1700

Mercure galant, décembre 1700 [tome 12].

2017
Source : Mercure galant, décembre 1700 [tome 12].
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Mercure galant, décembre 1700 [tome 12]. §

[Sonnet] §

Mercure galant, décembre 1700 [tome 12], p. 5-8.

Je n’ay rien à vous dire, Madame, sur le Sonnet qui fait le commencement de cette Lettre. Il est sur un grand évenement, connu à present de toute l’Europe, puis qu’il doit avoir esté sceu dans tous les lieux où la nouvelle de la mort du Roy d’Espagne a esté portée, & qu’il n’en est point dans cette partie du monde où cette nouvelle ne doive estre parvenuë. Je ne puis vous dire qui en est l’Auteur. Il s’est contenté d’estre le premier qui a écrit sur cette matiere, sans avoir voulu se faire connoistre.

AU ROY.
Sur le Testament de Sa Majesté
Catholique Charles II.

Grand Roy, qu’en ses conseils
 Dieu paroist admirable !
De deux Peuples guerriers, l’un à l’autre opposez,
Les esprits & les cœurs se trouvent appaisez,
L’Espagne d’un François choisit le joug aimable.
***
D’où vient ce changement, à nos yeux admirable ?
C’est que vos interests ne sont point divisez
Des interests de Dieu, si souvent méprisez,
Et que dans vostre cœur la Foy fut toujours stable.
***
Vous l’avez protegée en vos vastes Etats,
Vous l’avez étenduë en de lointains climats ;
Aussi ressentez-vous ses promesses fidelles.
***
Et comme vous avez en ce mortel sejour
Sans cesse au Roy des Rois consacré vostre amour,
Il vous a fait trouver des Couronnes nouvelles.

[Lettre de Troyes] §

Mercure galant, décembre 1700 [tome 12], p. 8-30.

Quoy que je vous aye déja parlé de l’Incendie arrivé à l’Eglise de Troyes, je ne puis m’empêcher de vous faire part d’une Lettre qu’un Ecclesiastique de la même Ville a écrite à un de ses amis sur ce sujet. Vous y trouverez de nouvelles circonstances que vous ne serez pas fâchée de sçavoir.

A MONSIEUR ***

A Troyes, ce 18. Octobre 1700.

L’on m’a dit, Monsieur, que vous aviez esté informé du malheur arrivé à nostre Eglise, que vous en aviez esté touché & que vous souhaitiez d’en apprendre le détail. Je vous diray donc que l’Eglise Cathedrale de Saint Pierre de Troyes étoit une des plus belles Eglises de France, & pour la grandeur, & pour la clarté, & pour l’exhaussement. Elle a sur son Portail deux grosses Tours dont il n’y a que celle à gauche qui soit achevée. Il y avoit sur la Croisée de l’Eglise une Fléche des plus parfaites & des plus hautes que l’on puisse voir. C’est la cause de nostre malheur.

Il fit trois coups de Tonnerre la nuit du Jeudi 7. au Vendredi 8. de ce mois. Du premier coup qui se fit entendre un peu aprés minuit, le Tonnerre tomba sur la Fléche & mit le feu tout au haut au dessous de la Croix. Il fut apperçu peu de temps aprés : mais il ne parut pendant plus d’une heure que comme un flambeau, dont le feu brûloit sans se communiquer. On sonna incontinent le Tocsin à toutes les Eglises. Les Magistrats, les Officiers de la Ville, & les Bourgeois y accoururent, & travaillérent sans relâche avec un zele admirable. Nos Ecclesiastiques & nos Religieux ne s’épargnérent pas, & furent d’un grand secours. Beaucoup de gens montérent sur les Voutes ; & il y en eut même d’assez hardis pour entrer dans le Clocher, pour vouloir gagner l’endroit où étoit le feu, & essayer de l’éteindre avec des Seringues & des Eponges ; mais le plomb qui commençoit à fondre, les obligea de se retirer ; & sans la précaution que quelques-uns d’eux avoient prise de s’armer la teste d’un Casque, ils ne se fussent pas retirez sans peril.

On perdit donc dés lors l’esperance de sauver le Clocher & la charpente, & l’on ne pensa plus qu’à garantir de l’embrasement les bas-côtez de l’Eglise & les maisons voisines. Le feu fut environ deux ou trois heures à descendre jusqu’à la base du Clocher. Là il fut augmenté par la fonte de quatre petites cloches & du plomb qui entouroit les piliers, & qui couvroit du haut en bas toute la lanterne du Clocher, fort élevée & fort spacieuse. Ce fut pour lors un spectacle terrible par l’embrasement de la toiture de l’Eglise, où le feu prit des quatre costez tout à la fois, & qui fut consumée toute entiére en trois quarts d’heure de temps.

Les voûtes ont été crevées au dessous de la fléche, & endommagées en plusieurs endroits. La couverture des bas-costez & des Chapelles qui estoit beaucoup plus basse que le comble, a esté conservée par le soin que l’on a pris d’éteindre le feu qui s’y estoit attaché par les piliers du Clocher qu’on y vit tomber en même-temps de chaque costé. Il s’y alluma à plusieurs reprises ; mais la diligence que l’on apporta à l’éteindre, a fait qu’il n’y a de gâté dans la couverture de ces bas costez, que ce qui s’est trouvé le plus proche de la croisée.

La grosse Tour a couru grand danger. Elle a esté sauvée par un pignon de pierre sous lequel estoit l’ancien portail de l’Eglise avant que les Tours fussent bâties. Ce pignon arresta tout court le feu, qui n’estoit alors agité par aucun vent ; & ainsi on a sauvé les grosses cloches. Une figure de pierre qui estoit sur la cime du pignon, & qu’un gros barreau de fer avoit tenuë attachée par derriere à la charpente, tomba la nuit suivante sur trois hommes qu’elle tua sur la place, & crevant la voûte s’alla briser sur le pavé de l’Eglise. C’est tout ce que nous avons perdu d’hommes. Les vitres de l’Eglise qui estoient tres-belles, sont cassées environ pour un tiers.

A l’égard de la maçonnerie, il y a au dessus de l’Eglise un parapet tres-bien fait qui tourne tout au tour. Ce parapet a été cassé & renversé en plusieurs endroits. On ne peut dire encore le mal que le feu aura fait aux murailles & aux voûtes. Il ne faut pas douter qu’il n’y en ait beaucoup de calcinées : cela ne se connoistra bien qu’aprés les gelées. Pour en empêcher le mauvais effet, on songe à couvrir incessamment l’Eglise de paille ; ce qui sera une dépense de plus de dix mille francs, quoique plusieurs personnes de pieté s’efforcent de contribuer à ce premier rétablissement en donnant les uns des bois, les autres des perches, & les autres de la paille. Il y en a même d’assez charitables pour entreprendre de faire une travée toute entiére. Chacune a quarante-deux pieds de large sur vingt de long. Il y a une grande rupture aux chaises du Chœur.

On croit que le dommage causé par cet Incendie est de plus de deux cens mille écus. La Fléche seule qui estoit au milieu des voûtes, coûteroit deux cens mille francs à élever. Ayant esté renversée il y a prés de trois cens ans par une tempeste, on fut dix-sept ans à la rétablir du temps des Anglois ; car on la commença en 1413. & elle ne fut achevée qu’en 1430. Elle avoir plus de cent cinquante pieds de hauteur au dessus du toit. Il faudroit bien cent mille écus pour réparer la charpente de l’Eglise, & la couvrir d’ardoises, comme elle estoit. C’est une entreprise digne de la pieté de toutes les personnes charitables, qui doivent à l’envi les unes des autres contribuer au rétablissement de la Maison du Seigneur, & d’un Temple, dans lequel il a toujours esté servi avec beaucoup d’édification. C’est un des remedes les plus efficaces pour racheter nos pechez, pour apaiser la justice de Dieu irrité, & pour attirer sa misericorde sur nous. Entrons dans les sentimens, & imitons le zele du Roy Prophete, qui a eu tant d’amour pour le Temple du Seigneur, & qui a employé des tresors immenses, & apporté tous les soins imaginables pour le bâtir & pour l’embellir ; en sorte que quand nous serons prests de paroistre devant Dieu, pour luy rendre compte du bon usage de nos biens, & de toutes les actions de nostre vie, nous puissions dire avec le même Roy, Domine, dilexi decorem domus tuæ, & locum habitationis gloriæ tuæ ; ne perdas cum impiis, Deus, animam meam. Psal. 25. 8.

C’est dans cet esprit & pour de semblables motifs que Monseigneur nostre Evêque a ordonné des prieres publiques dans toutes les Eglises Paroissiales de cette Ville pendant trois semaines. Voici son Mandement que j’ay transcrit mot à mot, de peur d’en diminuer la beauté & la justesse, & que vous lirez sans doute avec beaucoup de satisfaction.

Denis François Bouthillier de Chavigny, par la misericorde de Dieu, & par la grace du Saint Siége Apostolique, Evêque de Troyes, à tous les Fidelles de la Ville de Troyes, Salut & Benediction. Le zéle que vous avez fait paroistre pour éteindre le feu du Ciel tombé sur nostre Eglise Cathedrale le 8. de ce mois, & la consternation publique qui a paru depuis dans toute cette Ville, nous font connoistre combien vous estes sensibles à sa perte, & ce que nous pouvons esperer de vostre secours pour son rétablissement. Il est temps de sortir du trouble où nous a jettez un malheur si grand & si imprévu, pour tourner nos esprits & nos cœurs vers Dieu, par l’ordre duquel toutes choses nous arrivent. Nous devons en premier lieu le remercier de ce qu’il nous a preservez d’une plus grande ruine ; car qui n’a point craint la perte de toute cette Ville, ou du moins de la plus grande partie, en voyant brûler ce Temple ? C’est donc par un effet de la misericorde du Seigneur que nous n’avons pas esté entiérement consumez, & il est juste de luy en marquer nostre reconnoissance par des actions de graces solemnelles. Mais en même-temps il a permis la destruction de son Temple, de cette Eglise commune, la Mere de toutes celles de ce Diocese ; & ce doit estre pour nous un objet de crainte & de frayeur, que la Justice Divine irritée par nos pechez n’ait voulu nous punir par ce que avions de plus cher & de plus précieux, peut estre même vanger par cette privation les irreverences qui se commettent tous les jours dans nos Eglises. Nous devons adorer la main de Dieu dans ce triste évenement, nous humilier devant luy & tâcher d’appaiser sa colere par les sentimens de la plus sincere penitence. Ce sera le moyen d’attirer sur nous les graces & les benedictions qui nous sont necessaires dans l’estat déplorable où nous nous trouvons réduits, & de mériter les secours que nous attendons de la Providence, pour relever les ruines du Sanctuaire. Excitez par tous ces motifs, Nous avons cru qu’il estoit de nostre devoir & de nostre religion, de faire des Prieres publiques dans toutes les Eglises Paroissiales de cette Ville. Nous commencerons Dimanche prochain par une Procession que nous ferons avec nostre Chapitre. Nous irons ensuite celebrer le saint Sacrifice de la Messe dans l’Eglise de Saint Jean, où nous exposerons le Saint Sacrement ; & nous reviendrons enfin chanter une Antienne sous le Portail de nostre Eglise Cathedrale. Les Prieres continueront le lendemain avec Exposition du S. Sacrement dans ladite Eglise de Saint Jean, & successivement dans toutes les Eglises Paroissiales de cette Ville. Nous exhortons toutes les Communautez Seculieres & Regulieres, de faire aussi quelques Prieres particulieres pour les mêmes motifs. Nous recommandons à tous les Fidelles d’assister à toutes celles qui se feront dans les Paroisses & ailleurs, avec l’assiduité & la ferveur que nous attendons de leur pieté, & nous ordonnons que le present Mandement soit publié Dimanche prochain aux Prônes de toutes les Paroisses de cette Ville. Donné à Troyes dans nostre Palais Episcopal ce 15. Oct. 1700.

