1700

Mercure galant, avril 1700 [tome 4].

2017
Source : Mercure galant, avril 1700 [tome 4].
Ont participé à cette édition électronique : Nathalie Berton-Blivet (Responsable éditorial), Anne Piéjus (Responsable éditorial), Frédéric Glorieux (Informatique éditoriale) et Vincent Jolivet (Informatique éditoriale).

Mercure galant, avril 1700 [tome 4]. §

Au Roy §

Mercure galant, avril 1700 [tome 4], p. 16.

AU ROY.

Louis, vous estiez grand, quand sur mer & sur terre
 On vous vit toujours Conquerant ;
Pour le commun repos vous terminez la guerre,
 Vous estes encore plus grand.

[Fête pour les cent ans du collège de Béziers]* §

Mercure galant, avril 1700 [tome 4], p. 78-83.

L’an 1599. le College des Peres Jesuites de la Ville de Beziers en Languedoc fut fondé par ses Habitans ; en memoire de quoy, suivant la coutume de plusieurs Nations, autorisée même par l’Ecriture-Sainte, & à l’exemple des Jeux Seculaires qu’on faisoit dans l’ancienne Rome à la fin de chaque Siecle, de cent en cent ans, ils ont celebré dans le mois de Février dernier, la centiéme année de cette fondation.

Le Lundy 15. de ce mois ils commencerent la Feste par une Messe solemnelle en Musique. Tous les Ecoliers y receurent la Communion, & ensuite on y chanta le Te Deum. Le soir de ce même jour le Professeur de Rhetorique y prononça un Discours Latin, en action de graces à la Ville de Beziers de la fondation de ce College.

Le Mardy 16. Mr le Maire de la Ville, & Mrs les Consuls furent invitez par les Peres, d’aller en leur Maison, pour y entendre des Vers Latins & François, & pour se voir reconnoistre en qualité de Fondateurs & Protecteurs du College.

Le Mercredy 17. le Professeur de la troisiéme Classe de Grammaire, recita un Poëme Latin, qui estoit une description poëtique de la Ville & des environs de Beziers, qui sont des plus beaux de France, & particulierement des dix Ecluses accolées du Canal Royal de communication des Mers, qui sont à la veuë de ses murailles.

Le Jeudy 18. le Professeur d’Humanité fit un Discours, dont le sujet estoit, la gloire que les personnes qui ont receu la naissance à Beziers, se sont acquise de tout temps, dans les Armes & dans les Lettres, où l’on n’a pas oublié de faire l’Eloge de Mr Paul Riquet, Entrepreneur du Canal Royal de Languedoc, & de Mr Paul Pelisson, de l’Academie Françoise, tous les deux nez à Beziers.

Le Vendredy 19. on fit un essay sur l’Histoire, la Geographie, le Blason, & sur tous les Ouvrages de Virgile, où Marc Antoine Barbier, Fils de Mr Barbier, un des Avocats du Roy du Presidial de cette Ville, qui n’est âgé que d’onze ans, fit admirer sa memoire & sa presence d’esprit ; aussi plut-il à tout le monde par son agrément.

Le Samedy 20. on representa une Tragedie sur le Martyre de Saint Nazaire & de Saint Celse, ausquels l’Eglise Cathedrale de cette Ville est dédiée. Ces actions furent honorées, les unes de la presence de Mr l’Evêque de Beziers, & de son Chapitre, les autres par Mrs les Officiers du Presidial, & autres Officiers de Justice de la Ville ; d’autres par le Maire & les Consuls, & tous s’en retournerent chez eux tres satisfaits des témoignages de reconnoissance que les Peres Jesuites leur ont donnez, & du renouvellement de leur zele.

[Prologue à chanter en forme de Dialogue entre la Musique, & la Poësie] §

Mercure galant, avril 1700 [tome 4], p. 129-132.

Mr Perelle de Troye est l’Auteur du petit Ouvrage que vous allez lire.

PROLOGUE
A CHANTER,
EN FORME DE DIALOGUE,
entre la Musique & la Poësie.

