1702

Mercure galant, novembre 1702 [tome 15].

2017
Source : Mercure galant, novembre 1702 [tome 15].
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Mercure galant, novembre 1702 [tome 15]. §

[Description des Grotes & des Cavernes qui sont aux environs de la Ville de Toulouse] §

Mercure galant, novembre 1702 [tome 15], p. 9-15.

DESCRIPTION DES GROTES OU CAVERNES
Qui sont aux environs de la Ville de Toulouse.
À MONSIEUR DE **
Controlleur des Bâtimens du Roy.

MONSIEUR,

Vous m’avez prié de vous donner quelque éclaircissement sur les Grottes ou Cavernes que l’on voit aux environs de la Ville de Toulouse. Je vais vous dire tout ce que j’en sçay, & ce que j’ay vû de mes propres yeux ; mais avant que de vous parler de ces Grotes, j’ay crû qu’il seroit à propos de vous apprendre le lieu où elles sont, & de vous dire même quelque chose de la situation de cet endroit. Vous allez apprendre l’un & l’autre en peu de mots.

Poubourville est le nom de l’endroit où l’on voit ces Cavernes. C’est un petit Village éloigné de Toulouse d’une demie lieuë. En allant de cette Ville à celle de Castelnaudary, on le découvre sur la droite, à une petite portée de Mousquet du chemin Royal ; il est situé sur une hauteur, entre le Village de Pibusque & celuy de Saint Agne, qui est le premier Village que l’on trouve & que l’on traverse lorsqu’on va de Toulouse à Castelnaudary ; tels sont les tenans & les aboutissans de cet endroit ; telle est sa situation naturelle, & je ne sçaurois mieux vous la marquer. Son terroir est fertile, & les vignes qui couvrent tout ce Côteau font le plus grand agréement de cette petite contrée.

Mr de la Forge qui a du bien dans cet endroit, est l’Auteur des Cavernes dont on parle. C’est un homme d’un fort bon esprit & tres entendu dans la Mecanique. Sa Maison de Campagne est située dans le territoire de Poubourville, sur une hauteur, où il a quelques Terres & des Vignes.

C’est au dessous de ses Vignes precisement qu’il a fait ces Cavernes ; c’est un travail aussi admirable qu’il est surprenant & extraordinaire. On y entre d’abord par une espece d’allée qu’il a creusé dans la montagne ; cette allée est assez longue & en forme de voute (le tout naturellement) c’est à dire qu’elle n’a ni pierre, ni brique, ni bois pour appuy, & qu’elle se soûtient par elle même, ainsi que tout le reste de son travail. Ce n’est proprement qu’une voute de terre semblable à peu prés à la voute qu’on a fait sur le Canal Royal, en perçant la montagne noire qui sembloit estre un obstacle invincible au dessein du fameux Mr de 1 Riquet ; mais cet obstacle ne servit qu’à faire éclater le genie de ce grand homme : ce qu’il fit dans cette occasion, surprit tous ceux qui en furent les témoins, & fait encore aujourd’huy l’admiration & la surprise de tous les Voyageurs qui passent dans cet endroit. Ils regardent ce travail comme un prodige du siecle passé, qui doit faire cherir & respecter la memoire de son Auteur, à la posterité la plus reculée ; mais parce qu’il est tres peu de gens de ce païs cy qui ayent veu ce travail, & qui par consequent soient capables de le bien concevoir ; je veux en dire ici deux mots pour la satisfaction des Curieux. Tout le monde le comprendra aisement par la petite digression que je vais faire, & ceux même qui n’ont point veu la Montagne noire, & qui ne la verront peut estre jamais, ne laisseront pas de pouvoir juger de ce travail aussi solidement que ceux qui sont sur les lieux.

La Montagne noire est située entre la Ville de Carcassone & celle de Beziers ; mais plus prés de la derniere que de la premiere. Elle est appellée noire à cause de la grande obscurité qu’il y a dans la voute qu’on y a faite sur le Canal Royal. Mr de Riquet Entrepreneur de ce fameux Canal que le Roy a fait faire pour la jonction des deux Mers, & qui est de l’étenduë de soixante lieuës, fut fort surpris aprés avoir conduit son ouvrage depuis Toulouse jusqu’à cette Montagne. Il estoit fort difficile de trouver le niveau dans cet endroit pour la conduite des eaux, & tout le monde crut que ce fameux Entrepreneur seroit obligé d’abandonner son dessein. Il y eut même plusieurs de ses Envieux qui firent des Chansons pour se mocquer de son entreprise, dont l’execution leur paroissoit impossible ; mais toutes ces turlupinades qui d’abord avoient fait quelque impression sur les esprits, tournerent dans la suite à l’avantage de l’incomparable Mr de Riquet. Frapé de l’obstacle qui menaçoit sa gloire, & dont il penetroit mieux la difficulté que tout autre, il trouva dans le fond de ses reflexions un secret admirable pour le surmonter. Pour y réüssir, il se mit en teste qu’il falloit percer la montagne, & faire passer son Canal par dessous. On a beau croire sa tentative inutile. Tout le monde en parle, tout le monde en rit, mais il laisse parler : il laisse rire, & il agit. L’Equierre & le Compas à la main, il prend les dimentions necessaires & les mesures les plus justes pour faire réüssir son dessein. Il trace un Plan pour la continuation de son Canal au pied de la montagne, & la fait percer dans l’endroit où il avoit marqué. Quoy que cette montagne soit assez haute qu’elle soit trois fois plus longue que le Pont Neuf de Paris, la chose fut executée comme il avoit projetté, & dans moins de temps qu’il ne l’esperoit ; il eut non seulement le plaisir de voir couler les eaux de son Canal sous cette vaste & longue voute de terre qu’on avoit fait à la montagne par ses ordres, il eut encore la satisfaction de la traverser luy mesme dans sa Barque de Poste qui y passe encore tous les jours, traînée par des Chevaux qui passent aussi sous la mesme voute, sur une terrasse qu’on y a ménagée d’un costé.

Quoy que le travail que Mr de la Forge a fait à Poubourville ne puisse estre mis en parallele avec celuy dont nous venons de parler que Mr de Riquet ne conçut que par raport à l’utilité publique, j’ose dire qu’il n’est ni moins surprenant, ni moins admirable, quoy qu’il ne soit que le fruit des recreations ingenieuses d’un particulier, qui n’eut pour but en le faisant, que le seul plaisir qu’il prenoit à le faire, joint à celuy qu’il se proposoit de donner à ses amis en regalant leur curiosité d’un spectacle nouveau, quand ils luy feroient l’honneur de le venir voir dans sa Maison de Campagne.

Voila tout ce que j’avois à vous dire, Monsieur, sur l’origine des Cavernes de Poubourville. Vous allez voir presentement comme ce projet a esté executé. Je vous ay dit qu’on entroit dans ces lieux soûterrains par une espece d’allée en forme de voûte ; elle conduit dans des enfilades à droit & à gauche ; & dans ces enfilades on voit de distance en distance de grandes voutes de terre, qu’on appelle Grotes ou Cavernes, elles y sont en si grand nombre, qu’on dit que deux ou trois cens hommes pourroient s’y cacher aisement dans un besoin.

Au milieu de ces Cavernes, il y en a une qui est plus vaste que les autres, où Mr la Forge fait ordinairement son Vin. Quand j’y fus introduit, j’y vis une vingtaine de tonneaux rangez de côté & d’autre, & dans le fond de la Caverne il y avoit une cuve propre à cuver dix à douze muids de Vin à la fois. Je vous avouë que cela me surprit.

À costé de la Caverne dont je viens de vous parler, il y en a une autre qui n’est gueres moins grande, où il y a une Chapelle consacrée à la Nativité. On y voit la Naissance du Fils de Dieu merveilleusement bien representée. Rien n’est plus agreable que la maniere naturelle dont on a representé le Sauveur dans la Créche : Il a la Sainte Vierge d’un costé, & Saint Joseph de l’autre, & allentour de son Berceau on voit une vingtaine de Personnages de stature d’hommes, qui representent les Bergers qui rendent leurs hommages au Fils de Dieu. Toutes ces figures sont de terre. C’est Mr la Forge qui les a formées luy mesme, & qui leur a donné les couleurs les plus naturelles.

Dans un autre Caverne on voit les quatre Saisons representées, & chacune avec sa suite. L’Hiver y paroist en bonnet fourré & en robbe de chambre ; il est environné d’une foule de frilleux courtisans, qui sont rangez autour d’un grand foyer, & dont les uns s’occupent à joüer, les autres à fumer, les autres à boire, les autres à tirer les marrons du feu, & quelques uns à faire cuire la grillade. Le Printemps paroist de l’autre costé de la Caverne ; il est revestu d’une longue robe verte semée de fleurs de toute espece & de toute sorte de couleur : il paroist n’estre occupe que des plaisirs de Flore dont il est enchanté. La Déesse y fait éclater ses charmes, couchée nonchalament sur un lit de roses, d’où elle regarde en soûriant une troupe de Bergers & de Bergeres, couronnez de fleurs, & qui se tenant tous par la main dansent au tour d’elle pour la divertir. La Déesse Cerés y paroist aussi & n’est pas moins brillante : elle repose sur un tas de gerbes dont les épics sont dorez ; & l’Esté ne paroist pas avoir moins de complaisance pour elle que le Printemps en a pour Flore. On l’y voit couronné d’épics & revestu d’une robe longue & legere ; mais plus blanche que la neige ; il est à la teste d’une bande de Moissonneurs qui travaillent tous à remplir les devoirs qu’il leur impose, les uns s’occupent à couper les bleds, les autres à les depicquer, les autres à les vanner, & les autres à les transporter dans les magazins de leur Déesse, qui tressaillit de joye, à la vûë des immenses tresors dont elle veut combler les mortels. L’Automne aussi se fait remarquer à son tour dans la mesme Caverne : il y paroist au milieu d’une troupe de Vendangeurs ; il est revestu d’une robe de pourpre, & couronné de feüilles de vigne. Dés que je l’aperceus, je demanday à Mr Laforge, si ce n’estoit pas le Dieu Bacchus ; il me repondit que ce n’estoit pas luy ; mais que c’estoit son meilleur amy, & me fit signe d’entrer dans la Caverne la plus prochaine, en me disant que c’estoit-là, où je verrois le portrait du Dieu que je venois de nommer : il aioûta qu’il aimoit trop les plaisirs & la gloire de Bacchus, pour ne pas luy avoir ménagé un apartement en particulier dans cet endroit.