La Ceremonie se passa comme elle avoit esté marquée. J’ajoûteray seulement quelques circonstances qui la rendirent extrêmement touchante. Monseigneur l’ancien Evêque voulut bien l’honorer de sa présence. La modestie & la pieté avec laquelle ces deux Prelats & leur venerable Compagnie se mirent en marche, nonobstant la pluye qui dura pendant tout ce tems là, édifiérent & saisirent tellement le Peuple qui y estoit accouru de toute la Ville, que la plûpart en furent attendris, & ne pûrent retenir leurs larmes. Ce que l’on chanta, & la maniere avec laquelle on le fit, inspiroit de la pieté & de la componction aux moins devots & même aux plus endurcis ; mais je vous avouë, Monsieur, que rien ne toucha plus vivement, que quand au retour cet illustre Corps se fut arresté sous le grand portail de l’Eglise, comme pour y rendre hommage aux précieux restes de cet auguste Sanctuaire. La consternation se trouva peinte sur tous les visages, & quoy que les cœurs fussent serrez de douleur, on ne laissa pas de chanter avec les sentimens d’une veritable penitence le Trait, Domine non secundùm, &c. Ainsi finit cette triste Ceremonie ; par où je vous prie de trouver bon que je finisse aussi le recit de nos malheurs. Je suis, Monsieur, &c.

[Sonnet sur la mort du feu Roy d’Espagne] §

Mercure galant, décembre 1700 [tome 12], p. 83-85.

Les Muses n’ont pû se taire sur le grand évenement qui vient d’arriver. Je commence par un Sonnet fait sur la mort du Roy d’Espagne Charles II.

C’en est fait, il n’est plus cet infirme Monarque,
Que la vie & la mort ont long-temps disputé,
Qui tantost moribond, tantost ressuscité,
D’un vif & d’un mourant avoit toujours la marque.
***
Enfin, c’est à ce coup que la main de la Parque
A terminé le cours de son infirmité,
L’Empire qui vouloit celebrer sa santé,
Sçaura que de Caron il a passé la Barque.
***
Vous, François, qui sçavez seurement son trépas,
Prenez un triste deüil en prenant ses Etats,
Qui vous sont devolus par un droit autentique.
***
Vous avez plus d’un titre en cet évenement ;
C’est à vous de choisir en bonne politique,
Qualité d’Heritier, Partage, ou Testament.

[Madrigal] §

Mercure galant, décembre 1700 [tome 12], p. 85-86.

Voicy une Allegorie qui enferme la mort du Pape avec celle du Roy d’Espagne.

 Outre les feüilles dont l’Automne
 Dépoüille les champs & les bois,
 Deux Arbres tombent à la fois,
 Ce qui toute la Terre étonne.
L’un fut toujours panchant depuis qu’il fut planté,
Et l’autre de durer cent ans s’estoit flaté.

Ce qui suit a esté fait par Mr de Monteclair, sur le Testament du feu Roy d’Espagne, en faveur de Monseigneur le Duc d’Anjou.

MADRIGAL.

Charles d’Autriche eut bien raison,
De prendre un Heritier dans le Sang de Bourbon,
 Comme son Testament l’explique.
 Il convient bien
Qu’un Prince Tres Chrestien
Soit reconnu Catholique.

[Sonnet] §

Mercure galant, décembre 1700 [tome 12], p. 87-89.

Mr Cheron à fait le Sonnet qui suit ce Madrigal.

AU ROY D’ESPAGNE.

Grand Roy, quand vos vertus, vostre air prudent & sage,
Vous ont fait couronner d’une commune voix,
On connoist que Dieu même est auteur de l’ouvrage,
Et par la voix du peuple execute son choix.
***
Sans qu’il en ait cousté ni guerre, ni ravage,
La moitié des mortels est soûmise à vos loix,
Et vous seul possedez l’éclatant avantage
De vous voir aussi jeune un des plus puissans Rois.
***
Le More sanguinaire & de pillage avide,
Sous son visage noir dérobant sa pâleur,
Fait connoistre en tremblant qu’il craint vostre valeur.
***
Bien-tost on va graver aux colomnes d’Aloide,
Monumens éternels de ses hautes vertus,
Le Roy Philippe Cinq a fait mille fois plus.

[Autres pièces de Vers] §

Mercure galant, décembre 1700 [tome 12], p. 89-101.

Je vous envoye encore un Madrigal au sujet du Roy d’Espagne.

 Charles Quint separa l’Empire de l’Espagne,
Ce Prince tres prudent craignoit pour l’avenir
Que Philippe son fils n’eust peine à soûtenir,
Ce haut rang qu’un fardeau trop pesant accompagne.
 Un autre Philippe aujourd’huy,
Dont le droit paternel ne souffre aucun partage,
Seul & jeune succede à ce vaste heritage
Mais ce digne Monarque est seur d’un bon appui,
Son Pere, son ayeul, & le Ciel sont pour luy.

Les autres pieces que j’ajoûte à celles-cy, sont toutes de Mr Mallement de Messange.

MADRIGAL
SUR L’ARRIVÉE
DE PHILIPPE V.
A la Couronne d’Espagne.

 Le plus beau Sang de l’Univers,
Le même en deux Princes divers,
Occupe, reveré de la Terre & de l’Onde,
 Les deux premiers Trônes du monde.
***
Entre deux grands Rivaux, par ce rare succés,
 La vieille discorde est finie.
Par le solide nœud d’une éternelle Paix
 L’Espagne à la France est unie.
***
Et Mars deconcerté de voir son regne à bout,
Admire, en regardant leur concorde nouvelle,
 Que la Mort, qui désunit tout,
 Ait fait une union si belle.

SONNET
Sur le même sujet.

Assez & trop longtemps l’infernale imposture
 D’un insigne Ennemi des Cieux
 A rempli les celebres lieux,
Où l’on vit d’Augustin éclater la foy pure.
***
Un Astre de Bourbon cheri de la nature
 S’approche de ce Bord fameux,
 Et par le pouvoir de ses feux
Doit chasser la noirceur de cette nuit obscure.
***
Les Maures sous ses loix quitteront les erreurs
Dont un Roy de son Sang combatit les horreurs
Delà les vastes flots qui frappent la Libye.
***
Il va du joug Chrestien leur donner l’heureux sort,
Et par la liberté d’une celeste vie
Vanger d’un saint Ayeul l’esclavage & la mort.

ADIEU
De Versailles & de ses environs au Roy d’Espagne.

 Versailles, Marly, Trianon,
 Voyant le grand Roy d’Iberie
Regretter leurs attraits & ceux du beau Meudon,
Luy crioient d’une voix de respect attendrie.
***
 Prince, ne vous affligez plus.
 Vous trouverez dans l’Hesperie
Dequoy vous consoler de nous avoir perdus ;
Elle aura ses beaux lieux comme vostre Patrie.
***
Que l’on seroit heureux, si pour charmer l’ennuy,
 Où vous nous laissez aujourd’huy,
Chacun pouvoit bâtir dans sa propre Campagne
 Des Châteaux de même beauté,
 Et de mesme solidité,
Que seront desormais vos Châteaux en Espagne !

MADRIGAL
Sur le Départ du Roy d’Espagne.

 Espagnols, quelle récompense
 Pouvez vous donner à la France
Pour le bien sans pareil que vous en recevez ?
Tout le Vin qu’Alicant voit naître au bord de l’Onde,
Tout le Tabac d’Espagne & l’Or du nouveau Monde,
Valent ils le Tresor que vous nous enlevez ?

Cet autre Sonnet merite bien d’avoir place icy.

Au Roy d’Espagne.

Va monter sur le Trône, où l’Espagne t’appelle,
Prince, qui sors d’un Sang fecond en Demi dieux,
Pour l’art de gouverner, l’on sçait bien en tous lieux
Que Loüis t’a formé sur son parfait modéle.
***
Instruit par son exemple, & plein d’un noble zéle,
L’on ne te verra point dementir tes Ayeux :
Et déja l’Espagnol par son choix glorieux
Voit luire en sa Couronne une splendeur nouvelle
***
Quel bonheur pour l’Ibere ; & quel plus grand éclat,
Quand ta main aura pris les resnes de l’Etat,
Qu’avec force & prudence, on te verra conduire !
***
Tous ces Peuples ravis de ton Gouvernement,
Surpris de ta vertu, charmez de ton Empire,
Beniront l’heureux jour de ton avénement.

Ces vers ont de Mr le Chevalier de Mailly, qui nous a donné plusieurs beaux Ouvrages, & entr’autres les Avantures & Lettres galantes, avec la Promenade des Tuilleries, & l’Heureux Naufrage qui en est la seconde Partie. Comme j’en ay déja fait mention dans quelques unes de mes Lettres, je vous diray seulement dans celle-cy, que si c’est une marque de la bonté d’un Livre d’en faire plusieurs Editions, on peut croire que ceux-ci sont excellens, puis qu’outre les deux qui en ont déja esté faites en peu de temps, l’estime universelle qu’ils se sont acquise, fait juger qu’il s’en fera plusieurs autres. Ils se vendent au Palais chez Jean-Baptiste Langlois, vis-à-vis la porte de la Grand Chambre ; à Roüen chez Jean Baptiste Besongne, ruë Escuïere ; à Bordeaux chez la Bottiere ; & à Tours chez Duval.

[Programe] §

Mercure galant, décembre 1700 [tome 12], p. 112-117.

Je vous envoye le Programe que Mrs de l’Academie Françoise ont fait publier pour les Prix d’Eloquence & de Poësie, qu’ils donnent tous les deux ans.

L’Academie Françoise fait sçavoir au Public que l’année prochaine 1701. le vingt-cinquiéme jour d’Aoust, Feste de Saint Louis, elle donnera le Prix d’Eloquence fondé par Mr de Balzac, de l’Academie Françoise. Le sujet sera, Que la negligence dans les petites choses conduit insensiblement dans de grands desordres, par rapport à ces paroles de l’Ecclesiastique : Qui spernit modica paulatim decidet. Et il faudra que le Discours ne soit que de demi-heure de lecture tout au plus, & qu’il finisse par une courte Priere à Jesus-Christ.

On ne recevra aucun Discours sans Approbation, signée de deux Docteurs de la Faculté de Theologie de Paris, & y résidant actuellement.

Le même jour elle donnera le Prix de Poësie fondé par Mr de Clermont de Tonnerre, Evêque & Comte de Noyon, Pair de France, & l’un des Quarante de l’Académie. Le sujet sera, Que le Roy n’est pas moins distingué par les vertus qui font l’honneste homme, que par celles qui font les grands Rois. Il sera permis d’y joindre tel autre sujet de loüange que chacun voudra, sur quelques actions particuliéres de Sa Majesté, ou sur toutes ensemble, pourveu qu’on n’excede point cent vers ; & on y ajoûtera une courte Priere à Dieu pour le Roy, separée du corps de l’Ouvrage, & de telle mesure de vers qu’on voudra.

Toutes personnes seront reçeuës à composer pour ces deux Prix, horsmis les Quarante de l’Academie qui doivent en estre les Juges.

Les Auteurs ne mettront point leur nom à leurs Ouvrages, mais une marque ou paraphe, avec un passage de l’Ecriture Sainte, pour les Discours de Prose ; & telle autre sentence qu’il leur plaira, pour les Pieces de Poësie.

Ceux qui prétendront aux Prix seront obligez de mettre leurs Ouvrages dans le dernier jour de May prochain, entre les mains de M. l’Abbé Regnier, Secretaire perpetuel de l’Academie Françoise, à l’Hostel de Crequy, sur le Quay Malaquest :

Et en son absence,

Chez Jean-Baptiste Coignard, Imprimeur & Libraire ordinaire du Roy & de l’Academie Françoise, ruë S. Jacques, à la Bible d’or.

[Receptions faites à Mr l’Arc. De Lyon] §

Mercure galant, décembre 1700 [tome 12], p. 117-134.

