pas d’en informer le public, & mesme avec éloge, & il ne tint pas à luy, non plus qu’à l’Auteur de la nouvelle Histoire de Normandie, qui en estoit le Secretaire, qu’elle ne fust un jour une Societé considerable dans la Republique des belles Lettres. Mais soit que l’étoile sous laquelle elle s’assembla fust contraire, ou qu’il en soit d’une Academie comme des plantes rares & délicates qui ne viennent pas par-tout, quelque soin qu’on prenne à les cultiver, celle-cy n’a pas duré long-temps, n’a fait que languir, & est morte, pour ainsi dire, avec son Protecteur qui luy fut ravy il y a peu d’années. Je ferois volontiers icy son Epitaphe, & celle de cette Societé, si je ne me reservois pour une autre occasion, où j’auray lieu de vous parler plus amplement de l’un & de l’autre. Je ne puis neantmoins m’empêcher de répandre quelques larmes sur son Tombeau, & de dire en passant à sa memoire.

Pleurez, Muses pleurez ; pleurez, tendres Amours.
Dans le mesme Tombeau l’on voit ensevelie,
 Une naissante Academie,
Avec son Protecteur, à la fleur de ses jours.
Pleurez Muses, pleurez ; pleurez tendres Amours.
La mort en terminant une si belle vie,
À de tous nos plaisirs interrompu le cours.
Elle renferme icy la beauté du genie,
Les agrémens du corps, les charmes du discours,
 Mille talens digne d’envie.
Pleurez, Muses, pleurez ; pleurez tendres Amours.

Si Rome & Athenes sont encore si celebres par les Grands Hommes qu’elles ont portez, & par les ruines de leurs superbes édifices ; la Ville dont je vous parle sera longtemps recommandable par le débris de son Academie, & par les beaux esprits qui en ont esté ; aussi-bien que par son admirable Aqueduc qui est digne de la magnificence des anciens Romains On voit donc encore icy quelques membres de cette Academie, qui valent bien des Statuës antiques, & qui font regretter aux curieux la séparation des parties d’un corps qu’Apollon & les Muses sembloient avoir composé. Ceux à qui il reste encore un peu de vie & de chaleur, c’est-à-dire la vie de l’esprit, & l’amour des belles Lettres, tâchent de se réünir, & d’inspirer aux autres qui en sont touchez, le desir de leur rétablissement, ou du moins de les imiter en quelque sorte, par des assemblées & des conversations, où la politesse & la galanterie soient jointes aux ouvrages de l’esprit.

C’est ce qui a donné lieu à l’agréable Societé dont j’ay dessein de vous parler, à laquelle ces Messieurs ont communiqué cet air academique, qui joint à l’air galant & poli qui y regnoit déja, en a fait le réduit des Graces & des Muses ; & voicy de quelle maniere je l’ay découvert. Comme je passois un jour dans un des quartiers de la Ville, je lus cette Affiche qui me frapa la veuë.

À tous les curieux, à tous les beaux esprits
 On donne un avis d’importance.
 Dans ce lieu l’on tient conference
Pour juger des Auteurs, & leur donner le prix.

La curiosité me prit, & je ne manquay pas par le moyen d’un de mes amis, de me faire introduire dans cette maison, où je fus reçû avec beaucoup d’honnêteté & d’agrément.

De gens choisis un petit nombre,
Comme à l’hôtel de Rambouillet,
Y vient, non pas joüer à l’hombre,
À la bassette, au lansquenet,
Mais tenir cercle & cabinet ;
Et chacun y fait la figure
Ou de Balsac, ou de Voiture,
Ou de tel autre bel esprit,
Que cet Hôtel mit en crédit.

Cela n’est pas mal débuté, mais comme vous n’aimez pas beaucoup les vers, & qu’ils gênent, je me serviray de la prose dans les occasions où j’en auray besoin, sans vouloir neantmoins rejetter l’inspiration des Muses, quand l’entousiasme me viendra prendre. Poursuivons.

La Dame du Logis merite avec justice
Pour ses rares vertus, & pour sa qualité,
 Le celebre nom d’Arténice :
 Et sa Fille dont la beauté,
 L’agrément, & l’air enchanté,
 Font une personne accomplie,
Doit avoir par raison, le beau nom de Julie.

Mais je ne puis mieux vous la faire connoistre, que par le Portrait que Lisandre en a fait sans y penser, dans la Comedie des Dames vengées. Julie est une petite personne vive, piquante, toute de feu, qui ébloüit, touche & emporte d’abord tous les cœurs. Contentez vous de cette idée, en attendant que je vous fasse voir quelque jour son Portrait en grand, où les perfections de l’ame seront jointes aux beautez du corps. Passons maintenant de la Fille au Pere, car il ne seroit pas juste

 De ne rien dire du Patron.
 Disons-en peu, mais qu’il soit bon.
 Dans cette Ville on le renomme
 La terreur des autres Maris,
 Et le plus galant petit homme
 Qui soit de Paris jusqu’à Rome,
 Et de Rome jusqu’à Paris.
 Pour moy qui jamais ne m’arreste
 Aux bagatelles que l’on dit,
 Je trouve qu’il est fort honneste,
Et je n’en juge pas sur un simple recit.
 Genereux, liberal, affable,
 Et de luy sans nul contredit,
 Le Proverbe est bien veritable,
Que dans un petit corps, il loge un grand esprit.

En effet, il en a du bon & du solide. Il aime les belles Lettres, & les personnes qui ont du sçavoir & du merite, & sa maison qui leur est toûjours ouverte, & dont il fait tres bien les honneurs, en est une preuve incontestable.

Un homme distingué par son bien, & par sa qualité, tient le premier rang dans ces Assemblées. Quoi qu’il soit fort connu dans le monde, vous ne serez pas faché de sçavoir comme il est fait. Son Portrait est d’aprés nature.

Polemarque est un Gentilhomme de tres-bonne mine, d’une taille au dessus de l’ordinaire, mais bien proportionnée. Il a les jambes d’aprés l’antique. Il est aimé de tous ceux qui le connoissent, mais il n’est pas connu autant qu’il le merite. Il parle de tout avec capacité, & il ne fait point le capable. Tout ce qu’il écrit est remply de bon sens, d’élevation & de justesse. Quoy qu’il soit riche & jeune, il n’a aucun attachement à la vie. Il avoit de la Religion longtemps avant que ce fust la mode d’en avoir. Quelque penchant qu’il ait pour les plaisirs, il les quite sans peine pour faire son devoir. Il a de la discretion, & une fidelité inviolable. Il ne faut pas cependant compter sur sa parole pour les petits voyages. Il pleut, ou il fait froid, c’est assez pour ne la pas tenir.

