1700

Mercure galant, mai 1700 [tome 5].

2017
Source : Mercure galant, mai 1700 [tome 5].
Ont participé à cette édition électronique : Nathalie Berton-Blivet (Responsable éditorial), Anne Piéjus (Responsable éditorial), Frédéric Glorieux (Informatique éditoriale) et Vincent Jolivet (Informatique éditoriale).

Mercure galant, mai 1700 [tome 5]. §

[Inscription pour la Statue Equestre du Roy] §

Mercure galant, mai 1700 [tome 5], p. 9-10.

J’ay encore une Inscription pour la Statuë Equestre du Roy à vous envoyer. Elle est de Madame Pepin de Chance.

A cet air martial, à ce visage auguste,
L’on reconnoist un Roy, toujours grand, toujours juste.
 J’entens dire de toutes parts,
 Tel est Alcide, tel est Mars.
Pourquoy mettre par tout Louis en parallele ?
Pere de ses Sujets, plus vaillant que ces Dieux.
Défenseur de la Foy, Heros sage, Pieux.
Il s’est acquis une gloire immortelle,
Qui rejallit jusques aux Cieux.

[Sonnet] §

Mercure galant, mai 1700 [tome 5], p. 10-12.

Cette même Dame a fait le Sonnet que vous allez lire. Il est sur une matiére qui sera toûjours inépuisable.

Par tout du grand Louis on vante les Exploits,
Ils furent la terreur & du Tibre & du Tage.
Pourrois-je les chanter ? La Déesse à cent voix
Souvent ne peut suffire à ce pénible ouvrage.
***
Digne à tout l’Univers de prescrire des loix,
Du grand Art de regner il sçait le noble usage,
Seul contre tous, plus fort, plus craint que tous les Rois,
Maistre de la Fortune, elle luy rend hommage.
***
Ce Monarque vainqueur des plus braves Guerriers,
L’olive dans la main, le front ceint de lauriers.
En sage Conquerant signale sa clémence.
***
Rien n’eust pû sans la Paix desarmer sa valeur.
Ciel, conservez un Roy qui fait nostre bonheur,
Mon souhait pour ses jours est celuy de la France.

[Ode d’Anacreon] §

Mercure galant, mai 1700 [tome 5], p. 12-14.

J’ajoute à ces deux petits Ouvrages une Ode d’Anacreon, mise aussi en Vers par Madame Pepin de Chance, sur la Traduction de Madame Dacier.

L’Amour ayant voltigé sur des fleurs,
Vint trouver Cypris tout en pleurs,
Et s’écria fort en colére,
Helas ! je suis perdu, ma Mere,
Certain petit animal m’a piqué,
Je ne puis endurer cette douleur amere ;
Regardez sur mon doigt son aiguillon marqué
 La belle Reine de Cithere,
 Luy répondit d’un air charmant.
Mon Fils, juge du mal que ta fléche peut faire,
Puisqu’une mouche fait souffrir tant de tourment.

ENVOY.

Aprés que ce traistre d’Amour,
A tant de gens fait souffrir le martire,
Quand on voit qu’il souffre à son tour,
Loin de le plaindre, on en doit rire.

[Devises] §

Mercure galant, mai 1700 [tome 5], p. 56-58.

Mr Moreau de Mautour a fait à la gloire de l’Illustre Mademoiselle du Scudery, trois Devises, qui ont toutes un Chesne pour Corps. La premiere a ces mots pour ame, Gallis nota et chara Jovi

 Son esprit plus qu’humain
Est cheri de la France & de son Souverain.

La seconde a ces paroles, Petit Astra

Son merite par tout si connu, si vanté,
 L’éleve à l’Immortalité.

Et la troisiéme celles-cy, Annis et virtute clarior

La vigueur de l’esprit, le nombre des années
 Font admirer ses destinées.

Le Chesne si répandu dans la France, estoit autrefois l’arbre de Jupiter. L’on sçait dans quelle veneration cet arbre fut parmy les Druydes, anciens Philosophes ou Prestres Gaulois. Sa hauteur ainsi que sa durée & sa force, a esté chantée par les Poëtes qui ont élevé son sommet & ses branches jusqu’aux Astres & même au-delà, & luy ont donné l’épithete de annosa & le terme sinonime de Robur.

[Idille] §

Mercure galant, mai 1700 [tome 5], p. 58-63.

Le même Mr Moreau de Mautour a adressé à Mr l’Abbé Bosquillon, de l’Academie Royale de Soissons, l’Idille que vous allez lire.

LES CHESNES.

Arbres qui resistez à la fureur des vents,
Vous qui semblez braver les injures des ans,
Dont la feüille aux Heros, aux Dieux fut consacrée,
Et les fruits aux Humains servirent d’alimens,
Chesnes si hauts, si fiers, qui dans vostre durée,
Confondez à nos yeux les âges & les temps,
Faut-il que Scudery, cette illustre Mortelle,
Sujette au trait fatal de la Parque cruelle,
Ne puisse subsister du moins autant que vous ?
Elle n’ignore pas la loy commune à tous,
Mais je vois à regret fleurir vostre jeunesse,
Lorsqu’elle est déja loin de cet âge où tout rit.
Accablé sous le poids d’une lente vieillesse,
Son corps n’est soûtenu que de son seul esprit.
De vos feüillages verds dont nos bois s’embellissent
La Nature avec soin conserve les attraits,
Tandis que de Sapho les forces s’affoiblissent,
Elle dont brille encor l’esprit par mille traits,
Et plein de ce beau feu qu’Apollon seul inspire
Anime par ses vers les doux chants de sa lire.
Son grand âge m’allarme, & ses rapides jours,
Sur les aîles du temps précipitent leur cours.
Chesnes, qui joüissez d’une si longue vie,
Si vostre heureux destin ne luy fait point envie,
Qui d’elle ou bien de vous devroit plutost finir ?
Il faudra que le temps un jour aneantisse
De vos troncs orgueilleux jusques au souvenir,
Mais en dépit du sort, & malgré son caprice
Le grand nom de Sapho vivra dans l’avenir.
 En parlant de Sapho, si je tiens un langage
Qui de toute autre qu’elle allarmeroit l’esprit,
Dis-moy, cher Bosquillon, Amy discret & sage,
Que son merite touche, & son âge attendrit,
Aurois-je dans mes Vers manqué de politesse,
Lorsque j’ay relevé ses jours & sa vieillesse ?
Non, non, tu sçais trop bien quels éloges sont dûs
Aux nobles sentimens de grandeur & de gloire
 Que l’on voit par tout répandus
Dans ses écrits gravez au Temple de Memoire.
Pour elle n’ayons point ces trompeuses douceurs
Qui flattent l’Amour propre & séduisent les cœurs.
 Par de fausses délicatesses,
N’imposons point à ses sens abatus ;
 De son Sexe elle a les vertus,
 Et n’en eut jamais les foiblesses.

RÉPONSE.

Quel changement de goust ! l’auroit-on cru possible ?
Ton pinceau gracieux est devenu terrible.
Ah ! cache par pitié de trop sombres couleurs,
 Qui m’ont déja cousté des pleurs.
Pour l’illustre Sapho connoissant ma tendresse,
Evite de toucher & vieillesse & trépas.
Il est vray, son esprit est exempt de foiblesse ;
 Mais, Moreau, mon cœur ne l’est pas.

[Lettre de Mademoiselle de Scudéry] §

Mercure galant, mai 1700 [tome 5], p. 63-65.

Les premiers Vers estant tombez entre les mains de Mademoiselle de Scudery, elle écrivit la Lettre qui suit à Mr Moreau de Mautour. Cette Lettre fait bien voir la force & le bon caractere d’esprit de cette rare Personne.

Vos Vers en me loüant ont de charmans appas,
Mais à mon grand regret je ne m’y connois pas,
Et si je meritois une telle loüange,
Pour n’avoir point d’orgueil, il faudroit estre un Ange.

En effet, genereux Moreau, vous portez mes loüanges si loin qu’elles deviennent incroyables.

Cet Arbre si fameux dont vous parlez si bien,
Malgré son Jupiter, aujourd’huy n’est plus rien.

Soyez donc persuadé que je n’attends pas d’estre plus heureuse que luy, & que je seray assez contente si je puis esperer de vivre dans vostre souvenir, lors même que je ne seray plus, car je suis veritablement avec toute l’estime que vous meritez, Vostre, &c.

[Couronnement du roi du Danemark]* §

Mercure galant, mai 1700 [tome 5], p. 66-73.

Le Couronnement du Roy & de la Reine de Dannemark se fit le mois passé à Friderixbourg, avec beaucoup de magnificence. On avoit dressé deux somptueux Trônes sous de magnifiques Dais, dans le milieu de l’Eglise, qui estoit tenduë de riches Tapisseries, & son pavé tout couvert d’écarlate. Les allées, les degrez, & le chemin par où L.M. devoient passer pour se rendre du Château à cette Eglise, estoient aussi garnis d’écarlate. Sur les onze heures du matin la marche commença par un grand nombre de Chevaliers des Ordres de l’Elephant & de Danebroech, suivis du Grand Maréchal de la Cour, tous superbemens vestus. Ensuite on voyoit venir le Roy portant la Couronne sur sa teste, le Sceptre à la main droite, & à la gauche la Pomme d’Or. Sa Majesté marchoit sous un dais de velours cramoisy, garny d’une frange d’or, & soutenu par quatre Conseillers du Conseil Privé, tous Chevaliers de Danebroech. Le Comte de Guldenlew, Grand Amiral, & le Comte de Reventlau, Grand Chancelier, portoient le pan de son manteau qui estoit de velours cramoisy, avec diverses Couronnes en broderie d’or, & doublé de zibeline. Deux Gentilshommes de la Chambre marchoient à chaque costé de Sa Majesté. Le Dais estoit aussi environné d’une partie des Gardes du Corps ; & l’on voyoit ensuite venir plusieurs Chevaliers des deux Ordres. L’Evêque à la teste de son Clergé, reçut & harangua le Roy à la porte de l’Eglise ; & Sa Majesté n’y fut pas plutost entrée, qu’on vit paroistre la Reine. Elle estoit pareillement précedée de beaucoup de Seigneurs & du Grand Maréchal de la Cour, & marchoit sous un magnifique Dais, soûtenu par quatre Chevaliers de Danebroech. Le Prince Charles la menoit par la main. Sa Mante estoit portée par Madame la Chanceliere de Reventlau, & par Madame de Bulan, Grande Maistresse, & les Dames de la Cour fermoient la marche, toutes somptueusement vêtuës. Sa Majesté fut aussi reçuë & complimentée par l’Evesque à la porte de l’Eglise, & aprés que ce Prelat l’eut conduite sur le Trône auprés du Roy, on entendit un beau concert de Musique. Ensuite l’Evesque fit un Discours fort pathetique, puis il y eut encore une belle simphonie ; & l’Evesque ayant entonné diverses fois le Veni sancte Spiritus, le Roy descendit du Trône & se rendit au pied du grand Autel, où s’estant mis à genoux sur un banc, Sa Majesté posa la Couronne, le Sceptre, & la Pomme d’or, sur un carreau qu’on avoit placé à sa droite, & fut sacré par l’Evêque, qui luy oignit la teste, la poitrine, & la main droite, estant assisté de deux autres Evesques, l’un de Nortwegue, & l’autre de Jutlande. Aprés cette ceremonie, l’Evesque fit encore une Oraison suivie d’un concert de Musique. La Reine fut ensuite sacrée en la même maniere par l’Evesque, à l’exception qu’elle n’osta point la Couronne, & ne fut ointe qu’à la teste & à la poitrine. Le tout estant fait à trois heures, leurs Majestez retournérent au Chasteau & se mirent à table avec le Prince Charles & les autres Personnes de la famille Royale. Il y avoit une autre Table pour les Seigneurs de la Cour à l’autre bout de la Salle, & l’on voyoit entre deux une belle Orangerie, avec du fruit & des fleurs. Dans la derniere cour du Chasteau il y avoit un Bœuf & trois Veaux rostis tous entiers, ainsi qu’une Pyramide faite avec des branches de Genevrier & toute entrelassée de rubans rouges & jaunes. Aux quatre coins de cette Piramide estoient deux Fontaines de vin blanc, & autant de rouge ; de sorte que les Gardes & le Peuple, qui s’y estoient rendus en foule, eurent suffisamment de quoy manger & boire, sans qu’il arrivast aucun desordre. Ensuite on leur donna au pillage toute l’écarlate sur laquelle avoient marché Leurs Majestez, comme aussi tout ce qui estoit resté de viande sur les tables. On a remarqué que cette Feste avoit sur passé en solemnité & en magnificence toutes celles qui ont esté faites en pareille occasion.

