1700

Mercure galant, novembre 1700 [tome 11].

2017
Source : Mercure galant, novembre 1700 [tome 11].
Ont participé à cette édition électronique : Nathalie Berton-Blivet (Responsable éditorial), Anne Piéjus (Responsable éditorial), Frédéric Glorieux (Informatique éditoriale) et Vincent Jolivet (Informatique éditoriale).

Mercure galant, novembre 1700 [tome 11]. §

[Sonnet] §

Mercure galant, novembre 1700 [tome 11], p. 5-7.

La Paix donnée par le Roy n’est pas nouvelle ; mais comme la maniere de la donner paroistra toujours une chose aussi nouvelle qu’extraordinaire, on en parlera éternellement. C’est ce qui m’oblige à vous envoyer le Sonnet qui suit.

Tu calmes l’Univers en bornant tes Exploits,
Prince aussi moderé que Heros invincible,
Et ta grande Ame trouve un plaisir plus sensible
A le pacifier qu’à luy donner des Loix.
***
Jusqu’icy triomphante, ou tranquille à ton choix,
La France desormais assurée & paisible,
Aux tempestes de Mars toujours inaccessible,
Se rira des debats des Peuples & des Rois.
***
Te plaist il d’enchaîner le Démon de la Guerre ?
Quel Titan oseroit réveiller ton tonnerre,
Qui frape, sans obstacle, au gré de tes souhaits ?
***
Quand tu veux te priver, au comble de la gloire,
Des douceurs que l’on goûte au sein de la Victoire,
Tu relegues Bellone, & tu fixes la Paix.

[Present fait au Roy de trois Manuscrits Arabes] §

Mercure galant, novembre 1700 [tome 11], p. 8-26.

Le Sieur Nasrallah Gilda, natif de la Ville de Damas en Syrie, Medecin de profession, ayant fait present au Roy de trois beaux Manuscrits Arabes, pour estre placez dans sa riche & magnifique Bibliotheque, a crû qu’il estoit necessaire de donner une idée de ce qu’ils contiennent dans leur tres-grande rareté, & des peines qu’il a euës à les découvrir. Ces trois Manuscrits, aussi rares qu’ils sont curieux, renferment une Religion, des Loix, des Statuts, & des Ordonnances dont on n’avoit point entendu parler jusqu’à present. C’est la Religion des Druzes, Peuples qui habitent aux environs du Mont Liban, d’Alep, Egypte, & autres lieux circonvoisins. On ne sçait pas au juste l’origine de cette Nation. Quelques-uns veulent qu’ils descendent des restes des François que Godefroy de Boüillon mena avec luy pour la conqueste de la Terre-Sainte, & qu’un de leurs Emirs, ou Princes, est Parent des Ducs de Lorraine. D’autres reprennent leur origine de bien plus haut, & disent au contraire, que les anciens Druides des Gaules descendent de ceux-cy. Quoy qu’il en soit, il est constant qu’ils se sont toujours distinguez parmy les Nations d’Orient, par leur maniere de vivre toute singuliere, & par les grandes connoissances, qu’ils ont communément des Sciences, de l’Astrologie & de la Magie.

Ils attribuent leurs Loix à un certain Roy, qui a paru en Egypte quatre cens ans aprés le Prophete Mahomet, & veulent que ce prétendu Roy soit descendu de la lignée d’Aly, quatriéme Calife, ou Successeur de Mahomet, Heros des Schiaytes, qui est la fameuse Secte des Persans.

Entre quantité de choses qu’ils disent de luy, voicy ce qui se trouve de plus remarquable, qu’il s’est donné le nom de Hâkim, c’est à dire, Souverain Juge ; ou comme ils interpretent eux mêmes, celuy qui a jugé & condamné toutes les Religions ; qu’il a fait mourir tous les chiens d’Egypte ; qu’il s’est revestu d’un habit de laine noire pendant sept ans ; qu’il a laissé croistre ses cheveux pendant sept ans ; qu’il a fait enfermer les Femmes pendant sept ans ; qu’il a monté un Asne, sellé d’une selle de fer pendant sept ans ; qu’il en changeoit par le chemin, & en montoit d’autres en voyageant ; que sa demeure estoit sous la terre ; qu’on y entroit par un grand jardin, qui conduisoit au lieu souterrain où il se retiroit ; qu’il sortoit par la porte du jardin pour traiter avec les hommes, & que personne n’entroit avec luy dans sa caverne ; qu’il y avoit à costé de ce jardin des Femmes de mauvaise vie, & toutes sortes de débauchez & de déterminez. Qu’il a publié de luy même qu’il estoit un Dieu incarné ; que la Divinité du Tres-haut avoit résidé en luy, & qu’il estoit le Dieu Eternel ; qu’il a traité tous les autres Prophetes d’ignorans & de bestes ; qu’il parcouroit l’Egypte ; qu’il s’arrestoit pour entendre les Baladins & les Charlatans ; qu’il prenoit plaisir à voir les Lutteurs, à écouter les chants & à se trouver aux danses ; que les Baladins joüoient devant luy avec des bastons & des fouëts, & qu’il les obligeoit de parler de choses obscenes, & d’autres que la bienseance ne permet point de nommer ; qu’il a détruit les Mosquées des Mahometans, les Eglises des Chrestiens, & les Synagogues des Juifs ; qu’il a maudit Mahomet, & tous ceux qui le suivoient, & qu’il en a usé de même à l’égard des autres Prophetes ; qu’il a aboli le Jeune, la Priere, les Decimes, les Pelerinages, & autres Exercices de Pieté ; qu’il contraignoit les Juifs & les Chrestiens, à force de coups de baston, d’embrasser sa Religion contre leur gré ; qu’enfin estant en colere contre les hommes, & tres-mécontent de leur conduite, il s’est retiré dans sa grotte souterraine, & qu’on ne l’a plus vû depuis.

Ses Sectateurs, qui sont ces Druses, l’attendent encore. Ils debitent bien d’autres choses extraordinaires, qui surpassent l’imagination, dont il est parlé tout au long dans ces trois Livres ; on n’en a dit qu’une fort petite partie. Mais ce qu’il y a de plus curieux, ce sont les Loix touchant le Mariage, les Testamens, & sa seconde venuë dans le monde ; ses opinions à l’égard de la Resurrection des Morts, & de la Metempsycose ; & comme il s’explique sur la maniere dont il traiteroit pour lors les Juifs, les Chrestiens, & les Mahometans, qui refuseroient d’embrasser sa Religion, les peines & les supplices qu’il établit pour cela, & autres choses qu’il seroit trop long de rapporter en détail, à moins que de traduire ces mêmes Livres.

Il est à remarquer que ces Druses s’efforcent de donner un sens mystique & spirituel à la vie extravagante de ce prétendu Legislateur, qu’ils soûtiennent estre le veritable Messie contre les Juifs & les Chrestiens, & à qui par impieté, ils donnent une Epithete en Arabe, qui n’est duë qu’à Dieu seul Giallas Dsikvouhou, c’est-à-dire, que son nom soit glorifié. Voicy comment le Sieur Nasrallah a découvert ces Livres. Ayant appris que Mr Colbert avoit demandé plusieurs fois les Livres des Druses, & que personne n’avoit pû luy en donner aucune connoissance, ny l’instruire d’un seul point de leur Religion, il s’est donné la peine d’en faire la recherche, & voyant que pendant un temps considerable, il n’en avoit pû sçavoir aucune nouvelle, il s’est transporté dans leur Pays, & y a traité leurs Malades, s’informant d’eux des choses qui regardoient leur Religion, leur promettant la santé & de l’argent s’ils vouloient s’ouvrir à luy sur cela. Comme il ne put rien gagner sur eux pendant un an tout entier, il s’en retourna chez luy, tres chagrin du mauvais succés de son voyage ; il ne laissa pas cependant de s’en informer encore de temps en temps pendant douze années.

Enfin, il arriva que les Druses se broüillerent avec le Grand Seigneur, qui leur déclara la guerre, & fit marcher contr’eux sept Bachas, entre lesquels estoit celuy de Damas, qui s’appelloit Mustapha, auprés de qui estoit le Sr Nasrallah, en qualité de Medecin, qu’il consideroit beaucoup. Ainsi il l’accompagna dans cette expedition. Les Bachas ayant mis les Princes des Druses en fuite, brûlérent leur Pays & leurs moissons, & aprés avoir ravagé par tout, ils allérent en un endroit où les Docteurs des Druses avoient coûtume de s’assembler. Ils détruisirent ce lieu, & ils y trouvérent une grotte fort spacieuse, tenduë de tapis, dans laquelle il y avoit un coffre de cuivre jaune, qu’ils rompirent. Dans ce coffre estoit la figure d’un homme en argent, ayant sur sa teste une couronne d’or. Il estoit assis sur un Trône d’argent. Le Bacha fit rompre cette Figure. Il y avoit encore dans la muraille de cette grotte un sac pendu, dans lequel estoient ces trois Livres, qui furent confiez au Sieur Nasrallah, qui sçavoit l’Arabe, afin de leur en lire quelque chose. Ils connurent qu’ils n’estoient remplis que d’impietez, ce qui fit que le Bacha ordonna qu’on les brûlast sur le champ, mais le Sieur Nasrallah le pria de les luy donner, ce qui luy fut refusé d’abord, & ensuite accordé par les instances qu’il continua de faire. Les Druses s’estant accommodez avec les Turcs, revinrent dans leur Pays. Ils s’informérent d’abord du Coffre & des Livres. Ayant sçû qu’ils estoient entre les mains du Sieur Nasrallah, ils luy envoyérent un Religieux Grec pour luy dire que s’il vouloit leur rendre leurs Livres, ils luy donneroient ce qu’il demanderoit. Nasrallah n’accepta point cette offre, ce qui fit qu’ils le menacerent de l’égorger dans son lit. Ils envoyérent quarante hommes, pour le tuer & pour se saisir des Livres. Ils descendoient dans les maisons pendant la nuit, & volérent par tout pendant l’espace d’un an & demy. Enfin les Gens de la Ville les ayant pris, n’en épargnéront aucun. Ce fut de cette maniére que le Sieur Nasrallah devint maistre de ces Livres, qui estoient gardez si secrettement qu’il n’estoit permis qu’aux seuls Docteurs de les lire en presence de ceux qui estoient déja confirmez dans leur foy, ainsi qu’il leur est commandé dans ces mêmes Livres.