Il mene avec luy d’ordinaire un certain Abbé, qui est son Confident, & l’Interprete de ses plus secretes pensées. La facilité qu’il a pour la rime, & pour le tour du vers, luy fait mettre en poësie, ce qu’il écrit en prose ; & il est auprés de luy, ce que le Poëte Menard estoit auprés de la Reine Marguerite, il met ses pensées en œuvre.

 C’est un Abbé de belle taille,
 Qui ne sçait chanter ni danser.
 Il fait des vers vaille que vaille,
 Et pour Poëte il peut passer.
 Il est bien fait de sa personne,
Sa phisionnomie est bonne,
Et s’il n’a pas d’esprit, on y seroit trompé ;
 Car il en porte témoignage.
Mais à juger des gens on est bien attrapé,
Et comme a dit Scarron, dans un certain ouvrage,
C’est un fort grand trompeur souvent que le visage.

Aprés cet Abbé, je ne puis mieux placer un digne Magistrat des amis d’Arténice, & fort estimé de cette Troupe spirituelle qu’il a formée & cultivée, pour ainsi dire, & dont il est un des suppots en qualité d’ancien Academicien. Quoique fort appliqué à sa Charge, & à son devoir, il se dérobe quelquefois aux affaires, pour joüir des plaisirs, & du commerce du beau monde ; & pour carresser les Muses, aprés avoir fait sa cour à Themis. Il possede les Sciences, & connoist les beaux Arts. La Musique & la Peinture sont ses favorites ; & ses mains ne brillent pas moins dans le Dessein, que sur le Clavessin. Il chante d’une maniere tendre, & de la bonne méthode, compose de petits airs avec les paroles, où il a un merveilleux talent ; fait joliment des vers, a beaucoup de recherches curieuses pour l’Histoire de la Province ; commode & facile dans le commerce de la vie : d’humeur égale, & d’agréable conversation ; qu’on est bien aise de trouver où l’on est, & qu’on trouve toûjours à dire où il n’est pas, lorsqu’il est question de se bien divertir.

Mais un aimable Parent du logis, s’y fait beaucoup distinguer, & s’attire l’approbation de tout le monde par sa bonne mine, & par son merite. Ce seroit pour faire un Cavalier accomply, si on ne l’avoit destiné à la Robe, pour laquelle il a de grands talens. Il a déja paru dans une Cour Superieure avec éclat, & l’on y admire tant de differentes qualitez dans une mesme personne ; car il a autant de solidité que de brillant, & un grand fonds d’honneur & de probité, sous un exterieur que ceux qui ne le connoissent pas, pourroient accuser de faste & de fierté. L’abord noble & charmant, un grand éclat meslé d’une grande douceur, la conversation aisée. Il parle bien, écrit joliment, fait passablement des vers, enfin il est aimé des Dames, & le goust qu’elles ont pour luy fait son éloge.

Nonobstant celuy que je viens de vous representer, deux jeunes Cavaliers, dont l’un a pris aussi depuis peu le party du Barreau, brillent davantage dans cette charmante Assemblée, & effacent tous ceux qui s’y rencontrent. Ce sont de ces gens pour qui le mot de joli homme semble avoir esté fait. Ils sont parens, de mesme âge, les mesmes inclinations, & les mesmes études. Ils chantent joliment, écrivent de mesme en vers & en prose. L’un d’eux a beaucoup de délicatesse, & une memoire prodigieuse. Luy seul peut composer une Academie, du moins on peut dire qu’il n’est peut-estre point entré de plus beau Parleur, & de plus agréable Lecteur que luy, dans l’Academie Françoise. L’autre est d’un caractere plus doux & plus tendre, il feroit assez bien le personnage du Marquis de Pisani à l’Hôtel de Rambouillet.

Comme autrefois le beau Sexe y partageoit la gloire du bel esprit, & en faisoit tout l’ornement, il se trouve dans ce lieu-cy plusieurs Dames d’un merite distingué, & dont l’esprit & la vertu rélevent la beauté, & les autres qualitez. Pour vous en former une idée aussi juste qu’avantageuse, vous n’avez qu’à vous souvenir de Madame de Sablé, de Madame de Saintot, de Madame de Villesavin, & de Mesdemoiselles Paulet, de Vertus, & du Vigean, qui avoient l’amitié & la confidence de la sage Arténice, & de la divine Julie.

Il y en a une qui a une liaison particuliere avec la Mere, & qui l’attache par le sang & par le devoir, dont le caractere est rare & singulier. Je défierois le Traducteur de Theophraste de la pouvoir dignement exprimer. Elle est spirituelle & enjoüée, quoy que la mélancolie laisse voir quelquefois dans ses yeux & sur son visage des marques de vapeurs dont elle est souvent tourmentée ; l’esprit vif & brillant au delà de l’imagination. Personne ne trouve & ne peint mieux le ridicule des gens. Elle excelle dans la Satire & dans le Burlesque. Ses billets & sa conversation réjoüissent beaucoup, & si on s’apperçoit qu’elle a toûjours plus d’esprit que les autres, on lui pardonne de ce qu’on en a moins qu’elle, parce qu’elle en fait trouver plus qu’on ne croyoit en avoir. C’est une de ces personnes brillantes d’un feu vif & pur, qui porte par tout la lumiere, & qui éclaire autant qu’il ébloüit. Il ne faut pas s’étonner si elle plaist plus qu’une autre, & si avec tant d’agrémens elle a souvent effacé de plus grande beautez ; mais elle seule peut réüssir à faire son Portrait. Je porte donc mes couleurs sur une autre toile.

