1701

Mercure galant, décembre 1701 [tome 14].

2017
Source : Mercure galant, décembre 1701 [tome 14].
Ont participé à cette édition électronique : Nathalie Berton-Blivet (Responsable éditorial), Anne Piéjus (Responsable éditorial), Frédéric Glorieux (Informatique éditoriale) et Vincent Jolivet (Informatique éditoriale).

Mercure galant, décembre 1701 [tome 14]. §

[Vers de Mr P… sur un Carosse versé] §

Mercure galant, décembre 1701 [tome 14], p. 55-58.

Vous serez, sans doute, contente des Vers que je vous envoye. Ils ont esté faits sur un Carrosse versé, les chevaux ayant pris le mords aux dents.

À MONSIEUR ***

Je viens d’apprendre ce matin
 Que sur les bords du Tarn qui font le grand chemin,
Quoique la route en soit aisée,
Vous avez eu même destin
Que le pauvre fils de Thesée.
***
Vostre sort cependant me paroist bien plus doux,
Et le malheureux Hippolite
Eust esté bien content s’il en eust esté quitte
Pour quatre membres comme vous.
***
Quatre membres rompus, justes Dieux, quel dommage
Mais on nous a mandé qu’ils sont si bien remis,
Par un Bourreau de vos amis,
Que vous pourrez en faire encore quelque usage.
***
Quand même par malheur vous boiteriez tout bas,
Vulcain clopine à chaque pas ;
C’est pourtant un Dieu qu’on reclame.
Vous serez comme luy boiteux,
Et peut-estre cocu, mais toûjours trop heureux,
Pourvû que vous ayez une aussi belle femme.
***
 Ah Seigneur, ne permettez pas
Qu’en regrets superflus vostre cœur se consomme.
Songez que vous avez évité le trépas
 Et qu’un Gascon qui n’a qu’un bras
 Vaut encore autant qu’un autre homme.
***
 Vous dont mille accidens divers
 Ont fait éclater la constance,
Vous qui dans le jeu même, & les plus grands revers
 Avez tenu si bonne contenance
Ne pourrez-vous vous voir sans perdre patience
Deux ou trois membres de travers ?
***
Non, non, je ne le sçaurois croire,
Vous aurez soin de vostre gloire
Vostre vertu nous le promet.
Le mal que vous souffrez, je l’avouë, est terrible
Mais enfin est-il plus sensible
Qu’un coupe-gorge au lansquenet.

[Relation de Montpellier] §

Mercure galant, décembre 1701 [tome 14], p. 74-92.

Je viens aux Relations du passage de la Reine d’Espagne, que je n’ay pas reçuës assez tost pour vous en faire part dans ma Lettre de Novembre. Elles vous paroistront déplacées, & même vous y trouverez peut estre quelques endroits repetez, mais c’est peu de chose, & j’ay cru les devoir laisser pour l’enchaînement, les Relations que vous allez lire estant grandes, belles, suivies, & exactes.

Mr le Comte de Broglio, lieutenant, general des Armées du Roy, Commandant pour Sa Majesté dans le Languedoc, ayant esté averti le 23. d’Octobre que la Reine d’Espagne, qui estoit venuë sur les Galeres de France & de Naples jusques à Marseille, s’estant trouvée incommodée de la mer, avoit débarqué & continueroit son voyage par terre depuis Marseille jusqu’à Barcelone, qu’elle passeroit incognito, & ne recevroit aucuns honneurs, donna ses ordres, afin que l’on travaillast aux logemens pour la Cour, train & équipages de Sa Majesté, qui devoit arriver peu de jours aprés à Montpelier. Le lendemain il partit de grand matin, accompagné d’une grande suite de Noblesse, & avec un beau & nombreux équipage, pour se rendre à l’entrée de la Province, sur les Frontieres de Provence, afin d’y recevoir la Reine, & d’accompagner Sa Majesté pendant sa route jusqu’à la sortie du Languedoc.

Sur la nouvelle que cette Princesse devoit arriver à Montpelier, un grand nombre d’Etrangers s’y estoient rendus, de sorte que tous les chemins à une lieuë des avenuës de cette Ville par où la Reine devoit passer, estoient garnis d’une tres grande quantité de peuple. Par ordre de Mr le Comte de Broglio, ses armes furent ostées de la porte de la Ville, dite du Peyrou, & de son Hôtel. Un détachement de la Citadelle fut commandé pour la Garde de la Reine, & posté dans la cour du Palais, où elle devoit loger dans les Appartemens tenus par Mr le Premier President, & on mit des Sentinelles aux portes de l’entrée du Palais, afin d’empêcher la foule du peuple. Le 26. sur les cinq heures du soir, Sa Majesté arriva à Montpelier, & fut saluée par trois décharges du canon de la Citadelle.

L’entrée de Sa Majesté fut precedée d’un grand nombre de litieres, caléches, chariots, chevaux de bast, & autres trains & équipages. Elle estoit dans le fond d’une litiere, garnie en dedans & en dehors d’un velours rouge, & ornée de plusieurs rangs de cloux dorez, avec des galons & crespines d’or. Sur le devant de cette litiere estoit Madame la Princesse des Ursins, & la litiere estoit precedée de quatre Gardes du Corps de Sa Majesté à cheval, en juste au-corps rouge avec des galons d’argent, commandez par un Officier qui marchoit à leur teste. Quatre autres Gardes vestus de même venoient aprés la litiere, les Pages & Valets de Pied de la Reine marchoient sur les deux costez de la litiere, Sa Majesté descendit dans la Cour du Palais, où elle fut receüe par Mr le Comte de Broglio, accompagné de Mr Bon, Premier President & d’un grand nombre de Gentilshommes de la Province, & conduite dans les apartemens qu’on lui avoit preparez tres-exactement & tres-richement meublez.

À mesure que la Cour de la Reine, & les équipages arrivoient, Mrs les Consuls distribuerent les billets pour leur logement. La pluspart de ces logemens avoient esté marquez à la craye, par Mr Vila Capitaine de Bourgeoisie, que Mr le Comte de Broglio avoit commis pour faire la fonction de Fourier durant le voyage de la Reine dans la Province, à la reserve des logemens pour Madame la Princesse des Ursins, pour Madame de Noyers Gouvernante de la Reine, & pour Mr le Marquis de Castel Rodrigo, Ambassadeur d’Espagne, qui logerent dans les appartemens qu’on leur avoit destinez chez Mr le Premier President.

Le lendemain sur les dix heures du matin, Mrs les Consuls en habit noir, & sans aucune marque de Consulat, ainsi qu’ils avoient paru le jour precedent, se rendirent chez Mr le Comte de Broglio où estoient les presens que la Ville, par les soins que Madame la Comtesse de Broglio s’estoit bien voulu donner dans le peu de temps qu’on avoit eu, avoit destinez pour la Reine, pour Madame la Princesse des Ursins, pour Madame de Noyers & pour Mr le Marquis de Castel-Rodrigo. Ces presens furent portez par les Valets de Ville dans des Corbeilles ou caisses couvertes au Palais dans la salle basse de Mr le Premier President.

Sur les onze heures, la Reine alla entendre la Messe dans la Chapelle du Palais. Mr le Marquis de Castel Rodrigo donnoit la main à Sa Majesté, & Madame la Princesse des Ursins portoit le bout de la queuë de sa robe. Pendant ce temps, Mr le Comte de Broglio donna ordre aux Consuls de faire apporter les presens destinez pour cette Princesse dans l’antichambre de Sa Majesté, ce qui ayant esté fait, ils furent mis sur cinq Placets posez sur le tapis de pied de cette antichambre, à une certaine distance du bord du tapis, afin qu’ils fussent veus par la Reine quand elle marcheroit sur le tapis.

Ces presens consistoient en une grande corbeille d’osier proprement faite, doublée de taffetas, contenant deux Sultans d’un tissu d’or, doublé d’un taffetas Ponceau, bordez d’un petit galon d’argent avec des boutons d’or aux coins, remplis de poudres d’herbe odoriferantes du païs : En une autre corbeille remplie de douze douzaines de sachets, grands & petits d’un tres-beau travail, partie à tissu d’or & argent, ou en broderie, or & argent, garnis de chifres & de devises, & d’une douzaine de paires de poches de taffetas, fourrées avec des poudres de senteurs ; & en une troisiéme corbeille remplie de douze cuissins de taffetas de differentes couleurs brodez d’or, remplis aussi de poudres d’herbes de bonne odeur, avec deux caisses de bois de noyer, aussi proprement faites ; contenant chacune quatre douzaines de bouteilles d’Eau de la Reine d’Hongrie, de thin & de marjolaine, coëffées de taffetas, liées avec des rubans de faveur de diverses couleurs qu’on avoit placées aux deux extremitez.

Les presens ayant esté disposez de cette sorte, les Consuls & le Greffier se rangerent sur l’entrée de la porte de l’antichambre du costé tournant vers les presens, qui furent découverts, & la Reine étant revenuë de la Messe, Mr le Comte de Broglio dit à Sa Majesté que c’estoient les presens de la Ville que les Consuls avoient l’honneur d’offrir à Sa Majesté. Elle s’en approcha aussi-tost, suivie de Madame la Princesse des Ursins, de Madame de Noyers, de Madame la Comtesse de Broglio & de Mr l’Ambassadeur, & les trouva tres-beaux & tres-riches. Sa Majesté témoigna à Madame la Comtesse de Broglio, qu’ils étoient bien entendus & d’une tres-grande propreté, & s’estant avancée vers les Consuls, elle leur fit l’honneur de leur dire que ces presens luy estoient tres-agreables, qu’elle les recevoit avec plaisir, & qu’elle en conserveroit le souvenir. Les Consuls s’étant retirez, allerent disposer ceux qui estoient destinez à Mr l’Ambassadeur, & les accompagnerent dans l’anti-chambre de son appartement.

Ces presens consistoient en une douzaine & demie de flambeaux de cire blanche, en vingt-quatre livres de bougies des quatre à la livre, en pareil nombre de pacquets, & en une caisse de six douzaines de bouteilles d’Eau de la Reine d’Hongrie, de thin & marjolaine. Son Excellence les receut avec de grandes marques d’estime & de reconnoissance, & dit qu’elle s’employeroit toûjours avec plaisir, tant en Espagne qu’en France, pour rendre service à cette Ville, & aux Habitans en particulier.

Ensuite les mesmes Consuls disposerent les presens destinez pour Madame la Princesse des Ursins. Ils consistoient en deux caisses, une grande contenant deux grands Sultans de tissu d’argent doublez d’un taffetas d’Angleterre cramoisy, bordé d’un galon d’or, avec leurs quarrez & autres agrémens, de sacs de taffetas & sachets en broderie, or & argent sans nombre, aussi garnis de poudres d’herbes de senteur, & en une caisse de quatre douzaines de bouteilles d’Eau de la Reine de Hongrie, sirop de capilaire & marjolaine. Les Consuls furent introduits avec les presens par un Gentilhomme de cette Princesse dans son antichambre, où la Princesse s’estant renduë, elle les reçut d’une maniere fort gracieuse, en leur disant qu’ils étoient tres beaux. Ceux qu’ils avoient disposez pour Madame la Comtesse des Noyers, consistoient en deux caisses pareilles à celles de Madame la Princesse des Ursins, à la reserve que les Sultans estoient d’un taffetas blanc d’Angleterre, bordé d’un galon d’or. Elle en remercia les Consuls, en leur disant qu’elle se souviendroit toûjours des manieres obligeantes de Mrs de Montpellier.

