1698

Mercure galant, août 1698 [tome 8].

2017
Source : Mercure galant, août 1698 [tome 8].
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Mercure galant, août 1698 [tome 8]. §

[Ode de Mademoiselle Bernard] §

Mercure galant, août 1698 [tome 8], p. 14-21.

Ce que Mr Vittement a dit sur la Paix, m’oblige à vous faire part de ce que Mademoiselle Bernard, si connuë par ses beaux Ouvrages, a écrit sur cette même matiere. C’est une Ode qui luy a fait meriter le Prix des Jeux Floraux à Toulouse. Elle l’adresse à Mr le Chancelier, par ces Vers.

 Ne pouvant payer vos bienfaits,
 Je mets à vos pieds la Couronne,
 Que pour avoir chanté la Paix,
 Un Senat de Sçavans me donne.
Arbitre souverain de tous les jugemens,
 Dans vos moins utiles momens,
Examinez l’Arrest qu’ils viennent de me rendre,
 Authorisez leurs sentimens ;
Mais c’est un nouveau Prix que je n’ose prétendre.

ODE.

À la fin tout change de face,
Nos Temples ne sont plus parez
De Drapeaux sanglans, déchirez,
Monumens d’une heureuse audace.
 Nous n’irons plus dans ces lieux saints,
Vainqueurs du reste des humains,
Rendre grace au Dieu des Armées.
Réunis avec les vaincus,
Goûtons dans nos ames calmées
Le bonheur de ne vaincre plus.
***
Par tout des chants se renouvellent,
Où nos plaisirs sont exprimez ;
De feux par la joye allumez
Par tout les Citez étincelent.
 D’étoiles volantes aux Cieux,
Filles d’un art ingenieux,
L’obscure nuit est éclairée.
Elles portent par leurs efforts
Jusque dans la voûte azurée
Nostre allegresse & nos transports.
***
O Paix si long-temps attenduë,
Tu reviens enfin parmy nous ;
D’un jour plus serein & plus doux
La lumiere s’est répandue,
 Les champs autrefois désolez,
Dés que ton char les a foulez
Rendent des moissons plus fertiles ;
Tu répans les fruits & les fleurs,
Tu donnes les plaisirs tranquilles,
Précieuse moisson des cœurs.
***
Pendant deux lustres endormie,
Tu laissas regner en repos
La valeur, vertu des Heros,
Mais ta plus cruelle ennemie.
 Louis plus grand que ses exploits,
T’appelle & tu viens à sa voix,
Soumise autant que la Victoire.
Il prescrit un terme, & soudain,
Pour combler ses vœux, & sa gloire,
Tu luy mets l’olive à la main.
***
La Victoire toujours fidelle
Luy tendoit vainement les bras,
Et prodigue de ses appas
Luy montroit une ardeur nouvelle.
 En vain, pour conserver son cœur,
Elle joignoit en sa faveur
L’Escaut & l’Ebre avec la Seine,
Et luy portoit jusqu’en son char
Des lauriers, qu’elle n’eust qu’à peine
Accordez au front de Cesar.
***
Ny la Ligue en vaines idées
À sa honte se consumant,
Ny le sang ennemy fumant
Dans les campagnes inondées,
 Ny l’heureux Empire François,
Accru tous les jours par les droits
Que donnent le fer & la flâme,
Ny tant d’autres lauriers offerts,
Rien ne consoloit sa grande ame
Du desordre de l’Univers.
***
Vous vous bornez, Heros vulgaires,
À faire trembler les mortels ;
Si l’on vous dresse des Autels,
C’est comme à des Dieux sanguinaires.
 Ou si vos projets sont plus doux,
Vos peuples seuls heureux par vous
Sentent vôtre main liberale.
LOUIS prest à voir tout soumis,
Comble d’une faveur égale
Et son peuple, & ses ennemis.
***
Que de festes je vois renaistre
Dans le sein d’un heureux loisir !
Les beaux Arts sçauront les choisir
Dignes des yeux d’un sage Maître.
 Les Ris, & les Jeux, sans effroy
De la Vertu suivront la loy,
Et n’en seront pas moins aimables,
Les Vertus d’accord avec eux
Ne seront pas moins respectables
Pour se mesler avec les Jeux.
***
Telles qu’au temps de l’Innocence,
Avant la contrainte & les Loix,
Elles regnérent autrefois,
Et firent aimer leur puissance.
 Telles la France va les voir
Reprendre leur premier pouvoit
Sous un Heros qui les adore.
L’exemple est un ordre charmant,
Et ce grand Roy les rend encore
Plus aimables en les aimant.
***
Qu’aprés de si longues tempestes,
La Paix rende à jamais heureux
Les Sujets d’un Roy genereux
Qui la préfere à ses conquestes.
 Que le Monarque satisfait
Du doux sort qu’il nous aura fait
Dédaigne la gloire des armes.
Que les trompettes, les tambours,
Avec le trouble, & les allarmes,
Sortent de ces lieux pour toûjours.

Stances §

Mercure galant, août 1698 [tome 8], p. 62-75.

Je ne doute point que vous ne lisiez ces Vers avec plaisir. Ils ont este faits pour une tres-aimable Personne,

STANCES.