La Musique à la Poësie.
 Delicieuse Henesie,
Langage harmonieux dont les cœurs sont épris,
Aimable amusement, doux charme des esprits,
  Belle & Divine Poësie,
 Venez, venez joindre une Sœur,
Qui sans vous ne peut vivre, ou ne vit qu’en langueur :
 C’est la Musique à l’ombre de ce hestre,
Qui vous attend, & qui par ses tendres concerts
Implore avec ardeur le secours de vos vers
 Pour un petit délassement champestre.
Secondez de la voix la douceur de mes sons
Si propres à bannir loin de nous la tristesse,
 Et faire place à l’allegresse,
Sur tout, si vous daignez y joindre vos chansons.
La Poësie à la Musique.
Je me rens à vos vœux, à vos attraits je céde,
Ma plume avec plaisir court & vole à vostre aide.
La Musique & la Poësie ensemble.
Que la Notte & la Rime unissent leurs accords,
L’une au goust des esprits, l’autre au goust des oreilles,
 Par les touchantes merveilles
 De leurs divins transports ;
 Marchons toûjours ensemble,
Comme fidelles Sœurs ne nous quittons jamais,
 Vivons toûjours en paix,
Que chacun des beaux Arts à l’envy nous ressemble.

[Dialogue de Bergers sur la Paix] §

Mercure galant, avril 1700 [tome 4], p. 133-138.

DIALOGUE
DE BERGERS
sur les douceurs de la Paix.
LES BERGERS.
DORILAS, MYRTIL, DAMON.

DORILAS,

  Ce n’est plus le temps des Trompettes.
  Tandis que nos moutons
  Vont paistre en ces vallons
 Accordons nos chants, nos musettes,
 Ca, Bergers, dansons, rions tous,
Nous ne craignons plus rien de la fureur des loups.

DAMON.

 Ah ! Dorilas, est-il possible,
 Que dans nos champs & nos hameaux
Si souvent allarmez par tant & tant d’assauts,
Tout y soit maintenant si calme & si paisible

DORILAS.

Il n’est rien de plus vray. Myrtil fort à propos
 Arrive icy pour nous apprendre
  Comment le grand Alcandre
Nous a par sa valeur procuré ce repos.

MYRTIL.

Ouy, ce vaillant Berger par l’effort de ses armes
A de tous ces cantons dissipé les alarmes,
 Nous a ramené les beaux jours
 Les Jeux & les Amours.
Ouy, sans craindre des loups la rage & la furie
Nos moutons desormais paistront dans la prairie
 Pendant qu’à l’ombre des ormeaux
Nous danserons en paix au son des chalumeaux.

DAMON.

Ah ! que ce Vainqueur est aimable !

MYRTIL.

Autant que redoutable,

DAMON.

Il a mis fin à tous nos maux ;

MYRTIL.

Sa valeur a des loups garanti nos troupeaux.
Quoi qu’en troupe acharnez, luy seul par sa houlette
A mille fois hâté leur fuite & leur défaite,
Et rompu de sa voix leurs efforts & leurs coups.

DORILAS.

 Quoy, luy seul ? ah ! que dites-vous ?
Ciel !

MYRTIL.

  De tous nos Bergers c’est le plus redoutable,
 Ouy ce seul Berger indomptable
A sauvé nos Brebis, nous a délivrez tous.

DORILAS.

Qu’il vive, ce Vainqueur aimable

MYRTIL.

Qu’il nous soit toûjours secourable.

CHOEUR DES BERGERS

ensemble.
Joüissons en repos du fruit de ses bienfaits
Et ne nous lassons point des douceurs de la Paix.
 Accordons nos voix, nos musettes.
 Ca, Bergers, dansons, rions tous,
 Ce n’est plus le temps des Trompettes,
Nous ne craignons plus rien de la fureur des loups.

CHANSON DES BERGERS

dansans ensemble.
On s’étonneroit moins que la Saison nouvelle
Revinst sans amener les fleurs & les zephirs
Que de voir de nos ans la saison la plus belle
 Sans l’Amour & sans les Plaisirs.
***
Laissons-donc à l’Amour nos beaux ans en partage
La sagesse a son temps, il ne vient que trop tost ;
 Ce n’est pas estre sage
 D’estre plus sage qu’il ne faut.
***
 Ah ! quelle erreur, quelle folie !
 De ne pas joüir de la vie.
C’est aux Jeux, c’est aux Ris, c’est aux tendres Amours,
 Qu’il faut donner les plus beaux jours.

[Elegie] §

Mercure galant, avril 1700 [tome 4], p. 138-141.

On doit attendre beaucoup de l’Auteur de l’Elegie que je vous envoye, puis qu’il n’a que vingt ans, & qu’elle est son coup d’essay.

ELEGIE.