Le même Sieur Nasrallah a presenté au Roy un rouleau de cuir, sur lequel est écrit tout le Pentateuque en Hebreu ; il est long de cinquante aulnes & large de trois pieds. Les Juifs croïent que cet exemplaire du Pentatheuque est si sacré que si quelqu’un faisoit serment sur ce Livre, ou s’il le lisoit seulement, il seroit profané, & qu’il arriveroit necessairement un malheur terrible à celuy qui auroit osé le profaner. En consequence de cette fausse persuasion, ils l’enfermérent dans un lieu élevé d’un mur qu’ils fermérent d’une fenestre qu’ils cadenacérent, & le laissant en cet estat, ils mirent une lampe devant. C’estoit au Bourg de Joubar, situé à deux lieuës de Damas, dans la maison du Prophete Eliacha, disciple de Saint Elie.

Les Mahometans estant possesseurs de ce Bourg, trouverent que les Juifs avoient fait une Synagogue de cette maison, & voyant le lieu où estoit ce rouleau, ayant une lampe devant, ils s’imaginerent qu’il y avoit là un tresor caché, & allerent ouvrir ce lieu par derriere ce mur. Ils en enleverent ce rouleau, aprés quoy ils le murerent, le laissant dans le même estat qu’ils l’avoient trouvé. Les Ancestres de Nasrallah l’acheterent des Mahometans ; & étant demeuré dans sa Famille jusqu’à aujourd’huy, il a crû que cette rareté estoit beaucoup plus digne d’estre dans la Bibliotheque de l’Empereur des François qu’entre ses mains.

[Paraphrase] §

Mercure galant, novembre 1700 [tome 11], p. 26-33.

Comme cette Lettre ne pourra vous estre renduë qu’au commencement de l’Avent, je vous envoye une traduction en Paraphrase des Prieres que Mrs de l’Oratoire chantent tous les jours pendant ce saint temps. Ces Prieres commencent par, Rorate Cœli desuper, & nubes pluant Justum.

 Lieux élevez qu’habite le Seigneur,
 Brillant sejour, voûte azurée,
Tout gemit icy bas, la terre est alterée,
 Nous cedons à nostre langueur.
Ouvrez-vous à nos cris, & faites que la nuë
Répande enfin sur nous la rosée attenduë,
 Qui nous doit donner le Sauveur.
***
Arreste, Dieu puissant, le cours de ta colere,
Ne te ressouviens plus de nos honteux forfaits.
Languirons nous toujours dans la longue misere
D’attendre le Messie, & ne le voir jamais ?
Si tu fus offensé, ta gloire est bien vangée.
 Jerusalem est ravagée,
Cette auguste Cité, cette sainte Sion
 Où l’on celebroit ton grand nom,
Où tu fis élever le Temple de ta gloire,
Où nos Peres jadis t’ont offert de l’encens,
N’est plus qu’un lieu desert qui retrace à nos sens
 La triste & douloureuse histoire
De sa grandeur passée, & de nos maux presens.
***
 Il est vray, nous avons peché.
 Loin d’écouter les voix celestes,
Nous nous sommes livrez à nos panchans funestes,
A violer ta loy chacun s’est ataché.
Mais que nous payons cher tous ces crimes énormes !
 Comme on voit les feüilles des Ormes
Sur la fin des beaux jours tomber dans les deserts,
Ainsi nous succombons à tant de maux soufferts,
Et cedons aux torrens où nous portent nos vices ;
 Pareils à ces vents furieux
 Qui poussent dans les précipices,
Ils nous font abismer en des gouffres affreux.
Mais comment éviter cette fatale issuë ?
Pouvons nous esperer de voir finir nos maux,
 Puisque tu détournes la veuë
 En nous livrant à nos propres defauts.
***
Grand Dieu, jette les yeux sur un Peuple éperdu,
 Ne le traite plus en coupable ;
 Finis le tourment qui l’accable,
Fais descendre des Cieux le Messie attendu.
Donne nous cet Agneau qui doit regler le monde,
Qui du fond des deserts jusqu’au mont de Sion
Répandra ses bontez & sa protection ;
Qui vient donner ses loix sur la terre & sur l’onde.
 C’est luy qui brisera nos fers,
Il nous fera sortir d’un honteux esclavage,
Par luy nous reprendrons nostre ancien heritage,
 Et seront vainqueurs des Enfers.
***
Console toy, mon Peuple, appaise tes soupirs.
 Je vais contenter tes desirs.
D’où vient que tous les jours ta douleur renouvelle ?
Espere & ne crains plus, ta plainte est criminelle,
 Je ne veux pas te réprouver.
Je suis Dieu d’Israël, ton Seigneur & ton Maistre,
 Si c’est moy seul qui t’ay fait naistre,
C’est moy seul qui veux te sauver.
***
Lieux élevez qu’habite le Seigneur ;
 Brillant sejour, voûte azurée,
Tout gemit icy bas, la terre est alterée.
 Nous cedons à nostre langueur.
Ouvrez vous à nos cris, & faites que la nuë
Répande enfin sur nous la rosée attenduë,
 Qui nous doit donner le Sauveur.

[Priere] §

Mercure galant, novembre 1700 [tome 11], p. 33-35.

La Priere que j’ajoûte à celle-cy, est du même Auteur, qui n’a voulu se faire connoistre que sous le nom de Clidamon.

SUR S. ESTIENNE.

Toy, dont j’honore la memoire,
Heureux Martir, il faut t’imiter icy bas,
 Si l’on veut aprés le trépas
Meriter le bonheur de l’éternelle gloire.
***
 S’interesser à la fortune
 D’un Ami qu’on voit en danger,
 Le chercher pour le soulager,
 Est l’effet d’une ame commune ;
 Mais prier Dieu pour ses bourreaux,
 Et leur pardonner tous ses maux,
 C’est l’effort d’une ame Chrestienne,
 Et c’est ce qu’a fait S. Estienne,
Pour meriter au Ciel un éternel repos.
***
 Evitons la cruelle peine
De garder dans le cœur une mortelle haine ?
 Helas ! qui de nous est certain
 Qu’il vivra jusques à demain ?
Toy qui veux bien ceder au torrent qui t’emporte ;
 Toy, qui ne pardonnes jamais,
 Si Dieu te traitoit de la sorte,
Pecheur, pourrois-tu vivre en paix ?

[Poëme] §

Mercure galant, novembre 1700 [tome 11], p. 48-65.

Il n’y a rien qui soit plus connu que le differend que fit naistre la Pomme d’or entre Junon, Pallas & Venus. Voicy comment cette matiere a esté traitée par Mr Cassan.

LE JUGEMENT
DE PARIS.