Il est temps de partir mon cœur, va voir Iris,
 Dont la vertu rare & sublime,
Ravit par ses attraits les cœurs & les esprits ;
Marque luy bien tes soins, fais luy voir ton estime.
***
Qu’à te montrer soûmis, humble, reconnoissant,
 Ta felicité soit bornée ;
Donne luy de ton songe un plaisir innocent,
Et prédis de ses jours l’heureuse destinée.
***
Iris, si vous voulez l’en croire, & l’écouter,
 Cecy ne sera plus un songe ;
Vous verrez que mon cœur ne sçait point inventer,
Et qu’un songe en un mot n’est pas toûjours mensonge.
***
Mon cœur ensevely dans un profond sommeil,
 Voyoit une auguste Assemblée,
Où des Juges rangez en superbe apareil,
Paroissoient agiter une affaire embroüillée.
***
Là deux vieux Avocats parloient avec chaleur,
 Et disputoient l’un contre l’autre.
Pour voir qui sortiroit de la lice vainqueur,
Il s’approche, & des deux il reconnut le vostre.
***
Tout le monde surpris de son profond sçavoir,
 Admiroit sa belle éloquence,
Quand vous cherchant par tout, & brûlant de vous voir,
Mon cœur vous aperçût au fond de l’Audience.
***
Vous aviez l’air tranquille, un visage serain,
 Mais la chicane à force ouverte,
Faisoit trop éclater son barbare dessein,
Son regard hautement menaçoit vostre perte
***
Quel spectacle étonnant se presente à mes yeux !
 Caton descend dans une nuë ;
Il s’assied sur un Trône, & d’un air gracieux,
Sur tous les Senateurs il proméne vûë.
***
La chicane trembloit & tous ses Sectateurs ;
 Par tout regnoit un froid silence ;
Par un port grave & fier Caton glaçoit les cœurs,
Et chacun admiroit sa noble contenance.
***
L’Auditoire observoit & son geste & ses yeux,
 Lorsqu’il se leve de son Siége ;
Et qu’ostant son bonnet de son Chef radieux,
Il adresse ces mots à ce nombreux cortege.
***
Mortels qui profanez & détruisez les Loix ;
 Vous que la brigue & l’injustice
Corrompent chaque jour par leurs flateuses voix,
Et qui laissez regner le crime & l’artifice.
***
Le merite accablé, l’innocence aux abois,
 Et la Justice qu’on déteste,
Implorant mon secours pour soutenir leurs droits,
M’ont contraint à quitter ma de meure celeste.
***
Mortels, je vais m’en plaindre au plus puissant des Dieux,
 Qui sçaura mettre en vostre place
D’integres Magistrats, sçavans, judicieux,
Et vanger la vertu de sa triste disgrace.
***
Ce digne Juge aprés jette les yeux sur vous.
 Son ame de vous voir ravie,
Sourit, & confondant vos Ennemis jaloux,
Il apostrophe ainsi vostre adverse partie.
***
Le celeste Senat vous ordonne aujourd’huy
 D’abandonner vostre poursuite ;
Je suis de l’innocence un juste & ferme appuy,
Et vous persecutez en Iris le merite.
***
L’aveugle ambition qui trouble tous vos sens,
 Nous cause une surprise grande ;
Et le Ciel vous déboute avec frais & dépens,
De vos droits prétendus, & de vôtre demande.
***
Vous vos desseins pervers, vos ruses, vos détours,
 Se sont en ce lieu fait connoistre.
Vous vous en souviendrez, si jamais de vos jours
Les Piéces à la main l’on vous voit réparoistre.
***
Aprés avoir rendu ce solemnel Arrest,
 Caton remonte sur sa nuë,
Et vous tendant la main, je prens vostre interest,
Dit-il, & se dérobe alors à nostre vûë.
***
À l’instant je me trouve assez proche de vous
 Sur une éminente montagne,
Où le grand Apollon d’un air affable & doux
Faisoit briller par tout le jour qui l’accompagne.
***
Ce rendez-vous charmant rendoit mon cœur surpris
 D’une aussi belle destinée ;
Je vis avec plaisir de mille beaux esprits
Sur ce superbe Mont Iris environnée.
***
Un Bâtiment fameux estoit auprés de nous ;
 C’estoit le Temple de Memoire,
Où mille grands Heros pleins d’un desir jaloux
Trouvent par des hauts faits le séjour de la Gloire.
***
Là je vis un Autel où l’Auguste LOUIS
 Estoit auprés de la Victoire ;
Ce lieu retentissoit de ses faits inoüis,
Et le divin Orphée y chantoit son Histoire.
***
Un grand peuple élevoit un Temple à ce Heros
 Sur le sommet du Mont Parnasse ;
Pour nous avoir rendu la Paix & le Repos,
Et mesme entre les Dieux il avoit déja place.
***
Le puissant Apollon d’abord estant entré
 Suivi de sa troupe sçavante,
En caracteres d’Or dans ce Temple sacré
Ecrivit vostre nom, & remplit mon attente.
***
J’aperçûs les neuf Sœurs danser autour de vous
 Pour celébrer vostre merite,
Et le Pere du jour lut hautement à tous
L’Isle de Borneo de vostre main écrite.
***
Mais le merite, helas ! n’est jamais sans jaloux.
 La discorde pleine de rage
Souleva le Parnasse, & les Dieux contre vous,
Vous voyant sur le sexe emporter l’avantage.
La fourbe derechef jetta trois Pommes d’or
 Au milieu de nostre Assemblée ;
Chacun couroit aprés cet immortel Trésor.
Et j’en vis disparoistre une dans la mêlée.
***
 La Déesse portant l’orguëil dans les esprits,
 Prononça d’un ton fier & grave ;
Coeurs sans embition, vous n’estes point surpris
Qu’Iris, cette mortelle, & triomphe & vous brave ?
***
Vostre peu de courage échauffe mon couroux,
 Et vostre lâcheté m’irrite.
Ces Pommes ne sont point pour elle ny pour vous,
Mais regardent icy la plus belle en merite.
***
Chacun aprés ces mots, interdit & confus,
 A quitté ce Temple celebre ;
Tout fut calme à l’instant, les coups n’en furent plus,
Il ne se passa point d’avanture funebre.
***
Déja je m’éveillois le coeur plein de regret,
 Mais ces deux Pommes enchantées,
Lorsque je regardois derriere mon chevet,
Se sont dans le moment à mes yeux presentées.
***
Iris, je ne veux point vous en faire un larcin,
 Et sur le champ je vous envoye
Ce précieux dépost que m’a fait le destin,
Je rens à la vertu ce tresor avec joye.
***
Sur ces deux Pommes d’or dont les Dieux sont jaloux,
 Voyez cette Sentence écrite.
Le Ciel met en Iris ses plaisirs les plus doux,
Iris est aujourd’huy la plus riche en merite.
***
L’Illustre Scudery de la main de Paris,
 A reçû, dit-on, la troisiéme ;
Elle en meritoit deux comme vous, belle Iris,
Et je veux dés ce soir l’apprendre d’elle-mesme.

Remerciment à Mr l’Abbé de Soubise §

Le Nouveau Mercure Galant, août, 1698, p. 96-102.

Je vous ay parlé de l’excellent Discours que Mr l’Abbé de Soubise prononça le mois passé en Sorbonne. Comme ce jour-là il fit donner congé à Harcourt, Mr Destampes, Chevalier de Malte, l’un des Ecoliers de ce College, luy en fit le remerciment suivant au nom de tous. Je ne l’avois pas pour vous envoyer quand je vous fis le détail de cette action.