J’entray donc dans cette autre Caverne qu’il venoit de m’indiquer, où je vis quantité de tonneaux de chaque costé, & au dessus de ces tonneaux, au tour de la Caverne, il y a une planche ou l’on voit une infinité de verres & de bouteilles de toute sorte de façon. Mr Laforge appelle cela le buffet de Bacchus. C’est au milieu de cette Caverne, que je vis en effet la veritable figure du Dieu de la vendange : il estoit à califorchon sur le bout d’un grandissime tonneau qui luy sert de trône. Il est representé de la maniere que la fable nous le dépeint, couronné de pampres & de raisins, il tient d’une main un verre fort grand, & semble faire signe de l’autre à tous ceux qui se presentent. On diroit à le voir qu’il les invite à s’approcher du tonneau où il est, & qu’il veut leur faire entendre en mettant son doigt sur ce tonneau, que c’est la meilleure piece de toute la cave.

Mr Laforge s’est proposé des nouveaux desseins pour embellir les autres Cavernes, & pour récréer les spectateurs ; je ne sçay si son ouvrage est achevé : car il avoit resolu de donner plus d’étenduë à son projet. J’oubliois de vous dire ce qui me parut plus surprenant : le voicy ; c’est que pour éclairer le milieu des Cavernes, Mr Laforge a trouvé le secret de percer le haut de la montagne ; & comme il falloit travailler à cette ouverture par dedans, pour ménager le terrain, & pour conduire son travail avec plus de seureté ; il s’avisa de faire un degré de terre, qu’il formoit à mesure qu’il sapoit au dessous ; lequel degré fut si bien ménagé, qu’il le conduisit insensiblement jusqu’au sommet de la montagne, où il fit une ouverture assez grande pour donner jour aux Cavernes les plus reculées. Cette ouverture par rapport à son invention & à son usage peut estre comparée à un dome, dont le propre comme vous sçavez, est de donner du iour par le haut d’une maison ou d’une Eglise.

Voilà, Monsieur, ce que j’avois à vous dire, sur un travail qu’on ne sçauroit trop admirer, que je ne puis bien vous décrire. Au reste, en creusant dans ces lieux soûterrains, on trouva des ossemens ; ce qui surprit fort Mr Laforge, qui ne conçoit pas comment on a pû trouver des ossemens au milieu d’un endroit, où il y avoit peut estre plus de vingt toises de terre ferme par dessus. Toutes ces Cavernes sont au dessous des vignes de Mr Laforge ; ce sont des vignes fort belles & fertiles ; le vin qui en provient est tres-exquis, & il y a de beaux arbres fruitiers qui forment une espece de couronne au dessus de ces Grotes, qui ne sont ni humides ni obscures ; differentes en cela, de tous les autres lieux souterrains, où l’on est toûjours dans les tenebres, où souvent on ne peut entrer sans lumiere, & où on ne peut mesme demeurer long-temps à cause de la grande froideur qu’une humidité continuelle y entretient. Il n’en est pas ainsi des Cavernes dont j’ay l’honneur de vous entretenir ; elles sont si claires qu’on y peut lire aisement à toutes les heures du jour. La maniere ingenieuse dont Mr Laforge s’est servi pour les éclairer en a dissipé toute l’obscurité, & il n’y en a point d’autre que celle que la nuit y répand quand elle étend ses voiles sur la surface de toute la terre. Quelques unes de ces Grotes repondent sur un petit chemin qui est au pied de la montagne, & reçoivent le jour par de petites fenestres que Mr Laforge y a fait de ce costé là. Il a éclairé les autres par cette espece de dome qu’il a formé en perçant le haut de la montagne ainsi que je vous l’ay déja dit Je vous prie de bien observer cette circonstance, qu’on dit faire le surprenant & le merveilleux de ce grand ouvrage.

On ne craint point l’humidité dans ces Cavernes. La Terre dont elles sont formées, est plus ferme que la brique la plus dure ; & ce qui fait le plus grand agréement de cet endroit, c’est que cette terre ne perd jamais sa qualité, qu’elle se conserve toûjours tres seche, & qu’il en sort une odeur qui fait beaucoup de plaisir. L’air que l’on respire dans ces lieux soûterrains est si tranquile, si pur & si sain, que l’on ne se lasse pas d’y demeurer quand on y est. Une aimable fraischeur s’y fait rechercher en Eté, & une chaleur douce & agreable s’y fait sentir pendant l’Hyver. Mr la Forge y fait sa residence ordinaire quand il est en Campagne ; & quoy que sa Maison ne soit éloignée de ces Grotes que de huit ou dix pas, & qu’il n’y ait precisement que le petit chemin qui est au pied de la montagne qui les separe, il ne laisse pas d’habiter dans une de ces Cavernes, où il a fait dresser un lit fort propre, où il passe la nuit aussi tranquillement que vous la passez dans le Louvre, depuis que le Roy eut la bonté de vous y donner un logement. Je suis, Monsieur, vostre tres-humble & tres-obeïssant serviteur, Dader.

Il y a quelque année que Mr la Forge me mena voir ces Cavernes, elles n’estoient pas achevées dans ce temps-là, & je ne sçay si elles le sont encore. Je vous avouë que ce que j’en vis me surprit si agreablement, que je ne me lassois point d’admirer ce travail. Mr la Forge me pria de luy faire des Inscriptions en Vers pour quelques unes de ces Grotes, je les fis, & ce sont les Vers que vous allez voir.

INSCRIPTION
Pour mettre à l’entrée des Cavernes.

Accourez Etrangers, portez icy vos pas
Entrez sans crainte & sans alarmes,
Et vous verrez en ces lieux pleins de charmes.
Ce qu’ailleurs vous ne verrez pas.

AUX CAVERNES

Lieux souterrains, Cavernes sombres,
Qui dans vostre charmant & paisible sejour
Cachez le doux Himen de la Nuit & du Jour,
Mêlant à vos attraits la lumiere & les ombres.
Contre vous vainement le destin s’armera :
Pour vous abattre en vain le temps conspirera.
Celuy qui sur son doigt suporte tout ce monde,
Goute dans vostre sein une Paix si profonde
Que ce divin Atlas toujours vous soutiendra.

AUX PIEDS DU SAUVEUR,
Dont la Naissance est representée dans une des Cavernes.

Ce Dieu qui dans le monde avec tous ses attraits
Jadis ne trouva rien pour reposer sa teste,
A daigné préferer cette douce retraite
Aux plus magnifiques Palais.

Daphnis adresse ses paroles aux autres Bergers qui sont representez autour du Berceau du Fils de Dieu.

Qu’il est beau cet Enfant, ce Soleil, ce Sauveur !
Je ne puis concevoir d’où nous vient ce bonheur
Quand les autres mortels ignorent sa naissance,
Nous jouissons de sa présence.
Bergers reconnoissons l’excés de son Amour ;
Nous sommes les premiers qu’il éclaire en ce jour.

AU MILIEU DES CAVERNES
Audessous desquelles il y a des Vignes qui sont tres-belles.

Si ce dessous est beau, le dessus est fertile
Amis venez y donc pour prendre vos plaisirs
Ces lieux combleront vos désirs
On y trouve toujours l’agréable & l’utile.

Pour mettre audessous de la figure du Dieu Bacchus.

Bien que l’Amour me soit contraire
Aprochez vous jeunes Amans ;
Je vous feray passer d’agréables momens,
Et vous enseigneray le beau secret de plaire :
Oui, ce n’est qu’en buvant de mes rares liqueurs,
Que vos tendres & jeunes cœurs
Peuvent se rendre aimables
Goûtez-en ; aprés quoy, si vous ne plaisez pas
À celles de qui les appas
Vous semblent adorables,
Du moins vous me plairez. Eh, ne vaut-il pas mieux
Plaire au meilleur des Dieux
Que de plaire à d’inexorables
Qui ne vous rendent amoureux
Que pour vous rendre miserables :
Venez, mes chers enfans ; mais, venez sans façon,
Le Compere Bacchus n’en donne que du bon.

INSCRIPTION
Pour la Caverne où sont representées les quatre Saisons.

Dans ces Cavernes si charmantes
L’esprit se réjouit aussi bien que les yeux.
Toutes les Saisons indulgentes.
Conspirent à l’envi pour la paix de ces lieux.
L’Hiver y regne sans rudesse,
Et le Printemps sans cesse,
N’inspire à tous les cœurs
Que joye & que tendresse :
Tout enfin en ces lieux respire l’allegresse.
C’est icy que l’Esté tempere ses ardeurs,
Et l’Automne y veut bien signaler sa largesse
Par le doux fruit
Qu’il y produit.

SUR DES OSSEMENS
que l’on trouva en creusant ces Cavernes.

Cavernes qui jadis cachiez ces ossemens
Dans l’épaisseur de vos tenebres,
Vous leur avez servi de tombeaux trop funebres,
Et vous leur servirez d’éternels monumens.

SUR LA PORTE DU
Degré pratiqué dans les Cavernes, & qui conduit jusques au sommet de la Montagne.

Architectes sçavans, venez voir en ces lieux
Un travail qui sans doute étonnera vos yeux.

CONGRATULATION
à Mr La Forge sur l’heureux accomplissement de son projet des Cavernes.

Ton projet est hardi, surprenant, & nouveau ;
Il rend ton sort digne d’envie.
Où tout autre eut trouvé mille fois son tombeau,
Tu trouves, cher Ami, la source d’une vie
Qui par l’affreuse mort ne peut t’estre ravie,
Et ton travail fait assez voir
Que l’oubli sur ton nom n’aura point de pouvoir.

Suite du Triomphe de la belle Atalante par Tamiriste §

Mercure galant, novembre 1702 [tome 15], p. 51-63.

Je suis bien aise que vous ayez esté contente de l’Epitre en Vers, intitulée, le Nouvel Hippomene, à Damon son illustre Amy, que je vous envoyay le mois passé. Son Amy, à qui il a donné le nom de Damon, & qui prend ailleurs dans mes lettres, celuy de Tamiriste, luy a fait une réponse en Prose qu’il a acompagnée de l’Eglogue suivante pour luy servir d’Epithalame. Vous remarquerez que cet Hippomene est le mesme que le nouveau Pâris, ou autrement celuy à qui l’on a donné à si bon droit, le nom de Protecteur du beau Sexe.

SUITE DU TRIOMPHE
de la belle Atalante
Par Tamiriste.

Petit Divertissement en forme de Dialogue amoureux, mêlé de Symphonie.

POUR LE MARIAGE
d’Hippomene & d’Atalante.
SCENE I.

L’AMANT.

Un charme secret me convie
À vous voir, à vous parler.
Mais je cheris le repos de ma vie
Et je crains que vos yeux ne viennent le troubler.