Tullia est blonde, mais son teint & l’air de son visage, la font paroistre brune. Il est vif coloré. Les yeux bleus, brillans, & pleins de feu, & d’esprit. J’en dirois d’avantage si ses paupieres les laissoient voir tout entiers. Les dents belles, la bouche mignonne, ornée de petites façons, qui luy donnent beaucoup d’agrément, lors qu’elles prend soin de la ménager, car autrement elle paroist un peu torse. Le menton, le tour du visage, & ce qu’elle laisse voir de sa gorge, ont des beautez que je ne puis répresenter. Il semble que la nature ait pris plaisir à les former, pour réparer la faute qu’elle a faite, en lui donnant un nez d’une figure si bizarre, qu’il effaceroit toute autre beauté que la sienne. En effet il saisit d’abord tellement l’imagination, que tous les charmes que l’on découvre en elle quand on l’examine de prés, s’evanoüissent dés qu’on ne la voit plus, & il ne demeure que cette idée choquante qu’il a imprimée. On peut luy appliquer ces vers de Catulle, de la maniere que Voiture les a citez, pour une Dame qui avoit le nez fait comme elle.

Non est sana puella, nec rogare
Qualis sit solet hæc imagonasum.

Tullia est grande, la taille droite & menüe, ni trop, ni trop peu d’embonpoint. Elle dance bien ; le sérieux luy convient assez, & elle le prend d’abord avec les personnes qu’elle ne connoist pas ; mais l’air de prude ne luy sied point, & elle a besoin pour paroistre jeune, de tout l’enjoüment & de toute la gayeté de son humeur, & de son temperament. Elle ne manque pas aussi de s’en servir, quand elle veut plaire, avec un petit filet de voix qu’elle ménage agréablement. Ajoûtez à cela des manieres libres, aisées, l’esprit galant, & du monde ; & vous trouverez qu’elle est bien faite. Elle parle des Livres quelquefois, & elle entretient commerce avec les beaux esprits. On ne doit donc pas être surpris si elle fait le charme de cette Societé, qui sçait profiter de toutes sortes de caracteres, & mesler fort à propos l’esprit naturel avec le sçavoir & l’étude.

On voit encore icy deux aimables Sœurs, a peu prés du mesme âge, & d’un égal merite, si ce n’est que l’esprit fasse un peu pancher la balance du côté où cette maladie ennemie du beau Sexe, a voulu s’opposer à la nature, qui leur avoit assez bien partagé la beauté. Je ne puis mieux vous les representer que par ce couplet de Chanson de Voiture, pour Mesdemoiselles du Vigan, car elles ont comme celles-là.

Et le cœur noble, & le corps gent, Landrirette ;
Tout homme qui les voit est fry, Landriry.

Il ne faut mesme que les entendre chanter, car elles ont encore receu ce talent du Ciel en commun. Quand elles chantent séparément on ne sçait à laquelle donner le prix ; & quand elles chantent ensemble, l’ame se perd & se confond dans une seule harmonie. Mais ce n’est pas en cela seulement, qu’on a de la peine à décider du merite de ces deux incomparables Sœurs à qui j’appliquerois volontiers ce qu’un galant Homme a dit sur un pareil sujet.

Quatre beaux yeux m’ont sçû charmer.
Ah ! mon mal ne vient que d’aimer !
Deux Sœurs que je n’oze nommer,
Me tiennent en cervelle.
Ah ! mon mal ne vient que d’aimer ;
Mais je ne sçay laquelle.

Toutes deux sont fort amies de Julie, mais l’une y est plus attachée que l’autre. Elle l’appelle son Galant, & comme elle écrit fort agréablement, & avec une grande facilité, elles font commerce de Lettres ensemble, & se font une espece d’engagement, de s’écrire tous les jours ; ce qui a formé une étroite liaison entre ces deux spirituelles & charmantes Personnes.

Mais il ne faut pas que j’oublie
La Confidente de Julie,
La grande Fille aux petits yeux,
Au teint frais, aux dents admirables ;
 Si propre à rendre un homme heureux,
Et qui fait tous les jours cent Amans miserables.
 Quelqu’un ose bien se flater,
 Qu’elle daigne un peu l’écouter ;
Mais tant qu’on luy verra cette santé fleurie,
 Je croy qu’on a lieu d’en douter,
 Et que c’est une raillerie.
 Du reste, elle fait peu de cas
 De Menage, ou de Vaugelas,
 Encore aussi peu se soucie
 De Roman, & de Comedie,
 Et de tous ces amusemens.
 Seulement elle s’étudie
 À sçavoir combien tous les ans,
 Luy produira sa Bergerie.
Au contraire l’Amant qui pousse des soupirs
 Pour cette aimable Confidente,
À tous les biens du siecle a l’ame indifferente.
Ses Livres plus que l’or occupent ses desirs,
 Et l’étude fait ses plaisirs.
Il a du jugement, la memoire fidelle,
Le bon goust des Auteurs, dont il connoist le fin.
 Il sçait du Grec & du Latin,
Mais ce n’est pas par là qu’il charmera la Belle ;
 Et s’il n’a pas de bien d’ailleurs,
 En vain en luy contant fleuretes,
Il cite à tous propos Orateurs & Poëtes,
 Historiens, historietes,
 Apollon avec les neuf Sœurs ;
Son ame est insensible à toutes leurs douceurs.
 À cela prés, l’union de leurs cœurs
 Et de leurs corps seroit bien assortie ;
 Et peut-estre elle se fera.
Mais depuis que j’ay lû d’Iphilé & de Cinthie,
 Dans le Roman d’Alcidamie,
Le bizarre Portrait, le sort, & cætera,
 Je ne sçay ce qu’il en sera ;
 Et je crains qu’un jour cette Fable
Ne soit de leurs amours l’histoire veritable.

Mais je ne prétens pas vous faire icy la peinture & l’histoire galante de toutes les personnes qui composent cette agréable Societé. Je me rendrois sans doute ennuyeux par ma longueur & par mon insuffisance. Je finis donc ces caracteres par une idée generale de cette nouvelle Academie, ou plûtost de cette brillante Societé ; car des personnes de cette sorte, & qu’on peut dire triées au volet, ne sçauroient avoir qu’un commerce fort galant & fort spirituel. Leur union fait leurs assemblées, & leurs visites sont des Conferences. Pendant que le jeu, la bonne chere, l’interest, la médisance & la curiosité assemblent la pluspart des gens du monde, ceux-cy ne se voyent, & ne font partie que pour joüir des plaisirs de l’esprit par le moyen d’une honneste conversation. Chacun de son costé y contribue de son propre fond, ou par des connoissances acquises. La lecture des bons livres, les questions galantes, les heureuses rencontres, les nouvelles, sont des matieres abondantes ; & tout cela assaisonné de temps en temps, par de petits concerts meslez de voix & d’Instrumens, ne laisse point de place à l’ennuy.