REMERCIMENT
À Mr L’ABBÉ
DE SOUBISE

 De la part de tout le Parnasse,
 Prince, je viens vous rendre grace
Du loisir que vos soins ont sceu nous procurer.
 Aprés la surprise profonde
Où ce superbe Eloge a jetté tout le monde,
 Il falloit un peu respirer.
Chacun vous admira dans tous ces jours celebres,
Où de la sombre Erreur dissipant les tenebres
On fait preuve d’esprit & de capacité,
Où toute la Doctrine est mise en étalage,
 Où l’amour de la Verité
Se fait un Art du plus simple Langage.
Mais on n’avoit point crû que cette Langue enfin,
Qui s’étendit par tout où l’Empire Romain
 Porta la gloire de ses Armes,
Pust se parler avec les mêmes charmes,
Dont Rome remplissant ses soins religieux,
Jadis a celebré ses Heros & ses Dieux.
 Quels traits ! quel feu ! quelles graces parfaites
Retracent le Monarque à nos yeux ébloüis !
 Rien n’est plus digne de Loüis
 Que l’Eloge que vous en faites.
Pour luy, telle au milieu des sanglantes défaites,
Eclata des Rohans l’heroïque vertu,
Et vous avez parlé comme ils ont combattu.
Mais quel que soit l’esprit qu’est vous chacun admire,
Prince, pardonnez-nous, si nous osons vous dire
 Que ce n’est point à sa seule beauté
 Que ce Discours est imputé ;
 Et quelques raisons qui s’opposent,
Ce que j’avance icy n’est point sans fondement,
 Les plus beaux traits qui le composent,
 Sont des beautez de sentiment.
L’Amour qui vous prévient, le Sang qui vous anime,
 Jette une expression sublime,
Des miracles de l’Art éternel ornement.
Ce Juge inexorable, & qui prononce en Maistre,
Qui sans estre ébloüi des Titres éclatans,
 Pese le merite longtemps
 Avant que de le reconnoistre,
Et qui dans sa rigueur, loin de se relâcher,
Ne donne que l’encens qu’on luy peut arracher,
Le Public, en un mot, par un commun suffrage,
Porte jusques au Ciel cet adorable Ouvrage ;
Mais pour le relever tous les efforts sont vains.
Nos loüanges pourtant ont un mérite extrême,
Ne les rejettez pas, le Ciel nous dit luy même
Que le plus 1 pur encens se donne par nos mains.

Maximes galantes §

Mercure galant, août 1698 [tome 8], p. 102-114.

Je vous envoyay dans ma Lettre de Juin une Galanterie, intitulée, Accord fait entre Alcidor & Uranie. Les Maximes qui sont contenuës dans cet Accord ont donné lieu à Mr Doulieu, de Limoges, d’en faire de contraires, dont je me crois obligé de vous faire part.

MAXIMES GALANTES.

I. Toute l’ambition d’un Amant doit se borner à pouvoir estre sans témoins avec ce qu’il aime. C’est dans ces heureux momens que le cœur s’explique avec cette liberté charmante, qui bannit la crainte & la trop grande circonspection. Contens du bonheur d’estre ensemble, ils comptent pour rien le reste du monde, ou s’ils y pensent, ce n’est que pour s’en faire un sacrifice entier l’un à l’autre.

II. Lors que deux Amans se trouvent dans quelque lieu, où la bien-séance ou la necessité les obligent de garder le silence, ils doivent pour lors se servir du langage des yeux. Il est tendre & insinuant, & l’on peut dire que c’est un present que l’Amour a fait aux hommes, pour adoucir les maux qu’il leur fait endurer chaque jour.

III. Les conversations des Amans ne doivent point estre de la nature que l’on agite dans le commerce du monde. Rien n’y doit respirer l’air fatal d’indifference. Les mots d’amour & de tendresse, les langueurs & les transports même doivent estre de la partie, & pour tout dire, enfin, quiconque fait profession d’être amant, doit se faire une loy de n’employer dans les discours qu’il tient à ce qu’il aime, que tout ce que l’amour a de plus touchant & de plus passionné.

IV. Que je hais ces censeurs trop severes, qui condamnent la plus legere atteinte qu’on pourroit donner au bras d’une jolie Maistresse ! Il faut qu’ils ayent des cœurs plus durs & plus insensibles que les Tygres mêmes ; car qui pourroit ne pas succomber à l’aimable tentation d’attacher ses lévres sur une belle main qu’on trouve égarée ? Ce scrupule tiendroit de la bestise, ou tout au moins d’une timidité outrée, & je soutiens que ceux qui se sentent du penchant à l’un de ces deux vices, ne doivent jamais penser à suivre les étendars de l’Amour.

V. Le teste à teste à mon gré, est la chose la plus charmante que l’on trouve en amour. Loin de le condamner comme quelques-uns qu’il faudroit chasser pour jamais de la terre, je l’approuve ; mais aussi il faut y apporter de certains temperamens. Par exemple, il ne faut pas qu’il soit trop long, ny qu’il revienne si souvent, de peur qu’il ne dégenere en habitude, & qu’il n’ait plus que ce foible agrément des plaisirs communs. Il faut encore, si l’on veut que le teste à teste ait toute sa perfection, qu’il y ait un temps considerable qu’on le souhaite, & qu’on ait pris de grandes peines pour le ménager. C’est alors que le plaisir se fait sentir dans toute sa pureté.

VI. Un Amant ne doit jamais quitter sa Maîtresse, sans luy faire connoistre vivement deux choses : le regret qu’il a de se séparer d’elle, & l’impatience où il est de la revoir. C’est aux yeux à faire connoistre l’un & l’autre par leur tristesse & par leur langueur, & la bouche doit aussi laisser échaper quelques paroles qui marquent un empressement plein d’inquietude. C’est la méthode des cœurs veritablement amoureux, & c’est celle que je conseille à tout le monde de suivre.

VII. Les visites ne sçauroient estre trop frequentes chez une personne que l’on adore. C’est une marque infaillible d’un grand attachement & du mépris que l’on fait du reste des hommes pour ne plus vivre que pour ce qu’on aime. Que ce plaisir est sensible, & qu’il est doux de passer ses jours auprés de celle pour laquelle on les sacrifieroit avec plaisir.

VIII. L’absence est la pierre de touche en amour. Chacun sçait les ravages qu’elle fait d’ordinaire dans les intrigues, & l’on peut dire en sûreté qu’une personne est veritablement engagée, quand elle a passé par cette épreuve. Pourquoy aprés cela luy défendre ces transports de joye, & ces épanchemens de cœur à la vûë d’un Amant dont le retour luy rend la santé & quelque-fois la vie ? Quelle cruauté ? Pour moy, je ne puis supporter cette rigueur, & je permets en cette occasion à toute Maistresse de donner libre carriere à sa joye, & de laisser voir à son Amant tout ce qu’elle ressent pour luy.

IX. Je veux dans le teste à teste beaucoup de modestie d’une part, & beaucoup de respect de l’autre ; mais aussi profitez de l’occasion, Amans heureux ; elle revient rarement quand on la neglige.

X. Les repas doivent estre comme les derniers moyens dont se sert un Amant qui brûle de se voir heureux. En effet, quoy qu’on en dise, Bacchus & l’Amour ont toûjours esté dans une parfaite intelligence, & qui sçait se servir à propos du premier, n’aura pas de peine à se rendre le second favorable.

