1702

Mercure galant, avril 1702 [tome 5].

2017
Source : Mercure galant, avril 1702 [tome 5].
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Mercure galant, avril 1702 [tome 5]. §

[Sonnet] §

Mercure galant, avril 1702 [tome 5], p. 5-8.

Je ne commence jamais aucune de mes lettres que par quelque action du Roy ou par quelque Ouvrage à la gloire de ce Prince. Je vous en envoye un qui regarde Sa Majesté & le Roy d’Espagne, & dans lequel ces deux Monarques sont noblement louez. Je ne doute point que vous ne demeuriez d’accord de sa beauté, aprés que vous vous serez donné le plaisir de le lire.

Ce Sonnet est de Mr Senecé, premier Valet de Chambre de Feüe la Reine, vous sçavez avec quel empressement ses ouvrages sont souhaitez.

SUR LE PASSAGE DU
Roy d’Espagne en Italie.
SONNET,

Du plus grand des Heros le nom s’est étendu,
Par tout où le courage à l’honneur peut pretendre ;
Il n’a rien attaqué qui ne se soit rendu,
Que ne fera-t’il point pour ce qu’il veut deffendre ?
***
Il commande : & son ordre est a peine entendu
Que le bonheur François part du fond de la Flandre :
La victoire l’escorte, & n’aura rien perdu
Pour quelques cours momens employés à l’attendre.
***
Philippe cependant ne peut se retenir ;
A ceux de son Ayeul ses foudres vont s’unir,
Il n’est point de fierté que son bras n’humilie :
***
O vous, unique objet de ses travaux guerriers.
Immortelle Foret préparez vos lauriers,
C’est le sang de Louis qui passe en Italie.

[Sur le malheur des Grands, Satyre] §

Mercure galant, avril 1702 [tome 5], p. 55-65.

Mr de Cantenac Chanoine de l’Eglise Cathedrale de Bordeaux, réussit dans tout ce qu’il fait, & ce que vous avez déja veu de luy vous fera sans doute lire avec plaisir le petit ouvrage de sa façon que je vous envoye.

SUR LE MALHEUR
des Grands.
SATYRE.

Je plains, avec raison, l’infortune des gens
Que la misere attache au service des Grands ;
Mais le sort de Grands mesme, est encor plus à plaindre ;
Ils ont souvent des gens accoutumez à feindre,
Et qui reduits, pour vivre, à leur faire la Cour,
Servent par interest, & non pas par amour.
Des gens interessez, le service est à craindre,
Si le cœur ne s’y porte, on a beau l’y contraindre ;
Sans l’amour, il s’oppose à tout autre lien,
Et quand on n’aime pas, on ne sert jamais bien,
C’est le malheur des Grands ; ils ont comme les belles
Grand nombre de sujets, & fort peu de fidelles.
Souvent trompez de ceux, qui sont les plus soumis,
Ils ont pour affidez leurs plus grands ennemis,
C’est en vain qu’on se flate, & que l’on s’imagine
De la fidelité, quand l’interest domine,
Elle paroist en vain, par mille petits soins,
Puisqu’elle ne dépend que du plus ou du moins,
Les presens répandus, l’intrigue & les cabales
Vont corrompre la foy de ces ames venales.
On voit en tous estats, on voit en tous pays
De lâches Serviteurs, & des Maîtres trahis :
D’où sont venus souvent la perte des Provinces
L’accablement du peuple, & la chute des Princes,
Et tant d’autres malheurs que je ne nomme pas,
Ce n’est que des secrets, vendus par ces ingrats.
Chez les plus grands Seigneurs, on voit des domestiques,
Contre un Maistre abusé former des republiques
Le tromper de concert, par de méchans avis,
Et luy rendre odieux, ses fidelles amis.
Erreur pernitieuse, aveuglement extreme,
De ne vouloir oüir, ny rien voir par soy mesme,
Pour tâcher d’éviter la honte & les dangers,
Qu’on trouve en se servant d’organes étrangers.
Avez-vous chez Oronte une importante affaire.
Par quelque beau présent charmez son Secretaire,
Il veut tout, & son Maistre insensible, & muet,
Approuve aveuglement tout ce qu’il dit & fait.
C’est ainsi, que des Grands l’indigne confiance,
Ebranle leur maison, qui tombe en décadence,
Un ***** muni de leur bien écoulé,
Grossit son revenu de ce qu’il a volé.
Cette infidelité fait qu’en fort peu de lustres,
On voit ternir l’éclat des familles illustres,
Un fâcheux Creancier que pousse l’interest
Fait pour avoir leur bien, rendre Arrest sur Arrest.
L’argent qui fait briller les grandeurs de la terre,
N’en est pas moins le nerf que celuy de la guerre.
Fust-on issu d’Auguste, ou de Charles le Gros,
La pauvreté cruelle efface le Heros.
Tel qu’un fleuve grossi dans une longue course.
Est aussi resserré, qu’il l’estoit à sa source,
Quand on creuse ses bords, & que par cent canaux,
Sur des champs éloignez, on détourne ses eaux ;
L’éclat de la grandeur, & d’une Noble race,
Quand on n’a plus de bien, s’obscurcit & s’efface,
Il n’en reste souvent qu’un triste souvenir,
Et l’on déchoit d’un rang qu’on ne peut soutenir.
Pour éviter ces maux, un Grand, avec prudence,
De tous ses interests, doit prendre connoissance,
Comme un Pilote expert, dans la fureur des flots
Ne met pas le timon aux mains des Matelots,
Il doit régler sa suite, & s’opposer sans cesse,
A ces zelez voleurs dont on connoist l’adresse,
L’indolance d’un Maistre, & sa credulité,
Portent le Domestique à l’infidellité,
Mais quoy, ne voit-on pas celebrer dans l’Histoire,
Des gens qui de leur maistre ont fait toute la gloire,
Qui sans luy demander, & sans luy prendre rien,
A leurs propres dépens, ont augmenté son bien ?
Victimes d’un amour constant, rare, & fidelle
Quelques uns ont acquis une gloire immortelle.
Ils se sont exposez aux traits de mille morts,
Ont fait pour le sauver un bouclier de leur corps.
A la Cour on peut voir de ces ames sublimes,
Qui pour servir leur Maistre iroient dans les abimes,
Qu’un sordide interest n’a jamais pû tenter
Et qui portent sa gloire ; où l’on peut la porter.
Il est vray qu’on peut voir ce zele inviolable.
Pour un Maistre éclairé genereux équitable,
Qui sçait se faire aimer, & qui cherit ses gens
Soûmis avec plaisir à ses commandemens.
Qui joignant la douceur à la magnificence
Tempere la fierté d’une haute naissance
En qui la vertu trouve un ferme protecteur,
Qui soutient l’honneste homme & bannit le flateur.
Mais un tel Maistre est rare & la haute Noblesse
N’exempte pas un Grand d’erreur, ny de foiblesse
Souvent d’un faux merite il est préoccupé.
Et ne fait jamais rien pour estre détrompé ;
Par des respects outrez, rendus en apparence,
Des flateurs assidus gagnent sa confidence,
Aveuglent son esprit, qui ne reconnoit pas,
Qu’en se laissant guider, il fait bien de faux pas.
Pour estre bien servis les Grands doivent apprendre,
A bien connoistre à fond les gens qu’ils veulent prendre.
Remarquer leurs défauts, leurs bonnes qualitez,
Sans croire aveuglement des gens sollicitez
D’une Dame, surtout, on doit craindre l’intrigue.
Pour un amant secret quelquefois elle brigue,
Et le Maistre facile, abusé par tous deux,
Prend chez luy son Rival mieux fait & plus heureux.
On a vû mille fois des beautez infidelles
Tromper ainsi des Grands qui soupiroient pour elles.
Par tout regnent l’amour, l’intrigue, & l’interest
Le Monde est corrompu, laissons le comme il est.

[Lettre] §

Mercure Galant, avril 1702 [tome5], p. 79-92.

La Lettre qui suit est de Mr de Guintrandy.

