1701

Mercure galant, juillet 1701 [tome 9].

2017
Source : Mercure galant, juillet 1701 [tome 9].
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Mercure galant, juillet 1701 [tome 9]. §

[Lettre de Jerusalem] §

Mercure galant, juillet 1701 [tome 9], p. 18-34.Entre juillet et octobre 1701, le Mercure galant publie une série de quatre articles évoquant les pratiques religieuses en Terre sainte. Le premier article est signé par le père Raphaël Ventajol, « Procureur Général de Terre-Sainte » qui est vraisemblablement l’auteur des articles suivants, non signés. L’article de juillet 1701 évoque les célébrations réalisées en Terre-Sainte pour l’accession au trône du duc d’Anjou au trône d’Espagne. Le second article (août 1701) décrit les 24 couvents, missions et hospices de Terre Sainte et leurs coutumes. Le troisième (septembre 1701) décrit les coutumes religieuses et rituels pratiqués lors de différentes fêtes. Enfin, le dernier article (octobre 1701) évoque des cérémonies qui se sont déroulées au Couvent de Nazareth avant de décrire des pèlerinages en Terre sainte.

On a sceu dans ces mêmes lieux que Monseigneur le Duc d’Anjou avoit esté appellé à la Monarchie d’Espagne, & voicy ce que le Pere Raphaël Ventajol, Procureur General de Terre-Sainte, a écrit sur ce sujet au Pere Cherubin-Bouchage, de Lyon, Religieux du Tiers Ordre, & Agent à Paris, pour les affaires des Saints Lieux.

De Jerusalem le 15. Mars 1701.

D’Abord que nous avons sçeu la nouvelle certaine de l’exaltation du petit Fils de Louis le Grand, le Duc d’Anjou, à la Couronne d’Espagne, sous le nom de Philippe V, laquelle nous a esté envoyée de France & d’Espagne, le Superieur General des Saints Lieux, le Reverend Pere Estienne de Naples, donna ordre dans les quatre Convents de S. Sauveur, du S. Sepulchre, de Bethléem & de S. Jean dans les Montagnes de Judée, comme aussi dans tous les Convents, Chapelenies & Hospices de Terre Sainte que trois jours consecutifs, on chantast le Te Deum avec une Messe solennelle, & qu’on appliquast toutes les Messes & prieres de ces jours pour le Tres Chrestien Roy de France, & pour le Roy Catholique, afin que Dieu les conserve avec leurs Maisons Royales avec leurs Monarchies.

Le 12. du mois de Mars, le Superieur officia pontificalement, avec la Crosse & la Mitre, & les autres ornemens Episcopaux, suivant les privileges qu’il a de divers Souverains Pontifes, & chanta la Messe en Action de Grace de la réunion des deux Royaumes dans la famille de S. Louis. Nous fîmes ouvrir ce jour-là par les Turcs la porte de l’Eglise du S. Sepulchre pour en faire sortir le Superieur qui est François, & qui prêcha à la gloire des deux Monarques, excitant les Auditeurs à rendre graces à Dieu de l’union des deux plus Puissants Royaumes de la Chrestienté ; ce qui fera le triomphe de la Religion Catholique, & l’humiliation des Heretiques.

L’Eglise du grand Convent de S. Sauveur estoit fort ornée de fleurs, tant naturelles qu’artificielles, & il y avoit une si grande quantité de cierges blancs qui brûlerent jour & nuit, que jamais on n’avoit veu nos Eglises si bien éclairées. La Messe fut chantée en Musique par divers Religieux de toutes les Nations de la Chrestienté, & quand elle fut finie, on chanta le Te Deum avec toute la solennité possible. Le même jour on chanta aussi une Messe tres solennelle pour le même sujet sur le Saint Sepulchre de Nostre Seigneur. On fit la même chose à Bethléem, dans l’Estable ou la Sainte Grotte, dans laquelle est né le Fils Dieu. La Messe finie & chantée par les Religieux, aydez des Bethléemites, & par plus de cinquante enfans de Bethléem que les Religieux de S. François instruisent, & qui sçavent le plein chant en perfection, le Gardien de Bethléem entonna le Te Deum. Les Religieux Prestres revêtus de Chapes, & les Freres, de surplis, allerent processionnellement de l’Eglise de Sainte Catherine qui est celle du Convent, à la Grotte où Nostre Seigneur est né, portant tous des flambeaux de cire blanche, & ils y rendirent graces à Dieu de l’heureuse nouvelle qu’ils avoient receuë de l’union des deux Royaumes dans la Maison de S. Louis.

À S. Jean de Judée, où il y a un Convent de l’Ordre de S. François basti dans la Maison de S. Zacharie, on fit les mesmes ceremonies qu’en Jerusalem & Bethléem. On chanta solennellement la Messe, & on fit la procession en chantant le Te Deum, & allant à la Chapelle bastie dans le lieu même, où est né S. Jean Baptiste. Les Messes & Offices finis, je fis en sorte que les Religieux pussent mesler quelques rejouissances corporelles aux spirituelles. Il est tres rare que nous ayons du poisson frais en Jerusalem ou Bethléem pendant le Caresme, j’y pourveus autant qu’il me fut possible, on pescha à Gaza & à Japha, & tous les Religieux François, Espagnols, Hibernois, Italiens, Portugais, Indiens & autres, crierent plusieurs fois, Vivent les deux premiers Monarques de la Chrétienté le Roy de France & le Roy d’Espagne.

Le lendemain, le Pere Vicaire chanta la Messe solennelle avec les mêmes ornemens d’Eglise. Il y avoit autant de lumieres qu’au jour precedent, & parce que c’estoit un jour de Dimanche où tout le Peuple Catholique, qui ne parle & n’entend que la langue Arabe vient à la Messe & à la Predication, le Pere Curé prescha en Langue Arabe, afin que le peuple comprist ce qu’il avoit à luy exposer. Il fit part à l’auditoire de l’heureuse nouvelle qu’on avoit receuë peu de jours auparavant de l’Exaltation de Philippe V. à la Couronne d’Espagne, & recommanda à ses Auditeurs de prier Dieu pour sa conservation, & pour Sa Majesté Tres Chrestienne nostre invincible Protecteur, qui nous a donné un si grand Monarque.

Le quatorziéme je chantay la Messe, & comme en qualité d’Espagnol, j’ay plus d’interest que qui que ce soit à cette grande nouvelle, j’exposay le S. Sacrement de l’Autel, fis orner l’Eglise le mieux que je pus, & fis encore augmenter le nombre des cierges qui brûlerent jour & nuit en si grande quantité, que nostre Eglise de S. Sauveur n’estant pas fort grande, elle parut toute brillante de lumieres. Vous sçavez, mon Reverend Pere, qu’il y a dans cette Eglise des balustres qui separent les deux ailes du costé de la Nef qui est dans le milieu, les femmes estant aux deux costez, & les hommes dans la Nef du milieu. Ces balustres estoient tout remplis de flambeaux de cire blanche. La corniche qui regne au tour de l’Eglise estoit pleine de cierges ; tous les Autels en estoient parfaitement garnis, & au milieu de l’Autel, outre le grand nombre qu’il y en avoit, on voyoit les douze chandeliers d’argent du S. Sepulchre. La chaleur estoit si grande dans l’Eglise qu’on avoit de la peine à y rester ; d’un autre costé nous n’épargnames pas les parfums.

Dans les trois Messes qui furent chantées par le Superieur qui est Italien, par le Pere Vicaire qui est François, & par moy qui suis Espagnol, les Religieux n’oublierent rien pour bien chanter, chacun s’y portant de cœur & d’affection. Comme on avoit presché en François dans la premiere Messe du Samedy ; en Arabe & en Italien dans la seconde Messe au Dimanche, l’on prescha en Espagnol à la mienne Ce fut le Pere Gardien de Bethléem qui fit la Predication. Elle fut si ingenieuse, que je me crois obligé de vous en parler. Il prit pour texte les paroles de l’Ecriture. Venite Filiæ Sion, & videte Regem vestrum Salomonem in Diademate. Il commença sa Predication par la mort de Charles II. & ayant parlé quelque temps des vertus de ce Monarque, il ajoûta qu’on pouvoit dire de luy, ce que nostre Religion Seraphique chante de nostre Pere Saint François, par rapport à Saint Pierre d’Alcantara ; sçavoir, que quoy qu’il nous semble mort, il ne l’est pas veritablement, ayant laissé un Successeur qui luy ressemble entierement. Mortuus est Pater noster Seraphicus, & quasi non est mortuus, similem enim reliquit sibi Petrum post se. Qui est ce luy qui est tout semblable à Charles II. C’est le Petit-fils du grand Monarque Louis XIV. sçavoir Philippe V. & Fils de Monseigneur le Dauphin.

Pour lors il commença à décrire, & à loüer la Maison de Saint Louis d’une maniere qui le fit admirer de tous les Auditeurs, rapportant des choses admirables de tous les Descendans de Saint Louis jusques au nouveau Monarque Philippe V. Roy d’Espagne, & il invita tout le monde à reconnoistre ce grand Roy pour digne Fils d’un si saint Ayeul, par les paroles de son texte, Venite, Filiæ Sion, & videte Regem Salomonem in Diademate, quo coronavit illum mater sua. Il montra par de bons passages de l’Ecriture-Sainte, que Philippe estoit ce Salomon pacifique Roy de Jerusalem, ayant esté à son avenement à la Couronne une source de paix. Il dit que les Filles de Jerusalem sont les Religieux de S. François qui habitent les Lieux Saints, & que la Mere qui avoit couronné ce nouveau Roy Salomon, estoit la France & l’Espagne, qui sont aujourd’huy une même chose. Il dit pour preuve de cette verité, qu’on pouvoit regarder la France & l’Espagne, qui toutes deux portent des Lis dans leurs Armes, comme ces deux tiges de Fleurs de Lis, l’une naturelle, & l’autre artificielle, qu’apporta la Reine de Saba au Roy Salomon, pour éprouver sa sagesse, & sa science, & qui étoient si semblables, que Salomon pour les distinguer, fut obligé de se servir d’Abeilles qui se poserent sur le lis naturel, & par là on le distingua de l’artificiel. Il dit, que les lis de France & d’Espagne estoient aujourd’huy si unis, & si semblables qu’on ne pouvoit plus les distinguer l’un de l’autre. La Messe finie, on chanta encore le Te Deum, aprés quoy les Religieux allerent au Refectoire. Je donnay ensuite à manger à tous les Pauvres qui se presenterent, & à qui je distribuay une grande aumône, les exhortant à prier Dieu pour les deux Monarques, & pour la Paix de l’Europe, luy rendant graces de cette heureuse union des deux premieres Monarchies de la Chrestienté qui leur faisoient esperer à l’avenir toute sorte de bonheur.