Le College de Son Altesse Serenissime Monsieur le Duc du Maine, dans la Ville de Thoissey en Dombes, ayant appris que Mr l’Archevêque de Lyon devoit venir faire sa premiere visite dans cette Souveraineté, luy députa le principal Recteur & l’un des Aggregez, pour luy témoigner sa joye d’une si bonne nouvelle, & pour le supplier, lors qu’il passeroit à Thoissey, de vouloir bien y venir loger. Ce Prelat receut le compliment avec beaucoup d’honnesteté. Cette députation luy donna lieu de parler du cours de Mathematique nouvellement composé par l’un des Aggregez. Il s’entretint aussi de la These dédiée à Mr le Chevalier de Dombes, pour qui il conserve une estime toute singuliére. Le genie de ce Prélat est si universellement reconnu en France, qu’il seroit icy inutile de faire son Portrait ; il suffit de dire qu’il est d’une érudition tres-profonde ; que l’antiquité n’a rien de beau qu’il n’ait découvert & approfondi, & qu’il s’attache à remplir tous ses devoirs avec une entiére exactitude.

Il commença sa visite au mois de Novembre, & alla à Trevoux, Capitale de la Souveraineté, où il fut magnifiquement regalé par Mr le premier President, durant tout le temps qu’il y séjourna. De-là il se rendit dans la Ville de Saint Trivier, où le principal Recteur & l’un des plus anciens Aggregez du Collége de Thoissey, luy allérent rendre visite. Il les reçeut avec beaucoup de marques d’amitié, & leur promit que le lendemain treize du mois passé il iroit coucher au Collége. Mr le Lieutenant General du Baillage de Thoissey, & Mr le Procureur de son Altesse Serenissime, en ayant esté avertis allérent à sa rencontre jusques à Saint Trivier, accompagnez de six vingts Bourgeois à cheval. Ils saluérent ce Prélat, & l’emmenérent tout droit au Collége de son Altesse Sérenissime sur les cinq heures du soir, aux acclamations de tout le Peuple, qui depuis prés d’un siécle n’avoit point vû d’Archevêque de Lyon à Thoissei. De si loin que le principal & les Aggregez le purent appercevoir, ils s’empressérent d’aller au devant de luy, & aprés luy avoir marqué leur joye, ils le conduisirent dans son Appartement. Mr l’Archevêque estoit accompagné dans cette visite, de Mr l’Abbé de Vaubecour, Aumônier du Roy, Abbé d’Enay de Lyon ; de Mr de la Poipe, Comte de Lyon, Docteur de Sorbonne, l’un des Grands Vicaires du Diocese ; de Mr de Rochebonne, Comte de Lyon, Docteur de Sorbonne ; de Mr de Ville, Grand Vicaire des Religieuses du Diocese ; de Mr Curtillat, Conseiller Clerc au Parlement de Dombes, Doyen de la Collégiale de Trevoux, Archiprêtre de Dombes ; de Mr Terrasson, Custode de l’Eglise de Sainte Croix de Lyon, & autres personnes de sa Maison, qui furent tous logez au Collége. Aprés quelques momens de repos, le principal Recteur, en Habit de cérémonie, à la teste de son Corps, complimenta ce Prélat au nom du Collége, & il répondit avec une entiére justesse d’esprit. La Ville luy donna ce soir là un magnifique soupé, au son des Trompettes, pour donner des marques de sa joye, & le Fruit fut accompagné de la bande de Violons, qui fit tres-bien son devoir, non-seulement ce soir-là, mais durant tous les repas qu’il prit à Thoissei.

Le lendemain, Mr le Lieutenant General à la teste de son Corps, luy fit un tres-beau compliment. Mrs les Consuls suivis de plusieurs Bourgeois en firent aussi un, & il répondit aux uns & aux autres d’une maniére à augmenter le respect qu’on avoit pour luy. Pendant ce temps-là, on posa un Priedieu devant la grande porte du Collége, chargé d’un tapis de Turquie, avec deux carreaux de velours cramoisi, garnis de galons d’or. On en avoit même placé un autre de semblable étoffe dans le Chœur de l’Eglise du Collége, servant d’Eglise Paroissiale, & un fauteüil dans le Sancta Sanctorum, du costé de l’Epître, chargé d’un carreau de velours cramoisi, garni de galons & de pendans d’or. Toutes choses ainsi disposées, le principal Recteur en qualité de Curé, tout le Clergé du Collége, & les autres Ecclesiastiques, qui étoient accourus à cette ceremonie, tant de la Ville que des environs, suivis de Mrs du Bailliage, des Bourgeois, & des principaux, & d’un nombre infini de Peuple, s’en allérent processionnellement se ranger au devant du prie-dieu à la grande porte du Collége, tandis que le Prelat avec sa mitre précieuse, en camail & en rochet, tenant devant lui son écharpe précieuse, precedé de son Porte croix & de son Porte crosse, se vint mettre à genoux sur le prie-dieu, & sous le Dais porté par les quatre Bourgeois les plus anciens & les plus apparens de la Ville. Le principal Curé revêtu d’une chape à fond d’or, aprés avoir donné la Croix à baiser au Prélat, le complimenta au nom de tout le Clergé. Ce Prélat luy répondit par un discours d’une tres-grande érudition. On chanta ensuite l’Antienne, Sacerdos & Pontifex, marchant vers l’Eglise ; où lors qu’on fut arrivé, le principal Curé presenta l’eau benite au Prelat, & l’encensa. On alla ensuite au Chœur. Le Prélat se mit à genoux sur le marchepied, ou Priedieu préparé, & on continua de chanter les Antiennes, les Versets, & les Oraisons, suivant la coûtume que l’on observe en de pareilles ceremonies. Mr l’Archevêque celebra la Messe, & dit plusieurs prieres pour les Ames des fidelles Trepassez, tant dans l’Eglise que dans le Cimetiere. Il visita le Tabernacle, & donna solemnellement la Bénédiction du S. Sacrement ; il visita de même les Fonts baptismaux, les Livres des Actes baptistaires, des Mortuaires, & des Mariages, les Vases sacrez, les Chapelles, & trouva toutes choses en bon ordre. Il remarqua avec beaucoup d’attention la dépense que le Principal & les Aggregez du Collége ont faite, tant de leur patrimoine que de leurs travaux, qui se monte à dix mille livres pour les reparations & l’ornement de cette Eglise, sans que les Bourgeois & Habitans de Thoissey y ayent contribué d’aucune chose, quoique l’Eglise du Collége soit l’Eglise Paroissiale de Thoissei. L’apresdinée, le Prelat retourna à l’Eglise, où avec une patience édifiante, il administra le Sacrement de Confirmation jusqu’à huit heures du soir. Le Collége durant tout ce jour-là regala ce Prélat.

Le lendemain 15. du mois, il sacra la Chapelle que les Religieuses de sainte Ursule ont fait bâtir cette année, & qui ne leur coûte guére moins de dix mille écus. Il y dit la Messe pontificalement, accompagné de deux Prestres, revêtus des Habits Sacerdotaux, qui servoient suivant l’usage de ce Diocese de Muses, de Diacres & de Soudiacres. Cette ceremonie de Sacre d’Eglise dura depuis sept heures du matin jusqu’à deux heures aprés midi. La Superieure qui n’a pas moins d’esprit que de vertus le complimenta ensuite. A quatre heures & demie, ce Prélat infatigable retournant à l’Eglise y administra le Sacrement de Confirmation jusqu’à huit heures. Durant tout ce jour-là, il fut regalé par les Religieuses Ursulines.

Le jour suivant, aprés avoir fait ses prieres accoutumées, & oüy la Messe, il continua d’administrer le Sacrement de Confirmation jusques à midy. Il réforma plusieurs abus qui s’estoient introduits dans la Confrairie des Penitens blancs, appellez du Saint Sacrement. L’aprésdînée il acheva de confirmer tous ceux qui se presenterent, & il le fit avec une douceur & une patience admirable. Le College & les Religieuses le regalerent encore tout ce jour là.

Le 17. au matin, s’appercevant qu’il ne restoit personne à confirmer, il résolut de passer en Beaujolois, & de commencer sa route par Belleville, éloignée de deux petites lieuës de Thoissey. Le Principal & l’Aggregé s’estant rendus dans sa chambre, le remercierent de l’honneur qu’il leur avoit fait de prendre son logement au College. Ils luy demanderent ensuite sa benediction sur cette Maison, & sur toute la Ville, & l’honneur de son amitié & de sa protection. Ce Prelat leur en donna toutes les marques possibles, & les assura de son estime & de son affection. Mr le Lieutenant General, Mr le Procureur de Son Altesse Serenissime, & vingt Bourgeois à cheval, avec le Principal & l’un des plus anciens Aggregez du College, l’accompagnerent jusque sur les limites de la Souveraineté. Le Principal eut l’honneur de sa conversation durant tout le chemin, & il ne le quitta point qu’il ne l’eust mis dans la maison qu’on luy avoit préparée à Belleville.

[Autres Madrigaux au Roy, & au Roy d’Espagne] §

Mercure galant, décembre 1700 [tome 12], p. 134-140.

Voicy encore quelques autres Vers sur ce que Monseigneur le Duc d’Anjou a esté appellé à la Couronne d’Espagne. Les premiers sont de l’illustre Mademoiselle de Scudery.

J’Ay prédit mille fois que mon divin Heros
 Dans le plus paisible repos
Regneroit par son Sang sur la terre & sur l’onde,
Et qu’il seroit toujours le plus grand Roy du monde ;
Mais ce qui me ravit en cet heureux moment,
Nous voyons aujourd’huy ce grand évenement.

Mademoiselle d’Alerac de la Charce, aussi considerable par son esprit que par sa naissance, a fait les deux Madrigaux qui suivent.

AU ROY.

Heros, plus grand cent fois que ne fut Alexandre,
En rendant comme luy ce que vous avez pris,
Les cœurs vous sont restez ils vous sont tous soumis,
 L’Espagne vient de nous l’apprendre.
Pour Maistre elle voudroit nostre Auguste LOUIS ;
A ce noble bonheur ne pouvant pas prétendre,
 Elle luy demande son Fils.

POUR LE ROY
d’Espagne.

 De l’Astre qu’annonce l’Aurore
L’Espagne sur ses champs voit toujours l’appareil.
Quand on croit chez Thetis qu’il se livre au sommeil,
Dans la nouvelle Espagne on voit qu’il brille encore,
 Et cette fiere Nation
 Suivant la noble ambition
 Qui la guide & qui la devore,
Demande encor son digne Fils pour Roy,
 Heureux qui vivra sous sa loy !
 Dés sa naissance l’on l’adore !
Ah, que de tristes pleurs, & que de tendres cris
 Nous coûtera cette cruelle absence !
Il nous reste, il est vray trois grands Princes en France ;
Mais peut on trop avoir du beau Sang de LOUIS ?

Mademoiselle Bernard est entrée dans le noble empressement de ceux qui se sont hâtez d’écrire sur le grand évenement qui fait parler aujourd’huy toute l’Europe. Voicy ce que luy a inspiré son heureux genie.

 Que vois-je ? Quel éclat soudain !
Quelle Divinité brille aux yeux de la France !
 C’est la Fortune qui s’avance
 Avec vingt sceptres à la main.
A ce pompeux aspect loin que Loüis s’empresse
 D’accepter ces dons précieux,
Il songe à consulter l’équitable Déesse
  Qui porte un bandeau sur les yeux.
  A ses Conseils elle preside,
  La Fortune en attend la loy ;
 C’est la Justice qui decide
  Et sa voix seule fait un Roy.
Peuples qui remplissez l’un & l’autre Hemisphere
Joüissez du bonheur qui vous est presenté,
Philippe a de Loüis le noble caractére.
Si vous connoissez bien vostre félicité,
Vous n’aurez plus de vœux à faire.

[Sonnet à Monseigneur] §

Mercure galant, décembre 1700 [tome 12], p. 140-142.

