1702

Mercure galant, décembre 1702 [tome 16].

2017
Source : Mercure galant, décembre 1702 [tome 16].
Ont participé à cette édition électronique : Nathalie Berton-Blivet (Responsable éditorial), Anne Piéjus (Responsable éditorial), Frédéric Glorieux (Informatique éditoriale) et Vincent Jolivet (Informatique éditoriale).

Mercure galant, décembre 1702 [tome 16]. §

[Accouchemens] §

Mercure galant, décembre 1702 [tome 16], p. 121-124.

Pendant que les uns meurent, & que l’âge des autres les approche du Tombeau, d’autres par leur fecondité reparent les pertes que la mort cause au genre humain. Madame Brunet de Montforand est de ce nombre, & vient d’accoucher heureusement d’une fille dont les attraits naissans la font déja passer pour belle : ce qui a donné lieu à Mr Denis, Avocat en Parlement, de faire les Vers suivans.

De Lise enfin, l’heure est venuë,
Cet astre qu’attendoient nos vœux
A tout à coup forcé la nuë
Qui le déroboit à nos yeux.
Lise en accouchant d’une Fille
Vient de mettre un miracle au jour,
Tout cede aux feux dont elle brille
Elle est plus belle que l’Amour.
***
Ce Dieu pour faire l’assemblage
Des plus vifs traits de la Beauté,
Semble avoir dans son propre ouvrage
Surpassé sa Divinité.
Il brûle, il s’est blessé pour elle
Luy-même de ses propres traits,
Et déja la croit immortelle
À voir éclater tant d’attraits.
***
L’œil fixe sans cesse il admire
Son incomparable Vainqueur,
Et veut que dans tout son Empire
Elle regne ainsi qu’en son cœur.
Venus de dépit & de honte
Tonne, éclate contre ce Fils ;
Mais, quoy, la flame qui le dompte
S’allume encor plus par ses cris !
***
Contre cette jeune merveille,
Contre moy, que de vains transports !
D’une ardeur, dit-il, sans pareille,
Croyez-vous braver les efforts ;
Pouvois-je la faire moins belle
Aidé de deux parfaits Epoux ?
C’est à ce surprenant modele
Que je dois ces surprenans coups.
***
Ne hazardez point vostre gloire,
On vous fuit. On luy fait la Cour.
Venus, cedez luy la victoire,
Et qu’elle triomphe à son tour.

[Prix d'éloquence & de Poësie, pour l’Année MDCCIII] §

Mercure galant, décembre 1702 [tome 16], p. 124-129.

Ce que vous allez lire vient d’estre donné au Public.

PRIX D’ELOQUENCE ET DE POËSIE.
Pour l’Année M DCCIII.

L’Academie Françoise fait sçavoir au Public que l’année prochaine, le 25. jour d’Aoust, Feste de saint Loüis, Elle donnera le Prix d’Eloquence fondé par M. de Balzac, de l’Academie Françoise. Le sujet sera, Qu’on peut vivre dans le monde en veritable Chrestien, & en parfaitement honneste homme. Il faudra que le Discours ne soit que de demi-heure de lecture tout au plus, & qu’il finisse par une courte Priere à Jesus Christ.

On ne recevra aucun Discours sans une Approbation signée de deux Docteurs de la Faculté de Theologie de Paris, & y residant actuellement.

Le mesme jour Elle donnera le Prix de Poësie fondé par M. de Clermont de Tonnerre, Evesque & Comte de Noyon, Pair de France, & l’un des quarante de l’Academie : Le sujet sera, Les grandes choses que le Roy a faites pour la conservation de la Monarchie d’Espagne. Il sera permis d’y joindre tel autre sujet de loüange que chacun voudra, sur quelques actions particulieres de Sa Majesté, ou sur toutes ensemble, pourveu qu’on n’excede point cent vers. Et on y adjoutera une courte Priere à Dieu pour le Roy, separée du corps de l’Ouvrage, & de telle mesure de Vers qu’on voudra.

Toutes personnes seront receuës à composer pour ces deux prix, hormis les Quarante de l’Academie qui doivent en estre les Juges.

Les Auteurs ne mettront point leur nom à leurs Ouvrages, mais une marque ou paraphe, avec un passage de l’Ecriture Sainte, pour les Discours de Prose ; & telle autre sentence qu’il leur plaira, pour les Pieces de Poësie.

Ceux qui prétendront aux Prix seront obligez de mettre leurs Ouvrages dans le dernier May prochain, entre les mains de M. l’Abbé Regnier, Secretaire perpetuel de l’Academie Françoise, à l’Hostel de Crequy, sur le Quay Malaquest.

Et en son absence.

Chez Jean Baptiste Coignard, Imprimeur & Libraire ordinaire du Roy & de l’Academie Françoise, ruë saint Jacques, prés S. Yves, à la Bible d’or.

L'avare et le patissier §

Mercure galant, décembre 1702 [tome 16], p. 135-141.

Le petit Conte qui suit a esté envoyé à une personne de consideration, un jour qu’elle avoit pris Medecine.

L’AVARE ET LE PATISSIER.

Un Harpagon à court rabat,
Manchette unie & soulier plat
Des plus devots en apparence,
Mais n’ayant d’autre Dieu que la seule Finance ;
En un mot un avare, ingrat & sans retour,
Avoit reçu cent fois maintes pieces de Four,
D’un pauvre Patissier son Voisin, son Compere ;
Pour ne point cependant demeurer arriere,
 Estant devenu Marguillier,
 L’Avare dit au Patissier,
Je te veux, cher Amy, faire avoir la pratique
 Des Pains-benits de la Fabrique,
 Ils sont païez fort grassement,
 Et je ne veux pour ce service
 Qu’une Brioche, c’est justice,
 Feste & Dimanche seulement,
 À l’instant Godard luy replique,
Monsieur, je vous rends grace, & toute ma boutique
 Est à vostre commandement.
 Aprés son petit compliment,
 Godard s’en retourne à la hâte,
Assaisonne un Chevreüil & le mettant en pâte,
Y trace en relief les armes & le nom,
 De son ladre & vilain Patron.
Le Pâté fait & cuit soudain il le lui porte,
 Le priant d’agréer ce don,
À l’aspect du present, le sordide Harpagon,
 Feint d’être en colere & s’emporte :
 Non, non, dit-il, je ne veux pas
Recevoir un Pâté de cette consequence,
 On en feroit trente repas,
 C’est une fois trop de dépense.
Dis-moy ce qu’il te coûte afin que là-dessus…
Monsieur, reprit Godard, c’est une bagatelle…
Douze écus plus ou moins : Vraiment la piece est belle,
Repartit Harpagon, il vaut bien douze écus,
Un riche & gros Seigneur en feroit bonne chere,
 Avant que l’on en vist la fin,
 On boiroit plus d’un muid de vin.
 Remporte le, mon cher Compere ;
Croi-moi, dans ta boutique il trouvera son prix,
 Il est juste qu’elle en profite,
De douze écus qu’il vaut, Ami, donne m’en six,
 Et pour le reste je t’en quite.
À ce discours Godard mille fois plus surpris
 Que ne l’est un fondeur de cloche,
 Tire six écus de sa poche,
 Et reprenant son grand Pâté
Remercie Harpagon de son honnesteté.
Le quitte, mais bientost le vilain le rappelle.
Cher Ami, lui dit-il, je crains avec raison
 Que ma Femme ne me querelle,
 Elle aime fort la venaison.
Coupe m’en seulement une tranche pour elle.
Godard poussant à bout sa liberalité
Saisit son Tranchelard, partage le Pasté
Et laisse enfin l’Avare au comble de la joye
 De se voir maistre de sa proye.
La Femme d’Harpagon de retour au logis
Trouvant que le Chevreüil estoit d’un goust exquis
Blâma fort son Mari d’estre par trop modeste
Et comme elle ignoroit qu’il eût eu six écus,
 Envoya demander le reste
 Sans crainte d’avoir un refus.
 Godard se doutant de l’affaire,
 À l’envoyer fut diligent ;
Et le riche vilain, de son pauvre Compere
 Eut la marchandise & l’argent.

Ordonnance de l'amour §

Mercure galant, décembre 1702 [tome 16], p. 149-155.

Je croy que la galanterie qui suit ne vous déplaira pas.

Amour ayant eu connoissance
Des desordres qu’on voit en France ;
Sçavoir en matiere d’amours,
Et qu’ils augmentent tous les jours.
Que des hommes sexagenaires
Traitent les amoureux misteres ;
Que des vieilles à cinquante ans
Se mêlent d’avoir des galans ;
Voulant regler dans son Empire,
À quel âge il faut qu’on soûpire ;
Pour en laisser chacun instruits,
Vient d’ordonner ce qui s’ensuit.

ORDONNANCE DE L’AMOUR.

NousAmour, le Souverain Maistre
De ce qui fut, est, & peut estre,
À tous, à venir & presens,
À tous jeunes & vieux Amans :
Salut. Comme les Ordonnances
Sont tout le soûtien des Puissances,
Sçachant que les vieilles Amours
Depuis quelques temps ont grand cours,
Et jugeant qu’il n’est rien de pire
Contre le bien de nostre Empire,
Voulons de tout nostre pouvoir,
Ranger chacun à son devoir.
Sur les plaintes qui nous sont faites,
Par nos bien amez les Poëtes,
Pour les interests des Soupirs,
Des Ris, des Jeux, & des Plaisirs,
Par qui les Amours surannées
Sont publiquement condamnées ;
Nous a semblé que leur avis
Estoient dignes d’estre suivis.
Les Soupirs qu’avec moy je mene
Craignent justement qu’on les prenne
Pour des Soupirs de gens cassez,
Prests d’aller chez les trépassez.
Les Ris ont dit avec des larmes,
Qu’ils sont tous privez de leurs charmes,
Qu’étant tous ridez & sans dents,
Laids au dehors, laids au dedans,
Ils ont bien peur qu’on ne les chasse,
Comme Ris de mauvaise grace.
Les Jeux devenus Colibets,
Méchans mots, fades sobriquets,
Propos fondez sur l’équivoque,
Dont le monde poli se mocque ;
Ne veulent non plus que les Ris
Tomber ainsi dans le mépris.
Les Plaisirs, Bals, & Serenades,
Festes, Rendez-vous, Promenades,
Par qui je puis ce que je puis,
Et qui me font ce que je suis,
Soutiennent que leur propre usage
N’est pas pour les personnes d’âge,
Qu’au service de vieilles gens
Ils seront toûjours languissans,
Et qu’estant Fils de l’allegresse,
Ils ne sont que pour la Jeunesse.
 À ces Causes, donc, pour finir
Ces maux à craindre à l’avenir,
Et pour pleinement satisfaire
Nos lien amez, sur cette affaire.
Nous deffendons à tous Vieillards,
Et mesmes aux plus goguenards,
De parler jamais de tendresse,
Et de faire aucune Maistresse,
Ainsi, ordonnons aux jeunes gens,
Pour nos droits un peu negligens,
De conter promptement fleurettes,
Et de faire des amourettes,
Dés qu’ils auront vingt ans passez,
Ou bien seulement commencez ;
Que les Filles à quinze ou seize,
Sçachent faire un galant bien aise.
Voulons qu’Amantes & qu’Amans
Cessent d’aimer à quarante ans,
Qu’aprés ils n’aiment qu’en cachette,
Comme faisant chose mal faite.
Nous pourrons permettre à quelqu’un
Qui soit au dessus du commun,
D’aimer sans autre consequence,
Jusqu’à cinquante, avec dispense,
Laquelle nous luy donnerons,
Sans frais, & quand nous le voudrons.
Prétendant que cette Ordonnance,
Soit sur tout observée en France,
Comme au lieu qui nous plaist le plus,
Où l’on voit regner ces abus.
Qui pratiquera le contraire,
Soit puni de ne jamais plaire,
Et soit reputé pour toûjours,
Criminel de lezes Amours.

[Second article de Morts] §

Mercure galant, décembre 1702 [tome 16], p. 185-189.