L’AMANTE.

D’une crainte trop vaine
Vostre cœur est allarmé,
Qui fuit tant la peine,
Ne merite pas d’estre aimé.

L’AMANT.

Helas ! il n’est plus temps d’éviter vostre vuë
À longs traits j’ay gousté le poison qui me tuë,
Contre mille Beautez cent fois j’ay resisté,
Contre vous je n’ay pû sauver ma liberté.
Helas ! il n’est plus temps d’éviter vostre vuë,
À longs traits j’ay goûté le poison qui me tuë.

L’AMANTE.

Il est donc vray que ce feu si pressant,
N’est pas un feu naissant ?

L’AMANT.

Je le connoissois trop cet appas invincible
Qui sçeut m’engager dans vos fers,
Ah ! par pitié rendez-vous plus sensible,
Ou rendez-moy la douceur que je perds.

L’AMANTE.

Doit-on appeller martyre
Un tendre mouvement par l’Amour excité
Si le bien pour qui l’on soûpire,
Vaut mieux que ce qu’on a quitté ?

L’AMANT.

Dans une paisible innocence
Je coulois doucement mes jours,
Ne puis-je pas, sans vous faire une offence
Regretter mon indifference
S’il faut que je souffre toûjours ?

L’AMANTE.

Aimer & faire voir aussi peu de courage
Est à l’objet aimé faire un trop grand outrage,
Le dépit, le dédain auroient pû me vanger,
Et j’aurois crû, quand l’amour est extrême,
Qu’on ne pouvoit connoistre le danger,
Que pour ce que l’on aime.

L’AMANT.

Confus, tremblant, incertain de mon sort.
Blâmez-vous ce dernier effort ?
Si ma crainte a sçû vous déplaire.
Ah ! je n’en suis que trop puny,
Pour vos beautez un respect infiny
Ne doit point s’attirer cet excés de colere,
Faudra-t-il donc que sans espoir
Je renonce à jamais au plaisir de vous voir ?

L’AMANTE.

Si vous estiez sincere,
On pourroit quelque jour écouter vos soupirs.

L’AMANT.

L’Astre du jour qui nous éclaire
N’est pas plus pur que le sont mes desirs.
Ne faites plus languir un cœur qui vous adore,
Rien n’est égal à l’ardeur de ses feux,
Helas ! Helas ! qu’attendez-vous encore ?
Quoy, voulez-vous le voir expirer à vos yeux ?

L’AMANTE.

Non, non, je sens bien ma foiblesse
Et je touche au fatal instant
Qui va découvrir ma tendresse,
Mais qui me répondra que vous serez constant ?

L’AMANT.

Quel favorable aveu vient de flater mon ame !
Ah ! mon cœur en est enchanté !
La mort n’éteindra point une si belle flame
Et le temps répondra de ma fidelité.

Tous deux ensemble.

Aimons-nous donc ; qu’une ardeur mutuelle
Unisse à jamais nos desirs
Joüissons, joüissons des innocens plaisirs
D’une amour éternelle,
Mais, quels agreables concerts
Se font entendre dans les airs ?

SCENE II.

UN AUTRE AMANT.

Amour content de l’hommage
Que vous rendez à sa grandeur,
Vient combler de bonheur,
Ce charment boccage.

L’AMOUR.

Que les voix & les instrumens
Assurent tous ces Amans
De vos contentemens.

UN AMANT.

S’il est un temps pour se deffendre
Des empressemens d’un Amant
L’Amour ne perd rien pour attendre
Et le cœur le moins tendre
A son moment,
Pour se laisser prendre.

UN AUTRE.

Tout doit aimer dans ce sejour,
Sortez de vostre nuit obscure
Voyez que ce qui brille au jour
De plus charmant dans la nature
Doit sa naissance à l’Amour

CHOEUR D’AMANS
& d’Amantes.

Reconnoissons sa puissance supreme
Rangeons-nous, rangeons-nous, à son divin vouloir,
Cœurs rebelles à son pouvoir,
Embrazez-vous d’une tendresse extreme,
Aimons tous, aimons tous,
C’est l’amusement le plus doux.

SCENE III.

Un Suivant de l’Hymen.

L’Hymen paroist ; le voicy qui s’avance
Prestez-luy tous silence.

L’HYMEN.

Sans Hymen, sans son secours,
Croyez-vous passer de beaux jours ?
Quand deux cœurs sont unis par un hymen fidelle,
Rien peut-il égaler l’excés de leur bonheur ?
Tout autre engagement n’est qu’un appas trompeur,
Et ne fait point brûler d’une flame si belle.

L’AMOUR.

Depuis quand donc, Hymen, mes fléches mon carquois
Vous semblent-ils des armes inutiles ?
Où sont les cœurs les plus tranquiles
Qui ne soient soûmis à mes loix ?

L’HYMEN.

Amour, dans de jeunes ames
Fait pousser de tendres vœux
Ils languissent dans ses flames
Mais l’Hymen les rend heureux.

SCENE IV.

Un Suivant de Comus.

Sans le vin & la bonne chere,
Amans que pensez vous faire ?

Le Chœur.

Sans le vin & la bonne chere,
Amans, que pensez-vous faire ?

COMUS.

Avec chaleur icy bas
Chacun vante sa proüesse,
À terminer nos debats
Le Dieu des Festins s’empresse.
Parmi les pots & les plats
La Jeunesse
Et la Vieillesse
Trouvent toûjours mille appas,
Quelle seroit la foiblesse
D’Hymen & de la tendresse
Sans le plaisir du repas ?

Ces Vers se repetent par la suite de Comus.

Un des Suivans de Comus.

Mesme dessein vous assemble,
Unissez vos interests.
Que ces Amans à jamais
Vous trouvent toujours ensemble.
Les trois Divinitez répetent
Mesme dessein vous assemble.
Unissons nos interests
Que ces Amans à jamais
Nous trouvent toujours ensemble.

Le Chœur.

Que les voix & les instrumens
Assurent tous ces Amans
De vos contentemens.

La Création du monde. Ode §

Mercure galant, novembre 1702 [tome 15], p. 73-79.

La piece qui suit est de Mr Baratet de Seriniac, Maire de Villeneuve d’Agenois. Le sujet en est grand, les Vers en sont bien tournez, & l’Auteur peut passer pour Poëte, aussi a-t-il déja remporté quelques Prix de Poësie.

LA CREATION DU MONDE.
ODE.

Quelle puissante Parole
Fait sortir du noir cahos
Les Cieux, la Terre, les Flots,
Fonde l’un & l’autre Pole ?
Quatre Elemens égalez,
Soûtenus, unis, mêlez,
Forment un Tout admirable ;
Et sous la main qui les joint,
L’Onde est fixe, l’Air palpable,
Le Feu ne s’agite point.
***
Un instant fait couler l’onde,
Les feux volent vers les Cieux,
Et d’un effort merveilleux
La terre devient feconde ;
Icy les champs sont couverts
De fleurs, de fruits, de bois verds,
Ouvrages de la Sagesse :
Là, de la graine & du fruit
Est le germe où chaque espece
Se conserve & se produit.
***
La lumiere ainsi semée
Dans les vastes champs de l’air
Suit d’abord un cours leger
En deux Globes renfermée ;
L’un conduit l’éclat du jour,
Dans la nuit l’autre à son tour
Rend sa carriere brillante,
Et de leurs feconds regards
Une vertu bienfaisante
Se répand de toutes parts.
***
Les mers encore steriles
N’attendent plus dans leur sein
Qu’un second trait de la main
Qui rend leurs bords si fertiles.
Quel soin prompt & diligent ?
Dieu d’un reptile nageant
Peuple ces liquides Plaines ;
Là, bondissent les Dauphins,
Icy, les lourdes Baleines
Agitent les flots marins.
***
De l’humide sein de l’onde
Naissent mille oiseaux divers,
Qui font retentir les airs,
Des premiers concerts du monde ;
Les uns sortant des marais
S’élancent dans les forêts,
D’autres nichent au rivage,
O prodige de grandeur !
Un peuple inconstant, volage,
Suit les loix de son Auteur.
***
Quoy : de la plus lourde masse
Sort un essein d’animaux,
Fier de ses enfans nouveaux
L’Univers change de face,
Quel instinct les loge tous ?
Marque un asile aux plus doux
Parmi de gras pâturages ?
Inspire aux plus inhumains
De suivre des lieux sauvages ;
De craindre autant qu’ils sont crains ?
***
De biens la terre enrichie
Demandoit un Souverain ;
Dieu le forme de sa main,
Peut-elle estre mieux regie !
Ce sage Moteur des Cieux
Dans un transport glorieux
Semble exciter sa puissance ;
Et par un effort nouveau
Fait l’Homme à sa ressemblance.
Quoy de plus grand, de plus beau !
***
À cet ouvrage admirable
Dieu donne un secret pouvoir.
L’anime & le fait mouvoir
De son soufle favorable,
L’ame à l’argile se prit,
Ce pur, ce subtil esprit,
Court, vole de veine en veine,
Puis se répand au dehors,
Formant une douce haleine
Qui soûtient mille ressorts.
***
Quand sur tout ce qui respire
L’Homme veut jetter les yeux,
D’un Jardin delicieux
Il voit croistre son Empire.
Du Tigre & du doux Gehon,
De l’Euphrate & du Phison,
Il voit l’onde claire & pure,
Les Zephirs, les fruits, les fleurs,
Offrent parmi la verdure
Les plus charmantes douceurs.
***
Par tout où l’Homme s’adresse
Sur la terre & sur les eaux,
Il voit mille soins nouveaux
De l’éternelle Sagesse ;
Il voit en cent lieux divers
Un ordre dans l’Univers
Dont son ame est suspenduë ;
Mais en se considerant
Dans cette vaste étenduë :
Il se trouve encor plus grand.

[Journal du voyage de Mr de Châteaurenault en Amérique] §

Mercure galant, novembre 1702 [tome 15], p. 88-127.

Ce qui suit doit estre regardé comme un morceau d’Histoire qui doit exciter la curiosité du Public, puisqu’il fait connoistre avec quelle bonté genereuse, & avec quelle dépense, le Roy est entré dans tout ce qui pouvoit contribuer à rétablir l’ancienne splendeur de l’Espagne.

LETTRE
D’un Officier du Vaisseau du Roy le Henry, en forme de Relation du Voyage de l’Armée de S.M. en l’Amerique en 1701. & 1702. & qui a escorté la Flote de la Nouvelle Espagne à Vigo, où elle est arrivée le 22. Septembre 1702. aussi bien que les Vaisseaux du Roy qui luy servoient d’escorte, sous le Commandement de Mr de Chasteaurenault.