 Jamais on ne demeure court,
On a pour l’entretien un fond inépuisable.
Le Mercure galant est toûjours sur la Table.
L’Enigme, & la Chanson fournissent à leur tour,
Des affaires du temps le recit veritable ;
Les Vers galans, l’Histoire, & ce qu’on met au jour.
Les uns parlent de Guerre, & les autres d’Amour.
Jamais d’aucun fâcheux la presence ennemie
 Ne trouble cette Academie.
 Cet Hôtel est si bien gardé,
 Qu’elle n’est point interrompuë.
L’Etranger, l’Inconnu, n’y font point de cohuë,
 Et nul n’y vient, s’il n’est mandé.
***
Ceux dont la renommée à publié la gloire,
 Et de qui le nom est connu ;
 Ceux dont la modestie est jointe à la vertu,
 Et qui ne s’en font pas à croire,
Dans cet aimable lieu sont toûjours bien receus.
Mais pour les entestez & les opiniâtres,
 Qui sont d’eux-mêmes idolâtres ;
 Pour ces gens qui parlent Phœbus,
 Pointes, équivoques, Rebus,
 Faux Plaisans, & Conteurs d’histoire,
 Ils n’auront point de part icy,
 Non plus qu’au Temple de Memoire,
Cette affiche le dit, je vous le dis aussi.

Pour leur nom & leur Devise, tout est pur & simple, conforme au lieu & aux personnes. Ils n’ont pas affecté de prendre, comme quelques Academies d’Italie.

De ces bizarres noms que l’usage autorise,
 Et dont là chacun se baptise,
Mais comme à leur devoir ils s’appliquent sur tout,
Et que par leur constance, il n’est point d’entreprises
 Qu’ils ne puissent mener à bout,
Ils ont tiré de là leurs noms & leurs Devises,
Et l’on peut en effet dire qu’ils sont toujours,
Constans dans leurs travaux, constans dans leurs amours.

Voilà, Monsieur, tout ce que je vous puis apprendre maintenant de cette naissante Academie, ou de cette galante Societé, comme vous voudrez l’appeller. Lors que l’Amour ou les Muses y auront fait naistre quelque chose de nouveau, je ne manqueray pas de vous en faire part, si je voy que vous y preniez plaisir. Je suis vostre, &c.

Sonnet §

Mercure galant, juillet 1698 [tome 7], p. 63-65.

L’Auteur du Sonnet que vous allez lire, l’a fait pour prendre congé du beau Sexe. C’est plûtost des Coquettes que des autres, puis que l’esprit est toujours un charme qui fait oublier le nombre des ans auprés des personnes qui sont touchées du merite.

SONNET.

Veux-je glacer les moins cruelles
Par la nege de mes cheveux ?
Je fais un pacte avec mes yeux
De ne penser jamais aux Belles.
***
Aimables & tendres Pucelles,
Recevez mes derniers adieux.
À cinquante ans on est trop vieux
Pour debiter des bagatelles.
***
Si je ne vis plus sous vos loix,
N’apprehendez pas toutefois
Les jeux malins de ma Satyre.
***
On doit toujours vous respecter ;
Le trait d’un fou c’est de médire
Des Puissances à redouter.

Stances irregulières §

Mercure galant, juillet 1698 [tome 7], p. 65-68.

Ces autres Vers ont esté envoyez par le même à deux aimables Personnes, qui luy avoient dit, qu’elles souhaitoient estre ses Femmes d’esprit, & qui luy manderent ensuite qu’il leur sembloit qu’il manquoit quelque chose à un Mariage spirituel.

STANCES IRREGULIERES,

O Vous qui rebutez tant de cœurs pour offrandes,
 Et qui prévinstes mes demandes,
Vous donc, de qui l’esprit par des charmes puissans,
 M’a fait résoudre au Mariage ;
 Dégagez des plaisirs des sens,
 Vivons tous trois en bon ménage.
 Unis d’un nœud spirituel,
 N’exigeons rien qui ne soit tel.
Rien n’est si doux qu’une union si pure.
Separons sagement nostre felicité
 Des foiblesses de la nature,
Et nous nous aimerons jusqu’à l’éternité.
***
 Sans regret laissons au vulgaire
 Des plaisirs communs & grossiers.
 Sur ce qui tient de la matiere
Deux Anges comme vous doivent paroistre fiers.
C’est sur cette fierté, sur cette hauteur d’ame
 Qu’il faut fonder nostre bonheur.
Par là nous répandrons une vive splendeur
 Sur les noms d’Epoux & de Femme.
***
 C’est le prendre d’un fort haut ton,
 La chose sera peu suivie,
 Mais la mode est de la raison
 La plus ordinaire ennemie.
Eh bien, balancez-vous sur un pareil Himen ?
 Courage, dites donc amen,
Et faites galamment ce que l’honneur desire,
Des plus heureux Epoux je suis le plus heureux,
Si je vous vois d’humeur, d’un petit mot pour rire
 À vous contenter toutes deux.

[Imitation d’une Epigramme de Martial] §

Mercure galant, juillet 1698 [tome 7], p. 68-71.

Voicy une Imitation d’une Epigramme de Martial. Elle est de Mr Moreau de Mautour.

À MONSIEUR P.D.L.V.
Conseiller au Parlement
de Bourgogne.

