1703

Mercure galant, janvier 1703 [tome 1].

2017
Source : Mercure galant, janvier 1703 [tome 1].
Ont participé à cette édition électronique : Nathalie Berton-Blivet (Responsable éditorial), Anne Piéjus (Responsable éditorial), Frédéric Glorieux (Informatique éditoriale) et Vincent Jolivet (Informatique éditoriale).

Mercure galant, janvier 1703 [tome 1]. §

[Madrigal] §

Mercure galant, janvier 1703 [tome 1], p. 5-7.

Je croy, Madame ne pouvoir mieux commencer ma premiere lettre de cette nouvelle année, que par les Vers que vous allez lire.

MADRIGAL.

Peuples soumis aux Loix d’un Prince Tres-Chretien,
Commençons dignement le cours de cette année,
Offrons tout au Seigneur qui nous a faits de rien,
N’esperons que par luy l’heureuse destinée ?
Ne formons d’autres vœux que pour Louis Le Grand,
Son Auguste Dauphin, la Famille Royale.
Secondons les Projets d’un sage Conquerant,
Dont l’Ame est genereuse autant que Martiale.
Ce Heros qui calma l’Europe plusieurs fois,
Peut bien la rendre encore calme en mil sept cens trois.

Ce Madrigal est de Mr Daubicourt, dont les galans ouvrages vous font souvent plaisir.

[Epître à Mr le Comte de Tessé] §

Mercure galant, janvier 1703 [tome 1], p. 7-16.

Il y a de tres grandes beautez dans celuy qui suit, & l’Auteur a trouvé moyen d’y parler du Roy, de Monseigneur, de Monseigneur le Duc, & de Madame la Duchesse de Bourgogne, d’une maniere aussi ingenieuse ; que delicate. Il ne faut pas s’en étonner puisque cette Epitre est de Mr de Bellocq. Vous sçavez que tout ce qu’il fait est de tres bon goust & que ses ouvrages reçoivent tous les jours de grands applaudissemens.

A MONSIEUR LE COMTE DE TESSÉ.
EPITRE.

La faveur d’Apollon, les efforts de Neptune,
N’y la valeur d’Hector, aussi puissant secours,
Ne purent d’Illion soutenir la fortune,
Sous l’herbe sont cachez ses Palais & ses tours.
***
L’envie en est outrée, & cependant l’avouë,
Comte : vous surpassez leurs exploits glorieux,
Et vous avez plus fait en conservant Mantouë
Que les Heros Troyens liguez avec leurs Dieux.
***
Par vous elle renaist : par vous elle respire :
Son salut, est le fruit de vos travaux Guerriers ;
Et si ces champs fameux ont encor un Tityre,
Il peut tranquilement chanter sous vos lauriers.
***
Mais quoy ? nous pretendions qu’aprés cette Victoire
Vous passeriez icy le regne des glaçons ;
Eleve de Louis, moissonnez vous la gloire,
Quand l’hiver pour tout autre en suspend les moissons ?
***
Sur un doute important que vous me faites naître
Mon esprit curieux voudroit être éclairé :
Un juste empressement de revoir nostre Maistre
Contre vôtre devoir n’a-t-il point murmuré.
***
N’auriez-vous point voulu que la guerre cruelle.
Vous laissât de Louis repaître vos regards,
Et puiser dans les siens une vigueur nouvelle,
Pour suffire aux travaux que vous prepare Mars ?
***
Ainsi, quand le Nocher luttant contre l’orage.
A resisté long-temps aux horreurs de la nuit.
Un rayon du Soleil raffermit son courage,
L’anime, le soutient, l’échauffe, & le conduit.
***
Que vous l’auriez veu Grand, & digne de luy même
Quelle force d’esprit ? quelle tranquilité ?
Et sur tout, ce qui rend nostre plaisir extrême,
Ce qui comble nos vœux, Comte : quelle santé ?
***
Ses yeux brillent du feu qu’éprouva mainte Ville
Où son bras redouté foudroyoit les Titans :
Fagon, fier & content de se voir inutile
Demande au Ciel de l’estre, encor plus de trente ans.
***
Racontant les hauts faits de la brave jeunesse,
Avec quel agrément vous auroit écouté
Nostre auguste Dauphin, modele de sagesse,
Miracle de prudence ; exemple de bonté.
***
Qu’il vous eust esté doux de voir Adelaïde,
Cette jeune Beauté dont les charmes divers,
Etonneroient Vandek, ébloüiroient le Guide,
Feroient tomber la plume au Dieu même des Vers.
***
Par les difficultez ma Muse intimidée
N’en traceroit icy qu’un crayon imparfait,
Ah ! Comte, qu’il faudra reformer nostre idée ?
Et qu’elle vous peint mal ce qu’elle est en effet ?
***
Ainsi qu’un jeune enfant qui prend pour un prodige,
Ou pour l’illusion d’un songe decevant,
De voir un lys fleury sur cette même tige
Où n’estoit qu’un bouton deux jours auparavant ;
***
Vous seriez enchanté de sa taille divine
Que vous luy connoissez moindre de quatre doigts ?
Nous aurions desiré qu’elle eut esté moins fine,
Et se fut dementie, au moins pour quelques mois.
***
Par là, nous nous flattions que la France & l’Espagne
Verroient leur sort tranquille & leurs Peuples contents :
Ce bonheur se differe ; & le Duc de Bretagne
Pour décendre des Cieux demande un peu de temps.
***
Son Pere nous console ; & la Cour est charmée
De voir ce jeune Prince en sa premiere fleur,
Briller dans les Conseils, comme il fait à l’Armée,
Distingué par l’esprit, comme par la valeur.
***
Les plus fins courtisans, attentifs à l’entendre,
De ses vives clartez paroissent éblouis ;
Mais ces talents, en luy ne doivent point surprendre ;
Si-tost qu’on se souvient qu’il décend de Louis.
***
Pourquoy, me direz vous, par une voix si haute
Reveiller un désir qui vous est trop connu ?
Comte, sans m’informer si c’est par vostre faute,
Je prétends vous punir de n’estre point venu.