On s’est apperçu depuis quelques années que beaucoup de gens vivoient tres-long-temps, que les uns approchoient de la centiéme année, que les autres joüissoient de la vie jusqu’à cet âge, & que d’autres le passoient de plusieurs années. On a remarqué en même temps, que ceux qui gagnent leur vie par un travail penible, & qui ne connoissent aucuns remedes, parviennent plutôt à ce grand âge que les autres, & que pour un homme de distinction qui vit cent ans, il s’en trouve vingt qui sont obligez de gagner leur vie à la sueur de leur corps, qui à ce grand âge se trouvent encore en parfaite santé. Vous en avez vû beaucoup d’exemples dans mes Lettres, en voicy encore un.

Un Païsan de la Generalité de Montauban, nommé François Ligarre, de la Paroisse de Valperionde fut assisté à la mort au mois d’Octobre dernier, par Mr Bayet Vicaire de ce lieu. Ce Paysan estoit âgé de cent trois ans. Il avoit eu deux femmes. Il s’estoit remarié aprés cinquante années de veuvage, & avoit passé trente ans avec sa derniere femme. Ce bon homme n’avoit pour tout bien qu’une petite maison, & deux arpens de terre ; de sorte qu’il estoit obligé de travailler beaucoup pour gagner sa vie, il estoit si assidu à son travail, que les jeunes gens les plus robustes faisoient beaucoup moins de travail que luy : de maniere qu’il a vécu assez commodement tant qu’il a esté en estat d’agir ; mais ses forces estant épuisées depuis environ quinze mois, & ne pouvant plus travailler que foiblement, il tomba dans la mendicité. Ce pauvre homme se trouvant en cet estat, & ne voulant rien negliger de tout ce qui dépendoit de luy, & qui pouvoit le faire vivre, alloit souvent chercher du pain jusqu’à trois lieuës de son habitation, ce qu’il fit encore huit jours avant sa mort que ses forces luy manquerent ; ce qui fit connoistre qu’il n’est mort que faute d’avoir pris assez de nourriture pendant les derniers jours de sa vie, & par une entiere extinction de chaleur naturelle, n’ayant pas eu la moindre petite fievre. Il estoit d’un si bon temperament qu’il n’a esté malade qu’une fois pendant toute sa vie, & depuis soixante ans qu’il avoit eu une legere maladie, il s’estoit toûjours bien porté jusqu’au temps de son decés.

La mort a aussi enlevé dans le même temps un fameux Medecin, qui est mort dans un âge fort avancé. S’il avoit vécu aussi long temps que le Paysan, on ne se seroit point étonné de cette longue vie, puisque ceux qui croyent sçavoir le secret de la procurer aux autres, doivent s’en servir pour eux mêmes. Ce Medecin, qui estoit originaire de Bordeaux, estoit Doyen de la Faculté de Medecine de la même Ville. Cette Faculté est tres celebre. Mr Emery dont je vous parle, & qui en estoit Doyen, est decedé en sa maison de Boubes, où il s’estoit retiré pour se décharger des fatigues du penible employ qu’il exerçoit avec beaucoup de reputation depuis un grand nombre d’années. Comme il estoit amateur des belles Lettres où il excelloit, il estoit estimé par tout où il y avoit des Sçavans & des beaux Esprits Feu Mr Sarrazin le cherissoit, & avoit lie une étroite amitié avec luy. Vous jugez bien par là que Mr Emery n’est pas mort jeune. Mr Sarrazin avoit fait connoissance avec luy dans le temps que Monsieur le Prince de Conti, Pere de celuy d’aujourd’huy, estoit à Bordeaux. Ils commencerent en ce temps là un commerce d’esprit qui a duré jusqu’à la mort de Mr Sarrazin. Mr Emery a fait un fort grand nombre de beaux Vers Latins. Il composa un Poëme pour Mr le Marechal d’Albret, lors que ce Maréchal estoit Gouverneur de Guyenne, où il fait entrer tous les Ancestres de ce Gouverneur, & rapporte leurs plus belles actions. Si l’on avoit un recuëil de toutes ses Poësies, on y verroit briller beaucoup de genie. Il a couronné tous ses Ouvrages par des Vers heroïques qu’il a composé pendant sa maladie, sur une Fontaine de Sablanceaux, chantant, pour ainsi dire, comme un Cigne avant de se plonger dans le Tombeau.

L’Epitaphe suivant a paru aprés la mort de ce fameux Medecin.

JOANNIS EMERY
Burdigalensis.

EPITAPHIUM.

Emerius fuit emeritus vates medicusque,
In Phœbi geminâ floruit arte simul.

TRADUCTION.

Il fut favory d’Apollon,
Habile Medecin, & celebre Poëte,
Il cuëilloit au sacré Vallon,
L’herbe medecinale, & la tendre fleurette.

[Noël sur les paroles du Père Imbert]* §

Mercure galant, décembre 1702 [tome 16], p. 185-189.

Je vous envoye un Noël contre la vanité du monde. Les paroles sont du Pere Raphaël Imbert, Augustin déchaussé. Elles ont esté faites sur l’air d’une Sarabande nouvelle. Il y a si peu de temps que Noël est passé, que cet Ouvrage peut estre encore de saison. On devroit même le lire & le chanter souvent, puisqu’on ne peut refléchir sur les paroles qui composent ce Noël, sans entrer dans des sentimens que tout Chrestien doit avoir.

Retirez-vous Dieux de terre & de fange L’Air doit regarder la page 189.
Demons trompeurs, fantômes odieux.
Je vous connois, je ne prens plus le change
J’aurois horreur d’adorer de faux Dieux.
Il n’en est qu’un, & j’aprens par un Ange
Qu’en ce beau jour, il est venu des Cieux.
***
Riches habits, or, argent, Dieux du monde
Vains ornemens, modes, retirez vous,
Le Roy du Ciel de la terre & de l’onde.
Maistre de tout méprise tout pour pour nous :
Pauvre, humble, nû, d’une Vierge feconde
Ce grand Dieu naist pour le Salut de tous.
***
Jeux, Ris, Plaisirs, Opera, Comedie
Retirez vous Idoles de ce temps :
Le Fils de Dieu ne consacre sa vie
Qu’à la souffrance, à la Croix, aux tourmens ;
Par-là, mondains, cet enfant vous convie
À renoncer aux vrais plaisirs des sens.
***
Beauté, mollesse, amour illegitime,
Honteux Commerce, allez, allez bien loin,
Homme charnel pour expier ton crime
L’amant Divin est couché sur le foin
Dés sa naissance il se rend ta Victime
Et pour l’aimer tu ne prens aucun soin
***
Faste, Grandeur, dignité, rang, Couronne,
Divinitez qui charmez les Humains ;
Retirez-vous, Jesus vous abandonne,
Vous foule aux pieds, comme des honneurs vains.
L’humilité qu’on voit en sa personne
Convient à ceux qui veulent estre Saints.
***
Que voyons-nous en sa sainte naissance
Etable, Crêche, animaux, nudité :
Rien de ce goust qui flate en apparence :
Tout y confond, Chrestien, ta vanité,
De l’imiter il est de consequence,
Pour acquerir l’heureuse éternité.
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[Nouveau recüeil d’Airs gravez de Mr de Bousset] §

Mercure galant, décembre 1702 [tome 16], p. 190-191.

Mr de Bousset Maistre de Musique du Roy, pour les Academies Françoise, des Sciences, & des Inscriptions, dédia l’année derniere à Madame la Duchesse de Bourgogne, un Recuëil gravé d’Airs serieux & à boire, & cet ouvrage ayant eu tout le succés qu’il pouvoit en attendre, on acheve de graver un second Recuëil qu’il aura l’honneur de presenter à cette Princesse, au commencement de l’année prochaine. Il y a lieu de croire que cet ouvrage aura un aussi grand succés que le premier, cet Auteur s’estant acquis une fort grande reputation dans l’Art dont il se mêle. Ses Ouvrages se vendent chez Mr Ballard, seul Imprimeur de la Musique du Roy, chez Mr Brunet, Marchand Libraire au Palais, & chez Mr Foucault, Marchand ruë S. Honoré à la Regle d’or.

[Journal de tout ce que la République de Genes a fait pour la reception du Roy d’Espagne dans ses Etats] §

Mercure galant, décembre 1702 [tome 16], p. 191-234.

Il ne doit rien manquer à la Relation que je vous envoye, puisqu’elle est tirée de deux belles Relations venuës de Genes.

La Republique de Genes ayant appris que le Roy Catholique avoit resolu d’honorer ses Etats de sa presence en s’en retournant en Espagne, commença aussi-tost à songer aux moyens les plus propres pour faire paroistre en cette occasion la veneration qu’elle avoit pour Sa Majesté, & afin de les trouver plus surement, elle dépêcha à Milan, mais sans caractere, le Seigneur Francisco Mari, avec ordre d’en donner au nom de la Republique les témoignages qui luy estoient dûs, & de penetrer les sentimens & l’intention des Ministres, touchant le logement & la reception de Sa Majesté. On sçeut le 7. de Novembre par la diligence de cet Envoyé, que Sa Majesté estoit partie le jour precedent, & qu’elle avoit pris la route d’Alexandrie. Ainsi il fut ordonné aux six Seigneurs que les Colleges avoient destinez pour l’aller complimenter à l’entrée des Etats de la Republique, de s’avancer à Novi, ce qu’ils firent le lendemain, accompagnez de soixante Estafiers & de six Pages, avec douze chevaux de main, & une grande suite de Noblesse à cheval. Ces six Seigneurs furent Giovanni Agostino Centurione, Clemente Doria, Francisco Maria Balbi, Francisco Maria Serra, Giacomo Viale, & Giovanni Giacomo Imperiale. Ils se rendirent le 9 aux confins de la Republique, entre Novi & Alexandrie, où un Bataillon de cinq cens Corses s’estoit étendu, pour servir d’Avant-garde en escortant le Roy jusqu’à Saint Pierre d’Arenes. Le Marquis Michel-Ange Gentile, Sergent Major de Bataille estoit à la teste de ce Regiment. Les Envoyez ayant apperçu Sa Majesté mirent pied à terre, & le Roy fit arrester sa Chaise & baisser les glaces, pour écouter le Marquis de Centurion, qui estoit le premier des Envoyez, & qui luy fit un tres beau discours, par lequel il tâcha de luy exprimer la joye de la Republique pour l’honneur que luy faisoit un si grand Monarque, le suppliant d’agréer le peu que la brieveté du temps luy avoit permis de preparer pour le recevoir. Le Roy le remercia, & témoigna estre fort satisfait de l’attention de la Republique, donnant des marques d’une estime singuliere pour elle & pour ses Envoyez. Les complimens achevez, les Envoyez se rangerent derriere la Chaise du Roy, & monterent en Carosse à sa suite. Le Roy dans sa route saluoit le Chapeau bas les Officiers des Troupes & des Milices, dont les chemins se trouvoient bordez, & arriva à Novi sur les trois heures aprés midy. Le soir, les Envoyez furent admis à une Audience particuliere, dans laquelle le Roy demeura découvert, & répondit à ce qu’ils luy dirent en des termes qui marquoient que Sa Majesté en estoit tres satisfaite. Là elle se servit pour la premiere fois du logement que luy avoit destiné la Republique, par l’ordre de laquelle le Seigneur Antonio Negrone, & le Seigneur Agostino Viale, avoient fait preparer cinq maisons des meilleures de ce lieu là, toutes magnifiquement meublées & jointes ensemble avec des Ponts sur les ruës, en sorte qu’elles ne paroissoient qu’une maison seule, mais si grande qu’on y put recevoir commodement le Roy & la Noblesse la plus distinguée de sa Cour, comme le Cardinal d’Estrées, le Prince de Vaudemont, le Comte de Marsin, Ambassadeur de France, & un grand nombre de Seigneurs qui suivoient Sa Majesté avec tous ceux qu’ils menoient pour les servir. Ils furent traitez somptueusement au nom de la Republique, & ceux qui servoient d’escorte à Sa Majesté, furent pourvus abondamment de fourage, & de toutes les choses necessaires, avec défense expresse à leurs Hostes de prendre aucun payement de la dépense qu’ils pourroient faire. Les principaux Seigneurs de la Cour furent si contens que l’un d’eux, sçavoir, le Comte de Benevent, ne put s’empêcher de le témoigner au Roy même le soir à son deshabiller. Sire, luy dit-il, nous avons esté traitez à une table où nous estions environ soixante personnes. On y a servy plus de quatre cens plats, outre quatre vingt dix pyramides tres grandes de fruits, & de confitures, tant à la Françoise qu’à la maniere de Genes. Je n’ay point de termes pour bien exprimer à Vostre Majesté la magnificence de ce somptueux repas. Tous les autres n’ont pas esté moins bien regalez que nous, & l’on peut dire avec verité que la table de vos Gardes estoit digne de vostre Personne. Plusieurs autres Seigneurs le seconderent en donnant de grandes loüanges au superbe traitement qu’ils avoient reçu de la Republique, & ce discours continua jusqu’à ce que le Roy s’estant tourné vers les six Envoyez qui estoient presens, leur dit, qu’il estoit obligé de cette reception à la Republique, & qu’il se feroit un grand plaisir de luy pouvoir donner des marques de sa bienveillance. Quelqu’un ayant dit à Sa Majesté qu’on avoit emprisonné un malheureux pour avoir pris, contre la deffense publiée, quelque peu d’argent d’un Dragon à qui il avoit donné à manger, elle témoigna souhaiter qu’il fust mis en liberté, ce qui fut executé dans le moment même pour faire paroistre la soûmission qu’on avoit pour tout ce qu’il luy plaisoit d’ordonner. Le même traitement fut fait à toute la Cour à Voltaggio & à Campomorone ; mais Sa Majesté ayant voulu estre servie à ses dépens à Saint Pierre d’Arenes dans le Palais du Duc de Saint Pierre, la Republique y pourveut en la meilleure forme qu’il luy fut possible, faisant amasser une grande quantité de foin & d’avoine, & établir plusieurs marchez & boutiques de choses propres à manger. Le matin du 10. Sa Majesté partit de Novi, & arriva à l’heure du dîner à Voltaggio, où elle s’arresta le reste du jour. Elle y fut servie de la même sorte ; & aussi magnifiquement qu’à Novi, par les Seigneurs Juliano Spinola & Giovanni Battista Rocca. Le 11. le Roy partir de bonne heure, parce qu’il vouloit arriver le soir à Saint Pierre d’Arenes. La marche de cette journée devoit estre longue. Ce fut par cette raison qu’il fit dire que son intention estoit de ne pas descendre à Campomorone, & qu’il donna ordre qu’on luy preparast quelque chose de froid à manger par le chemin. Cela fut executé, mais ensuite ayant changé de pensée, & s’estant arresté dans la maison qu’on luy avoit destinée pour son logement, il y fut traité aussi splendidement qu’il l’avoit esté à Novi & à Voltaggio, & pour ne point perdre de temps, on servit de grandes tables de gras & de maigre, par les soins des seigneurs Dominico Dotia & Agostino Mari Torreri, qui dans cette incertitude, quoy que fort pressez du temps, pourveurent abondamment à toutes choses, faisant dresser grand nombre de tables dans les cours des Hostelleries, en sorte qu’on trouva sur le chemin & dans toutes les places assez de viande & de pain pour n’en point manquer, avec des tonne aux de vin, & autres choses semblables, aprés quoy le Roy se mit de nouveau en marche du costé de Saint Pierre d’Arenes. Sur les vingt & une heures, le Doge avec les Colleges partit du Palais pour se rendre au même lieu, afin d’y saluer Sa Majesté à son arrivée. Les Gardes Allemandes en habit de parade marchoient devant luy, & étoient suivies du Seigneur Stephano Gentile Sergent general, avec quarante jeunes Cavaliers tres richement vêtus & superbement montez, qui avoient une suite fort nombreuse de belles livrées. Derriere eux marchoient les vingt quatre Pages du Doge vêtus à l’antique de velours cramoisi couvert de galons d’or, & aprés eux venoit le Doge dans sa chaise magnifique, ornée toute de broderie d’or, & environnée d’autres Gardes Allemandes, & d’Officiers avec la masse & l’épée, qui sont les marques accoûtumées de la Principauté. Les Senateurs le suivoient dans de tres belles litieres, & le reste de la Noblesse formoit un cortege d’environ cinquante carosses.

