1700

Mercure galant, septembre 1700 [tome 9].

2017
Source : Mercure galant, septembre 1700 [tome 9].
Ont participé à cette édition électronique : Nathalie Berton-Blivet (Responsable éditorial), Anne Piéjus (Responsable éditorial), Frédéric Glorieux (Informatique éditoriale) et Vincent Jolivet (Informatique éditoriale).

Mercure galant, septembre 1700 [tome 9]. §

[Ode sur la Statuë Equestre du Roy] §

Mercure galant, septembre 1700 [tome 9], p. 5-16.

L’ode par laquelle je commence cette Lettre, a esté faite en Latin par Mr l’Abbé Boutard, & mise en Vers François par Mr de Bellocq, Valet de Chambre du Roy, & Porte-Manteau de Madame la Duchesse de Bourgogne. Elle est sur la Statuë Equestre de Sa Majesté, faite par Mr Girardon, & élevée dans la Place de LOUIS LE GRAND. Les applaudissemens que cet Ouvrage a receus de toute la Cour, sont si grands, que je ne pourrois vous en rien dire qui ne fust infiniment au dessous des loüanges qui luy ont esté données.

ODE.

Quel est ce Conquerant semblable au Dieu de Trace,
 Qui sur ce Coursier plein d’audace
Se presente à mes yeux fierement élevé ?
Cesar, n’est-ce point vous, de qui l’Aigle fatale
S’excitoit au combat, quand le champ de Pharsale
Du sang des Legions alloit estre abreuvé ?
***
N’est-ce point Scipion, ce démon des batailles,
 Qui pour vanger le nom Romain
Des Africains domptez va la foudre à la main,
 Réduire en poudre les murailles ?
N’est-ce point Alexandre, impatient du prix
 Que la Gloire aux grands cœurs appreste,
Et qui de la Victoire éperdument épris,
Du Monde trop borné medite la Conqueste ?
***
 Ah ! quelle injure je vous fais,
Caracteres sacrez de Grandeur, de Courage,
 Que mon Roy seul eut en partage,
Et qu’avec tant d’éclat Mars même n’eut jamais !
Quelle erreur a pû me surprendre ?
Comment dois-je excuser mes regards ébloüis ?
 Quel Cesar & quel Alexandre
Ont approché des traits de l’auguste LOUIS ?
***
 Qu’il brille dans ses riches armes !
Que son port a de grace, & sa taille de charmes !
 Que son front a de majesté !
A mes yeux il respire, il agit, il ordonne,
Et le bronze amolli par un art qui m’étonne
 Dispute avec la verité.
***
Qui ne croiroit le voir dans les champs de Bellonne
Regler les mouvemens & l’ordre d’un Combat :
 Et plus craint que le Dieu qui tonne,
Du geste & de la voix animer le Soldat ?
Qui ne croiroit le voir conduit par la Victoire,
Affrontant mille traits à luy seul addressez,
 Se faire un passage à la Gloire
 Sur les Bataillons renversez ?
***
Tel de ses Ennemis méprisant la foiblesse,
Il guidoit aux dangers la vaillante Noblesse
Qui fait de ses Etats le plus solide appuy ;
Lors qu’avec un succés difficile à comprendre
 La Terreur marchant devant luy
 Brisoit les portes de la Flandre.
***
Tel parut sur le Rhin ce Vainqueur redouté,
 Quand du Batave épouvanté
 Il forçoit les Villes tremblantes,
Plus vite que les vents n’abbattent les forests,
 Ou que les flames devorantes
Ne consument les dons de la blonde Cerés.
 Avec une pareille audace
 Le plus rapide des Guerriers,
Malgré l’affreux Hiver, & ses remparts de glace,
Sur les rives du Doux * moissonnoit des Lauriers.
***
Le superbe Coursier s’applaudit à luy-même,
Et triomphe en portant ce Monarque suprême.
 Quels feux sortent de ses regards !
De son frein écumant il semble qu’il se jouë,
A voir flotter ses crins, on croit qu’il les secouë.
A la voix de LOUIS qui se livre aux hazards,
Docile il obeit, frape du pied la terre,
Et sa fougueuse ardeur dans les plaines de Mars
 Souffle les fureurs de la Guerre.
***
 Pegase avec même fierté
Rapportoit le Vainqueur du Monstre de Lycie :
Par Bucephale ainsi son Maistre estoit porté,
Quand il eut renversé le Trône de l’Asie.
***
Tremblez, Peuples jaloux, conjurez tant de fois
 Contre le bonheur de la France,
 Et profitez de la clemence
 De l’arbitre absolu des Rois.
A violer la Paix craignez de vous resoudre ;
Si les droits des Sermens sont par vous méprisez,
 Vous sentirez la même foudre
Par qui Mons & Namur virent leurs Forts brisez.
***
Vous heureux Habitans d’une Ville fidelle,
Qui d’un sage Consulsuivez le noble zele,
Recevez dans vos murs ce Cheval fortuné.
De danses & de jeux qu’il soit environné,
Qu’il soit paré de fleurs, si-tost que des Etoiles
L’Aurore renaissante éteindra les clartez :
Et quand la sombre nuit viendra tendre ses voiles,
Que l’odeur des parfums s’exhale à ses costez.
***
Girardon, l’ornement de sa doctePatrie,
Dans l’art de Phidias plus illustre que luy,
 A consacré son industrie
A l’ouvrage immortel qui vous charme aujourd’huy.
 Dans cette figure vivante
 Reconnoissez la main sçavante,
Dont vous avez reçu tant de riches presens.
Ce Cheval animé sous son auguste Maistre
 Prouve assez que le Ciel fait naître
Aux siecles des Heros les fameux Artisans.
***
Ce n’est point de Pallas l’offrande frauduleuse ;
Il n’en doit point sortir de guerrier inhumain,
 Qui vienne la flame à la main,
Rappeller d’Ilion l’histoire douloureuse.
Sous un meilleur auspice il offre à vos souhaits
Un Monarque attentif au bien de ses Sujets,
Qui prest de s’assurer une entiere Victoire
 Sur cent Rois jaloux de sa gloire,
Voulut donner au Monde une éternelle Paix.
***
 Ainsi plus justement que Tite,
LOUIS sera toûjours l’amour de l’Univers,
 Et sur sa Ville favorite
 Sans cesse aura les yeux ouverts.
Loin de ses chers François, tel qu’un Dieu tutelaire,
Il sçaura détourner les maux & les besoins.
Et conservant pour eux la tendresse d’un Pere,
Fera de leur bonheur le plus doux de ses soins.
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[Madrigal] §

Mercure galant, septembre 1700 [tome 9], p. 16-17.

Ce Madrigal de Mr de Poissi ne viendra pas mal à la suite de cette Ode.

Que doit faire un grand Prince issu du sang des Rois,
 Pour se voir à la fois
Aimé, craint, reveré, sur la Terre & sur l’Onde ;
Et s’immortaliser par cent faits inoüis ?
 Pour devenir le plus grand Roy du monde,
Qu’il fasse la moitié de ce qu’a fait LOUIS.

[Description du Jardin de Bellefont en Languedoc] §

Mercure galant, septembre 1700 [tome 9], p. 63-124.

Je ne vous préviendray point sur la Lettre que vous allez lire. Elle contient la description du Jardin de Bellefont en Languedoc.

A MONSIEUR
LE MARQUIS DE ***

Il est naturel, Monsieur, aux gens de bon goût d’être aussi curieux que vous l’estes, & puisque vous me faites l’honneur de me demander une description exacte & fidelle du celebre Jardin de Bellefont, & de sa Maison, je vous donneray la plus juste idée, que je pourray de cet agreable sejour. Tout y est digne en effet de la magnificence de l’illustre Marquis de Tornac la Fare, qui dans un terrain, auparavant infructueux & inutile, a rassemblé tout ce que l’art & la nature peuvent faire voir de rare & de recherché. Comme il a autant de delicatesse d’esprit que de grandeur d’ame, il n’a rien oublié de tout ce qui pouvoit contribuer au plaisir & à l’étonnement de ceux qui verroient son Jardin, qui peut estre comparé aux plus beaux & aux mieux ordonnez qui se voyent dans les Provinces. En un mot, Monsieur, tout y merite vôtre curiosité, mais avant que j’entre dans le détail, permettez-moy d’employer icy quelques traits de Poësie. J’en mêleray même de temps en temps dans ce recit, & ils serviront peut estre à délasser un peu vostre esprit, & à vous rendre cette lecture plus agreable. Le Maistre de ce beau lieu vous paroîtra dans ces Vers sous le nom d’Alcandre.

Muses, à mes souhaits toûjours si favorables,
Meslez à mes accens vos concerts agreables ;
Et vous, Nymphes des eaux, & vous, Nymphes des bois,
Animez mon esprit, & soûtenez ma voix.
Le genereux Alcandre aujourd’huy vous l’ordonne ;
Qu’aux plus charmans transports vostre cœur s’abandonne.
Celebrez par vos airs tendres & delicats
Bellefont, l’ornement de ces heureux climats.
D’autres de son grand nom, dans leur fureur divine,
Pourront nous étaler l’éclat & l’origine,
Et dans un tas confus d’Ancestres glorieux
Montrer qu’il est encor plus grand que ses Ayeux.
D’autres nous parleront de sa grande sagesse,
De son brillant esprit, & de sa politesse.
D’autres enfin pourront, & sans temerité,
Loüer ses actions, son cœur, sa probité.
Nymphes, ce n’est point-là, ce qu’il faut pour luy plaire.
Un travail moins hardy peut mieux le satisfaire.
Celebrez avec moy ses Jardins & ses Eaux.
De tels chants, je le sçay, pour luy sont les plus beaux.
Imitateur des Dieux, d’une terre sterile
Il a fait un terroir en raretez fertile,
Et l’on cueille les fleurs & les fruits les plus doux,
Où l’on n’avoit foulé que ronces & cailloux.
Puis qu’à ses heureux soins nous devons cet ouvrage,
Pouvons-nous de nos Vers luy refuser l’hommage ?
Vostre zele pour luy du succés me répond ;
Déesses, avec moy chantez donc Bellefont.

Ce sont de semblables occupations, comme vous le sçavez, Monsieur, qui ont acquis tant de gloire aux Semiramis, aux Cyrus, aux Drusus, aux Pompées, aux Luculles, aux Mœcenes, & aux Augustes, & qui attireront encore à Louis le Grand les admirations de toute la Posterité, lors que parmy les soins de la Paix & de la Guerre, dont il a esté toujours l’Arbitre, elle verra qu’il a donné le temps que ses occupations heroïques luy laissoient, aux plaisirs les plus innocens, & les plus dignes d’un Heros, à Fontainebleau ou à Versailles, que toutes les Nations de la terre regardent déja comme la huitiéme merveille du monde.

Commençons donc par un Plan de la maison que Mr le Marquis de Tornac a fait bâtir pour sa commodité, comme pour le plaisir d’estre dans la Plaine auprés des Eaux & des Prairies, aprés avoir quitté l’ancien Chasteau de Tornac, situé sur une montagne voisine de Bellefond, qui pour la regularité & la beauté de ses appartemens, est un des plus considerables de ceux qui nous restent des siecles précedens.

Sur les bords du Gardon, dont l’onde toûjours pure
Fait retentir au loin un innocent murmure.
Quand sortant des Vallons qui captivoient son cours
Sur le sable elle fait mille & mille détours ;
Sur ses bords si connus, prés d’Anduze l’Antique,
S’éleve une Maison charmante & magnifique,
Où malgré les chaleurs & malgré les glaçons
Regne le doux Printemps dans toutes les saisons.
Quoy que tout y paroisse, & modeste, & champestre,
Tout y soûtient l’éclat & la grandeur du Maistre,
Et tout y ravissant les yeux & les esprits,
Par tout également on s’y trouve surpris.
A l’abord d’une belle & riche balustrade
Du costé de la cour releve la façade,
Et de l’autre costé regne un grand Corridor
Dans lequel sur le fer brillent le bronze & l’or.
Dés qu’on porte ses pas au dedans du Portique,
A deux Appartemens on voit qu’il communique.
De là, par un degré surmonté d’un Balcon,
Aprés trois reposoirs l’on arrive au Salon,
Dont le double Plafons en double Imperiale
Tous les traits les plus beaux de la Sculpture étale.
Au dedans on a peint les endroits curieux
Qui prés de Bellefont se presentent aux yeux.
L’on y voit les Ruisseaux, les Vallons, les Collines,
Les prochaines Forests, les Campagnes voisines ;
Enfin en racourcy, l’on y voit les desseins
De cette Maison même, & de tous ses Jardins.
Alcandre sans excés y mêla les dorures
Aux frises, aux Tableaux, aux Plafonds, aux bordures.
Aprés ce beau Salon un double appartement
Se fait voir dégagé, bien ouvert & charmant.
C’est-là que la nature, & l’art d’intelligence
D’Alcandre font briller l’esprit & la puissance.
Tous les sens à la fois y trouvent leurs attraits,
Et par mille beautez y sont tous satisfaits
Ajoutez à cela les differentes vûës,
L’air doux & temperé, les belles avenuës.
L’on n’y rencontre rien que de delicieux ;
En un mot, ce sejour paroist celuy des Dieux.