Le Reverend Pere Superieur de Jerusalem, & Custode de Terre-Sainte a envoyé ses Ordres par tous les Convens, Hospices, Chapellenies, & Missions de ces Pays, afin que trois jours consecutifs on fasse la même chose qu’en Jerusalem, & qu’on applique toutes les Messes pour les deux Monarques. Tous les Espagnols marquent tant de joye qu’il semble qu’ils soient tous natifs de France. Ils disent que le temps est arrivé où les deux Royaumes ne sont plus qu’une même chose. Dieu en soit loüé à jamais, & conserve les deux Monarques, & leur Famille Royale.

Pays Inconnu §

Mercure galant, juillet 1701 [tome 9], p. 35-44.

Je ne sçay si en parcourant toute la terre, on pourroit estre assez heureux pour découvrir le Pays que Mr de Cantenac, Chanoine de l’Eglise de Bordeaux, a décrit dans le petit ouvrage que je vous envoye.

PAYS INCONNU.

Vous m’avez fait, Oronte, une admirable Histoire,
Qui paroist une Fable, & que je ne puis croire ;
D’un Pays merveilleux, où tous les Habitans,
Reglez par la vertu, vivent toûjours contens.
On y voit les Pasteurs, avec un soin extrême,
Conduire doucement leur Troupeau qui les aime,
Et toûjours attentifs aux insultes des loups,
Pour l’en mieux garantir, s’exposer à leurs coups.
On ne les y voit pas sans attache & sans peine,
En succer tout le lait, en arracher la laine ;
Ny que luy survendant jusqu’aux plus petits soins,
Leur cœur soit de rocher dans ses plus grands besoins.
Ils ne le laissent pas errant sur la fougere,
Pour aller cajoler quelque jeune bergere,
Et perdre sans raison la pluspart de leur temps,
À délasser l’esprit dans les plaisirs des sens.
Là de jeunes Abbez la troupe vagabonde
Ne vit pas dans l’erreur des Maximes du monde,
Et marquant du mépris pour des biens immortels,
Ne profane pas ceux qu’on consacre aux Autels.
Le Juge en ce pays est toûjours équitable,
Protege l’innocent, & punit le coupable.
Les charmes des presens n’y trouvent nul accés,
Pour gagner sûrement un injuste procés.
Là les divers détours que la chicane invente,
N’immortalisent pas une cause méchante.
Les subtils Avocats, les rusez Procureurs,
Ne couvrent pas le droit d’embarras ny d’erreurs.
Les differentes loix d’où naissent tant de doutes,
Labyrinte éternel rempli de fausses routes,
Ne servent pas d’excuse à la mauvaise foy,
Qui donne adroitement un faux sens à la loy.
Une foule d’écrits grossis par l’avarice,
Pernicieux moyens d’acheter la Justice,
Ne sont plus en usage ; & sans rolle, & sans frais,
On y juge d’abord & finit les procés.
Là, tous les Medecins, qu’on croit les plus habiles,
Passent publiquement pour des gens inutiles.
On y ressent fort peu la foiblesse des ans,
On y vit sans remede, & l’on y vit longtemps.
En ce lieu, le Marchand ne dit que ce qu’il pense,
Son commerce fidelle y produit l’abondance.
Content d’un gain modique, il vend à juste prix,
Et croit que le surplus est injustement pris.
La sainteté des mœurs en a banni l’usure,
Le faux poids, le mensonge, & la fausse mesure.
Sa probité connuë augmente son credit ;
Il n’a qu’une parole, & l’on croit ce qu’il dit.
Les Epoux vivent là, sans degoust, sans querelle.
L’Amour leur fait goûter une paix éternelle,
Et l’ardeur de ses feux animant leurs desirs,
Dans les mesmes douceurs fait de nouveaux plaisirs.
Là, les cruels soupçons, la morne jalousie,
Qui naissant de l’Amour, luy font perdre la vie,
Ne troublent pas l’Hymen d’un funeste poison,
Qui souvent par caprice, étoufe la raison.
Chaque homme est assuré que sa Femme est fidelle,
Il est le plus aimable, & le plus beau pour elle.
Rien ne la charme tant, & l’Epoux à son tour.
Trouve en elle l’objet le plus digne d’amour.
C’est un tresor pour luy, dont il est assez riche,
Sans courre comme un Cerf aprés plus d’une Biche,
Et portant chez autruy sa folle passion,
S’exposer à subir la loy du Talion.
Là, de sa beauté même une femme idolâtre,
Ne charge pas son teint de ceruse & de plâtre,
Et par des ornemens qui blessent la pudeur,
Ne donne pas sujet d’attaquer son honneur.
Elle n’abuse pas un Mary debonnaire,
Imputant sa parure au dessein de luy plaire.
Un prétexte si vain ne sçauroit le tromper ;
Tout homme qui le croit est facile à duper.
Le beau sexe en ce lieu, toûjours sage & modeste,
Evite des Amans le commerce funeste,
Et ne se sert jamais d’un injuste moyen
De conquerir des cœurs, & de donner le sien.
On n’y voit pas courir la jeunesse indiscrete,
Aux plaisirs défendus que donne une Coquette
Ny qu’au mépris des loix, avec emportement,
La débauche ou le jeu l’occupe incessamment.
Portée à la vertu, rien ne la peut séduire ;
Elle en suit les leçons qui la doivent conduire,
Et saintement reglée au plaisir qu’elle prend,
Ne connoist pas l’Amour, si l’Hymen ne l’apprend.
On ignore en ce lieu les fureurs de la guerre,
Fleau du Ciel, qui ne sert qu’à détruire la terre.
Lors que quelqu’un s’éleve, on le voit sans ennuy,
Et personne n’y court sur le marché d’autruy.
L’orgueil, l’ambition, l’avarice, l’envie
N’y sont pas comme ailleurs les tyrans de la vie.
On s’y passe de peu, l’on n’a besoin de rien,
Le merite & l’honneur y font le plus grand bien.
Ce beau Pays, Oronte, est-il peint sur la Carte ?
Plus je veux le chercher, & plus je m’en écarte.
Mais à cette recherche il ne faut plus rêver,
Quelque chemin qu’on fasse on ne peut le trouver.

[Ceremonie qui s’observe à Rome de sept ans en sept ans] §

Mercure galant, juillet 1701 [tome 9], p. 44-50.

Quoy que l’article qui suit ne soit pas nouveau, il vous fera sans doute plaisir parce que vous y trouverez les circonstances d’une ceremonie, dont vous n’avez peut-estre jamais appris le détail. Les Papes ont accoûtumé la premiere année de leur Pontificat, & ensuite de sept ans en sept ans, de distribuer solennellement les Agnus Dei, dans la Semaine de Pasques. Ce sont de petits Pains ronds & ovales, de cire blanche, en forme de Medailles, où paroist d’un costé un Agneau qui tient l’étendart de la Croix, figure de nôtre Seigneur, & de l’autre l’Image de quelque Saint. Le Pape d’aujourd’huy, pour satisfaire à cette coutume mistérieuse, aprés avoir dit la Messe dans sa Chapelle du Palais le Mardy de Pasque, revestu de l’Amict, de l’Aube avec la ceinture d’une Etole de damas blanc garnie de dentelles d’argent enrichie de perles, commença par benir l’eau preparée dans diverses cuvetes d’argent, recitant les Oraisons ordinaires pour l’eau Benite, à la fin desquelles il en ajouta une autre particuliere. Il versa ensuite dans cette Eau le Baume & le saint Crême en forme de croix, disant les Oraisons marquées dans le Ceremonial ; puis il dit d’autres prieres sur les Agnus sitôt qu’ils luy furent presentez dans divers grands bassins d’argent, aprés quoy S.S. s’assit, & on luy remit sa Mitre. Alors les Cameriers luy presenterent les Agnus Dei, qu’il plongea dans ces cuvetes d’eau benite. Les Cardinaux revêtus de leurs aubes & ayant un linge fin devant eux en forme de tablier, avec une écumoire d’argent chacun à la main, les retirerent de l’eau, & les donnerent aux Prelats qui les étendirent sur des grandes tables couvertes de napes tres fines. On les y laissa secher. Le Pape se leva ensuite, dit d’autres oraisons sur les mesmes Agnus dei qu’on remit dans les bassins, aprés quoi chacun se retira. On continua les jours suivans cette mesme ceremonie jusqu’au Vendredy. Tous ces jours, outre les Cardinaux & Prelats il y eut diverses personnes de distinction qui y assisterent. La Reine mesme de Pologne y alla, de sorte que la Salle se trouva trop petite, quoy que les Gardes n’y laissassent entrer que des Personnes de qualité.

Le Samedy il y eut Chapelle Papale. La Messe fut chantée par le Cardinal Noris, & le Pape y assista sur son Trône, revestu de ses habits Pontificaux. Lorsqu’on eut chanté l’Agnus Dei, un Soudiacre Apostolique precedé de la Croix, des chandeliers, & de l’encens, alla prendre des mains du Sacristain de Sa Sainteté un bassin d’argent plein de ces Agnus Dei nouvellement benis. Etant arrivé à la porte de la Chapelle Papale, il dit à haute voix & à genoux, Pater sancte, isti sunt agni novelli qui annuntiaverunt vobis, alleluya. Le Chœur répondit en musique Deo gratias, alleluya. Ensuite le même Soudiacre Apostolique se leva, & dit la même chose une seconde fois au milieu de la Chapelle, & une troisiéme aux pieds du Pape, à qui le Cardinal Diacre Assistant mit en main successivement divers paquets d’Agnus Dei, envelopez proprement dans du coton. Le Pape les distribua aussi successivement premierement aux Cardinaux, & ensuite aux Evêques, aux Penitenciers de Saint Pierre, puis aux Prelats & autres Officiers de cette Cour, & aprés eux à tous ceux des Seculiers de distinction qui estoient entrez dans la Chapelle.

[Mort de Madelaine Patri]* §

Mercure galant, juillet 1701 [tome 9], p. 61-63.

On a eu avis de la mort de Dame Madelaine Patri, veuve de Messire Antoine de Franquetot, Commandant les Gendarmes de la feuë Reine Anne d’Autriche, & Mere de Mr le Comte de Coigny, Gouverneur de Caën, ci-devant Gouverneur de Barcelone, Lieutenant General des Armées de Sa Majesté & General de ses Troupes en la Gueldre Espagnole. Elle est morte en sa Terre de Villeray le 17. du mois passé. Cette Famille de Franquetot est considérable en Normandie. Il y a eu un President à Mortier de ce nom au Parlement de Rouen. Il estoit Frere de feu Monsieur l’Abbé de Franquetot, Aumônier du Roy, qui a extremement brillé à la Cour.