À l’arrivée du Roy, qui fut salué avec des salves Royales par l’Artillerie de toute la Ville, le Doge se trouva à la porte du Palais où devoit loger Sa Majesté, qui l’ayant aperçeu descendit de Cheval, & aprés l’avoir salué fit couvrir le Doge & tous les Colleges. Ensuite l’ayant mis à sa gauche ils monterent l’escalier ensemble, & entrerent dans la chambre du lit. Ils y eurent un entretien de peu de durée dans lequel le Roy traita le Doge d’Altesse, apres cela il le conduisit à la porte de la chambre qui estoit contiguë à celle-là. Le Comte de Priego, Majordome de Semaine, alla seulement jusqu’à l’escalier, quoy que l’on fut convenu qu’il le conduiroit jusques à la porte de la ruë, & cela faute d’en avoir eu l’ordre comme on le déclara au Seigneur Francisco Mari, le Duc Medina Sidonia donna l’heure pour la visite du jour suivant, & sur l’instance qui fut faite de tenir les choses dont on estoit convenu, que le Comte de Priego, iroit audevant du Doge, & qu’il l’accompagneroit, ce Comte s’y opposa avec obstination, par des raisons ausquelles il y eut de fortes repliques. Cette contestation dura tres-longtemps, & enfin pour accommoder les choses, sans que le ceremonial en souffrit aucune atteinte, il fut arresté d’un commun consentement qu’on prendroit un ordre par écrit du Secretaire d’Etat. On exposa dans cet Ordre que c’estoit la volonté de S.M. qu’on allast au devant du Doge & qu’on l’accompagnast jusques à la porte.

Le lendemain, sur les trois heures aprés midy, le Doge accompagné des Sénateurs, se rendit dans le même ordre au Palais de Saint Pierre, Le Comte de Priego, premier Gentilhomme de la Chambre, le reçut à la porte du Palais, & l’accompagna jusqu’à la Salle des Audiances, où Sa Majesté qui estoit environnée de ses Gardes, le fit couvrir, aprés quoy elle monta à son Trône, s’y tint debout sous le Dais, appuyée sur une petite table, & prêta au Doge une attention tres favorable. Le Doge luy dit, que la Republique regardoit entre ses plus heureux évenemens le bonheur qu’elle avoit de rendre dans ses Etats ses tres humbles respects à un si puissant Monarque ; qu’elle avoit beaucoup de confusion de ne luy pouvoir exprimer que fort imparfaitement le plaisir qu’elle en ressentoit, & que parmy tant de graces dont il la combloit, elle esperoit qu’il luy donneroit des occasions où elle pourroit plus particulierement lui marquer son zele & la veneration qu’elle avoit & qu’elle conserviroit toûjours pour sa Personne Royale, se flatant que Sa Majesté auroit la bonté de luy continuer l’honneur de sa bienveillance. Le Roy répondit. Vostre Altesse & la Republique ; devez estre toûjours bien persuadées de mon amitié, & attendre à l’avenir une plus grande correspondance en toutes les occasions qui se pourront presenter. Je remercie la Republique de ce qu’elle a fait à mon égard. Le Doge repliqua en peu de mots par des remercimens convenables & par des augures pour la santé & pour la prosperité de Sa Majesté. Ensuite sa Serenité se couvrit, & se mit à la gauche du Roy qui l’accompagna hors la porte de la Salle, d’où le Comte de Priego le conduisit hors du Palais, jusqu’à ce qu’elle fut montée dans sa chaise. Aprés les complimens ordinaires ce Comte se retira, & le Doge & les Senateurs retournerent dans le même ordre au Palais Royal. Le soir on envoya à Sa Majesté le regale ordonné, dans vingt-quatre magnifiques caisses de confitures & d’eaux de senteur, couvertes de velours & de brocard d’or & ornées, quelques unes de galons & de riches franges, d’autres bordées avec des plaques d’argent massif gravées de chiffres & d’Emblesmes, avec un travail relevé d’or & d’argent, le dedans accommodé de telle maniere qu’on n’y pouvoit rien souhaiter de plus & toutes tres bien peintres. On les mit dans la Sale du Palais où logeoit le Roy qui alla les voir, & les ayant fait ouvrir, dit aprés les avoir long temps regardées, qu’il n’avoit jamais rien veu de plus beau. S’estant ensuite tourné vers les Envoyez, il ajouta que la République faisoit des choses qui alloient au plus haut point de perfection, que ce regale luy estoit tres cher, & qu’il en estoit fort obligé à la République. Il fit ensuite la distribution de ces quaisses dont il en destina dix sept pour l’Espagne & une pour la Cour de Savoye. Il partagea les six autres entre le Cardinal d’Estrées, le Prince de Vaudemont, le Comte de Saint Etienne & le Comte de Maisin.

Le 13. Sa Majesté entra dans Genes, accompagnée seulement de soixante Mousquetaires à cheval, & mit pied à terre à la porte de l’Eglise de S. Laurent, où elle fut reçeuë par l’Archevêque en habits Pontificaux à la teste de son Clergé qui la conduisit au Maistre Autel. Sa Majesté y fit ses prieres, & alla ensuite honorer les Cendres de S. Jean Baptiste dans sa Chapelle. On apprit qu’elle avoit envie de voir le precieux Bassin d’Emeraudes, mais comme on n’avoit pas sçeu qu’elle deust entrer dans Gennes, le Gardien de ce bassin ne se trouva point à l’Eglise, ce qui fut cause que les Envoyez de la République eurent l’honneur le lendemain de luy porter le bassin à son Palais. Le Roy en fut tres content, & admira cette rare piece. Au sortir de Saint Laurent il fit le tour de la Ville, & passant par la Place de S. Cyr, & par quelques autres, il salua chapeau bas, & avec beaucoup d’honnesteté la Noblesse qui se trouva dans les Loges. Quoy qu’il fust incognitò, il ne laissa pas d’estre precedé par une Garde de Corses, & environné des Hallebardiers du Palais. La Republique esperoit que le Roy luy feroit la grace d’agréer le soir une feste de Bal & d’Opera. Elle fit preparer pour cela un Theatre dans le Palais du Marquis Eugene Durazzo, & fabriquer une loge d’où Sa Majesté pourroit joüir de ce divertissement. Tout estoit tres-bien orné, & la magnificence entiere. On y voyoit briller l’or, l’argent, & les cristaux, les lustres de tous côtez, mais le mauvais temps empêcha le Roi de s’y trouver, ce qui causa beaucoup de chagrin, principalement au Peuple, qui esperoit de voir Sa Majesté sur le soir que toute la Ville estoit illuminée, & qu’on ne voyoit que pompe par tout.

Le 14. on apporta du Palais un tres-abondant regale de choses propres à manger, aux principaux Seigneurs de la Cour, sur quoy le Duc de Medina dit au Roy, en presence des Envoyez & de plusieurs Nobles de la Republique que non contente de ce qu’elle avoit fait pour sa personne, elle avoit encore voulu l’honorer en celle de ses Ministres, par un superbe present qu’elle leur avoit envoyé.

Il ne faut pas oublier de dire que le jour de l’arrivée du Roy à S. Pierre d’Arenes, le feu s’estant mis au Palais du Marquis Joseph Doria ; qui avoit esté preparé pour loger la Cour, Sa Majesté ordonna qu’il fust rétabli à ses dépens. Ce Marquis l’en remercia, & luy dit que rien ne luy pouvoit estre plus glorieux que d’avoir fait un feu de joye, pour témoigner le plaisir sensible qu’il avoit de son heureuse arrivée. Sa Majesté fut si satisfaite d’une si genereuse réponse, qu’elle ordonna qu’il fust payé de toutes les rentes qu’il a au Royaume de Naples, avec les arrerages échus.

Le 15. le vent frais du jour precedent s’estant calmé, le Commandant des Galeres de France sortit du Port avec toutes les Galeres, & vint dire qu’il estoit temps de partir. C’est pourquoy on embarqua en grande hâte la meilleure partie des Equipages, mais comme il estoit fort tard, le départ fut differé, & les Escadres s’en retournerent en partie aprés avoir fait une salve.