[Ode] §

Mercure galant, janvier 1703 [tome 1], p. 112-118.

Vous trouverez un parfaitement beau Tableau de la Fortune dans l’ouvrage que vous allez lire. Il est de Mr le Chevalier de Theron, Capitaine dans le Regiment de Lanoy, fils d’un Conseiller de Thoulouse & Neveu du Pere Theron, Jesuite, un des plus grands Poëtes de son temps.

SUR LA FORTUNE.
ODE.

Quelle matiere ample & feconde
S’offre à mon esprit agité.
Une aveugle Divinité,
Qui parcourt l’un & l’autre monde,
Son Char est traîné par les vents
Et du nombre de ses Suivans
Sont les Soins, l’Oubli, l’Esperance ;
Son pouvoir regne sur les mers,
Et je voy que son inconstance
Regle le sort de l’Univers.
***
Ouy, c’est la Fortune elle-même.
Une foule d’adorateurs
Ses disgraces & ses faveurs
Marquent son Empire suprême.
On s’empresse à la rechercher,
On est toûjours prest à marcher
Sous les étendarts qu’elle arbore
Respectable au moindre mortel,
Par tout on l’encense, on l’adore,
Toute la Terre est son Autel.
***
Deesse perfide & legere
Inconstante fille des flots,
Helas, que tu causes de maux
Et que ta gloire est passagere.
Les richesses que tu promets
Où ne viennent presque jamais,
Où se font tres-longtemps attendre.
Tu ris sans cesse de nos vœux
Donner des biens & les reprendre
Ce sont-là tes coups & tes jeux.
***
Auteur & complice des crimes,
Tu nous livres à nos remords,
Et ne signales tes efforts
Que sur d’éclatantes victimes,
Que de Heros & que de Rois
Ont souvent ressenti le poids
De ta fureur impitoyable.
L’histoire des siecles passez
Etale un abris lamentable
De mille Trônes renversez.
***
Il n’est point de precieux reste
A l’abry de tes rudes traits,
Et tu fais crouler des Palais
Qu’avoient basti des mains celestes.
Aprés tant d’horribles combats.
Troye enfin ne fust-elle pas
Sous les flames ensevelie,
Et par un sort capricieux
Enée au fond de l’Italie
Porta sa Patrie & ses Dieux.
***
Tes loix contraires & volages
Vont toûjours un pas inégal,
Et tu prens un plaisir fatal
A briser tes propres ouvrages.
Lorsqu’au plus éminent degré
Ton caprice éleve à son gré
Ceux qui rampoient dans la poussiere ;
Ce triomphe doux & charmant
Et cette majesté si fiere
Ne brillent que pour un moment.
***
Quand par des routes inconnuës,
Quand par un effort merveilleux
Le flot insolent, orgueilleux
Pousse sa fierté jusqu’aux nuës,
Ce mont liquide appesanti
Par sa chute est aneanty,
Il est confondu dans l’abisme.
Tel à peine par son bonheur
Atteint le rang le plus sublime
Qu’il retombe de sa grandeur.
***
En vain la Fortune se flate
Qu’arbitre des succés guerriers
Elle dispense ses lauriers
Dont le front de Bellone éclate.
En vain tout reconnoist sa loy
Elle suit, elle même un Roy
Plus grand que ses fameux Ancètres
Louis seul fait voir en ce jour
Qu’il a pû luy donner des maistres
Dont elle est esclave à son tour.
***
Les nobles Enfans de sa race
Animez d’un sang le plus beau
Sçavent lancer dès le berceau
Les foudres du Dieu de la Thrace.
Le jeune Prince couronné
À qui le Ciel a destiné
Un Empire vaste & celebre
Montre un air doux & belliqueux ;
Habitans du Tage & de l’Ebre
Applaudissez vous d’estre heureux.
***
L’Auguste Couronne d’Espagne
Il ne la tient pas du hasard,
Fortune, tu n’as point de part
À la gloire qui l’accompagne.
Les hauts talens & la vertu
Dont son jeune âge est revêtu
L’ont mis au Trône de l’Ibere.
Que de Peuples il va gagner,
Il sçait trop bien par son grand Pere
L’art de vaincre & l’art de regner.