Le Sonnet que vous allez lire est de Mr Bellocq, dont les Ouvrages se sont toujours attiré une estime generale. Il seroit à souhaiter qu’il travaillât plus souvent, & que sa modestie ne l’empêchât pas de donner au Public, ce qu’il ne fait voir qu’à ses amis particuliers.

A MONSEIGNEUR.

Qu’il est beau, qu’il est grand cet excés de courage
Qui vous fait négliger vostre propre grandeur,
Et qu’il mérite bien que la Seine & le Tage
A le solemniser excitent leur ardeur !
***
Prince, vous refusez un superbe heritage
Qui pourroit échauffer la plus sage froideur.
Pour l’un de tant d’Etats, Rome, contre Cartage,
Compromit sa puissance, & ternit sa splendeur.
***
Mais quand vous renoncez à cet immense Empire,
L’Europe vous benit, toute la Terre admire
Que pour le bien commun vous oubliez vos droits.
***
Par tout on vous cherit, par tout on vous revére,
Comme Pere d’un Fils qui regne sur l’Ibére,
Et comme l’Heritier du plus puissant des Rois.

Air nouveau §

Mercure galant, décembre 1700 [tome 12], p. 142-144.

Les paroles de la Chanson nouvelle que je vous envoye sont de Mademoiselle l'Heritier, & c'est Mr Colignon qui les a mises en air.

AIR NOUVEAU.

L'Air doit regarder la page 143.
Aprés m'avoir promis une ardeur éternelle,
Philis est infidelle,
Et n'a plus pour mes feux qu'un outrageant mépris.
Dans tout nostre hameau son inconstance éclate.
Ah, pour me vanger de l'Ingrate
Je vais suivre la jeune Iris,
Mon cœur, fait comme il est, en sera bien tost pris.
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[Translation] §

Mercure galant, décembre 1700 [tome 12], p. 150-154.

Le Chapitre de Perpignan ayant fait tous ses efforts pour ravoir le corps de feu Mr de Monmor, leur Evêque ; il en est enfin venu à bout, & le mois dernier ils ont fait la translation de son cercueil, de la Ville de Montpellier, où ce Prelat est décedé. Ils l’ont fait ouvrir, pour le mettre dans un Mausolée qu’ils ont fait faire, & qui est composé de quatre Lions de marbre blanc sur un piedestal noir, soutenant un grand cercueil de marbre blanc & rouge, au dessus duquel est l’effigie du défunt en marbre blanc. Derriere il y a une Epitaphe de marbre blanc, & une bordure de marbre noir, accompagnée de ses armes, avec tous les ornemens de marbre blanc. Le tout tres superbe, & d’un ouvrage tres beau & tres delicatement travaillé. Cette ceremonie s’est faite avec toute la magnificence qu’on se peut imaginer. Toute l’Eglise estoit tenduë de noir avec une infinité de lumieres. Le corps fut déposé dans l’Eglise de Leule en une Chapelle ardente la plus magnifique qu’on ait vû depuis long temps. Tout le Clergé Seculier & Regulier, accompagné du Conseil Souverain de Perpignan, de tous les Commandans & Officiers, du Corps de Ville, & de toutes les Compagnies, le transporta dans l’Eglise Cathedrale, où le Service fut celebré en Musique, auquel toutes les Dames assistérent. A l’ouverture du cercueil son corps se trouva tout entier, quoiqu’il y ait prés de sept ans qu’il est mort. Cela toucha tellement le Peuple que tout le monde vint en foule luy baiser les pieds, & il y a eu depuis ce temps là un concours extraordinaire de Peuple, & de toute sorte de personnes de consideration, qui viennent de tous costez. Tous ces devoirs font assez connoître combien ce Prelat estoit aimé & honoré dans cette Province, & sur tout de cet illustre Chapitre, qui a bien voulu luy donner encore une marque de son respect & de sa tendre estime, en le faisant inhumer dans la Chapelle des Saints, où est la Sepulture de Messieurs du Chapitre.

[Livre nouveau]* §

Mercure galant, décembre 1700 [tome 12], p. 160-161.

Le sieur Coignard, Libraire du Roy, ruë Saint Jacques, à joint aux quatre Volumes des Sermons de Saint Augustin, de la Traduction de feu Mr du Bois, de l’Academie Françoise, celle des Livres de la Doctrine Chrestienne du même Saint, elle a esté faite par un homme d’une grande pieté, & qui ne se remplissant l’esprit depuis long temps que des veritez de la Religion, s’est appliqué avec de grands soins à rendre fidellement le sens de ce qu’il a entrepris de donner en nostre langue. Son stile est pur & fort châtié, & toutes ses expressions ont je ne sçay quoy d’aisé qui fait plaisir au Lecteur.

[Sentimens Critiques sur les Caractéres] §

Mercure galant, décembre 1700 [tome 12], p. 172-174.

Il vient de paroistre un Livre nouveau, intitulé Sentimens Critiques sur les Caracteres. C’est un Ouvrage qui renferme plusieurs Lettres, dans lesquelles l’Auteur examine tantost des endroits de Theophraste, dont le sieur Brunet, Libraire au Palais, chez qui ces Sentimens Critiques se vendent, vient de faire une seconde édition avec de grandes augmentations, ce qui fait connoistre combien favorablement le Theophraste Moderne a esté receu du Public. Cette Critique est tournée d’une maniere, qui ne donne aucune atteinte à la reputation que ces deux Ouvrages se sont acquis. C’est une Dissertation ingenieuse, où le Censeur montre tout l’esprit des Auteurs de l’un & de l’autre, en faisant valoir le sien propre. On y voit une infinité de choses qui regardent la beauté de nostre langue, avec une fine érudition, & toute la politesse de la litterature. Beaucoup de gens rejettent les Livres de Critiques, persuadez qu’ils sont l’effet de l’envie, & qu’on n’y trouve que ce qui accompagne ordinairement les productions d’un esprit jaloux. Celuy cy n’est point de cette nature. Il loüe fort souvent plus qu’il ne blâme, & il est difficile de commencer à lire une Lettre qu’on ne se fasse un plaisir de l’achever.

[Oratoire composé par le Sieur Melani]* §

Mercure galant, décembre 1700 [tome 12], p. 191.

Mr le Cardinal d’Estrées fit faire le 28. du mois passé un Oratoire, composé par le sieur Melani, dont la Musique & la Symphonie estoient tres-belles. Il donna ensuite à souper à tous les Cardinaux François, & à Mr Ottobon, avec une magnificence qui répondoit à celle qu’il a toûjours faire paroître.

[Suite du Journal de la Cour]* §

Mercure galant, décembre 1700 [tome 12], p. 191-285.

Je croy que je vous feray plaisir de continuer dans la conjoncture presente, le Journal de la Cour que j’ay commencé à vous donner depuis quelques mois, sur tout pour ce qui regarde les affaires d’Espagne, & de Sa Majesté Catholique. Quoy que vous soyez déja informée de la plus grande partie de ce que j’ay à vous dire, vous ne laisserez pas de trouver de nouvelles particularitez dans quelques articles. Le 27. de Novembre la Cour revint de Marly. Le Roy d’Espagne ne fut pas plûtost de retour à Versailles, qu’il demanda Mr l’Ambassadeur d’Espagne, pour sçavoir de luy comment il se trouvoit de la petite incommodité qui l’avoit fait revenir de Marly le jour precedent.

Le soir de ce même jour, l’Ambassadeur d’Espagne receut par un Courier extraordinaire, une Lettre du Prince de Darmstat, Viceroy de Catalogne, par laquelle il témoignoit sa soûmission & sa fidélité, en reconnoissant Monseigneur le Duc d’Anjou pour Roy d’Espagne. Ce Prince, quoy qu’Allemand, parut, par la maniere dont il en usa, digne du grand employ qui luy avoit esté confié. Il soutint le caractére d’un parfaitement honneste homme, & fit les choses d’aussi bonne grace que s’il avoit esté persuadé auparavant, que Monseigneur le Duc d’Anjou seroit nommé Roy d’Espagne. L’Ambassadeur de cette Couronne communiqua à leurs Majestez la Lettre de ce Prince aussi-tost qu’il l’eut reçûë.

Le 28. Mr de Bedmar eut encore à Versailles une Audience secrette du Roy. Il passa ensuite dans l’Appartement de Sa Majesté Catholique, & dés qu’il en fut sorti, on y fit entrer les Espagnols qui estoient venus avec luy de Bruxelles, & ils eurent l’honneur de baiser la main du Roy leur Maître, ce qu’ils firent un genoüil à terre.

Sur les six heures du soir, Mr l’Ambassadeur d’Espagne receut un Courier extraordinaire de Mr le Prince de Vaudemont, Gouverneur general du Milanez, par lequel, quoy qu’il n’eust pas encore receu à droiture de nouvelles de l’acceptation du Testament du Roy d’Espagne par le Roy ; ce Prince ne laissoit pas de luy en faire connoître sa joye dans les termes les plus forts, & l’empressement qu’il avoit de recevoir les ordres de Sa Majesté Catholique, afin de luy donner des marques de son zéle & de sa fidélité. Mr l’Ambassadeur d’Espagne en rendit compte à leurs Majestez pendant leur souper, & le Roy luy dit avec la maniere obligeante qui luy est si naturelle, Vous estes toûjours porteur de bonnes nouvelles. Le même soir, Mr le Marquis de Roisin, cy-devant Envoyé prés de Mr l’Electeur de Cologne, eut l’honneur de faire la reverence au Roy d’Espagne, & de luy baiser la main.

Le 29. les trois Princes de Radzewill, qui sont en France depuis quelque temps, firent leurs complimens à Sa Majesté Catholique.

Le même jour, le Pere de la Tour, General des Prestres de l’Oratoire, receut le même honneur. Il fut conduit par Mr de Sainctot, Introducteur des Ambassadeurs, & demanda à Sa Majesté sa protection, pour les Maisons de sa Congregation qui sont dans ses Etats. Le Pere Pieron, General de la Congregation des Missionnaires, demanda la même chose, pour les Maisons de sa Congregation, ayant esté conduit à l’Audience de Sa Majesté Catholique, par le même Mr de Sainctot.

Mr l’Ambassadeur d’Espagne receut une Lettre de la Ville d’Anvers, qui témoignoit, en son particulier, l’extrême joye qu’elle ressentoit d’avoir Monseigneur le Duc d’Anjou pour Maistre. Cette même Ville supplioit son Excellence d’obtenir de Sa M. Cath. de se laisser peindre, afin que sur son Portrait, elle pust faire travailler à une statuë de marbre qu’elle desiroit faire élever. Le Sculpteur qu’elle avoit nommé fut presenté à Sa Majesté.

Le 30. Mr l’Ambassadeur de Savoye, eut Audience particuliere du Roy, & Sa Majesté en parut tres satisfaite. Il mena ensuite Mr le Comte de la Tour chez le Roy d’Espagne. Ce Comte témoigna à Sa Majesté Catholique de la part de Monsieur le Duc de Savoye son Maistre, la joye extrême que son Altesse Royale avoit ressentie en apprenant son avénement à la Couronne d’Espagne, & luy demanda sa puissante protection. Plusieurs Envoyez des Princes d’Italie eurent aussi Audience.

Mr le Duc d’Hauré, & quelques autres Grands d’Espagne, qui estoient venus pour reconnoître Monseigneur le Duc d’Anjou pour leur Roy, eurent l’honneur de luy baiser la main.

Mr le Marquis de Val de Fuentes, Lieutenant general de la Cavalerie dans le Milanez, qui venoit de Madrid, & qui retournoit à Milan, vint aussi baiser la main de Sa Majesté Catholique, & il eut pareillement l’honneur de saluer le Roy, avec le Marquis de Roisin ; ils furent presentez par Mr l’Ambassadeur d’Espagne, l’Introducteur y estant, suivant qu’il se pratique ordinairement à l’égard des Etrangers ; & sa Majesté luy adressa souvent la parole le soir au souper de leurs Majestez. Il est fils de Mr le Duc d’Abrantes, Grand d’Espagne.