Comme la situation fait un des plus beaux agrémens d’un lieu de plaisance, vous ne serez pas fâché, Monsieur, d’avoir quelque idée de celle de Bellefont.

Soit que l’Astre du jour, ou se couche ou se leve,
De l’une & l’autre part un double mont s’éleve,
Qui défend la maison des extrêmes chaleurs
Que cet Astre brûlant fait ressentir ailleurs.
Un Bois même au Couchant par son touffu feüillage
En entretient toûjours la fraîcheur & l’ombrage,
Et par les doux accords de mille oiseaux divers.
Sans cesse il retentit des plus charmans concerts.
Vous vous y distinguez, Rossignols trop fidelles,
Lors que pour attendrir vos compagnes cruelles
Vous ne vous occupez & les nuits & les jours,
Qu’à chanter leurs rigueurs & vos tendres amours.
Vous y chantez aussi, Linotes admirables ;
Et vous, des Rossignals rivaux inimitables,
Pinçons, vous y montrez que vous estes jaloux
Que s’ils n’aiment pas mieux, ils chantent mieux que vous.
On découvre au Couchant un Canal d’eau courante,
Qui depuis sa naissance en des tuyaux errantes
Vient enfin rafraîchir grand nombre de poissons,
Qu’on n’expose jamais à de faux hameçons.
Alcandre de sa main en tout temps liberale,
Avec une bonté que nulle autre n’égale,
Comme un autre Prothée en l’Empire de l’eau,
Luy-même va souvent repaistre ce troupeau,
Qui malgré sa froideur, & malgré son silence,
Par ses bonds enjoüez, reconnoist sa presence.
Une vaste campagne, ou plutost un Vallon
Que forment deux costeaux d’où souffle l’Aquilon,
Fait à ce beau se jour une riche avenuë,
Et par mille beautez en termine la vûë.
Ce ne sont qu’oliviers, que vignes, que vergers,
Où paissent les moutons suivis de leurs Bergers.
Enfin de toutes parts, ou les moissons jaunissent,
Ou de Troupeaux paissans les montagnes blanchissent,
Et comme l’on ne voit que verdure & que fleurs,
L’on n’entend que concerts d’oiseaux & de Pasteurs.

Vous voyez, Monsieur, qu’il seroit difficile de rencontrer en aucun autre lieu une situation plus heureuse que celle-là. Il ne me reste qu’à vous parler du Jardin, qui est au midy de cette Maison, & qui luy donne la plus agréable veuë que l’on puisse souhaiter. On trouve d’abord une grande & longue Terrasse, ornée d’Espaliers, partagée par un Bassin bordé de gazons, d’où sort un grand Jet d’eau. L’on entre dans cette Terrasse par un petit Pavillon détaché qui domine sur l’entrée, & qui sert comme de Dôme, & de frontispice sur le portail de la grande avenuë. Elle est bornée de l’autre costé par un bois de haute fustaye, que les eaux du Gardon ont fait naistre sans aucune culture, & qui par une infinité de Peupliers, d’Aulnes & de Saules, confondus au hazard les uns avec les autres, fait voir des routes & de petits berceaux en mille endroits, & ne laisse pas d’estre aussi agréable, que si l’on avoit pris les plus grands soins à les planter & à les cultiver. Depuis le Rondeau du milieu de cette Terrasse, qui est, pour ainsi dire, le point d’où il faut voir tout le Jardin, on découvre d’abord par une pate d’Oye, trois allées, dont celle du milieu fait une perspective des plus belles, formant une grande route qui perce au travers des bois, dont la campagne est couverte, & qui ne se termine que par la Riviere, & ensuite par une colline, qui est à plus de quatre lieuës au delà. L’on y descend par un double rempart autour d’un large degré de gazons, à plusieurs marches, qui forment un amphiteatre de verdure des plus agreables qu’on puisse voir. Au bas de cet amphiteatre s’éleve un Jet d’eau, d’une hauteur & d’une force qui n’est pas ordinaire, & de part & d’autre sont deux Canaux, d’où sortent douze Jets d’eau, rangez si bien en égale distance, & sur la même ligne, que par leur disposition, leur abondance, & la chute reguliere de leurs eaux ; ils y font voir comme un mur de cristal, ou comme une tapisserie brillante de Perles & de Diamans, infiniment plus belle que toutes celles que l’aiguille & le pinceau ont jamais inventées. Derriere ces deux Canaux on rencontre deux grands berceaux de ce beau Laurier royal, semblable à l’Oranger, par la forme & la couleur de sa feüille, qui les bordent dans toute leur longueur ; si hauts & si touffus, que les rayons du Soleil n’y penetrent jamais.

Ah qu’il est ravissant sous de si beaux Lauriers
De chanter les Heros, ou sçavans, ou guerriers !
Qu’il est doux d’y former dans les plus belles festes
Des couronnes de fleurs pour en ceindre nos testes !
Qu’il est charmant enfin dans le vague des airs
D’y faire retentir nos ravissans concerts !
Dans son heureux repos, l’incomparable Alcandre,
D’une voix qui n’a rien que de grand & de tendre,
Y chanta mille fois & la nuit & le jour
La puissance de Mars, & celle de l’Amour.
Tantost tout enchanté de ses belles campagnes,
Il celebra ses bois, ses prez, & ses montagnes,
Et meslant ses accens aux murmures des eaux
Défia les concerts des plus charmans oiseaux.
Tantost dans les transports d’une chaste tendresse
Il chanta les appas de sa belle Maîtresse,
Et tantost d’un beau zele animé pour LOUIS,
Il immortalisa ses Exploits inoüis.
Echos, qui si souvent vous plustes à l’entendre,
Repetez, s’il se peut, ce que vous dit Alcandre,
Lors qu’il vous confia, de même qu’aux Zephirs,
Les secrets de son cœur & ses plus doux plaisirs.
C’en est fait, les Echos demandent audience.
Coulez plus doucement, ruisseaux, faites silence.
Et vous, petits oiseaux, n’en soyez point jaloux,
Alcandre va parler, dans le bois taisez-vous.
La douceur de sa voix doit toute autre confondre,
Il n’est que les Echos qui luy puissent répondre.

Les Vers qui suivent avoient esté faits par Alcandre, dix ans avant cette description de son Jardin de Bellefont.

Allez, biens éclatans, plaisirs trop renommez,
Il n’est point de plaisir dont mes sens soient charmez.
Comme d’estre en un lieu solitaire & champestre,
Dégagé de tous soins, sans contrainte, sans Maistre,
Libre d’ambition, paisible sans chagrin,
Passer au fond d’un bois, ou le long d’un Jardin,
Et là, parmy les fleurs, ou couché dessus l’herbe,
Resver aux plus doux vers d’Horace ou de Malherbe.
Tantost prés d’un ruisseau, nonchalamment assis,
Repasser doucement les charmes de Philis,
Et tantost sur le bord d’une claire fontaine
Songer innocemment aux douceurs de Climene ;
De ces tendres plaisirs puis détournant le Cours,
Contempler d’un ruisseau mille petits détours,
Qui de ses eaux d’argent baignant une Prairie
Peint de mille couleurs une Plaine fleurie,
Et qui sortant de là tout fier, tout glorieux,
Roule sur des cailloux, d’un bruit harmonieux,
Et par un doux murmure endort si bien l’oreille,
Qu’à peine l’esprit sent, ou s’il dort, ou s’il veille ;
Entendre en même temps le chant de mille oiseaux,
Le doux bruit d’un zephir agitant des Roseaux,
Admirer le Soleil dans le cristal de l’onde,
Et le voir tout brillant de l’or qu’il seme au monde,
Parer les champs par tout de roses & de lis,
Semer de tous costez les perles, les rubis,
Et mille diamans qu’avec sa clarté pure
Une douce rosée épand sur la verdure,
Voir naistre en même endroit le serpolet, le thin,
La tulipe, l’œillet, le mirthe, le jasmin,
Et sentir à travers ce mélange agreable,
De cent douces odeurs un parfum admirable ;
Dans ces beaux lieux où Flore & Pomone ont regné
Estre quelquefois seul, tantost accompagné,
Rendre ses chers Amis témoins de ses delices,
Compagnons de son sort dans ces deserts propices,
Et goûter les charmans & les precieux biens
Des aimables propos, & des doux entretiens ;
Joyeux de voir des fleurs la charmante peinture,
Chacun dire à son tour sa plus belle avanture,
Et se laisser aller au plaisir ravissant,
De dire ce qu’on sçait, & tout ce que l’on sent,
Passer du serieux à de plaisans langages,
Et cessant de rêver, dire cent badinages,
De bagatelle, enfin se faire des plaisirs,
Au repos de l’esprit animer ses desirs,
Et pour celuy du corps sous un feüillage sombre.
S’endormir quelquefois à la fraîcheur de l’ombre.
Il n’est point de plaisir, il n’est point d’agrément,
Je le redis encor, plus doux & plus charmant,
Que d’aller aux moyens par où l’on peut accroistre
Le bonheur que produit la demeure champestre ;
Oublier les faux biens vainement poursuivis,
Oublier en un mot & la Cour & Paris,
Sans oublier pourtant les vertus infinies
D’un Roy dans qui le Ciel les a toutes unies,
Pour nous le faire voir le plus grand des Heros,
Oublier tout hors luy, ne songer qu’au repos,
S’attacher au present, bannir loin l’esperance,
Ne se repaistre plus d’une vaine apparence,
Vivre loin des Palais où le sort des humains
Est de déplaire à Dieu, pour plaire aux Souverains,
D’adorer la grandeur, la fortune, la pompe,
De preferer au Ciel le monde qui les trompe,
Et les biens apparens, à ces solides biens
Qui doivent faire seuls le bonheur des Chrestiens.
Grace à Dieu, maintenant je cherche la retraite
Que me peut assurer la Maison que j’ay faite,
Enceinte de forests, de vergers, de jardins,
De vignobles, de prez, ouvrages de mes mains,
D’eaux de mille façons dans une plaine errantes,
De rivieres, ruisseaux, & sources jaillissantes,
Et ce qui fait au fond mon charme dans ce lieu,
C’est que plus aisément j’y puis servir mon Dieu,
Obéïr à ses loix, suivre sa providence,
Mediter sur la mort, conserver l’innocence,
Joüir tranquillement d’une felicité
Qui traîne avecque soy l’aimable liberté,
L’agréable repos, les douceurs d’une vie
Exempte de remords, de malice, & d’envie,
Et sentir que songeant sans cesse à mon salut,
Bien vivre & bien mourir, est mon unique but.

