1703

Mercure galant, février 1703 [tome 2].

2017
Source : Mercure galant, février 1703 [tome 2].
Ont participé à cette édition électronique : Nathalie Berton-Blivet (Responsable éditorial), Anne Piéjus (Responsable éditorial), Frédéric Glorieux (Informatique éditoriale) et Vincent Jolivet (Informatique éditoriale).

Mercure galant, février 1703 [tome 2]. §

[Madrigal à « Louis le Grand » de M. l’abbé de Poissy]* §

Mercure galant, février 1703 [tome 2], p. 5-6.

On réussit toujours bien lorsque l’on travaille sur une belle matiere, quand mesme on n’auroit pas un genie aussi heureux que Mr l’Abbé de Poissi qui a fait le Madrigal que vous allez lire.

À LOUIS LE GRAND.

Puissant & sage Politique,
Il faut sur ton Sujet qu’en deux mots je m’explique.
Prince, de grace écoute moy,
La matiere en vaut bien la peine.
Si l’Univers admire en toy
Le grand Soldat & le grand Capitaine.
Il y rencontre un plus grand Roy.

[Musique nouvelle, sous le Titre de l’Armonie reduite en Art, ou de la Musique naturelle & par raisonnement, rapportée au Mathémathiques à l’usage ordinaire]* §

Mercure galant, février 1703 [tome 2], p. 71-75.

On parle depuis quelque temps d’une Musique nouvelle, sous le Titre de l’Armonie reduite en Art, ou de la Musique naturelle & par raisonnement, rapportée au Mathematiques à l’usage ordinaire.

Quoy qu’elle ait esté imaginée par une personne dont les fonctions sont fort éloignées de celles de cette science, on pretend qu’il la possede parfaitement, & que l’Auteur a conduit par une voye facile, agreable & courte à la connoissance de tout ce que cet Art a de profond & d’interieur, & qu’il retranche tout ce qu’il a d’obscur, d’ennuyeux, d’équivoque & d’embarrassant.

Il ne se sert d’aucunes clefs, ny de bécarre, ny de bemol, & rejette toutes les fausses dénominations, les doubles emplois des noms, des intervalles, & fixe l’esprit & l’imagination par des notes certaines qui portent avec elles par des proportions Geometriques, leurs mesures, leurs nombres & l’octave ou la partie qu’elles occupent dans la Musique.

Ces notes sont simples, ou composées ; les composées reçoivent une espece de dieze qui se fait par un trait qui augmente & éleve la note d’un demi-ton.

Et bien loin (comme quelques uns l’ont crû) quelle ait esté inventée pour donner quelque atteinte à celle qui est en usage, ainsi que quelques uns l’ont crû, ce qui seroit une prétention chimerique, elle donne au contraire un nouveau jour qui sert beaucoup à l’éclaircir & à en abreger les longueurs.

Et pour faire connoistre qu’elles n’ont dans le fond l’une & l’autre qu’un même principe & qu’un même objet, que toutes les productions de l’ancienne servent à verifier les démonstrations de la nouvelle.

Voicy le plus clair, & le plus intelligible des Sistêmes qui ont paru à cette occasion & l’application que l’Auteur en fait sur un trait d’air d’Opera, fait sans peine connoistre cette verité. Cet air estant des plus connu peut servir d’exemple pour l’explication des principes qui sont touchez dans le Sistême.

[Mariages] §

Mercure galant, février 1703 [tome 2], p. 75-80.