[Audience publique donnée à Monsieur de Chamilly]* §

Mercure galant, mai 1700 [tome 5], p. 74-102.

Voicy ce qui a esté écrit de Copenhague le premier de Mars dernier.

Mr le Comte de Chamilly, Ambassadeur Extraordinaire du Roy à la Cour de Dannemark, aprés vingt mois de sejour depuis son arrivée en cette Cour-là, & un an jour pour jour depuis son Entrée publique, eut hier son Audience publique du Roy de Dannemark. Cette Ceremonie, qui devoit se faire immediatement aprés l’Entrée, avoit d’abord esté differée par la mauvaise santé de défunt Christian V. dernier Roy, decedé le 4. Sept. 1699. que ses incommoditez empêchoient de se tenir debout, comme il convient. Depuis sa mort, Frederic IV. son Fils estant monté sur le Trône, de nouvelles difficultez avoient continué d’apporter du retardement à cette Ceremonie, & principalement celle qu’on avoit toûjours faite en cette Cour de recevoir les Lettres du Roy, sans que le Titre de Majesté y soit donné au Roy de Danemark, mais enfin, les difficultez estant levées & Mr l’Ambassadeur ayant reglé tous les points du Ceremonial avec Mr Lerk, Maistre des Ceremonies, on choisit pour l’Audience le 28. & dernier jour de Février, jour auquel en retranchant en ce Pays dix jours du Calendrier, & abolissant l’usage du vieux stile, qui s’y estoit toûjours observé jusques à present malgré les inconveniens qui en resultoient, on a reglé enfin de se conformer au stile Gregorien, qui avec le secours du jour Bissextil, a depuis 118. ans compassé à peu prés le cours de l’année sur celuy du Soleil.

Ce même jour donc 28. Février, le Maistre des Ceremonies se rendit sur les quatre heures aprés midy, en l’Hôtel de Mr l’Ambassadeur. Son Excellence le reçut à la porte de son Antichambre, & le conduisit dans sa Chambre, où le Maistre des Ceremonies donna avis à Son Excellence que les Personnes destinées par le Roy de Danemark pour l’accompagner à son Audience, alloient arriver.

Peu aprés Mr Plessen, Chevalier de l’Ordre de l’Elephant, Conseiller Privé, Ministre d’Etat, & naguéres Grand Trésorier de la Couronne, arriva seul avec le cortége des Carosses de la Maison Royale, Mr Lenth, Grand Maistre des Ceremonies, qui devoit venir avec luy, s’estant trouvé malade. On a expliqué dans la Relation de l’Entrée que la qualité de Conseiller Privé est comme celle de Senateur du Royaume, & des premieres Dignitez, mais cependant bien moins considerable qu’elle ne l’estoit avant que la Couronne fust hereditaire. Mr l’Ambassadeur en long manteau de deüil reçut Mr Plessen au Carosse du Corps du Roy, le conduisit dans son Appartement, luy donnant le pas & la main. Ils s’y assirent quelque temps dans des fauteüils, se traitant réciproquement d’Excellence. Pendant les complimens, les Carrosses se rangérent en ordre, & tout estant prest, Mr l’Ambassadeur conduisit Mr Plessen de la même maniére jusques au Carosse du Corps du Roy, dans lequel Mr l’Ambassadeur entra le premier. Mr Plessen se plaça à sa gauche, luy cédant toûjours depuis ce moment le pas & la main, & le Maistre des Ceremonies se mit sur le devant à la place du Grand Maistre des Ceremonies malade, & ensuite on alla vers le Chasteau, dans l’ordre suivant.

Un Suisse de Mr l’Ambassadeur marchoit à la teste de douze Valets de pied de sa maison, tous en deüil, chacun un long crespe pendant au Chapeau & un nœud d’épaule de la couleur de la livrée de Son Excellence. Immediatement aprés venoit le Carosse de deüil de Son Excellence, tiré par six chevaux noirs, enharnachez de même avec de grandes housses aussi noires. Quatre Pages de Son Excellence estoient montez devant & derriere. Leur livrée se remarquoit par de grands revers de velours noir sur les manches du justaucorps, couverts d’un large galon d’argent & d’un bordé de même, & par un nœud d’épaule du même galon d’argent mêlé de rubans de la couleur de la livrée. Le St Malorty, Secretaire de l’Ambassade, estoit seul dans ce Carosse. Ceux de la Princesse Sophie de Danemark & des Princes Charles & Guillaume venoient ensuite. Aprés eux suivoient, le Carosse du Prince Royal, dans lequel estoient les Sieurs d’Elvern & de Riviere, Gentilshommes de Mr l’Ambassadeur, le second Carosse du Roy dans lequel estoient les Sieurs Arnaud, Gentilhomme servant du Roy Tres Chrestien, & de la Terviniere, aussi Gentilshomme de Son Excellence ; le Carosse de la Reine qui estoit vuide, & le Carosse du Corps du Roy, dans lequel estoit Mr l’Ambassadeur, comme il a esté dit, accompagné des Pages & Valets de pied.

On avança en cet ordre vers le Chasteau. En traversant la Place qui est au devant, on trouva le Regiment du Prince Royal en deux Bataillons, au lieu du Regiment des Gardes, qui est en Holstein. Les Tambours battirent aux champs. Les Soldats presentérent les armes & les Officiers saluérent Mr l’Ambassadeur du chapeau. Les Drapeaux estoient envelopez de crespe. Tout le cortege entra en cet estat dans la Cour du Chasteau. Mr l’Ambassadeur fut reçu au bas de l’escalier par Mr Hann, Chevalier de Dannebroech & Maréchal de la Cour, qui l’y attendoit avec Mrs Fink, Olst, Cailletoff, & Osten, Gentilshommes de la Cour, & tous quatre Capitaines. On a dit dans la Relation de l’Entrée que la Charge de Maréchal de la Cour est à peu prés pareille pour les fonctions à celle de Grand Maistre de la Maison du Roy en France. Les Valets de pied de Mr l’Ambassadeur se rangérent en haye le long de l’Escalier, jusqu’à la Salle des Gardes où Son Excellence arriva, précedée de ses Gentilshommes & du Secretaire de l’Ambassade, & accompagnée de Mr Plessen, du Maréchal de la Cour, du Maistre des Ceremonies, & des quatre Gentilshommes susnommez, qui tous accompagnérent aussi Mr l’Ambassadeur aux autres Audiences. Le premier Page de Son Excellence portoit la queuë de son long manteau, qu’il quitta dans la Salle des Gardes, où il resta avec ses Camarades. Au haut de l’Escalier Mr Olst, Chevalier de Danebroech & Ober Kammerjuncker, ou Premier Gentilhomme de la Chambre du Roy, reçut Mr l’Ambassadeur & le conduisit dans une Chambre où Son Excellence se reposa pendant que le Maistre des Ceremonies alla annoncer son arrivée au Roy, il revint peu aprés avertir Mr l’Ambassadeur que ce Prince l’attendoit.

Mr l’Ambassadeur traversa l’Antichambre & fut reçu à la porte de la Salle d’Audience par Mr le Baron Joül, Chevalier de l’Ordre de l’Elephant, Ministre d’Etat, Grand Amiral, & cy-devant Ambassadeur de cette Couronne en plusieurs Cours. A cette Porte les Gentilshommes de Mr l’Ambassadeur & ceux de la Cour se rangérent en haye des deux costez, & suivirent ensuite Mr l’Ambassadeur dans la Salle qui estoit remplie de tous les Ministres Etrangers, des Ministres & Seigneurs Danois, qui formoient une grosse Cour. Mr l’Ambassadeur en entrant fit une reverence au Roy. Il la repeta au milieu de la Salle, & en fit une troisième plus profonde en entrant sous le Dais, où le Roy debout devant son fauteüil, salua pareillement Mr l’Ambassadeur ; & s’estant couverts tous deux en même temps, S.E. fit sa harangue, en presentant l’une aprés l’autre ses Lettres de créance, de condoleance sur la mort du défunt Roy, & de compliment sur l’avénement du Roy regnant à la Couronne, & de congratulation sur la naissance du Prince Royal. Ces trois Lettres furent reçuës sans protestation contre le Titulaire, au contraire de ce qu’on avoit coutume de pratiquer en cette Cour. Le Roy répondit en Danois à Mr l’Ambassadeur, & ils se découvroient tous deux chaque fois qu’ils prononçoient quelque nom qui le requeroit. Mr l’Ambassadeur se retira ensuite aprés avoir fait une profonde revérence au Roy, qui la luy rendit. Son Excellence fit une autre reverence au milieu de la Salle, & une troisiéme avant que d’en sortir. Mr le Baron Joül quitta S.E. à la porte de cette Salle, & le Premier Gentilhomme à la porte de l’Antichambre. Mr l’Ambassadeur fut conduit ensuite à l’Audience de la Reine, & reçu par Mr Berslintin, Maréchal, & Ober Maistre, ou Grand Maistre de la Maison de cette Princesse. Les reverences se firent de part & d’autre comme à l’audience du Roy, & Mr l’Ambassadeur ayant fait semblant de se couvrir, pour marquer la dignité de son caractere, fit sa harangue découvert par politesse. La Reine l’écouta debout, & Mr Tott, Chevalier de Danebroech ; Conseiller Privé & Grand Tresorier de la Cour par Commission, en la place de Mr Plessen, répondit en Danois pour cette Princesse, qui ne sçait point cette Langue. Mr l’Ambassadeur sortit avec les mêmes ceremonies qu’il estoit entré, alla à l’audience du Prince Royal, & fut receu à la porte de l’antichambre par Mr Manslo, Gentilhomme de la Cour, faisant les fonctions de Maréchal de ce Prince. Son Altesse Royale estoit porté par Madame Munk, Femme du General de l’Artillerie. Mr Cragen, Chevalier de l’Ordre de Danebroech & Conseiller Privé, répondit en Danois pour ce jeune Prince. Son Excellence sortit avec les mêmes ceremonies, & fut introduite de même aux Audiences des Princes Charles & Guillaume, & de la Princesse Sophie de Dannemark, & reçuë & reconduite, sçavoir, à la porte de l’antichambre du Prince Charles, par Mr Plessen le Cadet, Gentilhomme de sa Chambre, & à la porte de la Chambre par Mr Behr, Maréchal de ce Prince, qui répondit en Danois à Mr l’Ambassadeur ; à l’Antichambre du Prince Guillaume, par Mr Plessen l’aîné, Premier Gentilhomme de sa Chambre, & à la porte de la Chambre par Mr Spresburg, Gouverneur de ce Prince. Mr le Comte de Rantzau, Chevalier de Dannebroech, répondit en Danois pour Son A.R. A l’Appartement de la Princesse Sophie, Mr de Rosenkrans, Gentilhomme de sa Chambre, reçut Mr l’Ambassadeur à la porte de l’Antichambre. Son Excellence parla à cette Princesse découvert, aprés avoir observé la même feinte qu’à l’Audience de la Reine. Cette Princesse qui ne sçait pas le Danois, fit répondre pour elle en cette langue par M. le Comte de Vedel.