Je serois-au desespoir, si aprés toutes les marques de bonté dont il vous plaist de m’honorer, je manquois à vous instruire d’une aussi longue Campagne que celle cy, dont vous m’avez demandé les particularitez avant mon départ. Je commenceray donc par le 22. de Novembre 1701. que nous partîmes de Cadiz au nombre de trente Vaisseaux de Guere, Commandez par Mr de Chasteaurenault Vice Amiral de France. Nous fîmes route pour les Isles de Madere, où nous devions trouver une Fregatte qui nous instruiroit de la démarche que nous devions faite, mais n’y ayant trouvé aucun Vaisseau, Mr le Vice-Amiral jugea à propos de suivre ses derniers ordres, & de continuer sa route pour les Isles de la Martinique, où nous arrivâmes le 2. de Janvier 1702. & où nous restâmes cinquante-quatre jours, pendant lesquels il ne se passa rien de particulier, sinon quelques nouvelles que l’on eut, que les Anglois estoient moüillez quatorze Vaisseaux à la Barbade, d’où peu de temps aprés ils partirent pour la Jamaïque. Dans ce temps-là il arriva quelque Fregates de France à Mr de Chasteaurenault, qui l’instruisirent de ce qu’il devoit faire, ce qui ne vint pas alors à ma connoissance. Cependant, comme on avoit certitude que les Anglois estoient hors de leurs Ports, on resolut d’y aller. Pour cet effet on fit quelques preparatifs comme pour une descente. On fit faire des échelles, & donner des ordres pour sçavoir combien il y avoit de Soldats & de Gardes de la Marine, & l’on distribua des toiles à Mrs les Capitaines d’Infanterie, & aux Commandans des Gardes, pour leur faire faire des havresacs & des guestres, pour se garentir des Raquettes qui regnent dans ces Isles-là, aussi bien que dans les nostres ; mais en bien plus grande quantité. Ces Raquettes sont une espece de fruit plat, qui ont à peu prés la même figure que celles dont ont se sert en France pour joüer à la paulme. Les plantes de ces Raquettes portent des feüilles qui sont extrêmement fortes & pointuës, & le fruit porte aussi sa deffense, estant garny par tout de petites pointes aiguës, qui sont si fortes, que quand on marche dessus, au lieu d’obéïr, elles entrent dans le soulier, s’il n’est extrêmement fort ; ce qui incommode fort les Troupes quand ou veut les faire descendre dans ce Pays là.

Le tout fut cependant sans effet, car Mr le Marquis de Chasteaumorand que l’on attendoit avec un Convoy de vivres, estant arrivé, il nous fallut demeurer encore quelque temps pour faire distribuër les mêmes vivres, qui nous estoient venus dans quatre Flutes, & faire revenir Mr le Marquis de Nesmond, qui avoit esté envoyé au Fort de Saint Pierre, qui est un autre quartier de la Martinique, où il estoit allé avec quatorze Vaisseaux, parce que si nous estions tous demeurez au Fort Royal, on n’auroit pû trouver de rafraîchissemens pour tous les malades que nous avions, ce qui se trouve plus facilement estans partagez en plusieurs endroits, sur tout dans ce Pays là, où ils ne sont pas en trop grande abondance.

Sur le point de faire voile pour nostre expedition, il relâcha un des Vaisseaux de l’Escadre de Mr de Coëtlogon, qui avoit esté envoyé à la Havane pour ramener la Flote en Espagne, mais ne l’y ayant point trouvée, & s’estant contenté d’envoyer quelques Vaisseaux de son Escadre à Vera Cruz, où elle estoit encore, pour la faire presser, on n’en fit ny plus ny moins, remettant de jour en jour à sortir du Port. Sur-quoy Messieurs les Capitaines qui y avoient esté envoyez voyant qu’ils n’avançoient en rien, jugerent à propos de revenir à la Havane informer Mr de Coëtlogon de l’estat où estoit la Flote, & de quelle maniere on agissoit à Vera Cruz, où l’on ne travailloit que quatre heures par jour. Ce raport fait à Mr de Coëtlogon, il reçut une lettre du Viceroy du Mexique, par laquelle il luy mandoit que la Flote du Mexique seroit preste dans trois mois, ce qui fit refoudre ce Lieutenant General de l’attendre jusqu’à ce temps là. Ce temps estant expiré, le Viceroy luy dépêcha une Fregate avec une autre lettre par laquelle il luy marquoit que quelque diligence qu’on pût faire, la Flote ne pourroit estre chargée que dans deux mois. Mr de Coëtlogon n’ayant plus de vivres pour attendre, prit le party de revenir en France aprés avoir attendu l’espace de cinq mois.

Mais son Escadre ne se trouva pas peu embarassée quand elle fut à la Mer. Les Vaisseaux ayant esté fort endommagez par les vers qui regnent dans les Rades d’où ils sortoient, plusieurs faisoient beaucoup d’eau, & sur tout celuy qui vint relâcher à la Martinique. C’estoit le Mercure Commandé par Mr le Chevalier d’Hautefort, qui nous apprit que Mr de Coëtlogon n’emmenoit point la Flotte qui ne s’étoit pas trouvée preste, aprés l’avoir attenduë si long temps.

Alors Mr de Chasteau renault jugea à propos d’y aller, afin de la ramener dans la belle saison. Pour cet effet il changea de Vaisseau, aussi bien que Mr de Nesmond, & Mr de Rosmadecq, parce que les leurs estoient des Navires à trois Ponts, & par consequent trop gros pour le Pays où nous allions, & Mr le Vice Amiral les renvoya en France avec neuf autres à deux Ponts, sous le Commandement de Mr de la Harteloire, Chef d’Escadre.

Nous appareillames tous le 22. de Fevrier pour aller chercher le débouquement de Porto Rico, où la separation se devoit faire. Aussi tost que nous fûmes debouquez Mr de la Harteloire fit sa route pour France, & nous continuâmes la nostre pour Leogane dans l’Isle de Saint Domingue, où nous arrivâmes le 11. de Mars, & où l’on regla toutes choses avec le Gouverneur pour tout ce qui concernoit nostre Escadre, c’est à dire que Mr le Vice-Amiral ordonna à Mr le Gouverneur qu’au cas qu’il vinst à la Coste quelque Bâtiment Marchand chargé de vin ou d’eau de vie, on le luy envoyast à la Havane.

Aprés avoir pris quelques rafraîchissemens dans cet endroit-là nous partîmes pour la Havane le 22. de Mars, & nous y arrivâmes le 9. d’Avril. Si tost que nous fûmes dans le Port, on ne songea plus qu’à loüer des magasins pour mettre nos Malades, qui n’estoient pas encore en grand nombre. Cela fait Mr de Chasteaurenault se prepara à partir pour Vera Cruz, parce qu’il prévoyoit bien que s’il n’y alloit en personne pour les faire presser, ils luy en feroient autant qu’à Mr de Coëtlogon, qui n’y estoit point allé.

Toutes choses ainsi preparées, Mr le Vice Amiral changea encore de Vaisseau, parce que le sien tiroit trop d’eau pour le pays où il alloit, & partit le 20. d’Avril avec cinq de nos plus petits Vaisseaux, dans le dessein de presser la Flote, au cas qu’elle ne fust pas preste, & l’amener ensuite à la Havane.

Il ne fut pas plutost parti que Mr de Nesmond qu’il venoit de laisser Commandant à la Havane, agissant de concert avec le Gouverneur, fit ordonner qu’on retranchast deux repas de pain aux Equipages de chaque Vaisseau, parce que les vivres commençoient à manquer, & ces deux repas devoient estre remplacez pas deux autres de Mays, ou bled de Turquie, n’ayant point d’autre chose à leur donner, ce qui ne contribua pas peu à la contagion, qui se mit peu de temps aprés parmi nos Equipages, qui outre cela n’avoient point de vin, pour aider à la digestion d’une nourriture aussi grossiere que celle-là ; car le peu qu’on leur donnoit d’eau de vie, qui n’estoit que pour un repas chaque jour, n’ayant pas duré longtemps, les fit presque tous tomber malades lors qu’elle vint à manquer. Joint à cela l’intemperie qui commençoit à regner, & dont nous nous apperçumes bien tost ; car les Officiers ayant esté attaquez ne vivoient que deux ou trois jours au plus, & mouroient sans aucune distinction, ce qu’on ne devoit pas attribuer à la mauvaise nourriture, puisqu’ils estoient sans comparaison beaucoup mieux que les Matelots & Soldats, Cependant il y en a eu de tout ordre & de toute extraction, qui ont esté traitez plus favorablement les uns que les autres, selon les temperamens des personnes, & la diversité des maladies qui regnent dans ce Pays là.

Et pour vous en faire la difference, je vous diray qu’il y a trois sortes de Tavardille, qui signifie en Espagnol fievre pestilentielle. L’une prend par un mal de teste, avec des maux de reins, & un feu si violent, que rien n’est pareil aux maux que vous fait sentir cette chaleur. De celle là on ne meurt pas communement si l’on a le soin d’épuiser le sang par quantité de saignées aux pieds & aux bras. L’autre prend par un devoyement, qui se tourne en flux de sang, & dont on meurt plus ordinairement que de la premiere, si l’on n’est entierement bien saigné par les gens du Pays. La troisiéme enfin prend par une petite fievre avec un flux de sang épouvantable, qui oste tellement le goust que l’estomach s’affoiblissant, aussi bien que toutes les forces, le poulx se concentre, ce qui cause un vomissement noir dont on meurt malgré tous les remedes, lesquels ne peuvent plus faire leur effet, Cette derniere attaque si précipitamment qu’on n’a pas le temps de songer à soy, & le plus robuste-ne résistoit que deux ou trois jours au plus ; en sorte que de quatorze ou quinze cents hommes, qui nous sont morts, il n’y en a pas six qui soient revenus de cette derniere. Au lieu que des deux autres s’il en mouroit quantité, il en réchapoit beaucoup.

Voilà toutes les remarques que j’ay pû faire sur les maladies de ce Pays là au sujet desquelles je puis vous dire que personne n’a esté exempt, soit des unes, ou des autres. Tout le monde y a passé jeunes & vieux, vous pouvez juger par là du mauvais air de ce Pays là lequel ne regne cependant que l’Esté, car l’Hiver y est fort sain, puisque Mr de Coëtlogon, qui y estoit dans cette saison n’y a pas perdu un homme.