Messire Jean Louis Abot, Seigneur du Bouchet, Grand Bailly du Perche, Gouverneur de la Ville & Chasteau de Mortagne, Chef de la Noblesse, & Juge du Point d’honneur, épousa sur la fin du mesme mois Mademoiselle de Torcy, petite Niece de Mr le Duc de Beauvilliers, dans la Chapelle du Chasteau de la Frette. La Ceremonie se fit par Mr le Curé de Theval, Official de Mr l’Evêque de Séez nommé par ce Prélat pour celebrer ce Mariage. Au sortir de la Chapelle on trouva les tables servies avec beaucoup de magnificence. Aprés les repas, les Mariez accompagnez de leur famille monterent dans les Carosses qui les attendoient pour les conduire à Mortagne. Ils trouverent les chemins bordez des Habitans des lieux où ils devoient passer. Ils estoient sous les armes, & les salüerent d’une décharge de Mousqueterie. Les Bourgeois de Mortagne, & toute la Noblesse vinrent audevant d’eux, & firent plusieurs décharges, sitost qu’ils eurent apperçu leurs Carosses, & les conduisirent en fort bon ordre jusqu’à l’Hôtel du Marié, où toutes les Dames attendoient la Mariée qui arriva au son de toutes les cloches qui n’avoient point cessé leur carillon depuis la veille. À peine furent ils descendus de Carosse que tous les Corps de la Ville les haranguerent chacun à leur tour, & que la Ville leur fit present de vin & de confitures. La Noblesse se distingua par les empressemens qu’elle montra à leur faire compliment ainsi que les Reverends Peres Capucins qui les avoient attendus à l’entrée de la Ville pour estre des premiers à leur témoigner leur zele. On soupa aprés tous ces complimens. Le repas fut magnifique, toutes les tables furent tres-bien servies, & avec une égale profusion. Les Habitans vinrent ensuite supplier la Mariée d’allumer un feu d’artifice qu’ils avoient preparé devant la porte de l’Hôtel du Gouverneur. Elle defera cet honneur à Mr le Comte de Montgeorge, Capitaine aux Gardes & Brigadier des Armées du Roy, son Oncle, Toutes les ruës furent illuminées & beaucoup de muids de vin furent défoncez pour saluer la santé du nouveau marié. Le Bal succeda au feu de joye. Il dura peu par l’empressement que le Marié eut de faire reposer son épouse des fatigues de la journée. Mr le Gouverneur se distingua en tenant table ouverte pendant huit jours.

[Lettre d’un capitaine du Regiment de Carlux, au Major du Regiment de la Force] §

Mercure galant, février 1703 [tome 2], p. 165-178.

Lettre d’un Capitaine du Regiment de Carlux, au Major du Regiment de la Force.
À Sarlat ce 5. Janvier 1703.