Ouvrages du Printemps, agréables Prairies,
 Verds gazons, & vous clairs ruisseaux,
 Qui roulez lentement vos eaux,
 Sur des nappes toûjours fleuries,
Et les précipitez aprés mille détours,
  Dans une onde nouvelle ;
 Où reprenant un autre cours,
Elles quittent souvent leur pente naturelle.
 Belles fontaines, doux zephirs,
Vous estiez autrefois témoins de mes plaisirs ;
 Tranquille & sans inquietude,
Je goûtois prés de vous, au gré de mes desirs,
 Les douceurs de la solitude.
Insensible aux grandeurs, éloigné de la Cour,
 Et satisfait de ma fortune,
Le soin de mes troupeaux m’occupoit nuit & jour.
Bien loin d’estre agité, dans ce charmant sejour,
 Par une tendresse importune ;
Mon cœur ne sçavoit pas ce que c’estoit qu’Amour ;
De tous ses mouvemens, j’estois encor le maistre,
 Mais enfin je cessay de l’estre,
 Le cruel tyran de nos cœurs,
Dont j’avois si longtemps ignoré la puissance,
De mon heureux estat, vint troubler les douceurs,
Je fis de vains efforts. Malgré ma resistance,
 Je perdis cette liberté,
 Qui faisoit ma felicité,
 Et depuis qu’on me l’a ravie,
 Paisibles lieux, vostre tranquillité,
 Est un bien que je vous envie,
Mais si ce même Amour, (dont les tristes effets,
Interrompent le cours d’une si douce vie,)
Rend sensible à mes maux l’adorable Silvie,
Je ne me souviens plus de tous ceux qu’il m’a faits.

Air nouveau §

Mercure galant, avril 1700 [tome 4], p. 141-144.

Je ne doute point que vous ne soyez contente de l'Air nouveau que vous trouverez icy gravé.

AIR NOUVEAU.

L’Air, Un Objet plein d'appas, page 142.
Un objet plein d'appas qui paroist en ces lieux,
Charme de toutes parts, & les cœurs & les yeux,
Venus ne fut jamais si belle.
L'Amour à ces beaux yeux allume son flambeau,
Chacun court admirer cette beauté nouvelle,
Et moy je cours au vin nouveau ;
Il est aussi charmant, & moins dangereux qu'elle.

Ces paroles sont de Mr le Marquis de Morfontaine, & ont esté faites pour Mademoiselle Coulon avant son mariage. L'Air est de la Composition de Mr Marchand, Organiste de Saint Benoist, des Cordeliers, & des Jesuites. Ce nom porte son éloge parmy les Connoisseurs, & les gens de bon goust. Le Public qui a reçu avec tant d'applaudissement la premiere Suite de Clavessin qu'il donnna il y a quelque temps, sera sans doute bien-aise d'apprendre qu'il donne la premiere suite des Pieces d'Orgues du premier ton, qui sera suivie incessamment des autres, comme il l'a promis, avec une Instruction pour le toucher du Clavessin, le mélange particulier des Jeux, & l'execution sur l'Orgue. Le tout se vend chez l'Auteur.

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[Action de grâces pour l’évacuation de la place d’Elbing]* §

Mercure galant, avril 1700 [tome 4], p. 161-164.

La Place fut évacuée conformément à ce Traité, le premier Février, & les Polonois en eurent tant de joye, qu’ils firent chanter le Te Deum le jour d’aprés, en actions de graces à Dieu de cette évacuation & de cet accommodement. En effet ils y ont gagné beaucoup, n’ayant pas seulement retiré une Place forte des mains d’un Prince, à qui on l’auroit difficilement arrachée par force, mais ayant rabattu en même temps cent mille écus d’une dette avoüée & liquide, & qui devoit avoir esté payée il y a plus de quarante ans. Mais si les Polonois y ont gagné du costé de l’interest, il semble que Sa Serenité Electorale n’y a pas moins gagné du costé de la gloire, non seulement pour avoir donné des marques publiques de sa moderation & de sa generosité, mais pour avoir receu aussi des Polonois même, le témoignage du monde le plus éclatant de leur confiance & de leur veneration, par les Joyaux de la Couronne, qu’ils luy ont donnez en gage pour seureté du payement. Outre que les hostilitez que les Troupes du Roy ont commencées peu de temps aprés dans la Livonie Suedoise, font clairement voir qu’on a preferé l’amitié de Sa Serenité Electorale à celle d’un tres-puissant Royaume, où l’on n’a point balancé de porter les ressentimens, qu’on a bien voulu étouffer en consideration de Monsieur l’Electeur de Brandebourg.

[Histoire] §

Mercure galant, avril 1700 [tome 4], p. 176-200.