XI. Quelque chose qu’en ait pû dire l’Auteur de l’Accord d’Alcidor & d’Uranie, un Amant doit à table se mettre toûjours à costé de sa Maistresse, pour estre comme à l’affust des bons momens que la liberté qui regne dans les repas, fait naistre sans cesse. Il doit employer les regards les plus tendres & les discours les plus passionnez pour luy persuader qu’il l’adore, & si dans ces sortes de plaisirs, il ne gagne rien sur le cœur de sa Maîtresse, il peut moralement compter qu’il ne deviendra jamais heureux.

XII. Je ne puis assez condamner ces Maistresses qui refusent sans raison les presens de leurs Amans. Outre que c’est une espece de mépris, c’est aussi une marque certaine que la personne ne les touche guére. Peut-on refuser quelque chose d’un homme que l’on estime & que l’on aime, & tout ce qui vient de luy ne doit il pas estre d’un prix infini ? En verité, cette maniére d’agir devroit estre entiérement bannie en amour, & cette circonspection outrée dont usent la pluspart des femmes, merite d’estre regardée comme un crime irremissible.

Air nouveau §

Mercure galant, août 1698 [tome 8], p. 127-128.

La Chanson que je vous envoye est fort approuvée des Connoisseurs. Les paroles sont de Mr le Comte, Conseiller au Parlement de Toulouse, & l'Air est de Mr Aphrodise, Maistre de Musique du Chapitre de Saint Sernin, de la mesme Ville.

AIR NOUVEAU.

La Chanson qui commence par Un severe devoir a banni de ces lieux, doit regarder la page 127.
Un severe devoir a banni de ces lieux
Le beau Berger que j'aime.
Tirsis n'oseroit plus se montrer à mes yeux,
Rien n'est égal à ma douleur extrême.
Un severe devoir a banni de ces lieux
Le beau Berger que j'aime.
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[Histoire] §

Mercure galant, août 1698 [tome 8], p. 128-161.