La Ville d’Avignon vient de faire une perte veritable par la mort de Messire Baltazar François de Merles, Seigneur de Beauchamp, mort le 4. Février, âgé de quatre vingts ans quatre mois & vingt-sept jours C’estoit un Gentilhomme d’une Maison tres illustre, tres noble, & tres ancienne, établie dans cet Etat depuis l’an 1350. & originaire selon la commune opinion, de la Principauté de Dombes ; où il y a encore une Forest qui s’appelle La Forest de Merles du nom de la Maison, quoy que d’autres disent qu’elle vient du pays de Forest, ou du Beaujolois, Cette Maison a donné depuis longtemps des Chevaliers à l’Ordre de saint Jean de Jerusalem, du temps mesme de leur établissement à Rhodes, dont quelques uns ont possedé les Charges les plus honorables de leur Religion ; & des Prelats à l’Eglise. Henry de Merles oncle de feu Mr de Beauchamp a esté grand Commandeur, grand Prieur de Toulouze, General des Galeres, & Ambassadeur vers Innocent X, & Messire Joseph Thomas de Merles neveu de ce Henry est Commandeur de S. Jean d’Aix & Bailly de Manosque. Il y a eu un Jean de Merles Evesque de Coustance en Normandie, & un Guido de Merles, Archidiacre de Coustance & Evesque de Lizieux en 1274. Comme encore un Chancelier de France, ainsi qu’il se voit en la Gaule Françoise de Mr Claude Robert.

Messire Baltazar François de Merles, Seigneur de Beauchamp, faisoit la douziéme generation de la branche qui du Buis en Dauphiné avoit esté transplantée dans le Comtat Venaissin, y ayant eu une autre branche de cette Maison ; qui s’est continuée dans le pays de Forests & du Beaujolois. L’une & l’autre branche portent pour Armes trois Merles de sable bequetté, & griffonnées de gueules, sur une bande d’argent au Champ d’azur. Mais quelque illustre que fust Mr de Beauchamps par l’éclat de sa naissance, l’on peut dire qu’il l’étoit encore davantage par son propre merite, autant honneste homme qu’il étoit homme de Lettres ; il s’est fait generalement regretter de tous ceux qui le connoissoient. Dés sa plus tendre jeunesse il se fit une étude de la probité, dont il a conservé le caractere durant tout le cours de sa vie, & s’appliqua avec ardeur à la recherche des beaux Arts & des Sciences qu’il a depuis toûjours cultivées sans relâche & sans dégoust. Ses delices furent la Poësie, la Peinture, la Musique, les Mathematiques, & la lecture des bons Livres, sur tout des anciens qu’il sçavoit parfaitement, & pour lesquels il avoit toute cette estime qui est la marque des bons esprits. Il s’attacha d’abord aux Humanitez & il fit voir, lors même qu’il estoit encore dans le College, combien il y estoit propre, par des Declamations Latines en Prose & en Vers qu’il avoit luy mesme composées, & où l’on remarqua toute la solidité du jugement alliée avec tout le feu de l’imagination. Il a fait voir ces Pieces à ses amis, avec quelques autres qu’il avoit faites dans un âge un peu plus avancé & ils les ont trouvées dignes de la beauté de son genie ; mais sa modestie estoit si grande que ce n’estoit qu’aprés bien des sollicitations qu’on l’obligeoit à ne pas cacher ces Ouvrages, qu’il ne faisoit voir qu’avec peine, & que sous le nom débauchez, & de simples jeux d’un esprit qui cherche seulement à se délasser. Laborieux au delà de tout ce qu’on pourroit dire, il a fait un nombre infini de remarques presque sur tous les Livres qu’il lisoit. Il a laissé une nombreuse Bibliotheque, qu’il avoit eu grand soin d’amasser à beaucoup de frais. On y voit un corps d’Histoire tres beau, & fourny de tout ce qu’il y a de plus curieux en ce genre-là parmi les Anciens & les Modernes. Il a luy-mesme laissé un jugement précis & solide de tous les Historiens qui le composent, il a fait la mesme chose des Poëtes. Il y en a peu de connus dont il n’eut les Ouvrages, & qu’il n’eust lûs plus d’une fois aimant la retraite & le cabinet. Il a mené la vie d’un Philosophe Chrêtien, simple dans ses habits & dans ses manieres ; il a toûjours conservé je ne sçay quelle candeur d’ame, qui estoit d’autant plus admirable, qu’elle estoit rare dans le siecle où il a vécu. Il estoit d’un abord facile, & d’une conversation aisée, civil & complaisant pour les gens des Lettres dont il faisoit une estime toute singuliere. Il leur communiquoit tout ce qu’il avoit de plus curieux, & il les recevoit avec la plus grande joye du monde. C’est à luy que la posterité sera éternellement redevable des Lettres que le Cardinal Sadolet a écrites sous les noms de trois Papes Leon X. Clement VIII. & Paul III. & dont il sauva heureusement le manuscrit original des mains de l’Epicier. Il avoit remis une copie de ce manuscrit entre les mains de feu Mr de Graverol, sçavant Avocat de Nismes qui devoit faire paroître cet Ouvrage avec des Notes de sa façon, & qui en le dédiant à Mr de Beauchamps avoit resolu d’en couronner la source, si la mort ne l’eust surpris dans son projet. L’original de ces Lettres a esté depuis remis au Pere de Colonia, Jesuite, d’une grande érudition, qui travaille incessamment à le donner au jour avec des Remarques. Outre la quantité des beaux Livres qui sont dans la Bibliotheque de feu Mr de Beauchamp, on y voit grand nombre de belles Estampes, & d’Instrumens de Mathematiques, en sorte que les Curieux des Pays étrangers qui passoient par Avignon ont souvent trouvé dans le cabinet de sçavant Gentilhomme, ce qu’ils n’avoient pû voir dans bien autres lieux. Aussi son nom estoit il connu de presque tout ce qu’il y a de Doctes dans les Academies de France, & d’Italie. L’illustre Mr Cassini de l’Academie Royale des Sciences, l’estimoit beaucoup, & luy écrivoit tres souvent. Les Journaux des Sçavans ont fait plusieurs fois mention de luy, & ont admiré la justesse de ses Observations Astronomiques. Le fameux Mr Flechier Evesque de Nismes, Mr l’Abbé de Charnes, Doyen de Villeneuve lez Avignon, homme d’esprit, connu par son merite & par ses Ouvrages, Mr Galet, Penitencier de Carpentras, tres versé dans la Science des Astres, le Pere Daugieres Jesuite sçavant Theologien, & tres habile Poëte Latin, & quantité d’autres Personnes illustres par leur naissance, & par leurs belles qualitez sont également entrez dans les justes sentimens de douleur que sa mort a causez à Avignon. Il estoit des Conferences Academiques qu’on a souvent tenuës sous les Vicelegats qui gouvernent cet Etat. Il avoit eu beaucoup de part aux Tables Chronologiques & Historiques qui ont paru avec honneur sous le Gouvernement de Mr Nicolini qui fut depuis Nonce en France où il est mort. Cet illustre Nonce, aussi bien que celuy d’aujourd’huy, Mr Gualterio, dont l’esprit & l’habilité sont connus de tout le monde, & qui estant Vicelegat d’Avignon tenoit aussi les mesmes Conferences, ont toûjours fait une grande estime de Mr de Beauchamp. Quoique la maladie dont il est mort ait esté longue & opiniâtre, elle ne l’a pourtant pas empesché de s’occuper toûjours à ses lectures ordinaires : & l’on peut dire que jamais personne n’a conduit plus loin l’amour de l’étude que luy.

[Ode sur les supplices des Damnez] §

Mercure galant, avril 1702 [tome 5], p. 92-98.

Voicy une piece qui convient parfaitement à la sainteté du temps où nous sommes. Les tresors du Ciel sont ouvers pour nous faire éviter les peines, dont vous trouverez la peinture dans ce Tableau de l’Enfer.

SUR LES SUPPLICES
des Damnez.
ODE.