La vie est remplie de tant de sortes d’évenemens, qu’on ne sçauroit trop en admirer la diversité. Ce que je vais vous apprendre d’une tres-jolie personne vous surprendra. Elle estoit belle & brillante, & avoit de quoy toucher le cœur le plus insensible, par mille agrémens qui animoient sa beauté. Ses manieres estoient nobles & fort engageantes. L’enjoüement de son humeur joint à beaucoup de vivacité d’esprit, luy faisoit dire à toute heure des choses tres-fines, & elle les disoit avec une grace qui charmoit tous ceux qui l’entendoient. Avec des qualitez si peu ordinaires, il ne faut pas s’étonner si elle estoit recherchée par tout. Si on faisoit quelques parties de plaisir, on essayoit de l’en mettre, afin qu’elles fussent plus agréables, & la joye naissoit dans tous les lieux où sa complaisance l’engageoit à se trouver. Chacun s’empressoit d’ailleurs pour estre reçû chez elle ; & comme il estoit difficile de la voir sans sentir presque aussitost ce je ne sçay quoy qui fait aimer, les adorateurs ne luy manquoient pas ; mais si elle sçavoit inspirer des passions, elle avoit un grand défaut, qui en arrêtoit la violence. Sa fortune ne répondoit pas à son merite, & les assiduitez, quand elles estoient trop grandes, l’obligeant toujours à demander quel en estoit le motif, on ne luy rendoit des soins qu’autant qu’il falloit pour n’estre pas contraint d’en venir à une explication précise des sentimens qu’elle faisoit naistre. Ce n’est pas que plusieurs de ses Amans ne se déclarassent dans les formes, mais la résolution qu’elle avoit prise de ne consentir jamais à se marier, qu’elle ne trouvast un Parti considerable, la portoit à se défaire de tous ceux qui n’estoient point assez riches pour la pouvoir mettre dans un estat opulent. Ainsi la raison gouvernoit toujours les mouvemens de son cœur, & ce qui estoit capable de plaire à ses yeux ne l’emportoit point sur sa politique. Elle estoit encore sans engagement, lors que les prieres d’une Tante, qui tenoit un rang assez distingué dans une Ville des plus agréables, l’obligerent à l’aller voir, & à passer quelque temps chez elle. Elle fit là un fracas terrible ; chacun chercha à la divertir, & comme c’estoit la saison du Carnaval, elle brilloit fort dans toutes les assemblées. Il s’en fit une où elle fut la Reine du Bal. Un Masque tres-propre, & de fort bon air, qui avoit montré beaucoup d’esprit en luy contant des douceurs, fut pris par elle à danser, & il s’acquitta de cette danse avec une grace merveilleuse. On s’empressa pour sçavoir qui il étoit, & personne ne le pouvant deviner, on pria la Belle, qu’il continua toujours d’entretenir, d’obtenir de luy d’oster son masque. Il y consentit à condition qu’elle se contenteroit de voir son visage, sans rien demander de plus, & qu’elle luy permettroit de luy rendre visite le lendemain. La condition fut acceptée, & s’estant démasqué pour quelque moment, il luy presenta un Inconnu, qui le fut également pour tous ceux qui s’approcherent. Il estoit jeune, avoit les traits assez reguliers, & une phisionomie fort heureuse. Il ne sortit point que le Bal ne fust fini, & il parut par tout ce qu’il dit à cette aimable personne, qu’il en emportoit l’image gravée dans son cœur. La Belle de son costé trouva dans ses manieres pour elle tout ce qu’elle auroit souhaité dans un Amant, si on l’avoit obligée de faire un choix, & elle sentit que sa vanité n’eust pas esté satisfaite, s’il eust manqué à la venir voir le jour suivant. Il luy tint parole, & luy dit mille choses obligeantes sur la grace qu’elle avoit bien voulu faire à un Inconnu, de luy permettre de venir admirer dans sa personne, ce qu’il n’avoit pû encore rencontrer ailleurs. La conversation fut des plus vives, & il se fit entre eux un combat d’esprit, où il eust esté mal aisé de dire qui meritoit de remporter l’avantage. Cependant la Belle ne put faire dire à l’Inconnu, ny qui il estoit, ny d’où il estoit. Il s’en défendit toujours, quelque tour qu’elle pust prendre pour l’obliger à se découvrir. Sa curiosité se sentant piquée par ce refus, elle résolut de la satisfaire, & n’en