 Un Sçavant de l’Antiquité,
Ennemi déclaré de la mélancolie,
Nous apprend, cher Damon, ce qui fait de la vie
 La plus douce felicité.
***
Un bien qu’on trouve acquis, ou qui nous vient sans peine,
Point de fâcheux procés ny d’employ qui nous gêne,
Des affaires d’autruy se mêler rarement,
Une demeure fixe, une terre abondante.
Avoir l’esprit égal, un bon temperament,
 Une simplicité prudente,
Un corps robuste, exempt d’infirmité.
 Passer d’agréables soirées,
 D’excés & d’ennuis délivrées.
Des égaux pour Amis, avec eux liberté,
Table sans aucun faste, un commerce facile,
 Un sommeil doux, tranquile,
Qui fasse peu durer les heures de la nuit.
 Une Epouse d’humeur docile,
 Honnête, n’aimant point le bruit,
 Chaste sans estre difficile.
Content de ce qu’on est, joüir paisiblement
 Du peu que l’on a sans se plaindre,
 Attendre la mort constamment,
 Ne la desirer, ny la craindre,
Voilà de quoy passer la vie heureusement.
***
 Riche, content, sain & tranquille,
Soit que Themis vous retienne à Dijon,
Pour remplir les devoirs d’un Magistrat habile ;
 Soit que Pomone ou Flore à Couternon.
Vous fasse préferer la campagne à la Ville,
 Pour y mesler l’agréable à l’utile,
Ami, n’estes-vous pas un des hommes heureux,
Pour qui le Sort n’a rien de rigoureux.

[Feste solemnisée à Grenoble] §

Mercure galant, juillet 1698 [tome 7], p. 85-87.

 

La solemnité de le Canonisation de Saint Jean de Dieu, Fondateur de l'Ordre de la Charité, a esté faite à Grenoble avec beaucoup de magnificence. Elle commença le Dimanche huitiéme du mois passé, & elle dura huit jours. Si les Religieux de la Charité de cette Ville-là ont differé si longtemps à solemniser cette grande Feste, ce retardement a esté causé par l’embarras qu’ils ont eu à cause de la quantité de Soldats malades de l’Armée d’Italie qui étoient venus dans leur Hôpital. L'Etendart où estoit representé le Saint ayant esté beni dans la Cathedrale par Mr le Cardinal le Camus, on fit la Procession generale, où son Eminence assista. Tous les Corps Religieux s'y trouverent, & pendant huit jours ce fut un concours surprenant de peuple que la devotion attiroit de tous costez. Huit differens Predicateurs firent l'Eloge du Saint, & Mr le Cardinal, qui fit l'ouverture, se distingua à son ordinaire par son éloquence & par son sçavoir. Tous les jours aux Offices divins une agréable Symphonie de Violons se faisoit entendre ; & au Salut on tiroit du Canon à differentes reprises. [...]

[Nouveau jetton à la gloire du Roy, gravé par l’ordre de Mrs du Consulat de Lyon] §

Mercure galant, juillet 1698 [tome 7], p. 181-192.

Le Roy, sur la fin de l’année derniere, fit envoyer à Mrs du Consulat de la Ville de Lyon une Lettre de Cachet, avec un Brevet pour faire continuer Mr du Gua, Prevost des Marchands, dans sa Charge, à cause de son merite extraordinaire. En effet, cet illustre Magistrat ne soutient pas seulement cette dignité de Prevost des Marchands dans la Jurisdiction Consulaire de Lyon, laquelle par ses anciens Privileges a son étendue par tout le Royaume, mais il exerce encore celle de Commandant en l’absence du Gouverneur de la Province, avec une vertu & une capacité distinguée, & un applaudissement universel. Messieurs du Consulat ont accoutumé tous les deux ans, à l’élection de Mr le Prevost des Marchands, de faire graver des Devises ou Emblêmes sur des Jettons d’argent, dont ils presentent des bourses à Mr le Gouverneur ; à Mr l’Intendant ; à Mr le Prevost des Marchands, & à Mrs les Echevins. Mr Perachon, dont le nom est si connu par plusieurs de ses Ouvrages, qui luy ont fait meriter d’estre Pensionnaire de Sa Majesté, eut l’avantage que ce qu’il fit dans cette occasion fut préferé à plusieurs autres Devises ou Emblêmes qu’on leur presenta. Comme le sujet s’est rencontré favorablement dans l’heureuse circonstance de la Paix, il a jugé que sur ces Jettons, où l’on avoit fait graver d’un costé les Armoiries de ceux ausquels on les presente, il falloit mettre dans le revers une Figure Equestre du Roy, couronné de feüilles de Laurier & d’Olivier, pour exprimer ses triomphes de la Guerre & de la Paix, avec ces mots, Magnus Bello, Pace maximus. Grand par la Guerre, & tres-grand par la Paix. Sur ce sujet il a fait les Vers que vous allez lire. Vous les trouverez remplis de fortes pensées à la gloire de Sa Majesté.

 Il est vray que la Paix arreste les Exploits
Du bras victorieux du plus grand de nos Rois.
Il est vray que LOUIS parut grand dans la Guerre,
Et poussa ses exploits jusqu’aux bouts de la terre.
Il eut des Ennemis presqu’en tout l’Univers,
Qui jusqu’au nouveau monde ont senti des revers.
Ce n’est pas seulement de l’Europe alarmée
Qu’il fit un grand theatre à sa valeur armée.
Dans le double Hemisphere il est peu de climats,
Où l’on n’ait vû le champ de ses fameux combats.
Des tresors Indiens la dépoüille brillante
Est un riche trophée à sa main triomphante,
Et son vaste pouvoir sur l’Empire des Eaux
L’a rendu le Vainqueur de dix mille Vaisseaux.
Il acquit des Lauriers dans toutes les Batailles ;
Les plus puissans rampars, les plus fortes murailles
Cederent à son art de prendre une Cité,
Et rien ne fut égal à sa rapidité.
En vain les Ennemis dans l’un & l’autre monde,
Ont toujours envié sa gloire sans seconde,
Le fruit qu’ils ont cueilli de leur jalouse ardeur
Est d’avoir fait connoistre & sa force & son cœur.
Mais quoy qu’il ait marché de victoire en victoire,
La Paix luy donne encor une plus haute gloire.
En se vainquant soy mesme il a le digne prix
De vaincre le Vainqueur de tous ses Ennemis.
Au bien de l’Univers, en calmant ses alarmes,
Il a sacrifié la gloire de ses armes,
Et ne s’est reservé de sa noble fureur
Que pour faire la guerre à l’infidelle Erreur.
Il combat seulement pour la gloire celeste,
Et la seule Heresie en sent le coup funeste
La gloire des Combats, prix de l’ambition,
Le cede en ce Heros à la Religion.
La gloire de la guerre à plusieurs se partage,
Mais l’honneur de la Paix de luy seul est l’ouvrage.
Sur tout il fait briller sa generosité
Pour les premiers objets de son bras redouté.
Et pour mieux affermir le repos des Espagnes,
Il leur rend par la Paix le gain de dix Campagnes.
Mais relâchant ainsi de ses exploits vainqueurs,
Il a bien plus conquis en conquerant les cœurs.
Ainsi loin d’amoindrir ses conquestes fameuses,
Il sçait les augmenter par des Paix glorieuses,
Et nous pouvons conclurre au gré de nos souhaits,
Qu’il est grand par la Guerre, & tres-grand par la Paix.