Par le commandement du Souverain des Cieux,
Sur le Mont Pelion on convoqua les Dieux,
Pour venir honorer la celebre Assemblée,
De l’himen glorieux de Thetis & Pelée.
On oublia pourtant la Discorde à dessein
D’éviter les horreurs qu’elle porte en son sein.
Elle en ressent l’affront, & roule dans sa teste
Les moyens de causer du trouble dans la Feste,
Puis s’élevant en l’air elle prend son essor
Vers l’aimable contrée où sont les Pommes d’or.
Aprés avoir passé sur les plaines liquides,
Elle voit les Jardins des Nimphes Hesperides,
Dont l’agreable aspect vient offrir à ses yeux,
Mille fruits destinez pour la table des Dieux,
Et c’est là qu’elle prend cette Pomme admirable,
Qui rendit à Paris Venus si favorable.
De retour sur le Mont, se couvrant d’un buisson,
Elle jette ce fruit ainsi qu’un hameçon,
Les Déesses d’abord courent toutes en foule ;
Mais la Discorde ayant écrit sur cette boule,
Je suis pour la plus belle, a contester ce don
Il n’en parut que trois, Venus, Pallas, Junon.
Chacune de ceder ne pouvant se résoudre,
On remit cette Pomme au Maistre de la foudre,
Chacune se flatant de pouvoir l’emporter,
Mais ce Dieu sur ce point ne veut rien écouter.
De l’une il est Mary, des autres il est Pere,
Et pour cette raison il remet cette affaire
Au jugement d’un tiers, & leur fait ce discours.
Du haut du Firmament je vis un de ces jours
Combattre deux Taureaux auprés d’une Genisse,
Qui passoit sans songer quel estoit leur caprice.
Un Berger, spectateur d’un si rude debat,
Sembloit s’estre arresté pour juger du combat.
A la fin le plus lâche abandonnant la place,
Il va droit au vainqueur, ravi de son audace,
De cent bouquets de fleurs luy couronne le front,
Tandis que le vaincu, pour digerer l’affront
D’avoir cedé le champ par son peu de courage,
Va mugir à l’écart de furie & de rage.
Cet Acte d’équité me plut dans ce Berger,
Dès lors je l’estimay capable de juger,
Et sans plus differer je luy donne le titre
Sur vostre démeslé, de souverain Arbitre,
Allez, dit Jupiter. A ce commandement
Chaque Déesse prend son riche vestement.
Mercure est préposé pour leur servir de guide,
Et la Troupe le suit d’une course rapide.
Paris au Mont Ida veilloit sur son Troupeau,
Quand le Ciel luy fit voir ce qu’il a de plus beau.
Dés l’instant mille éclairs ébloüissant la veuë,
D’un prompt étonnement son ame fut émuë.
Il tremble, & croit déja voir la fin de ses jours,
Quand Mercure l’approche, & luy tient ce discours.
Berger, rassurez-vous, le maistre du tonnerre
M’a fait commandement de venir sur la terre,
Pour conduire vers vous ces trois Divinitez,
Qui sont en démeslé concernant leurs beautez.
C’est à vous de juger quelle des trois l’emporte.
Jupiter dans le Ciel l’ordonne de la sorte.
Quoy, dit-il, Jupiter voudroit-il obliger
Un habitant des bois, un rustique Berger,
A porter jugement sur le choix de trois Roses,
Au lever du Soleil également écloses ?
Encore si c’estoit pour juger d’un troupeau,
Ou bien de mes moutons lequel est le plus beau,
Je pourrois me fonder sur quelque experience,
Mais pour un tel sujet il faut plus de science.
Ne peut-il dans le Ciel prononcer cet Arrest ?
Non, répondit Mercure, il est dans l’interest,
Et de même que luy chaque Dieu se recuse ;
Mais enfin sur ce point vous n’avez pas d’excuse ;
Je parts, obeissez, & l’ordre en est précis,
Ecoutez leurs raisons. Paris s’estant assis,
La Déesse Junon s’avança la premiere.
Son front n’est plus superbe, & son humeur altiere
Fait place à la douceur, qui vient à son secours,
Et d’un ton moderé fait ainsi son discours.
Berger, si ma beauté n’estoit point sans égale,
Ma place auroit esté le prix d’une rivale,
Et je n’aurois jamais rempli parmy les Dieux
Le Trône souverain de la Reine des Cieux.
Jupiter qui m’a fait compagne de sa couche,
S’explique par son choix au defaut de sa bouche,
Et ce choix qu’il a fait vous est un préjugé,
Pour confirmer un point qu’il a déja jugé.
Prononcez hardiment sans craindre mes Rivales,
Leur haine ne sçauroit vous les rendre fatales,
Et Junon en tout temps sçaura vous proteger.
Si leur dépit alloit jusqu’à vous outrager.
Je puis vous en promettre une pleine assurance,
Et vous donner encor des biens en abondance ;
Et Venus & Pallas ne sçauroient vous offrir
Qu’un bien accompagné de quelque déplaisir.
A l’estat de Berger vous donnez trop de lustre ;
Paris, apprenez donc qu’une naissance illustre
Dans un Palais Royal vous a donné le jour.
Un songe vous avoit éloigné de la Cour.
Allez-y promptement vous faire reconnoistre
Prince, c’est de Priam que vous receustes l’estre.
Junon ayant parlé, Pallas dit à son tour,
Arbitre délegué par la celeste Cour,
L’honneur du mont Ida, Berger incomparable,
Les Dieux vous ont choisi comme un Juge équitable,
Et Paris a l’honneur par son integrité,
De tenir en ses mains le prix de la beauté.
S’il aime la vertu, c’est Pallas qui l’inspire,
C’est par là qu’il me doit l’honneur que je desire ;
Et puis que rien ne peut égaler la vertu,
Son esprit ne sçauroit se trouver combattu.
Elle est de tous les biens le plus considerable.
Sans doute il fera choix d’une beauté durable.
Il s’agit d’établir vostre felicité.
Mesme aux dépens des biens & de la volupté.
Si par de vains presens Junon veut vous surprendre,
Que peut-elle donner que vous ne puissiez prendre ?
Vous estes Fils d’un Roy, qui par les droits du sang,
Vous doit auprés de luy redonner vostre rang.
Aux charmes de Venus ne soyez pas sensible,
Berger, on se repent d’estre trop susceptible.
Je plaindrois vostre sort, si par legereté
Vôtre cœur s’adonnoit à cette volupté.
Souvent les fruits trompeurs d’une indigne mollesse
Nous plongent dans l’ennuy d’une longue tristesse.
Ainsi pour l’éviter gardez vostre raison,
Et ne succombez pas sous ce fatal poison.
Qu’une masle vigueur vous donne l’assurance
Pour juger sainement sur cette préference,
Et balançant la cause au poids de l’équité,
Offrez à la vertu ce qu’elle a merité.
Par les raisons de l’une & de l’autre Déesse,
Son esprit en suspens tomboit dans la foiblesse.
Quand Venus souriant dit d’un air gracieux,
Voila mon tour venu, Berger, ouvrez les yeux.
La beauté toute seule attend vostre Sentence,
C’est pour elle qu’icy vous avez pris séance.
On a beau vous parler de vertu, de tresor,
Lisez l’inscription de cette pomme d’or,
Vous verrez qu’elle dit, Je suis pour la plus belle.
C’est là l’unique point qui fait nostre querelle.
Aprés cela, Berger, jugez de nos attraits,
De chacune de nous examinez les traits.
Le coloris vermeil dont mes joüës sont teintes,
Donne à leur vanité de funestes atteintes,
Et Paris ne sçauroit, sans me faire un affront,
Comparer à leur teint l’albâtre de mon front.
L’or de mes blonds cheveux, où l’Amour se retire,
Descendant sur mon sein flote au gré du zephire,
Mon teint que l’on admire est frais & delicat.
Et la beauté des Lis n’eut jamais tant d’éclat.
Mes yeux dont le regard jette une vive flâme,
Font sentir leur ardeur jusques au fond de l’ame,
Mes lévres où le rouge étale sa couleur,
Des Perles d’Orient laissent voir la blancheur.
Des neiges de mon sein la veuë est ébloüie ;
Mais c’est trop fatiguer & les yeux & l’oüie
D’un Juge comme vous plein de discernement,
J’ay dit, mais écoutez encor pour un moment.
Paris, sans differer quittez ce lieu champestre,
Allez chez les Parens de qui vous tenez l’estre,
Et pour vous rendre heureux le reste de vos jours,
Faites d’un digne choix l’objet de vos amours.
Helene est aujourd’huy le Soleil de la Grece,
Je la rendray pour vous sensible à la tendresse.
Tentez l’occasion, & secondant vos vœux,
Je sçauray l’enflamer d’un desir amoureux.
Tandis que sur un fait de cette consequence,
Les Déesses tenoient leur Arbitre en balance,
Il voulut pour juger avec plus d’équité,
Parcourir avec soin les traits de leur beauté.
Junon y consentit, & Pallas avec crainte.
Venus seule parut obeir sans contrainte.
Enfin aprés avoir longtemps consideré,
Venus receut le prix qu’elle avoit desiré.
La Déesse Junon abandonne la place,
En regardant Paris d’un œil plein de menace,
Et Pallas qui perdoit l’avantage du Prix,
Le regarde en partant d’un air plein de mépris.

[Lettre sur la mort d’un Doguin] §

Mercure galant, novembre 1700 [tome 11], p. 71-79.

Je croy ne pouvoir rien faire de mieux pour vostre plaisir que de vous faire part d’une Lettre, qui a esté écrite depuis peu à une Dame d’un tres-grand merite. Le tour aisé & particulier de cette Lettre, & le brillant dont elle est remplie, vous en doivent faire connoistre l’Auteur. Il n’est pas permis à tout le monde d’écrire aussi finement, & comme il est des plus distinguez, c’est assez vous en dire, pour vous apprendre de qui elle vient.

A la Belle & Spirituelle
MADAME DAMOND,
Sur la mort de Moufle, son Doguin.

Je ne prétens pas, Madame, essuyer vos larmes ; vous les croyez trop justes, & la Philosophie n’a point encore imaginé de consolations pour un malheur comme le vostre. Il ressemble à ces maladies extraordinaires, dont les causes sont si bizarres, que tout l’art de la Medecine n’a pû les prévoir, & pour lesquelles par consequent elle n’a pû donner de remedes.

Pleurez, pleurez, Madame, & fondez-vous en eau,
La Parque inexorable a mis Moufle au tombeau ;
 Et ne vous laisse plus aprés ce coup funeste,
Qu’un dégoust éternel pour tout ce qui vous reste.

En effet, qu’est-ce qu’un Mary ? Un grondeur en titre d’Office, qui fait tres-mal son devoir, & qui empêche autant qu’il peut, que les autres ne le fassent. Qu’est-ce que des Enfans ? Un fardeau dont la nature nous accable, & dont l’honneur nous empêche de nous défaire ; des Créanciers impitoyables qui nous suivent par tout, envers lesquels on n’est jamais quitte, quoy qu’on les paye tous les jours. Qu’est ce que la santé ? Un bien dont la possession ne se fait presque pas sentir, & dont la perte nous desespere. Qu’est-ce que la beauté ? Un avantage d’un moment, qui met la vertu en grand danger, qui fait la tentation de tous les hommes, & la jalousie de toutes les femmes. Qu’est ce que des Amans ? Des importuns qui demandent ce qu’on ne veut pas leur donner ; ou des ingrats qui se lassent de ce qu’on leur donne. Qu’est-ce que les richesses ? Une chose tres-difficile à acquerir, aussi malaisée à conserver, & dont presque personne ne sçait faire un bon usage. Enfin, qu’est-ce que la vie ? Un chemin plein d’épines qui nous conduit à la mort. Voila, Madame, ce qui vous reste, & ce que vous possedez encore, tel à peu prés que vous le pourriez souhaiter ; mais en verité tout cela est si peu de chose en comparaison de Moufle, qu’on ne doit pas s’étonner si vous estes inconsolable.

 Si Moufle avec tout son merite
 Est sur les rives du Cocite,
Si malgré tous vos soins vous l’avez vû perir,
 Pourquoy nous autres pauvres hommes,
 Pleins de defauts, comme nous sommes,
 Nous plaignons-nous qu’il faut mourir ?

