1698

Mercure galant, décembre 1698 [tome 12].

2017
Source : Mercure galant, décembre 1698 [tome 12].
Ont participé à cette édition électronique : Nathalie Berton-Blivet (Responsable éditorial), Anne Piéjus (Responsable éditorial), Frédéric Glorieux (Informatique éditoriale) et Vincent Jolivet (Informatique éditoriale).

Mercure galant, décembre 1698 [tome 12]. §

[Epitalame de Madame la Duchesse de Lorraine] §

Mercure galant, décembre 1698 [tome 12], p. 33-46.

Quand l’ouvrage que vous allez lire auroit pour sujet une autre matiere que celle qu’il traite, ce seroit assez qu’il fust de Mademoiselle l’Heritier pour m’obliger à vous l’envoyer. La réputation qu’elle s’est acquise, fait aimer tout ce qui porte son nom, & l’Epithalame dont je vous fais part ayant este fait pour Madame la Duchesse de Lorraine, je me tiens fort asseuré que vous le lirez avec plaisir. Il a esté tres-bien receu de cette Princesse, dont il y a fort longtemps que Mademoiselle l’Heritier a l’honneur d’estre connuë, aussi bien que de Monsieur & de Madame. Comme Madame la Duchesse Royale de Lorraine se nomme Elizabeth, le nom d’Elise luy est donné dans cet ouvrage, à l’exemple de Malherbe, qui donna ce mesme nom à Elisabeth de France, Fille de Henry IV. que la Reine Marie de Medicis maria au Roy d’Espagne.

EPITHALAME
De Madame la Duchesse
de Lorraine.

 L’Amour fâché qu’une auguste Princesse,
En qui l’on voit briller la beauté, la jeunesse,
La douce majesté, les graces & les ris,
 Dédaignoit ses traits & sa flâme,
 Résolut d’attendrit son ame
 Pour se vanger de ses mépris.
 C’est en vain ; la charmante Elise
 Conserve sa noble fierté.
Des frivoles soupirs son cœur n’est point renté,
À la seule vertu sa grande ame est soumise.
Minerve qui la suit. dans ses plus chers momens,
 Luy partage tous ses talens.
Tantost par les progrés d’une utile science,
Elle dérobe Elise à la fade ignorance,
Propre à gâter l’esprit des Beautez de ce temps :
 Et tantost par l’or & la soye,
Qu’avec un art divin sa belle main employe,
 Elle luy fait de doux amusemens.
Des Victoires de Flandre, où son Auguste Pere,
Du Monarque des Lis se montra digne Frere,
Elle trace avec soin les glorieux exploits ;
Et dépeignant les faits des Heros de sa Race,
 Nous fait voir que Loüis efface
Ce que l’heureuse France eut jamais de grands Rois.
 Mais l’Amour cependant médite
Comment dans son projet il pourra réussir.
Plus dans son cœur d’Elise éclate de merite,
Plus à s’en rendre maistre il trouve de plaisir.
Ce Dieu pour le succés d’une si grande affaire,
 A recours à l’Himen son Frere,
Avec qui, par l’Arrest d’un sort dur & fatal,
 Au repos des Mortels contraire.
 Depuis longtemps il estoit mal.
Il luy fait dés l’abord d’obligeantes caresses ;
L’Himen qui souhaitoit le racommodement,
 Le reçoit avec agrément,
Et tous deux à l’envi se font mille promesses
 D’estre unis éternellement.
Commençons, dit l’Amour, d’agir confidemment ;
 Vous disposez d’une fiere Princesse,
Sur qui mes traits n’ont fait qu’un inutile effort,
Son panchant pour la gloire est si vif & si fort,
Qu’elle reste toujours rebelle à la tendresse.
Souffrez que dans mes nœuds son cœur se trouve pris.
En vain, répond l’Himen, vous l’auriez entrepris,
 Son cœur ne peut être à personne,
 Que ce ne soit moy qui le donne.
Et c’est par vous aussi que je prétens l’avoir,
Reprit le Dieu charmant, je veux qu’elle soupire
 Pour vostre choix sous mon empire,
Et qu’elle soit toujours toute en vôstre pouvoir :
Mais jurez moy, de grace, & me tenez parole
De prendre des leçons sans cesse à mon Ecole,
Qu’on vous verra toujours complaisant, enjoüé,
À tous mes sentimens pleinement dévoüé :
Que vous serez toujours aussi tendre qu’aimable,
Officieux, constant, magnifique, agréable,
Que d’un air empressé vous garderez mes loix,
Et que loin de paroistre indifferent, severe,
Poli, respectueux, & galant à la fois,
Vous sçaurez imiter toujours mon caractere :
Que les jeux, les plaisirs vous suivront desormais.
Ouy, je vais les rejoindre avec moy pour jamais.
Repart le blond Himen, je promets & je jure
Que je ne paroistray que sous vostre figure.
 L’Himen dés le mesme moment,
 Par le Stix en fit le serment.
Ces Dieux ayant éteint discorde & jalousie,
Pour Elise il fallut convenir d’un Amant.
Ils firent l’heureux choix du Prince d’Austrasie,
Ce jeune Souverain si fier & si charmant,
Sorti d’un sang fecond en Conquerans illustres.
Par de rares vertus, par d’éclatans appas,
 Il en suit noblement les pas,
Quoy qu’il n’ait pas encor achevé quatre lustres
Il sent du premier trait blesser son tendre coeur :
La Princesse à son tour connoissant le merite
 De ce jeune Heros d’élite,
 Répond enfin à son ardeur.
L’Hymen en unissant leurs ames,
 Consacre de si belles flâmes,
 Et l’Amour en serrant les nœuds
 De cette union fortunée,
S’engage avec plaisir d’éterniser leurs feux.
Rien ne peut agiter jamais leur destinée.
Pour exemple aux Mortels, ces Augustes Amans
 N’ont que de gracieux momens ;
Jamais aux noirs chagrins ils ne seront en proye :
Et qui pourroit troubler la paix d’un si beau sort ?
Reservez aux douceurs que le Ciel leur envoye,
Ils ne respireront que la gloire & la joye,
Puisque pour eux l’Himen & l’Amour sont d’accord.