Mr de Cesane, Frere de Mr le Duc d’Harcourt, partit en poste pour Madrid, afin de donner avis aux Regens, que Sa Majesté Catholique partiroit le 4. du mois de Decembre, pour se rendre dans ses Etats.

Les Envoyez de Pologne, & de Brunswick, firent leurs complimens au Roy d’Espagne.

Le 1. de ce mois le sieur Rigaut, Peintre fameux qui avoit esté nommé par le Roy pour peindre Sa Majesté Catholique, travailla pour la premiere fois au Portrait de ce Monarque. Toute la Cour fut charmée de sa premiere ébauche. Le Sculpteur envoyé par la Ville d’Anvers, travailla en même temps à son modele.

Le même jour, Mr l’Ambassadeur de la Religion de Malte complimenta Sa Majesté Catholique, & fut conduit à l’Audience par Mr de Saintot Introducteur des Ambassadeurs.

L’aprésmidy, Monsieur le Prince de Galles vint faire ses adieux au Roy d’Espagne.

Mr le Chancelier à la teste du Conseil, complimenta Sa Majesté Catholique sur son départ.

Le même jour elle demeura longtemps seule avec le Roy, & commença ce jour-là à sentir plus vivement les atteintes de la séparation qui se devoit faire trois jours aprés.

Le 2. le Roy d’Espagne, comme Grand-Maistre de l’Ordre de la Toison d’or, prit pour la premiere fois les marques de cet Ordre sans aucune ceremonie. Ce Prince n’eut pas besoin d’estre reçu Chevalier, l’estant déjà des Ordres de Saint Michel & du Saint Esprit, dont S.M. a conservé les marques.

Sur le soir, le Roy de la Grand’ Bretagne vint seul visiter le Roy d’Espagne, sur son départ ; une legere indisposition empescha la Reine d’y venir.

Le même jour, le Roy ordonna que l’on fist joüer les Eaux pour Mr le Duc d’Hauré, qui estoit accompagné de Mr le Marquis de Valdefuentes, & pour quelques autres Sujets de Sa Majesté Catholique.

Le 3. Mr le Duc d’Havré demanda au Roy d’Espagne la permission de le suivre jusqu’à Madrid, Sa Majesté la luy accorda. Mr de Valdefuentes prit congé de Sa Majesté Catholique, & partit pour se rendre où son employ l’appeloit.

Mr le Comte de Monastereol, Envoyé extraordinaire de Mr l’Electeur de Baviere prés du Roy d’Espagne, eut audience publique de Sa Majesté Catholique, de laquelle il prit congé. Il fut conduit par Mr de Saintot, Introducteur des Ambassadeurs.

Le 4 le Roy d’Espagne, si-tost qu’il fut habillé, descendit chez Monseigneur le Dauphin, & resta prés de demy-heure seul avec luy. On s’apperçut, lorsque Monseigneur le reconduisit, qu’ils estoient l’un & l’autre fort attendris. Messeigneurs les Ducs de Bourgogne & de Berry y vinrent ensuite l’un aprés l’autre. A neuf heures & un quart, Monseigneur, Monseigneur le Duc & Madame la Duchesse de Bourgogne, Monseigneur le Duc de Berry, & Monsieur le Duc de Chartres, se rendirent chez le Roy ; mais Sa Majesté avant que se mettre en marche pour aller à la Messe, entra dans un petit Cabinet de communication avec la Chambre du Roy d’Espagne, & demeura une demi heure avec luy, & avec Monseigneur, tandis que toutes les autres Personnes de la Maison Royale attendoient dans le grand Cabinet. Sur les dix heures & un quart, le Roy, Sa Majesté Catholique, & Monseigneur le Dauphin, sortirent du lieu où ils estoient enfermez, & parurent tous trois fort touchez. Ils traverserent, pour aller à la Messe, les grands Appartemens, qui estoient remplis d’une foule prodigieuse. La Messe estant finie, ils descendirent dans la Cour par le grand escalier, & montérent en Carosse, le Roy d’Espagne à la droite, le Roy à la gauche, & Madame la Duchesse de Bourgogne entre leurs Majestez. Monseigneur le Dauphin, Monseigneur le Duc de Bourgogne, & Monseigneur le Duc de Berry estoient sur le devant. Monsieur, & Madame se mirent aux portieres. Les Dames remplirent les deux Carosses du Corps de Madame la Duchesse de Bourgogne. Ceux du Corps, & de Suite du Roy d’Espagne, ceux du Corps & de Suite de Monseigneur le Duc de Bourgogne ; ceux de Monseigneur le Duc de Berry, & celuy des Ecuyers de Madame la Duchesse de Bourgogne, marcherent devant, & cent Gardes du Corps suivirent celuy de Sa Majesté, avec leurs Timbales & leurs Trompettes. Ce Carosse estoit entouré de Valets de pied, & quelques Officiers à cheval marchoient sur les aîles. Les Chevaux-legers de la Garde precedoient, & les Gendarmes fermoient la marche. On partit de Versailles à dix heures & demie, & l’on prit le chemin de Seaux, où l’on arriva à midy & un quart. Il est difficile d’exprimer le nombre infini de Carosses & l’affluence du Peuple qui se trouva dans le Village, & aux avenuës du Chasteau. On y voyoit des gens sur les toits des maisons & sur les arbres, & l’on avoit fait des échafauts derriere les murailles des Jardins. Il y avoit au moins quatre files de Carosses aux deux costez du grand chemin. Comme Seaux estoit le lieu où se devoient faire des adieux meslez de douleur & de joye, on avoit bien jugé que le plus grand spectacle devoit estre reservé pour ce lieu-là. Il ne peut manquer d’estre celebre à jamais par cette grande circonstance, & Monsieur le Duc du Maine paroist avoir esté particulierement destiné pour y ajoûter un nouvel éclat. Ce Prince venoit d’acheter cette belle Maison de Seaux, & ravi de la voir servir en une rencontre si heureuse, & si extraordinaire, il sçut profiter de cette favorable occasion d’y montrer son zele & sa magnificence. Madame la Duchesse du Maine, si propre à entrer dans ses desseins, & à les seconder, se rendit à Seaux dés la veille sur les cinq heures du soir, accompagnée de Madame la Duchesse de la Ferté, de Madame la Duchesse de Lauzun, de Madame de Manneville, & de Mr Lassé. Elle vit la disposition des lieux, & donna les ordres necessaires. Monsieur le Duc y vint sur les sept heures. Monsieur le Duc du Maine ; & Monsieur le Comte de Toulouse y arrivérent à une heure aprés minuit.

Madame la Princesse d’Harcour, qui y avoit esté conviée par Madame la Duchesse du Maine, pour luy aider à faire les honneurs de Seaux, s’y rendit sur les onze heures du matin. Madame la Duchesse, Mademoiselle d’Anguien, Madame la Princesse de Furstemberg, Madame la Duchesse de Humieres, Madame de Courtenvaux, & Mr de l’Aigle, y vinrent quelque temps aprés.

Les deux Rois arriverent à l’heure que j’ay déja marquée, & trouverent à leur droite hors la porte du Chasteau, les deux Compagnies des Mousquetaires, rangées par Escadrons sur une même ligne.

Monsieur le Prince, Monsieur le Duc, & Monsieur le Duc du Maine, receurent Leurs Majestez à la descente du Carosse. La foule estoit si grande, que les cours, les jardins, les appartemens estoient remplis de monde, le Roy ayant ordonné avec bonté que chacun pust voir une chose qui n’avoit jamais esté, & que les portes ne fussent fermées qu’au plus bas peuple. La foule se trouva si prodigieuse, qu’il étoit presque impossible de la percer. Madame la Duchesse de Bourgogne ayant esté separée elle-même d’avec le Roy par cette foule, ne put qu’à peine y trouver passage.

Leurs Majestez ayant passé une partie des Appartemens, toute la Cour s’arresta dans le Salon, & le Roy, & le Roy d’Espagne entrerent seuls dans une chambre plus avancée. Ils y demeurerent environ une demi heure. L’Histoire parlera quelque jour de cet entretien, quand le temps aura fait connoistre ce qu’un Roy si sage, & si consommé dans la science des Rois, & un Pere si bon & si tendre, a dit à un jeune Prince son Petit-fils, sur le point de le voir chargé d’une grande Couronne, en une occasion qui ne doit pas seulement estre regardée par l’honneur que reçoit la France de donner un Roy à l’Espagne, mais aussi par les avantages réels que reçoit l’Espagne d’avoir un Prince si heureusement né, de lier avec la France une Paix ; & une amitié que rien ne pourra troubler, & d’où résultera infailliblement le repos & la felicité de tout le reste de l’Europe, en cas que sa tranquillité fust troublée pour quelque temps.

Aprés cette conversation particuliere, le Roy vint à la porte, & appella Monseigneur le Dauphin seul. Quelque temps aprés il fit entrer Monseigneur le Dauphin seul. Demi-quart d’heure aprés il appella Mr l’Ambassadeur d’Espagne, qui aprés avoit pris congé de Sa Majesté, retourna dans le Salon.

Aprés quelque intervalle Sa Majesté appella Monseigneur le Duc & Madame la Duchesse de Bourgogne, puis Monseigneur le Duc de Berry, & ensuite Monsieur & Madame ; un moment aprés Monsieur le Prince, & quelques momens ensuite les Princesses, puis Monsieur le Duc, Monsieur le Duc du Maine, & Monsieur le Comte de Toulouse. Monsieur le Prince de Conti avoit aussi esté appellé en son rang ; mais une violente goûte fut cause qu’il eut de la peine à parvenir jusqu’au lieu où étoient tant d’augustes Personnes. Les adieux qu’elles se firent furent tres-touchans, & coûterent beaucoup de larmes à la Maison-Royale, ce qui en fit répandre à tous ceux qui les virent sortir du lieu où tant de tendres adieux venoient d’estre faits. Dans ce triste estat, le Roy suivi de toute la Cour reconduisit Sa Majesté Catholique hors des Apartemens, & s’estant avancé quelques pas dans le Peristile, l’embrassa avec tendresse. Sa Majesté embrassa de même Monsieur le Duc de Bourgogne & Monsieur le Duc de Berry, qui partoient avec le nouveau Roy, pour l’accompagner jusques aux limites des deux Etats ; aprés quoy Elle embrassa une seconde fois le Roy d’Espagne. Les larmes qui couloient des yeux des spectateurs les empêcherent de bien voir l’estat où la sensibilité des cœurs de ces deux Monarques les avoit mis : & il est à présumer que par la même raison ces deux Monarques ne le voyoient pas eux-mêmes ; ce qui leur faisoit sentir plus vivement les douleurs dont ils estoient penetrez.

Le Roy vit monter le Roy d’Espagne en Carosse pour aller coucher à Châtres. Il avoit à sa gauche Monseigneur le Duc de Bourgogne. Monseigneur le Duc de Berry estoit au devant avec Mr le Maréchal Duc de Noailles, & aux portieres estoient Mrs les Marquis de Seignelay & de Razilly, Sous-Gouverneur des Enfans de France.

Aussitost que le Roy d’Espagne fut party, Monseigneur monta en Carrosse pour aller au Chasteau de Meudon.