Aprés toutes ces Audiences M. l’Ambassadeur fut reconduit avec les mêmes ceremonies jusques au Carosse du Corps du Roy, où M. Plessen & M. Hann prirent congé de luy, & le virent monter dans ce Carosse, & partir. Le Maistre des Ceremonies se mit sur le devant, & chacun s’estant placé dans les Carosses comme en venant, le cortege retourna dans le même ordre, par la même route & avec les mêmes Ceremonies à l’Hostel de Mr l’Ambassadeur, qui fut salué de trois coups de Canon des Remparts en sortant du Chasteau. Son Excellence étant descenduë du Carosse, le Maistre des Ceremonies en descendit aussi, prit congé de S.E. au bas de l’Escalier & remonta dans le même Carosse du Corps du Roy, que M. l’Ambassadeur vit partir.

On n’a point particularisé davantage cette ceremonie, parce que le deüil du défunt Roy empêchoit qu’elle ne fust aussi brillante que celle de l’Entrée.

Ce deüil cependant n’a pas empêché les divertissemens particuliers que Mr l’Ambassadeur a donnez dans son Hostel aux Princes & Ministres Etrangers, & même à quelques-uns des premiers Ministres de cette Cour, & aux principaux Seigneurs & Dames qui s’y sont trouvez assiduement. Les Festins, le Jeu & la Musique ont esté les premiers amusemens de l’hiver. Madame l’Ambassadrice qui, sans sçavoir la Musique, chante tous les Opera d’une justesse extraordinaire, faisoit le premier charme du Concert. Mademoiselle de Malorty, l’une de ses Filles d’honneur, qui accompagne du Clavessin & chante en même temps à livre ouvert tout ce qui se presente, faisoit admirer la propreté de son jeu & la delicatesse de sa voix. Les Violons, Flutes, & Hautsbois, & les autres voix rendoient ce Concert complet, & d’autant plus surprenant, qu’aucun presque de ceux qui le composoient, n’étoit Musicien de Profession. On y chantoit les Opera de Lully, & quantité de beaux morceaux Italiens ; on y joüoit aussi des Simphonies & des Sonates des plus difficiles.

A ces plaisirs ont succedé ceux de la Tragedie, qui a diverti presque toute la Cour & la Ville pendant le Carnaval. Mr l’Ambassadeur avoit composé luy-même la Troupe. Madame l’Ambassadrice & Mademoiselle de Malorty faisoient les premiers Rolles de Femmes. Mademoiselle de Chamilly, âgée seulement de huit ans, representoit avec une grace merveilleuse. Mrs Arnaud de la Terviniere, de Rivierre, de la Tour, de Combiere, Gentilshommes de S. E. estoient les Acteurs. On avoit dressé un Theatre dans la grande Salle de l’Hostel ; les décorations en avoient esté inventées dans toutes les regles de la Perspective, par Mr de Rivierre, fort habile en cet Art, & aux Mathematiques. Le Theatre estoit éclairé de plusieurs Lustres dorez, & de quantité d’autres lumieres. Les habits estoient superbes, tres bien entendus, & de l’Ordonnance de Madame l’Ambassadrice. On avoit pris de l’illustre Mr Racine les principaux sujets qui ont remply la Scene, sur laquelle Mithridate, Britannicus & Andromaque ont esté representez avec un succés au delà de ce qu’on pouvoit attendre. Madame l’Ambassadrice a surpassé les meilleures Comediennes dans les Rolles d’Agrippine & d’Hermione. C’est beaucoup & cependant ce n’est pas trop dire. Mademoiselle de Malorty dans les Rolles de Junie & d’Andromaque a sçu toucher le cœur des Danois, & leur a arraché des larmes, chose presque incroyable. Les autres Acteurs ont remply leurs Rolles à proportion de ce qu’ils demandoient d’eux ; & quoy qu’on eust pris la précaution de ne laisser entrer que par billets, pour y procurer aux Auditeurs qui en auroient, la facilité de voir ce Spectacle un peu commodement on ne pouvoit cependant refuser la porte à une foule d’autres Personnes de qualité, qui survenoient toûjours au-delà du nombre limité par les billets. Ce plaisir a esté renouvellé environ quinze fois, & dans ces jours là Son Excellence faisoit servir à tout le monde toutes sortes de liqueurs & de rafraîchissemens.

[Lettre, Idylle et autres à l’occasion du mois de May]* §

Mercure galant, mai 1700 [tome 5], p. 102-116.

La Lettre qui suit ne sçauroit estre plus de saison, puis qu’elle a esté écrite à l’occasion du mois où nous sommes. Elle est d’une bonne Plume.

A MONSIEUR ***

Quoy que je ne fasse pas la cour à Apollon, il m’arrive quelquefois d’en estre inspiré. Le mois de May dans lequel nous sommes, a excité ma curiosité à relire ce qu’Ovide en dit dans ses Fastes. Je n’en ay pas esté content. Il assemble les Muses, & fait parler l’une aprés l’autre sur ce mois de May, Polymnie, Uranie & Calliope. Qui ne croiroit qu’elles vont mettre sur le Trône ce Prince des autres mois, pour employer ensuite leur voix & leur Lyre à celebrer ses charmes & sa gloire ? Rien de cela. Tout leur discours, comme si elles étoient, non des Muses, mais des Grammairiennes, ne tend qu’à découvrir l’origine du mot de Maius, s’il vient de Majestas, ou de Majores, ou de Maia ; & même sans en convenir, chacune conserve son sentiment. Le Poëte les fait aussi, pour ainsi dire, promener dans la region des Astres & dans l’Empire des Fables, dont les traits qu’il en emprunte, ne forment pas la ressemblance d’un mois charmant, qui fait les delices de la Nature. Dans la mauvaise humeur où j’ay esté, de ne pas trouver ce que je cherchois, j’ay composé un Idille Latin sur le mois de May, Facit indignatio versus ; où j’essaye d’étaler une partie de ses merveilles. Ceux qui ont pris quelque plaisir à lire ces Vers Latins, ont jugé qu’ils devoient estre traduits en Vers François, à la consideration de ceux qui n’entendent pas l’autre Langue. Voilà, Monsieur, l’occasion des deux petites Pieces dont vous avez oüy parler. C’est un original & une copie, deux Portraits qui sont dans leur jour au mois de May.

IDILLE.

Bergers de nos hameaux, quittez-là vos houlettes,
Prenez vos chalumeaux, prenez-tous vos musettes,
Aujourd’huy l’on commence à revoir ce beau Mois,
Qui fait rire nos champs, nos côteaux & nos bois.
Ce changement nouveau, cette riche parure,
Cet air riant qu’on voit dans toute la Nature,
Se doit au mois de May, qui fait durant son cours,
Eclorre le beau temps & regner les beaux jours.
S’il paroist se former quelquefois un nuage,
Il ne sert dans ce mois qu’à faire de l’ombrage.
On y sent le parfum de son myrthe galant,
Et sa riche rosée en fait un mois brillant.
On y voit le rubi, l’émeraude, & l’opale,
Dés que l’on apperçoit l’Amante de Cephale.
Beau mois aussi puissant dans l’Empire amoureux,
Qu’il est chargé de fleurs pour les Amans heureux.
Cupidon sous ces fleurs caché tire des fléches ;
Fléches mettant le feu pour accroistre les bréches,
Doux feu pour estre ardent, & qui ne prend qu’aux cœurs
Destinez à s’unir avec des yeux vainqueurs.
Ce mois donne à la Terre une grande tenture,
Riche Tapisserie, agréable Verdure,
L’Amant alors épris, plus que n’est un galant,
Sent augmenter son feu qui devient violent.
Les Moutons arrivez où le Berger les méne,
Font l’amour en paissant dans une belle Plaine.
Et les oiseaux charmez du feüillage des bois,
Attendrissent leur cœur encor plus que leur voix.
Les Moutons s’égayant bondissent comme on danse,
Les Oiseaux en chantant ont aussi leur cadence,
Ce spectacle meslé de la danse & du chant,
Pour estre naturel n’en est pas moins touchant.
Les rayons du Soleil en éclairent la Scene,
Et la beauté des lieux épargne à l’Art la peine.
La jeune Nymphe alors sur un lit de gazon
Se soumet à l’Amour sans craindre son poison.
Du Sexe la pudeur y seroit opposée.
Si la flame de May n’estoit favorisée
Et la Prude elle-même a peine à se garder,
Dans un mois où l’Amour ose tout demander.
La foiblesse, dit-on, de la Vierge Vestale,
En est moins criminelle, & moins alors fatale :
Diane aussi n’est pas exempte du danger,
Un objet imprévu peut son cœur déranger.
Adonis arrivant, la Nymphe chasseresse,
Pour luy, comme Venus, aura de la tendresse.
Hymen au mois de May pour estre encor mineur,
N’en a que plus d’attraits, qui luy font de l’honneur.
Ce Mois estant de l’an la fleur & le bel âge,
Il en serre plus fort le nœud du mariage.
Quel des Mois comme luy peut l’amour enseigner ?
Mois, où Flore & Venus se joignent pour regner,
Où quand la Rose s’ouvre, & commence à paroistre,
Mille petits Amours ensemble l’on voit naistre.
On voit sur un beau sein paroistre de beaux lys,
Qui par le seul Hymen doivent estre cueillis ;
Où les Gemeaux marquant une heureuse abondance
Nous en font esperer l’entiére joüissance ;
Où tout rit, tout enchante : on aime même à voir,
Le temps un peu chargé menaçant de pleuvoir.
Ce qui m’en plaist le plus, le feu qui me devore
Vient enfin d’enflamer un Objet que j’adore.
La Bergere Philis oubliant sa rigueur,
M’aime autant que je l’aime, & m’a donné son cœur.
Mois favory pour elle, où les lys & les roses,
Paroissent sur son teint nouvellement écloses :
Mois favori pour moy, dans lequel il n’est point
De jour qui ne me donne un nouvel embonpoint.
Si Philis des zephirs aime la tendre haleine,
Lorsqu’avec ses Moutons elle entre dans la Plaine,
Si le Printemps luy doit des fleurs & de l’encens,
C’est le mois des Zephirs, le mois de ses presens.
Se plaist-elle aux accords d’une charmante Lyre,
Accompagnant la voix qui tendrement soupire ;
Lorsque le Rossignol chante amoureusement,
Le Ruisseau s’y conforme, & coule doucement.
On compte dans ce Mois un jour outre les trente,
Pour le rendre aussi long que les mois qu’on augmente ;
Cependant il est court pour un mois gracieux,
Mois des Ris, des Amours, des Festes, & des Jeux.
Cher à l’Astre du jour, charme de la Nature
Ne durer qu’une Lune est une loy trop dure.
L’arbre du mois de May dans son sort fortuné,
De guirlandes de fleurs que l’on voit couronné.
Qu’on plante avec le son des Flutes, des Musettes,
Et le bruit des Tambours & l’éclat des Trompettes :
Arbre attirant les yeux, haut Arbre sans pareil,
Ne demeure-t-il pas tout le cours d’un Soleil ?
Apollon sur ton Char qui vas reglant l’année,
Par qui chaque Saison dans un temps est bornée,
Laisse les autres Mois passer rapidement,
Mais le beau mois de May doit couler lentement,
Puisqu’à charmer nos sens tous ses objets conspirent,
Qu’il leur donne un éclat, qu’à l’envi tous admirent :
La Peinture n’a pas de si vives couleurs ;
Enfin jusqu’aux Buissons tout est couvert de fleurs.