Pour ce qui est de la Ville de la Havane, on peut dire qu’elle est bien bâtie pour un Pays aussi éloigne que celuy là, les ruës y sont fort belles, larges & longues, il y a quantité de belles Eglises, d’assez beau monde, & sur tout les femmes, qui y sont fort bien faites, & ont le teint aussi beau qu’en aucun endroit du monde ; le Port en est fort grand, mais l’entrée en est assez difficile, d’autant plus que le Canal en est fort étroit & fort mal aisé à pratiquer pour ceux qui ne le connoissent pas. L’entrée en est soutenuë par deux tres-beaux Forts, sur tout celuy que l’on nomme le More, qui est un des plus beaux ouvrages que l’on puisse voir, tant par le travail que par sa situation. On dit que quand il fut bâti le Roy d’Espagne deffunt demanda s’il estoit de Diamans, par les sommes immenses qu’il avoit coûté à faire bâtir : en effet, il est tres beau, & personne ne peut disconvenir qu’il n’ait beaucoup coûté.

Quant à la fertilité du Pays, je ne puis vous en parler, n’en sçachant pas les particularitez, car je n’ay pas esté dans la Campagne. L’on prétend cependant que s’il estoit cultivé il y viendroit du bled comme à Vera Cruz, où il y en a beaucoup ; mais ces gens là sont si paresseux qu’ils passent la pluspart du temps à jouër de la harpe ou de la guitarre, dont tout le monde jouë dans ce pays là, le Noble comme le Roturier : on diroit qu’ils ont esté élevez dans cet exercice.

À l’égard du travail, il ne leur en faut pas parler : ils aiment mieux dormir, & se croyent si grands Seigneurs, qu’ils ont même de la peine à mettre les mains à l’œuvre pour leur propre nourriture, qui cependant est fort succinte.

Le matin ils prennent du Chocolate de Mays ou de l’Attole, qu’ils accommodent à leur mode sur les sept heures. Ils déjeunent à neuf avec un morceau de Cochon frit, & de la Cassave, n’ayant pour boisson que de l’eau. À deux heures aprés midy ils dînent avec des ragouts à leur maniere, & le soir ils se contentent d’un peu de confitures seches, & d’une grande tasse d’eau. Ils ne font jamais d’extraordinaire, si ce n’est quand il leur vient Compagnie, laquelle ils traitent avec du Chocolate de régale, qui est celuy que nous prenons.

À l’égard de Trafic de la Havane, il n’est grand qu’autant que les Flotes y viennent ; car quand elles sont long temps sans y aller leurs Marchandises qui consistent en tabac, sucre, & cuirs, ne trouvant point de cours, & estant obligez de faire de grands frais pour les entretenir, ils se trouvent souvent sans argent, & sont obligez de donner leurs effets à ceux qui en ont, & cela à beaucoup meilleur marché qu’ils ne les donnent aux Flotes.

Pour un Païs aussi renommé que celuy là, il ne s’y trouve pas beaucoup de gens riches, le tout par leur paresse & leur mauvais ménage, donnant tout aux femmes d’autruy, laissant les leurs, & leurs enfans mourir de faim, & sans aucun habillement.

Pendant le peu de temps où je m’occupay à connoître les Vies & Mœurs de ces gens là, Mr de Chasteaurenault arriva de Veracruz avec la Flote ; aussi tost qu’ils furent dans le Port, Mr le Vice-Amiral reprit son premier Vaisseau qu’il avoit laissé sous le commandement de son Capitaine de Pavillon ; aprés quoy il ordonna à tous les Vaisseaux de son Escadre de se tirer au large, pour donner le moyen aux Gallions de s’approcher de Terre, pour embarquer les Marchandises qu’il prennent ordinairement à la Havane, avec plus de facilité, pour lesquelles il ne leur donna que dix jours ; ce qu’ayant esté fait, & tous les Vaisseaux étant prêts à faire voile, nous partîmes le 24. d’Aoust ; si tost que nous fûmes hors le Port de la Havane, nous fîmes route sur les huit heures du soir pour nous aller mettre Nord & Sud Matonças, & par cette Latitude trouver le milieu du Canal de Baham, dans laquelle nous donnâmes le lendemain du 25. de ce mois, estant debouquez, nous fismes route au nombre de 57. Voiles pour aller chercher les quarante-deux degrez qui est la Latitude du Banc de Terre Neuve. Aprés y estre arrivez, nous mîmes le Cap à l’Est & à l’Est, 14. de Nordest pour aller chercher l’atterage de la Corogne, parce que nos ordres estoient de nous aller rendre au Passage, qui est un Port de cette Coste ; mais nous rencontrâmes un Bâtiment Marchand qui nous fit bien changer de sentiment, ayant informé Mr de Chasteaurenault que les Ennemis estoient en Mer au nombre de 150. Voiles, & mesme qu’il en avoit rencontré dix-huit qui croisoient depuis le Cap de Finistere jusqu’au Cap d’Ortegal, qui est justement l’endroit où nous devions atterrer. Mr le Vice Amiral ayant sçû toutes ces choses, vit bien que la partie n’estoit pas bonne d’aller atterrer à la Corogne ; pour cet effet, il tint conseil avec Mrs les Generaux tant François qu’Espagnols, & ne voulut rien decider, qu’il n’eust consulté Mrs les Capitaines, ce qu’il fit le lendemain du conseil des Generaux, chacun ayant donné son avis pour differens atterrages. Mr de Châteauregnault jugea à propos de suivre la pluralité des voix & prit le parti le plus convenable, qui estoit d’aller atterrer aux Isles de Bayonne en Galice, pour aprés se retirer dans Vigo, qui est un Port éloigné desdites Isles de trois lieuës, & dans lequel il pretendoit se fortifier, en attendant des nouvelles des deux Couronnes de France & d’Espagne : nous y arrivâmes le 22. de Septembre, où nous apprîmes que les Anglois estoient à Cadiz, & avoient mis quinze mille hommes à terre. Aussi tost que nous fûmes moüillez, on dépescha des Couriers pour France & pour l’Espagne, pour aller porter des nouvelles de l’arrivée de la Flote tant desirée. En attendant les Réponses des deux Couronnes, Mr de Chasteauregnault jugea à propos de faire debarquer l’argent de la Flote ne se trouvant pas trop en seureté dans cet endroit, où il n’y avoit encore aucune fortification ; pour cet effet, il tint conseil avec Mr le Prince de Barbançon, Lieutenant General des Armées du Roy d’Espagne, qui avoit esté envoyé dans cette Province pour y commander, & qui ayant sçu l’arrivée de la Flote à Vigo, s’y estoit rendu pour ordonner toutes choses en ce qui concernoit la Flote ; & afin qu’il ne manquast rien aux Vaisseaux du Roy de France.

Toutes choses estant arrestées entre Mr le Vice Amiral, Mr le Prince de Barbançon, & le General de la Flote, nommé Velasquo, on travailla au debarquement de l’argent, lequel on envoya à une Ville, dont je ne sçay pas le nom, mais qui est éloignée de Vigo de trente lieuës, quoy qu’il eût fallu beaucoup de monde pour debarquer cent millions d’Ecus que l’on estime la Flote, les uns plus, les autres moins, sans compter les Marchandises, lesquelles n’ont point esté debarquées. Cela n’empescha pas que l’on ne travaillast continuellement à mettre 150. pieces de Canon en batterie, en cas d’occasion.

Les Gens de nos Vaisseaux de leur costé, travailloient aux Estacades, qui doivent empescher les Ennemis d’entrer dans le Port de Redondelle, où nos Vaisseaux sont moüillez en ligne courbe pour presenter le costé aux Vaisseaux Ennemis, qui pourroient avoir envie de rompre les Estacades.

Les choses estoient dans cette situation, quand je suis parti de Vigo. Nostre Vaisseau ayant besoin d’estre mis dans la forme, & faisant beaucoup d’eau, Mr de Châteaurenault a jugé à propos de nous renvoyer à Brest, sur le point de partir pour nostre retour, Mr de Regnault Ingenieur general en Espagne, arriva en Poste de Madrid, apprit à Mr de Château regnault que les Anglois s’estoient embarquez à Cadiz avec quatre mille hommes de perte, & qu’on craignoit qu’ils ne vinssent à Vigo, sçachant l’arrivée de la Flote ; ce sont les dernieres nouvelles que j’ay apprises à la Voile.

[Relation du Siege & bombardement de Rinberg faite par le Commandant de la place] §

Mercure galant, novembre 1702 [tome 15], p. 127-149.

La Tranchée ayant esté ouverte devant Rhinberg, on ne doit pas regarder ce qui s’y est passé comme un simple bombardement. Vous avez déja veu un détail assez curieux de ce Siege : cependant vous en trouverez un beaucoup plus ample dans la Relation que vous allez lire. Elle est de Mr le Marquis de Gramont, qui commande dans la Place, je vous l’envoye sans y avoir rien changé. Cette Relation est datée du 31. Octobre.

Les Troupes de Brandebourg, quelques-unes de Hollande, de Neubourg & du Prince d’Anhalt, au nombre de douze mille hommes, commandez par le Prince Albert Frederick, Frere de l’Electeur de Brandebourg, arriverent devant cette Place le 21. sur le midy, l’investissant par leur Cavalerie de toutes parts à la portée du canon. Leur Infanterie arriva le même jour, & toutes les Troupes camperent un peu hors de la portée du canon.

Ce Prince avoit sous luy pour Officiers Generaux les Baron d’Heyden & de Lottum. Son Camp estoit composé de dix-sept Bataillons, de huit Regimens de Cavalerie & de deux de Dragons. À la verité, ces Troupes me parurent fort foibles en arrivant, estant mises à la teste de leurs lignes, avant que d’entrer dans leur Camp.

Leur Artillerie n’arriva que le lendemain.

Le 22. au matin, Mr le Prince Albert Frederic envoya le General Lottum demander à me parler, & avoit avec luy le Sieur de Lostange ; je luy envoyay un Officier pour sçavoir ce qu’il souhaittoit, auquel j’ordonnay de luy signifier que s’il n’avoit d’autre chose à me dire, que ce qu’il m’avoit esté proposé la veille par un autre de leurs Officiers Generaux, il n’avoit qu’à se retirer, sans quoy je luy ferois tirer dessus. Il me fit annoncer qu’ils pretendoient assieger la Place, & que la prenant, comme ils s’en flatoient dans tres-peu de jours, il n’y auroit aucun quartier pour moy, si je ne me rendois dés à present, qu’autrement ils me donneroient telle Capitulation que je pourrois desirer. Ce qui par rapport à mon devoir & à mon humeur ne m’a pas rendu par la suite plus traitable.