Les Seigneurs & les Dames les plus considerables de la Cour ayant suivi Leurs Majestez, Monsieur le Duc du Maine avoit ordonné qu’il y eust des tables servies pour toute la Cour. Il y en eut d’abord une où mangérent plusieurs personnes de qualité. Ceux qui vinrent ensuite furent soudain invitez à une autre table, servie avec la même abondance, & la même délicatesse, & il y eut ainsi vingt-sept tables servies successivement. Outre cela, des Officiers alloient de tous costez & distribuoient par tout du pain & du vin, du poisson, du fruit, & des confitures. Il y avoit aussi un grand nombre d’Officiers placez au dehors le long de l’avenuë, qui offroient des rafraîchissemens à tous ceux qui se presentoient, ainsi qu’à tout ce qui composoit la Garde du Roy, & des Princes, & à toute la suite de la Cour. Les Spectateurs nombreux que la curiosité avoit attirez estoient tous invitez de s’arrester. On leur fournissoit abondamment dequoy manger, & loin qu’on refusast personne, on prevenoit les gens, afin de leur oster la peine de rien demander ; on ne voyoit que des bouteilles de vin, des pains, des pastez froids de poisson ; on voyoit même un seul valet avoir pour sa part plusieurs bouteilles de vin, & en effet il en fut distribué ce jour-la six mille bouteilles. On peut à proportion juger par là du reste, & des soins qu’il avoit fallu prendre pour amasser de si grandes provisions en un jour maigre.

Pendant que l’on regaloit ainsi toute cette multitude, le Roy se promenoit en calêche dans les Jardins, avec Madame la Duchesse de Bourgogne, Monsieur, & Madame. On avoit preparé une colation pour Madame la Duchesse de Bourgogne, qui fut le couronnement de la feste ; cette Princesse fit mettre à table avec elle, Madame la Duchesse, Madame la Duchesse du Maine, Mademoiselle d’Anguien, & les Dames qui avoient eu l’honneur de la suivre.

Le premier service estoit de plus de quatre vingt plats, ou assietes, & deux autres d’une pareille magnificence étoient prests à le relever. On ne peut trop loüer les Officiers de Monsieur le Duc du Maine, de leurs soins, & de leur habileté pour suffire à tant de choses. Tous les domestiques depuis le moindre jusqu’aux Gentilshommes étoient employez. Leur zéle n’oublia rien pour répondre aux intentions de leur Maître, & Mr de Malezieu qui avoit agi, & donné la vûë à tout, sans aucun relâche, en fut récompensé par l’honneur qu’il eut de servir Madame la Duchesse de Bourgogne pendant ce repas. L’empressement que cette Princesse avoit d’aller rejoindre le Roy, fut cause qu’elle ne demeura pas longtemps à table, ce qui empêcha de servir les deux derniers services qui furent abandonnez à ceux qui avoient pu s’avancer pour voir ce regale.

Sa Majesté loüa les beautez de Seaux qu’elle ne connoissoit pas encore. Ce jour-là, comme il arrive ordinairement quand le Roy fait quelque voyage, se trouva fort beau ; mais il y avoit de legeres vapeurs dans l’air qui empêchoient qu’on ne joüit entiérement de la vûë de Seaux. Sa Majesté en partit aprés s’être promenée pendant deux heures, & montra beaucoup de joye de ce que Monsieur le Duc du Maine avoit fait cette acquisition, & laissa esperer à ce Prince l’honneur d’une autre visite quand la belle saison seroit venuë. Je ne puis laisser passer cet article de Seaux sans vous faire part d’une chose qui achevera de vous faire connoître le cœur de ce jeune Prince dans toute son étenduë ; si tout ce que je vous en ai dit jusqu’à present ne l’avoit pas encore assez caracterisé.

Je vous ay parlé plusieurs fois de Chastenay, & du séjour que Madame la Duchesse du Maine y a fait dans une petite maison, qui appartient à Mr de Malezieu. Le Village de Chastenay fait partie de l’acquisition de Seaux. La Seigneurie en est considerable, & à tous les droits de haute, moyenne, & basse Justice, Monsieur le Duc du Maine qui ne laisse échaper aucune occasion de faire du bien, a esté ravi d’en trouver une où il pust marquer à Mr de Malezieu la reconnoissance des soins qu’il a pris de son éducation, & des services continuels qu’il luy rend depuis prés de vingt années, dans la conduite de ses affaires, & dans la direction de toute sa Maison. Dans cette vûë, ce Prince luy a fait une donation entre vifs de la terre & Seigneurie de Chastenay, avec une substitution graduelle & perpetuelle pour ses enfans mâles. Ce present tres considerable en luy même par le revenu & les droits honorifiques, l’a paru encore beaucoup plus à Mr de Malezieu, par la maniere gracieuse dont ce Prince a bien voulu l’accompagner. Je croy, Madame, que vous serez fort aise d’apprendre une si belle action. Tout le monde loüe le merite ; mais peu de gens ont le cœur assez bien fait pour songer à le récompenser à propos.

Pendant que le Roy se promenoit dans les Jardins de Seaux, le Roy d’Espagne prenoit le chemin de Chastres, où il arriva sur les cinq heures du soir. Sa Majesté Catholique logea chez Mr Petit, Secretaire du Roy, & Valet de Chambre de Sa Majesté, & Messeigneurs les Princes proche de Sa Majesté Catholique. Ce Monarque soupa seul chez luy, & Messeigneurs les Princes mangerent ensemble chez Monseigneur le Duc de Bourgogne. Sa Majesté alla les voir joüer aprés souper, & y resta jusques à neuf heures & demie. Ils s’assirent tous trois sur des plians, & en ont usé de cette maniere tous les jours suivans.

Le Dimanche 5. le Roy d’Espagne alla à la Messe à la Paroisse à huit heures & demie. Messeigneurs les Princes en estoient de retour ; ce qui s’est passé de la même sorte dans toute la suite du Voyage. La Musique que Mr le Comte d’Ayen a menée au Voyage, chanta à l’une & à l’autre Messe. Voicy en quoy consiste cette Musique.

Mrs Gaye,

Fricard, Basse.

Boutilier, Basse.

Abelart,

Et Roger.

Noms des Joüeurs d’Instrumens de l’Opera.

Mrs Labarre, Joüeur de Flûte Allemande.

La Lande, Violon.

Robel, Violon.

Outre cela Mr le Comte d’Ayen a mené vingt autres Joüeurs d’Instrumens ; sçavoir de Hautsbois & Basson, de Flûte, de Basse Viole & de Theorbe.

Le Roy d’Espagne dîna seul, ce qu’il a toujours fait, hormis dans le Carosse en certains jours de longue & penible marche. Messeigneurs les Princes dînerent ensemble à la même heure, & en ont usé ainsi tous les jours matin & soir. Ils partirent à onze heures. A leur arrivée à Estampes, ils trouverent trois Compagnies de Milice sous les armes. Sa Majesté Catholique fut receuë à la porte de la Ville par le Maire & les Echevins, qui luy firent les presens accoutumez. Ils en firent aussi à Monseigneur le Duc de Bourgogne à Monseigneur le Duc de Berry. Les Officiers du Bailliage, & ceux de l’Election, presentez par Mr Desgranges, Maistre des Ceremonies, complimenterent le Roy d’Espagne seul. La parole fut portée par Mr Lienard, Lieutenant General, à la teste de ces Compagnies. Il prononça le Discours suivant, qui fut écouté avec beaucoup d’attention, & fort applaudy.

SIRE,

Nous venons mesler nostre joye aux acclamations des deux plus puissans Peuples de l’Europe. Nous venons nous réjoüir avec la France de l’élevation de Vostre Majesté au Trône d’Espagne, & feliciter en même temps les Espagnols du bonheur qu’ils vont avoir d’estre gouvernez par un Prince tel que vous. La France en vous perdant ne peut que s’applaudir de vous avoir fait naistre pour le bonheur de vos Voisins, & l’Espagne, dans la perte qu’elle vient de faire de son Roy, a de quoy se consoler par le choix judicieux qu’elle a fait de Vostre Majesté pour luy succeder dans le gouvernement de tous ses Etats. La France admire en vous cette fierté noble & cette vivacité sage que l’on vante tant chez elle, & l’Espagne trouvera en vous cette grandeur d’ame, & cette gravité modeste qui a toujours esté son partage. La nature a fait en vous l’heureux assemblage de tant de grandes qualitez. Le Sang d’Espagne s’est meslé tant de fois avec celuy de vos Ayeux, que vos Sujets pourront vous regarder comme un precieux dépost conservé parmi nous. Ces deux grands Peuples, SIRE, attendent de Sa Majesté de grandes choses. Vous devez à la France un Prince qui soit digne de Louis le Grand, & de vostre illustre Pere, & vous devez à l’Espagne un Roy qui soit l’amour de ses Peuples. Cette qualité, SIRE, renferme toutes les autres ; elle est la seule que doit ambitionner un grand Roy. Nous félicitons par avance les Peuples qui vont estre soumis à vostre domination du bonheur dont ils vont joüir. Pour nous, nous allons faire mille vœux pour la durée de vostre Empire, & pour la conservation d’un Prince si cheri du Ciel.

Monseigneur le Duc de Bourgogne, & Monseigneur le Duc de Berry furent aussi complimentez au nom des mêmes Corps. Le Roy d’Espagne & Messeigneurs les Princes passerent le reste du jour à tirer sur toutes sortes d’oiseaux ; à dessiner les Maisons & les Chasteaux qu’ils avoient trouvez sur leur route. Ils souperent à leur ordinaire, & se coucherent à dix heures.

Le Lundy S.M.C. & Messeigneurs les Princes, aprés avoir entendu la Messe à l’heure ordinaire, partirent pour aller à Toury. Les chemins se trouverent sablez depuis Estampes jusques à Toury. Le Curé du lieu harangua Sa Majesté aprés la Messe. Ce fut à Toury qu’elle apprit par un Courier extraordinaire, la proclamation faite à Madrid, ce qui s’y passa de cette maniere.

Si-tost que la Jonte Royale establie par le feu Roy pour le Gouvernement des Espagnes, eut reçu la Lettre du Roy Tres Chrestien, & qu’elle eut vû que ce Monarque acceptoit la succession de cette grande Monarchie, selon le Testament, & la derniere disposition du feu Roy Charles II. en faveur de Monseigneur le Duc d’Anjou ; les Regens tinrent Conseil en presence de la Reine, qui dés le matin de ce même jour s’y estoit renduë pour la premiere fois, & qui le fait tenir dans la Chambre des Miroirs proche son appartement. Ils ordonnérent que la Proclamation du nouveau Roy seroit faite le jour suivant, avec le plus de pompe & de magnificence qu’il se pourroit. Quoy qu’une solemnité si grande demandast de longs preparatifs, & un long temps pour s’en acquitter dignement, ils cedérent à l’empressement de la Ville de Madrid, qui voulut sans délai témoigner sa joye excessive, & sa prompte soûmission.

Comme ils avoient esté tres sensiblement touchez des marques de bienveillance que le Roy a fait paroistre pour toute la Nation Espagnole, dans la Lettre que ce Monarque leur a écrite, ils jugérent à propos de la faire aussi-tost transcrire en leur langue, & de la donner imprimée au Public ; ce qui redoubla sa joye, & l’obligea de faire des vœux pour Sa Majesté Tres-Chrestienne. Il fut aussi arrété qu’on envoyeroit des copies de cette Lettre dans tous les lieux dépendans de la Monarchie d’Espagne. On ne vit en ce même temps que processions de Peuples dans les ruës de Madrid, pour chercher & acheter le Portrait du nouveau Roy. Un domestique de Mr de Blécourt, Envoyé de France, qui portoit ce portrait chez un Seigneur, fut arresté par la populace, & obligé de le montrer. Le Corregidor pour contenter un empressement si general, le fit exposer dans une galerie, afin que tout le monde le pust voir. Le Peuple y entroit par une porte, & il en sortoit par une autre ; ce qui empêcha les desordres que cause ordinairement la confusion. Chacun baisoit ce Portrait, & le moüilloit de ses larmes.