[Autres Relations curieuses sur le mesme sujet] §

Mercure galant, décembre 1701 [tome 14], p. 92-151.

Le lendemain 28. Octobre sur les sept à huit heures du matin, Sa Majesté aprés avoir entendu la Messe dans la Chapelle du Palais, partit de cette Ville pour aller coucher à Pesenas, & fut saluée par trois décharges du Canon de la Citadelle. Mr le Comte de Broglio estoit party avant Sa Majesté pour donner ses ordres & disposer toutes choses à l’Oupian & à Pesenas pour la reception de cette Princesse, & de toute sa Cour qu’il, accompagna dans toute l’étenduë de la Province, & par tout les choses furent si bien disposées, que Sa Majesté se separa de luy tres satisfaite de ses soins. Pendant tout le voyage de la Reine dans cette Province, il a tenu par tout plusieurs tables tres-abondantes, magnifiquement & proprement servies, pour Sa Majesté & toute sa Cour, & particulierement à Montpelier le jour de son arrivée. Le jour du séjour il donna un grand dîner à Mr de Castel Rodrigo, Ambassadeur.

Mr de Basville, Conseiller d’Etat Ordinaire, & Intendant de cette Province, n’avoit pû se trouver à l’entrée du Languedoc lorsque cette Princesse y estoit arrivée, parce qu’il tenoit les Etats de la Province à Carcassonne. Si-tost qu’ils furent finis, il se rendit à Bésiers, où il reçut cette Princesse. Il eut l’honneur de luy donner à dîner, & à toute sa Cour dans l’Evêché. Aprés que la Reine fut sortie de table, on en vit paroistre sept, qui furent sept tables servies dans des chambres differentes. La premiere estoit de seize couverts pour Mr le Marquis de Castel Rodriguo Ambassadeur, & pour les autres Seigneurs, & les autres tables estoient remplies ou par les femmes, chacune suivant leur condition, ou par les autres Officiers de cette Cour. Mr de Basville servit la Reine. On remarqua qu’elle luy dit plusieurs fois qu’elle estoit tres-satisfaite de ce repas. Cette jeune Reine accompagne tout ce qu’elle dit d’un air gracieux ; mais plein de dignité, qui luy attire les cœurs de tout le monde. Aprés avoir remercié Mr de Basville, elle se retira dans sa chambre pour donner le temps de dîner à toute sa suite. On fut surpris de voir que Mr de Basville repeta le soir à Narbonne ce qu’il avoit fait le matin à Bésiers, & qu’il donna dans l’Archevesché un souper à la Reine & à toute sa Cour pareil au dîné, dont Sa Majesté parut également satisfaite. Mr de Basville poussa ses soins jusqu’à donner aux Pourvoyeurs toutes sortes de provisions en grande quantité pour le reste de la route jusqu’à Perpignan, Mr le Comte de Broglio & luy prirent congé de la Reine à Ville Falces. On ne peut rien ajoûter à toutes les choses obligeantes qu’elle eut la bonté de leur dire & de leur faire encore repeter par Madame la Princesse des Ursins. Toute cette Cour ne fut pas moins contente jusqu’aux moindres Officiers, & aucun n’eut besoin de secours en Languedoc, de quelque maniere que ce fust, qu’il ne le reçust dans le moment.

Le lendemain du jour que la Reine fut partie de Montpellier les Armoiries de Mr le Comte de Broglio furent remises sur la Porte de la Ville & sur celles de son hôtel.

La Ville de Pezenas ayant sçû que la Reine d’Espagne y devoit venir, par une Lettre que Mr le Comte de Broglio envoya à Mr de la Vallette, Intendant de son Altesse Serenissime Monsieur le Prince de Conty, Maire perpetuel & Lieutenant de Police, par laquelle il luy marquoit que sa Maison avoit esté choisie comme la plus commode & la plus propre pour loger Sa Majesté Catholique : Madame de la Vallette qui la reçut en l’absence de Mr de la Vallette son époux, qui estoit encore aux Estats à Carcassonne, la communiqua aux Consuls, qui receurent le lendemain des ordres pour marquer tous les logemens, & pour preparer une reception digne d’une si grande Princesse.

Mr de Billas, premier Consul, ordonna à un grand nombre d’Habitans de prendre les armes, & il le fit avec toute la conduite & toute la diligence possible, faisant voir par là qu’il avoit acquis par ses longs services une grande experience dans les Commandemens qu’il avoit eus en qualité de Capitaine dans les Armées de S.M. En deux jours on vit par ses soins une milice composée de plus de mille hommes de tous les Arts & Métiers choisis, avec des chapeaux bordez de galons d’or, proprement vêtus, distinguez par des drapeaux & par des rubans de differentes couleurs. Le troisiéme jour qui fut le 28. Octobre sur les quatre heures du soir, Mr le Maire qui estoit de retour des Etats, précedé de la milice, escudiers & halebardiers, suivy de Mrs les Consuls, & de tout le Corps de Ville alla attendre la Reine devant le Convent des Peres de l’Observance hors la Ville. La plus grande partie des Habitans & le plus grand nombre d’étrangers qui estoient arrivez de toutes parts de tout sexe & de tout âge, bordoient le chemin. La milice faisoit une double haye jusqu’au Pont de Montagnac, où l’on avoit envoyé une grande quantité de flambeaux de poing pour y attendre la Reine qui arriva de nuit, ce qui fit éclater davantage l’illumination qu’on avoit preparée aux fenêtres de ce Bourg, & de toute la Ville. Quand elle fut à l’endroit où on l’attendoit ; Mr de la Vallette & les Consuls eurent l’honneur de la salüer. Mr Fabre de Cœuvet, Syndic de la Ville, porta la parole en ces termes,

MADAME,

La Ville de Pezenas que vôtre Majesté honore de sa presence en passant, vient rendre les hommages qu’elle doit à son auguste Personne, & à son royal caractere, en luy offrant les vœux de tous les Habitans pour sa glorieuse prosperité.

Nous avons appris de l’Oracle sacré qu’une Reine de Saba quitta son païs pour aller considerer la magnificence & la gloire d’un Prince qui avoit acquis le don de Sagesse ; mais vôtre Majesté environnée de toutes les graces dont l’ame est encore plus grande que la naissance, a bien voulu adoucir l’éclat de toutes les vertus qu’elle possede en un souverain degré pour nous faire voir en ce moment (le plus heureux de nos jours) une puissante Reine qui part pour aller admirer, & pour estre elle-mesme le sujet de l’admiration d’un jeune Monarque, dont la sagesse a devancé les années, qui regne par luy-mesme, & qui est capable de fournir à tout. De sorte, Madame, que ce ne sera pas seulement une alliance de sang, mais une alliance de toutes les rares perfections dont le Ciel a favorisé vos Majestez. Comme il a voulu que cet auguste Sang ait touché aux plus fameuses Couronnes de l’Univers, il vous donnera pour comble de benedictions une nombreuse posterité. C’est ce que nous luy demanderons par tous nos vœux, animez de la même ardeur qui nous fait estre avec un tres profond respect de vôtre Majesté, Madame, les tres humbles, &c.

La Reine ayant témoigné la satisfaction qu’elle avoit reçuë de ce discours, aussi-tost on entendit une grande décharge de boëtes, & le Poulin, qui est une grande machine qu’on fait sortir dans toutes les actions de joye, habillé de bleu fleurdelisé d’or, dança, & par ses sauts & les diverses courses qu’il fit pour faire écarter la foule, faisant semblant de mordre tous ceux qu’il rencontroit, donna du divertissement à la Reine, qui fut conduite au son des violons & des trompettes le long de la grande ruë de la porte de la Greve, de la Halle & du Quay, dans le logis que l’on luy avoit preparé. On avoit mis un grand Corps de Garde à la porte pour en empescher la foule. Madame de la Vallette eut l’honneur d’estre presentée à la Reine par Madame la Princesse des Ursins. Sa Majesté luy ayant donné sa main à baiser, luy dit d’une maniere tres obligeante ; On est bien heureux, Madame, quand on voyage, de trouver une maison aussi propre que celle cy pour se reposer, & je vous suis obligée. Cette maison est composée de trois beaux appartemens. Dans celuy de la Reine, il y avoit un ameublement de damas bleu, le lit & la tapisserie relevez d’or & d’argent, les chaises toutes dorées. Dans celuy de Made la Princesse des Ursins, l’ameublement estoit de damas vert avec des nates d’or par tout. celui de Mr l’Ambassadeur étoit de mesme, tous trois magnifiques, & éclairez par un grand nombre de lustres. Les fenêtres de l’appartement de la Reine donnoient sur un parterre où l’on descend par une terrasse. Les orangers, citronniers & le jet d’eau produisoient un tres-agreable effet. Madame la Princesse des Ursins demanda à qui estoit cette Ville, on luy dit qu’elle étoit à Monsieur le Prince de Conty. Elle pria Mr de la Vallette de l’assurer de ses respects, & qu’elle ne manqueroit pas de luy écrire que la Reine avoit esté tres-satisfaite de la maniere qu’on l’avoit receuë dans ses terres.

La Reine qui se trouvoit un peu fatiguée, aprés qu’on luy eut porté les presens que la Ville a acoustumé de faire, qui consistoient en des corbeilles tres-propres pleines de confitures & de bougies, fit remercier Mr le Doyen du Chapitre qui y estoit allé en Corps pour la haranguer, aussi bien que le Pere Superieur du College Royal, & les autres Communautez Religieuses, & soupa à son petit couvert, ce qui n’avoit pas empesché qu’il n’y eût eu trois tables servies avec autant de propreté que de delicatesse & de magnificence. Le lendemain la Reine entendit la Messe aux Penitents noirs, où elle trouva un Prié Dieu qu’on luy avoit preparé avec un grand tapis sous un dais où la Musique se surpassa. Mr le Comte de Broglio l’accompagna par tout, & tint table ouverte. Cette Princesse partit ensuite.