Le mois de May a donné lieu aux deux Vers Latins que je vous envoye sur le Regne du Roy, qui a commencé dans cette belle Saison.

Gallorum Imperio Lodoix florere daturus,
Florente in Maio solium conscendere cœpit.

Ces deux Vers ont esté traduits en nostre Langue par ces quatre autres.

 Louis que l’Univers admire,
Commença de regner dans le plus beau des mois,
Où tout devient riant, dans les champs, dans les bois,
 Tel on voit fleurir son Empire.

Air nouveau §

Mercure galant, mai 1700 [tome 5], p. 116-117.

Les beaux jours sont revenus, & l'Air nouveau que je vous envoye sera de saison. Ne soyez point surprise qu'il soit sur un ton de plainte, les Amans se plaignent presque toujours.

AIR NOUVEAU.

L’Air qui commence par Printemps qui chassez, page 117.
Printemps, qui chassez la froidure,
N'échaufferez-vous point l'objet de mes desirs ?
Et vous, petits Oiseaux, qui chantez vos plaisirs,
Ne luy direz-vous point tous les maux que j'endure ?
Que dis-je, helas ? Ce n'est point vous, Printemps,
Qui finirez ma peine ;
C'est le cruel Amour qui peut seul en tout temps
Fléchir mon inhumaine.
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[Sonnet] §

Mercure galant, mai 1700 [tome 5], p. 117-119.

Voicy un Sonnet dont l’Auteur ne paroist pas plus satisfait de l’Amour que celuy de la Chanson.

Transports doux & flateurs, dans une ardeur naissante,
Quel plaisir pour les cœurs de se livrer à vous ?
Vous n’avez rien encor que de tendre & de doux,
Et la moindre faveur les charme & les contente.
***
Mais quand d’un bel objet l’humeur trop complaisante
Fait naître dans un cœur des sentimens jaloux,
Il se sent tous les jours percé de nouveaux coups ;
Et le moindre soupçon l’allarme & l’épouvante.
***
Non, je ne sçaurois vivre en ce desordre affreux ;
C’est gémir trop longtemps sous le poids de mes feux,
Je t’en conjure, Amour, fais cesser mon martire :
***
Etouffe, il en est temps, ma jalouse fureur ;
Ou, si je ne puis vivre heureux sous ton Empire
Souffre que pour jamais je dégage mon cœur.

[Sur une Dame qui commence à vieillir] §

Mercure galant, mai 1700 [tome 5], p. 119-122.

Ce Sonnet est de la composition de Mr Alison, Avocat au Presidial de Nismes, ainsi que les Stances que vous allez lire.

SUR UNE DAME
qui commence à vieillir.

Vostre cœur, Cidalise, instruit à se contraindre
Arme en vain contre moy vos vieillissans appas ;
Je ne puis me resoudre à feindre
 Un Amour que je ne sens pas.
***
Encor si de vos ans le nombre assez passable
N’eust point enseveli tous vos défunts attraits,
 Je pourrois estre plus traitable,
 Et vous aimer à nouveaux frais.
***
Mais depuis que les Ris, les Amours, & les Graces.
Ont sans prendre congé délogé de chez vous,
 Mes feux se sont changez en glaces
 Tout comme vos roses en choux.
***
Cet heureux temps n’est plus, où plus jeune & plus belle
Vous pouviez en plaisant sans le secours de l’Art,
 Faire une blessure mortelle
 Au cœur du noble Campagnard.
***
Le Printemps de vos jours a fourny sa carriére ;
Peut-on vous regarder sans s’en appercevoir ?
 Vos appas sont sur la litiére,
 Et vos yeux n’ont plus de pouvoir.
***
Croyez-moy, renoncez à cette humeur coquette
Qu’on pardonne avec peine à de jeunes beautez.
 A vostre âge aimer la fleurette ;
Cidalise, vous radottez.
***
Quittez un fol espoir, & desormais plus sage
Profitez en secret de mes avis sensez ;
 Et songez à plier bagage
 Puisque vos beaux jours sont passez.

[Nouvelles de Jérusalem]* §

Mercure galant, mai 1700 [tome 5], p. 137-148.

Vous aimez les Nouvelles Etrangeres, & c’est ce qui m’engage à vous faire part de cette Lettre.

A Jerusalem 3. Mars 1700.

Mr de Bremond, nommé par le Roy Consul en Jerusalem, aprés avoir resté pendant trois mois & demi à Seide, attendant toujours les Expeditions de la Cour du Grand Seigneur, apprit qu’il venoit un Bacha de Constantinople pour Jerusalem, ce qui le porta à profiter de l’occasion pour y venir avec luy. Il se mit en chemin afin de se rendre à Acre, où ayant esté pendant un mois, il eut le bonheur de voir le Bacha. Il l’envoya complimenter par un Truchement, & le Bacha luy rendit la pareille. Mr le Consul luy ayant donné un tres-beau fusil, il le trouva si fort à son gré, qu’il témoigna vouloir en faire present au Grand Seigneur. Mr le Consul l’alla visiter, & le lendemain le Bacha luy rendit la visite, honneur qui est extraordinaire. Le Consul le regala d’une Colation magnifique, & le pria d’agréer une Corbeille assez rare, dans laquelle il y avoit une piece d’étoffe des Indes & une tres-belle ceinture. Le Bacha l’en remercia plusieurs fois, & luy dit qu’il vouloit convenir de toutes choses avec luy, & le traiter en Ami ; que non seulement il luy estoit recommandé par Mr de Chasteauneuf, ancien Ambassadeur à la Porte, & par M. de Feriol, son Successeur, mais aussi par l’Empereur son Maistre, & qu’il ne partiroit point sans luy pour Jerusalem. Il luy tint parole. Mr le Consul luy communiqua les avis qu’on luy donnoit de ne point partir pour cette Sainte Cité sans avoir receu les ordres de la Porte ; mais le Bacha l’asseura qu’il n’avoit rien à craindre estant avec luy. Ainsi ils partirent d’Acre le 8. Février, & ne firent qu’en sept jours ce qu’ils pouvoient faire en quatre. Le Bacha le fit toujours disner avec luy, mais le Consul soupoit dans sa Tente avec son monde, afin de pouvoir se raccommoder, car par politique il ne beuvoit point de vin a la table du Bacha ; & d’ailleurs, les ragousts à la Turque ne luy donnoient pas beaucoup d’envie de manger. Le huitiéme jour de leur voyage, ils se disposerent à faire leur Entrée en Jerusalem, & tout le monde se mit dans le meilleur équipage qu’il put. Les gens du Bacha estoient fort lestes, & le nombre qui n’estoit que de huit cens hommes quand ils sortirent d’Acre, se trouva fort augmenté par plusieurs personnes qui allerent à sa rencontre, & qui voulurent l’accompagner en Jerusalem. Le tout faisoit pour le moins quinze cens hommes. Mr le Consul prit les devants avec la Baniere qui l’escortoit, pour donner lieu à toutes les puissances de Jerusalem de faire leurs ceremonies, & de rendre leurs devoirs au Bacha. A la vûë de Jerusalem, Mr le Consul attendit le Bacha, tant pour n’entrer qu’avec luy dans la Ville, que pour luy faire part d’une nouvelle qu’il venoit d’apprendre par un Truchement, qui luy avoit dit que le Cady estoit fort animé par la malice du Grand Muphty, & de ses Santons, de ce qu’il venoit en Jerusalem sans les ordres exprés du Grand Seigneur, & que s’il entroit il arriveroit quelque desordre, le peuple estant tout en tumulte, & qu’on ne répondoit pas des suites fâcheuses que l’affaire auroit. Mr le Consul ayant fait rester le Truchement, afin qu’il parlast luy même au Bacha, le Bacha luy dit qu’il ne devoit rien craindre, & que sur sa teste il le feroit entrer avec luy dans Jerusalem. Aussitost il ordonna au Commandant de la Baniere de Mr le Consul de l’escorter, & de tirer sur quiconque oseroit luy faire insulte. Un moment aprés, le Cady arriva pour rendre ses devoirs au Bacha, & luy demanda de quelle autorité le Consul entroit dans la Ville sans les ordres de la Porte. Le Bacha luy répondit que c’estoit de la sienne, & que s’estant mis sous sa protection, il ne croyoit pas qu’il y eust personne assez hardi pour l’insulter. Mr le Consul marchoit quinze pas derriere le Bacha, monté sur un cheval, avec le Commandant de la Baniere, & derriere luy plus de cinq cens Cavaliers. Il entra dans la Ville par la porte des Bachas, par laquelle jamais ny Consul, ny aucun Chrestien n’est entré. Le Bacha qu’il suivit à son Serrail, luy fit donner une chambre proche de la sienne, & le visita cinq ou six fois pendant six heures qu’il y demeura, l’exhortant de ne rien craindre, & l’assurant qu’on luy arracheroit plûtost la barbe, que de souffrir qu’on luy fist le moindre tort. Le soir le Bacha le fit escorter par vingt hommes le mousquet sur l’épaule. Mr le Consul estoit sur le même cheval qu’il estoit entré dans la Ville. Deux Janissaires tenoient par honneur les rênes de la bride, & deux autres portoient des flambeaux. Il entra ainsi comme en triomphe jusque dans l’interieur de nostre Convent. Nos Peres le receurent avec la Croix, & à la porte de l’Eglise on luy fit le lavement des pieds. L’on chanta le Te Deum, & ensuite j’eus l’honneur de le haranguer, donnant à connoistre dans le discours que je fis, que nostre invincible Monarque avoit toujours protegé les Saints Lieux ; qu’il y avoit environ dix ans qu’il nous avoit fait restituer le Saint Sepulcre, la Pierre d’Onction, l’Eglise & la Grotte de Bethléem ; qu’il nous avoit maintenus dans nos droits, privileges & immunitez ; qu’il nous avoit défendus contre les manies des Infidelles, & les insultes des Schismatiques, & qu’il venoit encore d’ordonner à Mr de Feriol, Ambassadeur à Constantinople, de demander au Grand Seigneur la permission de rétablir le Saint Sepulcre, qui tombe en ruine ; que Sa Majesté avoit fait choix de Mr de Bremond pour nous proteger de sa part dans ces lieux Saints, & plusieurs autres particularitez qu’il seroit trop long de vous décrire. Graces au Seigneur, tout va assez bien en ce Pays. Je suis vostre, &c.