Je sçay bien que vostre passion pour cet incomparable Moufle vous faisoit croire qu’il ne devoit mourir que sur vostre tombeau ; mais si en cela le destin ne luy a pas rendu justice, il a prétendu vous faire grace ; si toutefois c’est grace de vous obliger de survivre à un Chien que vous avez tant aimé. Quoy qu’il en soit, une mort si glorieuse luy auroit moins fait d’honneur que les larmes que vous répandez pour luy.

Enfin Moufle, l’honneur des Doguins d’aujourd’huy.
Chargé de vos baisers a passé l’onde noire,
Ah ! que de gens mettroient leur plaisir & leur gloire
 A vivre & mourir comme luy.

Voicy, Madame, une Epitaphe que je vous envoye, & que vous ferez graver sur le tombeau du pauvre defunt, si vous le jugez à propos.

Je fus en mon vivant fort aimé d’Uranie,
Mais comme en ce bas monde on n’aime pas toujours,
Crainte de voir finir de si tendres amours
 J’ay voulu sortir de la vie.
 Apprenez, bienheureux Amans,
 Qu’il n’est point d’amour éternelle ;
Quand on ne veut point voir sa Maistresse infidelle,
 Il ne faut pas vivre longtemps.

[Traduction de la quatriéme Eglogue de Virgile] §

Mercure galant, novembre 1700 [tome 11], p. 88-98.

Ce qui suit est une traduction de la quatriéme Eglogue de Virgile.

POLLION.

Muses de la Sicile, élevez vostre voix
A des sujets plus hauts que nos champs & nos bois,
Les humbles arbrisseaux à tous ne sçauroient plaire ?
Si pourtant des forests nous ne sçaurions nous taire,
Chantons d’un ton si haut & les bois &les champs,
Qu’un Consul des Romains daigne entendre nos chants.
 Enfin, voicy cet âge en mille biens fertile,
Que nous avoient promis les Vers de la Sibile,
Où dans un long repos les siecles écoulez,
Vont pour nostre bonheur estre renouvellez.
Le retour attendu de la divine Astrée
Nous ramene le temps de Saturne & de Rhée.
Le Fils de Pollion vient de naistre en ces lieux,
Dont la race immortelle est un present des Cieux.
Soudain le sage Enfant terminera la guerre,
Et l’heureux siecle d’or regnera sur la terre.
Lucine, sois propice à ce Heros naissant,
Déja cet Apollon est icy tout-puissant.
 Pendant ton Consulat, on a cet avantage,
Illustre Pollion, de voir naistre cet âge.
Sous ton autorité commenceront ces jours,
Dont un parfait bonheur suivra bien-tost le cours.
Sous toy si de la guerre on voit encor des restes,
On ne craindra plus rien de ses suites funestes ;
Il vivra comme un Dieu, cet Enfant glorieux,
Il verra les Heros meslez avec les Dieux ;
Il en sera vû même, & dans la paix profonde,
Plein des vertus du pere il regira le monde.
 La terre, Enfant divin, soudain vous fera part
De ses petits presens sans façon & sans art,
Du lierre tortu dont la tige est rampante,
Et du baccar, de peur que l’on ne vous enchante,
De la feve d’Egipte à l’éclat verdoyant,
Et de la branche ursine, au feuillage riant ;
Les chevres aux hameaux le soir s’estant rendues,
Y porteront de lait des mamelles tendues,
Les taureaux, les haras en liberté paissans,
Ne craindront plus l’assaut des lions rugissans,
Et même vostre couche en fleurs toujours feconde,
En produira pour vous les plus belles du monde.
Tous serpens periront, tous simples veneneux,
Prompts à nous recevoir, periront avec eux ;
L’Amone d’Assirie, & sa plus douce essence
Parfumera nos champs, par tout prendra naissance.
Mais quand de vostre pere & de vos grands ayeux
Vous pourrez voir écrits les exploits glorieux,
Et que vous sentirez cette divine flâme
Que l’amour des vertus allume dans une ame,
Les champs seront jaunis du bel or des moissons,
Le noir raisin pendra des incultes buissons.
Le miel même à travers la dureté des chesnes,
Ainsi qu’une sueur, coulera de leurs veines,
Quelques restes legers de nos premiers defauts,
Nous pousseront encore à voguer sur les eaux.
Thetis verra des Nefs sur ses plaines mobiles,
Encore on donnera des murailles aux Villes ;
Encor le soc armé de ses coutres tranchans,
Suivi du Laboureur sillonnera les champs.
Alors d’autres Tifis sur le sein d’Amphitrite,
Conduiront un Vaisseau plein de Heros d’élite.
Un Achille nouveau pour de nouveaux exploits,
Verra la grande Troye une seconde fois.
Quand vous serez dans l’âge où la vigueur de l’homme
Par les ans s’affermit, s’acheve & se consomme,
Sur la mer sans vaisseaux un avide Marchand
Ne portera plus rien de l’aurore au couchant,
De tous les biens épars dans le reste du monde,
La terre en tous endroits se trouvera feconde,
Le coutre n’ira plus lui déchirer le sein,
La vigne sans travail fera naistre le vin,
Le bouvier aux taureaux ôtant leur atelage,
Les laissera courir libres de labourage,
Et l’on ne verra plus, sur la laine éclater,
Ces couleurs que de l’art on luy voit emprunter.
La brebis dans nos prez se trouvera parée,
Tantôt de toison rouge, & tantôt de dorée,
La pourpre d’elle même ornera les Agneaux.
C’est là ce siecle d’Or, qu’en roulant leurs fuseaux,
Les parques ont prédit à vos belles années,
Sur l’immuable Arrest qu’ont fait les destinées.
 Race de Jupiter, enfant si cher aux Dieux,
Il est temps d’accepter vos emplois glorieux,
Voyez cet univers que le poids de ses crimes
Alloit precipiter dans le fonds des abîmes,
D’aise cet Univers ne peut se contenir,
Et tout se réjoüit de ce siecle à venir.
 Le Ciel contentera pleinement mon envie,
Si jusqu’à ce beau siecle il conserve ma vie,
Et si j’ay dans ce temps encore assez de voix,
Pour chanter dignement vos glorieux exploits.
Je ne crains point qu’alors le Chantre de la Trace,
Ce Fils de Caliope en beaux Vers me surpasse,
Ny que le grand Linus, Fils du bel Apollon,
Sur un si haut sujet obscurcisse mon nom.
Si pour me surmonter dans ce noble exercice,
Le Dieu Pan contre moy vouloit entrer en lice,
Quand même l’Arcadie en devroit décider,
Aux yeux de l’Arcadie il me devroit ceder.
 Enfant dont la grandeur nous doit estre si chere ;
Témoignez en riant connoistre vostre mere,
Commencez d’appaiser par un ris tendre & doux,
Les maux qu’en sa grossesse elle a soufferts pour vous.
Faites que cet air tendre un souris vous attire.
Ceux à qui les parens ne daignent point sourire.
Jupiter de sa table à jamais les bannit,
Et Pallas pour toujours leur refuse son lit.

Air nouveau §

Mercure galant, novembre 1700 [tome 11], p. 108-110.

Vous voudrez bien faire part à vos aimables Amies, de la Chanson que je vous envoye.

AIR NOUVEAU.

Avis pour placer les Figures : l’Air qui commence par, Beaux yeux, pourquoy vous ay je vûs, doit regarder la page 109.
Beaux yeux, pourquoy vous ay je vûs ?
Je vay perdre à jamais le repos de ma vie :
Vous donnez trop d'éclat à l'aimable Silvie,
Jugez de mon amour par mes regards confus.
Ah ! ne triomphez pas du feu qui me devore,
Sans flater mon amour de quelque doux espoir.
Que je payerois cher le plaisir de vous voir,
Si je n'estois aimé de l'objet que j'ador !
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[Madrigaux] §

Mercure galant, novembre 1700 [tome 11], p. 140-148.

Le merite & les talens de Mr de Betoulaud vous sont connus. Vous sçavez qu’il signale fort souvent par d’agreables jeux d’esprit, l’amitié qu’il a voüée à Mademoiselle de Scuderi. Il a envoyé depuis peu à cette illustre Fille une Orange merveilleuse qui est venuë chez luy à une Terre qu’il a auprés de Bordeaux. Cette Orange est d’une grosseur extraordinaire, & a esté produite en forme de couronne antique, d’une maniere si particuliere & si bien marquée, qu’elle a paru un prodige à tout le monde. Mr de Betoulaud en a fait present à Mademoiselle de Scuderi, & ce present a esté accompagné de fort jolis vers, ce qui engagea cette sçavante Personne à prier Mademoiselle Lheritier, pour qui elle a une amitié distinguée, de vouloir bien travailler sur ce sujet. Mademoiselle Lheritier fit aussitost le Madrigal que vous allez lire, & il donna lieu à tous les autres que vous trouverez ensuite.

SUR L’ORANGE
COURONNÉE.
Envoyée par Mr de Betoulaud, à Mademoiselle de Scuderi.

L’Etourdi de Berger qui jugea les Déesses,
De frivoles appas follement enchanté,
 Ne pus jamais avoir esté tenté
 Par de glorieuses promesses.
Sans goust pour le sçavoir, sans goust pour les vertus,
 Il donna la Pomme à Venus.
Damon de qui l’esprit, les beaux vers, la science,
Sont cheris de toute la France,
N’imite point Paris, & sçait choisir bien mieux
 Maistre de la destinée
 De l’Orange couronnée,
Il consacre à Sapho ce fruit si précieux.
 Son équitable politesse
Honorant les vertus & les dons excellens
 D’une Nymphe, qu’avec largesse
 Les Divinitez du Permesse
 Ornerent de tous leurs talens,
Voit sans cesse applaudir un choix plein de sagesse.
De l’imprudent Berger qui mit en feu la Grece,
Le nom sera toûjours odieux, detesté ;
Et celuy de Damon à jamais respecté.

Voici la réponse que Mademoiselle de Scuderi a faite à ce Madrigal.