Que voy-je ? quelle Image horrible
Frappe les yeux de mon esprit !
C’est l’Enfer, ce lieu si terrible
Que je veux tracer par écrit.
Troupe docte, troupe immortelle,
Pour en faire un Tableau fidelle,
J’ay besoin de tous vos pinceaux :
Je vais marquer chaque supplice
Que la souveraine justice,
Exerce en ce goufre de maux.
***
Quel affreux ocean de flames !
Qui peut sans fremir y songer ?
Quel abisme où ces pauvres ames
Sans fin se sentent replonger,
Quels cris, quels accens pitoyables !
Quels hûrlemens épouvantables,
Font retentir ces sombres lieux !
Je vois l’équité vengeresse
Qui pour les tourmenter ne cesse
De se presenter à leurs yeux.
***
Sa main accable ces victimes
De mille châtimens nouveaux,
Leurs péchez dans ces noirs abimes
Sont leurs témoins & leurs boureaux.
L’aigle à leurs fibres qui s’attache
Ne leur accorde aucun relâche,
Il les déchire nuit & jour,
De cruels remords agitée,
Leur conscience est Promethée
Qui sert de pâture au Vautour.
***
Ici c’est un Tantale avide,
De la soif de l’or alteré,
Dont le cœur, dont le foye avide
Est par ce Monstre devoré.
Là l’Envie au crin de vipere
Ronge de sa dent meurtriere
L’étique sein d’un Envieux.
Au haut d’une inconstante rouë
Plus loin Tisiphone se jouë
De ce Mortel ambitieux.
***
Je voy l’implacable Megere
La torche & le foüet à la main
Poursuivre un infame Adultere
Qui devant elle fuit en vain.
Ce Blasphemateur, ce Perfide,
Ce Scelerat, cet Homicide
Sont mis en sang par Alecton
Et dans ce lieu chaque coupable
Voit son Arrest irrevocable
Ecrit de la main de Pluton.
***
Ces gens qu’une lâche paresse
Tenoit au repos attachez
Ceux qui cherissent la mollesse
Sur des lits de fer sont couchez.
Ceux qui s’enivroient à plein verre
Des folles douceurs de la terre
Y boivent l’absinthe & le fiel,
Et dans ce fleuve d’amertume
La poix, la chaux, & le bitume,
Leur sont un breuvage éternel.
***
L’on voit les Voleurs, les Faussaires
Sur des échafauts étendus ;
L’on voit les Concussionaires
A d’infames gibets pendus,
Les Médisans, & les Parjures
A de rigoureuses tortures
Y sont incessamment livrez ;
Dans l’huile boüillante trempées
Leurs langues de rouges épées
Passent par les fils acerez.
***
Ces Usurpateurs des Couronnes,
Ces Rois tyrans de leurs Sujets,
Y sont élevez sur des Trônes
Dont le feu ne s’éteint jamais.
Au milieu de ce sale gouffre
Sur des Tribunaux faits de souffre
Les mauvais Juges sont assis,
Et dans ce dédale de gênes
Chacun voit mesurer ses peines
Sur les forfaits qu’il a commis.
***
La rage, l’horreur, l’épouvante,
Regnent en ce triste manoir,
L’un par une bouche écumante
Semble vomir son desespoir
L’autre par d’horribles blasphemes
Qui font trembler les enfers mêmes
Rugit en ces profonds cachots,
Là les douleurs sans cesse égales
Ne laissent aucuns intervalles
Pour faire passage au repos.
***
Il faudroit descendre en ce goufre
Pour faire au juste les portraits
Des maux que chaque pécheur soufre
Afin d’expier ses forfaits.
Que de peintures plus hideuses
Que ces images quoy qu’affreuses
A l’œil troublé viendroient s’offrir
Si dans l’Averne épouvantable
Des damnez la vuë effroyable
Pouvoit un moment se souffrir.

L’Ode que vous venez de lire, est de Mr Maugard de Troyes.

[Sonnet] §

Mercure galant, avril 1702 [tome 5], p. 135-137.

On a de la peine à renoncer à une personne dont on en a le cœur veritablement touché. L’Ouvrage qui suit fait la peinture de ce que souffre un Amant qui risque tout.

SONNET.

L’heureux jour est venu que j’ay tant souhaité,
Philis à mes dépens ne fera plus la vaine,
Ses mépris outrageux, & son humeur hautaine,
Malgré tous ses appas, m’ont mis en liberté.
***
Helas ! que nos conseils ont peu de fermeté,
Parmy les doux transports d’avoir rompu ma chaîne,
Je me sens tourmenté d’une secrette peine,
Et j’ay presque regret à ma captivité.
***
Toujours ce rare objet qui fit naistre ma flame,
Revient dans ma memoire, & se montre à mon ame,
Aussi beau qu’il estoit quand je suivois ses loix.
***
Resistons luy pourtant, gardons nôtre avantage,
Et croyons la raison qui dit qu’on n’est pas sage,
Lors que contre écuëil on se brise deux fois.

[La Troupe Solitaire à Madame de C…] §

Mercure galant, avril 1702 [tome 5], p. 137-138.

Voicy d’autres Vers qui ne vous déplairont pas.

LA TROUPE SOLITAIRE
à Madame de C***

Le Soleil a tary nos plus charmans ruisseaux
Tout se ressent icy de l’absence de Flore,
Le Zephire amoureux a quitté nos Côteaux,
On n’entend plus le doux chant des oiseaux
Et nos fleurs ne sçauroient éclorre,
Mais la perte de tant d’attraits ;
Nous touche moins, Iris, que vostre absence ;
Nous y renoncerions volontiers pour jamais,
Pour jouir de vostre presence.
Mais le Printemps Flore & les doux Zephirs.
Ne vous suivent-ils pas au gré de vos desirs ?
Revenez, belle Iris, puisqu’on vous en conjure,
Hâtez vous de rendre à ces lieux
  Leur premiere parure ;
Vous y ranimerez les fleurs & la verdure
Et nos cœurs s’en trouveront mieux.

[Madrigal] §

Mercure galant, avril 1702 [tome 5], p. 139.

Mr Tesson est Autheur du Madrigal que j’ajoute icy.

Iris, que vous a fait mon cœur
Pour le condamner au silence ?
Est-ce pour avoir trop d’ardeur
Que vous le contraignez à cacher ce qu’il pense,
Ah ! le tendre aveu de mes feux
A sans doute allarmé vôtre ame,
Et pour cacher vôtre naissante flame,
Vous le forcez à ce silence affreux.
Cessons il en est temps, Iris, de nous contraindre,
De mes feux innocens vous n’avez rien à craindre ;
Quant un Amant joint l’estime à l’amour
Doit-on craindre un tendre retour ?

Air nouveau §

Mercure galant, avril 1702 [tome 5], p. 140.

Je vous envoye des paroles mises en Air par un habile Musicien. Elles ne peuvent estre plus de saison.

AIR NOUVEAU

L’Air qui commence par, L’agreable Printemps, page 140.
L’Agreable Printemps va renaître en ces lieux.
Que d’innocens plaisirs son retour nous rameine.
Mais helas qu’il est rigoureux
De les gouter sans l’aimable Climene.
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[Traduction des vers du Pere Commire sur le choix que le Roy a fait de Monseigneur le Duc de Bourgogne pour Generalissime de ses Armées] §

Mercure galant, avril 1702 [tome 5], p. 148-150.

Lorsque Monseigneur le Duc de Bourgogne fut nommé pour aller commander l’Armée du Roy en Flandre, le Pere Commire Jesuite dont les Vers latins sont si estimez, ne manqua pas d’invoquer Apollon sur ce sujet. Je vous envoye une Traduction de ce que ce Dieu luy inspira.

L’Amitié, le devoir, la vertu vous appelle,
Un Bourbon ne sçauroit méconnoître leur voix
Allez donc meriter une gloire immortelle,
En vous soumettant à leurs loix.
Philippe est menacé ; volez à sa deffence,
Que le premier de vos exploits,
Soutienne l’honneur de la France
Et vange le sang de nos Rois.
D’un Pere, d’un Ayeul rapellez la memoire,
Pour des Rois Etrangers que ne firent-ils pas,
Aux yeux de l’Univers retracez leur Histoire,
Et devenez comme eux l’appuy des Potentats.
Mille Heros naissans déja courent aux armes,
Jamais pareille ardeur ne brilla dans leurs yeux
Le repos, disent-ils, pour nous n’a plus de charmes,
Allons, vaincre ou chercher un trépas glorieux.
Partez, que rien ne vous retienne
Puissent nos Alliez surpris
Qu’un si jeune Guerrier soit un vieux Capitaine,
Douter si c’est l’Ayeul, ou le Pere, ou le Fils.

[Recueil des bons mots des anciens & des Modernes] §

Mercure galant, avril 1702 [tome 5], p. 184-186.