Aprés l’éloge que je vous entendis faire de Mr l’Abbé de Chaulnes, lorsque nous aprimes par la Gazette qu’il venoit d’estre nommé à l’Evêche de Sarlat, je ne vous surprendray pas Mr, en vous écrivant les merveilles qui l’ont fait admirer depuis qu’il est arrivé dans son Diocese ; elles ne laissent pas neanmoins d’être des plus surprenantes, vous en jugerez par ce que je vais vous dire. Il n’y a pas encore un mois qu’il est dans cette Ville, où nous avons heureusement nostre quartier, & la face en paroist déja toute changée, attirant tous les cœurs à luy dés le moment qu’il s’est montré, il semble les avoir tous reunis entre eux. On auroit de la peine à dire si les anciens Catholiques luy sont plus dévoüez que les nouveaux. Il est constant du moins qu’il y a déja tellement gagné ceux-cy, que quatre ou cinq des principaux & qui avoient parû les plus endurcis, publient hautement qu’il n’a pas esté en leur pouvoir de se deffendre contre la force de ses raisonnemens, & les charmes de sa conversation. Aprés quelques conferences particulieres, ils sont revenus à luy de leur propre mouvement pour remettre des livres heretiques, & luy donner des nouvelles assurances de la sincerité de leur changement. J’apprens dans ce moment qu’un de ceux là fondant en larmes invite ses amis à prendre part à la grace que le ciel vient de luy faire en les désillant sur ses erreurs, par le Ministre du nouveau Prélat. Quelques Officiers de nostre Regiment qui avoient eu le malheur d’estre élevez dans la Religion protestante ont donné des marques encore plus éclatantes de leur conversion ; ils ont fait publiquement leur premiere Communion à la teste des treize compagnies qui sont icy. Cette Conqueste vous paroist elle peu glorieuse pour celuy dont Dieu s’est voulu servir pour la faire, & qu’est ce qui pourra luy résister aprés ce coup d’essay, aussi n’y a t’il pas borné là ses premiers soins. Il commença une mission sur le milieu de l’Avent uniquement, disoit il d’abord, en faveur de nos Soldats, mais nous avons bien veu qu’il n’en vouloit pas moins aux Officiers qu’aux Troupes qu’ils commandent, aussi nous a t’il conduits tous également à son but ; il faut avoir esté le témoin de ses pieuses industries, pour bien juger des talens que Dieu luy a donnez, afin de ramener les gens à la bonne voye. Il prenoit soin luy-même de ranger nos Soldats dans l’Eglise Compagnie par Compagnie, mettant aux deux extremitez de chaque rang des Ecclesiastiques ou des Religieux pour ménager le silence & l’attention des Troupes, & pour les Cathechiser dans le particulier, aprés l’exhortation qu’il faisoit à toute l’assemblée de dessus le degré de l’Autel. Il a un don tout singulier de s’expliquer avec dignité & avec force sur toutes choses sans preparation, comme les plus habiles pouroient le faire aprés y avoir bien pensé. Il nous convainquoit, il nous touchoit, il nous entraînoit, aprés quoy il faisoit monter en chaire le Jesuite qui Prêchoit l’Avent dans sa Cathedrale, & qui parloit à peu prés sur la même matiere : dés qu’il avoit achevé, le Prélat reprenoit en peu de mots ce qui venoit d’estre dit ; mais avec une autorité & une onction qui faisoient sur les esprits une impression toute nouvelle. L’action finissoit par une Priere pour le Roy, & en certains jours de la semaine par la benediction du Saint Sacrement. Il faloit mettre des Gardes aux portes de l’Eglise pour n’estre pas accablé par la foule, il est vray que le Spectacle estoit assez nouveau de voir cinq ou six cens Soldats aussi modestes que des jeunes novices, pendant plusieurs heures que duroit l’instruction. Cet exercice continué jusques à la derniere des Festes de Noël, avoit disposé les Troupes à la participation des Saints Misteres. On commença donc ce jour là les Confessions, personne ne s’en dispensa, mais pour aller audevant des profanations qu’on pouvoit craindre, le sage Prélat trouva à propos de faire distribuer par les Confesseurs à leurs Penitens des billets qu’ils representeroient en s’aprochant de la sainte Table. Le Dimanche suivant nostre Apôtre, car j’ay bien raison de l’appeler ainsi à nostre égard, celebra Pontificalement la Messe, pendant laquelle tous le Regiment communia avec des marques de pieté & une modestie qui jettoient dans l’admiration les Corps de Ville assemblez, on donnoit à chacun à mesure qu’il alloit Communier, un des Chapelets que le Celebrant avoit benis immediatement avant la Messe. Pendant tout le temps de la Communion, qui dura environ une heure, le Predicateur fit dans la chaire les actes de Religion convenables dont l’assemblée paroissoit toute attendrie aussi bien que de pieté du Prélat. A deux heures apres midy, le Regiment sans armes, comme le matin, se rendit dans la même Eglise Paroissiale, & en sortit en Procession pour aller à la Cathedrale dans un ordre & avec une dévotion que l’on ne remarque que dans les Religieux les plus reformez. On voyoit marcher les Soldats deux à deux teste nuë, le chapelet à la main, les yeux baissez & dans un profond silence, precedez d’une partie de leurs Officiers, & suivis de l’autre, au milieu d’un monde de spectateurs, tant de sa Ville que de la Campagne, qui bordoient les ruës & qui avoient bien de la peine à retenir leurs larmes dans une marche si nouvelle à des Troupes. La pieté du Prélat qu’on avoit point veu encore dans une pareille ceremonie n’édifioit pas moins le Public. Cette belle journée se termina par la Predication, où l’on nous exhorta à la perseverance, par des prieres solemnelles pour le Roy, & par le Salut ; mais graces au Ciel la dévotion de nos Soldats ne finit pas là, car depuis, ny nous ny les Bourgeois n’avons nulle plainte à faire de leur conduite, & ils sont des plus assidus à tous les exercices de Religion. Nous avons même remarqué qu’ils paroissoient plus contens de leur état, & qu’ils témoignent plus d’ardeur pour le service du Roy, aussi ne dois je pas oublier que le Prélat n’a pas manqué de les y exhorter tres souvent, & la veille même de la grande action il voulut bien proposer au Prédicateur avant qu’il descendit de Chaire, divers cas dont la résolution devoit tendre à affermir les Troupes dans leur devoir, tant à l’égard du Prince, que des Officiers, & du Public. Par ces commencemens, vous jugerez Mr, de ce que l’on a sujet d’attendre dans la suite d’un Evesque en qui Dieu a mis tous les talens necessaires pour remplir dignement toutes les fonctions de l’Apostolat, & de quel avantage il seroit pour gens de nostre métier de trouver souvent dans nos quartiers, des Prelats de ce caractere. J’ay crû que je devois à celuy cy ces marques de ma reconnoissance : elles sont bien foibles, je vous prie de vous joindre à moy, & de publier par tout qu’il n’y a pas un Prelat plus aimable dans le monde, ny plus digne des premieres places de l’Eglise. Je suis, Monsieur, vostre tres humble & tres obeis serviteur.

[Courses de testes faites par les Dames de Caën] §

Mercure galant, février 1703 [tome 2], p. 178-182.