Le 30. d’Octobre, Mr de Quinçon, Lieutenant General, & Commandant dans la Province de Roussillon, & Mr d’Albaret Intendant, se rendirent fort matin à Salces, pour aller au devant de la Reine d’Espagne, & cette Princesse y arriva un peu tard, à cause d’une petite pluye qui tomboit. À son arrivée, le canon de la place fit trois décharges à boulet, & le lendemain au matin, il fit encore les mesmes décharges. Mr de Moeuse, Lieutenant pour le Roy, avoit fait toutes les dépenses necessaires pour avoir l’honneur de la recevoir dans le Chasteau, mais il fut trouvé plus à propos de la faire loger dans la Maison de Mr Ovilier, Receveur des Fermes unies de Sa Majesté en titre d’Office, comme dans un endroit plus commode, où Mr l’Intendant d’Albaret eut l’avantage de luy donner à souper avec beaucoup de magnificence, ce qu’il fit aussi à toutes les personnes de sa suite ayant fait marcher un grand nombre de chariots & de mulets, chargez de quantité de provisions, en sorte que tout abondoit. Madame la Princesse des Ursins & Madame de Noyers souperent avec la Reine, qui trouva beaucoup de delicatesse dans ce repas, & fit de grandes honnêtetez à Mr d’Albaret. Mr de Moeuze, Lieutenant pour le Roy, avoit eu l’honneur de la haranguer quand elle estoit arrivée ; aussi bien que le Bailly & les Consuls de la Ville, qui avoient pourvû avec autant de soin que de diligence à tout ce qui estoit necessaire pour les équipages, en sorte que tout le monde fut tres satisfait. Mr de Quinson envoya un gros détachement de Troupes, qui furent de garde toute la nuit. Mr de Laborie, avec sa Compagnie franche en garnison dans le Chasteau de Salces, fut le Commandant de cette Garde. Sa Majesté partit le lendemain à huit heures du matin, avec toute la Garde de la Province que Mr de Quinson avoit fait venir à Salces, comme la premiere place du Roussillon pour estre à sa suite.

Quoy que le vents, & la mer fussent devenus contraires à la navigation de la Reine d’Espagne, dés le premier jour qu’elle fut embarquée à Nice, on espera neanmoins qu’elle ne seroit pas aussi long-temps retenuë à Antibes, qu’elle l’a esté, parce que comme il ne falloit que trois jours de beau temps pour venir de ces costes là, à celles de Roussillon, on ne douta point que dans la saison où l’on estoit alors, la mer & les vents ne se calmassent bien-tost pour donner le moyen à cette Princesse de continuer sa route, & dans cette confiance Mr le Comte de Quinson donna ses ordres, afin qu’on fist des signaux sur toutes les Costes aussi tost qu’on découvriroit à la mer le corps des Galeres qui escortoient la Reine. Mr de Villedombe, Lieutenant de Roy & Commandant à Colliouvre, avoit de même donné les siens, en execution de ceux qu’il avoit reçus de Mr de Quinson, afin que le Fort Saint Elme qui domine loin à la mer au dessus de Colliouvre, répondist à ces signaux par trois coups de Canon par lesquels le Pays devoit estre averti d’apporter incessamment toutes sortes de vivres à Colliouvre, & au Port de Vendres, qui en est tout proche. Ces signaux devoient se communiquer à d’autres que le Roy d’Espagne avoit ordonné qui seroient faits le long de la Coste de Catalogne, jusqu’à Barcelone, afin que Sa Majesté Catholique fust avertie promptement par ce moyen, de l’arrivée de la Reine au Port de Vendres. Mr le Comte d’Albaret, Premier President du Conseil Superieur de Roussillon, & Intendant de la Province, alla avec toute sa maison à Colliouvre, où il fit préparer tous les rafraîchissemens & autres choses dont la Reine & sa suite pouvoient avoir besoin, & pendant prés d’un mois que cet Intendant a sejourné en ce lieu là, il y a fait une dépense extraordinaire, aussi bien que Mr de Villedombe, ayant tenu l’un & l’autre de grosses tables soir & matin, pour toutes les personnes les plus qualifiées de la Province, de l’un & de l’autre Sexe, qui s’y estoient renduës pour avoir l’honneur de voir la Reine. Le vent contraire ayant continué, on apprit brusquement par un Courrier de la Cour dépêché au Roy d’Espagne à Barcelone, que la Reine devoit débarquer à Marseille, & continuer sa route par terre. En effet, Mrs les Comtes de Quinson & d’Albaret reçurent des ordres de la Cour, qui confirmerent cette nouvelle, ceux qui furent adressez au premier, portoient que quoy que cette Princesse marchast incognito, il s’adressast à Mr le Marquis de Castel Rodrigo, Ambassadeur Extraordinaire du Roy d’Espagne, prés de cette Princesse, pour sçavoir de luy si elle desiroit qu’on luy rendist des honneurs, & en ce cas là, de luy rendre tous ceux qui estoient dûs à son rang & à sa qualité de Petite-Fille du Roy, & que comme le Roy d’Espagne pourroit venir de Gironne, jusqu’à Perpignan, le Roy luy ayant mandé qu’il en estoit le maistre, l’intention de Sa Majesté estoit, en cas qu’il prist ce parti, qu’on luy rendist dans cette Province, les mêmes honneurs qu’à sa propre Personne, & à Mr d’Albaret, de faire payer sur le compte du Roy, les voitures necessaires que Sa Majesté avoit ordonné à Mr de Quinson de faire fournir à la Reine, & à toute sa suite en Roussillon, ne voulant point qu’il en coutast rien pour cela à cette Princesse dans ses Etats.

Sur ces ordres de la Cour, tout le monde se flatoit à Colioure, d’avoir l’honneur d’y voir le Roy d’Espagne, & dans le desir ardent que chacun y avoit de faire paroistre l’empressement & le zele respectueux qu’il a pour la personne du Roy & de toute la Maison Royale, il n’y avoit personne qui ne cherchast en luy-même à inventer quelque chose de particulier, pour l’entrée & la reception de Sa Majesté Catholique dans cette Ville, lors qu’on apprit qu’elle n’en approcheroit pas plus prés que de Figuieres, qui en est à sept lieuës, & de la domination de ce Prince. On sçut aussi en même temps par le retour du Courrier, que Mr le Comte de Quinson avoit envoyé à Mr le Marquis de Castel-Rodrigo, que la Reine vouloit observer un incognito fort exact, ce qui luy fut aussi confirmé par des lettres de Mr le Comte de Grignan, Commandant en Provence ; & au lieu que suivant la premiere route de cette Princesse, elle ne devoit arriver à Perpignan que le 4. de Novembre, on apprit le 29. d’Octobre, qu’elle y devoit arriver le 31. de ce même mois, ce qui obligea Mrs les Comtes de Quinson & d’Albaret, d’aller le 30. à Salces, où la Reine devoit coucher ce même jour. Le second y envoya toute sa Maison, & eut l’honneur d’y donner à souper à la Reine, & à toute sa suite, comme je vous l’ay déja marqué, le premier n’ayant pû le faire, par ce que la Reine devant dîner & loger chez luy le lendemain a Perpignan, il fut obligé d’y laisser ses Officiers pour préparer toutes choses, & alla au delà de Salces à l’entrée de la Province recevoir cette Princesse, à laquelle il fit son compliment, & luy témoigna le déplaisir qu’avoit Mr le Maréchal de Noailles, Gouverneur de la Province, de n’estre pas a son Gouvernement pour en faire les honneurs à Sa Majesté, & qu’en son absence, il feroit de son mieux afin qu’elle fut contente. Il estoit accompagné de la Noblesse du Pays, & de la Compagnie des Gardes de Mr le Maréchal Duc de Noailles, tous bien montez, & fort proprement vêtus.

Quoy que Salces soit un lieu mal basty & fort serré de logement, neanmoins par les soins & la bonne chere de Mr l’Intendant, tout le monde y fut à son aise dans le Bourg.

Le 31, la Reine en partit à huit heures du matin, & fut salüée de trois salves generales du canon du Chasteau, comme elle l’avoit esté à son arrivée : Elle arriva à Perpignan vers les onze heures, & fut receuë à la premiere barriere de la porte Nostre-Dame, par Mr de Malartic, Lieutenant de Roy, Commandant dans cette Ville, & par les autres Officiers, qui marcherent à la teste & à costé de la litiere de la Reine, jusqu’à ce qu’elle fust descenduë chez Mr de Quinson, où elle logea : Elle trouva à la porte de son logis, sous les armes la Compagnie Colonelle du Regiment Suisse de Villars, composée de deux cens hommes, commandez par Mr May, Colonel en second, avec le drapeau Colonel. À peine la Reine fut-elle arrivée chez elle, que Mr de Malartic, Lieutenant de Roy, fit faire trois salves de tout le canon de la Ville, à chacune desquelles celuy de la Citadelle répondit. À onze heures & demie, la Reine accompagnée de Madame la Princesse des Ursins, & de Madame de Noyers, alla entendre la Messe à l’Eglise Cathedrale de S. Jean, où elle fut suivie de toutes les personnes de caractere & de distinction de sa Cour, de la Province & de la Ville ; elle trouva en arrivant à cette Eglise, le Chapitre en Corps, au nombre de prés de cent Prestres, qui la reçut à la porte. Le Doyen luy presenta l’eau benite, & l’ayant menée au Prié Dieu, qui avoit esté mis devant l’Autel où l’on celebra la Messe, tous les Chanoines & autres Beneficiers de cette Eglise, attendirent qu’elle fust dite pour accompagner la Reine à sa sortie. Cette Eglise estoit si remplie de monde, que le bruit de la multitude empêcha qu’on n’entendit les voix de la Musique, qui chanta des Motets pendant la Messe. Le nombre infiny de personnes qui estoient aux fenêtres, & dans les ruës par où cette Princesse passa pour aller de chez elle, à l’Eglise & en revenir, ne fut pas moindre, puisqu’on estoit obligé d’user en quelque maniere de violence pour faire passage.

La Reine estant de retour chez elle, disna en public, & voulut bien que Mr de Quinson eut l’honneur de luy presenter la serviette en entrant & en sortant de table. Madame la Princesse des Ursins & Madame de Noyers mangerent avec elle. Pendant le disner, la Reine fit l’honneur à Mrs de Quinson & de Malartic de leur parler tres-souvent. Le reste de la journée, cette Princesse ne parut plus en public. Le lendemain Fête de tous les Saints, elle fit ses devotions, & communia dans son appartement pour éviter le tumulte du Peuple, qu’elle auroit trouvé dans les Eglises. Ce jour là, Sa Majesté disna encore en public. Plusieurs Dames de la premiere qualité de la Ville, tres parées, quoy qu’en habit de deüil, eurent l’honneur de la voir disner, & de luy baiser la main avant qu’elle rentrast dans sa Chambre. Madame la Princesse des Ursins ayant demandé laquelle des Maisons des Filles Religieuses seroit le plus commode, afin que la Reine y pust aller entendre Vespres ; il fut convenu qu’elle iroit au Convent de Saint Salvador. Ce sont des Chanoinesses de l’Ordre de S. Augustin. Mr de Malartic y envoya sur le champ une garde de cinquante fuzilliers, commandée par un Capitaine pour garder les portes, & empescher la foule du Peuple.

À trois heures, Sa Majesté partit de chez elle pour aller entendre Vespres, accompagnée de toutes les personnes de distinction de sa Cour & de la Province. Depuis la Maison où elle logeoit jusqu’à ce dit Convent, les fenêtres & les ruës par où elle passa estoient remplies de monde comme la veille. En sortant de sa chaize, elle trouva l’Abbesse de ce Monastere qui la reçut à la teste de sa Communauté, & l’accompagna au Chœur, suivie des principales Dames de la Ville qui s’y estoient renduës de bonne heure pour avoir l’honneur de faire leur Cour à cette Princesse : Aprés que les Vespres chantées par les Religieuses furent finies, l’Abbesse luy presenta une colation magnifique, Sa Majesté admira la maniere de l’habit des Religieuses qui est à l’Espagnole, & s’estant ensuite retirée chez elle, ne parut plus en public du reste du jour.