[Journal de la route du dernier vaisseau françois parti pour la Chine] §

Mercure galant, janvier 1703 [tome 1], p. 118-131.

Si les traits de la Mort & les coups de la Fortune sont à craindre, les vents & les tempestes ne le sont pas moins, & donnent souvent de terribles allarmes. Vous le verrez dans la lettre suivante, où tout ce qui s’est passé dans la route du dernier Vaisseau François party pour la Chine est parfaitement bien décrit. Il vous sera aisé de connoistre que cette Lettre est d’un Jesuite Missionnaire.

Du Port de Kovancheouvan, le 3. Decembre 1701.

Mon tres-cher Pere & bon Ami,

Le Port d’où je vous écris cette Lettre est entierement inconnu, car nostre Vaisseau est non-seulement le premier François, mais même le premier Vaisseau European qui y soit jamais venu. Voici l’occasion qui nous y a forcé. Nous avons fait jusqu’à cent cinquante lieues de Canton, la plus belle navigation qu’on puisse faire. En moins de vingt mois nous avions fait plus de six mille lieues de chemin. Car estant partis de France le 7. Mars nous arrivâmes au détroit de la Sonde. Le 4. Juillet jusqu’au 29. du même mois tout nous avoit été favorable, la navigation devoit nous paroistre tres-facile. Nous comptions d’arriver dans quatre jours à la Chine, mais Dieu a voulu nous éprouver, & il l’a fait plus d’une fois. Son saint Nom soit beni. J’espere qu’il me fera la grace d’en essuyer bien d’autres. Le 29. enfin, nous fusmes surpris d’un si horrible Typhon qu’il brisa tous nos masts. Masts de beaupré, masts de mizaine, grands masts, petits masts, tous furent rompus, les voiles emportées & mises en pieces : en sorte que nous fûmes dans cet estat plus de trois jours abandonnez à la mercy des vents & des flots. Le vent ayant cessé nous élevâmes de petits masts, qui estoient dans le Vaisseau, & nous avançâmes à petites voiles. Le 5. d’Aoust nous n’estions qu’à huit lieues de Macao, mais le vent nous ayant manqué on jetta l’ancre. Le 7. voicy encore un nouveau Typhon qui nous oblige de chercher quelque retraite. Les personnes accoutumées à la mer trembloient à cause du pitoyable estat dans lequel estoit déja nostre Vaisseau qui assurément n’auroit pu soutenir long-temps l’effort de la tempête. Aprés Dieu la prudence de Mr de la Rigaudiere Capitaine de nostre Vaisseau nous sauva ; comme il avoit déja fait la premiere campagne dans ce Vaisseau, il connoissoit une Ance près du tombeau de saint François Xavier, il prit la resolution d’y conduire le Vaisseau pour le mettre en seureté : car nous ne pouvions rester où nous estions sans perir. Il proposa son dessein à Mrs du Conseil, on fut de son avis, on leva l’ancre & nous vinmes enfin malgré le Typhon, par une protection particuliere du Ciel mouiller à Sancian à la veuë du tombeau de saint François Xavier. J’ay eu le bonheur d’aller plusieurs fois dans ce Saint lieu. J’y ay offert le saint Sacrifice dans la petite Chapelle qu’on a bâtie au lieu où il fut d’abord enterré, & j’ay invoqué son secours en particulier pour vous plusieurs fois. Quand nostre Vaisseau retournera en France ; je vous envoyeray de la terre de son Tombeau. Je l’ay amassée moy-même ; ainsi je vous la garantiray. Nous fûmes contraints de rester là environ un mois & demy, pendant lequel temps le Reverend Pere de Fontenay alla à Canton qui est éloigné de cinquante lieues ou environ de l’Isle de Sancian, qui cependant n’est qu’à six lieues de la