Aprés que Mr de Caillieres eut fait imprimer le volume des bons mots qu’il avoit ramassez, le succés de cet Ouvrage donna lieu de croire que les Livres de cette nature seroient toûjours bien reçus, & comme à force de chercher à contenter le Public, on le rassasie de ce qu’il aime le plus, il parut plusieurs Volumes qui se suivirent de fort prés ; mais si le Public eut le plaisir d’y lire quantité de bons mots, il luy falut essuyer la lecture de plusieurs autres qui tenoient plutost leur place dans ces Volumes pour les grossir, que pour la bonté de leur sel. On en a fait un depuis peu intitulé Recuëil des bons Mots des Anciens & des Modernes, où l’on trouve aussi quelques Contes. Ce Recuëil pouvant passer pour l’élite de tout ce qui a esté mis au nombre des bons mots, doit épargner la lecture de beaucoup de Volumes à ceux qui se font un plaisir de lire tout ce qui regarde les reparties vives & spirituelles. Il y a dans ce Volume beaucoup de bons mots qui n’ont été imprimez dans aucun autre. Il se vend au Palais, chez Medard Brunet, dans la grande Salle, vis à vis la Cour des Aides à l’Esperance.

[Histoire] §

Mercure galant, avril 1702 [tome 5], p. 207-222.

La droite raison est un tresor important pour qui la peut aquerir. Non seulement elle nous fait souffrir avec patience les choses qui nous déplaisent & qui sont inévitables ; mais elle nous donne un esprit docile qui s’accommode de tout & qui nous attire des avantages considerables qui nous seroient échapez sans cette docilité. Une Demoiselle assez jolie fut mariée dans un age où elle n’estoit capable que d’envisager de beaux habits & une parure qui ébloüit la pluspart des jeunes personnes. Elle n’entroit point dans les devoirs qu’impose le Mariage & ne sentant rien pour son mari dont son cœur pust estre veritablement touché, elle pretendoit qu’il luy devoit plus de complaisance qu’elle n’en vouloit avoir pour luy & s’il s’opposoit à la moindre chose qui luy passoit par la teste, elle n’estoit point contente, comme elle estoit fort jeune, il la traitoit avec beaucoup de douceur & dans l’envie de s’en faire aimer, Il ne la contrarioit que quand ce qu’elle tâchoit d’obtenir de luy ne s’accordoit pas entierement avec ce qu’on a coutume de pratiquer, pour vivre en estime dans le monde. C’estoit cependant assez pour luy donner du chagrin, & son Pere qui l’aimoit fort tendrement luy ayant un jour demandé la cause d’une rêverie où il la trouvoit, elle luy répondit comme en confidence, qu’il l’avoit mariée trop jeune, & qu’elle ne pouvoit s’empêcher de regretter son estat de fille. Son Pere, homme remply de sagesse luy representa par de solides raisons, combien il y alloit de ses interêts de vivre bien avec son Mary, qui avoit d’ailleurs de tres belles qualitez & qui étoit en estat de faire une tres-grande fortune. Il lui fit voir dans qu’elle vie languissante ses chagrins la reduiroient si elle ne faisoit pas tous ses efforts pour vaincre l’indifference qu’il luy voyoit pour ce Mari, & qu’enfin il estoit toûjours de la prudence de faire de bonne grace ce qu’il falloit faire necessairement. Cette derniere raison frappa vivement la jeune personne. Elle avoit l’esprit solide, & persuadée qu’il y alloit de tout son repos de croire son Pere, elle profita de ses leçons, & pour plaire à son Mari, elle resolut de ne vouloir plus que ce qu’il voudroit. Un des meilleurs Amis de son Pere qui la voyoit quelquefois, la fortifia dans ces sentimens. C’estoit un homme qui avoit déja passé sa cinquantiéme année, & pour qui tous ceux qui le connoissoient avoient une veritable estime. Il estoit fort riche, d’une probité connuë, & comme le mariage lui avoit toûjours paru un obstacle à se pouvoir perfectionner dans l’étude de la Sagesse, il en avoit fuy l’engagement. La jeune personne reçut avec beaucoup de plaisir les conseils qu’il luy donna, & l’habitude qu’elle prit de n’avoir plus d’autres volontez que celles de son Mari, la porta à une tendresse pour luy, qui surprit son Pere, & la surprit elle-même. Son cœur changea à mesure que son esprit s’affermit dans la resolution de ne s’appliquer qu’à ses devoirs. Son Mari en fut touché tres sensiblement, & la trouvant fort aimable, il n’oublia rien pour lui assurer une partie des grands biens qu’il acquis en peu d’années. Leur mariage demeura sterile, & preferant sa femme à ses heritiers, il luy procura tous les avantages qu’elle pouvoit souhaiter. Ce fut la recompense du changement dont son bon esprit la rendit capable, & le fruit heureux des sages conseils de son vieil Ami, à qui son Pere qui mourut en ce temps là, recommanda fortement de la voir toûjours & de luy continuer ses avis sur sa conduite. Elle se trouva toûjours parfaitement bien de les avoir pris pour regle, & il admiroit souvent combien elle avoit l’esprit pliable pour tout ce qui pouvoit la faire atteindre à quelque degré nouveau de perfection. Aussi la nommoit-il un chef d’œuvre qu’avoit formé la raison aidé d’un cœur droit qui le seroit reproché la moindre foiblesse. L’union avec laquelle elle vécut pendant vingt cinq ans avec son Mari, fut toute charmante, & auroit duré de la même force, si une fiévre des plus violentes ne l’eust pas emporté en peu de jours. Elle le pleura, & on peut dire que cette mort luy coûta des larmes ameres. Les deux années de deüil expirées, on vint luy faire des propositions de tous costez. Elle avoit beaucoup de bien, un merite dont peu de personnes de son sexe approchoient, & si elle n’estoit pas dans une grande jeunesse, on ne pouvoit dire qu’elle fust vieille. Elle ne put voir tant de Prétendans sans en parler à son vieil Ami, qui luy demanda si elle songeoit à un second mariage. Elle répondit qu’elle avoit toujours suivi ses Conseils en toutes choses & qu’elle estoit résoluë à les suivre encore dans cette rencontre, sans quoy elle estoit déterminée à ne rien résoudre, mais qu’il lui feroit un fort grand plaisir s’il vouloit examiner les avantages qu’elle pourroit esperer avec ceux qui s’empressoient à la rechercher, non seulement du costé du bien & de la naissance ; mais aussi pour les bonnes qualitez dont elle feroit bien plus de cas que du reste. Il consentit à ce qu’elle souhaita, & s’informa avec soin de tout ceux qui luy avoient fait porter parole. Aprés un examen serieux, il luy en dit tout le bien qu’il en connut & en mesme temps ne luy cacha aucun des défauts dont ils estoient accusez. Ces défauts l’emportant sur les vertus, son cœur ne se déclara pour aucun d’eux, & de nouveaux Prétendans s’estant présentez il fit le même examen, sans qu’elle pust se résoudre à faire un choix. Six mois à peu prés s’étant passez dans ce refus general, son amy luy dit qu’il voyoit bien qu’absolument elle ne vouloit point se remarier, & qu’il ne falloit plus qu’il perdist du temps à des informations qui ne devoient aboutir à rien. Elle répondit que si elle faisoit tant de refus, ce n’estoit point qu’elle renonçast au mariage, mais qu’elle vouloit un homme à son gré, la dessus elle luy fit un détail de toutes les qualitez qu’elle souhaitoit pour prendre un second mary, & ce portrait convenoit si bien à ce vieil amy qu’il luy estoit presque impossible de ne se pas reconnoistre. Il ne put pourtant s’imaginer qu’elle fust capable de jetter les yeux sur luy, & il ne l’auroit jamais pensé, si pour le tirer de l’embarras où elle le vit elle ne luy eust enfin demandé pourquoy il ne s’estoit pas mis au nombre de ceux qui l’estimoient assez pour la vouloir épouser, le vieil Amy fort surpris, luy dit que si dans le temps qu’il estoit jeune, il avoit trouvé une personne qui eust autant de merite qu’elle, il n’auroit point balancé à se marier, mais qu’il estoit trop vieux pour oser se croire digne d’elle, & que quand il seroit vray qu’elle parlast tout de bon il la détourneroit d’un pareil dessein. La Dame luy dit que sa vieillesse ne luy faisoit nulle peine, qu’elle devoit à ses seuls conseils toute la fortune dont on la voyoit joüir, qu’elle ne pouvoit luy en marquer mieux sa reconnoissance qu’en l’épousant, & que sa probité qu’elle connoissoit, l’estime general qu’il s’estoit acquis, & le nom qu’il portoit dont elle se feroit honneur dans le monde estoient des choses qui satisfaisoient assez son cœur pour la rendre plainement contente. Ils se dirent beaucoup d’autres choses qu’il est aisé de s’imaginer. Les conditions furent arrestées de part & d’autre, & le mariage se fit peu de jours aprés.