F.N. Macé, Vicaire General de la Terre-Sainte.

[Lettre en Vers sur la Vie tranquille] §

Mercure galant, mai 1700 [tome 5], p. 148-155.

Ceux qui connoissent les charmes d’une vie tranquille, affranchie des embarras & du tumulte du monde, sçauront sans doute bon gré à l’Auteur de cette Epistre. Elle est de Mr Caumette.

A MONSIEUR
L’ABBÉ BEGAULT,
Chanoine de l’Eglise Cathedrale de Nismes.

Ingenieux Abbé, qui par de doctes veilles,
Sçais éclairer les cœurs, & charmer les oreilles,
Qui de l’Art de prescher soûtiens l’auguste poids,
Et fais craindre aux Pécheurs ta menaçante voix.
Toy, qui par les efforts d’une vive éloquence,
Consolas un grand Roy * que protege la France,
Et d’un Saint Potentat luy traçant les malheurs,
Sçeus adoucir les siens, & calmer ses douleurs.
Begault, qui t’es acquis par ta rare sagesse,
D’un illustre Prelatl’estime & la tendresse,
Toy, qui par des sentiers jusqu’icy peu battus,
T’éleves chaque jour aux sublimes vertus,
Et gagnant sur toy-même une entiére victoire,
Marches d’un pas égal dans la solide gloire ;
Toy, qui par tes discours & ton urbanité
Captives de nos cœurs l’aimable liberté ;
Souffre que dans ces Vers, mon ame toute nuë
Te découvre aujourd’huy le chagrin qui me tuë.
Trahi, persecuté par de nouveaux malheurs,
Je cherche une retraite à répandre des pleurs.
Ouy, lassé de moy-même & de la multitude,
Je ne soupire plus que pour la solitude,
Sûr que de ce sejour les objets innocens
Ne séduiront jamais ny mon cœur, ny mes sens.
C’est l’unique moyen pour soulager mes peines ;
Là, je verray couler le cristal des fontaines,
La terre s’embellir par de nouvelles fleurs,
Et l’aimable Printemps étaler ses douceurs.
L’inconstante Fortune en ces lieux de delices
Ne fait point redouter ses injustes caprices,
Et le cœur rebuté de ses fausses faveurs
Cesse de soupirer aprés les vains honneurs.
C’est-là que le credit, la force & la puissance,
N’ont jamais opprimé la timide innocence,
Ny le Vice orgueilleux de pourpre revêtu,
N’a jamais triomphé de la foible vertu.
La noire Trahison, dont la face est hideuse,
Ny la Haine qui mord d’une dent venimeuse,
Les serpens herissez qui luy rongent le sein,
La jalouse Fureur, le Dépit inhumain,
Et les tristes soucis qu’enfante la Disette,
Approchent rarement d’une telle retraite.
Mais on y voit regner une éternelle Paix ;
La Nature prodigue y répand ses bienfaits.
C’est-là que se trouvant à l’abry des orages,
On contemple de loin les funestes naufrages ;
C’est-là que l’on joüit avec tranquillité
Des douceurs d’une heureuse & pleine liberté,
Et c’est dans ce sejour, dans ce charmant azile,
Qu’on ne rend point aux Grands un hommage servile.
Là, tandis que tu fais briller la verité
Aux Peuples endurcis qui fuyoient sa clarté ;
Tandis que ton sçavoir, animé de ton zele,
Dissipe les erreurs de leur Secte rebelle ;
Que malgré leurs efforts tu gueris leur raison
Des vices qu’apporta ce funeste poison ;
Et sçais déveloper avec tant d’énergie
Les misteres profonds de la Theologie,
Moy rempli de mépris pour le monde trompeur,
De sa corruption je gueriray mon cœur.
Ouy, cher Abbé, charmé dans cette solitude,
L’amour de la vertu fera ma seule étude ;
Et fuyant pour jamais mes vices odieux
Je ne songeray plus qu’à conquerir les Cieux.
1 2

[Lettre sur l’Inconstance] §

Mercure galant, mai 1700 [tome 5], p. 155-187.

Vous n’aimez pas l’inconstance ; approuverez-vous l’Ouvrage qui suit ?

SUR L’INCONSTANCE.
A MADEMOISELLE ***.

Jusqu’à present, charmante Uranie, j’ay admiré que l’Inconstance, que tout le monde fuit, ait si peu de partisans déclarez. Vous sçavez par vostre propre experience qu’elle communique mille avantages aux gens qui embrassent son parti ; qu’elle donne une tranquillité heureuse ; qu’elle conserve la fraîcheur du teint ; qu’elle fait naistre tous les jours une infinité de nouveaux amours pour leur divertissement ; qu’elle répand sur eux la joye à pleines mains, & enfin qu’elle est en assez bonne intelligence avec les Ris & les Graces. Cependant les gens les plus chargez de ses bienfaits, la méconnoissent & la desavoüent. Tous se jettent hautement dans le parti de son ennemie ; chacun parle en faveur de la Coutume, & il ne reste que quelques bizarres genereux qui osent prendre sa défense.

Je sçay bien qu’un grand nombre d’ignorans la décrient, & que quelques malheureux peu avantagez de la Nature, qui ne sçavent où donner de la teste, faute d’avoir ce fond de merite necessaire pour s’aquerir des cœurs, & pour les conserver, en ont formé par dépit une idée monstrueuse ; mais je ne pense pas qu’un esprit fort, & principalement le vostre, se laisse emporter au courant d’un torrent qui sort d’une source si impure, & qui ne coule qu’à l’ombre des tenebres. Les lumieres de la raison ne vous abandonnent point, aussi donnez-vous retraite à cette infortunée bien obligeamment dans vostre cœur ; & depuis que vous estes adorée, vous vous estes si bien accommodée de cette humeur, que je me tiens sûr que vous ne trouverez pas mauvais de me voir entreprendre son Panegyrique.

Que pensez-vous que je croye d’elle ? N’est-il pas vray que ce n’est point une passion, qu’elle ne cause aucune agitation dans le cœur, que son regne est doux & presque insensible, & que jamais ces guerres intestines & ces remuëmens fomentez par les passions, ne sont avec elle ?

Ce n’est donc proprement qu’un certain estat où l’ame se trouve, qui retient son action sans violence ; de sorte qu’elle ne penche plus vers l’objet qui l’attachoit, & quoy que cet estat indifferent ne se soit peint d’aucun caractere particulier sur le visage, & ne semble point affecter de se faire voir au dehors, néanmoins on n’a pas laissé de le découvrir, & de le nommer inconstance, comme on appelle un rien tout ce qui est opposé à l’estre, bien qu’il ne soit point dans l’existence des choses.

L’Inconstance donc, belle Uranie, ce beau rien qui répand ou qui conserve l’abondance des graces sur toute vôtre aimable personne, qui fait que la douceur de vos conversations charme tout le monde, & qui vous sert à porter la joye dans toutes les Assemblées que vous honorez de vostre presence, cet estat heureux, dis-je, qui fait tant de belles choses en vous, soit qu’il procede de vostre temperament, & par conséquent qu’il vous soit naturel ; soit qu’il soit causé par l’imperfection des gens qui ont le bonheur de vous plaire, auquel cas il ne vous seroit pas naturel ; c’est une tres belle qualité, & bien loin de la blâmer, je suis d’humeur à soutenir qu’elle est tres-louable.

Si elle est naturelle, ne vient-elle pas d’une disposition qu’a l’ame en soy-même de se relâcher de l’attention d’un objet qui luy plaisoit ; en sorte que par ce moyen cet objet n’a plus aucun agrément pour elle ? Prise de la sorte, je soutiens que c’est une disposition desirable ; car enfin, elle fait les grandes ames ; elle nous ouvre le chemin des Sciences, & même elle nous égale, pour ainsi dire, à l’Estre souverain qui embrasse toutes choses dans son étenduë infinie. En effet, s’il n’y avoit des Inconstans, y auroit-il des hommes universels ? Verroit on tant de grands Personnages passer courageusement de la speculation ennuyeuse & fatigante d’une Science, à celle d’une autre qui ne l’est pas moins ? Celuy qui a les lumiéres de la Jurisprudence pour gouverner un Etat pendant la Paix, entreprendroit-il de dérober souvent l’attention de son esprit à cette Science, & de donner quelques heures du jour aux Fortifications, & aux exercices du corps, pour apprendre à défendre courageusement cet Etat pendant la guerre ? Et ces Romains dont le nom fait tant de bruit par toute la terre, auroient ils accordé Themis & Pallas dans un même sujet, pour rendre leurs personnes également recommandables, soit par la force à qui ils attribuoient le nom de vertu par excellence, soit par la justice ? Non certes, l’étenduë de nostre esprit se porte d’elle-même à la diversité. Le temps change les saisons pour nous contenter, & ne peut réüssir. L’esprit demande toûjours quelque autre chose que ce qu’il possede, & cette glorieuse avidité qu’il sent en soy même, rend son estre admirable & incomprehensible.

Il faut donc avoüer que cette humeur changeante & vagabonde qu’on nomme Inconstance, est une perfection, qu’elle donne de l’ornement à tous les sujets où elle se trouve, qu’elle rend heureux ceux qu’elle favorise, & qu’elle les éléve puissamment, tant qu’elle ne passe point les bornes de l’esprit ; car c’est dans cette haute region de nous mêmes qu’elle produit tous ces effets admirables & extraordinaires.

Faisons la descendre dans le cœur. Il est vray qu’aussi-tost on en fait une peinture odieuse. C’est une maladie honteuse, & de laquelle tous ceux qui sont entachez, sont apprehendez comme s’ils avoient un air contagieux.