Les deux autres Ouvrages de Vers que vous allez lire, sont de la mesme Mademoiselle l’Heritier, sur le Mariage de Madame la Duchesse de Lorraine.

BALADE IRREGULIERE.

On va mener allegresse en ces lieux,
Et bannir loin l’ennuyeuse tristesse,
Tous cœurs loyaux s’en vont estre joyeux,
Festant l’Himen d’une jeune Princesse,
Dont l’œil tant doux, le gentil agrément,
Joints au noble air qui luit en sa personne,
Meritent bien que le sort la couronne,
Onques ne fut un objet si charmant.
 Elle est de sang de haute Majesté,
À Roy sans pair, qui tant d’exploits sçait faire,
Touche de prés cette jeune Beauté.
D’un tel Guerrier son Pere digne Frere,
Par maints travaux l’imita noblement,
De leurs hauts faits rien n’égale la gloire,
Tableaux fameux s’en verront dans l’Histoire.
Onques ne fut un objet si charmant.
***
 De tels Heros de renom revêtus,
La Damoiselle a pris son origine.
Grand est son cœur, grandes sont ses vertus ;
Dans son esprit est lumiere divine.
Aucun n’eut jà si grand entendement,
Sur ses vieux ans qu’elle dans sa jeunesse ;
Grace & beauté parant telle sagesse :
Onques ne fut un objet si charmant.
***
 Le gentil Duc dont elle a pris le cœur,
Qui l’attendant a moult d’impatience
De si beaux dons est en soy possesseur
Qu’est digne seul de si noble alliance.
Il est benin & preux parfaitement.
Est bien-disant, sans cesse fait largesse,
Et ne se plaist qu’aux Royales prouesses :
Onques ne fut un objet si charmant.

ENVOY.

Que puissiez vous, Couple tant gracieux,
Par maints beaux Hoirs, par nombre de Neveux,
À vos Sujets donner douce esperance,
Qui d’un tel bien, en grand contentement,
Tout ébahis à si belle naissance,
Diront souvent de leur gentille enfance :
Onques ne fut un objet si charmant.

À Madame la Duchesse de Lorraine. Madrigal §

Mercure galant, décembre 1698 [tome 12], p. 46-47.

À Madame la Duchesse
de Lorraine.
MADRIGAL.

Le Ciel vous prodigua mille faveurs d’élite.
Les plus rares vertus, les plus brillans attraits,
 Forment vostre auguste merite,
Et le Ciel pour combler en vous tant de bienfaits,
 Par les mains de l’Amour vous donne
Un heroïque Epoux, charmant & genereux,
Que la raison conduit, que la gloire couronne,
Dés l’âge où l’on ne suit que les ris & les jeux.
Vostre auguste union des Dieux estant l’ouvrage,
Vous n’aurez du destin que des biens en partage.
Comme vous meritez un bonheur accompli.
 Vous tendrez toujours l’Amour sage,
 Et l’Himen galant & poli.

Air nouveau §

Mercure galant, décembre 1698 [tome 12], p. 84-85.

Je vous envoye une Air nouveau qui a beaucoup pleu icy aux Connoisseurs, & dont les paroles ont paru fort agreables. Elles sont de l'Auteur de la Vie de Mr de Saint André.

AIR NOUVEAU.

L’Air qui commence par Lors que pour moy, &c., regarde la page 85.
Lors que pour moy l'amour eut sceu vous enflammer,
Vous m'accusiez souvent de vous estre infidelle.
Vous faisiez tous les jours mille plaintes nouvelles,
Et vous sçaviez vous alarmer.
D'aucun soupçon, d'aucune crainte
Vostre cœur n'est plus agité ;
Vous ne me faites plus de plainte.
Ah ! Tirsis, que je crains cette tranquilité !
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Histoire d’Olinde & de Sophronie §

Mercure galant, décembre 1698 [tome 12], p. 86-125.

La traduction du Portrait de Clorinde n’ayant pas déplû à quelques personnes de bon goust, on a engagé l’Auteur à traduire l’Histoire d’Olinde & de Sophronie, dans laquelle ce portrait est enchassé, & qui est, comme on sçait, un des plus beaux morceaux du Tasse.

HISTOIRE
d’Olinde & de Sophronie.