Il y a de la destinée en bien des choses, & l’avanture dont je vais vous faire part, en pourra servir de preuve. Une jeune Fille tres-bien faite, eut à peine atteint l’âge de quinze ans, qu’elle commença à s’appercevoir des avantages qu’elle avoit receus de la nature, par les conquestes que sa beauté luy fit faire. Comme elle l’avoit piquante, & qu’elle sçavoit la soûtenir par des manieres aussi vives qu’agreables, plusieurs Amans s’empresserent à se déclarer, & il y en eut d’assez riches parmi eux pour meriter d’estre écoutez favorablement ; mais quoyque sa Mere, qui avoit soin de regler toutes ses démarches, luy conseillast de choisir, elle résista à ses conseils, & ne trouvant pas en eux dequoy réparer ce qui luy manquoit du costé de la naissance, elle luy dit d’une maniere fort respectueuse, qu’elle la pressoit inutilement, & que le bien ne l’ébloüiroit jamais assez pour luy faire changer la résolution qu’elle avoit faite de ne se marier qu’à un Gentilhomme. Ce sentiment, & la confiance qu’elle avoit en sa beauté, luy avoient donné je ne sçay quoy de fier & de noble qui avoit son agrément, & qui ne s’éloignant jamais de l’honnesteté, estoit un charme attirant dans une jolie personne. Elle essuyoit quelquefois d’assez rudes plaintes de sa Mere, qui n’ayant pas l’ame d’une aussi grande élevation, ne pouvoit souffrir sans peine qu’elle refusast les Partis avantageux qui se presentoient de jour en jour ; mais elle luy répondoit en riant qu’il falloit laisser agir son Etoile, & que ses années n’estoient pas encore assez nombreuses pour l’obliger à précipiter un choix dont tout son bonheur devoit dépendre. Elle menoit cependant une vie fort agréable, cherie, recherchée de tout le monde, & ayant beaucoup d’Amies qu’elle s’estoit faites par l’égalité de son humeur, & par la douceur de son esprit. Une d’entre elles l’ayant un jour priée d’une collation qu’elle donnoit pour sa feste, elle y parut avec un éclat qui la fit voir toute belle. Il s’y rencontra quelques jeunes Cavaliers, & le hazard ayant fait que le nombre s’en trouvast égal à celuy des Demoiselles, il fut proposé que chacun d’eux tireroit au sort pour avoir une Maistresse qu’il serviroit pendant le regale avec le titre d’Amant. La chose ayant esté approuvée, un Cavalier des mieux faits & des plus galans écheut à la Belle. Il n’avoit que vingt ans ou environ, & ses airs fins & polis, mais sages en même temps, ne contribuoient pas peu à le faire souhaiter dans les belles compagnies. Il fit son compliment à la Belle, qu’il pria de vouloir bien agréer ce que le sort avoit fait en sa faveur, l’assurant que s’il luy avoit esté permis de choisir, il n’auroit eu des yeux que pour elle, & auroit tâché en luy vouant tous ses soins, de la faire consentir à la qualité d’Amant que le hazard luy avoit donnée. La Belle luy répondit d’un air gracieux, qu’elle avoit à craindre que lors qu’il la connoistroit, il ne se plaignist de l’injustice du sort, qui l’auroit assujetti pendant quelques heures, à luy rendre des devoirs, dont il se seroit acquitté ailleurs avec plus de gloire, puis qu’il y auroit trouvé plus de merite. Cette conversation particuliere s’estant échauffée, devint extrêmement vive ; ce que celle qui donnoit la feste ayant remarqué, elle vint dire tout bas à l’oreille de la Belle, qu’elle pouvoit sans scrupule écouter le Cavalier ; qu’étant d’une fort bonne Maison, il meritoit de toucher son cœur, & que si elle vouloit suivre ses avis, d’un Amant de Lotterie, elle tâcheroit de s’en faire un vray Amant. Il parut que ce conseil fit impression sur cette jolie personne, puis qu’elle se montra si aimable aux yeux de l’Amant qui avoit droit de prendre ce nom, qu’il résolut d’employer toutes sortes de moyens pour le garder. Il la conjura d’agréer ses soins à l’avenir, & la maniere dont elle affecta de s’en défendre ne servant qu’à augmenter ses desirs en les irritant, il se sépara d’elle le plus amoureux de tous les hommes. Dés le lendemain, il luy alla offrir un captif qui ne vouloit point rompre ses chaînes, & sa passion, quoy que naissante, sembloit déja estre au plus haut excés. Il estoit jeune, mais maistre de sa personne, quoy qu’il dépendist en quelque maniere d’un Tuteur qui avoit soin de son bien. Ainsi comme il se déclara bientost pour le mariage, on n’en suspendit la conclusion, qu’autant qu’il fallut de temps pour obliger ce Tuteur à y consentir. La résistance qu’il y apporta fit d’autant plus de peine à la Mere de la Belle, qu’il se presentoit plusieurs Partis plus considerables du costé du bien, mais sa Fille estoit entestée de la qualité, & elle n’examinoit rien, pour vû qu’elle fust la Femme d’un Gentilhomme. D’un autre costé, l’Amant que le hazard luy avoit donné, estoit fait d’une maniere à se faire aimer des plus dédaigneuses, & ses bonnes qualitez luy avoient fait acquerir une réputation qui parloit fort à son avantage. Les obstacles que fit naistre le Tuteur, cesserent sitost que le jeune Gentilhomme fut venu à bout de mettre de son parti la pluspart de ses Parens. Le mariage se fit, & depuis longtemps on n’avoit point vû un si beau couple. Leur bonheur fut grand, puis qu’il fut égal à leur amour, mais il dura peu. La mort sépara ces deux Epoux, qui estoient encore Amans ; & la Belle demeurée Veuve au bout de six mois, fut dans une douleur inconsolable. L’abattement où la mit la perte qu’elle avoit faite, luy fit negliger d’abord le soin de son bien ; mais comme les grandes afflictions durent rarement dans les malheurs qui sont sans remede, elle songea enfin à ses interests. Les droits qu’elle avoit sur le bien de son Mary, luy firent apprehender de longues discussions, & sa crainte n’estoit pas sans fondement, puis qu’elle avoit affaire à son Tuteur, qui n’avoit pas approuvé son mariage. Il fallut pourtant l’aller trouver. Il la receut avec beaucoup de froideur ; & luy dit qu’il ne pouvoit rien résoudre pour elle, qu’aprés qu’il auroit examiné à loisir si ses prétensions estoient aussi justes qu’elle les croyoit. Il devint insensiblement plus gracieux qu’il ne luy avoit paru lors qu’elle avoit commencé ses sollicitations auprés de luy, mais elle s’appercevoit qu’il cherchoit toujours à faire traîner la chose, & cette lenteur dont elle estoit rebutée, la porta enfin à luy dire, que s’il ne faloit pour sortir d’affaires, que renoncer à une partie de ses droits, quoy qu’on les trouvast incontestables, elle s’y résoudroit plus volontiers qu’à essuyer toutes les chicanes qu’attirent ordinairement les meilleurs procés. Le Tuteur luy répondit qu’elle alloit bien vite ; qu’il n’étoit pas juste qu’elle perdist ce qui luy estoit légitimement acquis, & que s’il avoit formé jusque-là des difficultez sur ses demandes, il ne l’avoit fait qu’afin que le plaisir de la voir luy pust durer plus longtemps. La belle Veuve fut fort surprise de cette douceur, mais elle le fut beaucoup davantage quand il ajoûta que si un homme de soixante ans pouvoit ne la dégoûter pas entierement, il estoit prest de la rendre Maistresse de tout son bien, qui estoit tres-considerable. La Belle écouta d’abord la chose comme une plaisanterie qui luy estoit tombée dans l’esprit pour se réjoüir ; mais il luy fit si bien voir par toutes les choses qu’il luy dit ensuite, que la proposition étoit sérieuse, qu’elle fut contrainte de luy répondre sérieusement. Elle avoit épousé son Pupille par la seule veuë de sa naissance, & avec le même avantage elle trouvoit dans le vieux Tuteur tout ce qu’elle pouvoit souhaiter, pour s’assurer une fortune éclatante. Elle crut n’en devoir pas laisser échaper l’occasion, & en luy permettant l’esperance sans s’engager tout-à-fait, elle l’enflamma si bien, qu’elle se vit en pouvoir de luy imposer des conditions. Le bon homme consentit à tout, & ce second mariage mit la belle Veuve dans une telle abondance, qu’elle n’eut plus rien à desirer. Elle vécut avec luy d’une maniere à ne luy donner aucun sujet de se repentir de l’avoir prise pour Femme. Sa complaisance alloit au devant de toutes les choses qu’il pouvoit souhaiter d’elle, & elle évitoit avec grand soin tout ce qu’elle croyoit capable de luy causer de la peine. Une conduite si sage fut récompensée par l’entiere liberté où un second veuvage la mit trois ans aprés ce nouvel engagement. Elle eut ensuite à choisir parmy les Adorateurs qui vinrent en foule luy offrir leurs vœux. Tout contribuoit