Le 22. ils ouvrirent la Tranchée environ vers les six heures du soir au pied d’une hauteur appellée le Mont Sainte Anne, qui est à la portée du canon de la Place. Ils porterent leur Tranchée cette nuit jusqu’à la demy portée du canon. Ils ne purent travailler le lendemain 23 pendant le jour à la prolonger à cause du grand feu d’artillerie que je leur fis faire : ce qui les obligea à s’enterrer pour s’en garantir. À quoy ils ne réüssirent pas selon ce que me rapporterent des deserteurs qui vinrent ce jour là dans la Place, m’asseurant qu’on leur avoit tué & blessé beaucoup de monde.

La nuit du 23. au 24. ils pousserent deux petits boyaux qu’ils avoient commencez au bout de la tranchée, dans le dessein d’avoir deux attaques : & le lendemain ils placerent derriere ces deux boyaux, dix pieces de canon & huit mortiers, desquels ils firent tirer sur la Place ce même jour, avec beaucoup de fureur ; mais comme je leur répondis de mesme, ils furent obligez ne pouvant prolonger cette tranchée, de ne penser qu’à s’enterrer davantage, à en épaissir les revers, & mettre à couvert leur Artillerie par de gros épaulemens de fascines & de gabions, ainsi ils ne purent prolonger leurs boyaux autant qu’ils se l’estoient proposé.

La nuit du 24 au 25. ne leur fut pas plus heureuse, puisque le grand feu de mousqueterie que je leur fis faire, les empêcha de prolonger leurs deux boyaux plus de sept ou huit toises chacun ; & comme je m’apperçus le lendemain matin qu’en plaçant hors de la place quelques pieces de canon, on enfileroit leurs Ouvrages, j’en fis mettre en diligence trois, soûtenuës par de l’Infanterie auprés d’un Moulin, à la portée du mousquet de la Place, & de leur Tranchée, laquelle ils furent obligez d’abandonner le reste du jour, & de passer toute la nuit suivante à faire de fort gros épaulemens au bout de chaque boyau pour les mettre à couvert de nostre canon. Ce mesme jour là, ils amenerent encore dans leur Tranchée huit pieces de canon & six mortiers.

La nuit du 25. au 26. ils voulurent prolonger leur tranchée à droite & à gauche ; mais le grand feu de mousqueterie que je fis faire sur eux, joint au canon que je fis tirer à cartouche & à boulets, & à quelques petites sorties de grenadiers, les empescherent de prolonger davantage leurs Ouvrages de de trois & ou quatre toises de chaque costé.

Ils ne songerent le lendemain qu’à grossir leurs Ouvrages, à s’y enterrer & à faire tirer leur artillerie comme les jours precedens avec beaucoup de fureur, ce qu’ils continuerent toutes les nuits.

Comme je continuay la nuit du 26. au 27. le mesme feu de Mousqueterie & de Canon à cartouche & à boulets, jusqu’à cette derniere nuit, & que je fis faire toûjours de petites Sorties, les Ennemis ne purent prolonger leurs ouvrages, & je ne doute pas que la conduite qu’on a tenuë avec eux qui leur a coûté cher, si l’on s’en rapporte à tous leurs Deserteurs, ne leur ait imposé & fait changer de dessein n’osant continuer leur tranchée, n’y approcher de plus prés de la Place. Ils n’ont fait depuis que continuer à battre la Ville, & les dehors avec un grand feu de Canon, dont la pluspart chargez à boulets rouges. On ne peut jetter plus de Bombes qu’ils en ont jetté par tout. On a trouvé dans quelques-unes, chargées seulement de terre, plusieurs billets en Allemand & en François, par lesquels ils excitoient les Soldats & les Bourgeois de se mutiner contre moy, promettant de grandes recompenses aux uns & aux autres, s’ils livroient la Place & ma Personne. Je leur répondis par les mêmes Postillons, les assurant de la fidelité des Soldats & des Bourgeois pour le Roy & leur Prince, & qu’ils n’estoient pas capables de suivre de si infames conseils.

Ils continuerent leur grand feu de Canon & de Bombes jusqu’à hier 30. la nuit, pendant laquelle ils retirerent une partie de leurs Canons & Mortiers, ce qu’ils continuerent le matin ayant fait marcher quelque Cavalerie & Infanterie que nous vîmes décamper.

Hier sur les dix heures du matin, je m’apperçus que la plus grosse partie des Troupes qu’ils avoient dans leur Tranchée se retiroit ; ce qui me fit prendre le parti de faire sortir par deux costez de la Place, pour aller à chacun de leurs boyaux, quatre Compagnies de Grenadiers, soûtenus par nostre Infanterie, & des Dragons à cheval, pour aller joindre le reste de nos Troupes : ce qui fut executé par Mr le Marquis de Seguiran, tres-vigoureusement comme je l’avois ordonné ; puisque nos Troupes chasserent nos Ennemis & brûlerent toutes leurs fascines & gabions. Plusieurs de leurs Troupes, Cavalerie & Infanterie, se mirent en marche pour rallier celles que nous avions chassées & revenir avec elles sur les nostres, pour les empêcher d’executer ce qui leur avoit esté ordonné, & de rentrer dans la Place avec le même ordre, & la lenteur qu’ils firent. Les Ennemis ne sont revenus que de loin sur eux. Ils tirerent cependant beaucoup de coups de mousquets, qui heureusement ne tuerent personne, & ne blesserent que peu de Soldats, à la verité le grand feu d’Artillerie que je leur avois preparé les contraignit fort, leur ayant tué beaucoup de monde & beaucoup de chevaux, suivant ce que m’ont assuré plusieurs de leurs deserteurs arrivez ce matin.

Je croy qu’il est permis, à la maniere qu’ils ont décampé, de dire & de croire que la conduite que cette Garnison a tenuë envers eux les a obligez de lever le Siege avec bien de la honte & de la crainte, par rapport au mal que j’aurois voulu leur faire, plutost que par rapport à ce que j’aurois pû, puis qu’hier à l’entrée de la nuit, ils firent retirer leur Artillerie & leurs Bagages, & peu de temps aprés toutes leurs Troupes à la sourdine, sans Trompette, Timbale, ni Tambour, & qu’à la pointe du jour quelques troupes de Cavalerie restées pour l’arriere-garde, ont mis le feu à leur Camp, & se sont retirées sans que nous les ayons presque vûs. J’ay crû leur devoir dire adieu, en leur faisant faire trois salves de tout le Canon & de la Mousqueterie, pour faire connoistre au Public & à nos Voisins le peu de succés des Alliez sur cette Place : ce qui ne leur fait pas honneur même parmi eux, à ce qui m’est revenu aujourd’huy.

Le Prince & les Generaux qui nous avoient attaquez suivirent leurs Troupes avec la même precipitation, pour aller, les uns à Wesel avec leur Prince, & les autres aux environs de cette Place. Ce n’est pas la grande marche qu’ils avoient à faire qui les a obligez de décamper, & de marcher toute la nuit, puisque celles qui sont allées plus loin n’ont fait que deux lieuës. J’ay pris des mesures pour qu’on leur rende visite cette nuit, de ma part.

Je les ay reconduis aussi ce matin par eau comme par terre, avec plusieurs coups de Canon de trois pieces que j’avois fait avancer sur le Rhin, sur leurs Batteaux, qui ramenoient à Dusseldorff l’Artillerie qu’ils en avoient tirée, le Prince Palatin les ayant secourus de tout ce qu’il a pû, & leur ayant donné trois cens Bombes, pour achever le nombre de prés de mille qu’ils nous ont jettées, avec beaucoup de Pots à feu, Carcasses & Bombes sans cependant que la Ville soit beaucoup brûlée, le plus grand mal estant dans des maisons écrasées par les Bombes. J’ay esté assez heureux dans ce grand feu de Canon, de Bombes, & autres machines, de contenir tous les Bourgeois, les obligeant à secourir leurs maisons, & les faisant aider par des Soldats.

Quant à la perte qu’ils ont faite Mr le Chevalier Dolive sera chargé du Procés verbal que j’ay fait faire par le Commissaire ; c’est par luy que j’auray l’honneur de vous envoyer la disposition des quartiers des Ennemis autour de cette Place. Mr le Marquis de Seguiran est chargé du Plan des attaques des Ennemis & de leur Camp. J’ay déja commencé à faire raser une partie de leurs tranchées. Quelques troupes de Cavalerie qui doivent loger à Orsoy ayant interrompu ce travail, j’espere le finir demain.

On voit par cette Relation la grande fermeté de Mr le Marquis de Gramont, & avec combien de cœur, & d’honneur, ce Marquis a deffendu la Place qui luy a esté confiée, & qu’il n’a laissé passer aucun moment sans harceler les Ennemis. La fierté avec laquelle il avoit répondu à leur sommation prématurée, & faite avant que d’avoir attaqué une Place qui ne pouvoit estre prise que par un Siege dans les formes, avoit dû leur faire connoistre que la resistance qu’il feroit seroit du moins aussi vive que leurs attaques.

[Histoire de l’évasion du Secrétaire de l’Amirante de Castille] §

Mercure galant, novembre 1702 [tome 15], p. 175-186.

Vous avez ouy dire que celuy qui avoit esté nommé Secretaire de l’Ambassade d’Espagne en France pendant le temps que l’Amirante de Castille, nommé Ambassadeur Extraordinaire auprés de cette Couronne, devoit y demeurer, avoit trouvé moyen de le quitter, parce qu’il estoit persuadé qu’il luy refuseroit son Congé ; mais vous ne sçavez pas ce que ce Secretaire a fait pour parvenir à son but. Il n’y a rien de plus curieux, & c’est une action auquel l’on pourroit donner le nom d’Histoire.