Les Philosophes qui sont Partisans de la raison, la nomment foiblesse. Les Amans qui ne suivent point d’autre mouvement que celuy de leur cœur, la font passer pour un vice. Les premiers veulent que cette foiblesse parte d’une delicatesse d’organes, qui se lassent de continuer une même action pour continuer la joüissance d’un même bien. Les seconds ne soutiennent pas bien clairement que c’est un vice ; mais c’est un usage reçu, disent-ils, & qui s’est écoulé dans toute la Republique du Parnasse, & ils appuyent leur opinion avec tant d’agrément, qu’ils la font passer par tout. Tant de Vers, tant d’Elegies, tant de Sonnets, tant de Stances, & tant de Madrigaux, font retentir l’horreur de ce vice, qu’il passe parmy eux pour un article de foy, & fait un des points principaux de leur Religion ; la difference de ces sentimens montre assez leur erreur. Pour moy, je suis d’avis de les accorder ; car aprés tout, je ne disconviens pas qu’ils ont quelque raison ; mais quand pour prendre le parti des Philosophes je la laisserois passer pour foiblesse, j’ajoûterois que c’est une foiblesse heureuse, comme la foiblesse du temperament d’une Femme, qui selon les Naturalistes, luy sied mieux que la force. Si c’est un vice, c’est un de ces vices éclatans qui ne se trouvent que dans l’ame de ceux qui sont nez pour commander aux autres, ainsi que la prodigalité est ordinaire dans la main des Princes, & la témerité dans le cœur des Conquerans. En effet, il n’y a que les cœurs destinez pour faire plusieurs conquestes amoureuses qui sont inconstans. Les esprits les plus élevez ne trouvent rien qui soit digne de les arrester tout à fait. Les grands cœurs vont toujours loin, & les cœurs passionnez courent d’Amans en Amans, ils ne se retirent que quand ils sont chargez de dépoüilles. Il n’y a rien dans l’Empire de l’Amour qui ne leur soit un chemin battu, & où ils n’ayent laissé des vestiges & des traces. La connoissance de toutes les humeurs & de toutes les belles actions que le Dieu qui fait aimer inspire, leur est découverte ; les rêveries d’un mélancolique, les emportemens d’un enjoüé, leur sont un langage aussi familier que la langue de leur Mere. Enfin l’Amour n’a point de plaisirs qui leur soient inconnus ; & ainsi que les Rois qui sont au dessus du murmure que produisent les plaintes de leurs Sujets, ils ne s’ébranlent point par les larmes & par les soupirs d’un Amant qu’ils ont rendu malheureux. Au reste, cette indifference dans laquelle ils sont ensevelis pour les objets qui les touchoient autrefois, ne pensez pas qu’elle ait rien de commun avec cette honteuse stupidité qui accompagne les insensibles. Au contraire ils ne cessent d’estre sensibles que pour l’avoir trop esté, & quittent un objet, comme une Abeille quitte une fleur dont elle a tiré tout le miel auparavant. Il me semble qu’un procedé de la sorte est une voye seure & infaillible pour s’enrichir & tirer un tribut par tout ; & que quand un cœur a fait toutes ces épreuves, il se peut vanter d’estre plus parfait qu’un autre qui ne s’attache qu’à un même sujet, comme s’il estoit borné.

Il est vray qu’on accuse cette perfection d’estre un peu criminelle ; car enfin une Beauté inconstante ne devroit pas s’engager dans le commencement de son amour naissant à n’abandonner jamais un Amant qu’elle sçait bien qu’elle ne doit aimer que pendant un certain temps, puis que son manque de parole & de foy produit un effet cruel, & blesse mortellement celuy qui s’y fie ; mais ne sçavons-nous pas que c’est un principe de la Morale, que ce qui est un bien pour les uns, fait bien souvent mal aux autres. L’emportement du plaisir que sent cette Beauté inconstante dans la possession du cœur qu’elle aime, cause ce transport obligeant, & cet aimable excés qui luy est sans doute avantageux, puis qu’il luy sert pour satisfaire ce cœur qui se donne tout à elle, & s’il produit quelque mal lors qu’elle laisse agir son inconstance, il n’y a que ce cœur peu judicieux qui le ressente. Je dis peu judicieux, car il ne devoit pas vivre dans une confiance qui luy devoit estre si nuisible ; de sorte qu’il ne doit s’en prendre qu’à luy, puis que c’est luy qui s’assujetit, & qui trouve son malheur dans cette sujétion. Ceux qui sont au dessus de nous, ont toujours raison ; & quelque chose que nous trouvions à redire à leurs actions, nous ne les sçaurions ternir. Si une personne est inconstante, on peut dire que cela ne touche qu’elle, & que c’est son humeur. Quand les yeux se lassent d’un même objet, on les porte en d’autres lieux, cela est permis ; quand l’esprit s’ennuye d’un même entretien, il en change, c’est prudence. Lorsque le cœur cherche de la nouveauté pour réveiller sa joye assoupie dans un même train de vie, c’est un heureux instinct, & si quelques personnes en souffrent, qu’importe ? Les personnes ne nous sont pas ce qu’elles veulent nous estre. Que ne se détachent-elles, puis que nous n’avons pas dessein de les retenir ? Leur plaisir est de s’engager & de se fixer, celuy d’une inconstante est de ne s’arrester nulle part. N’a t-on pas raison de changer de demeure, & de chercher un air nouveau, lors que l’on ne peut plus souffrir celuy que l’on respire dans un climat ? Quand j’aurois promis de finir mes jours dans un pays, si j’y menois ensuite une vie languissante, ne pourrois-je pas le quitter avec justice, & ceder à l’antipatie de son temperament ? Il faudroit estre d’un naturel bien dur pour voir ma mort avec joye plûtost que mon départ.

Voilà, Uranie, ce qui me semble à peu prés de l’Inconstance que donne le temperament. Celle que nous sommes forcez d’épouser, pour nous delivrer de l’imperfection d’un cœur, dont l’attache nous est honteuse ou importune, est encore plus belle, plus noble, & plus juste ? Elle ne fut jamais blâmée ; car comme il n’y a rien de plus raisonnable que de quitter une ingrate ou une méprisante, il n’y a point aussi de party meilleur à prendre que celuy d’abandonner un Amant indigne d’entrer dans l’Empire de l’Amour, & de qui le fond trahit la bonne mine. Un cœur né pour aimer est plus délicat mille fois qu’un autre ; peu de chose le rebute, & il ne passe guére dans l’estat indifferent qu’il n’y soit poussé. Il ne se paye que d’une vraye tendresse & de bon alloy ; d’abord qu’elle est contrefaite, elle ne passe point, & comme le méchant or, elle se reconnoist impure au feu de son veritable amour.

Ce cœur se plaint quelque temps, mais si les plaintes n’émeuvent que de la pitié, on ne croira point que cette pitié vienne de l’amour. Quelque flame qui en sorte, elle ne rallume son ardeur que par des intervalles qui durent aussi peu que le feu qui prend aux linges trempez dans de l’eau de vie ; encore la flame n’a plus cette vivacité brillante d’un vray Amour, si bien qu’insensiblement le venin de l’Inconstance paroist.

 Il est une pitié cruelle,
 Dont l’éclat abuse nos feux.
 Un juste effort fait un rebelle,
D’un sujet qui vit malheureux.
 Insensiblement l’on s’ennuye
D’étaller vainement une fausse langueur,
 Qu’on ne ressent point dans son cœur,
 Si bien que sans ceremonie
L’on se fausse à tous deux aisément compagnie.

Si vostre cœur estoit dans ces rigoureux termes avec le mien, que ferois-je ? J’aurois recours aux pleurs & à la mort. Helas ! vous m’estes fort suspecte de vous lasser de mon cœur.

Car bien qu’il soit tendre & fidelle,
Et qu’il soit assez vostre fait,
Je crains le dangereux effet
D’une Inconstance naturelle.

En verité, il est bien dangereux de vous voir. Si tost que l’on vous perd de vuë l’on est si interdit, l’on se divertit par tout si mal, l’on sçait si peu ce qu’on dit, & ce qu’on fait, que tout autre que vous en auroit pitié.

Mais vôtre ame Uranie, & grande & magnanime,
D’un foible mouvement ne sent point les effets :
Si vous plaigniez les maux que vos beaux yeux ont faits,
Vous vous reprocheriez d’avoir commis un crime.
 Pour vous autres Divinitez,
 Dans l’estat heureux où vous estes,
 Vous sçavez nos necessitez,
 Et nos affaires plus secretes.
Nous répandons des pleurs, nous poussons des soupirs,
 Vous voyez naistre les nuages
Que forment dans nos cœurs nos amoureux desirs,
 Sans que rien change vos visages,
Et trouble ce repos qui fait tous vos plaisirs.
Certaine majesté qu’on ne sçauroit dépeindre,
Un calme environné de mille & mille appas,
Tout cela c’est un fort où l’on ne peut atteindre,
 Pour nous qui rampons icy-bas.
Enfin de vos beautez la richesse immortelle
Ne reçoit pas de nous le moindre changement.
Ny les soins assidus d’une flâme fidelle,
Ny les ardens transports d’un miserable Amant,
N’en peuvent adoucir la fierté naturelle.

Cela veut dire en un mot, que vous estes insensible de la plus belle maniere du monde, que vous conservez certaine grace à tuer les gens qui fait un admirable effet ; n’est-ce pas estre née heureuse, que d’estre faite de la sorte ? Si vous sçaviez comme je cours de bon cœur à la mort, pour avoir la satisfaction de vous plaire, ce seroit bien pis ; mais je ne suis pas si mal avisé que de vous apprendre ce que j’en sçay.

Vous ne manqueriez point de faire vanité
 De cette insensibilité
Qui vous fait entasser victoire sur victoire,
 Sans en remporter que la gloire
D’élever dans les lieux que vous rendez deserts,
Un vaste & vain trophée & de cœurs & de fers.

Quand je vous verray disposée à bien user de vos conquestes, je vous en diray davantage. Aujourd’huy, belle Uranie,

Je n’ay dessein que de dire & redire,
Que loin de vous on languit, on soupire.

[Ode] §

Mercure galant, mai 1700 [tome 5], p. 187-192.

L’Ode que vous allez lire est du Pere Dumoret, Prestre de la Doctrine Chrestienne, Professeur de Rethorique du College de Lesquille à Toulouse. C’est le même qui avoit composé l’Ode contre l’Heresie, qui concourut pour le prix avec l’Ode de la Poësie, aussi bien que celle-cy.

CONTRE LES IMPIES.