à les attirer, la beauté, l’esprit, le merite, & plus que tout, un grand bien dont elle estoit la maîtresse. Comme elle n’avoit jamais eu d’Enfans, il y avoit beaucoup d’apparence qu’elle voudroit se faire des heritiers à qui laisser sa succession. Sa Cour devint grosse, & pour éloigner les prétentions que chacun pouvoit avoir, elle disoit fort agréablement qu’elle n’avoit qu’une legere tentation de faire lignée, ce qui pourroit estre cause qu’elle se conserveroit dans l’heureux estat d’indépendance où il avoit plû à Dieu de la mettre ; mais que s’il luy prenoit jamais envie d’en sortir, elle se sentoit un goust particulier qui la porteroit à choisir quelqu’un qui tiendroit tout d’elle, afin d’avoir le plaisir de faire un heureux, du moins par le bien, si elle ne le pouvoit faire par le merite de sa personne. Elle estoit aimable par tant d’endroits, que cela fut écouté comme une chose qu’une modestie outrée luy faisoit dire, sans qu’elle songeast à l’executer. Trois ou quatre ans se passerent de cette sorte. Elle donnoit de l’amour, & n’en prenoit point, & les Partis importans qu’elle refusoit, commencerent à faire croire qu’elle avoit dessein de demeurer Veuve. Une affaire de consequence qui luy survint tout à coup, l’appellant dans une Province des plus éloignées, elle n’y voulut point mener d’équipage, & prit des places dans un Carrosse de voiture, qui la conduisoit sans embarras, au lieu où sa presence étoit necessaire. Il s’y trouva par hazard un Cavalier tres-poli, qui voyant sur son visage des traits fort brillans, fit d’abord tout ce qu’il put pour sçavoir qui elle estoit. Elle ne voulut se faire connoistre que pour une Plaideuse assez malheureuse pour avoir affaire à des Chicaneurs qui la tourmentoient injustement. Le Cavalier qui alloit au même lieu, luy offrit de bonne grace tout le credit qu’il pouvoit avoir, & luy trouvant beaucoup de délicatesse d’esprit, il eut avec elle des conversations aussi vives qu’enjoüées. Sa personne estoit si recommandable, qu’il ne faut pas s’étonner si pendant la route il prit d’elle tout le soin où l’honnesteté engage ceux qui sçavent vivre. Tout ce qu’elle voulut bien luy dire, c’est qu’elle estoit Veuve, & que son Mary lui ayant laissé un peu de bien, elle alloit le disputer contre des Parens qui ne vouloient pas l’en laisser joüir. Le peu de fortune qu’elle se donnoit, estoit assez vray-semblable. On la voyoit dans une voiture publique, & elle n’avoit avec elle qu’une Femme de chambre & un Laquais, ayant donné ses ordres pour un plus gros train, si son séjour devoit estre long. Quoy que le Cavalier ne la crust rien moins que ce qu’elle estoit, il garda toujours un fort grand respect pour elle, & par son empressement à luy rendre avec ardeur les petits services qui estoient en son pouvoir, il luy faisoit assez voir qu’elle avoit touché son cœur. Elle les recevoit tres-civilement, comme d’un homme en qui elle trouvoit du merite, & l’entretien agréable qu’ils avoient ensemble ne contribuoit pas peu à leur faire moins sentir la longueur des jours, toujours ennuyeux dans les voyages. Ils en avoient déja passé quatre ensemble, lors qu’aprés un grand orage, ils traverserent un endroit fort dangereux, où une cheute d’eaux estoit venuë fondre. Le Carosse n’ayant pû avancer assez promptement, & l’eau s’augmentant toujours, la Dame couroit risque de la vie, si au peril de la sienne, le Cavalier ne l’eust retirée de ce mauvais pas. Il ne se peut rien ajoûter à ce que la reconnoissance fit dire à la Dame. Un moment aprés, il la vit dans quelque trouble pour une cassette qu’elle craignoit qui ne fust perduë, & tout d’un coup, sans écouter les prieres qu’elle luy faisoit de ne se point hazarder, il se précipita de nouveau dans l’espece de torrent qui s’estoit formé, & rapporta la cassette. Ces marques d’intrepidité, & d’envie de luy marquer combien il estoit veritablement à elle, toucherent son cœur au dernier point, & l’engagerent pour luy à une tres forte estime. Le voyage fait, il choisit pour la loger le lieu le plus commode de la Ville, & il l’y alla voir avec beaucoup d’assiduité. Comme elle ne pouvoit donner ordre à son affaire sans se déclarer pour ce qu’elle étoit, le Cavalier commença à prendre auprés d’elle un plus grand sérieux qu’il n’avoit fait jusque-là, & même il fit paroistre un chagrin qui ne luy estoit point ordinaire. La Dame luy en ayant demandé la cause, il répondit que le secret qu’elle avoit voulu luy faire de son nom & de son rang, estoit la chose du monde la plus cruelle pour luy, & que ce qu’il luy en devoit coûter dans la suite estoit un autre secret qu’il ne luy diroit jamais. La Dame sourit, & luy déclara que luy estant obligée de la vie, elle croyoit estre assez de ses Amies pour sçavoir tous ses secrets, & qu’elle esperoit qu’avec le temps il la croiroit digne de sa confidence. Cependant comme elle connut que son séjour seroit au moins de six mois, elle fit venir son équipage, & la pluspart de ses gens, ce qui luy fit faire une assez belle figure dans la Ville. Le Cavalier la voyoit toujours, & la maniere distinguée dont la Dame le recevoit, faisoit envier son bonheur à tout le monde. Luy seul ne s’estimoit pas heureux. Il avoit un amour dont il ne pouvoit estre le maistre, & si sa naissance, qui estoit des meilleures de la Province, luy donnoit accés par tout, il avoit si peu de bien, qu’il n’osoit se permettre la moindre esperance dans sa passion. Ses regards parloient, & il pouvoit croire qu’on les entendoit, mais ce n’estoit pas assez. Il ne voyoit rien qui luy pust persuader que les honnestetez de la Dame fussent autre chose qu’un effet de reconnoissance pour le service qu’elle avoit receu de luy. Enfin voulant chercher une fin aux cruelles inquietudes dont il estoit tourmenté, il résolut d’en sortir en se déclarant ouvertement. Pour le pouvoir faire sans que la Dame eust sujet de s’en fâcher, il luy dit qu’il venoit prendre congé d’elle, & qu’il s’éloignoit pour ne se pas mettre au hazard de luy déplaire ; qu’il sçavoit bien que ce n’estoit pas à luy à prétendre au plus grand bien qu’il y eust au monde, qui estoit celuy de toucher son cœur ; mais qu’il n’avoit pû s’empêcher de prendre de l’amour pour elle, & que ne pouvant s’en rendre le maistre, tout ce que son respect pouvoit exiger de luy, c’estoit de ne se plus montrer à ses yeux, ce qu’il estoit résolu de faire, afin qu’elle n’eust point à se plaindre d’une passion qu’elle n’approuveroit pas, & qu’il eût moins à souffrir en se privant d’une veuë qui ne pouvoit servir qu’à redoubler son amour. Il ajoûta à cela mille choses touchantes ; & la Dame l’ayant écouté sans l’interrompre, luy dit qu’il poussoit peut-estre la chose trop loin, & que sa naissance, & les obligations qu’elle luy avoit autorisant ses prétentions, il devoit la croire assez équitable pour estre persuadé qu’elle auroit pour luy tous les égards dont il estoit digne ; qu’elle ne voyoit rien dans sa personne qui ne luy dust inspirer des sentimens favorables ; & qu’afin qu’elle s’expliquast précisément sur sa déclaration, il ne s’agissoit que de sçavoir quel estoit son bien pour regler les choses. La réponse du Cavalier fut qu’il luy disoit adieu pour toujours, puis qu’il estoit le plus malheureux de tous les hommes du costé de la fortune, & qu’il la tromperoit s’il osoit luy dire qu’il eust autre chose que son cœur & sa vie à luy offrir. La Dame luy répondit qu’elle ne se connoissoit pas si peu en sentimens, qu’elle ne se fust apperceuë dés les premiers jours de leur connoissance, de quelle nature estoient ceux qu’il avoit pour elle ; que s’ils luy avoient déplu, elle auroit pris avec luy des manieres froides qui les auroient repoussez ; qu’elle avoit esté instruite de son peu de bien en apprenant sa naissance, & qu’elle estoit ravie de luy témoigner, en le préferant à tous ceux qui songeoient à elle, qu’elle meritoit son entier attachement, puisqu’elle ne consideroit en luy que sa personne, qui luy tiendroit lieu de tout. Un succés si peu attendu surprit tellement le Cavalier, & luy causa de si grands transports de joye, qu’il ne put les soutenir. Il tomba malade, & l’on crut longtemps qu’il ne joüiroit point de son bonheur, mais enfin les remedes firent leur effet. Le Ciel le rendit à l’aimable Veuve, & il l’épousa aussi-tost que les affaires qui l’avoient apellée en ce lieu-là, eurent esté terminées.