Je ne sçay, Monsieur, ce qui vous paroistra plus surprenant dans ces Vers, ou la grandeur des sentimens, ou la delicatesse & la facilité des expressions, bien que Mr le Marquis de Tornac ne se soit fait aucune étude particuliere de la Poësie, & qu’il ne s’y soit appliqué qu’autant qu’il semble qu’un Gentilhomme le doit, pour n’en pas ignorer les Regles, & pour estre capable de juger des Ouvrages des bons Auteurs ; mais les beaux genies ont du talent, & des ouvertures pour tout, & ils semblent naistre avec tous les beaux Arts, & toutes les Sciences. C’est ce que vous sçavez par vous-même, Monsieur, vous, qui tout jeune, fustes regardé par les Poëtes & par les Orateurs, comme un de leurs maistres. Mais pour ne pas m’étendre davantage sur des Eloges, que vous meritez si bien l’un & l’autre, & que vous ne pouvez neanmoins souffrir, je pense qu’aprés vous avoir parlé des deux berceaux de lauriers, qui sont, pour ainsi dire, deux Arcs de triomphe, consacrez aux Heros de l’ancienne & illustre Maison de la Fare ; il faut vous donner encore une plus ample idée du Plan & de l’ordonnance de ce Jardin, & vous dire que sa figure est un grand Quarré regulier partagé en quatre, qui se divisent en seize compartimens égaux, par où sont distinguez les parterres & les vergers, & dont le tout est terminé par le canal d’un ruisseau, qu’une haye vive de buis taillez en plate bande de hauteur d’appuy, borde tout du long, & par une allée de Laurieteins, taillez en pallissade, avec des Cabinets de verdure aux coins, couverts de Chevres feüils, & ornez au dedans de banquettes & de lits de gazons. De ces carrez plusieurs differentes allées & contre-allées, en font le partage, de sorte que dans les cinq endroits principaux, où elles se croisent, il y a autant de jets d’eau avec leurs bassins, outre trois autres qui sont d’une hauteur surprenante, le long de la grande allée du milieu, qui aprés avoir percé un gros bois de Chastaigniers & de Peupliers, fait au delà du Jardin la grande route, & le grand point de veuë dont nous avons parlé, & qui a servi à faire un Mail si beau & si prolongé, qu’on peut dire qu’on ne voit rien de pareil pour le plaisir des Joüeurs, sur tout, en ce que tous les Jets d’eau de la maistresse allée y donnant à droit fil, y font un charme qu’on ne sçauroit trouver en un autre Mail. Le jet d’eau du centre de tout le Jardin, au niveau duquel sont les trois autres ; est orné d’un Bassin, revestu de pierre de taille, embelli d’une large bordure de gazons & de quatre banquettes au pied de quatre grosses coquilles de verdure, si élevées, si touffuës & si bien taillées, qu’en toute saison, quelque temps qu’il fasse, on est toujours à l’abri & à l’ombre.

A couvert du Soleil, de la pluye & du vent,
Et c’est où chacun va rêver le plus souvent.

A travers les eaux jaillissantes dans l’entre-deux des coquilles, l’on a encore le plaisir de trouver quatre points de veuë fort étendus, bien alignez, & tres-agreables pour la grande varieté des objets.

N’est-il pas beau de voir que sans suivre leur course
Ces eaux prennent l’essor, aussi haut que leur source,
Et qu’aprés avoir fait mille bonds Cristalins,
Elles tombent en pleurs dans leurs riches bassins ?
S’il est vray ce qu’ont dit des fables curieuses,
Ces eaux furent jadis de ces Nymphes heureuses,
Qui du temps que les Dieux habitoient parmy nous
Avoient plus fait entre-eux d’Amans & de Jaloux.
Pour elles plus souvent le grand Dieu du Tonnerre
Que pour sa Danaé, descendit sur la terre.
De ses brillans rayons Apollon couronné
Plus longtemps les suivit, qu’il ne suivit Daphné ;
Mars d’elles entesté jusques à la folie,
Encor plus les aima, qu’il n’aima son Ilie ;
Mais enfin tant de soins furent tous superflus
Elles fuirent toûjours & l’Amour & Venus.
Avec tant d’agrémens aussi chastes que belles,
Constamment à Diane elles furent fidelles,
Et malgré tous les soins de leurs Adorateurs,
N’aimérent jamais rien que les bois & les fleurs.
L’Amour ne leur donna jamais d’inquietude,
Et ne troubla jamais leur douce solitude ;
Heureuses mille fois, si le destin jaloux
Contr’elles n’eust enfin déployé son courroux.
Mais pendant qu’en repos dans ce charmant azile
Leurs beaux jours s’écouloient d’une course tranquille,
Le grand Dieu du Gardon, surpris de leurs appas,
Un jour de ce costé precipita ses pas.
Leur pudeur s’allarma de l’approche fatale
D’un Amant dont l’ardeur fut toûjours sans égale.
Elles poussent au Ciel les plus tristes accens,
Et font, pour resister, mille efforts impuissans.
Diane, à tous nos vœux favorable Diane,
Eloignez au plutost, éloignez ce profane,
Et vous, dont les Arrests ont reglé nostre sort,
Grands Dieux, ou vangez-nous, ou nous donnez la mort.
A grands pas cependant le Dieu du Fleuve avance ;
Et quelle contre luy seroit leur resistance ?
En vain comme la Biche à l’aspect du Chasseur
Elles fuirent d’abord devant leur ravisseur ;
En vain le desespoir leur fit naistre des ailes
Pour éviter d’un Dieu les approches cruelles.
Proserpine ne peut échaper à Pluton,
Ny nos Nymphes de même aux efforts du Gardon.
Quoy donc, sans s’émouvoir, les Dieux dans ces allarmes
Pourront voir ces beautez s’abandonner aux larmes,
Et Diane, malgré sa constante amitié,
Pourra de leur malheur n’avoir point de pitié ?
Non, sans doute, les Dieux, qu’interessent leurs peines,
Les changérent enfin en autant de fontaines,
Qui conservent encor, malgré leur changement,
Leur premiere innocence, & tout leur agrément.

Il est à propos maintenant de dire un mot des eaux courantes, qui embellissent & fertilisent la campagne de Bellefont. Le fleuve du Gardon, pour l’appeller une fois ainsi que nos Muses le nomment, aprés avoir fait canal à l’une des ailes du Jardin, & avoir ensuite serpenté dans la plaine, donne le plaisir de se faire voir encore bien loin tout droit au devant de la grande route, & de s’y montrer en face plus grand & plus beau, comme étendant plus regulierement ses eaux dans la vaste & delicieuse campagne, qu’il arrose & qu’il enrichit jusques au Pont du Gard, où il va rendre ses hommages au fameux fleuve du Rhône. C’est au Midy des prairies de Bellefont que le Gardon mêle ses eaux avec celles de la Riviere d’Orne, aprés avoir receu prés de là, celles de plusieurs petits torrens qui le grossissent. Jugez, Monsieur, sur le recit de tant de differentes beautez, la pluspart naturelles & rustiques, si tous les ornemens empruntez des Jardins de l’ancienne Rome, ont rien eu pour l’agrément de comparable aux charmes de Bellefont.

Qu’on ne parle donc plus des superbes Jardins
Par où se distingua le luxe des Romains,
Où l’on ne découvroit que Tableaux, que Statuës,
Que Portiques de Marbre élevez jusqu’aux nuës
Où bien loin de fouler les fleurs, & les gazons
Qu’à Bellefont on foule en toutes les Saisons,
Au mépris des plaisirs que la verdure inspire
On ne fouloit aux pieds que Jaspe & que Porphire,
Où parmy quelques rangs d’arbres infructueux
Cent Colomnes par tout se presentoient aux yeux
Alcandre eu ses projets & grand & magnifique
Ne veut dans ses jardins rien qui ne soit rustique.
Il ne peut de l’orgueil écouter les desirs
Où ne doivent regner que Flore & les Zephirs,
Et méprisant aux Champs tout ce Faste inutile
Qu’à peine sa vertu supporte dans la Ville,
Il rit de tant de soins & vains & superflus,
Que donnérent aux leurs Mœcene & Lucullus.
A Bellefont aussi l’on ne voit que verdure,
Et que les agrémens de la seule nature
Berceaux sombres & frais, maroniers, Orangers,
Jets d’eau, bassins & fleurs, espaliers & Vergers,
Enfin les seuls plaisirs qu’aux champs on peut attendre,
Occupent tout l’esprit & tout le cœur d’Alcandre.
Ce qui pourtant me semble étaler plus d’attraits.
Ce sont de doubles rangs de verdoyans Cyprés,
Qui par un Art sçavant taillez en balustrades
De quatre endroits divers offrent des promenades.
N’est-il pas surprenant par des secrets nouveaux
Que ces Arbres jadis consacrez aux tombeaux,
Aujourd’huy destinez à de meilleurs usages,
N’inspirent que la joye avec leurs doux ombrages,
Et que sans élever leurs branches au hazard,
Ils puissent se soûmettre à tous les soins de l’Art ?
Ouy, les uns seulement plantez depuis trois lustres,
Sont metamorphosez en autant de balustres.
Les autres avec art en coquilles taillez,
Et de petites fleurs en Hiver émaillez,
Au plus bruslant Esté presentent à toute heure
Un azile charmant, une douce demeure,
Et les autres enfin, à plein vent dans les airs,
Elevent jusqu’au Ciel leurs rameaux toûjours verds.

Entre les Ciprés qui sont tenus bas, ainsi taillez & figurez en forme de balustre, & separez en égale distance, regne une petite bordure de buis, taillée aussi d’une figure agréable, qui les joint d’un pied à l’autre. Ces sortes de bordures ont esté inconnuës aux Anciens dans leurs Jardins, où tout estoit confondu sans ordre & sans distinction, & c’est ce qui a donné occasion à la Fable suivante.

Comme les plus grands Dieux, ainsi que les Mortels,
S’abandonnent souvent aux douceurs de la joye,
Et quittent volontiers l’encens & les Autels,
Pour joüir du plaisir que le Ciel leur octroye,
Le jour vint que Bacchus les devoit à son tour
Regaler en festins, en bals, en jeux d’adresse,
Et choisir pour cela le plus charmant sejour
 Et le plus propre à l’allegresse.
Tous les Dieux d’alentour s’en vont au rendez vous,
 Pour y voir les bouffonneries
Des Faunes, de Silene, & de cent autres fous,
 Celebres en plaisanteries.
 Au milieu de tant de beautez
Flore, la jeune Flore avec son air champestre,
 Dans la Troupe osa bien paroître,
Sans nul ajustement propre aux Divinitez.
Il est vray qu’elle estoit du plus charmant corsage
Qu’elle avoit tous les traits les plus beaux du visage,
 Et que le brillant du Soleil
A celuy de ses yeux n’avoit rien de pareil.
Ses cheveux neanmoins sans guirlande & sans tresse,
Flottoient negligemment sur son sein & ses bras,
Et l’on n’y voyoit rien d’une grande Déesse,
Que l’extrême douceur de ses tendres appas.
A son premier abord les Faunes & Silene,
 Avec un sourire affecté,
 Et d’une maniere inhumaine,
 Railloient de sa simplicité.
Cybele de chagrin & de colere outrée,
Voulut faire cesser leurs cris injurieux,
Et l’ayant & de buys, & de mirthe parée,
Elle la ramena dans la Troupe des Dieux.
Ce fut alors enfin, que la charmante Flore
 Etala tant de doux attraits,
 Qu’avec plus de brillant l’Aurore
Sur son char de rubis ne se montra jamais.
 Elle inspire à tous la tendresse,
Elle entraîne aprés soy les Jeux & les Plaisirs,
 Et des doux & tendres Zephirs
La Troupe gayement à la suivre s’empresse,
Plus aise de la voir de mirthes & de buys
 Se parer sans fard, sans finesse,
 Que si la charmante Déesse
Eust pris soin de s’orner de perles & rubis.

De là vient qu’en ces derniers Siecles, dans les Jardins des Rois, & dans les Parterres des Grands, le Buis est devenu si recommandable.

Enfin, Monsieur, je vous envoye la description que vous avez desirée. Je n’avois pas cru la faire si longue, ny d’un si grand détail ; mais j’y ay esté forcé par les differentes beautez de ce Jardin, ayant eu le loisir de les contempler long-temps, & de les considerer distinctement sur les lieux à Bellefont même, où j’ay goûté souvent seul, souvent en bonne compagnie, le charme que chacun trouve à se promener dans ces routes & dans ces allées, au bord de ces Fontaines, de ces Ruisseaux & de ces Rivieres, & parmy ces fleurs, ces fruits, & ces arbustes. Je n’avois plus rien à souhaiter, Monsieur, que l’honneur & le contentement de m’y promener avec vous. C’eust esté, je vous avouë, le comble de ma joye, comme c’estoit le plus fort de mes desirs. Je suis Vostre, &c.

Le petit Ouvrage que j’ajoûte à cette Description est de Mr de Mandajors, Fils de Mr de Mandajors, Juge en la Cour des premieres Appellations de la Ville & Comte d’Alés, dons vous avez vû autrefois plusieurs pieces de Prose & de Vers. L’occasion qui a donné lieu à sa composition, a esté le sejour que l’Auteur a fait chez Mr le Marquis de la Fare Tornac, dans sa Maison de Bellefont, où ayant vû la Description dont je viens de vous faire part, il a cru ne pouvoir mieux employer son talent pour la Poësie, qu’en travaillant sur le même sujet, & en tâchant de celebrer par ses Vers la beauté du lieu, & la magnificence du Maistre.