Sçavante Lheritier, dont l’esprit est charmant,
 Vous me louez trop fortement.
 Pour bien répondre à vos loüanges
Il faudroit employer le langage des Anges ;
 Mais je déclare simplement
Que j’ay de vos talens une fort grande idée,
Et que ma tendre estime est juste & bien fondée.

Mr de Betoulaud ayant vû les vers de Mademoiselle Lheritier, y a fait cette réponse.

Si j’ay mieux jugé que Paris,
Quand mon Orange couronnée
Fut par moy comme un digne prix,
A l’illustre Sapho donnée ;
Lheritier qu’un esprit charmant
Rendit si brillante au Parnasse,
M’en a loué si noblement,
Avec tant d’art & tant de grace.
Que Paris luy même autrefois,
Aprés avoir par preference
Fait de Venus le fameux choix,
Eut une moindre récompense.

Mademoiselle Lheritier a envoyé cet autre Madrigal à Mademoiselle de Scuderi, sur celuy de Mr de Betoulaud.

 Sapho si mon foible suffrage
 A Damon peut paroistre un prix
Plus glorieux encor que celuy qu’eut Paris,
Que j’applaudis au sort de mon petit ouvrage !
Je sçay que vostre Ami, galant & gracieux,
Me loüe avec trop d’art, & trop de politesse,
 Mais que je trouve precieux
Ce noble amour qu’il a pour les dons du Permesse !
Son goust exquis n’a, je croy, point d’égal.
Quoy que l’immortalité tente,
Nos Bergers recevroient d’une ame plus contente
 Une Helene qu’un Madrigal,
Quand même il partiroit de vostre main sçavante.

En voici un autre de Mademoiselle du Scuderi à Mr de Betoulaud.

 Vostre Madrigal est galant,
 Il est agreable & brillant,
 Et vous parlez avec justesse
De l’aimable Heritier comme d’une Déesse.

[Sonnet sur l’incendie de Troyes]* §

Mercure galant, novembre 1700 [tome 11], p. 152-153.

Je vous envoye un Sonnet que Mr Maugard de Troyes a fait sur cet Incendie.

Ciel ! quel bruit se répand dans le vague des airs,
Quel surprenant éclat saisit ma foible veuë !
Dans un nuage en feu la Foudre retenuë
Gronde, tonne en Octobre, & lance des éclairs.
***
Quel trait de feu traçant mille cercles divers,
Part du sein enflâmé d’une brûlante nuë,
Et frappe, en décrivant une route connuë,
La cime d’un Clocher pour passer à travers
***
Du fer & de l’airain les défensives lames
Servent d’un vain renfort contre l’ardeur des flâmes ;
Tout cede à la fureur du rapide Vulcain.
***
Le feu consume enfin une Fléche superbe.
Tremblez Ambitieux, & redoutez la main,
Qui détruit les Palais & les réduit à l’herbe.

[Nouvelles Danses gravées] §

Mercure galant, novembre 1700 [tome 11], p. 201-203.

Mr Feüillet, Maître de Danses, vient de donner au public deux Danses nouvelles de Mr Pecour, gravées, comme il en a déja donné plusieurs autres. L’une est le Passe pied nouveau ; & l’autre, la seconde Nouvelle Mariée. On a appellé ainsi cette derniere, par ce qu’elle n’est proprement que la suite de la Nouvelle Mariée, qui est du Ballet de la Mascarade, & que Mr Feüillet a déja pris soin de faire graver. Ceux qui ne pourront déchiffrer les Danses gravées auront recours à son livre de la Choregraphie, qui leur en donnera la parfaite connoissance. Les Maîtres à Danser des Provinces & des Cours Etrangeres, qui voudront avoir des Ballets ou autres Danses sur quelqu’Air ou sur quelque mouvement que ce puisse estre, n’auront qu’à lui envoyer leurs Airs notez, & il leur envoyera les Danses ou Ballets qu’ils auront souhaitez, écrits & composez dans le goust que les Airs demanderont.

Air nouveau §

Mercure galant, novembre 1700 [tome 11], p. 206-207.

Vous serez sans doute contente de l'Air que je vous envoye.

AIR NOUVEAU.

Avis pour placer les Figures : l’Air qui commence par, Iris vous m'ordonnez de boire, doit regarder la page 207.
Iris, vous m'ordonnez de boire,
Et vous me défendez de vous parler d'amour :
A Bacchus loin de vous je scay faire ma Cour,
Mais auprés de vous je fais gloire
De sçavoir mieux aimer que boire.
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[Suite du voyage de Fontainebleau]* §

Mercure galant, novembre 1700 [tome 11], p. 207-273.

Voicy la suite du Journal du voyage de Fontaine bleau.

Le Jeudi 21. Octobre, Monseigneur fit chanter à sa Messe un Motet du sieur Bernier Maistre de Musique de Saint Germain l’Auxerrois qu’il avoit entendu en particulier quelques jours auparavant. Il y eut Chasse du Cerf avant deux heures, où Messeigneurs les Princes se trouverent & le soir il y eut des Appartemens chez Monseigneur.

Le Vendredi 22. l’on chanta à la Messe du Roy le Motet du sieur Bernier, qui fut fort applaudi de sa Majesté. Monseigneur, & Monseigneur le Duc de Bourgogne coururent le Loup, & le Roy alla tirer aprés son dîné. Le soir à six heures, il y eut dans la Galerie des Cerfs une répetition des trois derniers Actes de l’Opera d’Hercule & d’Omphale, du sieur Destouches.

Le Samedi 23. le Roy entendit à sa Messe pour la seconde fois le Motet du jour précedent, & en parut encore plus satisfait. Madame la Duchesse de Bourgogne accompagna l’aprésdînée Sa Majesté à la Chasse du Cerf. Le soir les Comédiens representerent l’Iphigenie de Mr Racine, & le Cocu Imaginaire de Moliere. L’on receut à minuit la nouvelle de la mort de Mademoiselle de Condé.

Le Dimanche 24. le Roy alla tirer aprés son dîner. Monseigneur & Monseigneur le Duc de Bourgogne, qui ne sortirent point, entendirent sur les cinq heures dans la Galerie des Cerfs, un Te Deum de la composition du sieur Bernier, executé par toute la Musique du Roy, qui fut trouvé d’une grande beauté. Monseigneur témoigna sa satisfaction au sieur Bernier en des termes fort obligeans.

Le Lundi 25. Le Roy ny Monseigneur ne sortirent de la journée. Monseigneur le Duc de Bourgogne, & Messeigneurs les Princes ses Freres coururent le Cerf. Les Comédiens représenterent le soir le Menteur de Mr Corneille l’Aîné, & les Allard, celebres Sauteurs, firent ensuite des choses étonnantes.

Le Mardi 26. Monseigneur, & Monseigneur le Duc de Bourgogne coururent le Loup. Messeigneurs les Ducs d’Anjou & de Berry allerent voir voler du côté de Moret. Le Roy alla tirer à deux heures. Le soir il y eut dans la Galerie des Cerfs une répetition de l’Opera d’Hercule & d’Omphale, à laquelle Madame la Princesse de Conty assista.

Le Mecredi 27. le Roy accompagné de Monseigneur & des Princes, courut un Chevreüil avec les Chiens de Mr le Comte de Toulouze. Le soir les Comédiens representerent la Tragedie des Horaces de Mr Corneille l’Aîné, & l’Eté des Coquettes du sieur d’Ancourt.

Le Jeudi 28. Monseigneur & Monseigneur le Duc de Bourgogne coururent le Loup. Le Roy alla tirer avant deux heures, & n’en revint que tard à cause du beau temps. Sa Majesté entendit pendant son souper une partie de l’Opera d’Hercule & d’Omphale, du sieur Destouches, & en fut fort satisfaits.

Le Vendredi vingt-neuf Monseigneur le Duc de Bourgogne & Madame allerent dés neuf heures du matin à la Chasse du Loup, Le Roy accompagné de Madame la Duchesse de Bourgogne, courut le Cerf. Le soir l’on chanta au souper de sa Majesté une autre partie de l’Opera d’Hercule & d’Omphale, du sieur d’Estouches.

Le Samedi 30. il y eut deux chasses de Cerf ; l’une pour le Roy. & l’autre pour Monseigneur. Monseigneur le Duc de Bourgogne, & Messeigneurs les Princes ses Freres coururent avec Sa Majesté, & Madame avec Monseigneur. Les Comediens representerent le soir la Tragedie de Mithridate de Mr Racine, le fils de Mr Poisson y parut avec succés, les Srs Allard donnerent ensuite un divertissement de leur façon.

Le Dimanche 31. il n’y eut ny chasse ny autre divertissement, le Roy entendit les premieres Vespres de la Feste de tous les Saints dans la Chapelle en bas. Il avoit donné le matin avant la Messe, Audiance à Mr Zinzendorf Envoyé de l’Empereur.

Le Lundy premier Novembre, Feste de tous les Saints, le Roy fit ses devotions à neuf heures & demie dans la Chapelle des Mathurins, & toucha ensuite grand nombre de Malades. Il retourna à onze heures à la grand’ Messe, & dîna à son grand Couvert. Il entendit l’apresdînée le Sermon du Pere Maure, Prestre de l’Oratoire, & les Vespres chantées par la Musique de Sa Majesté, qui furent suivies de celles des Morts. Il nomma ensuite aux Benefices vacans, & donna l’Evêché de Bayonne à Mr l’Abbé du Rivau de Beauzau, Neveu & Grand-Vicaire de Mr l’Evêque de Sarlat, qui a travaillé avec un grand succés à la conversion des nouveaux Catholiques.

L’Abbaye de Bonnefons, Diocese de Cominge à Mr l’Abbé de Candeau, Frere de Mr de Candeau, Gentil homme de la Manche de Monseigneur le Duc d’Anjou.

Le Prieuré de la Vaudieu, Diocese de Clermont à Madame d’Angenes.