Le soir le Marquis de Rivao donna par ordre du Roy au Seigneur Francesco Mari cinq Diamans enchassez dans autant de Bagues, un pour luy, & les quatre autres pour les quatre premiers Envoyez, disant qu’il n’en avoit point pour les deux autres, mais qu’ils leurs seroient envoyez incessamment. Chaque Diamant valoit environ sept cens pistoles. Ce Present fut accompagné de vives expressions touchant l’estime tres-particuliere que le Roy avoit pour la Republique, & l’envie qu’il avoit de reconnoître ce qu’elle avoit fait pour luy. C’est dans ces termes que les Ministres de Sa Majesté Catholique en ont toûjours parlé, le Comte de Saint Etienne ayant dit à la table du Prince de Vaudemont en presence de quelques uns des Envoyez de Genes, & de plusieurs Etrangers, que le Roy n’oublieroit jamais la reception qu’on luy avoit faite. De leur costé les Envoyez de la Republique ont fait paroître une extrême satisfaction de toutes les manieres honnestes que les Seigneurs de la Cour avoient pour eux.

Le 16. le temps continuant d’estre favorable, le Doge & les Senateurs se rendirent pour la troisiéme fois, mais avec beaucoup plus de suite au Palais de Saint Pierre, & ils y furent receus avec les mesmes ceremonies. Sa Majesté s’estant mise sur son Trône, le Doge eut l’honneur de la complimenter & de luy souhaiter un heureux voyage au nom de la Republique, l’assurant toujours de ses tres-humbles respects & la suppliant de luy vouloir conserver les sentiment de bonté qu’elle luy avoit marquez. Le Roy luy donna de nouveaux témoignages de sa bienveillance, & luy dit qu’il estoit extremement sensible aux soins qu’avoit pris la Republique de luy faire faire une si agreable reception, ajoutant qu’il n’en perdroit jamais la memoire. Ensuite Sa Majesté descendit de son Trône, & ayant le Doge couvert à sa gauche, elle se rendit au bord de la mer, jusqu’à un Pont que la Republique avoit fait construire pour l’embarquement. Ce Pont estoit long de quatre cens palmes, large de quarante, garni de balustrades de chaque costé avec des statues d’espace en espace & tout couvert de drap rouge. La moitié du Pont estoit soutenu par de grosses poutres, & la partie qui avançoit le plus dans la mer, estoit sur un Ponton. Ces deux parties estant jointes l’une avec l’autre par un Pont flotant qui alloit en avant & en arriere selon le mouvement de la mer, mais la marée s’estant trouvée ce jour là plus forte qu’à l’ordinaire, la Galere Royale ne put s’approcher assez de l’extremité du Pont & pendant que l’on plaçoit les échelles, afin que le Roy se pust embarquer dans la chaloupe, le Pont flotant qui joignoit la partie mise sur le Ponton à celle de terre, se rompit, en sorte que l’embarquement ne se put faire de ce costé là, & la chaloupe qui alla à terre pour prendre le Roy, fut repoussée par les vagues. Ainsi Sa Majesté fut contrainte devenir à pied jusques au Port, observant toujours le mesme ordre dans sa marche, passant au milieu des Gardes de la Republique, en haye, les Armes à la main, & saluant avec le chapeau les Officiers qui tenoient la pique haute. Le Roy s’entretenoit toujours avec le Doge qui luy témoignoit le sensible plaisir qu’il avoit que Sa Majesté fust obligée de suivre un chemin qui ne luy avoit point esté preparé. Le Roy entra dans la chaloupe de la Reale avec les grands Seigneurs de sa Cour, & comme elle n’étoit pas assez spatieuse, le Doge & les Senateurs entrerent en d’autres, malgré les instances que le Roy fit à sa Serenité de ne pas venir plus loin. Le Doge estant arrivé à la Galere y fut reçeu par Mr de Forville & Sa Majesté s’avança à deux pas hors de la poupe vers sa Serenité. Elle y fut introduite ainsi que les Senateurs, & lorsqu’ils partirent Sa Majesté les accompagna presque jusques à l’endroit par lequel ils descendirent. Estant rentrez dans leurs Felouques, ils furent saluez de quatre coups de la Reale. La ville de Genes salua pareillement Sa Majesté avec toute son artillerie, & S. M. répondit à ce salut par trois coups de canon. Le Seigneur Dominico Spinola, General des Galeres de la Republique, estoit déja venu s’offrir à Sa Majesté pour la suivre avec son Escadre, mais il fut remercié à cause qu’il falloit moüiller dans plusieurs Ports qui ne pourroient contenir un si grand nombre de Galeres. Cette réponse fut suivie de beaucoup d’assurances pour le Senat que jamais Sa Majesté n’oublieroit ce qu’il avoit fait pour elle. Cependant le General crut qu’il devoit l’accompagner le premier jour, ce qu’il fit jusqu’à Vado, où il la complimenta de nouveau. Sa Majesté fut saluée de trois salves de l’Artillerie de Savone, & le Roy luy fit rendre le salut par deux coups de canon de sa Reale. Ce Monarque continua son voyage en prenant la route d’Antibe, & tant à Savone qu’en Allafora, il y eut des logemens preparez en cas que l’on en eust besoin. Le jour du départ de Sa Majesté, le Prince de Vaudemont partit aussi avec ses Troupes pour retourner à Milan, & la Republique défraya pendant ce Voyage avec beaucoup de magnificence, plus de trois mille personnes, sans parler de plus de deux mille cinq cens chevaux & mulets.

[Reception de Mr le Duc de Coislin à l’Academie Françoise] §

Mercure galant, décembre 1702 [tome 16], p. 284-296.

Le Lundy 11. de ce mois, Mr le Duc de Coislin, Pair de France, alla prendre Seance au Parlement en cette qualité de Duc & Pair, avec les ceremonies accoûtumées. Comme je vous en ay fait le détail en d’autres occasions, je ne les repeteray point. Je me contenteray de vous dire que l’Assemblée fut extrêmement nombreuse, & que tous les Princes & Ducs qui ont rang dans ce Corps auguste, & qui purent s’y trouver, y prirent leurs places.

L’apresdinée de ce même jour Mr le Duc de Coislin vint prendre Seance à l’Academie Françoise, dans laquelle il occupe la place que la mort de Mr le Duc de Coislin son Pere, y avoit laissé vaccante. Je ne fais point icy son éloge l’ayant déja fait dans ma Lettre du mois d’Octobre dernier, lorsque je vous appris qu’il avoit esté élu tout d’une voix pour la remplir. Le remerciment qu’il fit à Mrs de l’Academie en presence de Monsieur le Duc, de Monsieur le Prince de Conti, & d’un grand nombre d’autres personnes d’une qualité tres-distinguée, fut fort applaudi, & il le prononça avec beaucoup de modestie & de dignité. Il ne fit que nommer le fameux Cardinal de Richelieu son grand Oncle, & Mr le Chancelier Seguier son Bisayeul, & dit que la bienséance qui deffend de loüer ses proches, l’obligeoit à se taire sur ces premiers Ministres de l’Etat & de la Justice, ausquels l’Academie Royale se reconnoist redevable de son origine & de son élevation, & voulant faire l’éloge de cette illustre Compagnie, il ajoûta que rien ne pouvoit faire mieux connoistre la préeminence que l’avantage de meriter d’avoir pour Protecteur le plus grand Roy de la terre. Un Roy, continua-t-il, dont les plus grandes Couronnes ont recherché l’appuy. Un Roy en qui seul sont réünies toutes les qualitez, qui partagées à diverses Testes couronnées, en feroient de grands Rois ! Un Roy qui est le premier mobile des plus importantes affaires, l’objet principal de l’attention de toute l’Europe, l’Invincible Défenseur des Puissances opprimées, & des droits attaquez, l’Ame de la Valeur Françoise, l’amour des Peuples, la force de son Etat, Heros dans les Armées, Oracle dans les Conseils, Intelligence du Gouvernement, Spectacle d’admiration à tout l’Univers ; un Roy enfin, qui par tant de prodiges de puissance, & de grandeur, s’estant élevé au dessus de l’homme, s’est rendu par les vertus de l’esprit & du cœur le modele de l’homme parfait. S’adressant ensuite à Mrs de l’Academie, il finit en disant que c’estoit parmi eux qu’on sçavoit parler dignement de Louis le Grand, de ce Prince qui fournissoit à leur éloquence, par la seule exposition du vray, toutes les idées du merveilleux.

Mr l’Abbe de Dangeau, Directeur de l’Academie, répondit à ce Discours avec beaucoup d’éloquence. Il fit un tres-bel Eloge du grand Cardinal de Richelieu & du Chancelier Seguier, & aprés avoir parlé avec beaucoup d’avantage de feu Mr le Duc de Coislin, qui est mort Doyen de la Compagnie, il dit à Mr le Duc de Coislin son Fils, que ce n’estoit point la seule memoire de ces grands hommes, qui l’avoit portée à l’élire d’un consentement unanime pour remplir la place que sa naissance, toute illustre qu’elle est depuis plusieurs siécles ; que le courage qu’il avoit herité de ses Ancestres, que ses alliances avec des Maisons Souveraines, avec le Sang de nos Rois, que les Dignitez éminentes qui brilloient dans sa Maison, celle dont il venoit de prendre possession dans le premier Parlement du Royaume, eussent esté de foibles motifs pour le faire élire, si ses talens naturels, le discernement juste & delicat avec lequel il jugeoit si bien des ouvrages d’esprit, & son amour pour les belles Lettres, ne luy eussent pas donné tout le merite Academique. Aprés cela il l’exhorta à venir souvent aux Assemblées de l’Academie. Tous nos travaux, poursuivit-il, contribuent à l’embellissement de nostre langue, & en facilitent la connoissance aux Etrangers, les merveilles du regne du Roy l’avoient rendue aussi commune chez nos voisins, que la langue mesme de leur païs : mais les évenemens de ces dernieres années, luy font passer toutes les Mers, & la rendent comme necessaire dans le vieux & dans le nouveau Monde Tous les Peuples de la domination d’Espagne, veulent connoistre la langue de leur Deffenseur, & dans ces païs immenses Il n’est point de Provinces, presque point de Villes, qui n’ayent senti des effets de la vigilance & de la generosité du Roy. Il leur envoye des Officiers experimentez & des Troupes aguerries. Il fait fortifier leurs Places, il hazarde des Flotes nombreuses, pour mettre leurs richesses en seureté. Il fait plus ; il fait marcher à leur secours ce qu’il a de plus cher au monde, & pendant que le jeune Roy se fait admirer à toute l’Italie, & que par sa presence il rasseure ses nouveaux Sujets, son Frere paroist en Flandre, & tous deux à la teste des Armées, se couronnant d’une nouvelle gloire indépendante du succez, ils se font admirer par tout dans le Conseil où ils parlent comme les plus sages, & dans les perils où ils s’exposent comme les plus temeraires. Ils sont hommes aussi bien que Heros ; ils compatissent aux foiblesses, ils recompensent les bonnes actions, ils soulagent les miseres ; ils gagnent les cœurs, & par tout retracent dans l’esprit des Officiers & des Soldats, l’idée du Pere, & mesme celle de l’Ayeul.

Ces deux Discours ayant esté prononcez avec l’applaudissement general de l’Assemblée, Mr l’Abbé Tallemant leut un Traité de l’Ode qu’il a fait sur les sentimens de l’Academie ; il fit voir quel est se sujet qui luy est propre, marqua le genre de Vers qui flate le plus l’oreille, & fit connoître par plusieurs morceaux des Odes de nos meilleurs Poëtes, où doit estre le repos de chaque Strophe. La Seance fut terminée par une belle Ode que Mr Perrault a faite pour le Roy de Suede, & dont Mr l’Abbé de Choisi fit la lecture.

[Journal de ce qui s’est passé dans les Villes de France par où Sa Majesté Catholique a passé] §

Mercure galant, décembre 1702 [tome 16], p. 322-381.