L’Armée des Chrestiens, commandée par Godefroy de Boüillon, s’approchant de Jerusalem, pour en former le Siege, Aladin, Prince cruel, & qui s’estoit emparé du Royaume, se préparoit à se bien défendre, lors qu’un celebre Magicien, nommé Ismene, vint le trouver & luy promit d’employer en sa faveur tous les secrets de son art. Les Chrestiens, luy dit il, ont dans leur Eglise un Autel caché sous terre, où est l’Image de celle qu’ils appellent la Mere de leur Dieu. Il faut, Seigneur, que vous l’enleviez, & que vous la portiez vous-même dans vostre Mosquée. Je me servirai ensuite d’un charme si puissant, que tandis que cette Image y sera gardée, la Ville ne pourra estre prise par ceux qui l’assiegeront. Aladin persuadé par ce discours vole à l’Eglise, emporte l’Image, malgré la résistance des Prestres, la place dans sa Mosquée, & le Magicien fait ses enchantemens ; mais dés que l’Aurore parut, celuy qui avoit la garde du Temple, n’y trouva plus la sainte Image. Il en avertit le Roy qui entra dans une furieuse colere, ne doutant pas qu’elle n’eust esté dérobée par quelque Chrestien. Si ce fut un ouvrage de la main des hommes, ou celuy du Ciel, qui voulut faire éclater sa puissance, irrité de ce qu’on avoit mis l’Image de sa Reine dans un lieu profane, c’est ce qui est encore incertain. Quoy qu’il en soit, le Roy mit tout en usage pour découvrir l’auteur du vol, mais on n’en put rien apprendre. Recherche exacte, promesses, menaces, enchantemens, tout fut inutile. Aladin en sent redoubler sa rage & sa fureur contre les Chrestiens. Il brûle d’impatience de se vanger, & le barbare forme le dessein de les faire tous perir par le fer & par le feu, se mettant peu en peine d’enveloper l’innocent avec le coupable, pour-vû que celuy-cy n’échape pas à sa vangeance. La Renommée en porte bien tost la nouvelle aux Chrestiens. Saisis alors d’étonnement, & frapez de la crainte d’une mort prochaine, ils ne songent, ny à se défendre, ny à prendre la fuite, ny à recourir aux prieres. Ils estoient dans cette cruelle situation, lors qu’ils reçurent du secours d’où ils en attendoient le moins.

Il y avoit parmy eux une jeune Fille dont tous les sentimens estoient élevez & dignes d’une Princesse. Les charmes de sa personne répondoient à la grandeur de son ame, mais elle les negligeoit, ou n’en avoit soin qu’autant que la bien séance le permettoit. Pour se dérober aux regards & aux loüanges des Amans, elle se renfermoit seule dans sa maison, & cette modestie qu’elle joignoit à tant de merite, en relevoit de beaucoup le prix. Cependant quelque précaution qu’elle prenne, elle ne peut cacher longtemps une beauté si éclatante & si digne de l’admiration de tout le monde. Tu n’y consens pas, Amour, & tu satisfais la curiosité d’un jeune homme. Amour, tantost aveugle & tantost Argus, qui te couvres les yeux d’un bandeau, & qui le leves un moment aprés, c’est toy qui à travers mille Gardes, conduis ses regards jusque dans la chaste demeure de Sophronie. L’une a ce nom, & l’autre se nomme Olinde, & ils sont tous deux d’une même Ville & d’une même Religion. Olinde aussi modeste que Sophronie est belle, n’a osé jusqu’icy luy découvrir sa passion, ou n’a pas esté assez heureux pour en trouver le moyen. Quoy que Sophronie le méprise, ou qu’elle ne remarque pas les sentimens qu’il a pour elle, ou feigne de ne s’en pas appercevoir, il ne laisse pas de l’aimer toûjours avec une vivacité & une délicatesse qui n’a rien d’égal, souhaitant beaucoup, esperant peu, & ne demandant rien.