Que je suis content, cher Amy,
Dans cette agreable retraite !
A la Ville, à la Cour, on ne vit qu’à demy ;
On n’y gouste jamais une douceur parfaite.
De craintes, de soucis, de soins tumultueux,
 Un Amant agité sans cesse,
 Y pousse pour une Maistresse,
 Mille soupirs infructueux.
 Abusé par l’erreur commune,
 L’Ambitieux dans son avidité,
 Prefere l’ombre à la solidité,
 Et sacrifie à sa fortune,
 Son repos & sa liberté.
 L’Avare avec ses biens immenses,
 Craint toûjours de mourir de faim,
 Et s’expose à manquer de pain,
Pour vouloir lésiner sur les moindres dépenses.
Le Plaideur occupé du soin de ses Procés,
En attend chaque jour avec impatience,
 Le bon ou le mauvais succés ;
Et flote jusqu’au jour où finit son Instance,
 Entre la crainte & l’esperance.
L’Yvrogne un peu trop tard sortant du Cabaret,
Rencontre en son chemin la Patroüille ou le Guet,
Qui le mene cuver à coups de Hallebarde,
 Le vin qu’il a pris au Buffet,
 Sur les planches d’un Corps de garde.
 Le Joüeur est toûjours chagrin ;
 Si quelquefois il est dans l’opulence,
Il retombe souvent du soir au lendemain
 Dans une si grande indigence
Qu’il est contraint de vendre en cette extrémité,
 Pour fournir à sa subsistance,
Ce que pendant le cours de sa prosperité,
 Fort cher il avoit acheté.
La Coquette qui veut faire rendre les armes,
A tous les jeunes cœurs met en œuvre le fard,
 Pour se donner de nouveaux charmes ;
Mais c’est en vain qu’elle a recours à l’Art.
Ces faux attraits dérobent à la vûë,
 Ceux dont le Ciel l’avoit pourvuë,
 Et dégoûtent ses partisans ;
 Au lieu d’accroistre la cohuë.
Il n’est pas jusqu’aux Artisans
 Que dans Alés le trouble n’accompagne ;
Et moy je vis heureux dans la belle campagne,
D’un genereux Marquis, que son illustre sang,
Ses vertus, ses emplois, son zele pour son Prince,
 Ont mis au premier rang,
 Des Seigneurs de nostre Province.
 C’est dans ce paisible sejour
Que sans m’informer de Sylvie,
 Je passe doucement la vie,
Libre d’ambition & rebelle à l’Amour.
 Tantost couché sur un lit de verdure,
J’admire de ces lieux la naissante parure,
 Et prens plaisir d’entendre les oiseaux,
Mesler leurs doux accens au murmure des eaux.
Tantost pour amasser la tendre violette,
 Je m’assieds sur l’herbette.
Deux berceaux de Lauriers toûjours sombres & frais,
  Et quatre vertes balustrades
Que forment à l’envi le buis & le cyprès,
 M’offrent d’aimables promenades ;
Et quand j’ay parcouru tous les compartimens
  De ces Jardins charmans,
  Dans le fond d’une allée,
 Impenetrable aux rayons du Soleil,
 Je m’abandonne aux charmes du Sommeil ;
Par là de tout soucy mon ame est délivrée.
  Si le temps pluvieux,
 Quelquefois m’interdit l’entrée
 De ces endroits delicieux,
 D’une Galerie élevée,
 Qui domine sur les Jardins,
Je vois les eaux du Ciel faire enfler les bassins,
 Inonder la campagne entiere,
 Augmenter le cours d’un ruisseau,
Et grossir tout d’un coup une grande riviere,
 Qui laissant son lit ordinaire,
 A travers champs se fait un cours nouveau,
Et semble desoler les campagnes fertiles ;
 Mais je vois peu de temps aprés,
Dans ces Prez par ces eaux tranquilles,
 Paroistre de nouveaux attraits.
 Enfin dans cette solitude,
Je gouste des plaisirs qui m’estoient inconnus,
 Et que je ne pouvois connoistre ;
 Mais, cher Ami, pour te dire encor plus,
Si je n’y suis heureux, pour le moins je crois l’estre.

[Promenade de Madame la Duchesse de Bourgogne à Puteau & à Longchamp] §

Mercure galant, septembre 1700 [tome 9], p. 130-133.

Le 3 de ce mois, Madame la Duchesse de Bourgogne alla à Puteau chez Madame la Duchesse de Guiche, qui ne l’attendoit pas. Si tost qu’elle y fut arrivée, elle se mit dans une petite Caleche découverte, dans laquelle elle fit monter avec elle quatre de ses Dames, & alla se promener le long de la Riviere, qu’elle passa dans le Bac de Surenne, pour aller à Longchamp. Elle entra dans le Convent, où les Religieuses fort surprises d’un honneur auquel elles ne s’attendoient pas, la receurent avec de grandes marques de joye, & beaucoup de politesse. Elles la conduisirent par toute leur Maison, & luy presenterent des rafraîchissemens & des confitures seches, n’ayant pas le temps de faire préparer une Colation dans les formes, parce qu’il estoit six heures & demie. Madame la Duchesse de Bourgogne leur témoigna beaucoup de satisfaction de la reception qu’on luy avoit faite, & aprés les avoir remerciées, elle repassa la riviere dans le même Bac, & retourna chez Madame la Duchesse de Guiche, dont la maison paroissoit toute en feu par la grande quantité de bougies allumées dans tous les appartemens, dont les croisées estoient ouvertes. Les Paysans & les Paysanes de Puteau dansérent dans la Cour, aux violons & aux chansons, pour réjoüir Madame la Duchesse de Bourgogne, lors qu’elle fut rentrée. On luy servit ensuite une Collation magnifique, & elle partit de Puteau à huit heures & demie, & arriva à dix à Versailles.

[Reception faite à Mr de Zurlauben en Suisse] §

Mercure galant, septembre 1700 [tome 9], p. 133-138.

Mr le Comte de Zurlauben, Maréchal des Camps & Armées du Roy, estant à Soleure, Ville de Suisse dans le Canton de ce nom, rendit visite à Mr l’Ambassadeur de France, qui alla le voir le lendemain. Les Seigneurs du grand & petit Conseil de ce Canton, luy envoyerent des presens de Vin, & le firent complimenter avec de grandes marques d’estime & de consideration. Tous les Seigneurs du Canton de Zug, qui l’attendoient, envoyerent cinq lieuës au devant de luy deux Banderets, principaux Officiers de guerre de cet autre Canton, accompagnez des Trompettes de la Ville, & de cinquante Cavaliers, tant Officiers que Bourgeois, pour le recevoir, avec ordre de l’accompagner jusque dans la Ville. Ils luy firent tous les honneurs que son merite luy donnoit sujet d’attendre. Il fut salué dans tous les Villages par où il passa, de plusieurs décharges de Mousqueterie. Mr l’Abbé de Mourg, l’un des principaux Seigneurs de toute la Suisse, & qui ne rend les honneurs chez luy qu’aux personnes du premier rang, envoya son Chancelier une lieuë au devant de luy, avec tous les Officiers de son Abbaye, pour luy faire compliment, & le prier de venir coucher chez luy, où il fut receu avec beaucoup de magnificence. Le lendemain il arriva à Zug aux acclamations de tout le Peuple. On luy fit une Entrée dans toutes les formes. Il trouva à un quart de lieuë en deça de la Ville un Corps de Troupes en bon ordre, qui le saluerent de plusieurs décharges de Mousqueterie ; ce qui fut suivi, lors qu’il s’approcha de Zug, de soixante coups de Canon, & d’un fort grand nombre de Mortiers. La foule estoit grande de tous les costez. Il ne fut pas plûtost arrivé chez luy, que tous les Seigneurs du grand & petit Conseil le vinrent complimenter, ce que le Clergé fit à son tour, sans que les presens de Vin fussent oubliez. La nuit venuë, on le regala d’un fort beau feu d’artifice, qui fut tiré sur le Lac. Mr de Zurlauben est d’une Maison des plus anciennes, & ses Ancestres ont toujours esté fort attachez au service de nos Rois. L’un d’eux en rendit de si considerables au Roy Charles IX. que pour les reconnoistre il luy fit porter dans ses Armes une Fleur de lis d’or en champ d’azur.

[Elegie] §

Mercure galant, septembre 1700 [tome 9], p. 138-144.

Je vous ay déja envoyé plusieurs Pieces de l’Auteur du petit ouvrage que vous allez lire. Il est de Mr Alison, Avocat au Presidial de Nismes.

ELEGIE.

Sur le bord d’un ruisseau dont l’onde vive & pure,
Dans de riants côteaux erroit à l’avanture,
L’infortuné Tircis, tendrement agité
Du triste souvenir d’une ingrate Beauté,
De son cœur accablé sous le poids de sa chaisne,
Fit sortir ces accens qu’il formoit avec peine.
Helas ! volage Iris, pourquoy me livriez-vous
A tout ce que l’Amour sembloit avoir de doux,
Si de mon foible cœur l’ardeur tendre & constante,
Ne pouvoit retenir vostre foy chancelante ?
Par combien de sermens & de regards flateurs,
Ont nourry mes desirs vos appas séducteurs ?
Combien de fois, helas ! dans ces lieux pleins de charmes,
Avez-vous appaisé mes trop justes allarmes ?
Ces amoureux transports, que je trouvois si grands,
Et ces soins empressez, n’estoient donc qu’apparens ?
Qui l’eust crû, qui l’eust dit, ô Beauté trop legere,
Que vostre cœur pour moy pust n’estre pas sincere.
Et lors que je pensois faire tous vos plaisirs,
Qu’un autre fust l’objet de vos plus chers desirs ?
Heureux, si quand ma flâme estoit encor naissante
J’eusse craint de vous voir quelque jour inconstante,
Ou plutost que vos yeux pour moy pleins de fierté,
D’un trop credule espoir ne m’eussent point flaté.
C’est alors, qu’éteignant ma flame encor nouvelle
Je vous aurois quittée ou legere ou cruelle ;
Trop heureux d’avoir pû me guerir pour jamais
Des maux où m’ont plongé vos dangereux attraits.
Ouy, j’aurois étouffé le feu qui me devore.
Vous m’estes infidelle, & je vous aime encore ;
C’est là ce qui m’irrite, & ma triste raison
Ne peut me délivrer d’un si mortel poison.
Pour oublier mes feux, ou bien vostre inconstance,
Je cherche vainement la nuit & le silence ;
Vostre image en tous lieux malgré moy me poursuit,
Je cherche le repos, & le repos me fuit.
Mon cœur desesperé s’efforce en vain sans cesse
D’étouffer pour jamais une indigne tendresse ;
Le triste souvenir de vos trompeurs appas
Irrite mes desirs, & ne les dompte pas.
Que dis-je ? quelquefois un espoir temeraire
Me flatte que bientost par un retour sincére,
Renonçant à l’objet qui cause mon couroux,
Vous sentirez pour moy ce que je sens pour vous.
S’il est vray, comme on dit, qu’un cœur que l’amour blesse,
Doive reprendre un jour sa premiere tendresse,
Que mon sort seroit doux, si ce cœur revolté,
Ne s’abandonnoit plus à sa legereté !
Mais, helas ! que me sert qu’un espoir inutile
Dans mon credule esprit trouve un accés facile ?
Quand j’ose me flatter de rallumer vos feux,
Vostre oubly me détrompe, & confond tous mes vœux.
Quoy ? tandis que pour vous dans ce lieu solitaire,
Je souffre, je languis, je meurs, je desespere,
Se peut-il qu’oubliant ma trop constante ardeur,
A d’éternels regrets vous condamniez mon cœur ?
Qu’est devenu le temps, où pour moy seul sensible,
Vous me juriez aux bords de cette onde paisible,
Qu’un jour on la verroit revenir sur ses pas,
Si vostre cœur brisoit des nœuds si pleins d’appas !
Ce temps n’est plus, helas ! vostre ame impitoyable
Se plaist à voir souffrir un Amant miserable.
Quoy donc, le triste estat où me reduit l’Amour
Ne peut-il de vos feux obtenir le retour ?
Rendez-vous, chere Iris, à ma perseverance ;
Rendez à vostre cœur sa premiere innocence,
Et tâchez d’oublier un rival trop heureux,
Tandis que j’oublieray vos infidelles feux.