[Jalousie à la belle Peronnoise] §

Mercure galant, avril 1702 [tome 5], p. 222-234.

Un jeune Officier d’une petite Ville de Picardie devenu malade de la Jalousie que luy donnoit une Demoiselle qu’il aimoit, fit sur le champ & dans le plus rude accés de sa fievre, les Vers qui suivent.

JALOUSIE A LA BELLE PERONNOISE.

Dans le fort d’une fiévre ardente,
Cette fievre, Philis, n’est pas mon plus grand mal,
Un autre plus affreux m’afflige & me tourmente ;
C’est le bonheur de mon rival.
***
Dans le temps que la fievre allume dans mes veines ;
Un feu qui consume mon corps,
La noire Jalousie, & ses fougueux transports
Produisent dans mon cœur de plus sensibles peines.
***
Les accés de ma fiévre enfin se ralentissent,
Mon corps a quelquefois des momens assez bons,
Mais ceux que dans mon cœur excitent mes soupçons,
Le rongent nuit & jour, & jamais ne finissent.
***
En vain par ses conseils ma prudente raison
Veut bannir de mon cœur cet horrible poison,
Ses remedes luy sont beaucoup plus inutiles,
Que ne sont à mon corps ceux de mon Medecin,
Quoy qu’il soit des plus mal-habiles
Et n’ait pour tout talens qu’un fatras de latin.
***
Rien ne t’excuse aussi, tout parle contre toy,
Tout sert à redoubler ma triste jalousie.
Perfide cœur, fragile foy,
Que n’ay-je en vous perdant, helas ! perdu la vie !
***
La mort même la plus cruelle
Est douce au prix des maux que ressent un Amant,
Quand il voit qu’à ses yeux sa Maitresse infidelle
Veut par de faux soûpirs cacher son changement.
***
A tant dissimuler qui vous a pû contraindre ?
Pourquoy me trahir ? pourquoy feindre ?
Pourquoy des beaux dehors d’un amour affecté
Couvrir vostre infidelité ?
***
Parlez, que vous a fait l’homme le plus constant
Pour user envers luy de tant de perfidie ?
Ne m’a-t-on vû vous aimer tant ?
Que pour vous voir, helas ! tout d’un coup refroidie ?
***
Puisque vous vous sentiez incapable d’aimer
Avec une égale constance,
Vous deviez me le dire, & non examiner
Par vôtre tendre complaisance,
Un mal que desormais rien ne pourra calmer
***
Quand aux vostres mes yeux exprimoient leur amour
Ah ! si vous n’aviez eu que de l’indifference.
J’aurois fait mes efforts pour en prendre à mon tour
Et j’aurois étoufé ma flame en sa naissance.
***
Aujourd’huy vieux Captif je ne puis reprimer
D’un tirannique amour la violence extrême,
Et plus je fais d’effort pour ne vous plus aimer.
Plus je sens que mon cœur vous aime.
***
Apparemment vostre dessein
Estoit de me causer mille & mille delices,
Pour me plonger aprés le poignard dans le sein,
Et par un retour inhumain
Me causer vivement mille & mille supplices
***
Pourquoy mes soins ont-ils esté soufferts
Puisque de vostre cœur je n’estois pas le Maistre ?
Falloit-il me faire connoistre
Tant d’appas attirans, tant de charmes divers,
Pour les faire à mes yeux tout d’un coup disparoistre,
Si j’ignorois ce que je pers,
La perte m’en seroit moins sensible peut-estre.
***
Mais lorsque je ne vois en vous
Qu’un amas pompeux de merveilles.
Qu’un assemblage vif & doux
D’attraits ébloüissans, de beautez sans pareilles ;
Je suis au desespoir qu’à mon heureux Rival
Vous destiniez des choses si parfaites.
Et plus je sçay ce que vous estes,
Plus je sens accroitre mon mal.
***
De la gêne où me reduisoit
D’incommodes Argus l’exacte vigilance,
Des peines qu’à mes feux chaque jour opposoit
De vostre Pere altier la fatale deffense,
Ne souffrois-je donc pas assez ?
Falloit-il par vostre inconstance
Mettre le comble à mes malheurs passez.
***
Vous de qui j’attendois le bonheur de mes jours,
Philis, vous devenez ma plus dure ennemie,
Vous qui deviez enfin couronner mes amours,
Philis, vous m’arrachez cruellement la vie.
Où sont tous ces momens quand d’un cœur transporté,
Vous me juriez, Philis, une flame sincere
Où sont tous ces aveux dont vous m’avez flatté,
Il ne vous a pas plus coûté
A les violer qu’à les faire.
***
Quelle perfidie est la vostre !
Dans le temps que vostre serment
Me dit que vous m’aimez toûjours uniquement
Vous recevez les vœux d’un autre.
***
Ne redoutes-tu point la colere du ciel ?
Il hait la perfidie, abhorre le parjure,
Quoi qu’il tarde à punir un objet criminel
Sa vengeance n’est pas moins sûre.
***
Ou si tu braves son couroux
Crains au moins un Amant furieux & jaloux
Qui se laisse entraîner où le guide sa rage
Elle me porte à me vanger
Et ne veut point que je ménage
Une perfide, une volage
Qui ne craint point de m’outrager.
***
Quoy donc, on me prendra pour dupe impunément,
La Coquette à son gré se jouëra de ma flame
Un indigne Rival fier de son changement
Triomphera des maux qui déchirent mon ame ?
Je le verray s’applaudir en tous lieux
Du rapide succés de sa chere conqueste,
Qu’il se vante qu’à peine il eut offert ses vœux,
Qu’à l’écouter l’Infidelle fut preste.
***
Cruel Amour sors de mon cœur,
Cesse de me parler en faveur d’une ingrate,
Il faut laisser éclater ma fureur
  Puisque sa perfidie éclate.
***
Perdons la … mais, qui perdre ? un adorable objet.
Et pourquoy, quoy que sans sujet,
Je m’apperçois que mon cœur s’interesse.
La rage en vain m’anime contre vous ;
Malgré tout mon dépit je sens que ma tendresse
Est plus forte que mon courroux.
***
Quoi que vous me causiez le plus cuisant martire.
Lors que je crois que je vous hais,
Vous regnez dans mon ame avecque plus d’empire
Que vous y regnastes jamais.
***
  Malgré vostre infidelité
Je conserve pour vous la flame la plus belle,
Jugez, jugez par là de ce que c’eust esté
Si vous m’aviez esté fidelle.

[Ode] §

Mercure galant, avril 1702 [tome 5], p. 282-290.

On ne peut trop écrire sur les actions glorieuses, éclatantes, & singulieres. Ainsi on ne doit pas s’étonner si la gloire que les François ont acquise à Cremone a fait faire tant de Vers. En voicy de nouveaux sur le mesme sujet. Ils sont de Mr du Puget de Berance.

ODE.