Cependant le bruit court que l’on va faire mourir tous les Chrestiens. Sophronie qui n’a pas moins de generosité que de pudeur, médite les moyens de sauver son Peuple. Son grand courage luy inspire un dessein si magnanime, mais sa pudeur & sa modestie s’y opposent. Enfin, aprés un long combat, la generosité l’emporte sur la modestie, ou plutost s’accordant ensemble, la generosité devient timide & modeste, & la modestie devient hardie & genereuse. Elle sort donc seule, & passe à travers le Peuple, n’affectant ny de couvrir ny d’étaler ses charmes, les yeux recueillis, la teste couverte d’un voile, & faisant paroistre dans toute sa personne un agréable mélange de fierté & de douceur. On a peine à connoistre si elle est parée ou negligée, si c’est le hazard qui la rend si belle ou si l’art ne s’en mêle pas ; mais il est certain que sa negligence luy tient lieu d’ornement, & que c’est l’innocent artifice dont elle s’est servie pour rehausser l’éclat de sa beauté. Pendant que tout le monde a les yeux attachez sur elle, Sophronie s’avance sans détourner les siens, se presente devant le Roy, & soutenant ses fiers regards d’un air modeste & intrepide ; Seigneur, luy dit-elle, je te prie de suspendre ta vangeance, & d’appaiser la fureur de ton Peuple. Je viens livrer entre tes mains le criminel que tu cherches, & qui t’a si fort offensé. Une si noble audace, ce saint orguëil, l’éclat ébloüissant de tant de charmes, jettent le Roy dans le trouble, & luy font presque rendre les armes ; sa colere se calme, son humeur altiere s’adoucit. S’il y eust eu moins de fierté dans le cœur de l’un, ou sur le visage de l’autre, ce Prince seroit devenu son Amant ; mais une beauté farouche ne prend pas un cœur farouche ; on ne le peut gagner que par la douceur. Si celuy d’Aladin fut insensible à l’amour, il fut du moins touché d’admiration & de plaisir. Quoy qu’il en soit, apprens-moy tout, luy dit le Roy, & j’ordonneray qu’on ne fasse aucune insulte à ton Peuple. Prince, répondit elle, le criminel est devant toy. Le vol qui te jette dans de si grandes inquietudes, est l’ouvrage de cette main. C’est moy qui ay enlevé l’Image ; je suis celle que tu cherches & que tu dois punir. C’est ainsi que Sophronie se sacrifie pour son Peuple, & qu’elle attire sur elle seule tout le danger. Genereux mensonge ! la Verité quelque belle, quelque brillante qu’elle soit, t’est elle comparable ? Le Tiran demeure surpris à ce discours, & ne s’abandonnant pas à la colere sitost qu’il a de coûtume, il l’interroge. Je veux, luy dit-il, que tu me découvres celuy qui t’a conseillé ce dessein, & qui t’a aidé à l’executer. Je n’en ay voulu partager la gloire avec personne, répondit Sophronie. Je n’ay pris conseil que de mon courage, & j’ay executé seule cette entreprise. Puisque cela est, repliqua le Roy, ma vangeance éclatera sur toi seule. Il est juste, dit-elle, qu’ayant eu tout l’honneur, je porte tout le chastiment. Aladin dont la colere commence à se rallumer, luy demande où elle a caché l’Image. Je ne l’ay pas cachée, repartit elle, je l’ay brûlée, & en le faisant, j’ay cru faire une chose loüable. Elle ne pourra plus du moins estre profanée par la main injurieuse des Infidelles. Seigneur, si tu cherches le vol ou le voleur, sois assuré que tu vois l’un devant toy, & que tu ne verras jamais l’autre. Quoi qu’on ne puisse pas dire que j’aye fait un vol, ny que je sois un voleur, il est juste de reprendre ce que l’on nous a ôté injustement. Le Roy entendant ces paroles, fremit de rage & de dépit, ne respire que menaces, & se livre à tous les mouvemens de sa passion. Cœur chaste, ame magnanime, beaux yeux, n’esperez plus d’adoucir ce Prince irrité ; c’est en vain que l’Amour luy oppose vos charmes, & vous en fait un bouclier contre sa fureur. On se saisit de cette belle personne, & le Tiran la condamne à estre brûlée toute vive. Déja on luy serre ses bras délicats avec de grosses cordes. Sophronie au milieu d’un si cruel traitement garde le silence. Son grand cœur n’est pourtant pas insensible, mais il n’est ny étonne ny abbatu, & si l’on remarque quelque changement sur son visage, on n’y apperçoit pas une pâleur fade, mais une vive blancheur.