Air nouveau §

Mercure galant, septembre 1700 [tome 9], p. 144-145.Dans le Recueil d'airs sérieux et à boire de juillet 1700 (Ballard, 1700, p. 130) figure un air de M. de La Coste dont la partie de dessus est identique à celle de cet air, à l'exception de variantes mineures (mes. 12 et 13) et de la tonalité (au ton supérieur dans l'édition Ballard). La basse continue diffère. On ignore s'il s'agit d'un air de La Coste harmonisé de deux manières, ou d'une mélodie connue harmonisée par deux compositeurs différents.

L'Air nouveau dont je vous envoye les paroles notées, est fort estimé des Connoisseurs.

AIR NOUVEAU.

L’Air qui commence par, Ainsi que mon amour ma foiblesse, &c. doit regarder la page 145.
Ainsi que mon amour ma foiblesse est extrême,
Malgré tout mon dépit, cruelle, je vous aime,
Et je ne puis aimer que vous.
Si vous n'approuvez pas le feu qui me devore,
Percez mon tendre cœur, je le livre à vos coups,
Mais craignez d'y blesser l'ingrate que j'adore.
images/1700-09_144.JPG

Avanture §

Mercure galant, septembre 1700 [tome 9], p. 159-168.

Voicy ce que Mr Cheron a envoyé pour Bouquet à Mademoiselle Lheritier, le jour de sa Feste. Vous sçavez qu’on luy a donné le nom de Telesille, & qu’elle s’est fort declarée contre l’Amour.

AVANTURE.

Je lisois l’autre jour avec attention
Un livre bien écrit, plein d’érudition.
J’y trouvois je ne sçay quelle délicatesse,
Du pompeux, du brillant, sans estre étudiez ;
L’enjoüé, le solide, adroitement liez ;
Le vif & le coulant de même politesse.
Tout flattoit mon oreille, & de là dans mon cœur,
 S’insinüoit avec adresse.
Il me ravissoit tant, qu’il suspendoit l’ardeur
 De l’amour qui toûjours me presse,
 Et j’y trouvois tant de douceur,
Qu’à peine je voyois dans un trouble flatteur,
 Qu’il parloit contre la tendresse.
C’estoit beaucoup pour moy, vous sçavez mon humeur.
L’Amour, assuroit-il, est un malheur extrême.
Il le faut toûjours fuir, il n’est Dieu que des Sots.
 Ce ne sont pas les mêmes mots,
Mais toûjours la pensée est à peu prés de même.
Il a raison, disois-je, il est vray, quand on aime,
 On n’a pas beaucoup de repos.
A l’instant j’apperçus un Dieu plein de colere,
Petit, mais dangereux, quand il est en fureur,
Et d’un courage à vaincre un superbe Vainqueur.
C’estoit le Dieu d’amour qui des bras de sa Mere
Estoit fondu sur moy d’une course legere.
Fier de ses doux baisers, petit enfant gasté,
 Et quoy qu’il puisse dire ou faire,
 Accoustumé d’estre flatté,
 Arreste, dit-il, temeraire,
 Rends ce livre, & que mon flambeau,
 En le brûlant, brille d’un feu nouveau.
Non, dis-je, Lheritier, mon éloquente Amie,
 L’a composé, je ne le rendray pas.
 Aussi-tost l’Amour en furie,
 Brise, renverse, fait fracas,
Livres François, Latins, renversez en un tas,
Sont foulez par ses pieds, funeste barbarie !
Je voy brûler Virgile, Artamene, Clelie,
Perse, Horace, Quinaut, & cent dont on fait cas.
Galans, ou non, sans choix, car dans sa frenesie,
Tout pour m’intimider devoit passer le pas.
 Le vostre seul entre mes bras,
 Me consoloit de l’incendie.
Quoy, dit-il, on se mocque ainsi de mon pouvoir ?
Je me mis à courir, & d’un pied fort agile ;
 Mais aussi-tost il me fit voir,
 Qu’un Dieu volant a l’aile bien subtile.
  Mon audace échauffe sa bile ;
Il tire, je tiens bon ; même en plusieurs endroits,
Pour me faire quitter il me brûla les doigts.
Je soufflois son flambeau, mais qui pourroit l’éteindre ?
Manquant de force alors, je me sentois contraindre
A ceder quelque coin, puis rentrant en fureur,
 Au même instant je voulois le reprendre ;
 Si j’en venois à mon honneur,
Par un autre costé je me laissois surprendre.
Bref, d’un dernier effort l’inutile vigueur
 Ne put m’empêcher de le rendre.
 Alors une vive douleur
Me fit faire un serment qu’il craignit fort d’entendre.
Hé-bien, dis-je, je vais te retirer mon cœur,
 Et pour jamais je te deteste,
Si ce livre subit un sort aussi funeste ;
Plus de poulets, adieu ; jamais en ta faveur…
 Si j’écris, tu verras le reste.
L’Amour victorieux eut un peu moins d’aigreur.
Perdre un tel Champion, le saisit d’une peur,
 Qui le rendit bonne personne.
 Il sçait fort bien que je suis une fleur
 Des plus belles de sa Couronne.
 Va, dit-il, je te le redonne,
J’ay triomphé, suffit ; mais apprens à l’Auteur,
Que si jamais j’en voy faire autant à sa plume,
Je brûleray l’Auteur, toy-même & le volume.
Ah, dis-je, ce seroit un peu trop de rigueur.
Voyez si vous auriez des raisons pour le faire,
Et ne croyez pas vaincre en forçant à se taire.
Tout le monde vit-il sous un même Seigneur ?
C’est estre, reprit-il, dans une erreur grossiére.
Tout l’Univers entier m’est un témoin contraire.
 Chacun doit au moins une fois
 Me rendre un hommage sincére,
 Gens sçavans, Noblesse, ou Vulgaire ;
 Même des Pays les plus froids ;
Quelque âge que l’on ait & quelque caractere,
Tous les autres partis ne sont pas d’un bon choix ;
Avec l’indifference on fait triste figure.
 C’est prétendre vivre sans loix ;
C’est vouloir renverser l’ordre de la nature,
Vouloir se distinguer des Princes & des Rois ;
 En un mot, c’est faire une injure
Au reste des Mortels qui fléchit à ma voix.
Deux mots en valent cent d’un stile aussi sublime.
 Je ne jugeay pas à propos,
 De poursuivre plus loin l’escrime.
Ainsi je fus forcé de confesser tout haut,
Que si de fuir l’Amour n’estoit pas un grand crime,
 Du moins c’estoit un grand défaut.
Corrigez-vous en donc & suivez la Maxime,
 On ne sçauroit s’en corriger trop tost.

[Impromptu] §

Mercure galant, septembre 1700 [tome 9], p. 168-169.

Mademoiselle Lheritier aprés avoir lû ces Vers, fit cet Impromptu qu’elle envoya pour réponse à Mr Cheron.

Vostre galante Muse, ingenieux Cheron,
 Ma loüange trop exagere.
 Si son Eloge estoit sincere,
 Quand j’auray passe l’Acheron,
 Mon nom couronné de lumiere,
Resteroit à jamais dans ce sejour mortel,
 Brillant d’un éclat éternel ;
 Mais ces jolis panegiriques,
Que vostre esprit tourn' si galamment,
 Produit avec tant d’agrément,
 Sont des licences poëtiques.
 Au reste n’ajoûtez pas foy
 A ce que l’Amour en colere
 Vous a dit de fatal pour moy,
Le feu de son flambeau ne m’épouvante guere.
 Quoy qu’ose dire sa fureur,
 Souvent qui menace a grand’ peur.

[Prix donnez par Mr l’Evesque de Noyon.] §

Mercure galant, septembre 1700 [tome 9], p. 169-173.

Mr l’Evesque de Noyon sçachant qu’il n’y a rien qui donne plus d’émulation à la Jeunesse pour avancer dans ses Etudes, que les récompenses, & sur tout lorsqu’elles sont publiques, a donné les Prix qui ont esté distribuez cette année au College des Jesuites de la Ville de Compiegne, dont la Jeunesse est fort studieuse, & a de tout temps aimé les Lettres. Ces Prix ont esté distribuez à l’ordinaire, à l’issuë de la Tragedie que les Ecoliers joüent tous les ans, comme on le pratique dans toutes les Villes où les Jesuites ont des Colleges. Voicy ce qui a servy d’ouverture à la Tragedie qui a esté representée cette année à Compiegne. Les Genies de la Noblesse, de la Religion, & des beaux Arts, se disputérent à l’envy les bonnes graces de Mr l’Evesque de Noyon, & par le détail des bontez qu’il a pour chacun d’eux, ils prétendoient tous avoir le premier rang dans son cœur. Le Genie de la Maison de Tonnerre vint les accorder, en leur faisant entendre qu’ils luy avoient tous également obligation, & que dans un jour où tout conspiroit à loüer la magnificence de cet auguste Prelat, il leur siéioit mal de disputer entre-eux, & de troubler une si agreable Feste.

Comme ces sortes de Tragedies sont toûjours accompagnées d’un Ballet, celuy qui fut dansé au College Royal des Jesuites de Compiegne, avoit pour titre le Triomphe de la Religion. Le dessein de ce Ballet estoit de faire connoistre ce que Mr de Noyon a fait pour la gloire de la Religion ; ce qui se remarqua dans les trois parties de ce Ballet, où l’on vit :

Ce que ce pieux Prelat a fait pour établir la Religion.

Ce qu’il a fait pour l’étendre.

Ce qu’il a fait, & ce qu’on luy voit faire encore tous les jours pour la conserver.

[Eglogue] §

Mercure galant, septembre 1700 [tome 9], p. 173-181.

Je ne vous puis dire qui est l’Auteur de l’Eglogue que je vous envoye. Vous y trouverez des choses qui ne vous déplairont pas.

A
MADAME LA MARQUISE
DE MONTELUS.