terre ferme. Il retourna quelque temps aprés au Vaisseau avec le Pere Pelisson, dans le dessein d’emmener les Missionnaires. Il falloit qu’il en restast quelqu’un pour rendre service. Chacun vouloit avoir cet avantage, & c’estoit un combat édifiant. Il s’agissoit d’avoir de la peine, & personne ne vouloit la ceder à un autre. Comme je me portois mieux que les autres, je n’eus pas beaucoup de peine à l’emporter. Il falloit penser à rétablir la santé des foibles, & pour cela les emmener à Canton ; on comptoit cependant que le Vaisseau y seroit presque aussi-tost rendu que les Barques qui conduisoient les Peres : en effet comme il faisoit un peu de vent favorable nous appareillâmes, mais avec nos petits mâts nous avancions si peu contre les marées qui sont violentes, qu’en plus de quinze jours nous ne fîmes pas dix lieues. Nous estions prés de l’Isle Niveo, & le 30. de Septembre nous fûmes encore accuëillis d’un terrible Typhon. Le Pere du Tartre qui estoit resté (c’est un Pere de la Province de Champagne) fut occupé avec moy à confesser, à consoler, & à relever le courage de tout l’équipage qui se croyoit perdu. C’estoit avec fondement. Jamais Vaisseau n’a esté plus en danger sans perir. Tout ce qui nous restoit de masts & de voiles, tout fut rompu & emporté, & pendant prés de trente-six heures nous attendimes l’heureux moment de la mort : car nous estions entraînez par le vent, & les courants à travers d’une grande quantité de rochers & de bancs de sable, ne pouvant recevoir aucun secours. Nous jettames un ancre & le cable qui estoit gros comme le corps d’un enfant fut brisé en un instant. On attendoit le jour pour échouer en un endroit, où on put du moins en sauvant le Vaisseau sauver la vie de plusieurs ; mais Dieu qui nous protegeoit par l’intercession de la sainte Vierge & de saint François Xavier ne le permit pas, le vent cessa un peu, & ayant apperceu une petite Isle nous allâmes avec une seule voile tres-petite nous mettre au dessous du vent. Nous y arrivâmes par une espece de Miracle, ainsi que le publie tout l’équipage, qui sur le champ en chanta le Te Deum Voilà Dieu mercy déja trois grandes tempestes ; essuyées, sans parler des petites, mais celle que nous essuyames le 16. d’Octobre & qui fut la derniere, fit plus craindre que toutes les autres. Le vent & la mer estoient si terribles qu’on attendoit à tous moment la perte du Vaisseau. Nous estions à l’ancre & un seul cable nous retenoit. Or il est rare que trois ancres mesme & trois cables resistent dans une tempeste quand on n’est pas dans un port. Cependant le Capitaine & les autres Officiers, convenoient sans deguiser que si l’ancre ou le cable manquoient le vaisseau seroit en pieces avant trois quard’heure : car n’ayant ni mats, ni voiles, le vent nous auroit mené sur la coste qui n’estoit éloignée que d’une demie lieüe ; mais Dieu nous à conservez, parce que nous avons esperé en son Nom Quelle joye, mon cher Pere, pour un Missionaire de se trouver dans ces sortes d’occasions & de pouvoir mille fois faire le sacrifice de soy-mesme, & marquer à Dieu qu’on n’a confiance qu’en lui. Que le motif qui nous a fait quitter la France est consolant. Si Dieu veut se servir de nous ne sçaura-t’il pas bien le moyen de nous tirer de tous les dangers, & s’il ne se veut pas servir de nous, mourons ; car il ne faut vivre que pour servir Dieu, ne vivons donc que pour luy & n’aimons que luy.