Le 5. de ce mois, Mrs les Doyen & Chanoines de l’Eglise Collegiale du Saint Sepulcre de Caën, ayant appris la mort de Madame la Comtesse de Franquetot, firent un Service fort solemnel, & magnifique dans leur Eglise pour le repos de son ame, il y avoit une tres-belle Musique, & toutes les personnes de qualité, & de distinction de la Ville y assisterent avec les Officiers du Château. Mr Renout, Doyen de cette Collegiale, envoya des Vers de consolation sur cette mort à Madame de Franquetot Religieuse de l’Abbaye de Sainte Trinité.

[Epitaphes] §

Mercure galant, juillet 1701 [tome 9], p. 63-73.

Je vous envoye une Lettre de Bordeaux, sur les Personnes illustres que la mort enleva le mois passé à la France.

À MONSIEUR ***

Quel funeste mois, Monsieur, que le mois de Juin de cette année ! Non-seulement il a inondé la terre de pluies, il a encore fait couler des ruisseaux de larmes. N’a-t-il pas esté mortel à un illustre Prince, à un grand General de Mer, & à une Fille illustre ? Le 2. de Juin mourut Mademoiselle de Scudery, le 9. mourut Monsieur, Duc d’Orleans, & le 28. de May, qui est comme la veille de Juin, estoit mort Mr le Maréchal de Tourville. Tant de funerailles, & si extraordinaires, engagent les Muses à travailler. Elles doivent en graver de leur mieux les Tombeaux, & en composer avec soin les Epitaphes. Voicy un de leurs Essais.

POUR MONSIEUR,
Duc d’Orleans.

Cassel le vit briller dans un fameux Combat,
La Gloire l’élevoit, & la Parque l’abbat.

Pour Mr le Maréchal
de Tourville.

Par un double triomphe en de sanglans hazards,
Il fut de l’Ocean le redoutable Mars.

Pour Mademoiselle
de Scudery.

La Sapho de la France, helas ! vient d’expirer,
Le Parnasse luy doit une pompe funebre ;
 Celle de Lesbos si celebre,
 Ne se fit pas tant admirer.

Vous voyez, Monsieur, qu’il n’y a point de Teste qui échape à la cruelle Proserpine.

 … Nullum
Sæva caput Proserpina fugit.

Horat. in Epod.

Je suis, &c.

Voicy d’autres Vers faits sur la mort de Monsieur. Ils sont de Mr de Laistre, Avocat au Parlement.

 France, je ne m’étonne pas,
De te voir toute en deüil, ta douleur est sincere.
D’un Prince de ton Nom la memoire est bien chere ;
Pour le Peuple il eut mille apas.
***
Philippe jouissoit d’une Gloire immortelle.
 Digne Frere du Grand Louis :
Mais, helas ! sans retour, la Parque trop cruelle,
Peut seule diviser deux cœurs les mieux unis.

Il a paru plusieurs Epitaphes de Mademoiselle de Scudery. Celle-cy a esté faite par Madame d’Ossonville.

Cy gist la Sapho de nos jours,
Qui sur la Grece eut l’avantage
D’accorder les tendres amours
Avec la raison la plus sage.
Jeux innocens, prenez le deüil.
Muses, pleurez sur son cercueil
La perte de vos plus doux charmes.
Beau Sexe, fondez vous en larmes.
Ce qui faisoit vostre ornement
Est caché sous ce monument,

Cette autre Epitaphe est de Mademoiselle Barbier.

 Scudery n’est plus, je m’abuse,
 Elle est, elle sera toujours.
La mort, qui de nos ans borne le triste cours,
 N’a point de droit sur une Muse.
 Mr Dader a fait celle-cy.
 Sapho n’est plus, ah, quel malheur !
 Nous n’en verrons jamais une autre.
 Quand les Grecs perdirent la leur,
Leur perte ne fut pas si grande que la nostre.

Puisque nous sommes sur les Epitaphes, je ne puis m’empescher de vous faire part de celle qui a esté faite pour l’Illustre Mr de Segrais de l’Academie Françoise.

 Sous ce marbre, Passant, ne cherche point Segrais.
Voy-le prés d’Apollon regner sur le Permesse ;
Son heureux sort, changeant tes pleurs en allegresse,
Interdit pour toujours à ton cœur les regrets.
Themis, & la vertu, le rendirent illustre.
L’une & l’autre à l’envi luy formerent le cœur.
Et leurs presens dans luy prirent un nouveau lustre.
Il eut, tout jeune encor, des Muses la faveur.
Theocrite & Maron luy prêterent leur plume
D’où cent beautez par tout coulent dans ses Volumes.
 Rouxels, & Sarazins, Malherbes, & Patris.
Qui des murs de Cadmus fûtes jadis la gloire,
Vous qui du grand Segrais connoissez seuls le prix.
Placez le parmy vous au temple de memoire ;
Qu’aussi longtemps son nom y vive glorieux,
Qu’il vivra dans les vers de nos doctes neveux.

Cette Epitaphe est de Mr de la Duquerie, Docteur de la Faculté de Medecine de Caën, qui a fait l’Inscription qui suit pour estre mise à la tête de ses Ouvrages.

Voicy du grand Segrais les restes precieux.
Les Dieux depuis longtemps jaloux de leur Ouvrage
Ne voulurent jamais, malgré nos justes vœux,
À sa triste Patrie en laisser davantage.
Tous alleguent leurs droits, pour cacher leur rigueur,
Les uns sur son esprit, les autres sur son cœur ;
Themis sur les vertus dont elle orna son ame,
Cupidon sur le cœur qu’il brula de sa flâme.
Minerve fait valoir ses droits sur son esprit.
Vénus pretend ravoir les graces qu’il luy prit,
Apollon veut enfin reprendre sa musette.
Dont Segrais fit pleurer Atis & Timariette.
Malherbes, Sarasins, des Muses favoris,
Telle entre vous & nous sera la difference.
Vous jouirez toûjours de sa douce presence,
Nous jouirons toujours de ses charmans Escrits.

[Nouvelles d’Andalousie] §

Mercure galant, juillet 1701 [tome 9], p. 73-77.

Mr le Marquis de Leganez a esté fait Capitaine & Vicaire general du Royaume d’Andalousie. C’est un honneur que les Rois Catholiques n’ont accordé à aucun Gouverneur depuis plus de quatre-vingts ans ; & comme le Royaume d’Andalousie n’a pas le titre de Viceroyauté, le Roy d’Espagne n’en pouvoit faire davantage au Marquis de Leganez, qui a succedé au Duc d’Alburquerque. Ce Marquis alla au Bord de Mr le Comte d’Estrées à Cadix le 29. de May, ne l’ayant pû faire avant le départ du Duc d’Alburquerque. Il y alla en Canot suivi de plusieurs autres Canots, chargez d’Officiers Espagnols, tous superbement vestus à la Françoise. Il fut salüé de vingt & un coups de Canon ; les Gardes Marine & les Soldats estoient sous les armes. On battoit aux champs, & tous les Vaisseaux de guerre selon leur rang, salüerent. On leur servit une magnifique Collation. Les Gardes & les Soldats firent l’exercice au son du Tambour ; & à la sortie on fit le même salut qu’on avoit fait à l’arrivée de Mr le Marquis de Leganez. Mr Renaud fait fortifier Cadix, & les autres Places des costes d’Espagne.

Les Vaisseaux doivent entrer dans le Pontal, qui est une bonne Rade, défenduë à son entrée par deux Forts, éloignez l’un de l’autre d’une demi-portée de Canon. On peut débarquer des Soldats dans l’Isle de Cadix malgré les Ennemis, & mettre les Canonniers à terre, pour servir dans les Batteries à défendre la Coste. On y sera à l’abry des Bombes & des Brulots.

Mr Machault qui monte le Constant, a ramené à Cadix deux Galiotes à Bombes, deux Brulots, & une Flute chargée de munitions.

Mr de Palles & Mr le Chevalier de Beaujeu croisent depuis le Cap de S. Vincent jusqu’à Salé. Mr le Bailly de Lorraine, & Mr le Chevalier de Chamillart doivent presentement les avoir relevez.

Mrs de Seppeville & Daligre ont mis à Barcelone des Mortiers, des Bombes, & des Canons, sur leurs Vaisseaux.

[Vers sur la naissance d’un cinquième Fils de Mr d’Aguesseau] §

Mercure galant, juillet 1701 [tome 9], p. 122-126.

La naissance d’un cinquiéme Fils de Mr Daguesseau, Procureur General au Parlement de Paris, a donné lieu à Mr Dader de faire les Vers qui suivent.

À MONSIEUR
DAGUESSEAU.

Depuis le jour heureux de vostre mariage,
 La Chronique compte cinq ans,
 Et vous avez cet avantage
 De les compter par vos enfans.
 Puisse la France qui vous aime
 Vous voir longtemps compter de même.
***
Dans l’immense Paris il n’est point d’Habitant,
 Dont le cœur ne parust content,
 Si par un enfant chaque année
 Vous augmentiez vostre lignée,
Gardez-vous de tromper un si flatteur espoir,
Telle est des Daguesseau l’heureuse destinée
 Que l’Etat n’en peut trop avoir.
***
 De vostre tige incomparable
 On cherit tous les rejettons,
 Autant qu’on aime les rayons
 De cette lumiere admirable
 Que le Soleil répand sur nous
Quand il veut nous combler de ses biens les plus doux.
Vos Fils feront un jour la gloire de leur âge.
Voici comme la voix du Public les partage.
 Pres de vous sur les fleurs de lis,
 Les uns semblables à leur Pere,
En soutiendront si bien le noble caractere,
Qu’ils feront comme vous le plaisir de Themis.
***
Les autres penetrez d’une gloire plus pure,
 Rempliront avec dignité
 Les devoirs de la Prelature,
Et feront en tous lieux aimer la verité.
Leurs sublimes vertus à la suite des vostres
 Se répandront de tous costez,
Et les puissans attraits des unes & des autres
Triompheront des cœurs que le vice a gâtez.
***
 Mais nos ames seront charmées
 De voir le reste de vos Fils,
 Commander un jour des Armées
 Pour le service de Louis.
Enfin dans le Barreau, dans l’Eglise, à la Guerre,
Chacun d’eux doit trouver un destin glorieux,
Et vous devez donner des Heros à la terre,
 Et des Anges aux cieux.
***
On ne sçauroit trouver aucune flatterie
 Parmy ces Eloges divers ;
Vous charmez à la fois la France & la Patrie.
Touché de vos vertus, le Public se récrie,
 Et je n’exprime dans mes vers
 Que les vœux de tout l’Univers.

[Autres sur un sujet peu different] §

Mercure galant, juillet 1701 [tome 9], p. 126-134.

Voicy d’autres Vers dont le sujet est peu different. Ils sont de Mr l’Abbé de L. Chanoine de l’Eglise de Saint J.

Sur la naissance de Mr le Marquis de Montegut, Fils de Mr le Procureur General du Parlement de Toulouse.