Mrs du Consulat de la Ville de Lyon, en consideration de cette Devise, ou Emblême, faite par Mr Perachon, luy ont fait present d’une bourse de Jettons d’argent, qui l’a obligé de faire ce Sonnet pour Mr le Prevost des Marchands & Mrs les Echevins.

Illustres Magistrats, à qui les destinées
Ont reservé les soins de remplir nos souhaits,
Je dois faire briller vos vertus couronnées,
Qui jusques à ma Muse étendent leurs bienfaits.
***
Nos Familles par vous sagement gouvernées,
Ont attiré du Ciel l’abondance & la Paix,
Et sous vos justes Loix calmes & fortunées,
Sont autant de témoins de vos glorieux faits.
***
Lyon qui tient de vous un destin si propice,
Puis que vous luy rendez si parfaite justice,
Doit aussi par ma voix vous la rendre à son tour.
***
Et dans les sentimens de ses reconnoissances,
Vous nommer à bon droit pour vos bienfaits immenses,
Les Peres du Pays qui vous donna le jour.

[Relation de ce qui s'est passé à l’entrée de Mr l’Evesque de Blois]* §

Mercure galant, juillet 1698 [tome 7], p. 196-212.

 

Vous ne serez pas fachée de sçavoir ce qui s'est passé à l’Entrée de Mr de Bertier, que le Roy a fait premier Evéque de Blois. Tous les ordres pour sa reception en cette Ville-là ayant esté donnez, & le jour se son Entrée marqué au Jeudy 26. de Juin, ce Prelat accompagné de la Maréchaussée, qui estoit allée au devant de luy jusqu'à sa maison de Champigny, à trois lieuës de la Ville, se rendit au son des Cloches & au bruit de la Mousqueterie, en l’Abbaye de Saint Laumer, où il fut receu à la porte de l’Eglise par le Prieur, qui le harangua à la teste de sa Communauté. Le reste du jour et le lendemain matin, il receut les complimens & les harangues de tous les Corps de Ville & de toutes les Communautez Seculieres & Regulieres, ausquelles il répondit avec une presence d'esprit & des manieres obligeantes qui le firent admirer de tout le monde. À deux heures précises, il partit de l’Abbaye précedé de toute la Communauté, qui le conduisit jusqu'à l’entrée de la Ville, où l'on avoit préparé un Trône sur une estrade élevée de plusieurs marches. Il y trouve tous les Corps de Ville, la Chambre des Comptes, le Presidial, l'Election ; & dans le même moment, les Religieux, les Paroisses, & tout le Clergé, arriverent processionnellement de toutes parts. Le Maire de Ville avec les Echevins le harangua de nouveau. Le Chapitre de Saint Sauveur, choisi pour composer la Cathedrale, fit la même chose. Ce Prelat fut revêtu de ses habits pontificaux, & la marche commença.

Depuis l’Entrée de la Ville jusqu'à l’Eglise paroissiale de Saint Solemne, destinée pour estre la Cathedrale, toute la Bourgeoisie en armes formoit une double haye, afin d'empêcher autant qu'il se pourroit, que la foule du peuple, accouru de vingt lieuës à la ronde, ne rompist la marche. Le Clergé chantoit des Pseaumes & des Hymnes qui avoient rapport à la ceremonie, & le peuple l’accompagnoit d'acclamations & de cris de Vive le Roy. [...]

Il fut conduit par le Prieur à l'Autel, & de là à son Trône, où il entonna le Te Deum, qui fut chanté par la Musique du Chapitre.

[Madrigal ; Idille]* §

Mercure galant, juillet 1698 [tome 7], p. 213-225.

Je vous envoye un Ouvrage, de la bonté duquel vous serez persuadée, quand vous sçaurez qu’il est de l’Auteur de la Satyre des Petits-Maistres. Tout ce qui vient de luy ne sçauroit manquer d’avoir le même avantage. Ce dernier Ouvrage a receu de grands applaudissemens de toute la Cour.

À MONSIEUR LE MARQUIS
DE DANGEAU,
Chevalier d’honneur de Madame la Duchesse de Bourgogne.
MADRIGAL.

Dangeau, que la Vertu dans nostre Cour éleve !
Jusqu’aux honneurs du premier rang,
 Et dans qui le merite acheve
 Ce qu’avoit commencé le sang.
 À celebrer nostre Princesse
 Je sens mon esprit excité.
 Protegez ma témerité,
 Mon zele excuse ma foiblesse.
Si vous vouliez chanter, tout le sacré Vallon
Viendroit à vostre voix, dont le charme l’attire ;
 C’est un sujet digne de vostre lyre,
 Ou de la lyre d’Apollon.

ADELAÏDE.
IDYLLE.