N’ayant pû vous donner de suite ce qui s’est fait dans tous les lieux où Sa Majesté Catholique a passé en s’en retournant en Espagne, je vais reprendre cet article, aprés vous avoir dit que la Galere Françoise, commandée par Mr le Marquis de Forville, dans laquelle estoit. Sa Majesté Catholique avoir arboré l’Etendart Real d’Espagne, & mis les trois Fanaux. Cette Galere & celles qui l’accompagnoient estant parties de Vaye le 17. de Novembre, deux heures avant le jour, elles arriverent devant Final sur les cinq heures du soir, & le 19. sur le midi à Antibes, Sa Majesté Catholique y trouva Mr le Comte de Grignan, Chevalier des Ordres du Roy, Lieutenant General, & Commandant pour le Roy en Provence. Il y attendoit ce Monarque depuis quinze jours, accompagné de la plus grande partie de la Noblesse du païs. Sa Majesté Catholique ayant resolu, si le temps le permettoit, de continuer sa route jusqu’à Marseille sur les Galeres de France, passa la nuit sur sa Galere, avec Mr le Comte de Grignan ; mais les vents contraires estant survenus, ce Prince mit pied à terre, & toute la Cour profita du grand nombre de Voitures de toutes sortes qui lui avoit envoyez depuis quelques jours à Antibes, par les ordres de Mr le Bret, Premier President, & Intendant en Provence. Sa Majesté partit d’Antibes le 21. sur les deux heures aprés midi, & alla coucher à Canes, & de la à Frejus, & le Jeudy 24. au Luc, où le Comte de ce nom, Commandeur de l’Ordre de Saint Louis, & Lieutenant de Roy en Provence, l’attendoit. Mr l’Evesque de Marseille son Frere s’y estoit rendu, pour l’aider à recevoir Sa Majesté Catholique. On ne peut rien ajoûter à la magnificence des repas donnez par Mr le Comte du Luc à toute la Cour d’Espagne, pendant tout le temps qu’elle a sejourné au Luc, & de la maniere que l’on parle de la reception faite en ce lieu à Sa Majesté Catholique, elle meriteroit que le Public en fust informé par un long détail, je vous en feray part, s’il tombe entre mes mains.

Comme on avoit crû que le Roy d’Espagne prendroit la route de Brignole, on n’avoit fait aucuns preparatifs à Toulon pour la reception de ce Monarque ; mais lorsque l’on s’y attendoit le moins, Mr Desgranges envoya un Exprés à Mr le Marquis de Chalmasel, pour lui faire sçavoir que Sa Majesté avoit changé de dessein, & qu’elle viendroit coucher le lendemain à Toulon ; mais que son intention estoit qu’on ne tirast point le canon, & que l’on ne fist aucune sorte de ceremonie à son arrivée.

Le Vendredi 24. sur les dix heures du matin un Brigadier, accompagné de quatre Fourriers vint à l’Hôtel de Ville, pour demander à Mrs les Consuls des logemens pour les personnes de la suite de Sa Majesté, dont les Billets leur furent d’abord expediez, parce qu’en Espagne on ne se sert pas de craye pour marquer les Logis, comme on fait en France.

Sur les 4. heures apres midy, ce Monarque arriva dans une Caleche, & au lieu d’entrer par la porte de Saint Lazare qui estoit sur son chemin ; ce Prince passa sur la contr’escarpe, entra par la porte Royale, & alla descendre dans la Maison de Mr de Vauvré qui estoit preparée depuis long-temps pour le recevoir. Un moment aprés son arrivée, il s’enferma dans sa chambre avec Mr le Cardinal d’Estrées, Mr le Comte de Marcin, Mr le Duc de Medina Sidonia son Major-Dome, Mr de Vauvré, & les Officiers Generaux de la Marine. Il soupa en public sur les neuf heures du soir. Les Gardes avoient eu ordre de laisser entrer tous les honnestes gens, & sur tout les Dames. Il s’en trouva une si grande quantité, que les Officiers ne purent approcher de la table ; de maniere qu’ils furent obligez de faire passer la nappe de main en main, & de laisser aux Dames le soin de l’étendre sur la table, dont elles s’acquitterent de fort bonne grace. Lorsque le Roy s’approcha pour se mettre à table, cette grande foule se resserra pour faire place à Sa Majesté.

Le lendemain 25. ce Prince aprés avoir entendu la Messe aux Jesuites, alla visiter l’Arsenal. Il fut salué en y entrant de toute l’Artillerie des Vaisseaux. Les Troupes de la Marine estoient en Bataille en dehors du costé de la petite porte par où le Roy entra, & les Gardes de Marine estoient en dedans du costé de la Corderie. Ce Prince visita tous les Atteliers & monta même à un Vaisseau qui est sur le chantier. Il trouva par tout où il passa, une double haye de personnes des mieux faites de l’un & l’autre sexe, qui s’empressant pour avoir l’honneur de le voir & qui ne le voyant pas assez à leur gré couroient à tous les endroits où ce Monarque devoit passer.

L’apresdinée ce Prince alla dans un canot voir un Vaisseau armé, qui estoit dans la rade. Il fit le tour de la Darce neuve, & alla descendre au Jeu de Mail, où il se promena jusqu’à la nuit qu’il se rendit à l’Arsenal pour voir joüer un Feu d’Artifice qui avoit esté dressé à la haste sur un Ponton dans la Darce neuve, vis à vis de la Corderie, dans la Galerie de laquelle on avoit dressé trois loges : Elles estoient magnifiquement ornées, & tres-bien éclairées, celle du milieu estoit pour le Roy, & les deux autres pour les Seigneurs de sa suite, pour Madame de Vauvré, & pour quelques Dames. Ce divertissement estant fini ce Prince revint dans son Palais & se mit à table peu de temps aprés. La foule fut extraordinaire, parce que c’estoit le dernier repas. Enfin ce Prince partit le 26. à neuf heures du matin, pour aller coucher à Aubagne, & de là à Marseille, ou Mr le Comte de Grignan s’estoit rendu pour avoir le temps de faire préparer le logement de Sa Majesté. Pendant tout le temps que ce Prince a demeuré à Toulon, il a toujours sorty à pied & a salué en ostant son chapeau toutes les Dames qui se sont trouvées sur son passage ; de maniere qu’on y a non seulement esté charmé de sa personne, mais aussi de sa douceur & de ses manieres honnestes & engageantes. Le Peuple ne pouvoit se lasser de lui donner des benedictions & il entendoit de bonnes femmes dans les ruës qui lui disoient, Beu Rey la benedictien de Diou que vous vengue. Quoy que l’on ne fust point preparé à Toulon pour recevoir si bonne compagnie, les Consuls ont pris de si justes mesures, que loin que rien ait manqué toutes les choses necessaires se sont trouvées en abondance.

Toute la Ville se louë fort de l’honnesteté des Seigneurs Espagnols qui accompagnoient le Roy.

Sa Majesté Catholique estant arrivée devant Marseille le Lundy vingt-sept entre onze heures & midi, Mr de Forville, Gouverneur de Marseille, Lieutenant de Roy en Provence, & Commandant des Galeres, aïant l’honneur d’estre à son costé, Elle y entra à cheval au milieu de sa Cour, composée de plusieurs Grands & des principaux Officiers de sa Couronne. Sa Majesté estoit environnée de ses Gardes & de ceux de Mr le Comte de Grignan Un Peuple innombrable, donna des marque de sa joye par des acclamations continuelles.

Mr le Cardinal d’Estrées & Mr le Comte de Marsin, Ambassadeur Extraordinaire de France, avoient l’honneur d’accompagner Sa Majesté, qui avoit a sa suite Mr le Duc de Medina-Sidonia grand Ecuïer, faisant la fonction de grand Maistre, Mr le Comte de Benavente grand Chambellan, Mr le Comte de S. Istevan, Ministre & Conseiller d’Etat, Mr le Duc Dossonne Gentilhomme de la chambre, Dom Garcias de Gusman, premier Ecuïer, Mr le Comte de Pliego Majordome ou premier Maistre d’Hôtel du Roi, Dom Carlos de Borgia grand Aumônier du Roi & Patriarche des Indes, Mr le Marquis de Rivas, Secretaire d’Etat & des dépêches universelles, Mr le Duc de Gandie, Mr le Duc de Becar, Mr le Comte de Colmerano, Mr le Marquis de Crevecœur, Mr le Vicomte de Miral-cassar, Mr de Monroi & plusieurs autres Officiers Espagnols, Mr le Marquis de Louville, Gentilhomme de la Chambre & Chef de Famille Françoise, & Mr le Marquis de Montviel, ainsi que tous les Officiers qui composent la Maison de ce Monarque.

Tout ce qu’il y a de personnes distinguées dans la Province & dans Marseille & qui s’estoient renduës du Palais, eurent l’honneur de baiser la main à Sa Majesté, qui voulut bien faire la grace à Madame Lebret & à Madame la Comtesse de Montmor de les baiser à la jouë.

Sa Majesté alla ce jour-là à la Comedie Italienne, où Messieurs les Maire & Echevins luy avoient fait preparer une Loge magnifique.

Lorsque le Roy en fut sorti, il donna ordre à un Seigneur de sa Cour, de dire à Mr le Comte de Montmor Intendant General des Galeres, qui avoit esté avec plusieurs personnes de distinction au devant de Sa Majesté jusqu’à Aubagne, qu’il seroit bien aise de voir tout ce que la Reyne son Epouse avoit veu à son passage à Marseille : cet Intendant qui eut la confirmation de cet ordre par Mr le Cardinal d’Estrées, se rendit aussi-tost au Louvre, où Sa Majesté Catholique l’ayant aperçû luy fit l’honneur de luy dire qu’Elle iroit le lendemain aprés son diner voir les Galeres, & sur les six heures du soir à la Maison du Roy, & qu’elle vouloit voir la Salle d’Armes.

Le Mardy 28. Novembre ce Prince ayant donné Audiance à Mr le Marquis de Bonnaventure Commandant des Troupes du Pape, qui estoit venu d’Avignon pour faire compliment à Sa Majesté de la part de Mr le Vicelegat, alla à la Messe aux Carmes où la Musique fut trouvée fort belle.

L’apresdinée Sa Majesté Catholique se rendit sur la Reale, que Mr de Montmor avoit fait parer tres-magnifiquement ; toutes les Galeres firent trois decharges de tout leur canon.

Le Roy alla ensuite à l’Hôtel de Ville, Mr de Grignan eut l’honneur de luy faire voir en passant le beau Tableau de la Famille Royale qu’on avoit placé dans la Loge.

Sa Majesté s’embarqua ensuite sur le superbe Escampavie, qui fut fait à l’occasion de Messeigneurs les Princes, & se promena jusqu’à Tête de More, d’où elle revint se debarquer devant l’Hôtel de Ville.

Sa Majesté estant revenuë dans son Palais, Elle en sortit sur les six heures pour se rendre dans la Maison du Roy (occupée par Mr de Montmor) qu’Elle trouva toute illuminée. Les Troupes des Galeres bordoient en double haie tout le long de la façade de l’Arsenal aïant leurs Officiers à leur teste, le Roy d’Espagne y entra au bruit du canon, des boites, tambours, trompetes, & de mille cris de VIVE LE ROY. Madame la Comtesse de Montmor, qui s’estoit renduë à la porte avec toutes les Dames les plus considerables de la Ville, & qui fut presentée par Mr le Cardinal d’Estrées, eut l’honneur de recevoir Sa Majesté qui la baisa : Mr de Montmor eut aussi l’honneur de donner au Roy une collation magnifique.

Mademoiselle du Luc, qui s’y estoit renduë avec les Dames, aïant eu l’honneur de salüer Sa Majesté, le Roi la reçut fort gracieusement & la baisa, en luy marquant combien il estoit satisfait de la reception que Mr son pere lui avoit faite au Luc, & de tous les soins qu’il avoit pris lors du passage de la Reine.

Sa Majesté monta ensuite dans les apartemens qui estoient tres-magnifiques, tres-éclairez, & d’où Elle vit tirer un tres-beau feu d’artifice, tout le Jardin estoit aussi illuminé de la maniere du monde la plus ingenieuse & la plus galante.

Le Roi d’Espagne se rendit aprés cela dans la Sale d’Armes des Galeres, où il y avoit une infinité d’illuminations encore plus belles que les precedentes, il y eut un tres-beau Concert & quelques Danses.

Sa Majesté parut fort contente de tout ce qu’on avoit eu l’honneur de lui faire voir, & eut la bonté de dire qu’il n’y avoit rien de mieux, ce Monarque ajoûta qu’il avoit déja sçeu par la Reine tout ce qu’il voioit lui-mesme, & que le Roi son ayeul ne pouvoit estre servi avec plus d’attention & plus de zele.