Muse, dont la voix hautaine
Jamais ne se fit oüir
Pour une loüange vaine,
Descens, vient nous réjoüir,
Dy ce que la Renommée
De nôtre valeur charmée
T'a conté de nos exploits ;
Et que l’Univers s’étonne
En voyant ce qu’à Cremone
Osa faire le François ?
***
Déja maistre de ses portes
Eugene victorieux
Faisoit ranger ses cohortes
Dans un Champ fort spacieux :
L’ardeur des Chefs & leur nombre,
La nuit, le silence, & l’ombre
Secondoient l’évenement.
Les Gardes sur la poussiere
Avoient perdu la lumiere
Sous le poignard Allemant,
***
Fameux vainqueurs de l’Aulide,
Qui pristes les murs Troyens,
Une ruse moins perfide
Vous livra leur Citoyens ?
Quel secours pourtant s’avance ?
Pour lasser la resistance,
Que d’incroyables efforts ?
Pour mon invincible Maistre
Les Dieux ont il fait renaistre
Les Sarpedons, les Hectors ?
***
Ouy, sans doute, j’y contemple
Cent glorieux deffenseurs,
Sa voix, ses yeux, son exemple
Sont gravez dans tous les cœurs.
Revel a tout donne l’ame,
Praslin dans l’eau, dans la flâme
Coupe un Pont devant leurs pas
Finmarcon soutient l’ouvrage,
Ne leur laissant pour passage
Que les eaux, ou le Trepas.
***
Là sous l’armure trompée
Ils sentent percer leur flanc,
Icy de cent coups d’Epée
L’Irlandois vange son sang,
D’autres tombent dans les vagues,
Redoutant Presle, d’Entragues,
Tous Chefs avec Mahony,
Que quelque blessure honore,
Et qui disputent encore
La Victoire de Carpy.
***
Douze legions insignes
Semant la mort & l’effroy
De nos Vers se rendent dignes ;
Mais plus encor de mon Roy.
Assaillantes, furieuses,
Et par tout victorieuses
Toutes vont braver la mort ;
Et plein d’une noble envie
Aucun ne regle sa vie
Que suivant le commun sort
***
Quoy que sans Chefs & sans guides
On les a vus s’attrouper,
Et sur ces Geants timides
Ils ne cessent de frapper.
Chaque guerrier se signale.
Et l’Aurore matinale
Pour avoit trop attendu,
A s’ennyvrer de Carnage,
Les voit fuir avec outrage
Du fort le mieux deffendu.
***
Eugene, les yeux humides,
Rapelle en vain leurs Exploits ;
De tant de Chefs intrepides
Aucun n’écoute sa voix.
Au torrent luy même il cede,
La douleur qui le possede
Détourne encore ses regards,
Sur cette Ville ennemie,
Où la fuite & l’infamie
Sont le prix de ses hazards.
***
Placez vous sur le Porphyre,
Mes Vers ; dans si peu de mots
Vous n’avez pas pû décrire,
Les faits de tant de Heros ?
Mais dites de quelle gloire,
Louis paya leur victoire,
Qu’ils sont tous ses nourrissons ;
Jamais l’Ecole vaillante
Du Monarque que je chante,
Ne déroge à ses leçons.
***
Et Toy, dont l’ame attendrie,
Prise la noble fureur
De ceux qui pour leur Patrie
Vont à la mort sans terreur,
Quel auguste témoignage
Ne rens-tu de leur courage ?
Mais quel autre Roy si bon,
Sous l’un & sous l’autre Pole,
Merite mieux qu’on s’immole
Pour la gloire de son Nom.
***
Pour moy, l’ame encore saisie
De les oüir tous vanter,
Une noble jalousie,
M’excite à les imiter,
Et quoy que tout mon partage
Soit le sterile avantage
De quelques sons imparfaits,
Que Mars m’ouvre la Carriere,
Et de mon ardeur guerriere
Mon Roy verra les effets.

[Romance] §

Mercure galant, avril 1702 [tome 5], p. 293-301.

Les Vers qui suivent sont de Mademoiselle Lheritier.

ROMANCE
Sur l’Air de Jean de Vert.
A MADAME DE P***

Puisque mon indolent repos
Chez vous n’a point d’excuse
Je vais sans chercher de grands mots
Faire parler ma Muse
Mais ne comparez pas ses chants
A ceux qui se formoient du temps
De Jean de Vert, de Jean de Vert…
***
Ce temps fecond en beaux esprits
Eut cent doctes merveilles.
On y vit les fameux écrits
Des Racans, des Corneilles,
Il estoit peu de vers méchants
Mais nous ne sommes plus au temps
De Jean de Vert, de Jean de Vert.
***
Aussi les Muses à la Cour
Alors toujours cheries,
Avoient banni de ce sejour
Tant de minauderies,
Jeux d’esprits, plaisirs innocens
Faisoient ses delices au temps
De Jean de Vert, de Jean de Vert…
***
Mais aujourd’huy l’on ne croit pas
Que l’on y puisse plaire
Aimant les plaisirs délicats
Et la vertu sincere.
On croit que garder ses serments
C’est vivre en Palatin du temps
De Jean de Vert, de Jean de Vert…
***
A peine les jeunes Blondins
Cherchent à plaire aux Belles.
On les traiteroit de badins
De soupirer pour elles
Tendres ardeurs, beaux sentimens
Passent pour des ragousts du temps
De Jean de vert, de Jean de Vert…
***
Il n’est plus mesme aucun Heros,
Qui se fasse une affaire
De duper par fourbes propos
La Nymphe & la Bergere.
Tels qu’on voit braves & vaillans
En amour se moquent du temps
De Jean de Vert, de Jean de Vert…
***
Le grand exemple de Louis
Leur fait chercher la gloire
Mais dès qu’ils n’ont plus d’Ennemis,
Ils ne sçavent que boire.
Et tous leurs divertissemens
Sont tels que ceux des Allemans
De Jean de vert, de Jean de Vert…
***
Nous voyons d’un autre costé
Que la pluspart des Dames
N’ont plus cette Noble fierté
Qui doit regler leurs ames.
Pourvû qu’on fasse un tas d’Amans
Ont rit des maximes du temps
De Jean de Vert, de Jean de Vert…
***
Enfin il n’est presentement
Personne qui se pique
De ressentir sincerement
La tendresse heroïque.
Le pauvre amour tout consterné
Regrette le temps fortuné
De Jean de Vert, de Jean de Vert…
***
Cessez dont de me reprocher
Ma froide indifference
Non, je ne veux point m’arracher
D’une heureuse indolence
Et ne veux pour amusemens
Que ceux qu’on cherissoit du temps
De Jean de Vert, de Jean de Vert…
***
A present â vous parler net
Fort peu sçavent me plaire.
Ni Bassette ni Lansquenet
Ne sont pas mon affaire.
Connoissoit-on ces maudits jeux
Au temps loyal, au temps heureux,
De Jean de Vert, de Jean de Vert…
***
A se barboüiller de Tabac
Trouvoit-on de la gloire,
Se piquoit-on d’un estomac
Qui fut si propre à boire.
Certaines Dames de ce temps
L’emportent pour ces beaux talens
Sur Jean de vert, sur Jean de Vert…
***
Telles Bacchantes ont banni
L’aimable politesse
Le bon goût paroist endormi
Et la délicatesse
Ah qu’on voit peu d’hommes galans :
Excepté ceux qui sont du temps
De Jean de Vert, de Jean de Vert…
***
Dans les Cercles les mieux choisis
Fort peu je vous assure
Imitent par leurs tours polis
Sarrasin ou Voiture.
Je quitterois tous les vivans
Pour tels défunts l’honneur du temps
De Jean de vert, de Jean de Vert…
***
Comme l’on se retire loin
De la galanterie
On suit en sa place avec soin
La polissonnerie
On dit des bons mots plus grossiers
Que les Goujats des Officiers
De Jean de Vert, de Jean de Vert…
***
Belles, dont l’esprit gracieux.
Vous fait rester polies,
Tachez de délivrer ces lieux
De telles barbaries
Pour rappeller les airs galans
Soyez severes comme au temps
De Jean de Vert, de Jean de Vert…
***
Pour petits-Maistres & Blondins
Soyez noblement fieres.
Ayez de modestes dédains
Ainsi qu’eurent nos meres.
Aimez l’esprit & les beaux arts
N’imitez point les airs hagars
De Jean de Vert, de Jean de Vert…
***
Pour vous, à qui j’écris ces vers,
Admirable Artenice,
Le Ciel vous fit cent dons divers
A qui l’on rend justice
Vos actions, vos sentimens
Ont la pure vertu du temps
De Jean de Vert, de Jean de Vert…
***
Afin de vous entretenir
J’ay reveillé ma Muse.
Mais je sens qu’elle veut finir
Sa musique est confuse
Elle rentre dans son sommeil
Regrettant le temps sans pareil,
De Jean de Vert de Jean de Vert…

[Stations du Roy & de toute la Famille Royale pour gagner le Jubilé faites à Paris] §

Mercure galant, avril 1702 [tome 5], p. 360-367.