Un Canonicat de la Sainte Chapelle de Vincennes à Mr de Messeriger Vicaire de Vincennes.

Un Canonicat de Peronne à Mr de la Porte, Prestre du lieu. Le Canonicat d’Avennes à Mr Hannegard, Prestre du lieu.

L’Abbaye des Chanoinesses d’Andeleau, Diocese de Tréves, à Madame Flaixeland, qui a eu tous les Suffrages de la Communauté.

Le Mardi 2. Monseigneur & Monseigneur le Duc de Bourgogne coururent le Loup. Le Roy alla tirer avant deux heures. Madame la Duchesse de Bourgogne, qui avoit fait le matin ses devotions, alla l’apresdînée à Moret.

Il y eut le soir des Appartemens chez Monseigneur.

Le Mercredi 3. Feste de S. Hubert, il y eut grande chasse du Cerf. Les Comediens representerent le soir la Tragedie de Rodogune de Mr Corneille l’aîné, & le Mariage forcé de Moliere, & les Allard entre les deux pieces firent de nouvelles Scenes à leur maniere.

Le Jeudi 4. il y eut encore chasse de Cerf, où Monseigneur & Monseigneur le Duc de Bourgogne coururent avec Sa Majesté. Le soir, Monseigneur entendit dans la Galerie des Cerfs pour la premiere fois l’Opera d’Hercule & d’Omphale du sieur Destouches.

Le Vendredi 5. Monseigneur & Monseigneur le Duc de Bourgogne coururent le Loup, & Messeigneurs les Ducs d’Anjou & de Berry allerent à la chasse du Cerf. Le Roy alla tirer avant deux heures. Le soir il y eut des Appartemens chez Monseigneur.

Le Samedi sixiéme il y eut chasse du Cerf, où Madame la Duchesse de Bourgogne accompagna Sa Majesté. Le soir, les Comediens representerent le George Dandin de Moliere, & le Grondeur.

Le Dimanche 7. le Roy alla tirer aprés son disner. Monseigneur ny Messeigneurs les Princes ne sortirent point de la journée ; il y eut le soir des appartemens chez Monseigneur.

Le Lundy 8. le Roy accompagné de Monseigneur, & de Messeigneurs les Princes, courut un Chevreüil. Le soir les Comediens representerent l’Amphitrion de Moliere, qui fut suivy de quelques Scenes nouvelles des Allard.

Le Mardy 9 Monseigneur, & Monseigneur le Duc de Bourgogne coururent le Loup. Le Roy apprit à midy que Charles II. Roy d’Espagne estoit decedé à Madrid le premier jour de ce mois, à deux heures cinquante minutes aprés midy, dans le tems que l’on commençoit à concevoir quelque esperance de sa guerison. En effet, il s’étoit autant bien porté la veille de sa mort qu’on le pouvoit souhaiter, & tous ceux qui étoient dans le Palais, s’étoient donné des marques de leur joye les uns aux autres ; mais le lendemain sa teste s’estant trouvée attaquée, il perdit la parole quelque tems aprés. Son Testament fut ouvert dans le Conseil de Castille. Il appelle premierement Monseigneur le Duc d’Anjou à la succession entiere de toute la Monarchie d’Espagne. Il luy substituë Monseigneur le Duc de Berry, & à leur deffaut, il déclare l’Archiduc Charles d’Austriche, second fils de l’Empereur, son heritier universel, & aprés luy Monsieur le Duc de Savoye. Ce Monarque a déclaré pour Regens du Royaume.

La Reine Doüairiere d’Espagne.

Le Cardinal Portocarrero.

Dom Manuël Arias, comme Gouverneur ou President du Conseil de Castille.

Le Duc de Montalto, comme President du Conseil d’Aragon.

Don Baltazar de Mendoça, comme Grand Inquisiteur.

Le Comte de Frigiliana ou d’Aquilar, comme Conseiller d’Etat.

Le Comte de Benevente, en qualité de Grand d’Espagne.

La Reine n’a que sa voix dans ce Conseil.

Les Exilez furent rappellez aprés la mort du Roy, suivant l’usage étably en Espagne de les rappeller aprés la mort des Rois.

Il est à remarquer que Charles II est le sixiéme Roy, d’Espagne mort au mois de Nov. & que le 21. Octobre il parut sur Madrid à midy une grande Etoille fort brillante du côté de France, dans le tems que le Soleil estoit encore en sa force, & fort lumineux.

Si tost que le Roy apprit la mort de ce Monarque, il envoya chercher Monseigneur le Dauphin qui estoit à la Chasse, & lors qu’il fut venu, y tint un long Conseil avec ce Prince, & avec ses Ministres, dont les résolutions ont esté tenuës si secretes, qu’il a esté impossible à toute la France d’en rien penetrer, jusqu’à ce qu’il ait plû à S.M. de le declarer elle-même.

Le Mercredy 10. il y eut chasse du Cerf, où Madame la Duchesse de Bourgogne accompagna Sa Majesté. La comedie qui devoit être joüée le soir fut contremandée, & les Comediens congediez à cause de la mort du Roy d’Espagne. Il arriva ce jour-là un Courier de la Regence de cette Monarchie.

Le Jeudy 11. Monseigneur, & Monseigneur le Duc de Bourgogne coururent le Loup. Le Roy alla tirer. Le Marquis de Castel-Dos Rios, Ambassadeur d’Espagne, eut ce jour-la audience particuliere de Sa Majesté, dans laquelle il luy donna part de la mort du Roy son Maistre. Monseigneur, & Monsieur le Marquis de Torcy furent presens à cette audience où le Testament du Roy d’Espagne fut lû. On vit ce jour-là des Lettres de quelques Espagnols, qui portoient que la douleur d’avoir perdu un aussi bon Prince que leur Roy, estoit bien soulagée par l’esperance d’avoir Monseigneur le Duc d’Anjou pour leur Maistre ; qu’on n’avoit jamais rien tant souhaité à Madrid, que d’y voir regner un Prince de France ; que l’on comptoit bien en Espagne que le Roy ne refuseroit pas cette Couronne pour son petit Fils, & que la Regence y avoit de là pris la résolution de suspendre pendant quelques Semaines le deüil du feu Roy, dés que le nouveau Monarque entreroit dans les Etats d’Espagne, pour donner au peuple la liberté de satisfaire leur joye, & leur zele. Le Roy tint le soir conseil où Monseigneur le Dauphin assista. Il y eut ensuite Appartement chez ce Prince.

Le Vendredy 12. Monseigneur & Monseigneur le Duc de Bourgogne coururent encore le Loup dés le matin. Il y eut chasse du Cerf l’apresdînée pour Sa Majesté, où l’accompagnerent Madame la Duchesse de Bourgogne, Madame, & Messeigneurs les Ducs d’Anjou & de Berry. Monseigneur & Monseigneur le Duc de Bourgogne, aprés avoir pris le Loup, vinrent joindre le Roy à la chasse du Cerf.

Le Samedy 13. il y eut encore chasse du Cerf pour Sa Majesté, où Monseigneur & Monseigneur le Duc de Bourgogne se trouverent sur la fin du jour, aprés avoir couru le Loup.

Le Dimanche 14. Monseigneur, Monseigneur le Duc de Bourgogne & Messeigneurs les Princes allerent dés le matin à la chasse du Loup, & le Roy tira l’apresdînée.

Le Lundy 15. le Roy partit de Fontainebleau à neuf heures & un quart, & arriva à Versailles à quatre heures & demie, aprés avoir changé trois fois de relais. Monsieur, Madame, & Monsieur le Duc de Chartres, qui partirent en même tems allerent coucher Paris. Monseigneur le Duc & Madame la Duchesse de Bourgogne, Madame la Duchesse, Madame la Princesse de Conty, & Madame la Duchesse du Lude, allerent dans le Carosse du Roy. Monseigneur alla coucher à Meudon.

Le Roy en arrivant à Versailles, apprit par l’Ambassadeur d’Espagne que son Excellence estant à Neubourg à moitié chemin de Fontainebleau, chez Mr le Comte de Saint Majol, où elle avoit couché le 14. elle avoit reçû la nuit un Courrier de la Regence d’Espagne, avec une Lettre pour Sa Majesté, que cet Ambassadeur luy rendit. Cette Lettre estoit datée de Madrid du 3. de ce mois, & portoit qu’elle avoit écrit à Sa Majesté le jour de la mort du Roy d’Espagne, pour le prier de vouloir bien leur accorder Monseigneur le Duc d’Anjou pour Roy, conformément au Testament de Sa Majesté Cath. dont ils luy apprenoient en même temps la mort, mais que comme le jour du decés de ce Monarque, ils estoient tout occupez de leur douleur, & des affaires pressantes qui demandent beaucoup de soins dans ces funestes momens, ils ne croyoient pas avoir assez marqué à Sa Majesté avec combien d’ardeur ils souhaitoient qu’elle leur accordast Monseigneur le Duc d’Anjou pour Roy, ny l’avoir assés instamment priée de leur envoyer ce Prince, ce qui les obligeoit à redoubler leurs instances pour le demander à Sa Majesté.