Pendant que nous estions ainsi emportez malgré nous au gré des vents, le R.P. de Fontenay voyant que le Vaisseau qu’il avoit laissé à Sancian ne venoit point à Canton, en estoit parti avec des barques pour charger les presents de l’Empereur, il eut beau nous chercher, il ne put apprendre aucune nouvelle de nous qu’aprés trois semaines d’inquietudes. Il apprit enfin que le Thyphon nous avoit emmenez prés de la ville de Tiempé qui est une ville de la terre ferme éloignée de l’Isle, prés de laquelle nous estions d’environ quatre lieues, & de Canton de plus de quatre-vingt, jugez qu’elle joye se fut pour nos chers Missionnaires qui nous croyoient perdus. Mais nous nous portions mieux qu’eux, & nous estions plus gais & plus tranquiles parmy ces orages, qu’ils n’estoient dans leur maison de Canton. Le Reverend Pere de Fontenay partit sans differer & se rendit à Tiempé par mer. Tous nos Peres de Canton avoient disputé entre eux à qui viendroit nous relever au Vaisseau : car on opinoit à ne pas nous y laisser plus long-temps, croyant qu’aprés ces troubles il falloit nous donner du repos. Le Pere Hervieu nouvellement arrivé des Indes l’avoit emporté par dessus les autres, & estoit venu avec le Pere de Fontenay dans le dessein de rester seul, & de renvoyer le Pere du Tartre & moy à Canton. Cependant quand ils ont esté icy ils m’ont trouvé en si bonne santé que toutes mes raisons ayant esté écoutées, ils sont retournez à Canton. Pour nous, ayant appris qu’il y avoit un assez bon port à vingt-quatre lieues de l’Isle où nous étions, nous sommes venus nous y rendre heureusement. Nous avons si fort ressenti la protection de saint François Xavier, que par ordre de Mr le Capitaine, on a celebré aujourd’huy sa Feste avec toute la solemnité possible. Point de travail, Messes, Vespres & Sermon à l’honneur de nostre Protecteur.

[Mort de Mme Magdeleine Catherine Lully, fille de Jean Baptiste Lully]* §

Mercure galant, janvier 1703 [tome 1], p. 185-190.

Dame Magdelaine Catherine Lully est aussi decedée. Elle estoit Fille de Jean Baptiste de Lully Sur-Intendant de la Musique du Roy, dont les ouvrages ont esté le charme de son Siecle, & Petite Fille de Mr Lambert Maistre de Musique de la Chambre de Sa Majesté. Mr de Lully estoit Florentin, & avoit choisi pour son Gendre, Mr de Francinne, Maître d’Hostel du Roy, fils de Mr de Francinne aussi Maistre d’Hôtel de Sa Majesté, d’une ancienne Maison de Florence. Il est à presumer que l’amour de la patrie eut part à cette union. La mort de Madame de Francinne a esté fort édifiante : Elle a renoncé au monde long-temps avant sa maladie & a fait connoistre qu’elle avoit dés ce temps là, des pressentimens de sa mort. On pousse la chose plus loin & l’on veut quelle en ait dit la semaine, & même le jour. Quoy qu’elle soit morte à la fleur de son âge, elle n’a point témoigné de regret de quiter la vie tant elle estoit penetrée des veritez de la Religion. Elle a fait voir pendant tout le cours de sa maladie une entiere soumission à la volonté de Dieu. Elle a mesme fait pendant ses derniers jours, des actions vrayment chrestiennes ayant reconcillié sa Famille avec son mary, & exhorté son fils aîné qui est dans les Mousquetaires, à craindre Dieu, & l’aimer : Elle luy a fait connoistre que tout son bonheur dépendoit de sa pieté. Enfin elle a fait voir que les femmes du monde qui ont un bon fonds, sont toûjours capables d’un vray retour sur elles mesmes. Son entiere resignation aux volontez de Dieu, & la maniere dont elle est morte, ont consolé sa Famille & ses Amis de la perte qu’ils viennent de faire.

Feu Mr de Lully avoit deux autres filles, qu’il maria avant sa mort ; l’une à Mr Thiarsaut, dont le pere estoit Maistre des Requestes, & tres consideré dans le Conseil. L’autre fut mariée à Mr Dumoulin, homme de qualité & de merite, & dont le frere est Chevalier de Malte. Il descend de ce fameux Charles Dumoulin, qui fit tant parler de luy dans le seiziéme Siecle, & dont les disgraces sont assez connuës. Son livre des petites Dattes, & celuy de l’Usure, luy firent des affaires qui l’obligerent de quitter plusieurs fois la France, & de chercher un azile à la Cour d’Angleterre. La Reine Elisabeth l’y reçut avec beaucoup de témoignages d’estime, & d’amitié, & le reconnut hautement pour son parent ; Il l’estoit en effet du costé d’Anne de Boulen, dont la mere estoit Françoise. Ainsi ce n’est pas un petit honneur à Mrs Dumoulin d’appartenir à la Maison Royale d’Angleterre.