Je ne vous dis point avec combien d’ardeur & de pieté chacun tâche icy à gagner le Jubilé. Quand les François auroient moins d’empressement à remplir tous les devoirs de leur Religion, l’exemple du Roy est si édifiant, qu’il seroit capable d’animer les plus tiedes. Ce Prince est venu trois fois à Paris où il a fait des Stations à pied d’une maniere si pieuse, & si modeste qu’elle devoit le faire paroistre aussi grand aux yeux des Anges qu’il l’est à ceux des hommes. Il avoit choisi des lieux écartez pour éviter d’entendre les acclamations & les loüanges des Peuples, qui n’ont pas laissé de tâcher de deviner où ce Monarque avoit resolu d’aller, afin de le voir pendant quelques momens, & de jouïr par là du plus grand plaisir qu’ils puissent avoir. Ce Prince dont on doit admirer toutes les vûes, & qui ne fait rien sans reflexion avoit choisi pour ses Stations les lieux qui avoient le plus de besoin des grandes Aumônes qu’il avoit dessein de faire. Ainsi vous jugez bien qu’il a visité plusieurs Hôpitaux. Le jour qu’il se rendit à l’Eglise des Invalides, Sa Majesté voulut bien aller dans l’Hôtel visiter toutes les Manufactures que l’on y a établies par les ordres de Mr de Chamillart, Ministre & Secretaire d’Etat, & par les soins de Mr de Monthiers Commissaire de cet Hôtel, pour occuper avec fruit les Soldats qui y sont retirez, & dont la plûpart ont appris quelque Métier. Ce fut alors que ces pauvres Soldats touchez des bontez du Roy & de l’honneur dont Sa Majesté les combloit, se jetterent à ses pieds pour luy presenter ce remerciment, qu’Elle receut avec son humanité & ses marques de bonté ordinaires.

AU ROY.

SIRE,

Les Officiers & Soldats de Vôtre Hôtel Royal des Invalides se jettent aux pieds de Vôtre Majesté pour luy rendre leurs tres humbles actions de graces de la permission qu’elle a eu la bonté de leur accorder de faire chanter en musique dans l’Eglise des Peres Theatins une Messe solemnelle pour la pretieuse conservation de Vôtre Majesté & pour la prosperité de vos armes toujours victorieuses. Ils sont si touchez des bons traitemens que Mr de Chamillart leur fait faire dans l’Hôtel par les Ordres de Vôtre Majesté & par les soins du Sieur de Monthiers leur Commissaire, homme d’une vigilance & d’une conduite dont ils ne sçauroient trop se loüer ; qu’ils protestent hautement qu’ils voudroient pouvoir encore verser jusqu’à la derniere goutte de leur sang pour le service de Vôtre Majesté & qu’il ne laisseront passer aucun jour d’une vie que vous leur rendez si heureuse, sans prier le Seigneur de combler Vôtre Majesté de graces & de prosperitez.

Monseigneur le Dauphin est aussi venu faire son Jubilé à Paris, & toute la Maison Royale à choisi des jours differens, parce que la foule d’une grosse Cour incommode & tient trop de la pompe dans un temps où l’on doit avoir un esprit recueilly & où les Grands doivent édifier par leur modestie. Celle de Monseigneur le Dauphin fut admirée. Je ne vous en dis rien, parce que je ne pourrois assez dire d’un Prince si accomply, & dont l’Eloge est tous les jours dans la bouche des Peuples.

Madame la Duchesse de Bourgogne estant aussi venuë à Paris, l’empressement a esté grand pour la voir, mais tout ce grand concours & toutes les loüanges qu’elle a entenduës ne luy ont pas causé un moment de distraction. Elle a soutenu le caractere de grande Princesse, & de veritable Chrétienne avec une sage modestie, & fait paroistre ce qu’elle estoit en faisant par qu’elle cherchoit à l’oublier. Enfin ses manieres ont paru grandes, chrétiennes & charmantes, & ceux qui ont eu l’honneur de la voir en faisant ses Stations en ont esté édifiez.

Enigme §

Mercure galant, avril 1702 [tome 5], p. 370-378.

Le mot de l’Enigme du mois passe, estoit les Boucles d’Oreille, & il a esté trouvé par le Marquis de Cotentin : Bereau, hôte du Chesneverd à la Rochelle : Daniel le Chin, Procureur Fiscal à Eglegny, proche d’Auxerre, & le meilleur de ses amis le sieur Trebuchet : Siret de la ruë des Noyers, & la belle Cabaretiere de la ruë S. Severin : François Holbach, chez Mr Reghat, Marchand Perruquier, ruë des Marmouzets, & la grande Doris : Barbet & la Brebion, sa femme, Simon François de Préel de la ruë S. Julien des Menestriers & Maistre Jean l’Aîné de la ruë Portefoin au Marais : Demonthiers, Lieutenant general de Pontoise, & Commissaire de l’Hôtel Royal des Invalides : Bardet & son ami du Plessis du Mans Cristalin : Langlois du coin de la ruë du plaisir à Versailles : de Woolhouse, Oculiste Anglois, au service du Roy d’Angleterre à S. Germain en Laye : Tamiriste, son épouse, son fils & sa fille Angelique : le plus grand des trois freres de la ruë Bourtibour, le beau Bequier & sa petite nouvelle épouse : le beau Jumeau du Pays de Caux : l’Absent malheureux de l’aimable Cathos C. du quartier de la Guierche de Tours : tous les Amans des Demoiselles Gantier & Soreau de la ruë de la Harpe : les maris absens de la même ruë, & l’Aimable Bois David : les affairez & la belle Image du Quay des Augustins : le plus heureux, de tous les Amans : le Vent du mois de Février de la ruë des petits souliers : l’Ancien Sacristain de Belleville sur Sablons : le petit Gaillard nouvelliste de Versailles & sa commere la petite Margot : le Chevalier de la dent fine du quartier du Palais Royal : le beau de Laistre de la gallerie des prisonniers du Palais : les deux Rivaux de l’incomparable Blonde de la ruë Neuve S. Eustache, & la charmante Brune de la ruë de Grenelle : l’Aimable Mary de la ruë des Bernardins : le Poulet-Pouichonel du Quay de la Tournelle, & l’Infante aux blanches mains de S. Nicolas du Chardonnet : les deux Amans separez à la Devize se rejoindre ou mourir : le Cruel : Levêque de Villepreux : l’Inconnu du Parvis Nôtre Dame, & sa chere Angelique du Marais : l’Ecuyer futur, & l’Orphelin fortuné son confrere : les Clercs de Mr Bilan Notaire du quartier de l’ancienne Poste : les Lorgneurs de la ruë Montorguëil, vis-à-vis celle de Tireboudin : l’Antagoniste des Avares du Quay des Augustins : le futur Magistrat de Thiers en Auvergne du mesme quartier : le Docteur Femelle de l’Hôtel des Coquilles : le petit bon-homme de la ruë de l’Arbresec, & le Compere dont on ne dit rien, pour en avoir trop à dire : Mademoiselle Javote, jeune Muse du coin de la ruë de Richelieu : Mademoiselle du Moustier la fille de l’Arsenal : Capitaine du bas de la ruë de la Harpe : de B. & Madame D.B. de la ruë Monconseil : le Prophete Daniel C. & ses deux Confreres de la ruë de la Truanderie : l’Aimable Janeton de la ruë Dauphine : la jeune Babet de Lorme de Versailles : l’Aimable Demoiselle du Vignot, & son cher mary : la Jeune Nimphe Italique : la plus aimable Dame de la ruë de la Colombe : les cinq désolées de la reception de Madame Moreau, du quartier S. André des Arts : la Reine des Femmes de la ruë neuve sainte Genevieve : les Beaux yeux noirs, & la Princesse mignonete de la ruë des Postes.

Je vous envoye à mon ordinaire une Enigme nouvelle. Elle vient de fort bon lieu.

ENIGME.

J’ay certains beaux jours dans l’Année,
Dont tout le monde fait estat,
Et mon illustre destinée
Est d’y paroistre avec éclat.
***
Je suis un temps dans le silence,
Pour ne pas dire dans l’oubli,
Mais quelle est ma magnificence,
Quand ce triste temps est fini.
***
Avec moy tout se renouvelle,
Tout reprend un air de gayté,
Et ma voix alors est si belle,
Qu’un chacun en est enchanté.
***
Il n’est Devots, Prestre ni Moine,
Qui ne brûlent de m’écouter,
Et le plus austere Chanoine
Se plait à m’entendre chanter.