À midy, le Marquis de Quintana, Grand d’Espagne & premier Escuyer de la Reine, luy fut presenté par le Marquis de Castel Rodrigo. Il vint pour luy rendre compte, que ses Dames d’Honneur & toute sa Maison avoient couché à Figuieres, & se rendroient le soir auprés de Sa Majesté. Ces Dames Espagnoles pretendoient être logées dans la mesme Maison de la Reine qui n’estoit pas assez grande pour les contenir toutes avec celles qui y estoient déja, ce qui obligea Mr de Quinson de faire percer la maison d’un Gentilhomme joignant la sienne pour les loger, ayant pratiqué une communication pour venir de plein pied de cette maison qui est grande & bien meublée dans l’appartement de la Reine, sans estre vûës, mais Sa Majesté ayant consideré que ces Dames ne pourroient arriver dans Perpignan que la nuit, elle ordonna au Marquis de Quintana de retourner sur ses pas pour faire demeurer toute sa Maison au Boulou, jusqu’au lendemain qu’elle devoit y aller dîner.

Le 2 Novembre, Fête des Morts, la Reine ayant ouy la Messe dans son appartement, monta en litiere à dix heures, ne l’ayant pû plutost à cause de quelque incommodité qu’elle avoit euë la nuit precedente. La Princesse des Ursins estoit dans la litiere, ainsi qu’elle avoit esté depuis le commencement de sa route ; mais Madame de Noyers demeura à Perpignan chez Mr de Quinson. Les autres femmes qu’elle avoit amenées de Piedmont la suivirent, de mesme que tous les Officiers que Monsieur le Duc de Savoye luy avoit donnez pour sa conduite, & les deux Ambassadeurs de Savoye qui estoient venus le jour precedent de Gironne où ils avoient laissé le Roy d’Espagne, suivirent aussi la Reine qui sortit de la Ville de Perpignan par la porte de Saint Martin, où Mr de Malartic l’attendoit avec les autres Officiers Majors de la place, pour luy faire la reverence, & aussi-tost que toutes les litieres & chaizes roulantes de sa suite eurent passé le dernier Pont de la Ville, Mr de Malartic fit faire trois salves generales du canon de la Ville, suivies d’un pareil nombre de la Citadelle.

Pendant le sejour que la Reine a fait dans Perpignan, Mrs de Quinson, d’Albaret & de Malartic ont tenu de grosses tables, soir & matin. Le premier chez lequel cette Princesse a logé, en a tenu dans sa Maison & dans celle d’un de ses voisins, où il s’étoit retiré, jusqu’au nombre de sept, outre la sienne qui estoit de vingt couverts, tant pour la suite de la Reine, que pour les étrangers, que la curiosité y avoit attirez. Le second a logé chez luy, Mr le Marquis de Castel Rodrigo, & les principaux Officiers de Monsieur le Duc de Savoye, qui composoient la Maison de la Reine. Ils souperent tous la veille du départ chez Mr de Malartic. La Reine & toute sa suite témoignerent beaucoup de satisfaction de l’empressement que tout le monde avoit d’aller au devant de ce qu’ils pouvoient desirer.

L’incognito exact que cette Princesse voulut observer, fut cause que le Corps de cette Ville, qui est un des plus illustres du Royaume, estant en partie composé des Principaux Gentilshommes de la Province, de Bourgeois qui font souche de noblesse, reçuës à l’Ordre de Malthe sans difficulté, de Marchands honoraires, & d’autres personnes choisies dans les autres, fut tres-mortifié de ne pouvoir donner à la Reine à son Entrée, & pendant son sejour des marques de son respect, par des illuminations, feux de joye & danses publiques, n’ayant pû mesme obtenir la permission de la salüer en Corps. Il fit offrir à Sa Majesté douze douzaines de bagues d’or émaillées, portant une Croix de Saint Jean-Baptiste, au lieu de Pierre, lesquelles avoient touché à la Relique du bras gauche de ce Saint qui est chez les Peres Dominiquains de la mesme Ville. On a une grande veneration pour cette Relique, aussi bien que pour les bagues de cette espece qui l’ont touché. Tous les Habitans de cette Ville s’étoient disposez à loger dans leurs maisons les personnes de la suite de la Reine, que Mr de Malartic & Mrs les Consuls les avoient priez de recevoir dans cette occasion, car ils ne logent jamais que de cette maniere, & non par billet, à moins que ce ne soit les Fouriers de la Maison du Roy qui marquent les logemens.

La Reine d’Espagne estant arrivée au Boulou, le 2. Novembre à deux heures aprés midy, y fut receue par Mrs de Quinson & d’Albaret, & par toute sa maison Espagnole, les Dames y estoient au nombre de cinquante, & parmy elles, il y en avoit sept en titre de Dames d’honneur, Majordomes, & Menines. Les autres estoient les femmes de Chambre & de la Garderobe. Les Gardes Espagnoles garderent la Reine, & ceux qu’elle avoit menez de Marseille, commandez par Mr le Chevalier de Pesne, Officier des Galeres de France, furent remerciez. La Reine fit present à cet Officier d’un Portrait du Roy d’Espagne, enrichi de Diamans, & de cent pistoles. Il accepta le premier, & s’excusa de recevoir cette somme, attendu qu’il estoit payé par le Roy son maistre, ce qui fut fort approuvé, Les Officiers de Monsieur de Savoye, qui avoient accompagné la Reine depuis Turin, furent de même remerciez, & s’en retournerent le lendemain de ce lieu à Perpignan, ainsi que toutes les femmes Piémontoises, & logerent chez Mr de Quinson dans les mêmes appartemens, qu’elles avoient occupez. Elles y sejournerent le 4. & en partirent le 5. à deux heures aprés midi pour aller coucher à Salses, & de là continuer leur route à Turin.

Les Officiers Espagnols de la Maison de la Reine, luy servirent à dîner en leur maniere, & comme Mr le Comte d’Albaret s’apperçut que la Reine ne mangeoit point de leurs mets, il fit prier Sa Majesté d’agréer qu’il fist servir le dîner qu’il luy avoit preparé, ne croyant point que les Officiers de Sa Majesté eussent eu cette précaution, ce qui luy fut accordé. Ce repas fut si grand & si magnifique, qu’il y en eut plus qu’il n’en faloit pour servir plusieurs tables, outre celles de la Reine, & des Dames Espagnoles. Le soir il eut encore l’honneur de donner à souper à la Reine, & à toute sa suite, avec la même delicatesse & magnificence.

Le lendemain 3. la Reine partit du Boulou aprés avoir donné sa main à baiser, à toutes les Femmes & Officiers Piémontois de sa Maison qui s’en retournoient à Turin, & se mettant dans sa littiere avec Madame la Princesse des Ursins, elle fit beaucoup d’honnestetez & de remerciemens, à Mrs de Quinson & d’Albaret, de tout ce qu’ils avoient fait pour toute sa suite ; Mr de Quinson avoit fait venir un détachement de Bellegarde pour garder la Reine au Boulou, & en avoit fait poster plusieurs sur les Montagnes, à droit & à gauche, pour faciliter le passage de Sa Majesté, qu’il alla accompagner avec toute la Noblesse, & la Compagnie des Gardes de Mr le Maréchal de Noailles, jusqu’au de là du Pertus, qui est un Passage au pied de la Forteresse de Bellegarde, qui separe les Etats des deux Rois. Mr de Quinson ayant eu l’honneur dans ce lieu là de prendre congé de la Reine, Sa Majesté luy fit encore de grandes honnestetez, & beaucoup de remercimens, aussi bien qu’à Mr d’Albaret, qui eut aussi l’honneur de faire la reverence à cette Princesse. Madame la Princesse des Ursins, les pria de bien faire ses complimens aux Dames & à Mrs de Perpignan, & de les assurer du souvenir que la Reine conserveroit, des demonstrations de joye, & de respect, qu’ils luy avoient données. Aprés quoy Mr de Quinson se retira a Perpignan avec toute sa suite, & la Reine continua sa route vers Figuieres, où le Roy l’attendoit.

À l’aimable et spirituelle Silvie §

Mercure galant, décembre 1701 [tome 14], p. 151-156.

L’Ode que vous allez lire est digne de vostre curiosité. Elle est de Mr de Vertron, dont je vous ay parlé tant de fois. Il en explique le sujet par cette Lettre.

À L’AIMABLE
ET SPIRITUELLE SILVIE.

Vous serez, sans doute, bien aise, Mademoiselle, vous qui gagnez les cœurs, de sçavoir les noms des Dames qui ont gagné les prix sur tant de beaux esprits. Pour entendre mon Ode, il faut vous faire observer que Mrs de l’Academie des Ricovrati de Padouë, ont reçu dans leur docte Compagnie neuf Dames illustres en France, sous les noms des neuf Muses, dont j’ay mis quelques ouvrages, & fait quelques éloges dans la Nouvelle Pandore, & dont le merite vous est connu. Parmi ces Sçavantes, feuë Mademoiselle de Scudery, qui en estoit la Sapho, remporta en 1671. le Prix de l’Eloquence, au jugement de Mrs de l’Academie Françoise. Mademoiselle Deshoulieres, digne fille d’une digne mere, eut celuy de la Poësie ensuite. Mademoiselle Bernard, de Roüen, l’a remporté trois fois non seulement dans la même Academie ; mais encore dans celles des Jeux Floraux de Toulouse. C’est dans la premiere que la charmante Madame Durand, que vous avez connuë dans l’Isle, vient d’être couronnée, pour avoir fortement & agreablement fait voir dans ses vers, que le Roy n’est pas moins distingué par les vertus qui font l’Honneste homme, que par celles qui font les grands Rois. Comme l’Academie de la Ville Palladienne propose pour Prix des fleurs d’or & d’argent, aux Muses victorieuses, Mademoiselle de Mallenfant a eu deux années consecutives le Souci & l’Amarante ; Madame de Cadreils Encausse y avoit reçû pour sa belle Elegie, les precieuses marques de la victoire. Mademoiselle Lheritier, surnommée la nouvelle Telessille, a gagné trois fois la Medaille de Mrs de l’Academie des Lanternistes de Toulouse, qui luy ont donné une place parmi eux. Mademoiselle Cheron, qui en a merité une entre les Muses Françoises & les Italiennes dans l’Academie de Padouë, par ses Poësies sacrées & prophanes, en a aussi merité une autre par ses Portraits dans l’Academie Royale de Peinture de Paris. Enfin sous le nom des Corinnes, on doit entendre les autres Femmes & Filles Illustres du Siecle de Louis le Grand, dont j’ay parlé dans mon Recuëil, où j’ay la moindre part assurément, & dans lequel je vous demande pardon, Mademoiselle, de n’avoir pas mis vostre nom, mais il est mis dans mon cœur, & y occupe la premiere place. Je suis, vostre, &c.