La nouvelle d’un évenement si tragique s’estant répanduë, le peuple s’assembla pour en estre le témoin. Comme on ne sçavoit pas le nom de celle qu’on devoit faire mourir, Olinde qui apprehendoit que ce ne fust sa chere Sophronie, accourut avec les autres. Quand il la vit condamnée à la mort comme une criminelle, & le cruel Arrest prest à estre executé, quelle douleur ne sentit-il pas ? Il fend aussi-tost la presse, & crie au Roy, Sophronie n’est pas coupable ; non, elle ne l’est pas, Seigneur, c’est une extravagante qui se vante d’un crime qu’elle n’a pas fait. Une jeune Fille, seule, sans experience, n’a pu avoir la hardiesse ny les moyens, ny mesme la pensée d’entreprendre une chose si difficile. Comment a-t-elle trompé la vigilance des Gardes ? De quels artifices s’est-elle servie pour dérober cette Sainte Image ? Qu’elle nous le dise. C’est moy, Seigneur, c’est moy qui l’ay enlevé, pour suivit-il, tant il eut d’amour pour une personne qui n’avoit pour luy que de l’insensibilité ! J’entray la nuit par cette ouverture d’où la Mosquée reçoit le jour. Elle est fort étroite, & cette voye est inaccessible. Je ne laissay pas de la tenter, & je vins à bout de mon entreprise. C’est à moy que la gloire en est dûë, c’est moy que l’on doit faire mourir. Pourquoy souffre-t-on qu’elle usurpe mon supplice ? Ces chaînes m’appartiennent ; c’est pour moy que le bucher est appresté & qu’on allume le feu. Sophronie touchée de compassion, leve les yeux, & le regardant avec douceur ; Que prétens-tu, innocent & malheureux Olinde, luy dit elle ? quel est ton dessein ? Quelle fureur te guide ? Crois tu que je manque de force & de courage pour endurer tout ce que la rage d’un Tiran peut inventer de plus cruel ? Non, non, je me sens assez de résolution pour souffrir la mort toute seule, & je n’ay pas besoin d’estre soutenuë par l’exemple d’un autre. Ce discours qu’elle tient à son Amant ne peut l’obliger à changer de langage ou de dessein. O le grand, ô le beau spectacle, que cette dispute qui se forme entre l’amour & la generosité, où la mort est la récompense du vainqueur, & où le vaincu trouve son salut dans sa peine ! Mais cette opiniastreté avec laquelle ils s’accusent l’un l’autre ne sert qu’à aigrir davantage le Tiran. Il luy semble qu’ils se joüent de luy, & qu’en méprisant les supplices ils méprisent son pouvoir. Qu’on ajoûte foy à l’un & à l’autre, dit-il. Qu’ils demeurent tous deux vainqueurs, & qu’ils reçoivent la Palme qu’ils ont meritée. Il fait signe ensuite aux Ministres de sa Tirannie, toujours prests à executer ses ordres. En même temps on prend Olinde, & on l’attache avec sa Maistresse à un même poteau, le dos tourné l’un contre l’autre. Le bucher estoit déja tout dressé, & le feu commençoit à s’allumer, quand Olinde d’une voix entre coupée de soupirs parla ainsi à celle qui estoit liée avec luy. Sont ce là ces douces chaînes (helas ! je m’en flatois en vain) qui devoient nous unir pour toujours ? Sont-ce là ces flâmes innocentes dont j’esperois que nos cœurs brûleroient d’une égale ardeur ? L’amour nous promettoit bien d’autres liens & d’autres feux que ceux qu’un sort injuste nous prépare. Aprés nous avoir toûjours séparez si cruellement, la fortune ne nous reünit que pour nous faire endurer la mort. Je ne me plains pas néanmmoins de ma destinée. C’est la vostre seule qui me touche. Si je n’ay pas eu part à vostre couche, j’ay du moins la triste consolation d’en avoir à vostre bucher, & de mourir à vos costez. Mon cher Olinde, luy répondit Saphronie, l’estat où vous estes demande d’autres pensees. Vous devez élever les vostres plus haut. Que ne faites-vous quelque retour sur vos fautes, & sur les magnifiques récompenses que Dieu promet aux gens de bien ? Souffrez vos peines pour l’amour de luy, & elles vous paroistront douces. Aspirez avec joye à la demeure des bien-heureux. Voyez comme le Ciel est beau & serein. Le Soleil semble nous consoler & vouloir nous attirer à luy. Les Chrestiens & les Infidelles commencent à murmurer de la cruauté du Prince, les premiers en secret, & les autres ouvertement. Je ne sçay quoy même de doux & de tendre semble percer pour la premiere fois le cœur barbare d’Aladin. Ce Tiran s’en apperçoit & s’en sçait mauvais gré, & ne voulant pas se laisser fléchir, il détourne ses yeux d’un spectacle si touchant, & se retire. Dans une affliction si generale, vous seule, belle Sophronie, ne paroissez pas affligée, & vous ne vous plaignez pas quand tout le monde vous plaint.