Le Mardi 16. le Roy estant entré dans son Cabinet aprés son lever, fit appeller l’Ambassadeur d’Espagne, & luy declara en particulier l’acceptation qu’il avoit faite de la Couronne d’Espagne pour Monseigneur le Duc d’Anjou, & mit ce Prince à sa droite, & en même temps il le fit passer dans le second Cabinet où estoit ce Prince avec Monseigneur le Duc de Bourgogne, & Monseigneur le Duc de Berry. L’Ambassadeur à qui Sa Majesté le presenta, le salua à genoux, & luy baisa la main, & un moment aprés il sortit du Cabinet, & retourna dans le Sallon. Monseigneur le Duc de Bourgogne, & Monseigneur le Duc de Berry embrasserent alors Monseigneur le Duc d’Anjou, & ils rentrérent tous trois avec le Roy dans le Cabinet du Conseil, dont Sa Majesté fit ouvrir à l’instant la porte des deux côtez. Aussi tost beaucoup de personnes de consideration, & des Ministres étrangers entrérent dans le Cabinet, & le Roy leur declara que Monseigneur le Duc d’Anjou étoit Roy d’Espagne, & fit appeller pour la seconde fois l’Ambassadeur, qui entra suivi de son Fils aîné & de plusieurs Espagnols. Le Roy luy dit, en luy montrant Monseigneur le Duc d’Anjou, Monsieur, saluez vostre Roy ; Aussi tost l’Ambassadeur se jetta à ses pieds, & luy baisa la main, les yeux remplis de larmes de joye, & s’estant relevé, il fit avancer son fils, & les Espagnols de sa suite qui en firent autant. Il s’écria alors, Quelle joye ! il n’y a plus de Pirenées, elles sont abîmées, & nous ne sommes plus qu’un.

L’Audience où fut conduit un moment aprés l’Envoyé de l’Empereur pour faire part à sa Majesté de la naissance d’un Fils du Roy des Romains, obligea le Roy d’Espagne avec Messeigneurs ses Freres, & l’Ambassadeur d’Espagne de passer dans le second Cabinet. Si-tôt que cette Audience fut finie, le Roy fit avancer le Roy d’Espagne, & ils se mirent en marche pour aller à la Messe. Le Roi luy donna la main droite le long des Appartemens, & dans la Tribune, & poussa son Carreau à côté, parce qu’il n’y en avoit point pour le Roy d’Espagne. Les deux Rois revinrent de la Messe dans le même ordre, & S. M. laissa le Roy d’Espagne dans le grand Appartement où il fut salué de toute la Cour, cet Appartement luy ayant été destiné pour le reste de son sejour en France. Monseigneur le Duc de Bourgogne le visita dans son Cabinet, & Monseigneur le Duc de Berry le visita pareillement. On luy servit à dîner dans le grand Cabinet, où il fut traité de la même maniere que le Roy par Mr le Duc de Beauvilliers, en qualité de premier Gentilhomme de la Chambre, le Maistre d’Hôtel portant le bâton, & la Nefétant sur la table, & l’on demanda à boire pour le Roy d’Espagne. Aprés s’être reposé quelque temps dans son petit Cabinet à la sortie de table, il alla à Meudon voir Monseigneur avec le même nombre de Gardes que le Roy, commandez par un Lieutenant que le Roy mit auprés de luy. Monseigneur le reçût dans la Cour à la descente du Carrosse, & le conduisit dans son Appartement. Il le reconduisit à son Carrosse, & ne rentra point qu’il ne fust parti ; en allant & en revenant les Gardes Françoises & Suisses estoient sous les armes dans l’avancour, & les tambours battoient aux Champs. Le Roy d’Espagne à son retour à Versailles, rendit visite à Madame la Duchesse de Bourgogne, & se retira jusqu’au souper dans son Appartement. A dix heures lorsque le Maistre d’Hôtel eut averti le Roy que la viande étoit sur table, Sa M. envoya avertir le Roy d’Espagne, & l’attendit à la porte de la Galerie, le conduisit à la table, le fit asseoir à sa droite dans un fauteüil, & aprés le souper ils rentrerent dans le sallon, & le Roy le reconduisit jusqu’à la sortie de sa chambre. Le Roy d’Espagne fit donner le bougeoir à son coucher à son Ambassadeur.

Le 17. au matin, Monseigneur le Dauphin vint de Meudon, ce Prince rendit visite au Roy d’Espagne dans son Cabinet. Il entendit la Messe avec les deux Rois, & retourna dîner à Meudon. Sa Majesté Catholique rendit la visite à Monseigneur le Duc de Bourgogne qui la receut à l’entrée de son Appartement, & le reconduisit au même lieu. Le Roy d’Espagne vit Madame la Duchesse dans la même matinée, & peu aprés cette Princesse luy rendit visite.

Vers le midy Monsieur, Madame, Monsieur le Duc de Chartres, & Madame la Grande Duchesse de Toscane vinrent voir le Roy d’Espagne. Sa Majesté Catholique receut Monsieur, & Madame prés la porte de son grand Cabinet, dans lequel se fit la visite ; ensuite elle alla dîner avec le Roy à son grand Couvert, où dînérent aussi Monseigneur le Duc de Bourgogne, Madame la Duchesse de Bourgogne, Monseigneur le Duc de Berry, Monsieur, Madame, & Monsieur le Duc de Chartres.

Sur le soir, le Roy & la Reine de la Grande Bretagne vinrent voir Sa Majesté Catholique, elle receut leurs Majestez Britanniques à l’entrée de son Appartement, dans lequel il y avoit trois fauteüils égaux. La Reine de la Grande Bretagne occupa le fauteüil du milieu ; le Roy de la Grande Bretagne celuy de là droite, & le Roy d’Espagne celuy de la gauche. Quatre Dames de la Cour d’Angleterre, & Madame la Maréchale de la Motte, Gouvernante des Enfans de France, eurent des tabourets. Sa Majesté Catholique reconduisit leurs Majestez Britanniques au lieu où elle les avoit reçûës.

Mr le Nonce, Mr l’Ambassadeur de Venise, & Mrs les Envoyez de Portugal, de Suede, de Lorraine, & de Toscane, firent le 16 & le 17. leurs complimens à Sa Majesté Catholique sur son avénement à la Couronne d’Espagne.

Le 18. le Roy alla prendre le Roy d’Espagne pour la Messe, ainsi qu’il avoit fait le jour precedent, Sa Majesté Catholique donna la main droite au Roy dans son Appartement, & Sa Majesté la luy rendit avant que d’entrer dans la Chapelle ; ce qui se passa de même au retour. Le Roy dîna à son petit Couvert, & le Roy d’Espagne au sien ; Sa Majesté Catholique fut servie par Mr le Duc d’Aumont premier Gentil homme de la Chambre. Ce Prince alla l’apresdinée tirer des Lapins, & fit faire une batuë, le Roy alla tirer des Perdrix dans son Parc. Il y eut grand Couvert au souper, ainsi que les jours precedens.

Le 19. le Roy d’Espagne prit le grand Deüil en noir, le violet n’estant d’usage qu’en France, & en Angleterre. L’Ambassadeur de Sa Majesté Catholique se trouva au lever de ce Prince aussi en grand Deüil, & en manteau traînant, & ensuite il passa dans l’Appartement du Roy, & il eut l’honneur de saluer S. M. Peu de temps aprés le Roy, & le Roy d’Espagne allerent ensemble à la Messe, la queuë de S.M.C. traînant d’une aune & demie, fut portée par Mr le Duc d’Aumont qui sert auprés de ce Prince en qualité de premier Gentilhomme de la Chambre du Roy, jusqu’à l’antrée de la Salle des Gardes, où il la remit entre les mains de Mr le Comte de Druy, Lieutenant des Gardes du Corps qui sert auprés de Sa Majesté Catholique. Ce Comte la porta jusques dans la Tribune. Ce qui se passa de la même maniere au retour de la Messe.

Sur les cinq heures du soir Monsieur le Prince de Galles vint visiter le Roy d’Espagne. Sa Majesté Catholique le receut en manteau à la porte de sa chambre, le conduisit jusqu’au milieu gardant toûjours la main sur ce Prince, & en se couvrant elle le fit couvrir. Le Prince de Galles pria le Roy d’Espagne d’avoir toûjours les mêmes sentimens pour luy qu’il avoit eus jusques alors, ce que Sa Majesté le luy promit. La visite se passa debout, & Monsieur le Prince de Galles s’estant découvert pour prendre congé, le Roy d’Espagne se découvrit, prit la main sur luy, & le reconduisit au lieu où il l’avoit receu.

Le 20. le Roy d’Espagne allant à la Messe, la queuë de son manteau fut portée alternativement par Mr le Marquis de Gesvres, premier Gentil homme de la chambre du Roy, & par Mr le Marquis de Chaseron Lieutenant des Gardes du Corps.

Le même jour, sur les six heures le Roy d’Espagne rendit visite à Monseigneur le Duc de Berry, qui receut Sa Majesté Catholique à l’entrée de son Appartement, & la reconduisit au même lieu.

Le 21. le Roy prit le grand Deüil en violet pour la mort du Roy d’Espagne.

Le même jour, l’Envoyé de Mantouë fit son compliment à Sa Majesté Catholique.

Le 22. le Roy d’Espagne alla au Manége, Mr le Comte de Brionne, Grand Ecuyer de France en survivance de Mr le Comte d’Armagnac son pere, reçût Sa Majesté Catholique, & Mr de Memont, le plus ancien des Ecuyers du Roy, nommé par Sa Majesté pour avoir la conduite des Exercices des Princes Enfans de France, luy fit monter plusieurs Chevaux : Ensuite le Roy d’Espagne courut la Bague, & les Testes. L’Ambassadeur & ceux qui estoient presens, admirerent la force & l’adresse de Sa Majesté Catholique. Si-tost qu’elle fut descenduë de Cheval, l’Ambassadeur s’en approcha, & un genouil en terre, il lui dit, Sire, Vôtre Majesté est faite pour estre sur des Chevaux de Triomphe, que le Ciel luy fasse la grace de s’en servir toûjours avec autant d’adresse, & avec tous les succés possibles, pendant une infinité d’années.