Ode à la gloire des Femmes illustres du siecle de Louis le Grand, qui ont remporté des Prix de Prose ou de Vers, adressée à Messieurs de l’Academie des Ricovrati de Padouë §

Mercure galant, décembre 1701 [tome 14], p. 157-165.

ODE
À la gloire des Femmes illustres du siecle de Louis le Grand, qui ont remporté des Prix de Prose ou de Vers, adressée à Messieurs de l’Academie des Ricovrati de Padouë.

Quels sons harmonieux s’élevent jusqu’aux nuës ?
 D’où viennent ces nouveaux concerts,
Dont j’entens retentir les airs ?
Les neuf Sœurs en ces lieux seroient-elles venuës ?
Ouy, sans doute, le Louvre est leur sacré Vallon ;
 Louis, comme un autre Apollon,
Le front ceint de Lauriers, est l’objet de leur zele
Et cette docte Troupe, au gré de ses souhaits,
Rend un juste tribut à la gloire immortelle
 Du plus grand Roy qui fut jamais.
***
Je m’abuse ! la France en guerriers si fertile,
 Porte des Muses à son tour ;
 Elle en fait naître chaque jour,
Et Pallas & Minerve y trouvent même azile ;
J’y vois de toutes parts, pour chanter son Heros,
Des Corinnes & des Saphos.
De sa vertu parfaite elles sont les oracles ;
Jusqu’à ces derniers temps, prodiges inoüis !
Mais quel siecle aprés tout doit faire des miracles,
 Si ce n’est celuy de Louis ?
***
Rome, ne vante plus le beau siecle d’Auguste ;
 La France l’emporte sur toy,
 Et son Empereur & son Roy
Sont les dignes objets de l’encens le plus juste ;
Mais nostre zele enfin va plus loin que le tien,
 Tu le vois, nous n’oublions rien,
Pour fournir de Louis les diverses carrieres :
Ne nous oppose pas tes Flaccus, tes Marons,
Tu verras sur les rangs entrer nos Deshoulieres
Nos Saintonges, & nos Cherons.
***
Si le vainqueur d’Hector eut jadis un Homere,
 Pour sauver son nom du tombeau ;
 France, ton Achille nouveau
Trouve assez dans ton sein dequoy se satisfaire :
La plus belle moitié de son Empire heureux,
 Ardente à répondre à ses vœux,
Prend soin d’éterniser les palmes, qu’il moissone ;
Au deffaut de son bras, elle prête sa voix ;
Et quand nous le suivons dans les Champs de Bellone,
 Nos Muses chantent ses exploits.
***
Nous leurs cedons sans honte, ou plutost avec gloire ;
 Lorsqu’aprés avoir combatu,
 On rend hommage à la vertu,
La défaite est illustre, & vaut une victoire.
En tombant à leurs pieds, leurs plus fameux rivaux
 Trouvent le prix de leurs travaux ;
La Seine vient de voir sa docte Academie
Couronner de lauriers la charmante Durand ;
Ne ceder qu’aux efforts d’une telle ennemie,
 N’est-ce pas un prix assez grand ?
***
Retraceray-je icy les nombreuses conquestes
 De ce Sexe si triomphant ?
 Bretonvilliers1 & Malenfant
D’une même guirlande ont vû ceindre leurs testes.
Je puis citer encor & d’Encausse & Bernard ;
 Toutes brillent dans ce bel art,
Qui sçait des Immortels imiter le langage ;
Et s’il faut dire enfin, que du stile fleury
Une Fille sur nous emporta l’avantage,
Je n’ay qu’à nommer Scudery.
***
Leur gloire fait la tienne équitable, Padouë,
 Quand tu les reçois dans ton sein,
 Tout couronne un si grand dessein,
Tu ne fais pas un choix, que Paris desavoue ;
Tu les vois aussi-tost sur nos plus beaux esprits
 Remporter un illustre prix,
Pour te combler d’honneur, en faut-il davantage ?
Que d’un succez si doux ton Licée est charmé !
Quel triomphe pour luy ! son auguste suffrage
 Par nos palmes est confirmé.
***
Moissonnez-en sans cesse, aimables ennemies,
 Que tout cede à vostre pouvoir ;
 Poursuivez, & nous faites voir
Vos conquêtes sur nous doublement affermies,
 Nostre bonheur dépend de ne résister pas,
Lors qu’un vainqueur a tant d’apas,
On ne sçauroit luy faire un assez prompt hommage,
Hé ! pouvons-nous chercher un sort plus glorieux ?
À peine sçavons-nous qui brille davantage
 De vos esprits ou de vos yeux ?
***
Ouy, l’on doit vous aimer autant qu’on vous admire ;
 Et nostre encens & nos soupirs
 Sont prests au gré de vos desirs,
Les Dieux ont à la fois soûmis à vostre empire,
Et l’Isle de Cithere & le sacré Vallon :
 L’amour aussi bien qu’Apollon,
Se fais un doux plaisir de marcher sur vos traces.
Ah ! pour nous enchanter trop de charmes sont joints,
Vous rassemblez en vous les Muses & les Graces,
 On peut bien soupirer à moins.
***
Pour moy, qui dés long temps sensible à tant des charmes,
 Ay signalé jusqu’en ce jour,
  Et mon respect & mon amour,
Que j’ay trouvé de gloire à vous rendre les armes !
Pardonnez cependant, si d’une foible voix
 J’osay celebrer quelquefois
Des beautez, des tresors qui m’imposoient silence ;
D’un ton digne de vous ay-je pû vous chanter ?
Les soûpirs de mon cœur auront plus d’éloquence,
 Si vous voulez les écouter.

Air nouveau §

Mercure galant, décembre 1701 [tome 14], p. 167-168.

L'Air nouveau que je vous envoye, est de Mademoiselle de Bataille, les Paroles sont de celuy qui ne se fait connoistre que sous le nom de Tamiriste.

AIR NOUVEAU.

Avis pour placer les Figures : l’Air qui commence par Ce n'est pour le Printemps, doit regarder la page 168.
Ce n'est pour le Printemps, pour l'Esté, pour l'Automne,
Ny les fleurs, ny les fruits que chaque saison donne
Que mon cœur amoureux
Forme des vœux.
Le Printemps me ravit un Amant que j'adore,
Il va chercher la gloire aux climats éloignez.
L'Esté me le retient encore-
L'Automne, chez Bacchus mes soupirs dédaignez,
Font le chagrin qui me devore.
Je chante l'Hyver seulement,
Il me ramene mon Amant.
images/1701-12_167.JPG

À Monseigneur le Dauphin. Ode §

Mercure galant, décembre 1701 [tome 14], p. 219-224.

Je vous ay déja envoyé la Traduction d’une Ode Latine de Mr l’Abbé Boutard, sur le rétablissement de la santé de Monseigneur le Dauphin. Je vous en envoye une nouvelle qui a esté faite par Mr Betoulaud. La diversité des genies sur une même matiere fait plaisir, & je ne doute point que vous n’en receviez de cette seconde Traduction.

À MONSEIGNEUR
LE DAUPHIN.
ODE.

Delices de Paris, & de tout nostre Empire.
Cher Dauphin, l’espoir le plus grand
Quelle douleur mortelle en nos yeux se fit lire
 Le jour que l’on te vit mourant.
***
La Reine des Citez gemit comme une Mere
 Qu’allarme son Fils bien-aimé,
Lorsque la fiévre roule en sa brûlante artere
 Le feu dont il est consumé.
***
Louis même saisi d’une frayeur extrême,
 Te voyant sans pouls & sans voix,
Helas crut voir perir la moitié de luy-même.
 Et tous les Bourbons à la fois.
***
Remercions le Ciel ; tu joüis de la vie
Malgré les horreurs de la mort,
La France avec son Roy de ton bonheur ravie
 N’apprehende plus pour ton sort.
***
Tel le Soleil reprend une vive lumiere,
 Quand la nuit s’échape à nos yeux,
Et remontant son char dans sa haute carriere
 Rejoüit la terre & les cieux.
***
Par tout d’Hymnes sacrez les Temples retentissent
 Et l’encens fume sur l’Autel,
Au souvenir heureux des perils qui finissent
 Par la faveur de l’Immortel.
***
La Seine est triomphante, & d’une joye égale
 Aprés ces maux évanoüis
Le Tage a vû sauver la race martiale
Et le sang royal de Louis
***
Des Villes & des Champs c’est la Feste publique
 Le troupeau n’y craint plus les loups
Et du Berger content la Musette rustique
 Fait oüir les airs les plus doux.
***
Naïades de Meudon, de vostre onde si pure
 Jusqu’aux Astres poussant les flots
Vous tâchiez d’annoncer par leur charmant murmure
 La guerison de ce Heros,
***
Pour nous, dans le danger dont le ciel le retire
 Ravis du salut de ses jours,
Aux clairons éclatans nous marions la lyre,
Et nos guittarres aux tambours.
***
C’est ainsi, Prince heureux, qu’en toutes les familles,
 Chez les petits & chez les grands
Les enfans, les vieillards, les meres & les filles
 Expriment leur joye & leurs chants.
***
Ouy : le Peuple luy-même osa, quittant les Halles
 Et te baiser & t’embrasser
Dans les transports qu’il eut, qu’en ses ombres fatales
 La mort n’eust pû te renverser.
***
Pour les moindres humains, bon, genereux, affable,
 Tu sçais dés que nous t’abordons,
Captiver tous les cœurs par cette force aimable
 Qu’à la majesté des Bourbons.
***
Plus charmé d’obéir à ton auguste Pere
 Que de regner dans l’Univers
Sur l’Espagne & sur l’Inde, ou la terre est la mere
 De l’or & des métaux divers.

[Pompe funebre de Madame la Duchesse de Luxembourg] §

Mercure galant, décembre 1701 [tome 14], p. 225-237.

La Ville & Comté de Ligny en Barois, l’une des principales Terres de cette Province, & depuis tres-longtemps dans la Maison de Luxembourg, n’eut pas plutost apris la nouvelle de la mort de Madame la Duchesse Doüairiere de cette Maison qu’elle se détermina à faire voir par la pompe des Obseques qu’elle a résolu de luy faire, le respect profond qu’elle conservoit pour cette Duchesse, sa veneration pour les vertus Chrestiennes & éclatante qu’elle luy a vû pratiquer, & sa reconnoissance pour les marques qu’elle a reçu souvent de sa protection & de sa charité. Pour cet effet, toutes choses estant disposées pour cette ceremonie, on choisit le 17. du mois passé qu’on sortit de la Ville, pour aller au devant du corps que l’on apporta de l’Abbaye de Jauvilliers, où il estoit depuis quelque jours. Ainsi on entra dans la Ville au son de toutes les Cloches, Et la Marche commença de cette sorte.

On vit paroistre d’abord quantité de jeunes gens sous les armes au nombre de plus de cent soixante avec deux Drapeaux & trois Tambours, couverts de noir.

Aprés Marchoient les Maires & Substituts des Villages du Comté de Ligny au nombre de quatre-vingt en habits & en manteaux noirs, tenant chacun en main un flambeau de cire blanche du poids d’une demi livre.