Venez, nobles Jumeaux 1, venez, Freres d’Hélene,
Retablir dans ses droits l’agréable Printemps ;
 Faites briller vos regards éclatans,
Pour écarter l’orage, & dessecher la plaine.
Quel desordre fatal dérange les saisons ?
D’où vient ce noir manteau dont le Ciel s’envelope ?
 Pourquoy les humides Poissons 2
Osent-ils dégrader le Ravisseur 3 d’Europe ?
La terre sur son axe auroit-elle tourné,
Et pour placer l’Afrique aux Zones temperées,
Relegué ce climat si doux, si fortuné
 Dans les frimats hyperborées ?
Ou si, pour expliquer la cause de nos maux,
 Nous pouvons dire avec justesse,
 Que les siecles ont leur vieillesse
 Aussi-bien que les animaux.
***
D’un principe inconnu l’effet est trop sensible ;
L’air n’est plus égayé par le chant des Oiseaux,
 Et dans ce bocage paisible,
 Les torrens enflez par les eaux
Ont imposé silence avec leur bruit terrible
 Au doux murmure des ruisseaux.
 Les Bergeres dans nos prairies
Sur le tendre gazon ne tracent plus leurs pas ;
On ne les y voit plus relever leurs appas
Par le simple ornement des guirlandes fleuries ;
Le Berger, languissant de desirs & d’amour,
Y vient chercher en vain la Beauté qui l’engage,
Et n’y fait plus de honte à l’indolente Cour
De voir les airs galans confinez au village.
***
 Agreables amusemens,
 Tendres soupirs, séduisante fleurette,
 Pas mesurez, enchanteurs mouvemens,
Qui me charmiez à l’ombre, au son d’une Musette,
 Ce n’est point vous que je regrete.
Si je forme des vœux pour délivrer nos bois
De l’Astre pluvieux qui dans les airs préside,
 C’est pour chanter Adelaïde
Aux Bergers attentifs qu’assemblera ma voix.
***
Mais déja des Zephirs la caressante haleine,
 Et leurs feconds embrassemens
 Au beau rivage de la Seine
 Rendent ses premiers agrémens.
Allons : c’est trop languir dans un triste silence ;
Celebrons des appas dignes d’estre adorez,
 Et frapons les airs épurez
 Par des chants de réjoüissance.
***
 Accourez, Peuple fortuné,
 Chez qui la Paix & l’Innocence,
 Le front d’olive couronné,
 Ont établi leur résidence.
Apprenez le bonheur qui vous est destiné.
LOUIS de vostre sort a fixé l’inconstance,
Et pour vous procurer de tranquilles momens,
 Il affermit vostre esperance
 Sur d’immuables fondemens.
Il rend à vos desirs les vertus de Tereze,
 Il donne à vos vœux empressez
Une illustre Beauté, dont le merite appaise
Tant de regrets cuisans qu’elle vous a laissez.
Jamais le chaste Hymen, d’une si noble chaîne
 N’enrichit la voûte des Cieux,
 Même, quand le Maître des Dieux
Avec la jeune Hébé joignit le Fils d’Alcmene.
On voit s’acheminer nostre troisiéme appuy
 À ternir la gloire d’Alcide.
 Il est digne d’Adelaïde,
 Elle seule est digne de luy.
***
Que le Prince est charmant ! qu’au delà de son âge
Il pousse dans les Arts sa pénetration !
Déja pour le payer de son attention,
Du voile qui les couvre ils écartent l’ombrage
Minerve à ses regards fait briller leur beauté.
Rougissez devant luy, Jeunesse dissipée,
Qui de fades plaisirs lâchement occupée
 Osez en faire vanité.
De son Auguste Ayeul empruntant le tonnerre,
Nous l’allons voir bientost dans les plaines de Mars,
 Comme le premier des Césars,
Joindre les notions du grand Art de la Guerre
 À l’amour des paisibles Arts.
Bientost vous tremblerez devant ses Etendarts,
Ennemis inquiets du repos de la Terre.
***
Comment de sa Princesse exprimer les attraits ?
 Quels tresors faut-il que j’assemble
 Pour en réunir tous les traits
 Dans un Portrait qui luy ressemble ?
 Email mobile, aimables fleurs,
Dont le Soleil enfin vient d’embellir nos rives,
Pourrez vous de son teint figurer les couleurs ?
 Non, vous n’estes point assez vives.
Et vous, Feux de la nuit, vous qui disparoissez
Dés que l’Astre du jour vient fournir sa carriere,
Pourrez vous de ses yeux nous peindre la lumiere ?
 Non, vous ne brillez point assez.
***
 Les Graces, du Mont de Cythére
 Quittant le séjour immortel,
Viennent étudier dans son air naturel
 Les plus fines leçons de plaire.
Que vous diray-je encor ? Nostre felicité
A voulu que son Astre unist dés sa naissance
 L’Esprit brillant & la Bonté,
Qui sont si rarement de bonne intelligence.
C’est par ces qualitez que le plus grand des Rois,
Ce sage Estimateur du merite solide,
 Se délasse du noble poids
Qu’imposent à son rang les Armes & les Loix,
Dans la Troupe des Jeux qui suit Adelaïde.
***
Croissez, jeunes Epoux, croissez, Couple charmant,
Objet des tendres soins de nostre Auguste Maistre,
 Croissez en âge seulement,
En graces, en vertus vous ne sçauriez plus croistre.
 Hastez-vous de combler nos voeux
Souffrez qu’avec l’Amour la Gloire vous partage,
 Et que le Ciel favorable à vos feux,
De vos rares talens, à nos derniers Neveux
En de vivans Portraits fasse passer l’image.

[Sonnet qui a remporté le Prix proposé par la Compagnie des Lanternistes] §

Mercure galant, juillet 1698 [tome 7], p. 225-229.

Je vous envoye le Sonnet en Bouts-rimez qui a remporté le Prix cette année, par le jugement de Mrs les Lanternistes de Toulouse. Ils ont tenu leur assemblée pour en décider, chez Mr de Lucas, Conseiller au Parlement. Tout le monde sçait que ce zelé Magistrat ne s’applique pas avec moins d’ardeur à rendre la justice, qu’à contribuer par ses soins à tout ce qui regarde la gloire du Roy. Le Sonnet en faveur duquel cette illustre Compagnie s’est déclarée, est de Mr Grangeron, de Toulouse. La lecture que vous en allez faire, vous fera connoistre qu’Apollon, le Dieu des Sciences & des Arts, ne l’a pas moins favorisé dans la maniere heureuse avec laquelle il tourne des Vers, que dans la partie de la Medecine qui regarde la connoissance & la vertu des Simples.

AU ROY.

Heros, dont la vertu nous rend le Ciel propice,
Ton auguste conduite a rempli nos souhaits ;
Le comble précieux de tes nouveaux bienfaits,
A de nos Ennemis desarmé le caprice.
***
Bellonne trop longtemps a fait ton exercice,
On la voit faire place à des plaisirs parfaits.
Des Lauriers dont encor Mars t’offre les attraits
Au repos des Mortels tu fais un sacrifice.
***
De ta sage vaillance, & de tes nobles soins
Et la terre & les flots tour à tour sont témoins,
De nos jours fortunez ta clemence est la source.
***
Les douloureux accens de tes plus fiers Rivaux,
Te retiennent, Grand Prince, au milieu de ta course,
Une solide Paix couronne tes travaux.