Qu’entens-je ? de quel bruit resonne
Le rivage de la Garonne ?
D’où vient qu’on tire tant de coups ?
Quel nouveau sujet parmi nous
Fait pousser mille cris de joye ?
Sont-ce les Enfans de nos Rois
Qu’un heureux destin nous renvoye
 Une seconde fois ?
***
Je voy les Bourgeois sous les armes,
Des feux de joye au devant des maisons,
 Par tout illuminations,
Les Dames même étalant mille charmes,
 Et qu’un tendre zele conduit,
Sortent de leurs maisons au milieu de la nuit,
 Et suivant des routes connuës
 À la faveur du feu qui luit,
 Dansent en troupes dans les ruës.
 On entend leurs charmantes voix,
 Par mille douces chansonnettes
 Se mêler au son des Hautbois
 Des Violons & des Trompettes.
***
Le bruit des armes, du tambour,
Marque une joye universelle,
On diroit que Mars & l’Amour
Pour une Feste solemnelle
Ont ici rassemblé leur Cour.
***
 Mais parmy cette multitude
J’entens chanter assez distinctement.
Pour ne plus demeurer dans cette incertitude,
  Ecoutons un moment.
***
 Puisse durer, puisse croistre
 L’aimable enfant qui vient de naistre
 Pour le bonheur des Toulousains !
Pendant qu’un sang si beau soûtiendra la Justice
 Crimes affreux, noire Malice,
  Vos efforts seront vains.
***
Ah, je comprens ; c’est l’aimable Marquise
 Qui met au jour un demi-Dieu,
Le sang de Mazuyer s’augmente & s’éternise.
Quel bonheur pour l’Etat ! quel bonheur pour ce lieu !
Pourroit-on se resoudre à garder le silence
Quand on a pour parler des sujets aussi grands ?
Chantons, perçons les airs par des tons éclatans
Celebrons à l’envi cette illustre naissance,
Et qu’à nos chants les Echos d’alentour
  Répondent à leur tour
***
Quelles vertus un jour ne fera pas paroistre
 Le Demi-Dieu qui vient de naistre ?
De quels nobles Ayeux n’est-il pas descendu ?
Ils sont connus par tout, & leur brillante Histoire
Est gravée à jamais au Temple de Memoire.
Rendons à leur grand nom un hommage assidu.
***
 Chantons sans cesse,
 Et que chacun s’empresse
D’honorer cet Enfant par nous tant souhaité.
C’est le prix glorieux d’une juste tendresse,
 Que la Sagesse & l’Equité,
 Les Graces & la Beauté,
Ont formé de concert avec un soin extrême
 Dans le sein de la vertu mesme.
***
Qu’il sera grand, qu’il sera respecté !
 Il sera semblable à son Pere,
 Il en aura l’illustre caractere.
Il a déja ses traits & sa douce fierté.
Bien-tost il en aura les mœurs, la probité,
 Et l’éloquence naturelle,
 La memoire grande & fidelle,
 Et dans l’esprit une vive clarté,
 Comme dans celuy de sa Mere,
 Cette Heroïne qu’on revere,
 Dont tout le monde est enchanté
En qui le Ciel a mis un cœur droit & sincere,
 Le meilleur cœur qui jamais ait esté,
 En qui l’on voit une noble maniere,
 Et dans les yeux une douce lumiere,
 Autant d’attraits, de charmes, de beauté
 Qu’en la Déesse de Cythere
***
Comme cette Déesse, elle fait tous les jours
 Naistre mille tendres Amours.
 Mais helas ! que leur sert de naistre ?
Devant elle jamais ils n’ont osé paroistre.
 Nous vous souhaitons des enfans,
 Belle Marquise, au moins un tous les ans.
 À celuy-cy donnez bientost un Frere.
Si le Ciel sur ce point daigne nous satisfaire,
Qu’il accorde à nos vœux vostre fecondité
 Et nous n’en aurons plus à faire
 Que pour vostre prosperité,
Celle de vostre Epoux, de son Pere, & du vostre.
Fasse le Ciel qu’ils soient en parfaite santé
Encor cinquante ans l’un & l’autre.

[Le Roy voit une seconde fois l’Eglise des Invalides, & visite toute la maison] §

Mercure galant, juillet 1701 [tome 9], p. 160-166.

Le Jeudy 14. de ce mois le Roy, qui pour lors estoit à Meudon, vint voir pour la seconde fois l’Eglise des Invalides. Monseigneur, Monseigneur le Duc de Bourgogne, Madame la Duchesse de Bourgogne, & plusieurs Dames de sa suite l’y accompagnerent. Sa Majesté y arriva avant cinq heures par le grand Portail de la nouvelle Eglise. Elle descendit de Carosse à plus de cent pas de ce Portail, afin d’en voir la façade de loin comme de prés. Elle passa entre deux doubles files d’Invalides sous les armes avec leurs Officiers & tambour battant, & fit remarquer la grandeur & la richesse de l’Architecture, à toute la Compagnie. Ensuite l’on entra dans l’Eglise, dont au premier coup d’œil tout le monde parut étonné, & demeura d’accord qu’il n’y avoit rien en France d’aussi superbe en ce genre, de basti avec tant de propreté, & d’enrichi d’aussi belle sculpture. La Coupe surprit infiniment, & l’on en admira la hauteur, les proportions, & les bas reliefs. L’on s’arresta dans les Chapelles, qui ne sont pas moins décorées de sculpture, ny basties avec moins de propreté. Le Roy fit remarquer la beauté des marbres dont le tout est pavé. Le grand Autel qui sert aussi à l’ancienne Eglise, qui se voit derriere, n’est encore qu’un Modele sur lequel on n’est pas tout-à fait déterminé. Le Roy dit tout haut que les Colonnes en devoient estre de marbre noir, & qu’elles seroient entortillées de festons de Bronze doré, & que les Chapiteaux & les Bazes seroient aussi de même matiere. Il ajoûta qu’il estoit aisé de juger de quelle magnificence seroit cette Eglise, lors qu’on l’auroit entierement achevée, & que la Coupe & les Chapelles seroient peintes. Aprés qu’on eut bien examiné cet Edifice, l’on tourna par derriere l’Autel, & Sa Majesté marcha le long de la vieille Eglise, & entra dans la Maison. Elle monta dans les Corridors au premier & au second étage. Les Dames se reposerent quelque temps dans la Salle des Comptes, & suivirent ensuite le Roy au Refectoire, qui y vit souper un grand nombre d’Invalides. Il examina leur pain, & les viandes qui leur estoient servies. Au sortir du Refectoire, il alla voir l’Apotiquairerie, & se promena dans les Salles de l’Infirmerie, dans lesquelles il n’y avoir point de malades. On luy fit voir dans un lit un Invalide de cent quatre ans en bonne santé. Le Roy remonta en Carosse dans la seconde Cour, & partit au bruit des Tambours & des Trompettes passant entre deux doubles files de Soldats sous les armes dans l’avantcour.

Le Roy fait éclater tant de pieté, de bonté, de magnificence, de prudence & de grandeur dans toutes ses actions, que lors qu’il fait quelque chose qui regarde l’une de ces vertus ou d’autres semblables, c’est toûjours d’une maniere qui ne laissant rien à souhaiter, porte par consequent son éloge. Ainsi il ne reste rien à en dire, l’action faisant plus voir que ne feroient les loüanges qu’on luy donneroit.

[L’Esclave & l’Elephant, Conte] §

Mercure galant, juillet 1701 [tome 9], p. 166-180.

L’Ouvrage qui suit est de Mr de Senecé. Vous sçavez qu’il ne fait rien, dont on ne s’empresse à demander des copies, parce qu’on est assuré qu’il réussit en toute sorte de genre d’écrire.

L’ESCLAVE
ET L’ELEPHANT.
CONTE.
À Mr BELLOCQ.