Ils estoient suivis par vingt-quatre Pauvres vestus chacun d’une Robe avec un Capuchon noir, tenant chacun un flambeau de cire blanche du poids d’une livre.

Ensuite venoient les Filles de la Congregation au nombre de cent soixante, toutes vêtuës d’habits noirs, avec des Coiffes de taffetas, tenant aussi chacune un flambeau de cire blanche.

Les Dames de la Charité, au nombre de trente, toutes couvertes d’habits noirs, & tenant pareillement chacune un flambeau de cire blanche.

Les Confreres des Arts & Mestiers de Ligny, au nombre de cent personnes & plus, en douze Corps chacun, separez par une Croix noire qui estoit à la teste de chacun des Corps.

On vit ensuite l’Hôtel de Ville de Ligny composé du Maire, de quatre Echevins, de quatre Conseillers, & du Sindic, tous vêtus d’habits & manteaux longs noirs ; ils estoient precedez d’un Sergent & de quatre Gardes de Ville, vêtus aussi de noir, tenans chacun une hallebarde sous leurs bras.

Le Peres Capucins de Ligny au nombre de soixante Religieux.

Aprés les Peres Cordeliers, au nombre, de trente, chacun de ces Ordres portant à leur teste une Croix couverte de crespon noir.

Tous les Prestres & Curez des Ville, Villages & Parroisses du Comté, au nombre de cinquante & plus, tous en surplis & en bonnets carrez.

Les Doyen, Chanoines, Chapelains, & Vicaires de Ligny, au nombre de quatorze outre ceux qui en ont esté tirez. Tous les Ordres & Corps marchoient chacun sur deux lignes éloignées l’un de l’autre de six-sept pieds.

Ensuite venoit le Chariot attelé de six chevaux couvert d’un grand drap noir sur lequel estoient quatre grandes armoiries en or & argent, des Armes de la Maison de Luxembourg.

Les quatre coins du Poisle estoient portez par quatre Chanoines de la Collegiale, montez sur des chevaux noirs, & habillez chacun en soutanne, un surplis, un long manteau au dessus, avec un bonnet carré.

Il y avoit autour de ce Chariot six Laquais de feuë Madame la Duchesse Doüairiere de Luxembourg en habits noirs, tenant chacun un flambeau de cire blanche du poids d’une livre & demie.

Ce même Chariot estoit precedé par les Maistres d’Hôtel de cette même Duchesse, & de huit autres Officiers à elle & de sa Maison, tous à cheval, vêtus d’habits & de manteaux noirs.

Il estoit suivi par quatre Prieurs & Religieux de l’Abbaye des Premontrez, de Jauvilliers, où le Corps avoit esté déposé pendant environ un mois. Il estoient aussi à cheval, habillez chacun de leurs surplis, de leurs aumusses, & longs manteaux. Mr Thouvenot, Chanoine & Aumônier de la Duchesse défunte, suivoit aussi à cheval, en surplis, en manteau long, & en bonnet carré, tous à cheval.

Aprés eux marchoit Mr le Baron de Maipas qui portoit la Couronne sur un coussin noir & un grand crespe.

Il estoit suivy par plusieurs Vassaux & Gentils hommes du Comté tous en habits & manteaux noirs.

Marchoit ensuite le corps de Justice de la Prevosté Baillage de Ligny, au nombre de trente deux tous en Robe longues de Palais. Ils estoient precedez de seize Huissiers tous habillez de noir, l’épée au costé, & la baguette à la main.

Il estoit suivy de quarante bons Bourgeois de Ligny, avec des habits & des manteaux noirs. Ceux-cy marchoient sur deux lignes deux à deux.

Il y avoit deux Maistres de Ceremonies à cheval vestus de noir & deux autres à pied pareillement vestus de noir qui alloient de toutes parts pour apporter un bon ordre & faire marcher deux à deux tous les Ordres Seculiers & Reguliers cy-dessus. En cet estat le corps fut joint dans le grand chemin à un quart de lieuë de Ligny & passant au milieu de la Ville il fut conduit dans l’Eglise des Chanoines de Ligny.

Les deux Cours du Chasteau furent occupées par les Soldats en deux hayes fort longues, qui alloient depuis l’Eglise jusque au Couvent des Dames Ursulines de Ligny.

Il y avoit derriere eux en plusieurs hayes, tous les Officiers du Comté avec les Confreres des Arts, Corps & Mestiers dont on a déja parlé.

Tous les Prestres, Curez & Chanoines estoient au Chœur au milieu duquel estoit le Lit de parade garni de frange d’argent & entouré d’un grand nombre de lumieres.

Les Religieux des Convens des Cordeliers & des Capucins estoient dans la Nef.

Le Corps de Justice fut conduit à la Chapelle Nostre-Dame des Vertus.

Celuy du Corps de Vassaux, & des Gentilshommes dans la Chapelle de Saint Pierre de Luxembourg.

Et celuy des Dames de la Charité dans la Chapelle de feuë Madame la Duchesse Doüairiere.

Le lendemain à trois heures aprés midy le Cœur fut porté avec les mêmes ceremonies dans le Convent des Peres Cordeliers de Ligny à la reserve des chariots, chevaux, & gens à cheval, qui suivirent le cœur à pied.

[Madrigaux] §

Mercure galant, décembre 1701 [tome 14], p. 237-242.

Voicy trois petits ouvrages de Poësie que vous serez bien aise de voir. Mr Robeat, de Saint Laurent de Mussidan en Perigord, en est l’Auteur.

À SA MAJESTÉ
CATHOLIQUE.
MADRIGAL.

 Lorsque tu marchois à grands pas
Vers le Trône où t’ont mis la Justice & la Gloire ;
 Evénement, dont la fameuse Histoire
 A surpris tous les Potentats,
Grand Prince, j’eus l’honneur de t’offrir pour étrenne
 Un Madrigal de seize ou dix-sept Vers
Que ta bonté reçut de ma sterile veine
 Avec des ouvrages divers
Qui chantoient à l’envi ta puissance suprême
Brillante de l’éclat du plus beau Diadême
 De ce vaste Univers.
Ma Muse ose à present te témoigner son zele
 Grand Roy, sur ton Himen heureux
 Qui remplit tous tes vœux
Et comble de plaisirs ton Epouse fidelle
Comme les Allemans, ainsi que les François,
Depuis que le Soleil étale sa lumiere,
 Dans son éclatante carriere,
Ont reçu des Bourbons leurs invincibles Rois ;
Philippe, mes vœux sont que ta race feconde,
Dans tes augustes Fils, Petits-Fils, & Neveux,
Illustres rejettons de tant de Demy-Dieux ;
En donne aux Castillans jusqu’à la fin du monde.

À LOUIS LE GRAND.

Dire que l’on te craint, qu’on t’estime, & qu’on t’aime,
Qu’Alexandre, Annibal, Cesar & cent Heros
 Se trouvent chez toy sans deffauts ;
C’est te Peindre, Grand Roy, d’une finesse extrême,
Et l’esprit de Poissi brille dans ces Tableaux.
Mais puisqu’on te compare aux Heros qui vécurent
 Dans la celebre antiquité
 Voici toute la verité ;
Grand Prince, tu fais voir en toy tout ce qu’ils furent
 Mais avec leurs faits inoüis
Eux tous ne furent point ce qu’est le seulLouis.

Cet autre Madrigal à esté fait parle mesme, Mr Robeat, à l’Occasion d’un Sculteur qui a fait un Buste de Sa Majesté.

Sculpteur presomptueux, qui veux tracer l’image
 Du plus puissant des Rois,
Crois-tu que le ciseau sur le marbre ou le bois,
 Puisse finir un tel ouvrage ?
Le Poëte & le Peintre usent tous leurs Pinceaux,
L’Orateur même en vain épuise son genie,
 Pour achever cette auguste copie ;
 Ils ne font tous que d’imparfaits tableaux.
Apprens, vain Ouvrier, que l’Art, ny la Nature
Ne sçauroient de Louis nous donner le Portrait,
Et que semblable à Dieu qui le rend si parfait,
Comme luy dans son Fils il fait seul sa figure.

[Sonnets Espagnols avec la Traduction Françoise] §

Mercure galant, décembre 1701 [tome 14], p. 259-267.

Tant de gens de consideration apprennent l’Espagnol, & tant de François le parlent déja, que je croy devoir vous faire part de deux Sonnets Espagnols qui viennent d’estre faits à Paris pour une Dame de Qualité, que deux personnes de cette Nation ont admirée à sa Toilette. On devinera sans peine de qui est le premier par l’esprit & par la delicatesse qu’on y trouvera. Le second est de Dom Juan de Roxas, Secretaire de Mr l’Ambassadeur d’Espagne. C’est un Gentilhomme tout jeune, & qui avec mille autres qualitez distinguées, écrit parfaitement bien en Prose & en Vers. La Traduction est d’un Gentilhomme fort connu, qui parle l’Espagnol comme ceux de la Nation même.

SONETO.

Sentada al tocador Cristerna estava
Para dar lucimientos à aquel dia,
Y en su Cavello el Sol, rubio, aprendia,
Los Rayos con que el mismo se abrasava,
***
Sentada ; por que al suelo le arrastrava ;
La tierra otro Faetonte, en el, ternia ;
Y el Cielo ; en pie ; tal vez, si seponia
Nueva Esphera de fuego respirava,
***
Y oque vivi en las sombras de su ausencia,
Y la admirè Cristal, porsu blancura,
Entre incendios de Amor, que el Almabebe
***
Deslumbrado, al mirarme en supresencia
Ceguê (deuda precisa asu hermosura)
A vista de la Luz, y de la nieve.

TRADUCTION
de ce premier Sonnet Espagnol.

Christine à sa toilette à tout charmer s’appreste,
Elle y brille encor plus que ne brille le jour
Ses cheveux au Soleil disputent à leur tour
L’éclat de ces rayons qui couronnent sa teste.
***
S’asied-elle ? c’est luy qui descend & s’arreste.
La terre admire & craint Phaëton de retour.
Se leve-t-elle ? on croit qu’au celeste sejour,
Une Sphere de feu pour s’envoler est preste.
***
J’avois vécu loin d’elle ; à cet aspect nouveau,
J’ay cru voir un albâtre animé sous sa peau,
Et mon ame à l’Amour se livrant toute entiere.
***
Mes yeux plus qu’ébloüis de la voir de si prés,
Ont payé le tribut que tout doit à ses traits.
Voit-on, quand on a vû la neige & la lumiere ?

Autre Sonnet Espagnol.

A UNA DAMA
que se dexò ver en el tocador.

Al mirar tu Cavello, que esparcido
Margenes de cristal en ondas dora
Ciega, y confusa el alma, que te adora,
Solo â la duda dispensô el sentido.
***
Es posible, Lisarda, que adbertido,
Tan obscuro problema se âthesora ?
Un extremo â ôtro extremo se enamora,
Dejando al ôrden natural, venzido.
***
Junta tu perfecçion & tos primores,
Si â resolver el argumento llego,
(Siendo Cliçie feliz, que tu luz beve)
Pues vniendo el ardor â los Alboress,
La nieve se conserva junto al fuego,
Y el fuego no se apaga entre la nieve.