O Vous qui des vertus avez l’heureux partage,
 Vous qui jugez des plus beaux airs ;
 Recevez mon rustique hommage,
Et daignez pour un temps écouter mes concerts.
 Sans vostre bonté caressante
 Je serois moins audacieux.
 Combien de fois, d’un souris gracieux,
Avez-vous rassuré ma Muse encor tremblante ?
Aprés avoir chanté les rochers & les bois
 Sur les doux sons de ma Musette,
 Un jour je prendray la Trompette,
 Pour chanter les fameux Exploits
Des grands Heros de vostre illustre race ; *
 Mais pour chanter tant de Combats
 Le Dieu qui préside au Parnasse
 Peut-estre n’y suffiroit pas.
 Ecoutez cependant la plainte
D’un Berger que l’Amour a rangé sous ses loix ;
 Son cœur s’exprimera sans feinte,
 On n’aime pas autrement dans les bois.
A l’ombre d’un Ormeau, dessus l’herbe naissante,
Des Bergers preparoient une Feste galante ;
A l’envi chacun d’eux attendoit ce beau jour,
Dans l’innocent desir de montrer son amour.
L’un, des plus belles fleurs avoit orné sa teste,
Un autre meditoit une illustre conqueste,
Et pour plaire à l’objet qui causoit ses transports,
Faisoit de son Hautbois, oüir les doux accords.
Tircis, de cent couleurs avoit peint sa houlette,
Lycas mesloit sa voix au son de sa Musette.
Ce Berger que l’amour rendoit ingenieux,
Dans le flatteur espoir d’arrester les beaux yeux
De la jeune Philis, cette Amante infidelle,
Preparoit pour ce jour une Danse nouvelle.
Tout respiroit la joye, & par cent jeux divers
A de nouveaux plaisirs leurs cœurs estoient ouverts.
Tout flattoit leur amour, quand un cruel Satire,
Trop sensible aux attraits de la charmante Amire,
Amire, qui faisoit leur plus bel ornement,
La ravit sous les yeux presque de son Amant.
Il ne fut point touché de voir couler ses larmes,
Il n’eut aucun respect pour l’éclat de ses charmes ;
Mais le barbare épris d’un amour furieux,
Malgré tous les Bergers l’arracha de ces lieux.
Que cet enlevement leur causa de tristesse !
Il dissipa bien-tost toute leur allegresse,
Et perdant à regret de si rares appas
Ils voulurent tenter de courir sur ses pas.
Helas ! ce fut en vain ; le cruel par sa fuite
Ne laissa point d’espoir à leur vive poursuite.
Le fidelle Eurilas plus sensible que tous,
Luy qui chante des airs qu’on a trouvez si doux,
Luy qui sent pour Amire une flame si pure,
Ressentant vivement cette cruelle injure,
Et le cœur déchiré par de vives douleurs,
Ne s’est plus occupé qu’à répandre des pleurs.
L’autre jour accablé de l’excés de sa peine
Il s’assit sur les bords d’une claire fontaine,
Et pensant aux rigueurs de son sort malheureux,
Fit entendre aux Echos ces accens douloureux.
Ruisseaux, qui conservez vostre onde toûjours pure,
Suspendez le doux bruit d’un si charmant murmure.
Ruisseaux, ne coulez plus ; & vous, gazons naissans,
Qui d’un tendre sommeil sçavez charmer les sens,
Ressentez vivement cette cruelle absence ;
Amire vous ornoit par sa douce presence.
Et vous, petits Oiseaux, habitans de nos bois,
Ne soyez plus jaloux des accens de sa voix.
Elle ne viendra plus sous ces touffus ombrages,
Défier par son chant vos plus tendres ramages.
Oiseaux, chantez vos airs les plus melodieux,
Ma Bergere en chantoit qui charmeroient les Dieux.
Bergers, quand vous irez chercher les pasturages,
Contenez vos Troupeaux le long de ces rivages,
Et sur tout, gardez-bien qu’ils ne brouttent les fleurs
Dont Amire paroît ses traits toûjours vainqueurs,
(Pour orner un beau corps innocens artifices.)
Ma Bergere en faisoit ses plus cheres delices,
Sa main les cultivoit, & lors que les hivers
De leurs tristes frimats desoloient l’Univers,
Ils respectoient les fleurs que cultivoit Amire,
Rien ne les agitoit que l’aimable Zephire.
Ne vous attristez point, croissez, aimables fleurs,
Croissez, ainsi croistront mes mortelles douleurs.
***
A ces mots Eurilas voyant venir Titire,
Pour ne pas découvrir son amoureux martire,
Se teut, & luy cachant l’excés de son ennuy,
Se leva tout-à-coup pour s’éloigner de luy.
Titire l’apperçut dans le sein de la Plaine,
Tenir pendant longtemps une route incertaine,
Mais comme il recherchoit les lieux les plus secrets,
Il vit qu’il s’enfonçoit au plus fond des forests.
4

[Sonnet] §

Mercure galant, septembre 1700 [tome 9], p. 182-186.

Messire Louis Bazin de Bezons, Conseiller d’Etat ordinaire, Intendant de Guienne, & auparavant à Orleans, mourut à Bordeaux le Jeudi 9. de ce mois à trois heures du matin, regretté universellement par la haute estime qu’il s’estoit acquise. Il a esté enterré dans l’Eglise de Puypaulin, sa Paroisse, comme il l’avoit ordonné. Sa fermeté à envisager la mort a esté pareille à sa resignation. Mr de la Bourdonnaye son Successeur l’estant allé voir, il luy fit dire que s’il vouloit bien attendre qu’il eust reçu l’Extrême-onction, il seroit bien aise de l’entretenir, ce qu’il fit en effet pendant plus d’une heure, en luy parlant de plusieurs choses, qui regardoient l’estat des affaires de la Province. Il ne finit cette conversation que parce qu’il se sentoit affoiblir, le priant de luy donner encore quelque temps, le lendemain, si Dieu luy prolongeoit la vie jusque-là. Il n’a point laissé d’enfans. Madame de Bezons sa Veuve, qui est Sœur de Mr de Guenegaud des Brosses, cy-devant Ambassadeur en Portugal, s’est retirée dans le Convent des Filles de la Visitation, pour y demeurer jusqu’à ce qu’elle parte pour Paris. Mr de Bezons estoit Fils de Mr Bazin de Bezons, Conseiller d’Etat ordinaire, qui a esté vingt ans Intendant en Languedoc, & Frere de Mr l’Archevêque de Bordeaux, de Mr le Marquis de Bezons, Maréchal des Camps & Armées du Roy, & de feuë Madame le Blanc, Femme de Mr le Blanc, Maistre des Requestes. Voicy quatre Vers qui ont esté faits sur cette mort.

 Illustre par un grand genie,
Du nom de sa Famille il augmenta l’éclat ;
La Mort laissant durer longtemps sa maladie,
Sembloit n’oser éteindre un flambeau de l’Etat.

Je vous envoye un Sonnet en forme de Priere pour le Roy.

Seigneur, quand ta justice exerce sa vangeance,
Louis en cent combats défait tes ennemis ;
Ton courroux cesse-t-il, à tes ordres soumis,
Il leur donne la Paix, & borne sa puissance.
***
Ses Peuples vont joüir d’une heureuse abondance,
Et la Posterité de son auguste Fils
Affermit nostre espoir & l’Empire des Lis,
Mais en des biens plus grands il met sa confiance.
***
En naissant, tu le fis le bonheur des François,
En regnant, il dompta les plus superbes Rois,
En ton nom seul il fit & la paix & la guerre.
***
Donne donc à nos vœux, ô Monarque éternel,
Qu’entre les Rois, s’il fut le plus grand sur la terre,
Il soit entre tes Saints encor plus grand au Ciel.

[Devise] §

Mercure galant, septembre 1700 [tome 9], p. 187-188.

L’Auteur de ce Sonnet n’a voulu se faire connoistre que sous le nom de Tamiriste. Il a fait aussi une Devise sur la Paix. Elle a pour corps un Soleil sortant d’un nuage, d’où l’on voit que sont partis des foudres, & ranimant les fleurs d’une campagne, avec ces paroles qui luy servent d’ame, Ridet post Nubila Tellus. Ces Vers en font l’explication.

Comme aprés les éclats d’une foudre brûlante,
Soleil, par tes douceurs tu ranimes nos champs,
De mesme, aprés la guerre & ses effets sanglans,
Louis, donnant la Paix à la terre tremblante,
Ramene l’abondance, & nous rend tous contens.

[Madrigal] §

Mercure galant, septembre 1700 [tome 9], p. 188-190.

Il est toûjours temps de vous faire part de ce qui se compose pour l’Illustre Mademoiselle de Scudery. Sa Fauvette, qui a coutume de revenir tous les ans habiter les arbres de son Jardin, retarda beaucoup son retour au Printemps dernier. Elle en estoit en peine, & la croyoit perdue pour toûjours. Enfin elle revint, & Mr Moreau de Mautour luy envoya ce Madrigal, où il fait parler cette Fauvette.

Quoy vous avez douté, Sapho, de mon retour !
Quand Flore a ramené la verdure & l’ombrage,
Ailleurs qu’auprés de vous qui vantez mon ramage,
Où pourrois-je trouver un plus heureux sejour ?
Dans vos Vers si charmans tant de fois celebrée,
 Ne vous suis-je pas consacrée,
 Comme mes chants & mon amour ?
Si jadis Jupiter, Venus, Junon, Minerve,
 Ont eu leur oiseau favori,
Je veux que l’avenir pour moy seule reserve
L’honneur d’avoir esté l’oiseau le plus chery
De la Divine Scudery.

[Réponse à ce Madrigal par Mademoiselle de Scudery] §

Mercure galant, septembre 1700 [tome 9], p. 190.

Mademoiselle de Scudery fit cette réponse à Mr Moreau.

Vostre Madrigal est galant,
Il est naturel & sçavant,
Et j’ay regret, je le confesse,
De n’estre pas une Déesse.

[Feste donnée par Mr l’Ambassadeur d’Espagne] §

Mercure galant, septembre 1700 [tome 9], p. 190-192.

Le 2. de ce mois, Mr l’Ambassadeur d’Espagne donna une magnifique feste dans son Hostel. Il est d’un goust & d’une delicatesse à ne rien oublier dans tout ce qu’il fait. Il avoit assemblé chez luy Mr le Nonce, & un de ses Parens qu’il a icy ; Mr le Prince & Madame la Princesse de Nassau, Madame la Princesse de Furstemberg, Mr le Comte de Zintendorf, Envoyé de l’Empereur, & Madame la Comtesse sa Femme, Mademoiselle de Pessouïs, Dame de qualité Allemande, Mr l’Ambassadeur de Venise, Mr le Prince d’Aquaviva, Mr le Comte & Madame la Comtesse de Sor, & Mademoiselle leur Fille, & Mr le Chevalier de Croy. On leur servit un Repas des mieux ordonnez. Dés qu’on fut au fruit, les Violons & les Hautbois commencerent à joüer dans le Jardin. On monta ensuite dans la grande Salle, où l’on fut diverti par une agréable Simphonie. La feste finit par un Bal qui dura assez long-temps. Tout le monde se retira fort tard, & tres-content de Mr l’Ambassadeur & de ses manieres autant que de son Regale. Il a tout l’esprit du monde, & il est regardé icy avec autant de distinction par son merite personnel, que par son caractere.

[Theophraste, ou nouveaux Caracteres des Mœurs] §

Mercure galant, septembre 1700 [tome 9], p. 213-217.

Il paroist depuis peu une nouvelle Edition du Theophraste, ou nouveaux caracteres des mœurs. Ce Livre se debite chez Michel Brunet, dans la grande Salle du Palais, au Mercure Galant. Il me seroit difficile de vous en parler mieux qu’il en parle dans l’Avis qu’on trouve au commencement de cet Ouvrage. Voicy ce que contient cet Avis.

Malgré la juste prévention du public en faveur des Caracteres de Mr de la Bruiere, ceux du Theophraste Moderne ont eu le bonheur de plaire, quelque résolution qu’on eust prise de ne rien admirer dans ce genre d’écrire. La nouvelle Edition que j’ay esté obligé d’en faire trois mois aprés la premiere, justifie le merite de cet Ouvrage. Il a depuis acquis une perfection qu’il ne sieroit pas à l’Auteur de vanter, mais que je serois ingrat de ne pas loüer, puis que le grand & prompt debit du Livre est l’heureuse preuve que j’en ay. On verra dans cette Edition prés de deux cens caracteres ajoûtez. Les sujets en sont si nouveaux, qu’on n’accusera pas l’Auteur de n’estre que son propre Echo, ou le simple Imitateur de ceux qui ont écrit avant luy. Toutes ces augmentations renouvelleront, comme je l’espere, la curiosité publique. Les gens qui ne se lassent point de demander ce que l’on peut dire aprés Mr de la Bruiere, le connoistront, s’ils veulent donner un peu de temps à la lecture de cet Ouvrage. Le monde n’a pas laissé de changer de face depuis le peu de temps que cet illustre Ecrivain en est séparé. Autre Siecle, autres mœurs, par consequent autres caracteres. Il ne m’appartient pas de combattre la prévention des hommes, j’en laisse le soin aux Auteurs ; mon partage est de faire valoir leurs Ecrits. La chose n’est pas embarassante, quand on imprime d’aussi bons Livres que celuy qui vous occupe.

Je ne puis rien ajoûter en faveur d’un Ouvrage dont le succés est si grand, sinon qu’un Livre qu’on redonne au Public aprés plusieurs Editions, peut estre comparé à un Capitaine qui retourne au combat, aprés avoir souvent vaincu de redoutables Ennemis, puis que rien n’est plus à craindre que la critique du Public, & qu’en general il se trompe rarement.

[Ode Seculaire] §

Mercure galant, septembre 1700 [tome 9], p. 218-226.

On vient de rendre publique une Ode Seculaire Latine, que Mr l’Abbé Boutard a adressée au Pape Innocent XII. à l’ouverture de l’Année Sainte. Je vous en envoye la traduction. Elle est de Mr Moreau de Mautour, Auditeur en a Chambre des Comptes.

ODE.