 Le temps, des plus vastes promesses
 Délivre les plus engagez,
Le terme vaut l’argent. Délais bien ménagez
Chez le crédule espoir tiennent lieu de largesses.
O vous, qui promettez, d’allonger les momens
Apprenez à vous faire une prudente étude :
Le temps vous tirera de vos engagemens.
S’il ne peut les remplir, du moins, il les élude.
Un Esclave Genois, homme de qualité,
 Et d’un genie au dessus du vulgaire,
Chez le Vizir Achmet, Musulman sanguinaire,
 Par l’industrie, & la fidelité,
 Toûjours attentif à luy plaire,
Adoucissoit l’aigreur de sa captivité.
Un verre qu’il cassa, de sa felicité
 Finit les momens peu durables ;
Car vous n’ignorez pas que chez les grands Seigneurs,
Mesme parmy les Turcs, plus volontiers qu’ailleurs,
 Verres cassez sont cas pendables.
 Quoy donc ? dans son premier transport
 S’écria le farouche Maistre,
Mon beau verre est brisé, qui venoit de Francfort,
Si bien gravé, si rare ? il en mourra, le traitre,
Qu’on l’empale. À ces mots, Fregose est accroché
 Par quatre impitoyables serres,
 Et se voit prest d’estre embroché,
Exemple formidable à tous casseurs de verres !
Alors, sans s’émouvoir du trépas qui l’attend,
 À quelque homme de confiance
L’intrepide captif, d’un visage constant,
Demande à reveler un secret d’importance.
Orcam vers le poteau sur l’heure est amené,
Orcam, du Grand Visir Conseiller ordinaire,
 Vient recevoir du condamné
 Le testament patibulaire.
Seigneur, luy dit Fregose avec tranquillité,
L’estat où je me vois n’a rien qui m’embarasse,
Et l’Arrest de ma mort est un Arrest de grace,
 Qui va me mettre en liberté.
Mais le Visir en moy perdra plus qu’il ne pense,
Et je faisois pour luy certaine experience,
 Dont le succés l’eust contenté.
Je l’allois supprimer par esprit de vengeance ;
Prest d’aller rendre compte, un remors le défend,
 Que m’inspire la conscience.
J’apprenois à parler à son gros Elephant ;
Il prononçoit déja quelques lettres Arabes,
Il auroit dans six mois assemblé des sillabes,
Et dans dix ans.… Quel conte, a faire à des enfans,
Interrempit Orcam ! C’est bien moy qu’on abuse.
Pour garantir tes jours n’as-tu point d’autres ruses ?
Qui jamais entendit parler des Elephans ?
 Non, reprit froidement Fregose ;
Je ne déguise point, il n’en est pas saison.
Entre les animaux leur Auteur, de raison
À qui plus, à qui moins, departit une dose.
 L’Elephant les surpasse tous,
De la Religion il a quelque teinture,
Au lever du Soleil il se met à genoux,
Et revere dans luy l’Auteur de la Nature.
Il connoist les vertus, inspiré par les Cieux ;
Il est reconnoissant, chaste, disciplinable,
Il cherit l’innocent, il punit le coupable,
Et le plus jeune assiste & respecte le vieux.
 Pour garants de ce que j’avance,
J’ay Pline, Heliodore, Aristote, Ælian,
 Berose, Porphyre, Oppian,
À vous, gens inconnus, Seigneur, comme je pense,
Chez nous autres Chrestiens, témoins de consequence.
J’ay reflechi d’ailleurs, & c’est chose à peser,
Qu’animaux Indiens sont enclins à jaser.
Si la Nature avare, à sa plus noble beste
 Avoit interdit le caquet,
Elle eust moins mis de sens dans son enorme teste,
 Que dans celle d’un Perroquet,
 Sur des raisons si concluantes,
Qu’un peu de sens commun prit soin de m’indiquer,
 Dans la plus douce des attentes,
Je poussois un projet, qui ne pouvoit manquer.
Mais puisque la terreur que cause le supplice
 Fait soupçonner ma bonne foy,
 Que mon secret s’ensevelisse
 Dans le même tombeau que moy,
Orcam prête au Genois des oreilles avides ;
Car malgré le bonheur qui le mit sur les rangs,
 C’estoit un Scythe des plus francs
Qui fust jamais sorti des Palus Méotides.
La nouveauté du fait l’effaroucha d’abord ;
Mais aprés ce discours soudain il se ravise,
Et l’execution par bon ordre est surcise,
Jusqu’à ce qu’au Vizir il ait fait son rapport.
Or Vizirs, comme on sçait, sont gens, qui de chimeres
  Se repaissent avidement ;
Gens qui bouffis d’orgueil, sur des preuves legeres
  Se mettent en teste aisément
Que la nature Esclave adore leur fortune,
Et doit à leur grandeur marquer à tout moment
 Par quelque rare accouchement
 Sa déférence peu commune.
L’un veut que d’un creuset le Perou soit tiré,
Ou que d’un alambic Dame Jeunesse sorte,
Et l’autre court comme un desesperé,
Arracher l’escarboucle au Dragon qui la porte.
 On pourroit sans enchantement
 Persuader leur vaine gloire,
 Que l’eau du Rhône, ou de la Loire
Ayant dans son passage abbreuvé l’Allemand,
 Ira grossir les flots de la Mer noire
Pour signaler les jours de leur gouvernement.
 Comme le moindre des Novices
Achmet donne à travers, il croit que le destin,
Voulut à son honneur reserver les prémices
 De ce langage élephantin ;
Et qu’aux Annales de l’Empire
Avec étonnement l’avenir pourra lire,
  Par la faveur d’Alla,
  En tel temps de l’Hégyre,
Chez le Vizir Achmet un Elephant parla,
 Adouci par cette esperance
Pour la premiere fois, il use de clemence.
 Quant à Fregose, il dit qu’il veut mourir,
Que de s’y disposer il a fait la dépense,
Et que de sa façon dans les murs de Bizance
On n’entendra jamais d’élephant discourir.
À la fin pa bonté souffrant qu’on le délivre,
Pour plaire à son cher maistre, il se resout à vivre.
On convient avec luy, que dans l’instruction
 D’un gradué de si grosse importance,
 Le moindre temps pour le mettre en licence,
 C’est un double Quinquennium.
L’Esclave, du trépas délivré de la sorte,
Cheri, consideré, prend des airs triomphans,
Et fait en lettres d’or écrire sur sa porte,
 Petite Ecole d’Elephans,
Constantinople entiere accourut au spectacle,
Et le nouveau Docteur entreprit sans façon
Entouré de Badauts, qui crioient, au miracle,
De donner en public sa bizarre leçon.
Un jour qu’on en sortoit, certain Ami fidelle,
Demeuré le dernier, luy dit confidemment :
Fregose, as-tu compris de ton engagement
 La consequence naturelle,
Et du Vizir trompé le fier ressentiment ?
Ne te souvient-il plus de ce Bouc trop crédule,
Descendu dans un puits pour se desalterer,
Qui fut par le Renard traité de ridicule,
Pour n’avoir pas prévu l’endroit à s’en tirer ?
Va, va, j’ay tout prévu, luy répondit Fregose.
Dix ans, à ton avis, sont-ils si peu de chose ?
La mort prendra le soin de dégager ma foy,
Dans ce delay qu’on donne à mon experience,
 Et reduira sous sa puissance
 L’Elephant, le Vizir, ou moy,
***
Amy Bellocq, c’est ainsi que me joüe
Cette Fortune, au cœur dissimulé,
Qui d’assez haut, m’a d’un tour de sa rouë
Precipité dans le fond de la bouë,
Où je croupis, languissant, exilé.
Je me suis vu quelquefois consolé
Par doux espoir, par flateuse promesse ;
Mais la lenteur me replonge en tristesse,
Et mes beaux jours dans l’attente ont coulé.
Je vois, sans doute, où m’attend la traistresse
Qui pour me perdre est en si beau début ;
Par quelque mort, qui brusquement survienne,
Tout à propos, pour que bien je n’obtienne,
Veut esquiver ; mais si c’est là son but,
Fasse le Ciel que ce soit par la mienne.

[Galanterie] §

Mercure galant, juillet 1701 [tome 9], p. 186-194.

Mr de Vertron, dont l’esprit est inventif & galant, a fait une Societé pour la Lotterie de Tours, qu’il nomme la Compagnie des nouveaux Argonautes. Elle est composée d’autant d’Hommes que de Femmes, tous de qualité & de merite. Les noms des uns & des autres sont tirez de la Fable, & remplissent les Numero. Voicy ceux des principaux & anciens Argonautes, sous lesquels les nouveaux ont mis à la Lotterie.

Jason, Fils d’Eson, issu de la race de Neptune, & Neveu de Pelias Roy de Thessalie, qui l’envoya à la conqueste de la Toison d’or, comme à une entreprise où il devoit perir.

Hercule, Fils de Jupiter & d’Alcmene.

Thesée, Fils d’Egée & d’Æthra.

Castor & Pollux.

Typhis, Pilote du Navire d’Argo, d’où est venu le nom d’Argonaute.

Linceus, dont les yeux, qui penetroient les murailles, servoient à découvrir les bancs & les écueils.

Orphée.

Idmon, Fils d’Apollon & de la Nymphe Cirene.

Amphiaraus, Prophete, Fils d’Oillée.

EPOUSES DE JASON.

Medée.

Hypsiphile.

Creüse.

EPOUSES D’HERCULE.

Dejanire.

Omphale.

Jole.

EPOUSE DE THESÉE

Ariane.

EPOUSE D’ORPHÉE.

Euridice.

La Lettre suivante explique l’histoire des Argonautes, & de la brillante Societé que Mr de Vertron vient de faire. Il l’adresse à Madame la Marquise de F.…

LETTRE
DU NOUVEL ORPHÉE
À LA
NOUVELLE EURIDICE.

Vous serez sans doute surprise, aimable Euridice, de voir Orphée reconcilié avec le beau sexe, luy qui en fut autrefois traité d’une maniere si cruelle ; mais tel est mon destin, que plus les Dames me font de mal, & plus je leur veux de bien. C’est donc à leur gloire, que j’ay fait ce nouveau projet galant pour la Lotterie de Tours. Vous y avez la premiere part, ma chere Euridice, & le nom d’Orphée, que j’ay icy, me fait une loy indispensable de vous consacrer mes premiers hommages. Vous avez entendu parler de cette fameuse Toison d’or, dont la Conqueste attira en Scythie les plus grands Princes, ou pour mieux dire, les Demi Dieux de la Grece. Cette Fable a donné lieu à ma Muse de s’exercer au sujet de la Lotterie, dont je vient de parler. J’ay attribué les divers noms des Heros qui furent de cette glorieuse expedition à ceux qui m’ont fait l’honneur de me déclarer Chef de nostre brillante Societé, & aux Dames qui m’ont accordé la même grace, ceux des Princesses leurs Epouses, y ajoûtant des paroles en vers, convenables aux noms qui leur sont échus en partage. Je croy que les Princes dont je viens de parler, voudront bien me dispenser d’employer à leur loüange une plume que j’ay destinée uniquement à vostre aimable Sexe ; je leur laisse une gloire plus solide, qui est celle d’emporter la Toison, c’est à dire, le gros Lot.

Qu’ils courent tous à ce tresor :
La Conqueste n’est pas moins bonne,
 Quoy que la Fortune la donne.
En un mot, le gros Lot sera leur Toison d’or.

Mais il semble par là que je veüille priver les Dames d’une conqueste si précieuse ; à Dieu ne plaise que je forme une pensée si injurieuse pour elles. Non, chere Euridice nous ne pouvons rien faire sans vous, & si vos vœux ne nous secondent, nous y trouverons des difficultez plus insurmontables, que celles dont Jason ne put triompher que par les charmes de Medée. Pour moy, je vous proteste que je serois le premier à y renoncer. Je borne toute ma fortune à l’avantage de vous plaire, & une seule de vos faveurs me tiendra lieu de gros Lot & de Toison d’or.

S’il y avoit autant d’esprit dans tous les noms qu’on se donne dans toutes les Societez qu’on fait pour mettre aux Lotteries, il y auroit à profiter pour beaucoup de gens ; par la seule lecture de ces noms.

[Mort de Louis de Bailleul]* §

Mercure galant, juillet 1701 [tome 9], p. 211-221.

Messire Louis de Bailleul, Marquis de Châteaugontier, Seigneur de Soisy & Estioles sur Seine, & de Valletot sur la Mer, ancien President à Mortier au Parlement, mourut ce 11. de ce mois, âgé de soixante & dix-neuf ans. Il avoit pris place de President en l’année 1652. par la mort de Messire Nicolas de Bailleul, son Pere, Ministre d’Etat, Surintendant des Finances, Ambassadeur en Savoye, Chancelier de la Reine, & second President à Mortier du Parlement. Il a aussi rempli cette place de second President pendant quelques années, & se démit de sa Charge en 1689. en faveur de Messire Nicolas-Louis de Bailleul, Marquis de Châteaugontier, son Fils, qui préside à là Tournelle depuis neuf ans. Il s’estoit retiré dans l’Abbaye de Saint Victor il y a environ vingt quatre ans, & sa vie en ce lieu-là a esté un sujet continuel d’édification, tant il a marqué d’éloignement pour toutes les choses du monde. Vous sçavez que sa mort a esté subite. Les Chirurgiens qui ouvrirent son corps, le soir même du jour qu’elle arriva, ont rapporté qu’elle avoit esté causée par une Apoplexie de sang dans la teste, & par une hydropisie de poitrine, le Mardy 12. de ce mois. Mr le premier President, accompagné de tous les autres Presidens à Mortier, à la reserve de Mr de Longueil, vinrent luy jetter de l’Eau benite en ceremonie, & furent receus au bas de l’Escalier par la Famille. Mrs de Saint Victor se trouverent dans sa chambre, & chanterent un De profundis pendant la ceremonie. Le même jour, le corps fut porté dans l’Eglise de l’Abbaye, où il demeura en dépost jusqu’au Jeudy, à deux heures du matin, qu’on le mit dans un Carosse pour le conduire à Soisy, son cœur estant demeuré à Saint Victor. Lors qu’il y fut arrivé, Mr de Sonning, Docteur de Sorbonne, Chanoine & Curé de Saint Victor, le presenta au Curé du lieu, & luy parla en ces termes.