L’Amirante estant parti de Madrid pour venir en France en qualité d’Ambassadeur Extraordinaire, au lieu d’en prendre la route, entra dans le Portugal. Le Secretaire de cette Ambassade qui l’accompagnoit, surpris de se voir dans ce Royaume, cacha le chagrin qu’il en avoit, & sans se plaindre ni paroître mécontent, comme beaucoup d’autres, il feignit d’estre entierement dans les interests de l’Ambassadeur, & de vouloir s’attacher sans reserve à sa fortune. Un Medecin que l’Amirante amenoit, devoit à ce Secretaire le choix que l’on avoit fait de sa personne, ce qu’il regardoit comme un tres grand avantage. Le Secretaire qui avoit reçu du Medecin de grandes protestations de service, en reconnoissance de ses bons offices, crut pouvoir prendre confiance en luy, & le pria un jour tres instamment de ne luy pas refuser une chose qu’il vouloit luy demander. Le Medecin qui luy estoit obligé, s’y engagea sans aucune peine ; & aprés cette promesse, le Secretaire luy ouvrit son cœur. Il luy fit fit voir qu’étant chargé du Secretariat de l’Ambassade, il seroit plus condamnable qu’un autre, s’il servoit l’Ambassadeur, & que pour s’en dispenser il ne trouvoit point d’autre expedient que de feindre quelque maladie. Il le conjura d’appuyer sa feinte, en insinuant peu à peu à l’Ambassadeur que sa santé estoit fort mauvaise, & en luy disant quelques jours aprés qu’il ne pouvoit plus continuer le voyage sans risquer sa vie. Le Medecin satisfit de point en point à ce que le Secretaire exigeoit de luy. L’Amirante crut ce qui luy fut dit, & alla voir le Secretaire, qui ne contre-fit pas assez bien le veritable malade, pour persuader que quelques jours de marche de plus le pussent mettre dans un estat dangereux. L’Amirante poursuivit sa route, & le Secretaire aidé par le Medecin qui luy donnoit des remedes dont il n’avoit nul besoin, trompa si bien ceux qui le voyoient, qu’ils crurent effectivement que la fatigue du chemin augmentoit Son mal ; de sorte que l’Amirante convaincu par les rapports qui luy étoient faits, qu’il falloit du repos au Secretaire, consent à le laisser dans un lieu commode ; mais sous pretexte de la consideration qu’il avoit pour luy ; & du soin qu’il vouloit que l’on en prist, il ordonna à un homme affidé de demeurer auprés de ce feint malade pendant qu’il poursuivroit son voyage. Cet Homme qui avoit charge d’examiner sa conduite, n’y trouva rien qui pust luy donner le moindre soupçon. Le Secretaire n’écrivoit à qui que ce fust, & affectoit mesme de ne parler à personne en particulier. Enfin il joüa si bien son rôle, qu’il parut que sa santé estoit toûjours dans le mesme estat, sans qu’il y eust aucune diminution au mal dont il se plaignoit. Cependant il y avoit des momens où il disoit qu’il se sentoit assez bien pour travailler ; mais non pas pour se mettre en en marche, ce qu’il luy seroit impossible de faire à moins qu’il ne voulust exposer sa vie. Un jour qu’il affecta de paroître en meilleur estat qu’il n’avoit esté les derniers jours ; il dit à celuy que l’Ambassadeur avoit mis auprés de luy, qu’il ne doutoit point qu’on ne luy eust confié le secret qui estoit entr’eux, puis qu’on l’avoit choisi plutost qu’un autre pour voir quel seroit l’évenement de sa maladie. Il ajoûta que puisque son mal luy donnoit quelque relâche, il vouloit s’apliquer à des affaires qui pressoient extrêmement, & pour lesquelles il croïoit qu’on eût mis entre ses mains les instructions qui luy seroient necessaires. L’autre répondit qu’il n’avoit aucuns papiers, & le Secretaire en parut au desespoir. Il montra de grandes inquietudes touchant les papiers qui luy manquoient, & qui estoient de la derniere importance. Aprés qu’il eut dit plusieurs fois en sa presence, qu’il se trouvoit d’autant plus embarassé, qu’il n’osoit envoyer personne pour apporter ces instructions, parce qu’elles estoient d’une nature à ne pouvoir estre confiées qu’à un homme de la plus exacte fidelité, l’Espion donna dans le piege, & s’offrit d’aller luy même querir les papiers. Aussitost qu’il fut party, le Secretaire qui se portoit parfaitement bien, s’accommoda des montures de quelques Bohemiens qui estoient dans le lieu où l’Ambassadeur l’avoit laissé, & se rendit à Madrid avec une extrême diligence. La Junte loüa fort son zele & son esprit, & le reçut avec joye. Je vous entretiendray plus amplement de l’Amirante, à la fin de cette Lettre.

[Mort de Mr Nassau Sarbruk, avec dans sa famille Marie de Nassau, chanteuse]* §

Mercure galant, novembre 1702 [tome 15], p. 224-232.

J’ajoûte à ces Morts celle de Mr le Prince de Nassau Sarbruk, L’antiquité & l’illustration de la Maison de Nassau sont connuës de tout le monde. L’honneur que cette Maison a d’avoir donné un Empereur à l’Occident fait son plus grand lustre : C’est Adolphe qui perdit l’Empire & la vie l’an 1297. ou 1298. dans le combat qu’Albert d’Autriche, fils de l’Empereur Rodolphe luy donna : Adolphe estoit fils de Walrame de Nassau mort en 1289. & qui estoit fils de Henry le Riche Comte de Nassau mort en 1254. lequel outre Walrame laissa encor Othon, lesquels ont formé les deux principales branches de la Maison de Nassau. La branche de Walrame est aujourd’huy sous divisée en trois autres ; sçavoir Nassau Sarbruk, Nassau Wisbaden & Idstein, & Nassau Veilbourg. L’autre branche qui vient d’Othon, oncle de l’Empereur Adolphe subsiste en cinq autres branches, qui sont Nassau Orange, Nassau Siegen, Nassau Dillenbourg, les Princes de Nassau, & Nassau Hadamar. Le Comte Othon donna de grands fondemens à sa branche, en épousant Agnés Comtesse de Solms. On voit par là que le feu Roy d’Angleterre ne descendoit qu’en ligne collaterale de l’Empereur Adolphe, & que le Prince de Nassau Sarbruk qui vient de mourir, en vient de pere en fils ; car cet Empereur laissa d’Imagine fille de Gerlac Comte de Limbourg, une des plus belles Princesses du monde, plusieurs enfans. Gerlac l’aîné eut d’Agnés fille de Conrad Landgrave de Hesse un fils de son nom, qui fut Archevesque de Mayence, & qui sçavoit treize sortes de langues, & Adolphe. Celuy-cy épousa une fille de Frederic Vicomte de Nuremberg. Il mourut en 1370. Il laissa Adolphe Archevesque de Mayence, Jean aussi Archevesque de la mesme Ville, qui fut un saint Personnage, Jeanne mariée au Comte de Valdek, & Gerlac qui continua la posterité, & qui laissa de Berthe de Westburg Adolphe qui mourut l’an 1475. Son merite extraordinaire, les rares qualitez & une probité exacte, le rendirent cher aux Princes de son siecle, il laissa de Marguerite fille du Marquis de Bade, Adolphe Archevesque & Electeur de Mayence, qui fut un des plus grands Prelats qui ayent esté sur ce Siege. Nauclere, Tritheme, & l’Abbé Dursperg en font une honorable mention. Il eut encore Jean un des plus grands Capitaines de son temps, qui de Marie de Nassau (qui avoit une si belle voix, qu’on venoit l’entendre chanter de toutes parts ; jusques là que l’on a veu des Princes d’Orient passer les Mers pour se procurer ce plaisir) laissa Adolphe mort en 1504. lequel laissa de Marguerite Comtesse de Hanaw Philippes, duquel descend le Prince de Sarbruk qui vient de mourir. Cette branche a encore produit ce fameux Adolphe de Nassau, qui fut malheureusement tué en 1608. conduisant un party de Hollandois, dans le temps qu’on travailloit à la Treve qui fut concluë peu de temps aprés avec les Espagnols. On peut dire que plusieurs Princes de cette Maison ont eu des Heros, & ont fait la gloire & l’ornement de leurs siecles.

Le Prince de Nassau Sarbruk, qui vient de mourir, passoit pour un des plus honnestes Hommes du monde. Il avoit épousé Mademoiselle Louvestein, sœur de Madame la Marquise de Dangeau. Cette Maison est d’une tres grande ancienneté, puis que du temps de Charlemagne un Seigneur de cette Maison estoit Gouverneur de Louis le Debonnaire, fils de cet Empereur. À la Bataille de Malnerg : un Georges de Louvestein fut tué à costé de Charles-Quint, & à celle de Cerizolles un Adrien de Louvestein, blessa de sa main le Prince de Condé.

Air nouveau §

Mercure galant, novembre 1702 [tome 15], p. 232-235.Il se pourrait que l'abbé de Poissy, dont le Mercure affirme qu'il excelle en Musique aussi bien qu'en Poësie, ait écrit tant les vers que la musique de cet air, comme il le fit pour l'air du Mercure de septembre 1703. Rien ne permet toutefois de l'affirmer avec certitude, les poèmes des airs du Mercure de mars 1698, du Mercure de mai 1698, et du Mercure de mai 1703 qu'il mit en musique n'étant pas de sa plume.

La diversité des matieres dont j’ay à traiter quand je vous écris, fait que je me trouve souvent obligé de passer de celle qui est la plus triste à l’article le plus enjoüé ; mais ce ne doit pas estre un desagrément pour ceux qui lisent mes Lettres, sur tout en France, où rien ne plaist tant que la varieté. Ainsi ne vous étonnez pas si je vous envoye une Chanson aprés plusieurs articles de morts ; les Pieces Comiques divertissent beaucoup lorsqu’elles sont données aprés les plus sanglantes Tragedies. Je vous envoye un Billet qui m’a esté adressé avec l’Air que je vous envoye.

Voicy, Monsieur, un Air de la Composition de Mr l’Abbé de Poissy, je me fais d’autant plus de plaisir de vous l’envoyer qu’il a plu generalement à la Cour & à la Ville, ce rare Auteur excelle en Musique aussi bien qu’en Poësie & l’on trouve en luy ce que l’on trouve séparement dans plusieurs habiles, c’est ce qui donna lieu à son illustre Amie Mademoiselle de Scuderi de luy écrire un jour.

 Que c’est un destin singulier
D’estre en tout toujours Maître & jamais Ecolier.

AIR NOUVEAU.

L’Air qui commence [par] Le Dieu qui répend doit regarder la p. 235.
Le Dieu qui répand la lumiere
Va terminer sa course dans les Eaux,
Et quitte le matin, l’humide sein des flots.
Pour recommencer sa Carriere.
  Malgré l’ordre du destin
Qui luy fait éclairer le monde,
S’il couchoit dans le Vin comme il couche dans l’Onde,
Il ne sortiroit pas de son lit si matin.
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[Nouveau recueil de Danses de Bal] §

Mercure galant, novembre 1702 [tome 15], p. 324-325.