Cependant on voit arriver un Guerrier dont la personne a quelque chose de noble & de gratieux. À ses armes & à ses habits, on juge d’abord que c’est un Etranger qui vient de fort loin ; mais le Tigre qu’il porte sur son Casque, & qui attire les yeux de tous ceux qui sont presens, fait bien tost connoistre que c’est Clorinde. Cette Heroïne dés son enfance eut du mépris pour tous les ouvrages qui conviennent le plus aux personnes, de son sexe. Elle crut que se servir de l’aiguille ou du fuseau estoit une occupation indigne de ses superbes mains. Ny les habits magnifiques, ny le séjour des Villes n’estoient de son goust. Elle arma son visage d’une noble fierté, & se fit un plaisir de luy donner je ne sçay quel air sauvage qui ne laissoit pas d’avoir des charmes. Dans un âge encore tendre ses mains délicates furent employées, ou à dompter des Chevaux, ou à manier des armes. Elle s’exerça à la Lute pour endurcir son corps, & le rendre propre à la course. On la vit ensuite poursuivre les Lions & les Ours dans les bois & sur les Montagnes, cherchant par tout à signaler son adresse ou son courage, dans les combats paroissant Lion aux hommes, & dans les Forests paroissant homme aux Lions. L’Amazone vient de Perse pour s’opposer aux Armes des Chrestiens. Ne comptant pour rien d’avoir couvert autrefois la terre de leurs corps, & teint les rivieres de leur sang, elle veut leur donner de nouvelles preuves de sa valeur, & leur faire sentir toute la force de son bras victorieux. La premiere chose qui se presente à les yeux en arrivant, est l’appareil du supplice d’Olinde & de Sophronie. La curiosité qu’elle a de les voir de prés, & l’apprendre le crime qu’ils ont commis, luy fait piquer un cheval. Le peuple s’estant retiré pour luy faire jour, elle les considere attachez à un même poteau, remarque que l’une se tait, & que l’autre se plaint, & que le Sexe le plus foible fait voir plus de courage. Il est vray que les plaintes d’Olinde luy paroissent plûtost un effet de compassion que de foiblesse ; & qu’il semble moins touché de son malheur que de celuy de Sophronie. Pour elle, ses yeux son tellement attachez au Ciel qu’on diroit que sa belle ame est déja séparée de son corps Clorinde s’attendrit à cette vûë, plaint leur triste sort, & ne peut s’empêcher de verser des larmes. Elle a néanmoins plus de sensibilité pour celle qui paroist en avoir le moins ; & les plaintes de l’un font moins d’impression sur son cœur que le silence de l’autre Sans trop s’arrester à les regarder, elle se tourne vers un vieillard qui estoit prés d’elle. Apprenez moy, luy dit-elle, quelles sont ces deux personnes, si c’est leur crime ou leur malheur qui les a fait condamner au supplice. Le vieillard satisfit entierement & en peu de mots, à sa demande. Clorinde demeura surprise de ce qu’elle apprenoit, & comprit bien-tost qu’Olinde & Sophronie estoient innocens. Elle prit la résolution de leur sauver la vie, & de mettre en usage tout ce que pourront ses prieres ou ses larmes. Elle s’approche aussi-tost du bucher, fait retirer le feu qui commence à les gagner, & s’adressant aux Executeurs de l’Arrest ; que personne de vous, leur dit-elle, n’ait la hardiesse de continuer ce cruel office jusqu’à ce que j’aye parlé au Roy. Je vous assure qu’il ne vous fera pas un crime de ce retardement. L’air grand & auguste de celle qui leur parloit, les frapa ; ils obéïrent, elle s’avança ensuite vers Aladin, & le trouva qui venoit au devant d’elle. Je suis Clorinde, luy dit-elle, & ce nom ne vous est peut-estre pas inconnu. Seigneur, je viens partager avec vous la défense de vostre Royaume, & du culte qui nous est commun. Renfermez-moy dans une Ville. Donnez-moy un champ plus spacieux, & plus ouvert. De quelque employ que vous m’honoriez, je suis preste à m’en acquitter. Je ne crains pas les plus élevez, & ne méprise pas les plus bas. Illustre Guerriere, répondit le Roy, quel est le Pays si éloigné de l’Asie & de la route du Soleil, où vostre nom & vostre gloire n’ayent pas volé ? Maintenant que vous venez joindre vostre épée à la mienne, toutes mes craintes s’évanoüissent. Une nombreuse Armée ne me rassureroit pas tant que vostre presence, & il me semble déja que Godefroy tarde trop longtemps à venir. Vous me demandez un employ ; je suis persuadé que les plus grands & les plus difficiles sont les seuls dignes de vostre habileté & de vostre courage. Je vous donne le commandement de mes Troupes, & je veux qu’on regarde vos ordres comme des Loix. Aprés qu’elle l’eut remercié de ses loüanges, elle recommença à parler de cette sorte. Il paroistra sans doute nouveau que la récompense précede le service ; mais ceux que j’espere de vous rendre dans la suite, & la confiance que j’ay en vostre bonté, Seigneur, font que j’ose vous demander la vie de ces deux malheureux. Je pourrois dire qu’il y a de l’injustice à les condamner pour un crime dont ils ne sont pas convaincus. Je pourrois parler des preuves qu’on a de leur innocence, mais je passe tout cela sous silence. Je diray seulement que je ne suis point de l’opinion commune, que l’Image ait esté enlevée par un Chrestien, & je crois avoir de bonnes raisons pour m’en écarter. Ce que le Magicien vous a engagé de faire, Seigneur, est contraire à nos Loix. S’il nous est défendu de mettre aucune Idole dans nos Temples, il nous est encore moins permis d’y en souffrir d’étrangeres. J’aime mieux attribuer ce miracle à Mahomet, qui l’a fait sans doute, pour nous apprendre à ne pas profaner son Temple par de nouvelles superstitions. Qu’Ismene se serve d’enchantemens, à la bonne heure, il n’a point d’autres armes que ses sortileges. Pour nous, servons-nous de nos épées, c’est nostre profession, & nous devons y mettre toutes nos esperances. Clorinde cessa de parler, & le Roy, quoy qu’il ne se laissast pas aisément fléchir quand il estoit une fois irrité, ne pouvant tenir contre la force de ses raisons & de ses prieres, luy accorda la grace qu’elle luy demandoit. Qu’ils ayent la vie & la liberté, dit-il, on ne sçauroit rien refuser à un Intercesseur de cette consideration. S’ils sont innocens, je les absous ; s’il sont criminels, je leur pardonne. Ainsi furent déliez Olinde & Sophronie, & les Chrestiens délivrez du danger qui les menaçoit. Heureux Olinde, d’avoir par une preuve d’amour si extraordinaire, réveillé la tendresse dans le cœur genereux de la belle Sophronie ! mais il n’a pas seulement le bonheur d’estre aimé de celle qui n’avoit pour luy que de l’indifference, il devient encore son époux, & passe du bucher au lit nuptial. Puisqu’il a bien voulu mourir avec elle, elle consent de vivre le reste de ses jours avec luy.