TRADUCTION.

Qui voit ta belle teste & tes cheveux épars
Croit voir des ondes d’or sur des rives d’albâtre,
Interdite, en suspens, l’ame qui t’idolâtre
Abandonne au seul doute, & desirs & regars.
***
Lizarde, se peut-il, que nos vœux, nos égars,
Opposez & d’accord, cessant de se combatre,
Mettent la verité sur son plus beau théatre,
Pour resoudre un Problème obscur de toutes parts.
***
Joints à tant de beautez tant d’autres avantages,
Tu joindras la raison au choix de nos hommages.
Ton éclat, en frapant, exige cet aveu.
***
Ta blancheur à l’ardeur, ne dresse pas un piege.
Le feu ne s’éteint pas auprés de cette neige
Et cette neige aussi ne font pas à ce feu.

Ode §

Mercure galant, décembre 1701 [tome 14], p. 267-275.

Voicy la Traduction d’un Ode Latine de Mr l’Abbé Boutard, pour remerciement des gratifications qu’il a receuës de Sa Majesté, aprés luy avoir presenté plusieurs autres Odes Latines. La traduction de celle cy est du mesme Gentilhomme qui a traduit les deux Sonnets Espagnols. Comme il a des obligations infinies à Madame la Princesse de Conty la Doüairiere, il luy en témoigne sa reconnoissance dans son Envoy.

ODE

Apollon, si jamais ta Lyre
A flaté l’oreille des Rois,
Et si les peuples qu’elle attire
En ont jamais beny les droits.
Fay sur le ton que je vay prendre
Qu’elle s’accorde avec mes Vers,
Et que mon chant se fasse entendre
Avec elle à tout l’Univers.
***
Louis dans sa magnificence,
Aux neuf Sœurs ouvre ses tresors,
Marquons nostre reconnoissance
Sur ta Lyre, & dans nos accorts.
S’il est ton portrait sur la terre
Sur le Parnasse, il est encor
Plus grand que le Dieu du tonnerre,
S’il s’y forme en pluye, elle est d’or.
***
Les riches moissons de Siciles,
Couvrant du mont le sec gravier.
Par luy tout y devient fertile
Tout fruit y charge le laurier.
Il fait changer en or potable
Les ruisseaux du sacré vallon ;
Il enrichit jusques au sable
De la fontaine d’Helicon.
***
La pauvreté rude compagne
Des Muses & de leurs amis,
Fuit déja loin de la montagne,
Nul besoin n’y peut estre admis.
Toutes les Troupes inquietes
De chagrins & de soins fâcheux
N’entoureront plus les Poëtes,
Et ne courrons plus aprés eux,
***
Phœbus donne la joye au monde,
Et la rend à ses nourissons.
L’Auteur d’une Paix si profonde
Est le sujet de leurs chansons,
Leur temps revient, & leur ramene
L’honneur, le bonheur, le repos :
L’abondance, la corne pleine
S’offre à leur besoin à propos.
***
 Heureux habitant du Parnasse
Au rang des Poëtes Romains
J’avance sur les pas d’Horace,
Et ses lauriers cherchent mes mains.
J’entends déja que l’on m’appelle
À la moisson des gerbes d’or,
Phœbus pour couronner mon zele
Me nomme & m’ouvre ce tresor.
***
 Je voy dans sa main bienfaisante,
La recompense qui m’attend,
Et d’une voix plus qu’éloquente.
Il me parle, & je suis content,
C’est son aveu qui me couronne,
C’est son don le plus precieux,
Rien n’est du prix de ce qu’il donne,
Mais ce qu’il dit vaut encore mieux.
***
Vous le sçavez, Nymphes celebres
De Versailles & de Marly,
Vous tirez mon nom des tenebres,
Phœbus le sauve de l’oubly,
Vous avez estimé ma lyre,
Vous avez animé mes chansons,
C’est ce suffrage qui m’attire,
Et ces honneurs & ces moissons.
***
 Et vous, fontaines merveilleuses,
Mes delices, mes plus doux soins,
Joignez vos voix melodieuses
Au doux concert où je vous joints.
Contre les droits de la nature,
Vous poussez vos eaux jusqu’aux Cieux,
Loüez par leur sçavant murmure
Le Heros qu’on louë en tous lieux.
***
Et vous, delicieuse Seine,
Qui pour obeïr au Heros
De fleuve devenez fontaine,
Et reglez à son gré vos flots,
Rendez-les encor plus dociles,
Sur la montagne de Marli
Et faites par vos eaux faciles
De ce Vallon un Tivoli.
***
Autant de fois sur vos rivages
Qu’avec une Cour de son choix
Il vous verra dans ces Boccages
Regler vostre cours sur ses loix.
Qu’en repos prés de vous paisible
Il suspendra ses grands travaux
Que rien ne vous soit impossible
Que rien ne le soit à vos eaux.
***
Et moy, de cœur & de memoire
Toujours zelé reconnoissant,
Louis, je chanteray ta gloire,
Et tout ce qui te rend puissant.
Toûjours ayant pour guide Horace
Je sçauray par mes Vers latins,
Graver tes bienfaits au Parnasse
Pour garants de tes beaux destins.
***
Tout ce que te doit l’Hesperie,
Assez d’autres le chanteront.
Tout ce que te doit la Patrie
Nos voisins par tout le diront,
Tes refus de plusieurs Couronnes
Ton pouvoir d’y nommer des Rois,
Cette paix qu’en vainqueur tu donnes.
C’est ton destin, ce sont tes droits.
***
Du merite ressource unique,
Louis, seul Protecteur des Arts,
En valeur comme en Politique
Cent fois plus grands que les Cesars.
Si je te dois ma paix profonde
Tu joüiras de mon repos,
Mais vers diront par tout le monde
Ce que je dois à son Heros.

ENVOY AU ROY.

Je sçay comment se fait une Ode,
Et ne sçay pas encor comment
Se fait un vray remerciment,
Ce stile n’est guere à la mode ;
Remercier pourtant n’est pas chose incommode,
Et cependant sans toy dans le sacré Vallon,
 Grand Roy, les enfans d’Apollon
En auroient perdu la metode
Pour ma Muse du moins, dans ce que j’y produis,
Elle y sçait bien cueillir quelque fleur inutile
Mais elle ne sçait pas y recüeillir des fruits.
 J’ay beau changer de ton de stile,
 Quand je rens graces je traduits.
 Boutard, digne de ton estime,
 Grand Roy, digne de tes bienfaits,
 Chante en latin, & moy je rime,
Chacun à sa façon, nous vantons tes beaux faits
 Même zele nous associe.
Il chante tes Jardins, je chante tes Exploits.
Tu luy fais de grands biens qu’en latin il publie.
 Quand te diray-je en bon François ;
 Grand Roy, que je te remercie ?

À Madame la Princesse de Conty, La Douairiere. Envoy §

Mercure galant, décembre 1701 [tome 14], p. 276-279.

À MADAME
LA PRINCESSE
DE CONTY,
LA DOUAIRIERE.
ENVOY.

 Parfaite image du Soleil.
 Son Portrait le plus vif, & sa premiere Fille,
 Objet comme luy, sans pareil,
Ornement de son ciel, honneur de sa famille,
Conty, chef-d’œuvre d’Apollon,
Son fidele miroir, son vivant parelie.
 Ressource du sacré Vallon,
Dont l’aspect seul dit plus que ce qu’on en publie.
À l’exemple du Dieu qui ramenant le jour.
Selon les fonds divers rend la terre feconde.
 Vous estes la joye & l’amour,
 Du Parnasse & de tout le monde.
Comme luy répandant des tresors, des bienfaits
Vous faites en tous lieux benir vostre presence.
 Respects, amour, reconnoissance,
De vos simples regards sont les moindres effets,
Comme luy dans les biens que vous aimez à faire.
Vous aimez à les partager,
Et vous avez l’art d’obliger,
Aussi bien que celuy de platre.
Vous donnez à chaque moment
De quelque vray remerciment,
Et le sujet & la méthode.
 On ne vous parle point aussi,
Qu’on ne vous dise grand mercy.
Auprès de vous, ce terme est à la mode :
Vous le passez, mais ce n’est pas ainsi
Que Boutard parle dans son Ode,
Ce qu’il dit à Louis le Grand,
Est d’un tour bien plus difficile ;
Et ma Muse, qui voit que ma plume est docile,
Voudroit sur un sujet comme celuy qu’il prend.
Achever de former mon style,
Qui traduit, parle & ne sent rien,
L’esprit y met bien peu de chose,
Et le cœur n’y met rien du sien ;
Traduire bien & Vers & Prose,
N’est point penser c’est parler bien :
Et quand Louis le Grand propose
Des sujets de remercier,
Je croirois mon bonheur extrême,
S’il daignoit me faire essayer
Si je sçaurois penser de mesme.

[Epigrammes] §

Mercure galant, décembre 1701 [tome 14], p. 289-293.

Mrs Joly de Fleury, Freres, tous deux Avocats Generaux, l’un au Parlement, & l’autre à la Cour des Aides, se distinguent tellement dans leurs emplois, qu’ils s’attirent tous les jours de nouveaux applaudissemens. C’est ce qui a donné lieu à ces Epigrammes latines de Mr l’Abbé le Houx.

IN CLARISSIMOS FRATRES
D. DOMINOS
JOLY DE FLEURY,
Catholicos Advocatos vereque
Regios Oratores.
EPIGRAMMATA.

Alter ut Alcides Lodoix dum claviger armis
Desuper invictis impia monstra domat ;
Patricii Juvenes, geminæ duo fulmina Linguæ,
 Omnia vos gemini monstra necate Fori.

ALIUD.

Nunc Fora nobilitat concors facundia Fratrum,
Et stirpe ex una fulgura bina micant.

ALIUD.

Vox facunda Fori Fratres sobolescit in ambos
 Dissimiles annis, eloquioque pares.

Je ne vous aurois pas envoyé ces Epigrammes, si elles avoient passé quatre Vers. C’est ce qui m’empêche de vous faire part d’un fort bel Ouvrage Latin du Pere Pingré Jesuite, Professeur au College de **** sur la naissance de Monsieur le Comte d’Eu, second Fils de Monsieur le Duc du Maine. L’Auteur appelle Mars & Apollon pour venir prendre soin de cet Enfant dans ses premieres années, & par une agreable fiction Poëtique, il fait paroistre l’une & l’autre Divinité avec l’accompagnement qui leur convient. Ces descriptions sont vives, & ce petit Ouvrage finit par des souhaits de voir cet Enfant croistre pour faire briller tous les avantages d’un illustre Sang, estant né d’un Pere qui n’a pas moins merité les faveurs de Mars que celles de Minerve.

Air à boire §

Mercure galant, décembre 1701 [tome 14], p. 293-294.

Je vous envoye un Air nouveau de la composition de Mr Mesnil Marchand. Les Paroles sont de Mr de Saint Lubau.

AIR A BOIRE.