PRIERE POUR LE ROY.

Rien ne peut de Loüis égaler la valeur,
Et sa vie est toujours en miracles feconde.
Seigneur, à nos Neveux reserve la douleur
De voir finir des jours si précieux au monde.

[Autre sur le même sujet] §

Mercure galant, juillet 1698 [tome 7], p. 229-233.

Mrs les Lanternistes donnent avis que parmy les Sonnets qu’ils ont receus cette année, il s’en est trouvé en petits Vers de huit sillabes, & à rimes composées. Ces Sonnets sont d’ailleurs tres-beaux, & auroient balancé le Prix sans ce défaut ; mais on veut des Vers Alexandrins-Heroïques, & dont les bouts ne soient point allongez. Ceux qui travailleront pour le Prix à l’avenir, doivent prendre soin d’éviter ces sortes de licences, que Mrs les Lanternistes ne permettent point.

Voicy un autre Sonnet sur les mêmes Bouts-rimez, mais qui est arrivé trop tard pour avoir pu concourir. Vous le trouverez tres heureusement tourné, & vous avoüerez qu’il seroit difficile de faire en quatorze Vers un plus beau Portrait du Roy. Il est de Mr le Gendre, Fils de feu Mr le Gendre, Fermier General.

AU ROY.

Au milieu des Combats avoir le Ciel propice,
Remplit tous ses desseins au gré de ses souhaits,
Sur ses Ennemis même étendre ses bienfaits,
N’agir que par raison, & jamais par caprice.
***
Des devoirs d’un Heros faire son exercice,
En prudence, en valeur passer les plus parfaits,
Se surmonter soy même, y trouver des attraits,
Faire de ses Lauriers un pompeux sacrifice.
***
Au bonheur de la France appliquer tous ses soins,
Rendre de ses hauts faits tous les Mortels témoins,
Du repos de l’Europe estre l’unique source.
***
Dans la Paix, dans la Guerre obscurcir ses Rivaux,
C’est le Portrait d’un Roy, dont l’éclatante course
De l’invincible Hercule efface les travaux.

PRIERE POUR LE ROY.

Conservez-nous, Seigneur, nostre Auguste Monarque,
Daignez toujours sur luy répandre vos bienfaits ;
Qu’il joüisse en tout temps des douceurs de la Paix,
Et préservez ses jours des fureurs de la Parque.

[Rondeau] §

Mercure galant, juillet 1698 [tome 7], p. 233-234.

Mr Dader, dont je vous envoyay des Vers le mois passé, faits à la gloire de l’Illustre Sapho, luy a rendu un second hommage par ce Rondeau.

À MADEMOISELLE
DE SCUDERY.

Vos Ecrits font assez comprendre
Qu’Apollon aime à vous aprendre
Ce que son Art a de plus fin ;
À cet avantage divin
Autre que vous ne peut prétendre.
***
Par tout vous avez sçu répandre
Un nom capable de défendre
Contre le Critique malin
 Vos Ecrits.
***
Peut il vous lire ou vous entendre
Sans estre obligé de se rendre ?
Rempli de fiel, plein de chagrin,
Sur tout il répand son venin ;
Mais il n’a garde de reprendre
 Vos Ecrits.

[Suite des Contes Nouveaux, ou les Fées à la mode] §

Mercure galant, juillet 1698 [tome 7], p. 234-236.

Les Contes continuent d’estre en vogue, & les Contes nouveaux, ou Fées à la mode, par Madame D** sont du nombre de ceux qui ont le plus réussi. On n’en peut douter, puis que le Public en a demandé une suite. Ainsi on vient de luy en donner deux volumes nouveaux, qui se vendent dans la grande Salle du Palais, à l’Envie, chez Nicolas Gosselin, en la Boutique de défunt Theodore Girard. On voit dans ces deux volumes les Contes

Du Pigeon & de la Colombe.

De la Princesse Belle-Etoile & du Prince chery.

Du Prince Marcassin.

Du Dauphin.

Et celuy du Gentilhomme Bourgeois, qui se trouvant meslé parmy tous ces Contes, fait une agréable diversité.

[Mort de Mr Boyer]* §

Mercure galant, juillet 1698 [tome 7], p. 259-262.

L’Academie Françoise, sujette à faire des pertes par le nombre de quarante dont son Corps est composé, vient d’en faire une fort considerable en la personne de Mr Boyer, l’un de ses plus anciens Membres. Les manieres honnestes & aisées qu’il a toujours euës avec ses Confreres, leur donnent de tres grands sujets de le regreter. Il estoit d’une fort bonne Famille d’Albi, & ses Ouvrages ont rempli toute la France de sa réputation. Il y a plus de cinquante ans qu’il avoit commencé à travailler pour le Theatre, & loin que l’âge luy eust rien osté de ce feu d’esprit qu’il a fait paroistre dans toutes ses Pieces, il sembloit estre augmenté dans ses dernieres. Sa Tragedie de Judith, dont le succés a esté si grand depuis peu d’années, en est une preuve. Il avoit choisi un sujet qui est de l’Ancien Testament, parce qu’il ne vouloit plus travailler que sur des matieres de pieté, qui convenoient à son âge, & à la profession qu’il faisoit d’estre exact dans tous les devoirs qu’impose la Religion. Comme il avoit beaucoup de merite, il l’estimoit dans tous ceux qui en avoient, & se faisoit un plaisir de rendre justice à tout le monde. Il est mort âgé de quatre-vingts ans avec toute la résignation d’un bon Chrestien, aprés avoir souffert tres-patiemment de grandes douleurs causées par la pierre. Je laisse à celuy qui sera choisi pour remplir sa place d’Academicien, à faire son Eloge.

Air nouveau §

Mercure galant, juillet 1698 [tome 7], p. 268-269.

Je croy que vous chanterez avec plaisir, les paroles que je vous envoye notéesI.

AIR NOUVEAU.

L’Air doit regarder la page [2]69.
Quand je vous vois, belle Philis,
Je suis tout interdit, je tremble, je pâlis,
Je ne me connois plus moy même.
Bien souvent loin de ce hameau,
Je laisse égarer mon Troupeau.
Jugez de mon amour par ce desordre extrême.
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