Le Mercredy 4. de Novembre, on assembla le Corps de la Ville avec Dom Francisco Ronquillo son Corregidor, Chevalier de l’Ordre de Saint Jacques. Tous se trouvérent au rendez vous sur le midi, avec autant de pompe qu’ils purent. A la même heure, quantité de Seigneurs, de Grands, Titrez & Gentilshommes de la premiere Noblesse, tous couverts de pierreries, se rendirent chez Mr le Marquis de Franqueville, Alferrez Mayor, ou Porte-Enseigne hereditaire de la Ville de Madrid, qui par sa charge a le droit de porter l’Etendard Royal, & de faire des proclamations. Là ils montérent tous sur des chevaux noirs, enharnachez de blanc & noir, & l’accompagnérent par la grande ruë, jusqu’à la Maison de Ville, l’Alferez Mayor sortit de chez luy, avec un habit gris brodé d’or & d’argent. Il avoit quatre carosses, chacun attelé de quatre mules, vingt quatre valets de pied, avec des habits de velours verd, galonnez d’or fin, deux Ecuyers à ses costez, & six chevaux de main. Lors qu’il fut arrivé à la Maison de Ville, où tout le Corps de Ville estoit assemblé, & où le Portrait du nouveau Roy estoit sous un Dais, Dom Francisco Ronquillo Corregidor, luy mit en main le grand Etendard, prenant un certificat qui marquoit qu’il luy avoit delivré cet étendard, & l’Alferez Mayor faisant sa soumission de le rendre quand sa fonction seroit achevée. Cela estant fait, on sortit de l’Hostel de Ville en la maniere suivante.

Les Gardes du Roy Allemans & Espagnols, avec leurs Hallebardes, marchoient les premiers, & ensuite les Timbaliers, les Joüeurs de Hautsbois, & les Trompettes à cheval, ayant des habits de toille d’or galonnez, & des chevaux caparaçonnez de blanc, qui est leur couleur en de semblables occasions. Les Ministres de Justice venoient ensuite à cheval, avec quantité de grands Seigneurs, puis six Massiers habillez de rouge avec des bonnets rouges, & des Masses d’argent doré, quatre Herauts d’armes, & ensuite Mrs de Ville, le Corregidor, & l’Alferez. On arriva de cette sorte à la Place Mayor, & à mesure que ceux qui composoient cette marche arrivoient, ils se rangeoient par ordre auprés d’un Théatre que l’on y avoit dressé, avec le Portrait du nouveau Roy sous un dais entouré de festons de fleurs. L’Alferez Mayor, le Corregidor, le plus ancien Regidor ou Echevin, & les quatre Heraults d’Armes, montérent sur ce Theatre, & les six Massiers se mirent sur les degrez. Alors les quatre Heraults criérent par trois fois aux quatre coins, Silencio, & autant de fois, Oyd, & ensuite l’Alferez Mayor aprés avoir salué le Portrait de Sa Majesté, cria aussi trois fois en faisant voltiger l’Etendart Royal, Castilla, por el Rey Catholico Phelipe Quinto, nuestro Señor que Dios guarde ; à quoy un prodigieux concours de monde répondit avec une joye qui ne se peut exprimer, Viva, viva, viva, ce que les Secretaires & les Officiers prirent pour foy & hommage en faveur du Roy. Toute l’Assemblée fit une genuflexion, lors qu’on prononça le nom de Sa Majesté au temps de la proclamation.

On monta à cheval & on continua la même Ceremonie. On passa par Sainte Croix, à Saint Philippe & par la Calle Mayor, jusques au Palais. On y trouva un autre Theatre où l’on repeta ce qui avoit déja esté fait. On en fit autant à la Place des Carmelites, qu’on appelle à Madrid las descalças Realez, & encore autant devant l’Hostel de Ville, où tous les Seigneurs, la Noblesse, & les Officiers descendirent de cheval.

La Ceremonie estant finie, l’Alferez Mayor rendit l’Etendart Royal au Corregidor, & demanda un Certificat de l’avoir rendu, & de tout ce qui venoit de se passer. Le Corregidor alla placer l’Etendart au Balcon de la Salle des Assemblées, où il le planta sous un dais tres-riche qu’on y avoit preparé. Les Seigneurs & les Gentilshommes revinrent avec Mr le Marquis de Franqueville depuis la Place de l’Hostel de Ville jusqu’à sa maison. La nuit estoit déja proche. On alluma un grand nombre de flambeaux pour éclairer le retour de cette marche, & cette illumination fut suivie de celle qui dura toute la nuit dans toute la Ville de Madrid. Il y eut une foule incroyable de Peuple dans toutes les ruës où se fit la marche. Les Balcons estoient magnifiquement ornez de Tapisserie & de riches étofes à fond d’or, & la Ville fit allumer devant l’Hostel de Mr de Blecourt, Envoyé Extraordinaire de France, des pots à feu, qui éclairérent toute la ruë bien avant dans la nuit au bruit des Tambours & des Trompettes.

Sa Majesté partit sur les dix heures du matin, & arriva à trois & demie à Orleans. Mr de Senneveville, Grand-Prevost d’Orleans, & M. Gamerau, Prevost Particulier, vinrent chacun avec leur Compagnie jusqu’à Cercotte, à trois lieuës de la Ville au devant de Sa Majesté. M. de Bouville, Intendant d’Orleans, estoit venu la veille à Toury saluer S.M.C. Depuis l’entrée du Fauxbourg, qui a prés de demi lieuë jusqu’à l’Evêché, où Sa Majesté & les Princes logerent, il y avoit une double haye de Bourgeois sous les armes. Les ruës se trouverent sablées & tapissées, avec des échaffaux remplis de Dames. Les Armes du Roy, celles du Roy d’Espagne, de Monseigneur le Dauphin, de Messeigneurs les Princes, & de la Ville, entourées de festons sur des tapisseries de haute lisse, estoient sur la porte Banieres, par où l’on entra. Le Maire & les Echevins reçurent Sa Majesté à cette porte, accompagnez de leurs Officiers & de leurs Archers. Ils la haranguerent, & luy presenterent le Dais, qu’elle refusa. Ces Magistrats le porterent à la teste des Corps, qui marcherent devant le Carosse du Roy jusqu’à l’Evêché. On vit paroistre à la teste de tout quatre Carosses de la livrée de Noailles, avec environ soixante hommes à cheval de cette Maison. Les Gardes du Corps avoient tous l’épée haute. Les acclamations publiques & les cris de joye étouffoient le bruit des Timbales & des Trompettes. Lors que le Roy fut arrivé à l’Evêché, le Chapitre de Sainte Croix & celuy de Saint Aignan, le Presidial, l’Université, l’Election, la Faculté de Droit, & les Tresoriers de France, firent leurs complimens au Roy, qui reçut aussi les Presens de la Ville. Toutes les Compagnies complimenterent aussi Monseigneur le Duc de Bourgogne, & Monseigneur le Duc de Berry, ayant été presentez par Mr Desgranges, Maistre des Ceremonies. Le Roy resta dans son Cabinet avec Messeigneurs les Princes jusqu’à l’heure du souper. Monseigneur le Duc de Bourgogne tint une table, & Monseigneur le Duc de Berry une autre. Mr le Duc de Beauvilliers, qui n’avoit pû partir que le 4 à cause d’une indisposition, arriva sur les six heures du soir. Toutes les maisons furent illuminées par des Lanternes qui remplissoient les fenestres. Ces illuminations ont continué pendant tout le sejour qu’on a fait à Orleans. Le soir, Mr de Bouville donna à souper à tous les Seigneurs qui accompagnent le Roy d’Espagne & Messeigneurs les Princes.

Le 8 qui estoit le jour de la Conception de la Vierge, Messeigneurs les Princes allérent à la Messe à la grande Eglise à huit heures & demie du matin, & le Roy d’Espagne à neuf. Il y eut grande Musique à leur Messe par les soins de Mr le Comte d’Ayen. La foule se trouva si grande au dîner de Sa Majesté Catholique, que si-tost qu’elle fut sortie, tout ce qui estoit dessus la table fut renversé, & pillé.

Mr de Bouville donna à dîner à Messieurs les Ducs qui sont du voyage. Il y avoit deux tables de vingt-cinq couverts chacune. Le dîné fut tres magnifique. Outre les Faisans & les autres pieces de rosty, on y compta jusqu’à cent-dix Perdrix rouges. L’apresdinée le Roy d’Espagne, & Messeigneurs les Princes allérent à Vespres à Sainte-Croix, qui furent chantées en Musique. Ils se placérent dans les Chaises du Chœur de costé, comme le Roy fait à la Paroisse de Versailles. Ils allérent ensuite voir le Pont, au milieu duquel ils s’arresterent assez long-temps à voir couler la Loire. Ils virent aussi la Promenade appellée la Motte, dont la vuë est la plus belle chose du monde, ayant la riviere pour aspect à droite & à gauche. Ils revinrent à l’Evêché où ils passerent la soirée ainsi que les precedentes.

Le Jeudy 9. le Roy d’Espagne, & Messeigneurs les Princes partirent d’Orleans à l’heure ordinaire, aprés avoir entendu la Messe, pour aller coucher à Saint Laurent des Eaux. A leur sortie, les ruës se trouverent tapissées comme elles l’avoient esté à leur entrée, & les Bourgeois sous les armes. En passant à Nostre-Dame de Clery ils descendirent à l’Eglise, & y firent leurs prieres, aprés quoy ils visiterent le tombeau de Louis XI. Ils arriverent à Saint Laurent des Eaux entre trois & quatre. Il vint la nuit trois Couriers, deux d’Espagne & un de Naples. Ce dernier apportoit à Sa Majesté une Lettre du Duc de Medina-Celi, Viceroy de Naples, par laquelle il l’assuroit de son obéïssance & de ses respects, & la supplioit de luy faire sçavoir ses volontez, & de l’honorer de ses ordres. L’un des Couriers d’Espagne étoit chargé d’une Lettre de la Reine, qui demandoit au Roy son amitié, & l’assuroit de la joye qu’elle ressentoit de le voir élevé sur le Trône d’Espagne. Le second Courier avoit une Lettre pour Mr le Marquis dos Rios Ambassadeur d’Espagne, une pour Mr l’Electeur de Baviere, & une autre pour l’Empereur.

Le Vendredy 10. on partit de Saint Laurent des Eaux pour aller coucher à Blois. Sa Majesté Catholique, & Messeigneurs les Princes passérent à Chambort. En y arrivant ils firent arrester leur carosse pour en lever le plan. Ils visitérent ensuite tous les Appartemens, & en partirent sans toucher à la collation que Mr le Marquis de Sommery, qui en est Gouverneur, leur avoit fait preparer. Ils arrivérent à Blois un peu tard, & par un temps de pluye ; Toute la Bourgeoisie estoit sous les armes, les ruës estoient tenduës de Tapisseries & sablées, afin de rendre le pavé plus aisé. Le Corps de Ville se rendit sur le milieu du Pont avec le Dais, & Mr Drouillon, Maire perpetuel de la Ville, qui estoit à la teste, presenta les clefs à Sa Majesté Catholique, & dit que les grandes qualitez qu’il possedoit, & qui soutenoient si bien la grandeur de sa naissance, l’ayant fait choisir pour Roy d’Espagne, de l’agrément des Grands, & avec l’applaudissement de tous les Peuples de cette vaste Monarchie, on ne pouvoit douter qu’il ne devinst à la vûë de l’Univers le modéle de toutes les Testes couronnées, à l’exemple de Loüis le Grand, son auguste Ayeul, le miracle de nos jours.

Aprés ce compliment, les Echevins luy presentérent le Dais, qui fut porté devant son carosse jusqu’au lieu où Sa Majesté Catholique descendit ; la Ville luy fit des presens, de ce que le païs Blesois produit de meilleur, & de plus rare, le soir, il y eut des illuminations devant toutes les maisons, & l’artillerie fit trois décharges. Messeigneurs les Princes allérent loger à l’Abbaye de Saint Laumer, où tandis qu’ils entendoient la Messe, le Samedy 11. sur les huit heures, le Roy d’Espagne vint se promener dans les Jardins, aprés quoy il alla entendre aussi la Messe dans l’Eglise de cette Abbaye. Les Religieux le receurent, ayant à leur teste le Prieur, qui luy presenta l’eau benite, & luy fit baiser la vraye Croix qu’il portoit enchassée fort richement. Il harangua Sa Majesté Catholique, & dit que jamais les Prophetes ne nous avoient donné une plus noble idée de la grandeur de Dieu, que lors qu’ils l’avoient representé comme le souverain moderateur de l’Univers, comme le Maitre absolu des Rois & des Princes, qui change les temps & les âges, qui détruit les Monarchies les plus florissantes, qui transfére les Royaumes, en establit de nouveaux, & distribuë à qui il luy plaist les Sceptres & les Couronnes. L’application qu’il fit de ces paroles convenoit parfaitement à tout ce qui est arrivé sur la fin de ce Siécle, & fust extrêmement applaudi. Il y eut une excellente Musique pendant la Messe du Roy, qui fut remené jusqu’à son carrosse.