[Vers sur le sujet de cette These] §

Mercure galant, août 1698 [tome 8], p. 197-205.

Voicy des Vers qui ont esté faits sur la These qui a donné lieu à cet article.

À Mr L’ABBÉ D’ESTAMPES.

Enfin l’heure est venuë, & ce grand jour nous luit,
Qui de tant de travaux doit nous montrer le fruit,
Et retracer aux yeux de qui vient vous entendre,
Ce que de vos vertus on doit un jour attendre.
La dignité du rang, le sang dont vous sortez,
Sur vous de tout Paris tient les yeux arrestez.
Vous devez satisfaire à sa superbe attente.
Il attend de vos soins une suite éclatante.
Des plus nobles efforts, montrez un cœur jaloux.
Un succés ordinaire est indigne de vous.
Plus d’un Heros fameux par une heureuse audace,
Jadis sçeut relever l’éclat de vostre Race,
Du Trône de nos Rois leur bras devint l’appuy.
Ainsi qu’ils combattoient, disputez aujourd’huy,
Et pour des veritez qu’on refuse de croire,
Faites briller ce feu qu’ils avoient pour la gloire.
Par des moyens divers la Vertu s’établit.
Sur vos jeunes essais déja l’Erreur pâlit.
La verité triomphe, & tout prest à paroistre.
Icy l’Eglise en vous déja croit voir renaistre
Ces Ministres sacrez qui dans le plus haut rang,
Sceurent joindre la pourpre à l’éclat de leur sang.
Soutenez-en le nom par un effort insigne.
Ne les pas égaler, c’est vous en rendre indigne.
Sçachez que le devoir n’est pas le même en tous,
Et qu’enfin la vertu n’a qu’un degré pour vous.
Ce nom, en vous ouvrant des theatres plus amples,
Va sur tous les devoirs vous fournir mille exemples.
D’un succés éclatant il doit nous assurer,
Et sans estre surpris on peut vous admirer.
En vous de la vertu brille le caractere ;
Mais quel qu’en soit l’éclat, elle est hereditaire.
De quelque noble ardeur que vous soyez épris,
Icy pour vous la gloire est mise au plus haut prix.
Si ces nobles motifs icy vous interessent,
Il est d’autres raisons encore qui vous pressent.
Rappellez-vous combien dans ces augustes lieux
D’exemples éclatans ont dû frapper vos yeux,
Où du Public charmé les bouches applaudissent.
Ces murs, ces sacrez murs encore en retentissent ;
Il faut que vostre voix dans vos efforts jaloux,
En dissipe le bruit pour venir jusqu’à nous.
À de brillans succés l’oreille accoûtumée
Pour des discours communs se trouve icy fermée.
Interessez l’esprit prompt à se détacher,
Avare du suffrage, il le faut arracher ;
Mais à l’éclat du sang, quand vos Ayeux fideles,
Ne vous laisseroient point tant d’illustres modeles ;
Quand vous ne verriez point dans vos soins empressez,
Et la carriere ouverte, & tous les pas tracez
Que l’exemple offriroit icy moins de merveilles,
Songez à quel Heros vous consacrez vos veilles,
Et pour vous sa faveur éclatant aujourd’huy,
Du Vainqueur de Cassel justifiez l’appuy.
Songez dans quels devoirs cet appuy vous engage,
Faites voir un succés dont Philippe est le gage.
Dans la noble chaleur de ces sçavans combats,
Paré de ce grand Nom, ne le profanez pas.
Cet heureux Nom par tout répond de la Victoire.
Tel du sang des Valois & le chef & gloire,
Philippe assis jadis au trône de nos Rois,
Vange au pied de Cassel l’équité de ses droits.
Immortel monument où sa Victoire trace
Un chemin aux Exploits d’un Heros qui l’efface,
Et dont sur 3 l’Ennemy, le nom couvrant nos Ports,
Rejetta la terreur qui menaçoit nos bords.
Luy-même rappellant sa sanglante défaite
Le Batave éperdu ménage sa retraite,
Et de mille Vaisseaux en vain couvrant la mer,
Remet devant ses yeux Cassel & Saint Omer.
Mais si Philippe enfin épouvante la Terre
Quand Louis dans ses mains a remis son tonnerre,
Que ne paroist-il point à nos yeux de plus prés
Dans le réduit pompeux de ses riches Palais ?
C’est là que s’adoucit sous un aimable Empire,
Cet auguste respect que sa naissance inspire,
Qu’au milieu d’une Cour tombant à ses genoux,
Le Heros se partage & descend jusqu’à nous.
De là ces vœux ardens & ce sincere hommage ;
Ce Peuple adorateur qui vole à son passage,
Cette ardeur de le voir, qui loin de s’arrester,
Par son auguste aspect semble encor s’irriter.
Plein d’une majesté que la douceur tempere,
Il en paroist alors & le Prince & le Pere.
Mais que dis-je ! & pourquoy tant d’éloge aujourd’huy ?
Son Nom parle par vous, & ses Exploits pour luy.

Air nouveau §

Mercure galant, août 1698 [tome 8], p. 205-206.

Je vous envoye une seconde Chanson, que l'on chante icy avec plaisir.

AIR NOUVEAU.

L'Air qui commence par, Les Prez, les Bois, les Fleurs, & la Verdure, doit regarder la page 205.
Les prez, les bois, les fleurs, & la verdure
Ne sçauroient divertir mon extrême langueur.
Iris est seule en la nature
Capable de toucher mon cœur.
images/1698-08_205.JPG

[Madrigal] §

Mercure galant, août 1698 [tome 8], p. 206-207.

Ces paroles sont de Mr Dader, qui toujours charmé de la gloire que s’est acquise l’illustre Mademoiselle de Scuderi, a fait son éloge par ce Madrigal.

Sapho, les éloges divers
Que de tous costez l’on vous donne,
Font connoistre que l’Univers
Se plaist à voir qu’on vous couronne ;
Mais la terre s’épuise en concerts superflus,
 Pour faire éclater vos loüanges.
Les Mortels peuvent bien admirer vos vertus,
Mais leur portrait fidelle est l’ouvrage des Anges.

[Vers irreguliers à Madame la Marquise d’Aligre] §

Mercure galant, août 1698 [tome 8], p. 207-212.

Le même Mr Dader a fait les autres Vers que vous allez lire, & il n’y a pas oublié l’illustre Sapho.

À MADAME
LA MARQUISE
D’ALIGRE.