Mr Feuillet, Maistre de Danse, Auteur de Chorégraphie ou Danses, dont les figures sont gravées, vient de donner un recueil de Danses, de Bal de la composition de Mr Pecour. Ce qu’il fera toutes les années au commencement du mois de Novembre. Par ce moyen les personnes éloignées pourront avoir les Danses nouvelles, & auront le temps de les apprendre pour le Carnaval. Le même Auteur donnera sans faute à Pâques prochain les Oeuvres de Mr Pecour, qu’une infinité de personnes attendent depuis long-temps. Le recueil dont je viens de vous parler se vend chez Michel Brunet dans la grande Salle du Palais, au Mercure Galant, & se donnera tous les ans pour trente sols.

Air nouveau §

Mercure galant, novembre 1702 [tome 15], p. 325-327.

La Danse, & le chant ayant une grande affinité ensemble, je vous envoye un air à boire de la composition de Mr d’Ambruis, dont les Airs ne sont pas moins recherchez qu’ils sont estimez. Les paroles sont de celuy qui jusqu’à present ne s’est fait connoistre que sous le nom de Tamiriste.

AIR NOUVEAU.

L’Air qui commence par, cher Amy, doit regarder la p. 326.
Cher Amy tu trouves étrange
Que l’on vante tant la Vendange,
Que le Ciel nous promet à l’Automne prochain.
A ton tour sans cesse & sans fin
Tu vantes de Philis, la beauté sans seconde,
Mais l’on trouve toujours des beautez dans le monde,
Et l’on ny trouve pas en tout temps de bon vin.
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[Feste de Sainte Cecile Celebrée par les Musiciens du Roy] §

Mercure galant, novembre 1702 [tome 15], p. 327-328.

Ce qui suit regardant encore le chant, on peut dire que ces trois articles n’en font qu’un qui regarde la Musique. Mrs les Musiciens de la Chapelle du Roy, celebrerent le 22. de ce mois la Feste de Saint Cecile, & prierent Mr le Curé de la Paroisse de Versailles, & son Clergé, de faire l’Office. Cette dévotion avoit esté interompuë l’année derniere parce que les Ecclesiastiques de leur corps ne purent convenir de celuy d’entre eux qui Officieroit, & de ceux qui feroient les autres fonctions Ecclesiastiques. Mr de la Lande, Surintendant de la Musique du Roy, se trouva à cette solemnité avec environ quatre-vingt Musiciens, & ils esperent la continuer tous les ans de la mesme maniere. Le saint Sacrement fut exposé à la Messe & au Salut, & la nombreuse assemblée qui s’y trouva, fut tres-édifiée de cette ceremonie, & tres-satisfaite des Motets de Mr de la Lande.

[Retour de Mr le Maréchal de Villeroy remply de faits curieux] §

Mercure galant, novembre 1702 [tome 15], p. 332-338.

Pendant que Mr l’Amirante de Castille quittoit l’Espagne Mr le Marechal de Villeroy revenoit en France. Il s’en faut beaucoup que ce Marechal n’ait esté traité en Allemagne, comme le Prince de Virtemberg, l’un des Generaux de l’Empereur & Commandant sa Cavalerie qui fut pris par Mr le Marechal de Lorge, a esté traité en France. Ce Prince eut l’honneur de voir le Roy, il fut regalé des principaux Seigneurs de la Cour, & n’eut que sa parole pour garde. Le Roy ne voulut point en prendre de rançon, & quelques jours avant son depart il fut nommé pour Marly où l’on a l’honneur de voir Sa Majesté plus souvent, & de plus prés qu’à Versailles, la Cour n’y estant point nombreuse, & chacun s’y communiquant plus familierement. Mr le Marechal de Villeroy n’a point vû l’Empereur, il a toûjours demeuré à Gratz, où souvent il a eu à craindre, quoy que ce ne fût pas l’intention de l’Empereur, d’estre insulté par ceux à qui le vin inspire de la brutalité, en sorte qu’il n’a osé s’exposer à joüir du peu de liberté qu’on luy laissoit. Le menu peuple n’estoit pas plus sage & plus retenu, & il faut moins s’en étonner, il s’atroupoit autour du lieu où ce Marechal demeuroit, dés qu’il entendoit dire qu’il y avoit eu quelque action dans les Armées, s’il les croyoit avantageuses pour les Armées de l’Empereur, il insultoit Mr le Mareschal, en s’applaudissant, & s’il estoit convaincu du contraire, dont il avoit de la peine à se laisser persuader ; il redoubloit ses injures seditieuses ; cela arrivoit rarement, tant on prend soin de déguiser ces sortes de veritez dans toute l’Allemagne, & d’y chanter des Te Deum, lorsque l’on ne devroit songer qu’à des Chants lugubres. Voicy un fait constant là-dessus, & rapporté par Mr le Mareschal de Villeroy. Ce Mareschal dit qu’il n’avoit jamais senty une si vive douleur que celle que luy avoit causée l’arrivée d’un Courier de Mr le Prince Eugene qui alloit à Vienne porter la nouvelle du Combat de Luzara. Il ajoûte que l’usage des Couriers de ce païs-là qui portent de bonnes nouvelles, est de sonner en passant dans les Villes d’une certaine maniere, avec une espece de Cornet qu’ils portent ordinairement, & qu’en avant veu passer un sous ses fenêtres, il avoit prié son Garde de luy dire dequoy il s’agissoit, & qu’aprés avoir affecté beaucoup de mistere avant que de luy rien declarer, il luy avoit dit enfin que le Prince Eugene venoit de gagner la Bataille la plus complette qui se fut jamais donnée ; que Mr de Vendôme, & presque tous les Officiers Generaux avoient esté tuez, tout le canon & tout le bagage pris, & qu’il ne restoit plus qu’un petit corps de Cavalerie, qui avoit pris la fuite, & qu’on poursuivoit, de maniere qu’il seroit dissipé en fort peu de temps. Ce discours estoit si outré ; que je croy vous devoir laisser faire vos reflexions, au lieu de vous en rien dire.

L’Empereur n’ayant plus aucun pretexte pour retenir Mr le Mareschal de Villeroy, luy envoya dire qu’il luy rendoit sa liberté, sans autre condition que de retourner en Italie, & de passer par son Armée. Cependant Mr le Mareschal de Villeroy qui sçavoit que la rançon des Generaux d’Armée venoit d’estre fixée par le Cartel à cinquante mille livres, envoya si tost qu’il fut arrivé en Italie, & estant encore éloigné de l’Armée de l’Empereur un billet de cinquante mille livres à Mr le Prince Eugene, payable au Porteur. Ce Prince qui est né en France, qui n’a pû encore en oublier les manieres, & qui se sent encore de l’air qu’il y a respiré, renvoya le Billet de Mr le Mareschal de Villeroy, à Mr le Duc de Villeroy son fils, il l’assura en mesme-temps qu’il n’avoit jamais songé à prendre de rançon de Mr son Pere, & marqua que leur entreveuë ne convenoit ni à l’un ni à l’autre, & que la dignité de Mr le Maréchal de Villeroy le dispense de se donner la peine de le venir trouver dans son Camp.

Enigme §

Mercure galant, novembre 1702 [tome 15], p. 363-369.

Le mot de l’Enigme du mois passé, estoit le Sang, ceux qui l’ont deviné, sont Mrs Bardet & son ami du Plessis, du Mans, Mouget de la ruë du Roule, & la dixiéme Muse du Fauxbourg Saint Germain sa Commere, le Vicomte d’Auteüil, Mr de Faverolles d’Arras Tamiriste son épouse, & sa fille Angelique, le petit Bon-homme de la ruë de l’Arbre-sec, & l’heureuse Solitaire de la mesme ruë, le nouvel Habitant de Clermont en Beauvoisis, Mr Colidor, Mademoiselle Amarante & leur Parain la Rigouliere, l’Auteur de l’Amour desinteressé, Madame Baillot ; Mr Pigis & le Pigmée de la ruë des Barres, l’Infortuné Pigis de la ruë Saint Antoine, l’Amant sans Parole pour la belle du Coin de la ruë des Noyers, les Protocolistes du Bureau du Carrefour de l’Ecole, Mrs Canapain, Procureur au Parlement de Roüen, du Plessis Capitaine Commandant le Detachement de la Marine en Canada, la Motte Cadillac, Capitaine au mesme Detachement, le Chin Procureur Fiscal à Egligny, proche Auxerre, Trebuchet Beaubois, & le Favori de la Dame G. … & Jean l’aîné ruë Portefoing, la Jeune Muse du Coin de la ruë de Richelieu ; Mesdemoiselles Louison du coin de la ruë des Noyers, ruë S. Jacques, & la Belle Marie Sebert, Catin de la Chapelle de la ruë Saint Antoine, Mr Bordier le fils, du du coin de la Bastille, & Mademoiselle du Moustier de l’Arsenal la fille, Mariane de la ruë Montorguëil & le Jaloux Ridicule, la belle Marchande de la ruë de Savoye, l’aimable & charmante Brune, de la Fleur de Lys, ruë Saint Jacques, la jeune Muse du coin de la ruë de Richelieu, les Associées de la Place de Vendôme, & l’Epoux & l’Epouse de la ruë S. Julien des Menestriers, Messieurs l’Abbé Pastoret & son cousin de la Monnoye, & Godeau de la ruë de Betisy, les petits Cousins des Traits & d’Ingré, le Bouthillier du Marege, & son aimable Commere de la ruë Geoffroy-l’Asnier, & l’aimable Guyon de la ruë Saint Germain. Mrs Pucelle Bourguinon le Petit Gabriel, & le Chevalier des Bons Enfans de la ruë de la Tixerandrie, Raly, L’Abbé du Monceau de Saint Germain. Mademoiselle Archin de l’Hostel de Marillac, Tieret de Bourg en Bresse, & Loison de la Vieille ruë du Temple.

Je ne vous envoyeray pour Enigme ce mois cy que le Sonnet que vous allez lire. Il est de Mr Daubicourt.

SONNET ENIGMATIQUE.

Sous un toict découvert, sans abri ny clôture,
Je fus le seul témoin d’un Prodige nouveau.
L’Astre, qui l’annonça sur la terre & sur l’eau,
Plût à tout l’Univers, & surprit la nature.
***
Depuis que le Soleil luit pour la Créature,
Jamais aucun objet n’avoit paru si beau,
L’on a crû qu’il seroit affranchi du Tombeau ;
Mais tout estre naissant creuse sa Sepulture.
***
Les plus vils Animaux eurent sur moy leurs droits,
Et depuis à ma suite, on a veu plusieurs Rois.
***
Vos désirs curieux sur ce récit, peut-estre.
S’intriguant pour sçavoir ce qui me rend sans prix :
Souvenez vous Mortels, de qui vous tenez l’estre,
J’estois quand il nâquit encor dans le mépris.