O Soleil de l’Eglise, Astre plein de lumiére,
Qui du feu de ton zele enflammes tous les cœurs,
Recommence à nos yeux ta brillante carriere,
Pour répandre sur nous de nouvelles faveurs.
***
Rome à peine eut senti l’effet de ta presence,
Qu’on vit par tout la joye accompagner tes pas,
Aux champs Ausoniens renaistre l’abondance,
Et les Maux conjurez fuir en d’autres climats.
***
On vit des noirs forfaits la troupe mutinée
En proye à ses remords murmurer dans les fers,
Et la nouvelle Erreur confuse & consternée
Porter son desespoir jusqu’au fonds des enfers.
***
La nacelle de Pierre au milieu de l’orage
N’a pas moins éprouvé le calme le plus doux.
Conduite par tes soins, sans crainte du naufrage,
Elle a bravé les vents & les flots en couroux.
***
La Discorde & la Haine armoient toute la Terre :
Mais le Ciel favorable à tes justes souhaits
A calmé les fureurs d’une cruelle guerre,
Et Louis à sa gloire a preferé la Paix.
***
Sur l’Univers paisible exerce ton empire,
Que les Destins jaloux n’en troublent point le cours :
Et que ton front serein, pour qui Rome soupire,
Aux Peuples fortunez partage les beaux jours.
***
Mes vœux sont exaucez ; de ta face riante
Au milieu de ta Cour brille la majesté,
Et sur ton Char de pourpre une gloire éclatante
Raméne un nouveau Siécle & sa felicité.
***
Déja de toutes parts dans la Ville sacrée
Abordent chaque jour mille Peuples divers :
Malgré sa vaste enceinte elle paroist serrée,
Et Rome dans ses murs croit voir tout l’Univers.
***
Le temps respecte encor dans ses Places publiques
De son antiquité les restes précieux :
Ses superbes Palais, ses Temples, ses Portiques,
Attirent à l’envi les regards curieux.
***
Mais leur plus digne objet, c’est ta majesté sainte,
Quand de ta charité suivant les doux transports,
Des timides Pecheurs tu dissipes la crainte,
Et prodigues pour eux les celestes tresors.
***
Ils courent animez d’une ardeur salutaire
Au Temple que ton zele ouvre à leur pieté,
Et les Clefs, dont ta main est la dépositaire,
Servent à leur ouvrir l’éternelle Cité.
***
Déja du haut des Cieux les Graces assemblées
Viennent chez les Mortels établir leur sejour :
Dans leur troupe divine on voit toujours mêlées
La Verité, la Foy, la Justice & l’Amour.
***
L’auguste Pieté brille avec avantage,
Son Trône est élevé sur les sacrez Autels :
De ses Sujets zelez elle reçoit l’hommage,
Et se rend attentive aux besoins des Mortels.
***
Siecle cent fois heureux, où par tes soins fidelles
Tu parois accorder la Terre avec les Cieux,
Et par mille bienfaits pour nous tu renouvelles
Du tranquille âge d’or les temps delicieux.
***
On a vû les sept Monts en tressaillir de joye,
Et le Tibre trois fois applaudir à son tour :
Et du bruit éclatant que l’air frapé renvoye,
Trois fois ont retenti les rives d’alentour.
***
Cependant nuit & jour les Temples se remplissent
Des Peuples rassemblez de climats differens :
Là des Cantiques Saints les voûtes retentissent,
Et le zele y confond les âges & les rangs.
***
D’un esprit penitent & d’une ame attendrie,
Aprés avoir senti les secretes douceurs,
Quel plaisir n’ont-ils point de revoir leur Patrie,
Pleins des dons que la Grace a versez dans leurs cœurs ?
***
Dans leurs ardens transports ils redisent sans cesse,
Coulez, jours fortunez, inconnus aux Hebreux.
O jours si desirez de paix & d’allegresse,
Que vous ferez envie à nos derniers Neveux !

[Eloge du Silence] §

Mercure galant, septembre 1700 [tome 9], p. 227-264.

La Piece qui suit est de Mr de la Févrerie. Quelques loüanges qu’il donne au Silence, il en merite tant luy même, qu’il y a sujet de croire qu’on ne se taira pas aprés l’avoir lûë.

ELOGE
DU SILENCE.

Le Silence est une suspension de discours, qu’on ne peut representer par des paroles, & qui cesse d’estre au moment qu’on veut dire ce qu’il est. On le peint un doigt sur la bouche, pour nous apprendre que c’est en se taisant qu’on doit faire son Portrait. Mais comme l’écriture est muette aussi-bien que luy j’espere qu’elle exprimera parfaitement son Image sur ce Papier, & que l’Ecrivain & le Peintre auront le même privilege. Les traits noirs & sombres de l’écriture ordinaire luy conviennent encore mieux, que les couleurs vives & brillantes de la Peinture ; & il va paroistre dans ces ligues, comme dans une obscure forest, où les Poëtes nous disent qu’il fait sa demeure. Ce n’est pas néanmoins un Silence misterieux & taciturne que je veux décrire ; c’est d’un silence éloquent que j’entreprens la peinture ; c’est de la conversation muette que j’ay dessein de parler. Ouy, je n’avance point un Paradoxe. Il y a un Silence éloquent, & une conversation muette, qui se tait à propos, & avec esprit, parle toûjours assez, & dit mieux que les plus grands Orateurs.

Cet entretien, tout tranquille qu’il nous paroist, n’est pas sans mouvement, & sans action. L’air de la personne, ses yeux, les traits de son visage, font icy l’office de sa langue, & l’on voit dans un instant ce qu’elle pense, & ce qu’elle veut dire ; car s’il est en nostre pouvoir de nous taire, il ne l’est pas de même de retenir le mouvement interieur de nos passions, qu’un certain sang leger & subtil fait monter au visage, & y represente si bien ce que le cœur a de plus caché. Nostre ame est comme un papier mince & fin, dont le visage est le revers, & sur lequel on peut lire tout ce qui est écrit au dedans. Il faut donc bien regler les mouvemens de nostre ame, si l’on veut se taire interieurement, avant que de se taire exterieurement, & que l’un ne démente pas l’autre. On a dit d’un ancien Romain qu’il parloit avant que d’ouvrir la bouche, & qu’un certain air qui paroissoit sur son visage, rendoit son éloquence presque inutile. Ovide peint ainsi Germanicus, quand il écoute & garde le Silence. Sa posture, son air, son visage, ont quelque chose de spirituel & d’éloquent. Il n’y a pas, continue t il, jusqu’à son habit propre & modeste, qui ne fasse attendre de luy un discours plein de politesse, & de bon sens. Voilà une éloquence muette jusque dans les habits.

Le Silence donne même de la grace à la personne, & les femmes qui se piquent de paroistre belles, sçavent se ménager là dessus, & vaincre leur naturel, pour profiter de l’avis du Poëte, qui dit pour plus d’une raison, qu’une femme qui se tait en vaut beaucoup davantage : mais soit homme ou femme, il s’en trouve plusieurs qui se dédommagent bien à se taire du plaisir & de l’agrément qu’ils auroient à parler, ou plutost qu’ils perdent en parlant. Ils ont plus de douceur, ou plus de majesté. La bouche, & le port sont mieux ménagez dans le Silence que dans le Discours ; & pour un qui aura bon air en parlant, il y en a mille que la parole défigure. Pour ne rien dire de l’accent & du son de la voix qui gâtent souvent les plus belles choses, & qui donnent même du mépris pour la personne qu’on estimoit auparavant. Mais ce silence doit estre judicieux, naturel, & sans affectation ; autrement il est stupide, méprisant, & ridicule. On déplaist, & on fatigue quelquefois autant les gens en ne disant rien, qu’en parlant trop.

Si l’on en croit Salomon, le sage & le fou sont semblables dans le Silence ; c’est le voile de l’ignorance, comme la parole est la Pierre de touche de la science & de la capacité ; & qui distingue l’étourdy d’avec l’habile homme ; mais néanmoins il y a une grande difference entre une personne qui se tait par ignorance ou par stupidité, & un autre qui se tait par jugement. Il est facile de le remarquer sur leur visage, l’une & l’autre paroissent ce qu’elles sont, soit qu’elles parlent, ou qu’elles se taisent. Le stupide est interdit & embarassé, quoy qu’il ne parle pas ; ses yeux égarez, sa bouche entre ouverte, ses mains dans le mouvement, le font aisément connoistre. Le Sage au contraire a l’air libre, le visage assuré, & fait voir par sa contenance un silence raisonnable & volontaire.

Il y a de plusieurs sortes de Silence dans le monde, selon les differens lieux où il habite ; & qui ont du rapport à diverses personnes, qui se trouvent dans la conversation. Un Silence qui inspire l’horreur & l’effroy, & qui regne dans les bois, dans les deserts, dans les cavernes & dans les tenebres ; il paroist dans les gens d’une humeur sombre & noire, & qui gardent ce qu’on appelle un morne silence. Un Silence qui inspire le respect & la crainte, & qui regne dans les Temples & dans les Palais ; il paroist dans les Souverains, dans les Magistrats, & dans tous ceux qui sont d’humeur grave & serieuse, qui parlent peu & par mesure. Un Silence qui inspire l’ennuy & la tristesse, & qui regne dans les prisons, & dans tous les vilains lieux ; il paroist dans les personnes laides, affligées, distraites & rêveuses. Un Silence qu’inspire la joye & la tranquillité, & qui regne dans ces reduits, & dans ces lieux enchantez, où l’art & la nature se sont épuisez pour les embellir ; il paroist dans les belles personnes, d’humeur douce & agréable. Un Silence enfin qui inspire la confiance & la franchise, & qui regne sur la mer, pendant le calme & la bonace ; ou sur les eaux pures & tranquilles des Rivieres & des Fontaines ; il paroist dans les personnes artificieuses, dissimulées & politiques, ou dans celles qui sont sinceres, patientes & paisibles.

De tous ces Silences, ou plûtost de toutes ces personnes, il n’y en a que trois qui soient propres dans la conversation, les serieux, les agréables & les paisibles, parce que les uns sçavent se taire avec majesté, & les autres avec douceur & avec agrément. Leur silence, bien loin de faire mourir la conversation, sert à l’entretenir, & à luy faire reprendre haleine ; ainsi que les pauses dans un concert, pour délasser, & pour soutenir l’harmonie. Mais pour les trois autres, elles sont insupportables dans la conversation. Leur silence la rend suspecte, la rompt, la divise, & la dissipe. Il gêne, fait bâiller, ennuye, & fatigue. Tels sont les hiatus, les baillemens, & la cacophonie dans un Concert, car la Conversation doit estre comme la Musique.

Un mélange confus du silence & du bruit.

Et de même que dans les Concerts, on finit toûjours par les tons les plus approchans du silence, comme si l’harmonie n’estoit parfaite que par où elle a commencé ; la conversation doit toûjours rouler sur un ton qui approche du silence, & comme si elle alloit finir.

Il en est du Silence comme des couleurs sombres & mornes, qui rassemblent & réunissent les rayons visuels, trop dissipez par la lumiere : qui rassurent la vûë trop affoiblie par des couleurs vives & éclatantes, ausquelles on peut comparer les conversations brillantes, & tumultueuses. Enfin, si la perfection de la Peinture consiste dans une juste dispensation de la lumiere & des ombres, & dans ce qu’on appelle clair-obscur ; si la diversité & la beauté des couleurs se tire de l’artiste mélange du blanc & du noir, la belle conversation se forme de la sage œconomie du silence & de la parole.

Les Lettres Hebraïques sont pleines de misteres, prétendent les Rabins, & les Caballistes. Ils disent que Mem, qui est la troisiéme lettre qu’ils appellent mere, represente le Pere Eternel qui dans son repos garde le silence, & demeure renfermé dans son essence incomprehensible à toutes les creatures. Ils ajoûtent que cette Lettre comprime, & resserre les lévres, afin que rien n’entre dans la bouche & n’en sorte, ce qui est un signe de l’Ecriture, & un simbole du Silence. Il y avoit aussi plusieurs Hierogliphes chez les Anciens, & j’en remarque deux fort opposez, & qui meritent bien qu’on y fasse reflexion.