Quel objet me frape & m’enchante ?
Quel feu m’emporte loin de moy ?
Divinité que j’apperçoi,
Viens soûtenir ma voix tremblante.
Portez sur les ailes des vents
Déja mes concerts éclatans
Font retentir la terre & l’onde.
Applaudissez, Peuples divers,
C’est le Dieu qui forma le monde
Que je vais chanter dans mes Vers.
***
Estre toûjours, c’est son partage.
Tout vit, tout se meut à sa voix.
Soumis aux forces de ses loix
Les Flots respectent leur rivage.
Des Cieux il forma les ressorts ;
Les Vents tirez de ses tresors
Le benissent par leur murmure :
Seul insensé blasphemateur
L’Impie, horreur de la nature,
Ne connoist point son Createur.
***
Fiéres merveilles qu’on admire,
Beautez, dont les charmes vainqueurs
Séduisent tant de foibles cœurs,
Et les rangent sous vostre empire !
Cet éclat dont vous vous flatez,
Ces traits, ces appas si vantez
Viennent du Dieu qui vous fit naistre ;
Et l’homme, esclave de ses sens,
Renonce à cet Auguste Maistre,
Et vous prodigue son encens.
***
Quel bruit confus me vient surprendre ;
Quels cris font retentir les airs ?
Tout parle dans cet Univers ;
L’Enfer, les feux se font entendre.
Pleins de justes ressentimens
Je voi le Ciel, les Elemens
S’armer de parole & de vie.
Seigneur, anime leur ardeur,
Et fais desormais que l’Impie
Te reconnoisse à ta grandeur.
***
Que frappé d’une heureuse crainte
Il commence à porter ses yeux
Sur ces Tableaux misterieux
Où ta Sagesse s’est dépeinte.
Visible source de la Foy,
Pour ramener son cœur à toy
L’Univers deviendra son maistre,
Et par tout tes rayons épars,
Pour le forcer à te connoistre,
Viendront s’offrir à ses regards.
***
Que de spectacles se presentent !
Que de charmes victorieux !
Astres qui brillez dans les Cieux,
Que vos merveilles nous enchantent !
Le Createur dans vos rayons
A tracé les nobles crayons
De ses grands & sacrez misteres ;
Et découvre avec majesté
Dans vos visibles caracteres
Son invisible immensité.
***
D’une clarté vive & feconde
Le Soleil répand les attraits,
Et de mille tresors secrets
Enrichit l’un & l’autre Monde.
Constant dans son cours lumineux
Du Jour, ouvrage de ses feux
Il ouvre & ferme la barriere ;
Mais cet Astre resplendissant
Fait moins admirer sa lumière
Que la splendeur du Tout-puissant.
***
Les ans d’une égale vitesse
Amenent les fleurs, les glaçons ;
On voit les Mois & les Saisons
Mourir & renaistre sans cesse.
Les siecles dans leurs changemens
Ont tous les mêmes mouvemens,
Et se montrent pour disparoistre :
La Nature par tant de traits
S’empresse à nous faire connoistre
Un Dieu qui ne change jamais.
***
Que tout celebre vos ouvrages ;
Qu’à vous benir tout soit constant,
Seigneur, dont le pouvoir s’étend
Au-delà des temps & des âges.
Que renonçant à ses fureurs
L’Impie admire les faveurs
Dont vous sçavez combler nos ames ;
Et que touché d’un bien si doux,
Il ne brûle que de vos flâmes
Et ne soûpire que pour vous.

[Pavane des Saisons de Pécour]* §

Mercure galant, mai 1700 [tome 5], p. 197-200.

Pour vous répondre sur ce que vous demandez touchant le jugement que l’on fait du livre de la Choregraphie, composé par Mr Feüillet, qui le premier a trouvé le secret de nous décrire la Danse avec tant d’artifice, je vous diray que le Public s’en sert, & que tous les Maistres à Danser dispersez dans l’Europe, joüissent utilement de ce qu’il a inventé. Ils achetent cette Choregraphie, & le debit en est si grand qu’on sera obligé d’en faire bientost une édition nouvelle. C’est vous dire en peu de mots l’estime que l’on en fait. Il faut convenir que ce qui est utile devient en quelque façon necessaire, & que ce qui est commode, facile, & agréable à la fois, ne sçauroit jamais manquer de s’attirer une approbation universelle. Tous ces avantages se trouvent dans le livre dont vous me parlez. Ainsi vous ne devez pas estre surprise que sa destinée soit si heureuse. L’Auteur animé sans doute par le succés de son ouvrage, s’est engagé de faire graver tres-correctement tout ce qu’il y aura de nouveau dans la Danse. Il vient d’en mettre une nouvelle au jour, qui a pour titre la Pavane des Saisons. Elle est de la composition de Mr Pecour, dont le goust est fort estimé pour la Danse. Les Maistres à Danser & les Curieux pourront se contenter à peu de frais, puisque chaque Danse ne leur coûtera que dix sols. N’a-t-on pas lieu d’esperer que Mr Feüillet rendra toutes sortes de Danses aussi faciles à comprendre que des Airs notez, avec cette difference que pour chanter ces Airs il faut sçavoir la Musique, qui ne s’apprend qu’en y employant beaucoup de temps, au lieu qu’il n’y a qu’à lire la Choregraphie pour concevoir d’abord tout ce qui est necessaire pour bien danser ? Ces Danses gravées se vendent chez l’Auteur, ruë de Bussy, Faubourg S. Germain, à la Cour Imperiale, & chez Michel Brunet dans la Salle du Palais, au Mercure galant.

Obsèques du Prince de Lorraine à Nancy §

Mercure galant, mai 1700 [tome 5], p. 227-257.

Le Lundy 19. du mois passé, l’on fit à Nancy de grandes ceremonies pour l’Enterrement de Charles V. Prince de Lorraine, & Pere de Monsieur le Duc de Lorraine d’aujourd’huy. Vous sçavez combien il s’estoit acquis de gloire dans les guerres d’Allemagne, sous le nom de Prince Charles de Lorraine, & combien elle avoit senti sa perte, arrivée il y a déja plusieurs années. On alla prendre son corps au Novitiat des Jesuites, qui est à la Porte de Saint Nicolas, où il estoit en dépost. Il fut porté par Mrs de Gustine, de Curelles, de Vitrimont & de Crayon. Ils estoient seize tant pour le corps que pour le Dais. La marche dura plus de trois heures, & fut ouverte par Mr Lançon, Lieutenant au Gouvernement de Nancy, & par Mr de la Pommeraye, Major de la Ville, qui furent suivis de quarante Officiers de Milice de la Bourgeoisie, vêtus de leurs habits uniformes, en écharpes de crespe, portant leurs espontons renversez.

Ensuite marchoit la Compagnie des Buttiers en habits uniformes, précedez de leurs Officiers en écharpes & crespes, & suivis de quarante Sergens du Regiment de la Bourgeoisie.

Vingt Sonneurs, vêtus de deüil en chaperons.

Cent Pauvres de l’Hôpital & des Paroisses de Nancy, vêtus de noir par S.A.R. portant chacun une torche de cire blanche, avec les Armes de feu S.A.S. parties de Lorraine, de Pologne & d’Autriche.

Les Commis ou Quarteniers de la Ville de Nancy en habits de deüil & en manteaux courts, avec un crespe sur leurs chapeaux tombant de deux pieds.

Cent Bourgeois de la Ville de Nancy, pareillement en habits de deüil & manteaux courts, avec de semblables crêpes sur leurs chapeaux, portant un cierge blanc avec les Armes de la Ville de Nancy.

Cent Confreres du S. Sacrement, vêtus comme cy-dessus, portant chacun un flambeau avec les Armes de la Confrairie du Saint Sacrement.

Les Penitens au nombre de cent, portant chacun un cierge blanc.

Les Augustins au nombre de douze, portant chacun un cierge blanc.

Les Jacobins au nombre de seize.

Les Tiercelins au nombre de vingt quatre.

Les Capucins au nombre de cent.

Les Minimes au nombre de quarante quatre.

Les Cordeliers au nombre de cent.

La Paroisse de Nostre-Dame, dix Prestres.

Celle de Saint Epure, dix-huit Prestres.

Celle de Saint Sebastien, douze Prestres.

Les Chapitres de la Primatiale & de Saint Georges marcherent alternativement l’un aprés l’autre, au nombre de cinquante un, tenant chacun un cierge.

Les Professeurs de l’Université de Pont à Mousson, étoient à la gauche de ces Chapitres, & avoient chacun un flambeau de cire blanche.

Les Députez des Villes du Barrois non mouvant, suivant l’ordre des Bailliages, sçavoir,

Deux Députez de la Prevosté d’Arancy.

Deux de Longuyon.

Deux d’Estain.

Bailliage du Pont.

Deux de Thiancourt.

Deux de la Chaussée.

Deux de Mandre.

Deux de Pont-à Mousson.

Bailliage de S. Mihiel.

Deux de Morroy devant Metz.

Deux de Conflans.

Deux d’Apremont.

Deux de Morroy le Sec.

Deux de Bouconville.

Deux de Rambercourt aux Pot.

Deux de Sancy.

Deux de Hattonchastel.

Deux de Bricy.

Deux de S. Mihiel.

Bassigny mouvant.

Deux de la Prevosté de la Marche.

Deux de Chatillon sur Saone.

Deux de Conflan en Bassigny.

Deux de la Senechaussee de Bourmont.

Barrois mouvant.

Deux de Gondzecourt.

Deux de Soüilly.

Deux de Morlay.

Deux de Pierrefitte.

Deux de Stainville.

Deux d’Anserville.

Deux de Ligny.

Deux de Bar.

Deux de Mommeny.

Deux de Chastel.

Deux d’Espinal.

Deux de Vezelise.

Deux de Bouquemont.

Deux de Bitche.

Deux de S. Avold.

Deux de Saralbe.

Deux de Chwmbourg.

Deux de Sierberck.

Deux de Freistroff.

Deux de Boulay.

Deux de Berus & de Valdrevange.

Deux de Dieuze.

Deux de Zarguemines.

Bailliage de Vosges.

Deux de la Prevosté de Darnay.

Deux de Charmes.

Deux de Valfroicourt.

Deux de Dompaire.

Deux d’Arshere.

Deux de Remiremont.

Deux de Chastenoire.

Deux de Remoncourt.

Deux de Bruyere.

Deux de Mirecourt.

Bailliage de Nancy.

Deux de Sainte-Marie aux Mines.

Deux de Ravon.

Deux de Saint-Diez.

Deux de Badonviller.

Deux de Deneuvre.

Deux d’Azerailles.

Deux de Blamont.

Deux de Luneville.

Suite du Bailliage de Nancy.

Deux d’Eviville.

Deux de Marsal.

Deux de Chaligny.

Deux de Condé.

Deux de Preny.

Deux de Gondreville.

Deux de Chasteau-Salin.

Deux d’Amance.

Deux de Rozieres.

Deux de Saint Nicolas.

Deux du Neufchasteau.

Tous ces Députez avoient chacun un Ecusson à leur bras gauche portant les Armes de leurs Villes, & estoient en habits noirs & en manteaux courts, avec un crespe de deux pieds de longueur à leurs chapeaux.

L’Hostel de Ville de Nancy, precedé des Valets de Ville de leurs livrées, & suivis des Conseillers de ce même Hostel de Ville, en habits noirs, manteaux courts, & crespes de trois pieds de longueur.

Les Avocats.

Les Huissiers du Bailliage de Nancy en Robes, portant leurs Baguettes.

Les Greffiers.

Les Conseillers du Bailliage de Nancy.

Les Archers des deux Chambres des Comptes.

Les Conseillers & Presidens de la Chambre des Comptes de Bar dans leurs habits de Ceremonie.