Au sortir du Manége l’Ambassadeur d’Espagne qui avoit dépesché un Courier à Mr l’Electeur de Baviere pour luy dire que le Roy avoit accepté le Testament de feu Sa Majesté Catholique, & que Monseigneur le Duc d’Anjou étoit declaré Roy d’Espagne, recût réponse de cet Electeur qui luy mandoit que rien ne luy estoit plus agreable que cette nouvelle, & ne pouvoit mieux convenir au bon heur de l’Espagne, & au repos de l’Europe ; qu’il en avoit une veritable joye en son particulier, & que toute la Flandre en alloit témoigner la sienne ; qu’il envoyoit ses Ordres par le même Courier, à Mr le Comte de Monasterol son Envoyé, qui se trouvoit à Paris, afin qu’il demandast Audience de Sa Majesté Catholique pour luy témoigner les sentimens où il estoit, & qu’il prioit son Excellence de le conduire en tout ce qu’il devoit faire ; qu’outre cela il envoyoit Mr le Marquis de Bedmar qui est le Premier aprés luy dans le Gouvernement, & qui commande les Troupes de Flandres pour les Espagnols, pour complimenter, & reconnoître le Roy d’Espagne. Mr de Monasterol écrivit en mesme temps de Paris à Mr l’Ambassadeur d’Espagne, que le 20. de ce mois Mr l’Electeur de Baviere avoit fait chanter le Te Deum à Bruxelles ; qu’il s’y estoit trouvé en Personne, & que sa Maison, & sa Garde avoient paru dans la plus grande pompe, que son Altesse Electorale avoit donné ensuite l’Opera, & ordonné des Feux de joye, & des illuminations.

Le même jour, aprés le disner, le Parlement, la Chambre des Comptes, la Cour des Aydes, la Cour des Monnoyes, le Corps de Ville, & l’Université haranguerent Sa Majesté Catholique. Ils sortirent à deux heures aprés midy du lieu ou ils s’estoient assemblez, traverserent la Cour en ordre, monterent par le grand Escalier, & se rendirent à la chambre du Roy d’Espagne. Toutes ces Cours Superieures, & Compagnies en Corps, & en Habit de Ceremonie, furent presentées par Mr le Marquis de Blainville Grand Maistre des Ceremonies, & par Mr des Granges Maistre des Ceremonies. le Roy d’Espagne les reçût en Manteau assis, & couvert. Derriere le fauteüil de sa Majesté Catholique, étoit Mr le Duc de Beauvilliers Premier Gentil homme de la Chambre du Roy, en Manteau long, & à sa gauche Mr le Marquis de Chasseron, Lieutenant des Gardes du Corps.

Mr de Harlay premier President, porta la parole au nom du Parlement. Son discours fut admiré. Il estoit de cette énergie & de cette éloquence mâle dont ce grand Magistrat a coûtume d’accompagner tout ce qu’il dit. Il rendit à l’Espagne cette Justice qu’il sçait rendre à tout le monde. Il en fit l’éloge d’une maniere noble & précise qui ne plut pas moins aux François qu’aux Espagnols. Il fit des reflexions aussi justes qu’obligeantes sur le merite de Mr l’Ambassadeur d’Espagne, & il fit remarquer à Sa Majesté Catholique, que l’Espagne ayant besoin d’un Souverain, avoit jetté les yeux sur tout l’Univers, & ne les avoit arrêtez que sur luy seul.

Le Parlement sortit par la grande Galerie, & la Chambre des Comptes entra par le même côté que le Parlement estoit entré avec les mêmes Ceremonies. Mr de Nicolay premier President porta la parole pour tout le corps. Il parla d’une maniere noble & digne de sa place & de son nom. Il fit remarquer au Roy d’Espagne que la France dans la joye qu’elle luy témoignoit, sçavoit sacrifier son propre interest à celuy de Sa Majesté, puis qu’elle ne pouvoit luy cacher la satisfaction qui luy revenoit d’un avantage qui la privoit de la presence d’un Prince qui luy estoit si cher.

La Cour des Aides suivit à son rang, Mr le Camus premier President, parla avec cette raison & cette sagesse, que tout le monde luy connoist.

La Cour des Monnoyes vint ensuite, & Mr le premier President fit un discours delicat & de bon goût.

Le Corps de Ville entra aprés avec les presens ordinaires qu’elle offrit à Sa Majesté Catholique ; Mr le Prevost des Marchands parla au nom de la Ville, & soûtint l’idée qu’on a toûjours eu de son esprit & de son merite.

L’Université en Corps termina cette grande ceremonie : Mr le Recteur fit un discours convenable à son estat, & proportionné au caractere grave & solide de ceux au nom de qui il parloit.

Le 23. Mr le Comte de Monasterol Envoyé Extraordinaire de Mr l’Electeur de Baviere au Roy d’Espagne, eut audience publique de Sa Majesté Catholique, il y fut conduit par Mr de Saintot Introducteur des Ambassadeurs. Il estoit en deüil & en Manteau traînant. Le Roy d’Espagne en Manteau, le reçût à la ruelle de son Lit, assis, & couvert de la même maniere que le Roy reçoit les Envoyez. Il presenta une Lettre de Mr l’Electeur de Baviere, par laquelle cet Electeur marquoit qu’il estoit prest de recevoir les ordres. Sa Majesté Catholique alla au Manege peu de tems aprés cette Audience, & fit l’honneur à Mr l’Ambassadeur d’Espagne de le faire monter dans son Carosse en y allant, & à son retour.

Le grand Conseil en Corps & en Robes de Ceremonies la harangua l’aprésdisnée de ce mesme jour, Mr de Verthamon premier President de ce Corps porta la parole, & l’Academie Françoise eut ensuite le même honneur. Ils furent presentez par le Grand Maistre, & le Maistre des Ceremonies. Mr de la Chapelle Receveur General des Finances de la Rochelle, porta la parole pour l’Academie comme Directeur de cette Compagnie, & dit que le Roy d’Espagne avoit plus de Royaumes que d’années. Il fut fort applaudi.

Sur les quatre heures du soir le Roy d’Espagne alla à Saint Germain en Laye rendre visite au Roy, & à la Reine de la Grande Bretagne, & à Monsieur le Prince de Galles. Sa Majesté Britanique reçût sa Majesté Catholique à la porte de la Salle des Gardes sur le Grand Escalier, & la conduisit à son Appartement où il y avoit deux Fauteüils ; le Roy d’Espagne occupa celuy de la droite, & le Roy de la Grande Bretagne reconduisit Sa Majesté Catholique à l’endroit où elle l’avoit reçûë ; ensuite le Roy d’Espagne alla chez la Reine de la Grande Bretagne elle le reçût à la porte de la Salle de ses Gardes, & estant entrez dans l’Appartement, ils s’assierent sur deux Fauteüils. Le Roy d’Espagne ayant pris congé de la Reine, rendit visite à Monsieur le Prince de Galles qui le reçût à la Salle des Gardes, & le conduisit dans sa Chambre où il y avoit un Fauteüil, la visite se passa debout, & son Altesse Royale reconduisit S.M.C. jusqu’à son Carosse, & la vit partir.

Les Envoyez de Danemark & de Modene, & le Resident de Cologne, ont complimenté le Roy d’Espagne.

Le 24. le Roy d’Espagne vint à Paris rendre visite au Palais Royal à Monsieur, à Madame, à Monsieur le Duc de Chartres, & à Madame la Duchesse de Chartres. Monsieur, & Monsieur le Duc de Chartres allérent recevoir Sa Majesté Catholique, qui se promena avec son Altesse Royale dans la nouvelle Galerie, & sur le Balcon qui regarde le Jardin. Le Roy d’Espagne revenant dans les Appartemens, Madame le receut à la porte de l’antichambre de Monsieur. La visite se passa debout, ensuite de laquelle, le Roy d’Espagne ayant pris congé de Madame qui rentra chez elle, alla chez Monsieur le Duc de Chartres, & chez Madame la Duchesse de Chartres. Les visites se passérent aussi debout, & leurs Altesses Royales reconduisirent Sa Majesté Catholique à son carosse, & la virent partir. Le Peuple cria, Vive le Roy d’Espagne, dans toutes les ruës de Paris, par lesquelles Sa Majesté Catholique passa. Elle alla coucher à Marly, où le Roi estoit. Il ne se passa rien de remarquable le 25.

Le 26. Mr le Marquis de Bedmar, General des Armés de Flandre, Envoyé de Mr l’Electeur de Baviere, alla à Marly. Sa Majesté Catholique le receut dans son Cabinet, debout, & sans chapeau. Le Marquis de Bedmar le salua profondément à l’Espagnole, mit un genoüil à terre, & luy baisa la main. Mr le Prince de Chimey, & quelques Espagnols en firent autant. Le compliment de Mr de Bedmar fut assez long, & le Roy d’Espagne y répondit de tres bonne grace.

On a sceu que tous les Officiers de consideration qui sont dans les Places de Flandre estoient venus à Bruxelles demander à Mr l’Electeur de Baviere permission de venir saluer le Roy d’Espagne ; mais qu’il leur avoit dit de retourner dans leurs Garnisons, & de n’en point sortit sans ordre.

Si tost que le Roy eut declaré Monseigneur le Duc d’Anjou, Roy d’Espagne, Sa Majesté luy dit de remercier Dieu de la grace qu’il luy avoit faite, & qu’il ne la devoit qu’à lui seul ; qu’il alloit regner sur une Nation fidelle, & qui aimoit beaucoup son Roy ; qu’il devoit estre bon Espagnol, & suivre les avis de ses Ministres qui estoient d’un grand merite ; mais de n’oublier jamais qu’il estoit né François. On ne peut dire davantage en peu de paroles, C’est la maniere du Roy ; s’il manque quelque chose à ce que je viens de rapporter, c’est que Sa Majesté s’expliqua beaucoup mieux que je ne viens de faire, ne vous ayant rapporté que les pensées, & non les termes dont ce Prince s’est servi.

Le Roy a fait aussi connoître à Sa Majesté Catholique tout le merite de l’Ambassadeur d’Espagne qui est en cette Cour, & luy a dit que ses graces ne pouvoient tomber sur un Sujet plus digne, plus zelé, plus fidelle, & plus honneste homme.

Sa Majesté Catholique doit partir le 4. de Decembre.