[Reception de plusieurs chevaliers de S. Lazare, et ce qui s’est passé à Pontichery à cette occasion] §

Mercure galant, janvier 1703 [tome 1], p. 210-226.

On celebra le 19. Decembre la Feste de Saint Lazare dans l’Abbaye de Saint Germais des Prez : Cette Feste arrive ordinairement le 17. mais on la remit à cause du Dimanche. La Ceremonie s’en fit avec les formalitez ordinaires, en presence d’un grand nombre de personnes de distinction & de Messieurs les Princes de Ligne, & de Radzevil, de Messieurs les Ducs de Luxembourg, de Roquelaure, & de Monfort, de Mr le Maréchal de Choiseul, de Mr le Marquis de Pallavicini, de Messieurs les Abbez Imperiale & Gualtieri ; ce dernier est Frere de Mr le Nonce Ordinaire. Ce Nonce s’y devoit trouver ; mais il fut obligé d’aller ce jour-là à Versailles. Mr de saint Olon, Mousquetaire du Roy dont le Pere est Chevalier, Greffier & Secretaire de l’Ordre y fut reçû Chevalier, ainsi que Mr Declassens, Gentilhomme Liegeois, cy-devant Capitaine dans le Regiment de Grenadiers à cheval de Mr l’Electeur Palatin, & de Mr Maurin, dont les Peres, & les Ayeuls possedent depuis long-temps les principales Charges de la Chambre des Comptes.

Le Roy ayant bien voulu acquiescer aux instances que luy faisoit Mr Martin, Directeur General de la Compagnie Royale de France des Indes Orientales, & Gouverneur de la Ville, & Fort de Pontichery d’honorer par quelques marques distinguées, les services considerables qu’il a rendus, & qu’il rend continnuellement dans les Indes à la Religion, à l’Etat, & à ceux qui Commercent en ce Pays là, & pour lesquels Sa Majesté a eu la bonté de luy accorder des Lettres de Noblesse fort honorables, S.M. dis-je, en cette consideration fit témoigner à Mr le Marquis de Dangeau par une Lettre que Mr le Comte de Pontchartrain luy écrivit par son ordre qu’il luy feroit plaisir de décorer Mr Martin de la Croix de l’Ordre de Saint Lazare, & de l’y admettre au rang des Chevaliers. Vous sçavez que Mr le Marquis de Dangeau, Chevalier d’honneur de Madame la Duchesse de Bourgogne, est Grand Maistre au spirituel & au temporel, tant deça que delà les mers, de l’Ordre Royal, Militaire, & Hospitalier de Nôtre Dame de Mont Carmel, & de Saint Lazare de Jerusalem, Bethleem, & Nazareth. Ce Marquis en execution de la Lettre de Mr le Comte de Pontchartrain, ayant fait faire toutes les expeditions necessaires pour faire recevoir Mr Martin sur les lieux mêmes, & ayant adressé sa Commission à Mr de Cicé Evêque de Sabala, & Vicaire de Siam, Japon, Pegu, &c. La Ceremonie s’en fit le 28. de Juillet 1071. dans la Chapelle du Fort de Pontichery, en la maniere que la Lettre cy-jointe vous l’apprendra.

LETTRE
de Mr le Chevalier Martin, Gouverneur de Pontichery, à Mr de S. Olon, Chevalier, Greffier & Secretaire de l’Ordre Royal de nôtre-Dame du Mont-Carmel & de S. Lazare.
A Pontichery, le 17. Février 1701.