Ce même jour 11. il arriva un autre Courier de la Reine d’Espagne, qui écrivoit au Roy en François, pour le prier de luy mander combien il faisoit de lieuës par jour, & dans quel temps il pourroit arriver sur la Frontiere, afin qu’elle donnât les ordres necessaires pour le recevoir. Ce Courier rapporta qu’il avoit laissé le Duc d’Ossune à Bordeaux, & qu’il arriveroit peu de jours aprés.

On partit de Blois à dix heures du matin pour aller à Amboise. Mr de Miromesnil, Intendant, alla au devant de la Cour, & Sa Majesté Catholique luy fit l’honneur de faire arrester son Carosse, & luy dit quelques paroles obligeantes. Cet Intendant se rendit ensuite par un petit chemin plus court, & détourné, à la descente du Carosse de ce Prince. Il luy rendit compte de l’estat où il avoit fait mettre les chemins, & des ordres qui avoient esté donnez, afin que toute la Cour ne manquast de rien. On arriva d’assez bonne heure à Amboise. Le Roy d’Espagne logea au Chasteau qui est fort escarpé. Il fut reçu à la Porte de la Ville par les Magistrats qui le complimenterent. La Bourgeoisie estoit sous les armes, & formoit deux hayes jusques au Chasteau. Le Presidial vint haranguer Sa Majesté, qui avoit esté saluée à la descente de son Carosse par Mr le Cardinal de Furstemberg. Ce Cardinal occupe la maison de la Bourdaisiere, qui est proche de Tours, & qui appartient à Mr le Marquis de Dangeau. Le Roy d’Espagne avoit fait esperer à cette Eminence qu’il iroit jusqu’à ce lieu-là pour y prendre le plaisir de la chasse ; mais ayant sçu que cette maison est éloignée de six lieuës d’Amboise, il changea de dessein. Mr le Cardinal de Furstemberg l’ayant appris, ordonna qu’on tuast le plus de gibier qu’il seroit possible, & en presenta trois grands bassins à S.M. Catholique. Il y en avoit deux de Faisans & de Perdrix rouges. La foule se trouva prodigieuse au soupé, la plus grande partie des Dames de Tours s’estant renduës à Amboise.

La nuit du 11. au 12. Mr le Duc d’Ossune, Grand de la premiere Classe, & premier Gentilhomme de la Chambre du Roy d’Espagne, Mr le Comte d’Ursel, Mestre de Camp general, Mr le Marquis de Tenebron, Mr le Marquis de Robledo, & Dom Antonio de Mantanara, Député de Naples, arriverent en poste. Mr le Duc de Beauvilliers ayant appris l’arrivée de Mr le Duc d’Ossune, envoya le 12. au matin à la Poste, où il estoit logé, pour sçavoir des nouvelles de sa santé. On convint qu’il auroit audience du Roy d’Espagne à l’issuë de la Messe de Sa Majesté. Mr le Maréchal Duc de Noailles envoya un Gentilhomme nommé Mr de Hauterive, pour sçavoir comment il se portoit, & pour luy offrir tous les services qui dépendroient de luy. Mr le Duc d’Ossune luy répondit en Espagnol, qu’il estoit fort obligé à Mr le Duc de Noailles, & qu’il auroit l’honneur de luy faire ses tres-humbles remerciemens. Ce Duc passa ensuite devant le Gentilhomme qui estoit venu luy faire compliment, & le reconduisit jusqu’à la porte de la ruë, qui est la maniere de conduire en Espagne la plus honneste, parce qu’on prétend qu’on laisse celuy que l’on reconduit maistre du logis. Le même jour Sa Majesté Catholique & Messeigneurs les Princes entendirent la Messe dans la Chapelle du Chasteau, où ils furent complimentez par le Doyen. Au sortir de la Messe Mr Desgranges, Maistre des Ceremonies, conduisit Mr le Duc d’Ossune dans la chambre du Roy d’Espagne, qui le reçut debout, & sans chapeau. Il se jetta d’abord à deux genoux aux pieds du Roy son Maistre, dont il ne se releva point qu’il ne luy eust donné sa main qu’il baisa. Les autres eurent ensuite le même honneur, & Mr le Comte d’Ursel qui parle François, servit d’Interprete. Mr le Duc de Beauvillers luy demanda s’ils avoient le portrait du Roy. Il répondit qu’ils l’avoient, mais qu’il leur manquoit de bon Peintres pour en fournir des copies à tous ceux qui souhaitoient de l’avoir. Cet Espagnol assura que jamais joye n’avoit esté si grande & si universelle en Espagne que lorsque la proclamation s’estoit faite ; & Mr le Duc de Beauvillers luy ayant dit, que la joye avoit encore augmenté lorsqu’on avoit vû par ce Portrait que Sa Majesté portoit ses propres cheveux, l’Espagnol repliqua aussitost qu’ils n’avoient égard qu’à l’auguste Sang dont il sortoit, & que cela seul faisoit leur joye. Il ajouta qu’il falloit que le Ciel se fust ouvert pour faire une union si heureuse & si souhaitable. Mr le Duc de Beauvilliers ayant ordonné que Mr le Duc d’Ossune & les autres qui l’accompagnoient fussent logez, les reconduisit jusqu’à la derniere porte de l’Antichambre de S.M. Catholique, leur donnant la main, & Mr Desgranges jusqu’au bas du Chasteau, Mr de Beauvilliers leur donna à dîner, & Mr le Maréchal de Noailles à souper, l’un & l’autre avec beaucoup de magnificence. Mr le Duc d’Ossune avoit demandé l’honneur de servir le Roy son Maistre, puisqu’il avoit eu le bonheur de parvenir jusqu’à ses pieds, mais on luy fit entendre que pendant que Sa Majesté seroit sur les terres de France, les Officiers François la serviroient. Ainsi Sa Majesté Catholique permit à ce Duc d’aller à Versailles saluer le Roy & Monseigneur le Dauphin, pour la revenir joindre dans sa route, afin de passer avec elle en Espagne. Ce Duc partit le lendemain avec les autres Seigneurs Espagnols. L’apresdinée du 12. Sa Majesté Catholique & Messeigneurs les Princes entendirent Vespres en Musique, Mr le Comte d’Ayen ayant envoyé chercher toute la nuit à Tours ce qu’on y avoit pû trouver de Musiciens, & de Joüeurs d’Instrumens. On vit à Amboise le bois de Cerf si renommé, aussi bien qu’un os du col & des costes de cet animal. Messeigneurs les Princes le firent descendre, & l’on découvrit qu’ils estoient faits de main d’homme. Monseigneur le Duc de Berry dit fort agreablement, que s’il estoit vray qu’il y eust eu un Cerf de cette grandeur, il n’auroit pû habiter aucune Forest. Mr le Comte de Coigny vint saluer à Amboise S.M. Catholique & Messeigneurs les Princes. Monseigneur le Duc de Bourgogne luy demanda si ses Troupes estoient retournées en leur quartier. Il leur répondit qu’elles seroient fort inutiles ailleurs ; que les François estoient regardez en Espagne avec trop de plaisir & de veneration, qu’il n’y avoit sorte d’amitié qu’on ne leur fist dés qu’ils paroissoient ; que par toute l’Espagne on se preparoit à de grandes Festes, & que dés Bayonne même on devoit donner un combat de Taureaux au Roy d’Espagne. Il ajouta que le Maître de la Poste de cette Ville-là, ayant fait venir environ quatre-vingt Estampes du Portrait de Sa Majesté Catholique, pour en faire present à ses Amis, il avoit trouvé tant de personnes qui luy avoient demandé à les acheter, qu’il les avoit toutes venduës deux Louis d’or chacune. Tant que le Roy d’Espagne a demeuré à Amboise, Mr de Miromesnil a toûjours tenu deux fort grosses tables, & il y a eu des repas où il s’est trouvé vingt-cinq à trente personnes à chacune.

Le 13. Sa Majesté Catholique donna audience à Mr le Prince Pio, qui eut l’honneur de luy baiser la main. Ensuite Sa Majesté partit, & alla coucher à Loches, dont Mr le Duc de Beauvilliers est Gouverneur. Le Chasteau est tres-ancien, situé sur un roc au plus haut de la Ville. A l’arrivée du Roy, la petite Ville de Beaulieu, qui est separée de Loches par la riviere de l’Indre, & par une chaussée qui en facilite la communication, & ceux de Loches estoient sous les armes. Les ruës estoient tapissées & remplies de beaucoup de monde, Les cloches sonnoient par tout, & le canon du Chasteau & du Donjon salua le Roy & Messeigneurs les Princes. La Ville fit les presens ordinaires, & le Chapitre harangua, & voulut presenter l’Aumusse au Roy comme Duc d’Anjou, parce que le Chapitre est fondé par un Duc de ce nom, dont plusieurs corps reposent dans cette Eglise, aussi-bien que celuy d’Agnés Sorel, Dame d’une grande beauté, qui fut tres-considerée du Roy Charles VII. Son tombeau est au milieu du Chœur. Il est de marbre noir, & la Figure d’une pierre tres-blanche. Le Roy & Messeigneurs les Princes baiserent aprés la Messe la ceinture de la Vierge, que l’on y garde tres-précieusement. On voit dans le Donjon deux cages de bois, garnies de fer, dont la premiere fut faite pour mettre Ludovic Sforce, qui y mourut.

Le 14. le canon tira encore pour le départ du Roy d’Espagne, qui alla coucher à la Haye en Touraine, Bourg situé sur la Creuse, où finit l’Intendance de Mr de Miromesnil. On avoit apprehendé beaucoup les mauvais chemins depuis Blois jusqu’à la Haye, mais cet Intendant les avoit si bien fait reparer, qu’on ne s’apperçut pas qu’ils fussent fâcheux. Aussi avoit-il fait assurer Mrs les Ducs le Beauvilliers & de Noailles, que pendant prés de trois semaines il y avoit eu cinq mille Pionniers & Travailleurs de commandez chaque jour pour la reparation de ces chemins. Mrs Robert & … Intendans des Turcies & levées, aussi bien que Mr Poitevin qui en est Inspecteur, suivirent la Cour jusqu’à la Haye. Messeigneurs les Princes passerent la soirée à la Haye comme ils avoient fait toutes les autres, c’est à dire en dessinant les vûës & les Chasteaux qu’ils avoient trouvez dans le chemin.

Je suis obligé de finir ici ce Journal, quoy qu’il me reste une infinité de choses curieuses à vous dire, mais je le reprendray le mois prochain à l’endroit où je le quitte, & le commenceray plutost afin de vous le donner entier. Je ne croïois pas lorsque je l’ai commencé, qu’il seroit rempli de tant de particularitez historiques, & curieuses, que vous n’avez pû trouver ensemble dans aucune Relation, le Journal que je vous envoye estant tiré de huit ou dix Relations.

Je ne vous envoye point le Testament du feu Roy d’Espagne. Il se vend chez le sieur Leonard Imprimeur du Roy, ruë Saint Jacques, avec la Lettre de la Junte ou Regence d’Espagne, au Roy, la Lettre du Secretaire d’Etat, la seconde & troisiéme Lettre des Regens, la Réponse du Roy à la Junte, & la quatriéme Lettre des Regens. Le sieur Leonard y a joint le Portrait du Roy d’Espagne à present regnant.