Sa Majesté estant sur le point de sortir de la Maison du Roi, Mr de Montmor fit allumer un grand nombre de gros flambeaux de cire blanche pour l’éclairer. Il eut l’honneur de l’accompagner jusqu’à son Palais avec plusieurs personnes de consideration.

Le Mecredi 29. Novembre le Roi d’Espagne entendit la Messe aux Jesuites dans leur Eglise de saint Jaume.

Comme il n’y a point de Chasse aux environs de Marseille, Sa Majesté voulut l’apresdiné se divertir dans le Jardin du Roi, à tirer à des Perdrix, Cailles, Pigeons, Canards, Lievres & Lapins, que Mr de Montmor lui envoia en bon nombre avec toute sorte de Gibier, dont le Roi tua plus de quatre-vingt pieces, la plûpart à bale seule.

Le Jeudy 30. Novembre Sa Majesté Catholique entendit la Messe dans l’Eglise saint Perriol sa Paroisse, elle tint Conseil ensuite jusques à midi & demi.

L’apresdinée le Roi d’Espagne vint pour la seconde fois chez Mr de Montmor qui eut l’honneur de le recevoir à l’entrée de la Maison du Roi, qui estoit bordée d’une double Haye de Soldats de Galeres avec leurs Officiers à la teste, Sa Majesté Catholique passa au travers des Apartemens, d’où Elle entra dans l’ancien Arsenal, & visita tous les Bureaux, Magasins & Atteliers, qu’Elle trouva en tres-bon estat & dans un bel ordre.

Sa Majesté alla ensuite dans le nouvel Arsenal, on y mit une Galere à l’eau en sa presence au milieu de mille & mille acclamations. Le Roi entra dans tous les autres Atteliers qui estoient parfaitement bien rangez, & en sortit au bruit du canon & des boites dont on avoit fait plusieurs decharges.

Le Roi d’Espagne voulut bien marquer la satisfaction qu’il avoit eu de voir l’arrengement & la propreté de tant de choses differentes, & eut la bonté de le temoigner à Mr de Montmor, en disant que ce qu’il avoit appris que les Princes ses freres, & ensuite la Reine d’Espagne avoient vû ici, lui paroissoit tres-fidele dans toutes ses circonstances.

Sa Majesté alla ensuite à cette illustre Maison de Saint Victor, & qui l’est en effet par l’ancienneté de sa fondation, par l’étenduë de sa Jurisdiction & par les personnes distinguées, par leur naissance, leur merite & leur érudition, qui composent son Chapitre, & qui ont pour Abbé Commandataire Mr le Grand Prieur de France ; mais il n’est rien qui la distingue davantage que les restes precieux d’une infinité de Corps saints que l’on conserve avec soin dans le Tresor de cette Abbaye, qui est un des plus riches du Royaume. On y remarque sur tout la Croix de Saint André qui y est conservée avec beaucoup de veneration. Elle est couverte de plaques d’argent, ornées d’un ouvrage d’orfévrerie d’un tres-bon goust, par les pieuses liberalitez d’un Religieux de cette Maison, qui donna en entrant dans ce lieu toute sa vaisselle d’argent, pour estre employée à cet ouvrage. On celebroit dans cette Abbaye la Feste de cet Apôtre le jour que Sa Majesté Catholique voulut bien la visiter. Le Chapitre en ayant esté averty, s’assembla extraordinairement, & pour répondre le mieux qui lui seroit possible à l’honneur que Sa Majesté Catholique vouloit lui faire, resolut (autant que la situation du lieu & le temps qui estoit fort court pouvoient le permettre) de ne rien oublier pour orner l’Eglise des plus riches tapisseries de cette Maison, qui sont parfaitement belles ; l’argenterie qui est tres-bien travaillée, & dont il y a beaucoup dans cette Abbaye, y fut toute étalée, & on prit sur tout un soin tout particulier d’éclairer l’Eglise superieure & inferieure d’une maniere dont la clarté faisoit un effet surprenant ; tout cela fut executé par les ordres du Camerier de l’Abbaye, qui remplit en cela comme en tout ce qu’il fait, l’idée qu’il a donnée en plusieurs rencontres de son bon goust, il le fit éclater par tout, & ce fut à ses soins & à son habileté qu’on dût les approbations que Sa Majesté Catholique donna à l’arrangement de toute cette Feste, & de tous les pieux monumens qu’on avoit étalez pour satisfaire la pieté de ce Monarque.

Il fut receu par tous les Religieux en corps, ayant le Prieur à leur teste, qui ayant presenté l’Eau benîte à Sa Majesté Catholique, l’harangua avec son éloquence ordinaire. Le Roy fut ensuite conduit en ceremonie au Prié Dieu qui lui avoit esté preparé, & pendant que Sa Majesté Catholique, faisoit la priere, le Chœur de Musique de l’Abbaye chanta un fort beau Motet Aprés que Sa Majesté eût pris plaisir à examiner tout ce qu’il y avoit de plus curieux à voir dans l’Eglise superieure, & qu’on lui eust expliqué en quoy consistoient toutes les reliques qu’on y avoit exposées : Elle descendit dans l’inferieure où est conservée la Croix de Saint André que S. M. C. voulut voir ; cette Eglise n’estoit ni moins ornée ni moins éclairée que la superieure, & l’on y voyoit par tout des marques éclatantes de la reconnoissance dont les Religieux s’étoient penetrez envers Sa Majesté Catholique, qui vouloit bien les honorer de sa presence. Ce Prince fut charmé de la magnificence qui éclatoit par tout, & fut fort touché de tous les pieux monumens qu’il vit dans cette Eglise, à laquelle il laissa des marques de sa liberalité ; & pour témoigner aux Religieux la satisfaction particuliere qu’il avoit euë, il leur donna à tous sa main à baiser, avec cette bonté & avec cette grace qui accompagnent toutes ses actions.

Le Roy revint dans son Palais sur les six heures, & passa au milieu des Troupes des Galeres, qui estoient en bataille derriere la Corderie du nouvel Arsenal.

Messieurs les Maire & Eschevins mortifiez de n’avoir pû remplir tous leurs devoirs dans une occasion si glorieuse, ayant sçû que Sa Majesté Catholique devoit partir le lendemain, demanderent en grace de baiser la main de ce Prince ; Mr le Comte de Grignan leur procura cet honneur, quoiqu’ils n’eussent aucune marque de leur caractere, à cause de l’incognito qu’on a eu ordre exprés de garder fort severement, à l’occasion du passage de Sa Majesté qui n’a voulu souffrir aucune ceremonie publique.

Le Vendredy premier Decembre jour du départ du Roy d’Espagne ; Sa Majesté entendit la Messe à Saint Ferriol, & estant montée dans la Chaise, elle passa au Cours où elle mit pied à terre pour voir les Troupes des Galeres, qui y firent devant elle le nouvel exercice que Mr de Bombelles a inventé.

Le Roy se mit ensuite en marche pour continuer sa route, Sa Majesté devoit aller coucher le mesme jour à Aix, où Mr l’Evesque de Marseille, Mr Lebret, Mr de Forville, Mr de Montmor, & un grand nombre d’autres personnes de distinction, eurent l’honneur de l’accompagner.

L’incognito qu’on a esté contraint de garder, comme il a esté dit cy-dessus, n’a pas empesché que Mr le Comte de Grignan n’ait fait des dépenses extraordinaires, soit en tenant de grandes Tables ou autrement ; Mr l’Evesque de Marseille, Mr Lebret, Mr de Forville, Mr de Montmor, & Mr le Commandeur de Rancé Chef d’Escadre des Galeres, ont aussi tenu tous les jours plusieurs Tables, où tous les Grands d’Espagne & les Seigneurs de la Cour de Sa Majesté Catholique ont esté magnifiquement traitez.

Pendant le sejour du Roy d’Espagne à Marseille, où il a bien voulu aller toûjours à pied, afin de répondre en quelque façon à l’empressement & à l’ardeur extrême que chacun avoit de le voir ; Sa Majesté par sa grande douceur, par son affabilité & par l’accez facile qu’elle donnoit à tous ceux qui avoient l’honneur de se jetter à ses genoux pour luy baiser la main, s’est attirée le cœur de tous les Marseillois, qui par leurs transports accompagnez de soûmission & de tendresse, faisoient assez connoître d’ailleurs à Sa Majesté Catholique & à toute sa Cour, combien LOUIS LE GRAND est adoré de ses peuples, à quel point Monseigneur en est respectueusement cheri, & combien Marseille a de veneration pour toute la Famille Royale.

Je ne dois pas oublier que Sa Majesté Catholique donna à Mr le Marquis de Forville qui commandoit les Galeres du Roy, qui l’ont conduit jusqu’à Antibes, une épée garnie de Diamans, & des épées d’or aux Capitaines des Galeres. Il en reserva une des plus riches pour Mr le Chevalier de Forbin, On sçait les services qu’il a rendus. Mr Janet Capitaine des Gardes de Monsieur le Duc de Vendosme luy ayant apporté à Marseille, la nouvelle de la prise de Borgoforte, il luy donna un Diamant de cent Louis. Tous les Peuples de la Province ont témoigné tant de joye de voir ce Prince, que les acclamations ont esté continuelles dans tous les lieux où il a passé, & la foule a esté si grande que plusieurs femmes s’estant emparées de sa main, s’il m’est permis de me servir de ce terme, pour expliquer leur empressement, se la donnerent les unes aux autres pour la baiser. Mr Bitton, Curé de la Madelaine de la Plaine d’Aillane, dans le territoire d’Aix, luy fit un compliment, en luy presentant plusieurs bassins, non pas de fruits de la saison, mais de ceux dont on ne trouve que tres-rarement, & même point du tout dans la Saison où nous sommes. Entre ces Bassins, il y en avoit un de raisins qu’on appelle Damas musqué de grosse pense à un seul pepin. Le zele de ce bon homme ne doit pas estre moins remarqué que les plus somptueux repas, donnez par les plus grands Seigneurs, & a dû estre aussi agreable à Sa Majesté Catholique, que l’offrande de la bonne Femme de l’Ecriture, le fut à Dieu.

Ce Monarque arriva à Aix le premier Decembre à quatre heures aprés midy. Il monta à cheval assez proche des Portes de la Ville, il la traversa environné de plusieurs Seigneurs tant Espagnols que François. Mr le Comte de Marsin Ambassadeur de France, & Mr le Duc de Medina Sidonia son grand Ecuyer étoient à ses côtez. Mr le Duc de Gandie, & Mrs les Comtes de San Estevan & de Benevent estoient de ce nombre. Tous ces Seigneurs étoient fort lestes, & tres-bien montez. Toute cette Cavalcade estoit precedée par plusieurs Trompettes & par les Gardes de Mr le Comte de Grignan. Ils marchoient deux à deux, & avoient l’épée haute. Il y avoit aussi beaucoup de Hallebardiers vêtus de bleu, avec des boutonnieres d’argent, & un parement de velours cramoisi sur les manches. Cette marche estoit fermée par un fort grand nombre de chaises roulantes, tant à l’Espagnole qu’à la Françoise Le Roy saluoit toutes les Dames qui estoient aux fenestres, & avoit presque toûjours le chapeau à la main, sur lequel il y avoit un plumet blanc. L’habit de Sa Majesté estoit d’un drap clair, orné de grandes boutonnieres d’or. Ce Prince joüa le même soir à la Bassette avec les Dames. Toutes celles qui estoient de quelque distinction, & qui se presenterent pour joüer eurent cet honneur. Le Roy soupa dans le Palais de Mr l’Archevêque où il estoit logé. Mr le Patriarche des Indes fit à ce souper la charge de grand Aumônier. Ce Prelat est fort attaché aux fonction de cette charge. Mr le Duc de Medina Sidonia fit à ce repas la charge de Grand Maître de la Maison du Roy. Il y avoit une si grande quantité de monde, que la foule estoit encore grande long-temps aprés le souper du Roy, de sorte que pour faire sortir ceux qui restoient, on fut obligé de dire que le Roy vouloit se coucher, Les Grands d’Espagne & les Seigneurs Espagnols & François qui l’accompagnoient, souperent chez les personnes les plus distinguées de la Ville. Mr le premier President eut l’avantage de donner à souper au plus grand nombre, avec la magnificence qui luy est ordinaire. Ce fut dans ce repas que Mr de Benevent, un des quatre que le Roy a fait Chevaliers du Saint Esprit, & dont le nom est Pimentel, se leva, mit l’épée à la main, se fit donner du vin pur dans un verre qu’il prit de l’autre main, & que dans cette posture, il but à la santé du Roy Tres-Chrestien & de toutes les Princesses & Dames de la Cour de France. Il voulut que cette santé fust solemnisée à la ronde de même qu’il l’avoit buë, & les Dames mêmes ne furent pas dispensées de tenir le verre d’une main, & cette épée de l’autre, qui fit ainsi le tour de la table. Le Roy d’Espagne est si aimé que Mr le Duc de Gandie qui a suivi ce Monarque, quoy qu’il n’ait aucune charge dans la Maison de ce Prince, dit souvent qu’il a perdu la liberté dés le premier moment qu’il a vû son Maistre ; qu’il le suivra par toute la terre, par mer, par l’air, & par le feu ; enfin qu’il auroit peché si ce Prince avoit esté femme. Mr le Comte de San Istevan dit à la Compagnie, que Sa Majesté Catholique qui n’entendoit pas un mot d’Espagnol lorsqu’il s’est agi de la Couronne d’Espagne, le parloit assez bien pour corriger les plus habiles Espagnols. Ce Monarque estant parti d’Aix le second de Decembre alla coucher à Salon le 2. & le 3. à Arles.