Portrait de Messire Benigne Bossuet, Evêque de Meaux. Au serenissime Prince Cosme III Grand Duc de Toscane §

Mercure galant, décembre 1698 [tome 12], p. 125-134.

L’abondance de la matiere m’a fait oublier jusqu’icy à satisfaire à ce que vous m’avez demandé touchant le Portrait de Mr l’Evêque de Meaux, fait par Mr Perrault, de l’Academie Françoise. Je vous l’envoye ; il ne peut estre que fort beau venant de sa main Souvenez vous que ce n’est que la traduction d’un excellent Original Latin de la composition de Mr l’Abbé Boutard. Il n’y a personne qui ne connoisse son heureux talent pour la Poësie.

PORTRAIT
De Messire Benigne Bossuet, Evêque de Meaux.
Au serenissime Prince Cosme III Grand Duc de Toscane.

Cosme, à qui les beaux Arts doivent tous rendre hommage,
Et qui de la Vertu remplis tous les souhaits ;
Tu veux que de BENIGNE une fidelle Image
 Vienne orner ton riche Palais.
***
Quoy que peinte avec soin par un nouvel Appelle,
Le Prelat tout entier ne s’y voit point tracé,
Et les ailes du Temps qui passeront sur elle
 Un jour auront tout effacé.
***
Je veux en mettre au jour une vive peinture,
Où de ses riches dons rien n’échape à ma main,
Et t’en faite en mes Vers une Image qui dure
 Plus que le marbre & que l’airain,
***
L’on n’y trouvera pas pompeusement dépeinte
La Mitre aux rayons d’or dont son front est paré,
Ny sa Croix qui reluit, ny de sa Bague sainte
 L’éclat brillant & coloré.
***
Assez d’autres peindront ces marques honorables,
Des vulgaires Prelats ornemens précieux,
Je laisse de son chef les neiges venerables,
 Et le sage feu de ses yeux.
***
Je ne traceray point cette subtile flâme
Qui réjoüit son front où regne le repos ;
Je me veux élever, & te peindre son ame,
 La plus noble part du Heros.
***
Elle ne dément point sa celeste origine,
Elle éclate de feux plus brillans que le jour ;
La simple verité, la profonde doctrine
 Y font leur aimable séjour.
***
Si je pouvois, Grand Duc, te l’ouvrir toute entiere,
Et t’en faire admirer les dedans précieux,
Quel éclat surprenant, quelle vive lumiere
 Te viendroit ébloüir les yeux !
***
Là sont tous les secrets de la haute sagesse,
Là roulent du discours les rapides torrens,
Et là de tous les Arts s’étale la richesse
 Avec leurs charmes differens.
***
Et sa bouche & ses yeux qu’animent l’Eloquence,
Versent de toutes parts mille riches tresors
Par de doctes Ecrits sa divine science,
 De son sein s’épanche au dehors.
***
Témoin, le sens ouvert des Enigmes sacrées,
Les dogmes de la Foy qui soutient nos Autels.
Et des Heros Chrestiens les vertus celebrées
 Par des Eloges immortels.
***
Témoin de l’Univers le Sistême admirable,
Où l’Histoire des Temps s’offre entiere au Dauphin,
Et dans nos heureux jours la déroute effroyable
 Des tristes restes de Calvin.
***
Le lethargique Auteur d’une Secte maligne
En sert de preuve encor dans l’abisme profond.
Ah que tu l’aimerois cet aimable Benigne,
 Si tu le connoissois à fond ?
***
Son cœur dont la tendresse est toujours agissante,
De toutes les Vertus est un Temple habité.
Là respirent en paix la Pudeur innocente
 Et la raisonnable Equité.
***
La Verité sa Sœur y préside en maistresse,
Loin de toute surprise y repose la Foy,
Et l’affabilité, dont la subtile adresse
 Attire tous les cœurs à soy.
***
Aimable elle s’étend sur sa main secourable,
Sur sa voix qui fléchit les plus rebelles coeurs.
Ny le Peuple flateur, ny la Cour favorable
 N’ont jamais corrompu ses moeurs.
***
Jamais le fier orgueil n’altera son visage.
Il sent, ami de tous, leur joye & leur douleur ;
Mais à son cher Troupeau son ame se partage
 Avec encor plus de chaleur.
***
Soit que dans l’Onde sainte il guerisse leur peine,
Soit que de sa parole il nourrisse leur coeur,
Soit que de sa bonté l’exemple les ramene
 Sous l’aimable joug du Seigneur.
***
Quand il livra la guerre aux noires frenesies
Que le sombre Calvin puisa dans les Enfers,
Son zele combattit toutes les Heresies
 Qui défigurent l’Univers.
***
Ainsi la Verité dont son ame est éprise,
L’agite, le transporte, elle peut tout sur luy.
Il veille à sa défense, & de toute l’Eglise
 Il est la lumiere & l’appuy.
***
Chrysostome autrefois fut l’honneur de Bysance,
L’Affrique doit sa gloire au fameux Augustin,
L’Illyrie à Jerosme, & Benigne à la France
 Assure un semblable destin.

[Prix proposez par Mrs de l’Academie Françoise] §

Mercure galant, décembre 1698 [tome 12], p. 228-232.

L’Academie Françoise a fait publier que l’année prochaine, le 25 Aoust, Feste de Saint Louis, elle donnera le Prix d’Eloquence fondé par feu Mr de Balzac, de la même Academie. Le sujet sera, Qu’il n’y a rien de plus terrible pour l’homme, que d’abandonner Dieu, & de ne le pas craindre, suivant ces paroles du 2. chap. de Jeremie Vide quia malum & amarum est reliquisse te Dominum Deum tuum, & non esse timorem mei apud te. Le Discours ne doit estre que de demi heure de lecture tout au plus, & finir par une courte Priere à Jesus-Christ. On n’en recevra aucun sans approbation signée de deux Docteurs de la Faculté de Theologie de Paris, & y residans actuellement.

Le même jour, la même Academie donnera le Prix de Poësie, & elle propose pour sujet la Pieté du Roy, & son attention particuliere aux interests de la Religion dans le dernier Traité de Paix. On peut y joindre tel autre sujet de loüange qu’on voudra sur quelques actions particuliéres de Sa Majesté, ou sur toutes ensemble, pourvû qu’on n’excede point cent Vers. On y ajoûtera une courte Priere à Dieu pour le Roy, séparée du corps de l’ouvrage. Toutes personnes seront reçues à composer pour ces deux Prix, horsmis les quarante de l’Academie qui doivent en estre les Juges. Les Auteurs ne mettront point leurs noms à leurs ouvrages, mais une marque ou paraphe, avec un Passage de l’Ecriture Sainte pour les Discours de Prose, & telle autre Sentence qu’il leur plaira, pour les pieces de Poësie. Ceux qui prétendront aux Prix, mettront leurs ouvrages dans le dernier May prochain, entre les mains de Mr l’Abbé Regnier, Secretaire perpetuel de l’Academie Françoise, à l’Hostel de Crequy, sur le Quay Malaquest, & en son absence, chez le Sr Coignard, Imprimeur & Libraire ordinaire du Roy, rue Saint Jacques, prés Saint Yves, à la Bible d’or.

[Avant[ures] & Lettres Galantes] §

Mercure galant, décembre 1698 [tome 12], p. 236-239.