Les Conseillers & Presidens de la Chambre des Comptes de Lorraine, avec leurs habits de Ceremonie.

Les Officiers & Archers de la Mareschaussée de Nancy marchérent à la teste de la Cour Souveraine.

Les Huissiers.

Les Greffiers.

Les Conseillers & Presidens de la Cour Souveraine.

Le Conseil d’Etat precedé de ses Huissiers, Hoquetons, & des Secretaires ordinaires & Commandemens.

Les Trompettes & Timbales touchant à la Sourdine.

Maison de Son Altesse Royale.

Les Maistres d’Hostel en habits de drap de Hollande noir, & en manteaux longs rasant la terre, avec des crespes de chapeaux de même longueur, portant leurs bastons.

Les Gentilshommes portant les trente deux quartiers de Noblesse.

Le Cheval de Service caparaçonné de deüil, conduit par deux Ecuyers, à costé desquels estoit un Palefrenier.

Le Cheval d’honneur en harnois & housse de broderie, & un toquet de plumes, conduit par deux Ecuyers, à costé de chacun desquels marchoit un Palefrenier.

Les Gentilshommes portant les marques d’honneur, en manteaux & crespes rasant la terre.

Le Heraut d’Armes en son habit de ceremonie en broderie.

Les deux Mareschaux de Lorraine & de Barrois portant leurs bastons de Mareschal, vestus de revesche frisée, en manteaux longs traînans d’une aune, & le crespe de leurs chapeaux de même.

A costé des Gentilshommes & des Mareschaux de Lorraine & de Barrois, marchérent,

Vingt Abbez & Prelats mitrez, quatorze ou quinze à droite de leurs Assistans en Chappes, avec chacun un cierge blanc.

Mr l’Abbé de Riguet, Grand Aumônier de S.A.R. Officiant ; Mr l’Abbé mitré, addextrez de Mrs les Generaux d’Ordre, & des Chanoines Reguliers.

Le Corps de feu S.A. Charles V. porté par huit Chambellans, sous un Dais porté par six autres Chambellans.

Les coins du drap d’or portez par quatre Chambellans, tous les Chambellans en manteaux longs rasant la terre, avec des crespes à leurs chapeaux, rasant de même la terre.

A costé droit du Dais le grand Veneur portant l’Etendart de Lorraine ; à la gauche la Cornette jaune portée par le grand Gruyer, & du derriere le Guidon porté par le grand Maistre de l’Artillerie, & du derriere la Banniere aux Armes de Lorraine portée par ce même grand Veneur, grand Gruyer, grand Maistre d’Artillerie, en manteaux de revesche frisée, & en crespes traînans d’une demi-aune.

Le grand Ecuyer portant l’Epée nuë hors du fourreau.

Le grand Chambellan portant la Clef dorée.

Le grand Maistre portant le Baston de grand Maistre, ces trois grands Officiers en manteaux de revesche frisée, & en crespes traînans d’une aulne.

S.A.R. en manteau de grosse revesche unie traînante de cinq aunes ; immediatement devant elle sur sa droite le Colonel des Suisses en manteau de revesche frisée, traînant d’une demi-aune ; à sa gauche au même endroit, le Lieutenant des Chevaux legers de quartier, vestu de même ; à droite à costé de S.A.R. son Aumônier, à la gauche son Confesseur. A la droite derriere elle, le Capitaine des Gardes de quartier, à la gauche, le premier Gentilhomme de quartier, qui avoit soin du manteau.

Monsieur le Prince Charles, Evesque d’Osnabruck, avec un habit de revesche vive, & le manteau traînant de quatre aunes ; immediatement devant luy, à sa gauche le Lieutenant des Chevaux-legers qui n’estoit pas de quartier, à son costé droit le Baron de Vahtentum, Chanoine d’Osnabruck, son grand Aumônier, à son costé gauche son Confesseur, plus bas le grand Maistre de la Garderobe de S.A. qui avoit soin du manteau. Ces Lieutenant de Chevaux legers, Capitaine des Gardes, premier Gentilhomme, & grand Maistre de la Garderobe, avoient chacun un manteau de revesche frisée traînant d’une demi-aulne.

Monsieur le Prince François en habit de revesche, avec un manteau traînant de trois aulnes, precedé du Marquis de Trichasteau son Gouverneur, son Confesseur à costé droit, & son Chambellan à droite, & plus bas à gauche son Sous-Gouverneur.

Les Princes de la Maison en habits de revesche unie, en manteaux & crespes traînant de deux aulnes.

Les Gentilshommes qui n’ont point de rang & d’Office, suivoient en gros les Princes en habits noirs.

Les Pages de S.A.R. en manteaux rasant la terre, portant de part & d’autre du Corps de Charles V. des flambeaux de cire blanche, à commencer depuis les Princes jusques aux Gentilshommes sans rang, qui suivirent S.A.R.

Les Suisses faisant long bois costoyant la marche, à commencer depuis les Trompettes jusques aux Gentilshommes sans rang, qui suivirent S.A.S.

Les six Carosses de deüil marchérent aprés ces Gentilshommes qui alloient sans rang.

Les Chevaux legers & les Gardes finirent la marche, les Gardes à la gauche & les Chevaux legers à la droite.

Le Regiment des Gardes à pied costoya en double haye tout le long de la marche, jusqu’aux Trompettes, où les Suisses commencerent à la costoyer.

La place de l’Assemblée se fit sur les glacis entre les Villes, à neuf heures, les Commis de Ville, les Bourgeois de Nancy, les Confreres du Saint Sacrement, & les Députez des Hostels de Ville.

Tous les Religieux s’assemblerent dans le Convent des Carmes, où les cierges leur furent distribuez, & d’où ils sortirent suivant leur rang & leur marche ordinaire.

Les Paroisses & Chapitres s’assemblerent au College, où leurs cierges leur furent distribuez, & d’où ils sortirent pour prendre leur marche.

Les Officiers de l’Hostel de Ville de Nancy, les Avocats, les Officiers du Bailliage, les Chambres des Comptes de Lorraine & Barrois, & la Cour Souveraine, s’assemblerent en l’Hostel de Ville de Nancy, d’où ils sortirent en leur marche.

Tous dans cet ordre marcherent aux grand Jesuites, en passant droit le long de la ruë, & des Eglises, & tournant autour du Convent des Annonciates.

Les Conseillers d’Etat, les Maistres d’Hostel, les Gentilshommes portant les quartiers, les Ecuyers avec les chevaux de service & d’honneur, les Gentilshommes portant les marques d’honneur, le Heraut d’armes, les deux Maréchaux de Lorraine & Barrois, les Valets de pied de S.A.R. les Chambelans, le Grand Ecuyer, le Grand Maistre d’Artillerie & le Grand Ecuyer, le Grand Chambellan, le Grand Maistre d’Hostel, les Lieutenans des Chevaux-legers, Colonel des Suisses, Capitaines des Gardes, premiers Gentils-hommes, Grand Maistre de Garderobe, s’assemblerent tous chez les Jesuites, où se rendit S.A.R. avec les Princes dans ses Carosses drapez, ainsi que les Suisses & la Gendarmerie à cheval.

Les quarante Officiers de la Bourgeoisie, les Sergens de la Bourgeoisie, le Buttiers, le Regiment des Gardes à pied, s’assemblerent sur l’Esplanade.

On ne laissa entrer dans l’Eglise des Cordeliers aucuns Pauvres, Bourgeois ny Confrere. Les Chapitres & Universitez, se mirent à la Chapelle ronde, les Religieux dans le Cloistre.

Cette Eglise estoit tapissée de velours & Damas noir. Il y avoit une frise & campane à la hauteur des chapiteaux des colomnes, sur laquelle estoit un rang de cierges blancs. Au dessous de la frise estoient attachez tous les Tableaux des Victoires de S.A. Entre chaque Tableau il y avoit trois grandes plaques d’argent, & entre la frise & ces Tableaux, un rang de grandes & petites Armoiries de S.A. Il y avoit un ornement d’Autel tout neuf, de velours noir à bandes de moire d’argent, enrichi d’Armes en broderie, partie de Lorraine, d’Autriche & de Pologne.

Au milieu du Chœur estoit élevé un Dome d’une tres-belle architecture, posé sur huit piliers en octogone, sous lequel fut mis le corps de Son A.S. Ce Dome estoit enrichi dessus & dessous des plus belles Figures que l’on puisse voir.

Le lendemain Mardy, on chanta la grande Messe, & le Pere Daubanton, Jesuite, prononça l’Oraison funébre. Le Mercredy on chanta encore une grande Messe, & le soir les Vigiles. Le Jeudy, aprés une autre grande Messe chantée, on porta le corps dans la Chapelle ronde, où il doit demeurer quarante jours.

[Epigramme sur le baptême du Prince de Dombes]* §

Mercure galant, mai 1700 [tome 5], p. 270-273.

Le 16 de ce mois, Monsieur le Prince de Dombes receut les ceremonies du Baptesme dans la Chapelle de Versailles. Elles furent faites par Mr l’Abbé de Pomponne, Aumônier ordinaire de Sa Majesté, assisté de Mr Hebert, Curé de ce lieu. Il fut nommé Louis-Auguste par Monseigneur le Dauphin & par Madame la Duchesse de Bourgogne. Le Roy fit l’honneur à Mr le Duc du Maine, de luy dire la veille de la ceremonie, qu’il y vouloit assister, & que c’estoit un devoir de Grand pere, & Sa Majesté ne s’en dispensa que sur l’instante priere que luy fit ce Prince, trop convaincu d’ailleurs de sa tendresse & de ses bontez. Le Roy envoya quelques jours aprés un present magnifique à Madame de Malezieu, Gouvernante de Monsieur le Prince de Dombes, & fit donner quatre cens pistoles aux Domestiques de ce jeune Prince.

Voicy une Epigramme Latine que Mr Cadot, âgé de quinze ans, Fils de Mr Cadot, Conseiller en la Cour des Monnoyes, a faite sur cette ceremonie.

Quod tibi sit tantum Lodoico à Principe nomen
 Impositum, sortis non fuit illud opus.
Quanta, Auguste puer, rerum hîc se pandit imago !
 A solo Augustus Cæsare nomen habet.

Cette Epigramme a esté mise en nostre Langue par ces quatre Vers.

 Ce grand Nom que Louis t’impose,
N’est pas, Auguste Prince, un effet du hazard.
Nous n’en augurons pas une petite chose,
Car pour faire un Auguste il falloit un Cæsar.

Air nouveau §

Mercure galant, mai 1700 [tome 5], p. 283-284.

Il faut peu de chose pour appaiser une Amante. Les paroles de la nouvelle Chanson que je vous envoye en sont une preuve.

AIR NOUVEAU.

L’Air qui commence par Jaloux transports, page 283.
Jaloux transports, cessez de m'agiter,
Mon Amant n'est point infidelle ;
Dans ce moment il vient de me jurer
Un amour éternelle.
De ses sermens flateurs
Laissez-moy la douce esperance ;
De l'Amour sans soupçons, je gouste les douceurs,
Et ne crains plus que son absence.
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