Depuis longtemps la Renommée
M’avoit tracé vostre Portrait.
Mais si bien, que de chaque trait
Mon ame fut toute charmée.
***
Les plus rares vertus dont la noble splendeur
 Vous rend du Ciel la digne favorite,
 Y faisoient briller le merite
 Dont elles parent vostre cœur.
***
 Vostre esprit rempli de lumieres
 Y répandoit mille clartez,
 Et vos vertus hereditaires
Mêloient à tant d’éclat leurs brillantes beautez.
***
Tout ce qu’on voit dans la nature
De plus charmant & de plus précieux,
L’estoit beaucoup moins à mes yeux
 Que cette admirable peinture.
***
D’abord que j’apperçus ce Portrait sans égal,
Mon esprit réveilla son ardeur assoupie,
 Et voulut faire une copie
 Qui surpassast l’original.
***
 Dans le dessein qu’il envisage,
D’un succés glorieux il ose se flater,
Mais à peine avoit-il commencé son ouvrage,
 Qu’il fut contraint de le quitter.
***
La sage Scudery que la France revere,
 Et que Loüis comble d’honneur,
En me parlant de vous me fit sortir d’erreur.
Par elle je connus que l’on pouvoit mieux faire.
***
De d’Aligre, dit elle, admire les appas.
 Elle a le cœur d’une Princesse.
 Les Vertus conduisent ses pas.
 Je croi même que sa sagesse
 Egale celle de Pallas.
***
 À vous dépeindre accoutumée,
 Sapho par un coup de pinceau,
Nous fit de vos vertus un plus riche tableau,
 Que n’en a fait la Renommée.
***
 Rien ne le sçauroit égaler,
À peine paroist-il que l’Vnivers l’admire.
 Aprés Sapho que puis je dire ?
 Ce n’est plus à moy de parler.

[Ceremonie observée à l’Election des nouveaux Echevins] §

Mercure galant, août 1698 [tome 8], p. 259-261.

 

Le 16. de ce mois on élut de nouveaux Echevins à l'Hostel de Ville de Paris. Quoy que je vous aye déja entretenuë de ces sortes de Ceremonies, vous ne serez peut estre pas fachée de sçavoir comment la derniere se passa. Mr Bole, Procureur General de la Cour des Aides, qui remplit si dignement la Charge de Prevost des Marchands, ayant convoqué pour l'élection une Assemblée extraordinaire, elle se trouva composée des quatre Echevins, Mrs Barois, Hesmes, Sottereau, & de la Loire ; des Procureur du Roy, Greffier, & Receveur de l'Hostel de Ville, & de vingt six Conseillers de la Ville ; dix de Cours Superieures, & seize des plus considerables Bourgeois de Paris. On appella encore à cette Assemblée trente-deux autres notables Bourgeois, pour estre de l'élection que se devoit faire de deux nouveaux Echevins, à la place de Mrs Barrois & Hesmes, qui sortoient de Charge, aprés avoir fait leur temps. Une Messe solemnelle fut chantée dans l’Eglise du Saint Esprit. aprés laquelle Mr le Prevost des Marchands parla avec la grace ordinaire [...].

[Baptême de Mademoiselle de Chartres] §

Mercure galant, août 1698 [tome 8], p. 268-273.

 

Le 27. de ce mois à quatre heures & demy aprés midy, le Roy, leurs Majestez B. & Messeigneurs les Princes Fils de France, Madame la Duchesse de Bourgogne, & tous les Princes & Princesses se rendirent à S. Clou, pour le Bâtesme de Mademoiselle de Chartres. Toute la Cour s'assembla dans le grand Salon de Monsieur, où tout le plain pied fut remply de Personnes du premier rang, qui en arrivant trouverent divers Officiers, qui distribuerent en abondance du Chocolat, du Thé, du Caffé, & des Eaux glacées. Ensuite sur les cinq heures & demie, l'on alla à la Chapelle pour le Bâtesme. Monseigneur le Dauphin fut Parrain, & Madame la Duchesse de Bourgogne Marraine. La Princesse fut nommée Marie Adelaïde. Mr l'Abbé de Grancoy fit la ceremonie. On avait fait venir la jeune Princesse d'Orleans, Fille aînée de Monsieur le Duc de Chartres, pour voir le Roy, qui la trouva parfaitement belle & gracieuse. La Ceremonie faite, on servit quantité de corbeilles de fruits & de dragées, & ensuite le Roy & toute la Cour montèrent en Caléche, pour aller à la promenade dans le Parc. Il y avoit six Caléches, chacune attelée de huit chevaux. Le Roy, & le Roy & la Reine d'Angleterre estoient dans la premiere sur le devant, & Madame la Duchesse de Bourgogne, Monsieur & Madame sur le derriere. Dans la seconde estoient Monseigneur, Mademoiselle sur le devant, Madame la Duchesse, & Madame la Princesse de Conti Doüairiere. Dans la troisième Monsieur le Duc de Chartres, Madame la Duchesse du Lude, & une partie des Dames du Palais de Madame la Duchesse de Bourgogne. La quatriéme estoit remplie par les Dames de la Reine d'Angleterre, & les deux autres, par les Duchesses & autres Dames. Les trois jeunes Princes monterent à cheval, & partirent un peu avant le Roy pour la promenade. Elle dura jusqu'à sept heures. Le Roy & toute la Cour revinrent dans les Appartemens, & allerent de là dans l'Orangerie ; aprés quoy le Roy, & le Roy & la Reine d'Angleterre s'en retournerent. Messieurs les Princes & Madame la Duchesse de Bourgogne demeurerent à souper. La nuit estant venuë on alluma les Lustres & les Girandoles dans tous les Appartements & dans le milieu de l'Orangerie, il y eut une Table de quatorze pieds de long & de neuf de large. C'estoit un Ambigu, où plus de soixante & dix plats furent servis. La Table estoit de trente couverts. [...] Dans tout le temps du repas, qui dura du moins une heure, les Violons de Monsieur jouérent.

[Ce qui s'est passé à l’Entrée & à l’Audience des Ambassadeurs de Hollande] §

Mercure galant, août 1698 [tome 8], p. 281.

 

Le 26. Mrs Heemskeik & d'Odiick, que Mr le Maréchal de Tourville & Mr de Saintot étoient allez prendre à l'Hôtel des Ambassadeurs Extraordinaires, se rendirent à Versailles [...]. Les Compagnies des Gardes-Françoises & Suisses estoient rangées en haye & sous les Armes avec les Tambours appellans. Les Gardes de la Porte & de la Prevôté, estoient de la mesme sorte à la porte du Chasteau & dans la Cour ; & les cent Suisses aussi en haye estoient placez depuis l'entrée du Vestibule, jusqu'au haut de l'Escalier, au bas duquel les Ambassadeurs furent reçûs.