On le representoit tantost par un Poisson, & tantost par un Chien. Le Poisson est naturellement muet, & le Chien ne se tait que par discipline. Le premier est le simbole de ceux qui prennent le party de la retraite & de la solitude, & qui gardent un silence perpetuel & volontaire. Le second est le simbole de ceux qui dans les Compagnies, & dans le commerce du monde parlent avec circonspection, & ne disent que ce qu’il faut dire. Les uns & les autres meritent beaucoup de loüanges, mais à mon sens, les derniers en meritent davantage. Un Silentiaire porte avec luy sa récompense, & ne court aucun danger. Il est aisé de se taire quand on n’a personne à qui parler, & qu’on s’en fait une vertu, & un merite de Religion ; mais un homme public, dévoüé à la Chaire, ou au Barreau, ou bien,

Un de ces beaux parleurs de qui tout le mestier
Est d’aller caqueter de quartier en quartier ;

ne se tait, & ne garde le silence qu’avec une grande mortification. Tout l’invite à parler, on l’écoute, on l’applaudit, & il ne connoist point de silence que celuy qu’on fait pour l’entendre. Persuadé qu’il est par là, de son éloquence, emporté de passion, ou de zele, flaté de l’amour propre, & du son enchanteur de ses paroles, dont ses Auditeurs sont charmez ; quelle peine, & quelle violence n’est il pas obligé de se faire pour se retenir, & pour ne rien dire de trop, & plus qu’il ne faut ? Incapable alors d’attention sur soy même, & de remarquer qu’on s’ennuye de l’écouter, il s’abandonne au torrent qui l’entraîne, & ne s’arreste qu’aprés s’estre épuisé, & avoir fatigué son Auditoire. Imaginez-vous un Vaisseau qui a le vent en poupe, & qui cingle à pleines voiles ; un Char, dont les chevaux ont pris le frein aux dents, & qui roule, ou plutost qui vole dans une rase campagne : il faut un Pilote, & un Cocher habile pour les arrester, & pour éviter les écueils, & les précipices où il est prest de tomber. Il n’y a aussi que le sage Orateur qui dans les actions publiques, soit capable de se posseder, & de garder un judicieux silence.

Les Disciples de Pithagore estoient cinq ans sans parler, non-seulement parce qu’ils avoient besoin de ce temps là pour posseder à fond la doctrine de leur Maistre avant que de l’enseigner en public ; mais aussi pour apprendre à se taire, & à ne parler que bien à propos dans la conversation, & dans les Assemblées publiques. Les autres Philosophes estoient des babillards, & des Declamateurs à outrance, qui ne cherchoient qu’à parler, & à imposer aux autres un silence qu’ils ne pouvoient pratiquer. La seule Secte de Pithagore en faisoit profession & l’enseignoit par son exemple.

Le Sauveur du monde qui estoit la Parole même, s’est plus communiqué aux hommes par le silence, que par le discours. Dans les occasions les plus importantes de parler il a gardé un profond silence, & en se taisant, il a confondu la malice, & la curiosité des Juifs. Enfin il a toûjours aimé la retraite, & la solitude ; & presque toute sa vie s’est passée dans un continuel silence. Exemple qui prouve à la Lettre ce qu’un Ancien a dit, que les hommes nous apprennent à parler, & les Dieux à nous taire : & d’où l’on peut justement conclure avec luy, qu’une personne qui garde le silence approche en quelque sorte de la Divinité. Plus on est sage, sçavant, vertueux, & plus on est retenu à parler : l’austerité des mœurs, la sublimité du genie, la dignité de la condition le demande. Pour lors on s’explique plus noblement, & on se fait beaucoup mieux entendre par des signes que par des paroles. Toutes les passions trouvent même dans le silence des manieres plus éloquentes de s’exprimer que dans le discours, quand leur violence qui nous oste quelquefois la voix, & la parole nous reduit à les representer par des gestes, & par des signes. La nature parle seule, & le silence est l’éloquence du cœur. Rien ne persuade mieux dans l’amour & dans la colere : la plus tendre protestation, la plus terrible menace est le silence.

L’art oratoire, & l’art de chanter, où la voix & la parole sont dans leur perfection, reconnoissent neanmoins les agrémens & les avantages du Silence, & sçavent bien en profiter. La Rhetorique l’a mis au nombre de ses figures, & la Musique en a fait une de ses parties. L’une a le Tacet ; l’autre a la Reticence.

Le Silence n’est donc pas moins necessaire dans la conversation que la parole. Il faut se taire, & laisser parler les autres ; il faut quelquefois les arrester, & s’arrester soy même, pour supprimer cent choses qu’on ne doit pas dire, & qu’on ne veut pas contredire. Il faut beaucoup dire en se taisant par modestie, par tranquillité, par égalité, par patience, enseigne un saint Evêque de nostre Siecle, qui sçavoit joindre l’usage du monde avec la pureté des mœurs. En effet, cette maxime se doit pratiquer dans la belle conversation, comme dans les entretiens des Religieux les plus austeres. Il seroit à souhaiter que tous ceux qui entrent dans le commerce du monde, & qui courent de cercle en cercle, & de ruelle en ruelle, fussent persuadez de cette verité, qu’il y a un Silence qui fait tout l’agrément & toute la beauté de la conversation, & qui vaut mieux mille fois que tout ce qu’ils peuvent dire. Mais peu de gens sçavent le secret de cet ingenieux & agréable Silence. Tout le monde n’a pas le don de bien parler, tout le monde n’a pas aussi le don de se taire à propos ; c’est un art difficile à pratiquer, & même un Auteur moderne soutient que pour estre éloquent, il vaut mieux apprendre à se taire qu’à parler. Un autre bel Esprit assure qu’il y a un Silence qui parle, comme des paroles qui ne disent rien ; & une dixiéme Muse qui s’appelle la Taciturne, qui fait valoir toutes les autres. Un Academicien a défini fort juste le veritable caractere de cette dixiéme Muse, dans le compliment qu’il fit lors qu’il fut receu à l’Academie Françoise. Il est bon, dit-il, que vous ayez quelqu’un qui soit reservé pour cette Muse, à qui Numa Pompilius fit élever des Autels dans l’ancienne Rome, & qui préside à la science de se taire, & à l’art de bien écouter. Le Silence, dit agreablement un sçavant homme, est une chose si divine, qu’il merite bien qu’il y ait une Muse qui en fasse les honneurs. Ce fut avec raison que Numa Pompilius obligea les Romains à adorer cette Muse muette & silencieuse, puis qu’il tenoit d’elle la pluspart des enseignemens qu’il leur avoit donnez. En effet, que ne doit on point au Silence ? C’est le Pere de la Meditation, & la Meditation a mis au jour les Loix, les Reglemens, les Maximes, la Politique, & toute la conduite des hommes. C’est pourquoy un de nos Poëtes, sous le nom de la Muse de Chaville, a representé un illustre Chancelier, & un grand Ministre d’Etat, dans une solitude, où comme un autre Numa Pompilius il alloit souvent mediter les oracles qu’il rendoit ensuite par tout le Royaume.

Bien loin autour de luy regne un profond Silence.
C’est ainsi que ces lieux semblent le reverer.
Le plus petit Zephir n’oseroit respirer,
Les chansons des Oiseaux sont à l’instant cessées,
Tout craint de le distraire en ses hautes pensées.

La Nature agit sans éclat, & sans bruit dans ses plus admirables productions, & garde toujours un grand silence dans tout ce qu’elle fait ; ce qui devroit bien nous apprendre qu’on penetre plutost ses misteres par la meditation que par la parole. Aussi nous a-t-elle donné de doubles organes pour les découvrir, & ne nous a donné qu’une seule langue pour les expliquer. Nous avons deux yeux, & deux oreilles, & nous n’avons qu’une langue. C’est pourquoy l’étude du Sage qui suit les ordres de la Nature n’est qu’un perpetuel silence, qu’il observe même dans le commerce de la vie avec ses Amis : car le Silence est encore le Pere du Secret, aussi-bien que du mistere, & ce n’est qu’en se taisant qu’on merite la qualité de Confident. Mais c’est aussi de tous les Silences le plus difficile à garder, car c’est moins un effet de la prudence & de la discretion, qu’un don du Ciel reservé à peu de personnes.

Les Anciens sacrifioient à la Déesse Angeronne, c’est à dire, à la Déesse du Silence, & pendant le Sacrifice une Vestale accompagnoit le Grand Prestre avec un silence grave & majestueux,

Scandet cum tacita Virgine Pontifex,

dit Horace dans quelqu’une de ses Odes. Il y avoit dans la Vile d’Erithrez un Temple de Minerve, dont la Prestresse estoit nommée Hesichia, c’est à dire, qui demeure en repos, & qui est tranquille.

Ce culte silentieux convient tres-bien à la Divinité, puisque le Silence est en quelque façon, le Temple, & le Tabernacle de Dieu même, si l’on considere l’impenetrabilité de son essence, & de sa nature ; ou le Secret universel de toutes les choses qu’il a créées, & dont il s’est reservé la connoissance. Rien n’est aussi plus capable de representer sa grandeur & sa majesté. Il a toujours fait partie de ses plus hauts Misteres, & c’est la plus grande loüange qu’on luy puisse donner. Tibi silentium Deus in Sion, chante le Prophete couronné dans le Texte Hebreu. N’est ce pas de cette maniere que les creatures insensibles le loüent, & chantent sa gloire ; & que celles qui sont animées, & raisonnables, doivent répondre à cet Hymne misterieux, par un profond & respectueux silence ; seul Cantique qui soit digne de luy ?

 Que cette éloquence des yeux
 Sur la parole a d’avantage !
Souvent en se taisant on s’explique bien mieux,
 Et le Silence est le langage
 Le plus propre à loüer les Dieux.

Aprés ce que je viens de dire, faut il s’étonner si les Poëtes en ont fait une Divinité, & s’ils l’ont representé avec de si riches & de si magnifiques descriptions, dans les lieux où il tient son Empire, & lors qu’il preside aux grandes assemblées. Je n’en citeray point d’exemples ; les Sçavans ont la memoire chargée de ces beaux endroits ; & il est temps de finir un Discours que je consacre au Silence. Je pourrois tomber moy-même dans le défaut que je condamne ; car l’on n’offence pas moins ce Dieu en écrivant qu’en parlant ; & ma plume seroit aussi coupable que ma langue, si je poussois plus loin son Eloge.

Air nouveau §

Mercure galant, septembre 1700 [tome 9], p. 273-274.

L'Air nouveau qui a esté fait sur les paroles que vous allez lire, a fort plu icy à beaucoup de Connoisseurs.

AIR NOUVEAU.

L’Air qui commence par, On ne peut vous voir sans aimer, &c. doit regarder la page 274.
On ne peut vous voir sans aimer,
On ne peut vous le dire, Iris, sans vous déplaire
Je sens mon cœur s'en allarmer,
Il se plaint en secret d'une loy si severe.
On ne peut vous voir sans aimer
Ne peut-on vous le dire au moins sans vous déplaire.
images/1700-09_273.JPG

[Mort de Mr le Nostre]* §

Mercure galant, septembre 1700 [tome 9], p. 278-281.

Le Roy vient de perdre un homme rare, & zelé pour son service, & fort singulier dans son Art, & qui luy faisoit honneur. C’est Mr le Nostre, Controlleur General des Bastimens de Sa Majesté, Jardins, Arts & Manufactures de France. Le Roy l’avoit honoré de l’Ordre de Saint Michel, pour marquer l’estime & la distinction qu’il en faisoit. Jamais homme n’a mieux sçu que luy tout ce qui peut contribuer à la beauté des Jardins, & l’Italie même en convient. Pour tomber d’accord de son grand sçavoir là-dessus, il ne faut que jetter les yeux sur les Jardins de Versailles & des Tuilleries, & l’on ne pourra refuser l’admiration que l’on doit à ses ouvrages. Il ne laissoit pas autant de couvert dans les Jardins dont il ordonnoit, qu’auroient souhaité de certaines gens, mais il ne pouvoit souffrir les vuës bornées, & ne trouvoit pas que les beaux Jardins dussent entiérement ressembler à des Forests. Il estoit estimé de tous les Souverains de l’Europe, & il y en a peu qui ne luy ayent demandé de ses desseins pour leurs Jardins. On ne doit pas s’étonner si l’on a vu sous le regne du Roy de Grands Hommes de tous les Arts. Comme ce Monarque a soin de leur fortune, ils ont plus de temps pour étudier, & pour se rendre parfaits dans tout ce qui peut contribuer a la satisfaction & à la gloire de la France. Mr le Nostre est mort âgé de quatre-vingt-douze ans. Mr d’Egos, son Neveu, succede à la Charge de Controlleur general des Bastimens, dont le Roy avoit bien voulu luy accorder la survivance avant la mort de Mr le Nostre. Il est aussi Dessinateur des Jardins de Sa Majesté, qui luy vient de donner deux mille livres de pension. Il est fort habile & fort estimé. Il n’y a pas longtemps qu’il a fait un voyage en Angleterre, où il a fait travailler aux Jardins de Sa Majesté Britannique, qui l’a renvoyé avec beaucoup de loüanges & de presens.