Vous avez vû Les Avantures & Lettres galantes, qui ont eu beaucoup de succés depuis un an. Vous pouvez juger par le plaisir que vous avez pris à cette lecture, de celuy que vous donnera la suite de ces Avantures, qui vient d’estre donnée au Public, sous le titre de L’heureux Naufrage. Cette seconde partie contient l’Histoire d’un Pere & d’un Fils, qui malgré les malheurs qu’ils ont eu à essuyer, ont triomphé de l’infortune, & sont parvenus par les endroits qui devoient les perdre, à tout ce que le bonheur auroit pû leur procurer. Ces deux Histoires sont enchaînées l’une dans l’autre, & mêlées de quantité d’autres incidens. Elles se trouvent au Palais chez le Sr Guillaume de Luyne, dans la Salle des Merciers, à la Justice, & chez le Sr Edme Brunet, à l’entrée de la Grand’Salle, à l’Esperance. Mr le Chevalier de Mailly, qui en est l’Auteur, a l’avantage d’estre sorti d’une Famille qui a porté des hommes aussi recommandables par les Lettres que par les armes. Il peut compter parmy ses Ancestres. Thibault de Mailly, qui vivoit au douziéme siecle, & qui composa une Satyre en Vers, sous le titre d’Estoire ou de Romans.

[Mort de Mr Pierre Richelet]* §

Mercure galant, décembre 1698 [tome 12], p. 255.

Pierre Richelet, Avocat au Parlement, natif de Cheminon en Champagne, mort âgé d’environ soixante-sept ans. Il nous a donné un Dictionnaire de la Langue Françoise, dont il y a eu plusieurs Editions ; un autre Dictionnaire des Rimes, un Traité des Genres des Noms, plusieurs Lettres & autres Traitez concernans la pureté de nostre Langue. On dit qu’il a laissé une Poëtique & une Grammaire pour la Langue Françoise.

Air nouveau §

Mercure galant, décembre 1698 [tome 12], p. 271-272.

Voicy une réponse à la Chanson que vous avez trouvée dans les premieres feuilles de cette Lettre. Les paroles sont du même Auteur, & c'est le même Musicien qui les a mises en Air.

AIR NOUVEAU.

L’Air qui commence par Non, on n'aima jamais, &c., regarde la page 272.
Non, on n'aima jamais autant que je vous aime
Et malgré mon amour extrême
Je n'ay ny soupçon ny frayeur.
Les soins que je prens pour vous plaire,
Mon respect, mon amour sincere,
Me répondent de vostre cœur.
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[Les differens caracteres des Femmes du siecle] §

Mercure galant, décembre 1698 [tome 12], p. 276-279.

Si toutes les secondes Editions des Livres font honneur à leurs Auteurs, elles en font beaucoup davantage aux Personnes de vostre sexe, qui n’estant pas nées pour écrire, semblent estre dispensées de sçavoir la Langue dans toute sa pureté. Elle a des finesses & de certains tours pour exprimer les pensées, qu’on ne cherche point dans la conversation, & qui donnent un grand agreement à ce qui est un peu médité. C’est ce qui fait le grand succés des Ouvrages, dont les premieres impressions ne suffisent pas, & ce que l’on trouvera dans celuy qui a pour titre, Les differens Caractères des Femmes du siècle avec la description de l’Amour propre. Il est de Madame de Pringy, qui a eu soin d’y ajoûter dans cette seconde Edition beaucoup de choses qui sembloient manquer pour le mettre dans la perfection où il pouvoit estre. Elle ne s’est attachée qu’a peindre les Femmes, & elle s’est renfermée dans les Portraits des Coquettes, des Bigotés, des Spirituelles, des Oeconomes, des Joueuses & des Plaideuses. Pour remedier à ces six défauts, elle leur propose autant de vertus qu’elles doivent tâcher d’acquerir chacune selon son caractere ; sçavoir la Modestie, la Pieté, la Science, la Regle, l’Occupation & la Paix. La lecture de cet Ouvrage, qui se debite chez le Sieur Edme Brunet, à l’entrée de la grand’Salle du Palais, ne peut estre que d’une tres grande utilité pour celles qui se trouveront sujettes à ces défauts, puisque les moindres démarches qu’elles pourront faire pour s’en corriger, leur feront sentir le plaisir de la Perfection, & leur donneront du goût pour la Sagesse, en les éloignant de l’Amour propre, qui est dépeint sur la fin de ce même Ouvrage.

[Le Songe de Bocace] §

Mercure galant, décembre 1698 [tome 12], p. 280-281.

La Veuve Boüillerot, au bout du Pont St Michel, au Bon Protecteur, & le Sr Charpentier Libraires au Palais, vendent depuis peu un Livre intitulé Le Songe de Bocace, traduit d’Italien en François. C’est le Labirinte d’amore de Bocace, qui n’a jamais paru en nostre Langue, La difference qu’on trouve entre l’Auteur & le Traducteur, c’est que le premier ne ménage point le beau Sexe, & que l’autre rend justice au vray merite. Cet Ouvrage est dédié à une Demoiselle qui en a beaucoup. Celles qui luy ressemblent le liront avec plaisir, & les autres n’en diront peut-estre pas ce qu’elle en pensent, de crainte qu’on ne les soupçonne d’y trouver leur Portrait. Il est écrit poliment & il y a de jolis Vers, & des Contes réjoüissans. Voicy un Madrigal que l’illustre Mademoiselle de Scudery, à qui le Parnasse donne depuis longtemps le nom Sapho, envoya ces jours passez à l’Auteur de cette traduction.

 En louant l’admirable Acante
 Vostre bel Ouvrage m’enchante ;
Mais quand vous me louez trop excessivement,
Il se fait dans mon cœur un subit changement.
J’appelle à mon secours l’aimable modestie,
Et j’espere pourtant que la posterité
 Prendra pour une verité
 Vostre charmante flaterie.