MONSIEUR,

S’il est vray, comme nous n’en pouvons douter, que la bonne vie fait la bonne mort, & que l’on doit juger des dispositions la pluspart des mourans, par celles où on les a vû vivre, il nous est permis, & nous sommes même obligez, selon l’Apostre Saint Paul, de mettre des bornes à nostre douleur, laquelle sans cela deviendroit une douleur toute payenne, dans ce moment où nous est enlevé haut & puissant Seigneur Messire Louis de Bailleul, Chevalier, Marquis de Châteaugontier, Seigneur de Soisy & Estiolles sur Seine, & de Valletot sur mer, Conseiller du Roy en tous ses Conseils d’Etat & Privé, & President à Mortier honoraire dans sa Cour de Parlement de Paris, dont j’ay l’honneur de vous presenter le corps. Une retraite constante de vingt quatre ans dans nostre Abbaye de Saint Victor, une separation entiere de toutes les grandeurs & magnificences mondaines, dans lesquelles il estoit né, une patience vraiment chrestienne dans de facheuses circonstances d’affaires, une sainte frequentation des Sacremens, sa charité toute compatissante envers les Pauvres, son respect & sa veneration singuliere pour les Ecclesiastiques, & autres personnes consacrées à Dieu ; enfin d’assiduës meditations sur les grandes veritez de la Religion, nous donnent tout lieu de croire que sa mort, quelque subite & precipitée qu’elle ait esté pour nous, n’a pas esté imprévûë pour luy, & que Dieu ne l’a tiré de ce monde de la maniere qu’il a fait, que pour luy épargner dans ces derniers momens les horreurs de ce terrible passage, & en même temps commencer à luy donner la recompense des serieuses reflexions qu’il y avoit faites pendant le cours de sa vie. Oublions icy son illustre naissance, son integrité à rendre la justice, cette ame grande, liberale & bienfaisante en toute occasion, & mille autres belles qualitez qui luy ont attiré le respect & l’amitié de tout le monde ; mais aprés tout, qui ne font que l’homme d’honneur & de probité. Il me suffit, Monsieur, de vous rendre compte d’une ame veritablement Chrestienne, dont nous avons esté témoins, & qui le rend digne que vous vous souveniez de luy à l’Autel du Seigneur, pour achever, s’il en a besoin, de le purifier, & mettre son ame en estat de joüir au plûtost de la vûë de Dieu, jusqu’au moment que son corps, pour lequel nous vous demandons avec instance la sepulture ecclesiastique, joüisse avec elle d’une pleine & bienheureuse immortalité.

À l’issuë de la Messe, le corps de Mr le President de Bailleul fut mis dans la sepulture de ses Ancestres. Cet Illustre Magistrat estoit Frere de Madame la Marquise de Grandpré, & de Madame la Marquise d’Uxelles, à qui un merite singulier a donné tant d’Amis considerables. Mr le President de Bailleul, outre Mr le Marquis de Châteaugontier, President à Mortier son Fils, a laissé quatre Filles, qui sont Madame la Marquise de Franquetot, Madame la Marquise de Vatan, Madame la Marquise de Poussé & Madame de Courchamp. Cet illustre Magistrat a laissé aussi deux Sœurs. L’une est Madame la Marquise d’Uxelles, Mere de Mr le Marquis d’Uxelles, Lieutenant General des Armées du Roy, & l’autre, Madame la Marquise de Saint Germain Beaupré. Le grand nombre de personnes que l’on voit mourir subitement, devroit nous engager à faire de serieuses reflexions sur l’incertitude de la vie, & sur le peu d’attention que nous avons à nous préparer à la quitter.

[Ce qui s’est passé pendant le sejour de Monseigneur, & de Monseigneur le Duc de Bourgogne à S. Maur] §

Mercure galant, juillet 1701 [tome 9], p. 245-254.

Le 17. de ce mois, Monseigneur, & Monseigneur le Duc de Bourgogne allerent à Saint Maur, où ils furent receus par S.A.S. Monsieur le Duc. Il y eut le soir un grand Souper, & deux tables magnifiquement servies dans le même lieu. À l’une estoient Monseigneur, Monseigneur le Duc de Bourgogne, Monsieur le Duc, Madame la Duchesse, Monsieur le Comte de Toulouse, & d’autres Seigneurs. L’autre fut remplie de plusieurs personnes d’une qualité distinguée. On en servit encore d’autres en divers endroits.

Le Lundy il y eut une grande Chasse au Loup, & cette Chasse dura depuis le matin jusqu’à huit heures du soir. Il y eut ensuite un fort grand repas.

Le Mardy on n’alla point à la Chasse. Le dîner fut magnifique, & la promenade charmante. Dans les intervales de la promenade & du souper, on fut agreablement diverti par un tres-beau concert, composé des Sieurs Couperain, Vizée, Forcroy, Rebel & Favre, Philbert & Decotaux, & d’une petite Fille âgée de huit à neuf ans, que ce dernier éleve par charité, & qui suivant ses leçons, chante avec beaucoup d’ordre & de propreté.

Mr de Chamillart de Vilatte s’estant toujours fait beaucoup estimer dans les Emplois qui lui ont esté confiez, soit dans la Marine, soit dans les Finances, & ayant toujours travaillé avec un ordre & une assiduité qui faisoient croire que l’expedition si necessaire aux affaires, seroit prompte quand il en auroit de plus grandes entre les mains, Sa Majesté l’a jugé capable de remplir toutes les fonctions de l’employ qu’avoit Mr de S. Poüange.

Vous vous doutiez bien que dans la conjoncture presente des affaires, Mr de Fer qui est attentif à tout ce qui peut faire plaisir au public, & qui n’épargne rien pour cela, mettroit bien-tost au jour quelque Carte nouvelle. Il vient d’en donner une intitulée, les Frontieres d’Allemagne & d’Italie pour l’intelligence des affaires du Milanez, où se trouvent les Duchez de Milan, de Mantoüe, de Parme, & de Modene, la Republique de Venise, les Evêchez de Trente, & de Brixen, le Comté de Tirol, les Grisons, & la Valteline & partie de l’Archevêché de Saltzbourg. Il vient aussi de donner au Public une seconde partie de l’Atlas curieux, ou le Monde. Il est composé comme le premier de cinquante Cartes, Plans, Vuës, & Descriptions nouvelles tres-curieuses, & bien gravées. Il travaille à la troisiéme partie qui sera achevée au commencement de l’année prochaine.

Je croy que vous avez appris la mort de Mre Renoüard de la Toüanne, Tresorier general de l’Extraordinaire des Guerres & de la Cavalerie Legere de Sa Majesté, aux Départemens tant deçà qu’en delà les Monts. Il laisse un Fils Conseiller au Parlement, qui a épousé N. du Bosc, Fille de Mr du Bosc, Procureur general à la Cour des Aides, & cy devant Prevost des Marchands.

Messire Loüis Armand d’Alogny, Marquis de Rochefort, Baron de Craon, Seigneur d’Ingrande, Brigadier des Armées du Roy, mourut le 21. de ce mois sans alliance. Il estoit Fils de Messire Henry Louis d’Alogny, Marquis de Rochefort, Capitaine des Gardes du Corps & Maréchal de France, & de Dame Madeleine de Laval.

Messire Jean Neiret de la Ravoye, Seigneur de Beaurepaire, Grand Audiencier de France, & Tresorier general de la Marine, mourut le 23. Il avoit épousé N. de Valliere, Fille du Fermier general de ce nom. Sa beauté est connuë ; ainsi je ne vous en dis rien.

Le Roy estant tres satisfait des services que Mr de Blecour luy a rendus en Espagne, Sa Majesté lui a donné le Gouvernement de Navarin, qui vaquoit par le decés du Frere de Mr d’Artagnan, Commandant de la premiere Compagnie des Mousquetaires, & qui fut tué au Siege de Mastrick. Son aîné qui possedoit le Gouvernement de Navarin estoit âgé de cent dix ans. Sa Majesté a nommé dans le même temps Mr Ducasse, Gouverneur de l’Isle de Saint Domingue, pour estre Chef d’Escadre de ses Armées Navales & luy a donné ordre de se preparer pour retourner en Espagne, où Sa Majesté Catholique le souhaite. Il a de grandes lumieres, & est homme de bon conseil, & d’expedition & tres-capable de rendre des services importans. Ceux que Mr Dugué Bagnols rend aux deux Couronnes, l’ont fait nommer Intendant des Armées d’Espagne en Flandre ainsi qu’il l’est déja de celles de France.

[Relation de l’affaire de Carpi]* §

Mercure galant, juillet 1701 [tome 9], p. 254-258.

Puisque vous voulez sçavoir tout ce qui a esté écrit sur l’affaire de Carpi, je changeray ma maniere ordinaire, & au lieu de vous envoyer une Relation composée de plusieurs autres, je vous en envoye cinq, qui ont toutes esté faites par des Officiers generaux, ou par des Colonels. Vous trouverez dans chacune quelques particularitez qui ne sont point dans les autres. Ainsi vous pouvez compter qu’ayant toutes ces Relations, rien de ce qui est digne d’estre remarqué dans cette grande action, n’échapera à vostre connoissance, & que l’une vous éclaircira de ce que vous trouverez d’obscur dans une autre. Voicy la premiere.

Du Camp de San Pietro Legnago le 9. Juillet.