crut point de moyen plus assuré, que de recevoir toutes ses visites. On ne sçauroit resister longtemps à une belle personne, & comme l’amour qu’il sembloit prendre pour elle, luy donnoit sujet de croire qu’elle se rendroit maistresse de son esprit, elle ne s’opposa pas à la passion dont il commençoit à luy parler ouvertement. Enfin voyant qu’il estoit toujours fort misterieux, elle luy dit, que puis qu’il vouloit toujours se cacher, elle croyoit devoir se faire connoistre. Là-dessus, elle luy peignit son caractere, & luy ayant avoüé qu’elle avoit fort peu de bien, elle ajoûta qu’elle se sentoit pour luy des dispositions assez favorables ; mais que cependant, s’il n’avoit assez de fortune pour reparer ce qui luy manquoit de ce costé-là, quelque envie qu’il luy marquast de la vouloir épouser, elle ne souffriroit point qu’une passion aveugle le rendist malheureux aussi bien qu’elle ; qu’ainsi elle le prioit de se consulter, afin de ne pas pousser les choses plus loin, s’il connoissoit qu’ils ne fussent pas le fait l’un de l’autre, pour soutenir sans chagrin un engagement qui a toujours des suites fâcheuses. Ce qu’elle dit estant tout plein de raison, l’Inconnu luy répondit qu’il ne pouvoit la blâmer de la connoissance qu’elle vouloit exiger de luy touchant sa fortune, & luy ayant protesté que s’il pouvoit disposer d’une Couronne, il la luy voudroit mettre sur la teste, il la conjura de ne le point presser de se declarer jusqu’au lendemain. Il le fit, mais d’une maniére bien differente de ce que la Belle avoit esperé. Il ne parut plus, & elle connut par là qu’il n’estoit pas en estat de luy procurer tous les avantages qu’elle luy avoit marqué souhaiter, pour consentir à estre sa femme. Non-seulement il s’éloigna de la Ville, mais il en partit pour ne plus songer à elle ; & en effet, elle revint à Paris quelque temps aprés, sans avoir sçu de quel costé il estoit tourné. Un pareil oubli qu’elle attribua au peu de fortune de cet Inconnu, ne put effacer les impressions que son merite avoit faites sur son cœur. Il luy fut longtemps present, & l’idée qu’elle en garda la rendit encore plus difficile à recevoir les vœux qui luy furent adressez. Deux ou trois ans se passérent sans qu’elle voulust écouter personne, & enfin un homme qui avoit acquis de tres-grands biens, se presenta. Il estoit assez bien fait, & comme il se montra extrêmement amoureux, il n’y avoit aucune raison de le refuser. L’amour qu’il avoit pour elle le fit demeurer d’accord de tout ce qu’on voulut exiger de luy, pour assurer à la Belle une dot considerable, si la mort l’en separoit. Les articles furent dressez & signez, & la Belle reçut les visites d’un nombre infini de gens, qui s’empressérent à luy venir faire compliment sur son mariage. Elle estoit si belle que tout le monde s’écrioit sur les agrémens de sa personne, & sur le bonheur du Cavalier qui faisoit cette conqueste. Tant de loüanges, & sur tout celles des hommes commencerent à l’alarmer. Il luy sembloit que l’encens qu’elle recevoit de tous costez, luy faisoit trop de plaisir, & comme il estoit d’un temperament jaloux, il s’imagina qu’ayant grand nombre d’Amis, elle auroit peine à se résoudre de les écarter quand elle seroit mariée, à moins qu’il n’usast d’une autorité qui le rendroit ridicule, & qui peut estre diminueroit dans son cœur les sentimens qu’elle témoignoit avoir pour luy. Un jeune Femme belle & bien faite, ne ferme pas volontiers l’oreille aux douceurs, & quand elle écoute, il est bien rare que ceux qui s’attachent à luy en conter, ne luy plaisent plus que son Mari. Ces reflexions le tourmentérent. Il considera combien il hazardoit en se mariant, & combien d’inquiétudes il auroit à essuyer à moins que sa Femme ne voulust vivre dans une maniere de retraite qui la separast du reste du monde, ce qu’il ne pouvoit demander sans injustice à la personne qu’il estoit prest d’épouser. Dans cet embarras d’esprit, il reculoit autant qu’il pouvoit son mariage, dont on le prioit d’arrester le jour. Ne pouvant trouver aucun prétexte raisonnable de le rompre, il demanda le