Air nouveau §

Mercure galant, avril 1702 [tome 5], p. 378-379.

Je vous envoye un Air nouveau de la composition de la jeune Mademoiselle Bataille. Les paroles sont de Tamiriste.

AIR NOUVEAU.

L’Air qui commence par, Je ne vous suivray point, page 378.
Je ne vous suivray point redoutables guerriers
Qui cherchez les faveurs de la fiere Bellonne.
Le Pampre desormais me tient lieu de Lauriers
Et je vous dis adieu du moins jusqu’à l’Autone,
Allez je vous laisse courir
Pour empourprer de sang une étrangere terre
Et je ne veux faire rougir
Que les bords de mon verre.
images/1702-04_378.JPG

[Second article des morts] §

Mercure galant, avril 1702 [tome 5], p. 379-391.

Voicy les noms de quelques personnes distinguées mortes depuis ma derniere Lettre.

Messire Claude Carpelain, Prestre, Docteur & Doyen de la Faculté de Theologie à Paris, Senieur de la Maison & Societé de Sorbonne, Conseiller du Roy & Professeur en Langue Hebraïque.

Dame Marie-Magdeleine-Geneviéve Louise de Seigliere de Boisfranc, épouse de Messire Bernard François Potier, Marquis de Gesvres, premier Gentilhomme de la Chambre du Roy. Elle n’estoit âgée que de trente-huit ans. Tous ceux qui la connoissoient demeurent d’accord qu’elle avoit tout l’agrément & tout le merite imaginable, & une tres grande modestie, jointe à des manieres toutes engageantes qui l’ont toûjours fait juger digne du haut rang où elle estoit destinée. Mr de Boisfranc son pere a esté Sur-Intendant & Chancelier de la Maison de feu S.A.R. Monsieur. Il est proche parent de feu Mr de Bertillac, Garde du Tresor Royal.

Messire Augustin Nicolas Cagnyé, Aumônier du Roy. Il estoit Abbé Commandataire des Abbayes Royales de Saint Satur, & de Notre-Dame de Lorroy.

Messire Camille Bagliani, Marquis de Lumes, Gentilhomme de la Chambre de Son Altesse Serenissime Monsieur le Duc de Mantoüe, Ministre d’Etat, & son Envoyé Extraordinaire auprés du Roy. Il estoit fort estimé en cette Cour, où il avoit servi fidellement pendant un fort grand nombre d’années avec toute la dignité que son caractere demandoit, & avec un applaudissement general. Monsieur le Duc de Mantoüe son Maistre en estoit fort satisfait. Il est allé rendre un grand compte à Dieu dans le temps qu’il se preparoit à partir pour Mantouë, afin de l’y rendre des affaires que ce Prince luy avoit commises.

Dame Gabrielle de Solages. Elle estoit veuve de Messire Charles de Montsaulnin, Comte du Montal, Chevalier des Ordres du Roy, Lieutenant General de ses Armées, Gouverneur de Montroyal.

Dame Louise de Petau, épouse de Messire Albert du Quesnel, Marquis de Coupigni.

Messire Charles le Gendre, Sieur de Saint Aubin, & autres lieux, Conseiller du Roy en son Grand Conseil. Il avoit beaucoup de merite, & est mort âgé seulement de trente cinq ans, aussi regreté qu’il estoit estimé.

Dame Magdeleine Petau, veuve de Messire René Hinselin, Seigneur de Hautecourt, dont je vous appris la mort dans ma Lettre du mois de May 1700. & auparavant veuve de Messire Charles Briçonnet, Sieur de Glatigni, President à Mortier au Parlement de Metz. Elle estoit fille de Mr Petau, mort Conseiller de la Grand’Chambre, & de Dame Madeleine Broé, & sœur de Mr Petau Conseiller au Parlement & Commissaire aux Requestes du Palais.

Mr Charpentier, âgé de quatre vingt quatre ans, Avocat au Parlement, Doyen de l’Academie Françoise où il avoit été receu en 1651. Il étoit aussi de l’Academie des Inscriptions & des Medailles. C’estoit un homme d’une profonde érudition, & on ne pouvoit l’entendre parler sur une matiere un peu importante sans en estre convaincu. Il a donné au Public la Traduction de la Cyropedie de Xenophon, & a traduit tous les autres Ouvrages de ce mesme Auteur, qu’il faut esperer que ses heritiers feront imprimer. On le pressoit depuis longtemps d’en vouloir prendre luy mesme le soin. Nous avons encore de luy trois Volumes de l’excellence de la Langue Françoise. Il a nommé une fille Executrice de son Testament, ce qui paroist extraordinaire, mais les choses extraordinaires conviennent à une Fille d’un aussi grand mérite que celle qu’il a choisie pour faire executer ses dernieres volontez, & vous en tomberez d’accord quand vous sçaurez que c’est Mademoiselle des Houlieres. Jamais homme n’a rempli les devoirs d’Academicien plus exactement, ni plus longtemps. Par la mort de Mr Charpentier, Mr le Duc de Coislin est devenu Doyen de l’Academie Françoise & Mr le Cardinal d’Estrées Sous-Doyen.

On a eu avis d’Italie que Mr le Comte de Clermont y est mort de la blessure qu’il receut le 22. du mois passé en faisant pour la premiere fois la fonction de Maréchal des Camps & Armées du Roy, ayant esté nommé cette année parmi ceux qui ont esté honorez de cet employ. Il avoit épousé la fille de Mr le Marquis de Saint Hilaire, Lieutenant General de l’Artillerie qui eut le bras emporté d’un coup de canon le jour que Mr le Maréchal de Turenne fut tué. Les enfans qu’il laisse doivent estre braves estant d’un Sang qui inspire la valeur, soit qu’on regarde Mr de Clermont ou Mr de Saint Hilaire.

Messire Jean de Turmenies, Seigneur de Nointel, Presles, Boves, Mours, Seneville, Nerville, & autres lieux, Conseiller d’Etat, Garde du Tresor Royal, cy-devant Tresorier general de l’Extraordinaire des Guerres, Receveur general des Finances de Picardie, Commandeur & Tresorier general de l’Ordre de Notre Dame du Mont Carmel & de Saint Lazare de Jerusalem, Receveur general de l’Hôtel Royal des Invalides, est mort aprés une longue maladie dans des sentimens de pieté & de religion, dont tous ceux qui en ont esté témoins ont été édifiez. Jamais homme n’avoit eu plus de vivacité. Il en avoit cependant fait un sacrifice si parfait au Seigneur, qu’au milieu de tous les maux qu’il a ressenti, il ne luy est échapé de plaintes que celles que la nature humaine ne put pas s’empêcher de former. Je ne vous dis rien de sa vie, vous en ayant parlé plus d’une fois, & les differents emplois qu’il a eus marquant assez en quelle consideration il estoit dans le monde. Il laisse plusieurs enfans. Mr de Nointel son aîné qui est Maistre des Requestes, & qui vient d’exercer l’Intendance de Moulins avec un applaudissement universel luy succede dans sa Charge de Garde du Tresor Royal, le Roy qui luy en avoit accordé l’agrément avant qu’il allast en Intendance, vient encore de luy accorder des Lettres de Veterance pour sa Charge de Maître des Requestes, avec une distinction qui marque assez combien Sa Majesté est contente des services du pere & du fils.

[Chanson sur ce départ, sur l’Air d’Aimbable Vainqueur] §

Mercure galant, avril 1702 [tome 5], p. 397-398.

La Chanson qui suit & qui a esté faite sur le départ du Roy d’Espagne pour l’Italie, est de Mr Simart de Sezane. Cette Chanson est sur l’air d’Aimable Vainqueur.

Aimable Heros
Si d’un doux repos
Le sort te separe,
Il te prépare
De nobles travaux.
Joins à tes charmes
L’effort de tes Armes
Contre tes Rivaux.
D’un Prince jaloux
L’impuissante envie,
Porte à l’Italie
D’inutiles coups.
De cent Combats,
Dans tout ces climats,
Remplis ton Histoire.
Par tout la Victoire
Guidera tes pas.
De tes beaux jours
Qu’amour & la gloire
Partagent le cours.