Avis pour placer les Figures : l’Air qui commence par Ne cherissez que le jus de la Tonne, doit regarder la page [2]94.
Ne cherissez que le jus de la Tonne
Amans, pour adoucir vos cruelles langueurs,
Puisque le Dieu du Vin vous comble de faveurs ;
Profitez des bienfaits que sa bonté vous donne,
Et preferez les douceurs de l'Automne
Aux plus tendres attraits de la saison des fleurs.
images/1701-12_293.JPG

[Feste donnée à Mr l’Ambassadeur d’Espagne] §

Mercure galant, décembre 1701 [tome 14], p. 294-302.

Mr Hory qui a esté en Espagne, d’où il est revenu depuis quelques mois, estant penetré de l’accüeil qu’on luy a fait à Madrid, & des honneurs qu’il y a receus, en a voulu témoigner icy sa reconnoissance à Mr l’Ambassadeur d’Espagne, à toute sa famille, à Mr l’Envoyé Extraordinaire de cette Couronne, & à toutes les personnes qualifiées de la mesme Nation qui sont à Paris. Cette reconnoissance a éclaté par un des plus magnifiques festes que le bon goust puisse inventer, & que la profusion puisse soûtenir. Mr l’Ambassadeur d’Espagne se rendit chez Mr Hory, avec trois carosses sur les six heures du soir. Il avoit avec luy Mr le Marquis, Mr l’Abbé, & Mr le Chevalier de Saint Manat ses trois fils. Don Francisco de Eguaras, Envoyé Extraordinaire d’Espagne y arriva en mesme temps avec Don Pedro de Zuñiga, frere de Mr le Duc de Bejar Grand d’Espagne. Mr Hory vint recevoir Son Excellence à la portiere de son Carosse. La Cour estoit éclairée par des pots de feu, & l’escalier par un grand nombre de plaques. Mr Hory l’attendoit dans la premiere piece de son appartement avec huit Dames fort capables d’orner une feste. Aprés les les premieres civilitez on visita l’appartement composé de sept pieces de plein pied, toutes magnifiquement & differemment ornées & meublées, & également éclairées par des lustres & par de riches girandolles. On y admira les tableaux & les bronzes. On fit ensuite plusieurs tables d’Ombre, d’autres joüerent au Trictrac, d’autres aux Eschets. Chacun s’y occupa selon son goust. Mr le Marquis de Louville, Mr le Comte de Clairambaut, Mr le Baron de Breteüil & beaucoup d’autres François de consideration, s’y rendirent à peu prés à la mesme heure. Sur les dix heures on descendit dans une espece de galerie fort ornée, bien chauffée & fort éclairée, où l’on trouva deux tables de quinze couverts chacune, servies en mesme-temps, & de la mesme maniere, & chacune ayant son buffet separé. Rien n’estoit plus riche que ces deux bufets. Pour le repas, la description en seroit trop longue, il fut à quatre services, dont chacun estoit d’un grand milieu de table, & de quatorze plats à l’entour, outre les hors d’œuvre. C’estoient tous mets exquis & plats nouveaux & recherchez. On se récria sur tout à l’entremets, & encore plus au fruit. Tout ce qu’il y a de plus rare en vins & en liqueurs y fut aussi prodigué. Aprés le soupé, on remonta dans le mesme appartement, où l’on trouva un concert de tout ce qu’il y a de plus estimé à l’Opera, en voix & en instrumens. On chanta le Prologue de Roland & quelques Scenes du mesme Opera. Mr l’Ambassadeur qui aime la Musique, & qui la sçait parfaitement, en fut charmé. Il dit à Mr Hory qu’il sembloit qu’on eust reservé pour ce jour là tout ce qu’il y avoit à Paris de plus delicat & de plus rare. En sortant de ce cabinet, on entra dans une grande chambre où l’on trouva le fameux Mr Beauchamp habillé à l’Espagnole, Mademoiselle Beauchamps masquée, aussi de fort bon goust, & un Arlequin excellent. Ils danserent plusieurs danses, Mr l’Ambassadeur & toute l’Assemblée les admirerent, mais rien ne surprit tant Son Excellence, que de voir sans masque, Mr de Beauchamp, & d’apprendre son grand âge. Ces danses furent suivies d’un petit Bal où l’on servit encore une magnifique collation avec du chocolat, & toutes sortes de liqueurs. On se retira à trois heures aprés minuit. Cette Fête eut tout le succez qu’elle meritoit.

[Relation de ce qui s’est passé à Barcelone à l’arrivée & après l’arrivée de la Reine d’Espagne] §

Mercure galant, décembre 1701 [tome 14], p. 338-350.

Vous avez raison de dire que vous n’avez vû de Relation de l’Entrée de la Reine d’Espagne sur les Terres de Sa Majesté Catholique, que dans ma Lettre, puis qu’aucune Relation publique n’en a donné de circonstances. Vous pourrez dire la mesme chose des festes qui se sont faites à Barcelone, dont on n’a vû aucun détail, ce qui en a esté imprimé ne contenant que tres-peu des lignes.

Leurs M.C. arriverent en cette Ville-là le 8. Novembre à quatre heures aprés midy. Elles entrerent par la porte qui est du costé de la Mer, & vis à vis le Palais où Elles devoient loger. Elles ne voulurent point qu’on leur fist d’Entrée, ce qui fut cause que le Canon de la Ville ne se fit entendre qu’une demi heure aprés leur arrivée. Le Roy & la Reine se firent voir ensuite sur un Balcon, où ils demeurerent une petite demi-heure. La Reine salua les Dames qui estoient sur le Balcon appellé du General. Il y eut le soir des Illuminations par toute la Ville, & elles durerent pendant trois jours. Le soir du Mardy, il y eut un Feu d’Artifice devant le Palais qui representoit un Chasteau. On tira quantité de Bombes d’où sortirent une infinité de fusées, & de plusieurs autres sortes de feux, qui durerent pendant plus d’une heure & demie. Il y eut deux autres feux d’artifice les deux jours suivans.

Le Jeudy 10. Leurs Majestez allérent ensemble se promener en Carosse à la Ramble. Elles avoient entendu le matin la Messe à la Tribune qui va du Palais à l’Eglise Paroissiale de Sainte Marie. Elles avoient visité les jours precedens le Convent de Religieuses de Sainte Claire, & celuy des Carmelites.

Le Vendredy 11. les Ecoliers de l’Université au nombre de plus de cinq cens, magnifiquement vêtus, & tres bien montez firent une Calvalcade, & accompagnerent un grand & superbe Char de triomphe, dans lequel estoient douze Divinitez. Ce Char qui estoit orné de quantité de Devises, estoit aussi remply de plusieurs Joueurs d’instrumens, qui formerent une simphonie tres-agreable. Les Docteurs de toutes les Facultez suivoient ce Char. Ils estoient tres-bien montez, & tenoient chacun un flambeau de cire blanche. Chacun d’eux avoit deux Valets qui éclairoient cette marche avec de pareils flambeaux. Le Char s’arresta devant le Balcon où estoient Leurs Majestez, & les douze Divinitez qui estoient dedans, reciterent des Vers à leur loüange. Lors que ces Eloges furent finis, les Docteurs firent quelques courses, par lesquelles ils firent connoistre qu’ils avoient autant d’adresse que d’esprit. Ils prirent ensuite congé de Leurs Majestez avec des demonstrations de joye, en poussant une infinité de cris de Vive le Roy & la Reine, & en jettant leurs flambeaux en l’air. La Ville fit joüer le soir du mesme jour un fort beau Feu d’artifice, & dont la dépense fut considerable, chacun cherchant tous les jours à donner de nouvelles marques de l’amour & du zele que la presence de Leurs Majestez sembloit augmenter.

Le Dimanche 13. Leurs Majestez allerent entendre la Messe à Sainte Marie la Mayor, où l’on celebroit la Feste de Saint Olaguier, Evesque de Barcelone. Elle fut celebrée par un Chanoine élevé aux premieres Dignitez de cette Eglise. Quand Leurs Majestez l’eurent entenduë, on leur fit voir la Chapelle de Sainte Aulerie.

L’apresdînée on fit une Procession generale à l’honneur du Saint, dont on celebroit sa Fête. Tous les Religieux des Convents de Barcelonne assisterent à cette Procession. Chaque Ordre faisoit porter un tabernacle magnifiquement orné. Le Corps de Saint Olaguer estoit dans une espece de sepulchre couvert de glaces de Venise. Mr le Comte de Palma, Viceroy de Catalogne portoit l’étendard. Les ruës par où la Profession devoit passer, étoient tapissées, & on y avoit dressé des Autels, remplis d’une infinité de cierges, & decorez avec beaucoup d’argenterie. La Feste continua pendant trois jours, & il y eut chaque jour des illuminations nouvelles, dont la beauté parut toûjours augmenter. Aprés qu’on eut fait une Procession dans l’Eglise, on porta le Corps du Saint à un Autel qu’on a fait construire dans l’Eglise de la Mayor ; cet Autel doit estre magnifique ayant coûté de tres-grandes sommes.

Le Lundy 14. il y eut un tournoy à la Salle appellée del Barboa, où la jeune Noblesse se distingua, & par son adresse & par sa magnificence, les principales Dames de la Ville s’y trouverent avec des habits tres-somptueux, & les juges des Courses y parurent aussi magnifiquement vêtus. Leurs Majestez virent cette Feste, mais elles estoient placées derriere une jalousie. On devoit faire le Mardy 15 une Feste que les Catalans nomment une Momerie, & que nous appellerions Mascarade. Mais la Reine s’étant trouvée indisposée, cette Feste fut remise au lendemain. Ce jour-là Sa Majesté reçut des complimens du Corps de la Ville sur son indisposition.

Le Mardy 16, la Momerie qui avoit esté differée, se fit à la mesme Salle del Barboa. Il y avoit douze Dames, dont six estoient mariées, les six autres estoient filles, & les six Dames mariées avoient des habits uniformes bleus & or. Leurs coëffures garnies des pierreries estoient surmontées par quantité de plumes bleuës & blanches. Les filles avoient aussi des habits uniformes cramoisy, & or, leurs coëffures estoient aussi ornées de pierreries, & leurs plumes estoient de la couleur de leur habit. Les Cavaliers portoient les couleurs des Dames avec lesquelles ils dansoient. Toute cette magnifique troupe estoit masquée, & tenoit des flambeaux de cire blanche. Les Dames avoient de petites bayonnettes, dont la poignée estoit tres-riche. Ceux qui composoient cette Mascarade danserent aux quatre coins de la sale, & divertirent beaucoup leurs Majestez.

[Mr Buterne a eu l’honneur de toucher l’Orgue devant le Roy]* §

Mercure galant, décembre 1701 [tome 14], p. 423.

C’est Mr Buterne qui eut l’honneur de toucher l’Orgue deux fois de suite devant le Roy à Sceaux. Ceux qui avoient donné cette gloire à un autre estoient mal informez, quoy que cet autre ait aussi beaucoup de merite. Le mesme Mr Buterne qui a montré à joüer du Clavessin à Madame la Duchesse de Bourgogne en a depuis peu donné des leçons à Monseigneur le Duc de Berry. Je suis, Madame, vostre, &c.