temps d’écrire à un Frere unique qu’il avoit, afin qu’il pust se trouver à cette ceremonie. Ce Frere estoit à Marseille, où un employ assez important le retenoit. Il fit ce qu’il put pour se dispenser de venir, parce que son éloignement luy pouvoit nuire, mais enfin son Frere l’en pressa si fort qu’il fut contraint de partir. Si-tost qu’il fut arrivé, le Cavalier alla trouver sa Maistresse, à laquelle il expliqua ce que son chagrin & ses rêveries luy avoient déja découvert en quelque sorte. Il ne luy déguisa plus ce qu’il souffroit depuis quelque temps, aprés quoy il luy declara qu’il l’aimoit-trop pour la vouloir épouser, puis qu’il luy seroit impossible de le faire sans la rendre malheureuse ; qu’il étoit jaloux jusques à l’excés, & ne pourroit voir sans beaucoup d’impatience qu’on luy rendist la moindre visite ; mais qu’afin qu’elle n’eust pas sujet de se plaindre, il luy offroit son Frere en sa place ; qu’il l’avoit fait venir exprés pour cela ; qu’il estoit aimable & tres-bien fait, d’une humeur douce & tranquille, & qu’en faveur de ce mariage qu’il la prioit d’agréer, il luy donneroit tout son bien, à la reserve de six mille livres de rente qu’il vouloit garder pour luy. Jamais il n’y eut d’étonnement pareil à celuy que ce discours causa à la Belle. Elle répondit en personne sage, que comme elle avoit toujours eu la vertu pour guide dans toutes ses actions, elle n’auroit nulle peine à vivre avec luy de la maniere qui contribueroit le plus à son repos, & qu’il n’avoit pour cela qu’à luy expliquer ses intentions. Le Cavalier luy reïtera qu’il se connoissoit trop bien pour la vouloir exposer à tous les chagrins que l’inégalité de son humeur luy causeroit, qu’il ne vouloit ny estre contraint, ny la contraindre, & qu’il luy ameneroit son Frere le lendemain, pour terminer une affaire qu’il ne doutoit point qui ne les rendist tous deux heureux. La Belle ne pouvant plus se défendre de consentir à ce qu’il vouloit, le pria de ne rien dire à son Frere de la résolution qu’il avoit prise, parce qu’étant question du plus important engagement de la vie, & ne s’estant jamais vûs, il falloit qu’on leur donnast quelques jours pour se connoistre, & pour sçavoir s’ils pourroient se convenir l’un à l’autre. Le jour suivant, le Cavalier conduisit son Frere chez sa Maistresse sans luy rien dire autre chose, sinon qu’il le prioit de la bien examiner, afin de luy dire sincerement s’il croyoit qu’il eust fait un choix digne de luy. La Belle qui donnoit quelque ordre, les fit attendre un moment, & parut à son ordinaire avec tout l’éclat qui accompagne une Fille toute aimable. Quelle surprise pour le Frere du Cavalier, quand il la reconnut pour cette même personne, dont il s’estoit separé sans avoir voulu se faire connoistre ? Son trouble fit assez connoistre l’agitation de son esprit, & la Belle qui le reconnut de son costé, ne parut pas moins émuë. Le Cavalier, qui crut que son Frere n’estoit ainsi agité que par l’admiration que luy causoit la beauté de cette aimable personne, luy demanda en riant si elle estoit à son gré, & aprés avoir sçû de luy qu’il ne croyoit pas que l’on pust rien voir de plus parfait, il luy apprit ce qu’il avoit resolu de faire pour luy. Sa surprise fut fort grande, & d’autant plus agreable qu’ayant esté mandé de Marseille pour le mariage de son Frere, il estoit bien éloigné de s’attendre à une fortune si avantageuse de toutes manieres. Le lendemain qu’il vit la Belle en particulier, il luy expliqua combien il s’estoit tenu malheureux de ce que le manque de bien l’avoit empêché de profiter des favorables dispositions où il l’avoit vuë, & l’assura qu’il ne s’estoit point passé de jour, qu’en songeant à ses bontez il ne se fust plaint de son malheur. La Belle sensible toûjours également à ses belles qualitez, luy laissa voir toute la joye qu’elle avoit de ce que son Frere qui la devoit épouser avoit bien voulu la mettre en estat de répondre à son amour, & l’on peut dire qu’aucun mariage ne fut jamais celebré avec une plus entiere satisfaction des deux parties, que celuy-là le fut peu de jours aprés.