Vostre Lettre, Monsieur, du 4. Janvier 1701. n’estant arrivée icy que le 17. Juillet ensuivant, avec les Vaisseaux de la Compagnie, je ne perdis point de temps pour les mesures & les ordres necessaires pour la solemnité convenable à l’honneur de ma reception, & pour cet effet en ayant concerté la maniere avec Mr de Cicé, Evêque de Sabulla à qui Mr le G.M. en avoit envoyé la Commission & estant convenu avec luy que la Ceremonie ne s’en feroit que le 28. du mesme mois de Juillet j’eus soin de faire mettre ce jour là, les Troupes en Bataille sur la Place d’Armes. Mr l’Evêque de Sabulla vint me prendre chez moy ; il me trouva revestu du magnifique habit de l’Ordre que vous m’avez envoyé. Nous sortimes ensemble suivis de tous les Officiers de Plume, & d’Epée. Nous passames sous une allée d’arbres que j’avois fait planter exprés ce matin là, & seulement pour cette ceremonie : elle conduisoit jusqu’à la Chapelle qu’on avoit eu soin de parer tres richement. Il y avoit un Archevêque Caldéen à la droite de l’Autel sous un superbe Dais avec un Priédieu de même. Mr l’Evêque de Sabulla estoit à la gauche dudit Autel sous un semblable Dais, avec son Prié Dieu, & j’estois placé dans le milieu de ladite Chapelle. J’avois le Commandant des Troupes, & le Major de la Place à mes costez pour servir en lieu & place des Chevaliers assistans. Mr de Chalonge representant le Maistre des Ceremonies, & en faisant les fonctions estoit un peu derriere moy. Dés que nous eumes tous pris nos places, ledit Maistre des Ceremonies alla recevoir l’ordre de Mr de Sabulla & l’ayant receut il vint me faire une reverence pour m’en avertir. Je me levay aussitost & marchant accompagné des deux personnes que j’ay nommées, & precedé dudit Maistre des Ceremonies, je me rendis au pied de l’Autel ou la Ceremonie de ma Reception fut faite avec toutes les formalitez prescrites dans le memoire que vous aviez eu la bonté de m’en envoyer, aprés quoy Mr l’Evêque retourna sous son Dais, & moy en ma place avec toute ma suite. Un Chœur de Musique soutint le Te Deum que le Prestre qui celebreit la sainte Messe entonna, & dans ce même temps tous les Canons du Fort tirerent & furent suivis de trois décharges de toute la Mousqueterie. La Messe fut chantée & entenduë avec une dévotion admirable, l’Artillerie recommença à l’Elevation ainsi que la Mousqueterie, & la même chose se fit encor immediatement aprés la Messe, & pendant que le Celebrant & les Chœurs chanterent l’Exaudiat & l’Oraison pour le Roy.

Il se trouva à cette Feste des Chrestiens sans nombre aussi bien que des Maures & des Gentils qui témoignerent tous prendre part à la nouvelle dignité du nouveau Chevalier. La Messe finie l’on retourna au Gouvernement où j’avois fait preparer un magnifique repas : tous les étrangers qui se trouverent icy en furent conviez. Les santez du Roy & de Mr le G.M. n’y furent pas oubliées, & je puis bien vous assurer Monsieur, que toute cette Feste se passa avec beaucoup d’éclat & d’agrement.

[Lettre de Sarlat] §

Mercure galant, janvier 1703 [tome 1], p. 234-240.

Vous trouverez dans la lettre qui suit une troisiéme Ceremonie dont la Relation vous fera beaucoup de plaisir.

A Sarlat, le 2. Janvier 1703.