Je vous écris ces mots, pour vous dire que le Prince Eugene a passé ce matin le Tartaro & le Canal blanc, ayant quinze mille hommes, tant Cavalerie qu’Infanterie, avec lesquels il a attaqué le Camp de Carpi, commandé par Mrs de Saint Fremont & du Cambout. Ce Camp estoit composé des Regimens de Ruffey & de Mauroy, Cavalerie, des Dragons d’Estrade, de Verac & d’Albert. Mr de Saint Fremont a marché d’abord aux Ennemïs avec le Piquet. Il les a chargez fortement lors qu’ils sortoient du Village de Castagnaro, & il les a repoussez ; mais à la fin le grand nombre l’a emporté, & il a esté repoussé jusqu’à son Camp, où il a fait halte, protegé par les cinq Regimens. Celuy d’Albert a retourné à la charge trois fois, & a fait des choses extraordinaires. Le Chevalier d’Albert, Colonel, a esté tué & sept Capitaines. L’action se passoit dans un chemin bordé de Fossez des deux costez. Les Ennemis remplissoient le chemin par la Cavalerie, & au delà des Fossez par l’Infanterie. Le Regiment d’Albert se répandit sur mon Regiment & sur celuy de Ruffey, qui estoit derriere. Ces Regimens ayant marché en avant ont chargé dix fois les Ennemis, & n’ont esté contraints d’abandonner le Village de Carpi que par le feu de l’Infanterie qui s’estoit jettée dans les maisons, qui nous a tué beaucoup de monde. Mr Tomé est tué ou pris, cinq Lieutenans, trente-sept Cavaliers tuez sur la place. Mon Timbalier fut tué avec son cheval. Un de mes Brigadiers rechargea les Timbales & fut encore tué, & enfin les Timbales demeurérent, parce que le feu de l’Infanterie fut fort redoublé, & que Mr de Tessé fit retirer mon Regiment. Les Ennemis avoient un de nos Etendarts, mais Mrs de Belle & le Clerc l’allerent arracher au milieu des Ennemis. Je ne pus arriver à mon Regiment qu’à la fin de l’action, parce que j’estois à la grande Armée. Mr du Cambout a eu un coup dans le bas ventre, dont il est mort. Mr de Ruffey a perdu son Lieutenant Colonel, un Capitaine, un Etendart & autant de Cavaliers que moy.

Mr le Prince Eugene qui est blessé au genou, a dit qu’il falloit estre des Diables, pour soutenir ce que nous avons fait.

[Tout ce qui s’est passé à l’invitation des Cours superieures, au Service de feu Monsieur à Saint Denis] §

Mercure galant, juillet 1701 [tome 9], p. 295-331.

Le 21. de ce mois, les Jurez Crieurs, au nombre de vingt-six, s’estant trouvez dés le matin dans la Sainte Chapelle de Paris, & le Roy d’Armes, & cinq Herauts d’Armes de France s’y estant aussi rendus, Mr Desgranges, Maistre des Ceremonies, y vint ensuite, aprés quoy ils allerent en la Grand’ Chambre du Parlement, & aux autres Compagnies en cet ordre. Les Herauts d’Armes marchoient les premiers en Robes de deüil, la Cotte d’Armes par dessous, qui est de velours violet, un chaperon aussi par dessus le deüil, rabatu sur l’épaule. Ces Robes estoient semées de trois grandes Fleurs de Lis d’or, & marquées sur la manche d’une Devise ou titre particulier, comme Charolois, Xaintonge, & autres. Ils avoient chacun un Caducée à la main, voilé d’un crespe. C’est un bâton couvert de velours fleurdelisé. Le Roy d’Armes de France suivoit seul, vestu comme les cinq autres, ayant comme eux un chapeau en forme de Toque, avec un long crespe. Son Caducée differoit des autres à cause d’une Fleur de Lis d’or qui estoit au plus haut de ce Caducée, que quelques-uns nomment Sceptre.

Mr Desgranges, Maistre des Ceremonies, venoit seul aprés le Roy d’Armes. Il estoit vestu d’une Robe de deüil à longue queuë, portée par un de ses Domestiques, ayant un grand Chaperon de deüil renversé sur le dos, le Bonnet quarré, l’épée au costé, & le baston de Maistre des Ceremonies à la main.

Les vingt six Crieurs marchoient ensuite en Robes de deüil, & en chapeau. Ils étoient en bonnet quarré au Service de la feuë Reine. Ces Crieurs tenoient des clochetes, & avoient au devant & au derriere de leurs Robes des Ecussons peints aux Armes de Monsieur. Lors qu’on fut arrivé à la Grand’ Chambre, l’audience estant ouverte, Mr Desgranges prit séance aprés le dernier des Conseillers, & le Roy d’Armes & les Herauts demeurerent debout & couverts derriere le Bureau, & les Crieurs teste nuë, en forme de demy cercle. Le Maistre des Ceremonies ayant dit à la Cour les ordres qu’il avoit du Roy pour l’avertir de se trouver à l’inhumation de Monsieur à Saint Denis, il presenta la Lettre de Cachet, que Mr le premier President mit entre les mains d’un des Conseillers qui en fit la lecture, aprés laquelle Mr le Premier President dit, que la Cour executeroit exactement les ordres du Roy. Le Roy d’Armes dit à haute voix : Jurez Crieurs, faites la fonction de vos Charges. Au même instant le sieur de Voulges, l’un d’eux, s’estant avancé, dit à haute voix : Priez Dieu pour l’Ame de Tres Haut, & Tres Puissant Prince, Monseigneur Philippe, Fils de France, Frere unique du Roy, Duc d’Orleans, de Chartres, de Valois, de Nemours, & de Montpensier, Chevalier Commandeur de l’Ordre du Saint Esprit.

Priez Dieu pour l’Ame de Tres-Haut, & Tres-Puissant Prince, Monseigneur Philippe Fils de France, Frere unique du Roy, Duc d’Orleans, de Chartres, de Valois, de Nemours, & de Montpensier, Chevalier Commandeur de l’Ordre du Saint Esprit, decedé en son Chasteau de S. Cloud, le 9. Juin dernier.

Les Crieurs sonnérent encore une fois, & le sieur de Voulge continua.

Pour le repos de l’Ame duquel se feront les Prieres & Service en l’Eglise de l’Abbaye Royale de Saint Denis en France, où son Corps repose. Demain à deux heures aprés midy seront dites Vespres & Vigiles des Morts, & le lendemain à dix heures précises du matin sera celebré un Service solemnel, & ensuite il sera inhumé.

Priez Dieu pour luy, s’il vous plaist.

Les mêmes Proclamations se firent à la Chambre des Comptes, Cour des Aides, Cour des Monnoyes, au College des Grassins, où loge Mr le Recteur, au Chastelet, à l’Hostel de Ville, à l’Election, à la Table de Marbre, & dans la Cour du Palais Royal.

Au lieu de Nobles & Devotes Personnes, on dit à l’Université, Nobles & Scientifiques Personnes.

Le lendemain Vendredy, on dit à S. Denis les Vespres & les Vigiles des Morts. Mr l’Archevêque de Bordeaux y officia. Mr Desgranges, Maistre des Ceremonies, & Mr Martinet, Aide des Ceremonies, y assisterent avec quatre Heraults qui estoient aux quatre coins de la representation. Tous les Officiers de la Maison de Monsieur qui estoient de quartier, lorsque ce Prince mourut, y assisterent aussi. Ils avoient demeuré à Saint Denis depuis le jour que le corps y avoit esté porté. Ils l’avoient toûjours gardé assistant tous les jours depuis le matin jusqu’au soir aux Offices qui s’estoient dits pour le repos de l’ame de ce Prince, & avoient marqué par leur assiduité, par leur douleur, & par leurs prieres, l’amour qu’ils avoient pour luy. Tant qu’il n’estoit point inhumé il estoit regardé comme vivant, & les tables furent servies à Saint Denis, de la même maniere qu’elles l’estoient pendant qu’il vivoit.

Avant que d’entrer dans le détail des Ceremonies qui se firent le jour de l’inhumation, je croy devoir vous dire comment le Chœur de Saint Denis estoit décoré. Il y a longtemps qu’on n’a rien vu de si magnifique en ce genre.

On avoit eu dessein de representer un Monument qui devoit occuper tout le Chœur. Il consistoit en une architecture Ionique, qui le remplissoit depuis le rez-de-chaussée jusqu’à cinquante pieds de haut, de sorte qu’il en estoit entierement revêtu. Cette architecture estoit composée de pilastres accouplez, avec des arriere-corps. Il y avoit entre ces pilastres des arcades de vingt-cinq pieds de haut, plein-ceintre, dont les bandaux estoient portez par des impostes, posez sur les arriere corps. Le bas des arcades estoit enrichi de balustres d’or, à jour, dont les corps estoient de marbre, & dans le creux de ces arcades il y avoit un amphitheatre à trois gradins, à fond noir, pour placer plusieurs personnes, comme aussi de grands rideaux d’étofe noire, semez de Fleurs de Lis d’or, qui se separoient en deux sous la clef du cintre, & estoient retroussez à chaque costé en maniere de festons, & tomboient jusque sur les balustres. Les chapiteaux des pilastres estoient de relief d’or, & avoient pour ornemens des attributs de la mort, avec trois pieds & demi de large. Leur baze estoit aussi d’or avec un car touche representant les Armes de Monsieur au milieu des pilastres. La corniche & l’architrave estoient pareillement d’or, les frises de velours noir semées de Fleurs de Lis de bronze dorée, & de larmes de bronze argentée. Le socle qui portoit les pilastres & le balustre, estoit d’une bande de velours pareille à la frise, bordée de deux moulures d’or, au dessus de la corniche à l’aplomb des pilastres. Il y avoit un trophée de bronze dorée de six pieds de haut, qui s’élevoit jusqu’aux fenestres. Toute cette architecture estoit enrichie de plaques à cinq branches dorées, d’un dessein particulier, portant de petits flambeaux quarrez. Elles estoient attachées aux chapiteaux au dessous des cartouches au milieu des pilastres, & sur des bases. Tout ce grand Socle qui portoit l’architecture, en estoit bordé, avec d’autres flambeaux plus forts. Il y avoit dans les intervalles des girandoles portées par des Lis dorez. Le Chœur estoit revestu de pareils ornemens jusqu’à l’Autel, dont le Tabernacle est le plus magnifique qui soit en France. Le Retable, qui a onze pieds de face, est de vermeil doré ciselé. Les deux gradins sont de même. Le Tableau qui est à la place du Tabernacle, a environ dix pieds de large sur cinq de haut. Il est d’or, & garni de Pierres precieuses en forme d’une architecture de vermeil. Au dessus de ce Tableau s’éleve une console magnifique aussi de vermeil fort saillante, où le Saint Sacrement est suspendu. Toute l’architecture des autres ornemens qui furent faits dans toute la façade de l’Autel, estoit aussi d’or, & s’accordoit avec les parties de l’Autel que l’on a decrites, le tout ayant au dessus un fort magnifique Dais. La Musique du Roy occupoit la largeur de la tribune au-dessus de la porte du Chœur, placée comme dans les arcades, avec des Balustres.

Il y avoit dans les croisées deux Tableaux, l’un contenant la Bataille de Cassel, l’autre le Siége de Saint Omer, peints par Mr Silvestre le Cadet. Ces Tableaux estoient portez par des Renommées & entourez de trophées avec la devise de Monsieur ; sçavoir une Bombe avec ces mots Alter post fulmina terror, le tout peint & rehaussé d’or. Ces Tableaux avoient vingt cinq pieds de large sur dix huit de haut. Toutes ces magnificences qui ne laissoient pas d’estre lugubres, reçurent un nouvel agrément quand les lumieres parurent, par les figures differentes que formoit leur arangement.