Menuet §

Mercure galant, avril 1700 [tome 4], p. 215-216.

J'ay à vous parler d'une merveille de vostre Sexe. C'est de Mademoiselle de S Olon, Fille de Mr de S Olon, qui a esté Ambassadeur vers le Roy de Maroc. Cette jeune Demoiselle, qui n'a que douze ans, joüe tres bien du Clavessin, & sçait la Musique en perfection. Vous en jugerez par le Menuet que je vous envoye, & qui est de sa composition. Un Ami de Mr son Pere, l'ayant entendu, fit ces paroles pour estre chantées sur ce même Air.

MENUET.

[Le] Menuet, Auprés de vous, page 216.
Auprés de vous qui se pourroit défendre
De soupirer & de former des vœux ?
Belle Philis, il faut se rendre,
On est charmé quand on voit vos beaux yeux.
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[Naissance du prince de Dombes]* §

Mercure galant, avril 1700 [tome 4], p. 217-228.

J’ay attendu à vous parler en détail de la naissance de Monsieur le Prince de Dombes, que je fusse plus particulierement informé des réjoüissances ausquelles elle a donné lieu. Voicy ce que j’en ay appris. Le Lundy 4. du mois passé, sur les huit heures du matin, Madame la Duchesse du Maine accoucha de ce Prince, aprés un travail de trois heures, qui fut tres-vif, mais sans aucun accident. La Cour estoit à Marly. Il ne se trouva à l’accouchement que Madame la Princesse, Monsieur le Duc, Mesdemoiselles de Condé & d’Anguyen, & Monsieur le Duc du Maine, qui fut averti à Marly dés les premieres douleurs, suivant les ordres qu’il en avoit laissez en partant. Pour Madame la Princesse, il y avoit deux mois qu’elle estoit établie à Versailles, & qu’elle consoloit par sa presence & par ses soins Madame la Duchesse du Maine, de la necessité où elle estoit de garder le lit. Aussi-tost que Monsieur le Prince de Dombes fut né, Mr Hebert, Curé de Versailles, l’ondoya ; & à l’instant Madame de Malezieu, Gouvernante de ce Prince, le porta à l’Hostel de Dombes, qui est dans la petite Place de Versailles. Quoy qu’il fust encore assez matin, à peine put-elle fendre la presse qui se trouva sur son chemin. Tout le peuple de Versailles estoit accouru aux environs de cet Hostel, & les Pauvres sur tout, que Monsieur le Duc du Maine n’oublie jamais, faisoient un cortege fort nombreux. Pendant tout le jour, la petite Place fut pleine de Violons, de Tambours & de Trompettes. Les Suisses qui estoient de garde au Chasteau, firent des décharges continuelles, qu’ils redoublerent encore sur le soir. Mr de Malezieu retournant à l’Hostel de Dombes sur les dix heures, les trouva qui bordoient la petite Place, & se vit investi par trente Tambours, & quinze ou seize Violons, dont les Officiers de la Maison avoient jugé à propos de renforcer le concert des Tambours Suisses. L’argent & le vin furent largement distribuez ; toutes les fenestres de la place estoient illuminées, & l’on y tira grand nombre de fusées volantes, que Mademoiselle d’Anguien honora de sa presence. Il y avoit des tables servies dans tous les Quartiers de Versailles, & jusques à quatre heures du matin ce fut une décharge continuelle, comme à un Siege. Enfin jamais le peuple n’a donné une plus grande démonstration de joye. Aussi les Habitans de Versailles, qui se regardent comme appartenant, s’il est possible, encore plus particulierement au Roy que le reste de ses Sujets, croyent-ils ne pouvoir jamais assez témoigner combien ils sont sensibles à la naissance d’un Prince qui a l’honneur de toucher de si prés un grand Roy, leur Fondateur. Le lendemain 5. du mois, Monsieur le Duc du Maine, dont la pieté solide rapporte tout à Dieu, écrivit quatre Lettres de cachet en Dombes, pour faire chanter le Te Deum en action de graces d’un si heureux évenement. L’une estoit pour son Parlement ; la seconde pour Mr de Montezan, premier President ; la troisiéme pour Mr d’Antigny, Gouverneur de la Souveraineté, & la quatriéme pour Mr de Polemo, Procureur General. Comme elles sont à peu prés du même stile, je ne vous rapporteray icy que la premiere, pour le Parlement.

De par Monseigneur.