Ce Monarque y arriva à trois heures aprés midy incognito, & sans ceremonie, accompagné de plusieurs Grands d’Espagne, & d’une nombreuse suite dont les voitures se montoient à plus de neuf cens chevaux ou mulets. Ce Prince logea à l’Archevêché qui estoit magnifiquement meublé. On y avoit mis une Garde Bourgeoise sous les armes, cette compagnie estoit presques toute de Gentilshommes, le Roi renvoya sa Garde ordinaire, & confia à cette compagnie la Garde de sa personne. Sa Majesté donna l’ordre, & on a esté charmé de cette distinction qu’elle a faite à l’exemple du Roi son Ayeul qui en 1660. confia aux Habitans d’Arles, la garde de sa Personne. Sa Majesté Catholique partit le Lundi 4. à huit heures du matin pour aller à Nismes aprés avoir oüi la Messe à Saint Trophime. Toute la Ville a esté charmée de voir ce Prince qui a fait l’honneur aux Dames de la Ville de joüer avec elles pendant deux heures. Mrs les quatre Consuls ont eu l’honneur de luy baiser la main.

Le 4. le Roy alla coucher à Nismes. Il arriva le Mardy 5. au Pont de Castelnau, à un quart de lieuë de Montpelier. Il sortit de sa chaise & monta à cheval, precedé des Gardes de Mr le Duc du Maine. Il eut le chapeau à la main depuis le Pont jusqu’au Palais, & quoy que les cris de joie fussent fort grands les benedictions qu’on lui donnoit ne laissoient pas de se faire entendre.

Il entra par la porte du Peirou, accompagné de tous les Grands d’Espagne, dont je vous ai déja parle, & de Mr le Duc d’Ossone, premier Gentilhomme de sa Chambre, dont je ne vous ay encore rien dit. Le Peuple qui ne pouvoit se lasser de voir ce Monarque, le suivoit en foule.

Mr le premier President, Mr le Comte de Calvisson & Mr l’Intendant le recurent à la porte du Palais. Il trouva plusieurs Evêques dans la salle & parut surpris d’en voir un si grand nombre, mais Mr de Montpellier lui dit que l’assemblée des Etats de la Province leur avoit procuré l’honneur de le voir. Sa Majesté ayant demeuré environ une demi-heure dans son cabinet, entra dans sa chambre pour tenir Conseil avec les Grands d’Espagne, Mr le Cardinal d’Estrées & Mr de Marsin.

Aprés le Conseil, Madame de Calvisson, Madame de Fortia, & plusieurs autres Dames de qualité, eurent l’honneur de saluer le Roi qui les baisa. Ce Prince joüa à la Bassette, Madame de Calvisson joüa avec Sa Majesté. Il fut permis à toutes les Dames d’avoir cet honneur.

À 8. heures on commença à mettre sur table, la foule estoit grande dans le lieu où S.M. soupa. Le grand Aumônier voyant Mr de Montpellier luy dit comme à l’Evêque Diocesain, de benir la table. Le Roi lui adressa souvent la parole pendant le souper. Ce Prelat dit aussi les graces. Le Roi se retira ensuite dans sa chambre avec les Grands d’Espagne.

Mr le Comte de Marsin soupa chez Mr de Calvisson.

Mr le Cardinal d’Estrées, Mr l’Abbé d’Estrées, & plusieurs Evêques souperent chez Mr de Montpellier, où il y avoit deux tables de vingt couverts chacune Plusieurs personnes de distinction tant François qu’Espagnols, souperent chez Mr l’Intendant.

La pluspart des Grands d’Espagne se trouvant fatiguez mangerent chez le Roy, ou chez eux.

Le lendemain, il fut permis à toutes les personnes de distinction d’entrer au lever du Roy, ce Monarque alla à pied à la Messe à Saint Pierre, environné des Grands d’Espagne, & appuyé sur Mr de Marsin Sa Majesté estoit precedée des Gardes de Mr le Duc du Maine, & de quelques-uns des siens, elle donna sa main à baiser à tous ceux qui se presenterent pour avoir cet honneur, une femme de peu de consideration estant tombée en la baisant, ce Prince eut la bonté de luy donner la main pour l’aider à se relever.

Mr de Montpellier reçut le Roy au Benitier, & le conduisit jusques à l’Autel, où un Aumônier de Sa Majesté dit la Messe. Le Chœur estoit plein des personnes de sa suite, & d’un grand nombre d’Evêques. Le Roy dîna aussi-tost aprés la Messe, & monta à cheval avec deux Grands d’Espagne seulement, le reste de sa Cour n’ayant pas dîné. Ce Prince alla au bois de Gramont, où il tua huit ou dix lapins. Il arriva aux flambeaux, changea d’habit, & alla à la Comedie au Parterre, où on lui avoit dressé une espece d’Amphitheatre où il se plaça avec tous les Grands d’Espagne.

Mr de Marsin estoit à un Balcon. Mesdames de Calvisson, de Fortia, de Laisieren, & de Fages, estoient à l’autre Balcon. Madame la Nourrice de Sa Majesté qui s’estoit renduë à Montpellier pour voir ce Prince, Mesdames de Rochemone, Clausel, la Chaise-Bustelle, fille de Mr le Baron d’Alets, estoient à la premiere Loge. Les autres Loges estoient occupées des par femmes de qualité, & par quelques hommes. Le Roy avoit demandé Polieucte & les Vendanges de Suresne. Mr de Marsin avoit prié le Roy de permettre que Mr de Calvisson luy offrist la collation à la Comedie, à quoy Sa Majesté eut la bonté de consentir. On servit beaucoup d’eaux glacées dont le Roy but, & Sa Majesté mangea beaucoup de raisins. La collation fut ensuite portée à Madame de Calvisson par ordre du Roy. Cette Dame en fit part à toutes les Loges. Le Roy soupa aprés la Comedie, il entra ensuite dans son Cabinet & se coucha demie heure aprés.

Le Jeudi 7. ce Monarque alla encore à pied à S. Pierre, où il communia de la main de son Aumônier. Il tint Conseil aprés la Messe, il dîna ensuite, & monta à cheval en sortant de table, pour aller à la Verune, quoy que le temps fust fort vilain, c’est une maison de Plaisance de Mr de Montpellier. S.M. tua des lapins, & joüa au mail pendant la pluye. Mr de Montpellier luy fit servir un grand soupé où il eut l’honneur de le servir. Il y eut deux tables magnifiquement servies aprés le soupé du Roy pour tous ceux qui l’avoient accompagné. Pendant qu’ils souperent S.M. s’entretint avec Mr de Montpellier, & lui parla comme auroit fait un Docteur de Sorbonne, à l’occasion d’une Bible qu’il trouva sur la table du Cabinet où ils estoient.

Rien ne manquoit à la Verune que des cartes pour joüer, il fallut en envoyer chercher à la Ville. On joüa à la Bassette, & Mr de Montpellier se retira, on arriva à la Ville à onze heures du soir, le Roy se mit dans le Carosse de Mr de Montpellier avec Mr le Duc de Medina-Sidonia.

Mr de Carcassone qui se trouva le lendemain au lever du Roy, eut l’honneur du Priédieu. Le Roi entendit la Messe de grand matin dans son antichambre & partit à huit heures.

Pondant que Sa Majesté a demeuré à Montpellier elle a tous les soirs donné l’ordre à Mr le Comte de Calvisson, & aux Commandant des Sizains de la Ville qui le gardoient. Ce Prince a fait de grandes liberalitez aux domestiques de Mr le premier President, & à la Musique de Saint Pierre. Il n’a pas oublié les Comediens. On a distribué par ses ordres beaucoup de chocolate, & beaucoup de tabac d’Espagne. Ceux de la suite de ce Prince ont donné fort largement aux domestiques des maisons où ils ont logé. Les uns dix, les autres quinze, & d’autres vingt louis.

Sa Majesté Catholique a logé chez Mr Bon, premier President de la Cour des Aides, & ce Magistrat l’a reçu avec la mesme magnificence qu’il fit paroistre lorsque la Reine d’Espagne, à son passage, luy fit l’honneur de loger chez luy.

Mr de Montpellier à tenu deux tables, matin & soir, elles ont esté magnifiquement servies, tous les Seigneurs Espagnols y ont souvent mangé, & le jour de l’arrivée de Sa Majesté Catholique neuf Espagnols des plus qualifiez, Grands d’Espagne & autres mangerent à l’une de ces tables ou estoit Mr le Cardinal d’Estrées. Mr de Montpellier estoit à l’autre avec un grand nombre de personnes de distinction.

Le 8. Decembre, Sa Majesté Catholique alla à Pezenas, où elle dîna en public à l’Evesché, qui avoit esté préparé pour son logement, ce Prince monta à cheval sur les trois heures aprés midi, & alla voir les huit Ecluses du Canal Royal de communication des Mers, qui sont acolées & jointes ensemble à la veuë des murailles de la Ville ; on y fit descendre & monter des Bateaux, pour lui faire voir l’artifice de cette Navigation ; il regarda avec plaisir les Cascades que font les eaux en tombant de l’une dans l’autre, de huit Ecluses.

De là Mr de Rousset, Directeur des Ouvrages du Canal, proche parent de Mr Riquet, eut l’honneur de le conduire par terre au lieu dit le Malpas, qui est à une lieuë de Beziers. Le Malpas est une voute creusée de main d’homme dans le tuf ou le Canal passe au travers d’une montagne : On nomme cet endroit le Mal Pas, parce que l’ancien chemin de Narbonne estoit autrefois de ce costé-là, où les voleurs faisoient leurs meurtres, & jettoient les cadavres dans des Fondrieres qui sont aujourd’huy couvertes. Le Roy étant arrivé sur la montagne, mit pied à terre, & descendit sous la voute par un degré taillé dans le tuf, qui est du costé de Beziers. Il en voulut sçavoir la longueur, la largeur & la hauteur. Il traversa sur la Banquere qui sert pour le tirage des Bateaux, toute la longueur du Cal Pas, qui est de quatre-vingt dix-neuf toises ; il estoit suivi de plusieurs Grands d’Espagne, & de quantité d’autres Seigneurs, qui dirent à Sa Majesté que la voute du Mal Pas estoit plus curieuse à voir que le chemin vouté, creusé dans la montagne du Posilipo, qu’on voit encore à la sortie de la Ville de Naples, quand on va du costé de la Ville de Poussolo, pour voir les beaux lieux que Virgile a decrits dans son sixiéme Livre de l’Eneide.

Sa Majesté aprés avoir demeuré un bon quart d’heure en cet endroit, en sortit par l’autre bout, & remonta sur la montagne par l’autre degré qui est du costé de Toulouse, & rentra à Beziers vers les cinq heures. Ce Prince parla à son retour si avantageusement du canal à Mr le Cardinal d’Estrées, que cette Eminence y alla le 10. au matin, avec Mr l’Abbé d’Estrées son Neveu. Ils admirerent cet ouvrage, qu’ils regarderent comme un des plus grands de la magnificence de Louis le Grand, & dirent que les Empereurs Romains n’avoient rien fait en Italie qui lui pût estre comparé.