Nostre nouvel Evêque (qui estoit cy devant Mr l’Abbé de Chaulne) arriva en cette Ville le 7. du mois passé, & y fut reçu aux acclamations de tout le monde. Le lendemain il fut harangué par tous les Corps de la Ville. Deux jours aprés une partie du Clergé estant allé le prendre à son logis, le preceda dans une marche solemnelle qu’il fit entre une double haye des Troupes qui sont icy qui estoient sous les armes, pour se rendre à l’Eglise Cathedrale, à la porte de laquelle l’autre partie du Clergé le reçut, & estant entrez dans l’Eglise, le Te Deum chanté par la Musique, fut suivi d’un Sermon, aprés lequel ce Prelat fut reconduit chez luy, avec les mêmes ceremonies. Il n’a pas tardé à donner des marques de son Zele & de sa pieté, ayant commencé ses fonctions Pastorales, par tout ce qui pouvoit plus solidement affermir les Nouveaux Convertis dans la Foy, & par une Mission qu’il a faite en personne, en faveur des Troupes qui sont dans cette Ville afin de leur inspirer l’esprit de la Religion, comme le principe le plus necessaire & le plus seûr pour s’acquitter des devoirs de leur estat. Cette Mission qui a duré trois semaines, commençoit chaque jour par un Discours tendre & édifiant, que le Prelat prononçoit à ces Troupes au pied de l’Autel, & qui estoit suivi d’un autre Discours plus étendu, prononcé par un des Missionnaires qu’il s’estoit associez à la fin duquel il relevoit en peu de mois les Points principaux que le Missionnaire avoit traitez pour les mieux graver dans la memoire & dans les cœurs. Cette Mission finit Dimanche dernier jour de l’année, & pour en faire la clôture d’une maniere aussi touchante qu’il l’avoit commencée, il celebra la Messe Pontificalement, dans laquelle il communia toutes ces Troupes rangées dans l’Eglise Compagnie par Compagnie, au nombre de 400 tant Officiers que Soldats. Il leur fit faire ensuite plusieurs actes de Religion, qu’il prononça pour eux à haute voix, & l’apresdinée tous se trouverent à une Procession, à laquelle il les avoit invitez pour rendre graces à Dieu. Dans cette Procession huit Ecclesiastiques suivoient la Croix, après quoy marchoient tous les Soldats deux à deux, les Officiers à leur teste, marchans tous d’un air modeste & plein de respect. Aprés suivoient trente autres Ecclesiastiques qui precedoient immediatement nostre Prelat, lequel estoit suivi de tous les Corps de la Ville. La Procession estant rentrée dans l’Eglise, on chanta la Priere pour le Roy, & l’Evêque ayant exhorté les Troupes à perseverer dans la pieté qu’il leur avoit fait exercer pendant la Mission, leur recommanda vivement la fidelité qu’ils doivent au Roy, & le zele dont ils font profession pour le bien & le service de l’Etat. Plusieurs étrangers que le bruit d’un si rare spectacle, & d’un si digne commencement de fonctions Episcopales a attirez icy, ont admiré aussi bien que tous nos Habitant les soins, la pieté, & l’application de nostre Evêque. Nous voyons avec beaucoup de consolation que les Nouveaux Convertis en sont déja plus dociles, & nous esperons que la Religion en tirera de tres grands avantages.

[Feste donnée par cet Ambassadeur] §

Mercure galant, janvier 1703 [tome 1], p. 278-283.

Mr l’Ambassadeur d’Espagne vit icy avec tout l’éclat de son caractere, & de son rang & de sa naissance. Il est magnifiquement logé & meublé de même. Ses livrées sont nombreuses, riches & de bon goust. Sa table ouverte à tous les Espagnols de consideration qui passent par icy, & il a logé & défraye la pluspart des grands Seigneurs de sa Nation qui y sont venus. Il leur a donné d’ailleurs des festes magnifiques. Son esprit, son cœur, & son bon goust se répandent dans tout ce qu’il a fait. C’est ce qu’on remarqua le 24. de ce mois dans une feste des plus galantes qu’il donna chez luy. Il avoit invité cinquante personnes de distinction & de merite de l’un & de l’autre sexe à venir passer la soirée chez luy. On s’y rendit sur les cinq heures, tous les Espagnols de consideration qui sont icy s’y trouverent aussi. Il y avoit quelques instrumens de Musique dans une Gallerie des plus agréables, qui est au bout de son premier appartement. Toutes les Chambres estoient également chauffées & éclairées. Sur les huit heures des Violons & des Hautsbois joüerent. On commença un petit Bal qui finit sur les dix heures, & aprés lequel on se mit à table. Le souper fut des plus magnifiques & des plus délicats. C’estoit un ambigu de quatre grands services servis à la fois. La premiere table estoit de quarante couverts. Elle estoit en forme de fer à cheval. La Feste parut si galante que des gens de consideration voulurent servir les Dames, & se mirent une serviette à la main dans le vuide du dedans de la table, occupans la place des Gentilhommes servans. Les mets en estoient exquis. Rien n’estoit plus agreable que ce coup d’œil, tant le mélange de tous les mets estoit bien entendu. Mr le Marquis de los Balbasés qui se connoist en magnificence & en bon goust, avoüa qu’il n’avoit guere vû de repas de meilleur goust, ny plus curieux. On demeura deux heures à table. On recommença le Bal. Il y vint des Princes qui en estoient avertis, & d’autres personnes de qualité de l’un & de l’autre sexe. Personne ne s’y distingua plus que les deux fils de son Excellence Mr le Marquis & Mr le Chevalier de Sentmanat. Ils sont dignes fils d’un aussi digne pere, & Dieu benit Mr l’Ambassadeur dans toute sa famille comme dans tous ses soins. L’Aîné est d’un merite reconnu, & le Cadet s’attire de même l’estime & l’affection de tous ceux qui le voyent. Le Bal finit à trois heures, & on sortit de chez Mr l’Ambassadeur encore plus charmé de sa personne & de ses manieres, que d’une feste aussi agreable & d’un regale aussi complet.