Nos Amis & feaux. Ayant plû à Dieu de nous donner un Fils, dont la naissance heureuse a suivi de prés les grandes épreuves qu’il a faites de nostre soumission, nous croyons ne pouvoir mieux reconnoistre l’attachement fidelle que vous avez pour nous, qu’en vous faisant part de nostre joye, qui est celle de tous nos Sujets. Nous la devons à Dieu seul. C’est aussi par luy qu’elle doit commencer & finir ; & afin de vous conformer sur cela à nos sentimens, Nous vous mandons de vous assembler suivant la forme ordinaire, pour assister en Corps au Te Deum qui sera chanté à cet effet dans l’Eglise Collegiale de nostre Ville de Trevoux, la Presente n’estant à autre fin ; & sur ce priant Dieu, nos amez & feaux, qu’il vous ait en sa sainte garde. Donné à Versailles le 5. Mars 1700.

Aussi-tost que ces Lettres furent arrivées, Messieurs du Parlement de Dombes s’assemblérent pour satisfaire aux intentions de leur Souverain, & choisirent le jour du Dimanche de la Passion pour chanter le Te Deum dans la Collegiale de Trevoux. Ils y assistérent en robes rouges au nombre de trente, & Mr Dantigny, qui de son costé n’avoit rien oublié pour marquer son zele & son exactitude, avoit assemblé les principaux de la Noblesse, qui se trouvérent encore en grand nombre à cette Ceremonie. Tout s’y passa avec beaucoup de dignité. Messieurs du Parlement donnérent ensuite un soupé magnifique aux Dames. Il y eut quatre tables de dix huit couverts servies superbement chez Mr le Premier President. Mr le Gouverneur regala les Gentilshommes avec la même magnificence, & alla aprés soupé avec toute la Noblesse rejoindre les Dames chez Mr le Premier President. Cette nombreuse Assemblée forma un Bal des plus superbes & des plus complets, qui dura jusqu’à quatre heures du matin. Pendant le soupé & le bal, la Bourgeoisie de Trevoulx, à laquelle s’estoient joints les principaux Bourgeois des autres Villes de la Souveraineté, firent une decharge continuelle de mousqueterie, qui fut terminée par un Feu d’artifice. Le Parlement députa quelques jours aprés Mr le Comte de Messimi, President à Mortier, Mr Aubret, Conseiller, Mr du Tour, Conseiller honoraire, & Mr Garnier, Avocat General. Ces Messieurs arrivérent à Versailles les premiers jours de la Semaine Sainte, & aprés avoir rendu leurs devoirs à Mr de Malezieu, Chancelier de la Souveraineté, ils reçurent ordre de se trouver le Mardy d’aprés Pasques à l’audience de leur Souverain.

A S. A. S. Monseigneur le prince de Dombes. Madrigal §

Mercure galant, avril 1700 [tome 4], p. 249-251.

Je ne veux point finir cet Article sans vous faire part d’un Madrigal, que Mr l’Abbé Bosquillon a fait sur la naissance de Monsieur le Prince de Dombes.

A.S.A.S. MONSEIGNEUR
le Prince de Dombes.
MADRIGAL.

Vivez, croissez, Prince charmant,
De vos heureux destins les brillantes merveilles
Du Parnasse bien-tost occuperont les veilles ;
L’enfance des Heros passe rapidement.
Grandeur, Religion, bon goust, valeur, sagesse,
Modestie, agrément, esprit, beauté, jeunesse,
Voilà les traits de ceux dont vous tenez le jour.
Digne d’eux, admiré dans la Paix, dans la Guerre,
 Vous ferez sentir à la terre,
Et les foudres de Mars & les feux de l’Amour.

[Lettre de Mademoiselle de Scudery, à Mr l’Abbé Genest]* §

Mercure galant, avril 1700 [tome 4], p. 251-253.

Voicy encore une Lettre qui merite bien de tenir sa place dans cette Relation. Elle est de Mademoiselle de Scuderi, à Mr l’Abbé Genest.

De ce petit Heros la naissance est heureuse,
 La fortune en est amoureuse,
Et si Bosquillon n’eust écrit,
 J’eusse pû rimer quelque chose,
 Mais dans ses Vers il a mis tant d’esprit.
 Que je n’ose parler qu’en Prose.

En effet, Monsieur, il a renfermé en un seul Madrigal tout ce qu’on pouvoit dire de mieux choisi, de plus galant, & de plus glorieux sur un si beau sujet, & je suis ravie qu’il ait, comme on dit communement, tiré l’échelle aprés luy. Je ne suis jamais jalouse de la gloire de mes Amis ; & comme j’ay une amitié tres sincere pour celuy-là, dont le cœur est aussi bon que l’esprit, je luy cede avec plaisir, & je vous assure en même temps que personne, sans exception, n’a eu plus de joye que moy de cet heureux acouchement. Je suis, Monsieur, vostre, &c.