Le Cataphalque, ou le lieu où l’on avoit posé le corps, estoit une estrade de quatre pieds de haut, ornée de ses corniches, avec des escaliers aux deux bouts de cinq marches chacun, le tout de quatorze pieds de large & de vingt-deux de long, & des panneaux aux costez des bas-reliefs de bronze doré, representant le Siege de Bouchain, & celuy de Zuphen, tous les Corps étoient de marbre.

Il y avoit sous cette estrade un Socle portant un Tombeau de marbre, accompagné d’ornemens de bronze doré, sur quoy estoit posé le Corps sous un Poële magnifique, avec sa Couronne, son Colier de l’Ordre, couverts de crespe, & son Manteau à la Royale. Quatre figures estoient posées aux coins du Tombeau, representant, sçavoir les deux du costé de l’Autel, la Pieté & la Prudence, & les deux autres la Valeur & l’Amour de la Patrie. Sur les Pieds d’estaux, à la hauteur des cinq marches estoient posez des Vases de marbre, ornez de consoles de bronze, d’une Couronne de Prince au dessus, & de Fleurs de lis, le tout portant des lumieress Toutes les rampes de l’escalier & la corniche de l’estrade, estoient bordées de fleurons qui portoient des flambeaux, & les degrez garnis de chandeliers. On avoit élevé au dessus du Tombeau un Pavillon tres magnifique, orné de pentes, avec quatre rideaux qui s’écartoient sur les angles en festons, soutenus de cordons noirs & or, avec de grosses houpes aussi d’or. Le corps fut posé sur le Tombeau, le Vendredy, veille de l’Inhumation, par douze des plus anciens des Gardes de feu Monsieur.

Toute cette décoration a esté inventée par Mr Berin, Dessinateur ordinaire du Cabinet du Roy, qui en avoit fait le dessein, & qui a pris soin de le faire executer. Je vous envoye une Estampe que j’ay fait graver, d’une seule arcade d’un des côtez du Chœur ; ainsi quand vous vous representerez tout du Chœur de l’Abbaye de Saint Denis, rempli de pareilles arcades, ornées de même, & que vous y joindrez la magnificence lugubre de l’Autel, comme je viens de vous la décrire, celle du Catafalque, & la décoration du Jubé, vostre imagination sera remplie de l’idée d’un lieu dont le sombre éclat & la magnificence vous feront regarder comme le Temple de la Mort.

Le Samedy 23. quelques Compagnies des Gardes se mirent en haye dés le matin dans les ruës qui aboutissent à l’Abbaye, dont les Portes furent gardées par des Gardes du Corps & par des Suisses du Roy.

Toutes les Compagnies qui avoient esté invitées, se rendirent à Saint Denis, & dans le temps que chaque Compagnie entra dans l’Eglise, les Jurez Crieurs, qui estoient des deux costez de la Nef, sonnerent de leurs clochetes, & alors Mr Desgranges sortit du Chœur pour les recevoir, & les y faire entrer & placer. Il y eut dix-huit Evêques en Rochet & en Camail, qui furent placez prés le grand Autel du costé de l’Epistre, outre les cinq qui servirent aux ceremonies dont je parleray cy-aprés.

Toutes les Cours Superieures ayant esté placées, ainsi que tous les Corps que l’on avoit invitez, & les Officiers de la Maison de Monsieur, Messeigneurs les Princes sortirent d’un Apartement tendu de deüil qu’on leur avoit preparé dans l’Abbaye. Cent pauvres vêtus de gris marchoient devant eux. Ils portoient un flambeau de cire blanche, & estoient suivis des vingt-six Jurez Crieurs. Aprés venoient les Heraults, & le Roy d’Armes ; puis Mr Martinet Aide de ceremonies seul, & Mr Desgranges, Maistre des Ceremonies, seul. Monseigneur le Duc de Bourgogne paroissoit ensuite. Sa queuë estoit portée par Mr de Chiverny par le milieu, & par Mr le Marquis de Seignelay par le bout. Celle de Monseigneur le Duc de Berry, qui suivoit estoit portée par Mr Razilly par le milieu, & par Mr le Marquis de Sommery par le bout, & celle de Son Altesse Royale Monsieur le Duc d’Orleans qui venoit ensuite, estoit portée par Mr d’Apremont, & par Mr le Marquis de Cayeux.

Toutes les séances estant prises, Mr l’Archevêque de Bourdeaux qui avoit officié pontificalement aux Vespres que les Religieux avoient chantées le jour precedent, commença la Messe revêtu de ses habits Pontificaux, ayant pour assistans Mrs les Evêques de Soissons, & de Marseille. La Messe fut chantée par la Musique du Roy.

Lorsque l’Evangile eut esté dite, le Prélat celebrant se plaça dans un fauteüil qu’on luy avoit preparé un peu au deça de l’Autel, & il y reçût les Offrandes. Les autres Prélats s’assirent aussi dans des fauteuils.

Le Roy d’Armes, aprés avoir fait les reverences à l’Autel, à la representation de Louis XIII. à Messeigneurs les Princes, au Corps de Monsieur, à Monsieur le Duc de Chartres, qui ne prit le nom de Duc d’Orleans qu’aprés l’inhumation du Corps de Monsieur, & à tous les Corps separement qui avoient esté invitez. Le Roy d’Armes, dis-je, alla se ranger à costé droit de l’Autel, & en même temps Mr Desgranges invita Monseigneur le Duc de Bourgogne par les mêmes reverences, & ce Prince, aprés les avoir aussi fait toutes, s’approcha de l’Evesque celebrant, & Mr Desgranges luy presenta un cierge qu’il prit des mains du Roy d’Armes ; & ce Prince s’estant mis à genoux sur un carreau baisa l’anneau de Mr l’Archevêque de Bourdeaux, & luy presenta le cierge, après quoy il fut reconduit à sa place. Je ne vous dis rien du reste de la ceremonie de l’Offrande, vous en pouvez juger parce que je viens de vous marquer.

Les ceremonies de l’Offrande estant achevées, un des Heraults d’Armes alla prendre Mr l’Evesque de Langres qui devoit prononcer l’Oraison Funebre. Il avoit tant de choses à dire à la gloire de feu Monsieur, qu’il auroit esté difficile qu’il les pust renfermer toutes dans une seule Oraison Funebre quelque longue qu’elle fust. Si tost qu’elle fut finie, le Prélat Officiant acheva la Messe, aprés laquelle il vint vers le Corps, accompagné des Evêques de Soissons & de Marseille, ausquels ceux de Lodesve & d’Avranches se joignirent. Ils avoient la Mitre en teste, & estoient suivis de leurs Aumôniers, & des Religieux de l’Abbaye. Ils firent les prieres, les encensemens, & les aspersions ordinaires, ce qui s’apelle absolution. Chaque Prélat fit la sienne, les quatre autres demeurant assis dans des fauteüils pendant ce temps. Aprés cela les douze Gardes de Monsieur qui avoient toujours gardé le Corps de ce Prince depuis qu’il étoit à S. Denis ayant descendu le cerceüil de dessus l’Estrade le porterent au Caveau. Les quatre coins du Poële estoient tenus par Mrs de Pluveaux Pere & Fils. Mr le Marquis de Ris, & Mr de Breteüil. En même temps le Roy d’Armes qui estoit au haut des degrez du Caveau, appella les honneurs, en ces termes.

Mr de Matharel premier Maistre d’Hostel, & vous Maistres d’Hostels ordinaires de Monsieur, apportez vos Bâtons.

Mrs de Matharel, Tubeuf, de Villeneuve, de la Menaudiere, de Sommelans, & de Frescaire, apporterent leurs Bâtons : & le Roy d’Armes continua à haute voix.

Monsieur de Liscoüet, Capitaine des Suisses de Monsieur, appartez vostre Bâton de commandement.

Mr le Marquis d’Estampes, Capitaine d’une Compagnie des Gardes du Corps de Monsieur, apportez vostre Bâton de commandement.

Mr le Marquis de la Fare, Capitaine d’une autre Compagnie des Gardes du Corps de Monsieur ; apportez moy vostre Baston de commandement.

Mr le Marquis d’Effiat, premier Ecuyer de Monsieur, apportez son Epée.

Mr le Marquis de Verneüil, Maistre de la Garderobe de Monsieur ; apportez son Collier de l’Ordre du S. Esprit.

Mr le Marquis de Sassenage, premier Gentilhomme de la Chambre de Monsieur ; apportez son Manteau à la Royale.

Mr le Comte de Chatillon, premier Gentilhomme de la Chambre de Monsieur, apportez sa Couronne.

Le Roy d’Armes reçut toutes ces choses, & à mesure qu’elles luy furent apportées, il les donna à un des Herauts, qui estoit sur le haut du degré par où l’on avoit descendu le corps, & ce Herault les donnoit à deux Religieux qui estoient au bas du degré. Ces Religieux mettoient tout sur le Cercueil de Monsieur.

Tous les Bâtons de Commandement, & ceux des Maistres d’Hostel ayant esté rompus, Mr de Chatillon, premier Gentilhomme de Chambre, dit à haute voix.

Messieurs, Monsieur est mort, nous n’avons plus de Maistre, sa Maison est éteinte, pourvoyons-nous, prions Dieu pour luy.

Aprés quoy le Roy d’Armes dit.

Tres-haut & tres-puissant Prince, Monseigneur Philippe, Fils de France, Frere unique du Roy, Duc d’Orleans, Chevalier, Commandeur du Saint Esprit, est mort.

Tres-haut & tres-puissant Prince Monseigneur Philippe, Fils de France, Frere unique du Roy, Duc d’Orleans, Chevalier Commandeur de l’Ordre du Saint Esprit, est mort.

Priez Dieu pour son Ame,

Ces tristes paroles firent répandre des larmes à la plus grande partie des assistans ; & pendant toute la ceremonie Monsieur le Duc d’Orleans parut penetré de douleur.

Aprés la derniere proclamation du Roy d’Armes, on chanta un De profundis, & la ceremonie finit.

[Bain de Madame la Duchesse de Bourgogne] §

Mercure galant, juillet 1701 [tome 9], p. 353-354.

Le premier d’Aoust, Madame la Duchesse de Bourgogne alla se baigner dans la riviere, & passa dans une Isle vis-à-vis le Port de Marly. L’on avoit construit dans la Riviere une Feüillée, destinée pour le Bain, & une Galerie, qui conduisoit de cette Feüillée à diverses autres dans l’Isle pour les Dames de sa suite. On avoit mis deux lits dans celle de Madame la Duchesse de Bourgogne. On avoit tendu dans le milieu de l’Isle plusieurs grandes Tentes du Roy, sous l’une desquelles l’on joüa pendant plus d’une heure, & l’on servit un magnifique souper sous une autre, pendant lequel les meilleurs Hautsbois du Roy se firent entendre.