Le Roy d’Espagne s’informa de tout le détail du Canal, il voulut sçavoir ce qu’une Barque pouvoit porter ; combien coûtoit le port du poids de cent livres, & quelle épargne il y avoit à faire porter les marchandises plutost par le Canal que par aucune autre sorte de Voiture ; Combien de temps il falloit pour faire le trajet d’une Mer à l’autre ; Combien de journées mettoient les Voyageurs pour aller delà à la Ville d’Agde, à Toulouse par le Bateau de Poste, ce qu’il leur en coûtoit de frais ; il voulut sçavoir la maniere dont on recreusoit le Canal quand il estoit sablé, s’il se sabloit souvent, & pour quel usage on avoit fait les Aqueducs ; il en demanda le nombre, & celuy des Ecluses, si on avoit esté long-temps à faire le Canal, depuis quel temps il estoit dans sa perfection, de quelles eaux on se servoit, & ce qu’il coûtoit pour l’entretenir. Mr de Rousset qui le suivoit toûjours, l’instruisit de toutes ces choses dont il parut estre satisfait, puisqu’il fit écrire par son Secretaire ce qu’il trouva de plus remarquable.

Mr le Pul eut l’honneur d’estre presenté à Sa Majesté, Mr de Candeau Gentilhomme de la Manche de Monseigneur le Duc de Berry qui estoit parti de Versailles exprez pour voir Sa Majesté Catholique à son passage à Beziers. Mr Pul presenta à ce Prince sa Traduction des Eglogues de Virgile, qu’il avoit eu l’honneur de presenter à Monseigneur le Duc de Bourgogne à son passage dans la même Ville. Sa Majesté reçut avec sa bonté ordinaire l’exemplaire qui luy fut presenté.

Le 10. du mesme mois, le Roi d’Espagne alla coucher à Narbonne, le 11. à Salins, & le 12. à Perpignan. Il n’y a point à douter que Sa Majesté Catholique n’ait esté reçuë dans toutes les Villes dont je ne ne vous ay rien dit, de même que dans celles dont je vous ay parlé. Si j’en reçois des Memoires, je ne laisseray pas de vous en entretenir le mois prochain, afin que la posterité trouve un jour dans mes Lettres, ce qui ne se trouvera point ailleurs, & que ceux qui en auront besoin y puissent apprendre ce qui se sera fait dans les Villes de France, où un Roy d’Espagne aura passé.

Enigme §

Mercure galant, décembre 1702 [tome 16], p. 398-399.

Le mot de l’Enigme du mois passé estoit la Crêche ; ceux qui l’ont deviné sont, Mr Colidor : Bardet & du Plessis du Mans : l’Abbé du Flot : de la Houpiniere : Tourterin : le Petit de la Couronne de la ruë des Bourdonois : Tamiriste : l’Auteur de l’Amour desinteressé : l’infortuné Pigis de la ruë S. Antoine : Mesdemoiselles Moutier la fille, de l’Arsenal : Amerante de la ruë Sainte Marguerite : la belle Brune de devant Saint Mederic : la fameuse Devineresse de la Bastille : Mouget de la ruë du Roulle, & la dixieme Muse du Fauxbourg Saint Germain, sa Commere.

L’Enigme que je vous envoye, est de Mr d’Aubiecour.

ENIGME.

Je plais, soit que je sois vêtuë,
Ou qu’on me voye toute nuë.
Ma figure sur pied réveille les esprits ;
Plus mon corps a de poids, plus j’augmente de prix.
Je suis d’une espece fragile ;
Je vomis nuit & jour, & jamais Medecin
N’a vû sortir de moy Pituite ny Bile ;
Mais si de tels efforts me font tomber debile,
Qui me releve avec du Vin,
Ne me soulage point en vain.

[Etat present des affaires de la guerre] §

Mercure galant, décembre 1702 [tome 16], p. 400-412.

Toutes les Armées estant de part & d’autre en quartier d’hiver, je dois seulement vous dire que nos affaires sont dans une assez bonne situation du costé de l’Allemagne, que nous n’avions point de Ponts sur le Rhin, pendant la derniere Campagne, & que nous y en avons presentement deux ; que l’Alsace est bien gardée ; que nous ne craignons plus rien du costé de la Lorraine ; que Bonn & Trarback tirent de grandes contributions ; que les Ennemis qui avoient dessein de les assieger pendant cet hiver, paroissent presentement fort éloignez d’avoir cette pensée, que Mr l’Electeur de Baviere donne beaucoup d’inquietude à l’Empereur, que son Armement rompt les projets que Sa Majesté Imperiale avoit formez sur le Rhin, & sur tout en Italie, d’où elle fait revenir des Troupes lorsqu’il seroit besoin qu’elle y en envoyast ; que l’on commence dans la Diete de Ratisbonne à reconnoistre la justice des armes de Son Altesse Electorale, & que des Deputez des principaux Membres de l’Empire l’ont dit assez haut en pleine Assemblée.

Ce que je dis n’estant point un raisonnement, mais un fait positif & public, merite quelque attention. Le temps en découvrira davantage Si plusieurs Membres de l’Empire osoient parler, ou s’ils estoient en estat de le faire, on verroit de grands changemens dans les affaires d’Allemagne. Le temps améne tout. L’Empire n’est point obligé d’entrer dans les démêlez de l’Empereur, il est libre & non dépendant. Si l’Empereur reconnoist des Rois, & des nouveaux Electeurs dans ses Membres, & que ces Princes embrassent son parti par reconnoissance, cherchant à l’élever à leur tour, le reste de l’Empire ne doit pas s’épuiser pour se donner un maistre, qui ne le gouverne déja que trop arbitrairement. Si l’Empereur agit avec tant de hauteur lorsque sa Maison se trouve si abaissée, que feroit-il s’il mettoit la Couronne d’Espagne sur la teste d’un de ses Enfans ? Il seroit dans peu Souverain de toute l’Allemagne, & l’Empire ne reconnoistroit plus que ses ordres. Ce n’est que par là que la Couronne d’Espagne le touche ; tout ce qui peut l’aider à la mettre dans sa maison, luy convient. Les Heretiques de son parti ont pillé les Eglises dans l’Andalousie. Ils ont abatu les Autels, ils ont profané les saintes Hosties, ils ont foulé les Reliques aux pieds, ils ont traîné les Images des Saints par derision : Vienne s’en réjoüit, & l’on y chante le Te Deum. Ce sont. là des faits qui parlent, & non pas des raisonnemens, Ces faits disent tant, & font tant penser, que je me tais. Les Hollandois ont montré beaucoup de prudence sur cet article. On avoit fait des Estampes de ce pillage, & de ces abominations. Le sujet de ces Estampes estoit contraire aux Manifestes publiez, & à la bonne guerre, il estoit barbare, & n’a rien produit pour l’Etat, les particuliers ont fait quelque butin, & c’est à quoy toute la dépense de leur Armement a abouti ; ainsi toutes les Estampes qu’ils ont fait supprimer, au lieu de tourner à leur gloire, ne pouvoient faire dire autre chose, sinon que c’estoit une montagne qui enfantoit une souris. Pendant qu’on se réjoüissoit à Madrid de ce que tout l’or & l’argent de la Flote estoit sauvé, & qu’il estoit arrivé dans cette capitale, on faisoit des réjoüissances publiques, ou plutost politiques, à Vienne & à Londres, sans avoir d’autres motifs que celuy d’ébloüir les peuples par ces feux & de les repaistre de fumée, puisque c’est un fait constant & averé, que lorsque les Flotes ennemies ont paru devant Vigo, il y avoit huit jours qu’il ne restoit plus d’argent à débarquer.

Revenons à Mr l’Electeur de Baviere. Ses ennemis le craignent beaucoup, puisque sur une legere indisposition de ce Prince, ils ont publié qu’il estoit dangereusement malade. Il a eu quatre accés de fiévre assez legers ; voila toute sa maladie. Ceux qui ont lieu de craindre ses Troupes, & qui se les ont attirées en rompant les Traitez qu’ils avoient avec luy, en sçavent des nouvelles plus veritables, & la ville d’Ausbourg & son territoire qui luy pavent cinquante mille florins de contribution, sçavent combien ses Troupes sont à craindre. Elles embarassent beaucoup l’Empereur qui a fait revenir quatre Regimens de cavalerie d’Italie, & a retenu les recruës qu’il y devoit envoyer, afin de les faire agir contre. Son Altesse Electorale. Jugez de la situation où se trouve Sa Majesté Imperiale par celle où sont ses affaires dans le lieu dont elle fait revenir des Troupes.

Je ne vous repete point icy que depuis l’ouverture de la Campagne, Monsieur le Duc Vendôme a toûjours chassé Mr le Prince Eugene devant lui qu’il l’a obligé de repasser six ou sept Rivieres, qu’il l’a contraint d’abandonner un grand nombre de Postes, de plusieurs desquels il n’avoit retiré ni la Garnison ni les magasins : qu’il a défait quatre de ces meilleurs Regimens de cavalerie au combat de Santa Vittoria, qu’il a gagné la Bataille de Luzzara, qu’il s’est ensuite emparé de la Place qui porte ce nom, qu’il a assiegé & pris Guastalla, & qu’il a tellement resserré les Imperiaux, qu’ils ont esté contraints d’abandonner Borgoforte, sans pouvoir en retirer qu’une partie de la Garnison. J’ajoûteray à tout cela la prise de San-Benedetto, avec un gros magasin, & qu’il n’y a point jour que Mr de Vendôme n’avance, en resserrant l’Armée Impériale. M. d’Albergotti qui commande dans Modene, fait fortifier plusieurs Postes sur le canal & sur le Panaro, qui couvrent le Païs. Le premier est Bonporto dans l’angle que fait le canal de Modene, en tombant dans le Panaro. Il a mis quatre cens hommes dans ce Poste. Il en a mis cent cinquante dans la Bastia. Il en a fait aussi entrer dans Nonantola, dans Novalla sur le Panaro, & dans Pontalto sur la Sechia. Enfin le Prince Eugene est si resserré, qu’il n’y a pas dans l’étenduë du terrain qu’il occupe assez de Postes pour mettre ses Troupes à couvert des injures de l’air, ses partis n’osent plus paroître, & ses Troupes que l’on trouve en Campagne n’osent plus se deffendre. Un Party de quatre-vingt hommes de la Garnison de Mantouë, ayant rencontré une Compagnie de Grenadiers Allemans, la défit entierement, sans qu’il en restast un seul. Il en prit quatorze, & le reste fut tué.

La Garnison de Bercello se trouve aussi resserrée qu’elle est affoiblie. Il ne reste pas cinquante chevaux dans la Place. Toute la Garnison a presque pery par les maladies, cette Place estant située dans un lieu bas, & fort mal sain : de sorte qu’il nous a esté avantageux que les Ennemis ayant eu une Garnison dans cette Ville-là, puis qu’elle y a peri, sans avoir fait un seul exploit de Guerre pendant toute la Campagne c’est un fait constant, puisque les Ennemis, suivant leurs manieres accoûtumées n’en ont pas même publié d’imaginaires.

Les Ennemis ont fait beaucoup de bruit des petites conquestes qu’ils ont faites en Flandres, je dis petites, car quoy que la Ville de Liege soit d’un grand nom, elle ne peut passer pour une Place de guerre ; leurs autres conquestes n’ont que des Fortifications de terre. Leurs Garnisons loin de faire des courses, se trouvent fort resserrées ; ce qui se passa le 19. de ce mois de ce costé-là en est une preuve. Mr le Marquis de Blainville qui commande sur la Frontiere de Namur, ayant eu avis qu’un Escadron des Ennemis avoit esté mis dans un des Fauxbourgs de Liege, resolut de le faire enlever, & chargea de cette Commission, Mr le Marquis du Rozel, qui se rendit avec cent-cinquante Chevaux, & six vingt Grenadiers à Huy, d’où ils marcherent à Liege, ils entrerent la nuit dans le Fauxbourg, où estoit l’Escadron, qu’ils cherchoient ; ils en enleverent 119. chevaux & plusieurs Cavaliers qui furent conduits à Huy & à Namur.