On dit souvent que les uns pleurent pendant que les autres rient, & que la plus grande joye est souvent troublée par des avantures impreveues. L’Article que vous venez de lire, & celuy qui suit en fournissent des exemples. Pendant que les Troupes qui sont en Garnison à Sarlat, pleuroient leurs pechez, les Dames de Caën, moins grandes pêcheresses, ouvroient le carnaval. Cinquante des plus vives, & des plus propres pour l’execution du dessein qu’elles avoient projeté, s’habillerent en Amazones, & armées d’épées, de pistolets, & de demy. Picques, & bien montées, ayant deux Trompettes & deux paires de Timballes à leur teste, s’assemblerent dans la grande Place, & aprés en avoit fait le tour elles défilerent en bon ordre, & allerent à Harnage qui est à deux lieues de Caën. Elles firent mettre dans une tres belle plaine une teste au bout d’un poteau, & la Reine qui conduisoit cette belle, galante, & guerriere Troupe, & qui a infiniement d’esprit, nommée Madame du Poscq, donna à Madame Richard le Prix qui avoit esté proposé, & qu’elle avoit eu l’avantage de remporter. On dîna aprés la Course, & l’on remonta ensuite à cheval. La marche fut troublée peu de temps aprés par un different qui survint entre plusieurs de ces belles Cavalieres, & elles s’échaufferent tellement qu’il y eut cinq coups de Pistolet de tirez. La Reine qui estoit à la teste tourna bride, fit separer les plus obstinées, & leur fit mettre pied à terre. Il se trouva une de ces Dames blessée à la main, une autre à la cuisse, & un cheval tué. Le differend fut accommodé, les belles querelleuses s’embrasserent, la marche continua, & ces Dames rentrerent dans la Ville en tres-bon ordre. Elles en firent le tour, & se rendirent dans la Place où elles firent leurs décharges, elle conduisirent ensuite la Reine chez elle, & finirent, en la remerciant, cette brillante & sanglante journée.

Air nouveau §

Mercure galant, février 1703 [tome 2], p. 182-183.

Je croy que l’Air qui suit ne déplaira pas à ceux qui aiment la Musique.

AIR NOUVEAU.

L’Air, Garde-toy bien, [doit regarder la] page 183.
Garde toy bien[,] Buveur insigne,
De te déclarer contre l’eau,
Sans elle on voit languir la vigne
Et l’on a pas de vin nouveau,
Cet élement sert en débauche,
Et contre un vin fumeux il deffend la raison.
On ne va pas de droite à gauche,
Ou Cabaret à la maison.
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[Madrigal à une belle Questeuse] §

Mercure galant, février 1703 [tome 2], p. 183-184.

Une belle personne, & de qualité devant Quester pour les pauvres le jour d’une grande Feste dans une celebre Paroisse de Paris, un de ses amis envoya à ce sujet le Madrigal suivant à un Magistrat de distinction qui devoit s’y trouver.

A. M. D. M. D. R.

Vous estes tendre & charitable,
Gardez vous des appas d’une Questeuse aimable,
Dans un jour, dans un lieu, consacrez au Seigneur,
Où le pauvre attend d’elle une riche ressource,
Le seul amour divin doit estre le vainqueur.
La Belle en veut à vostre bource,
Et n’en veut pas à vostre cœur.

[Fête chez l’ambassadeur d’Espagne]* §

Mercure galant, février 1703 [tome 2], p. 255-266.

Je vous entretins le mois passé d’une Feste magnifique qu’avoit donné chez luy Mr l’Ambassadeur d’Espagne, celle qui s’est faite au commencement du mois de Fevrier chez le même Ambassadeur a esté beaucoup plus éclatante. Aussi ne l’a-t-il donnée qu’à l’occasion de l’heureux retour du Roy son Maître à Madrid. Ce grand Ministre toûjours attentif aux moindres circonstances de tout ce qui s’appelle ou devoir ou bien-séance, n’eust pas plutost apris que le Roy d’Espagne estoit arrivé à Madrid, qu’il se prepara de rendre publique à Paris cette joye sincere qu’ont témoigné en Espagne sur le bonheur de revoir leur Maistre, tous les Sujets de ce grand Monarque Mr l’Ambassadeur qui est logé & meublé magnifiquement, voulut qu’on ajoûtast à ses appartemens qui sont parfaitement bien disposez & tres brillans, tout ce qu’il y pourroit entrer d’ornemens nouveaux. Rien n’y fut épargné ; les lustres, les girandoles, les miroirs & les tableaux y furent distribuez, & le bon goust ne parut pas moins que la magnificence dans cette distribution. Il y avoit cinquante femmes ou filles de la premiere qualité, & soixante ou soixante dix Seigneurs du premier rang invitez à cette Feste. Ils devoient se trouver chez cet Ambassadeur sur les sept heures du soir, & ils estoient priez d’y venir en masque. On n’a guere vû de Mascarade plus magnifique & de meilleur goust. Les Dames avoient mis en usage tout ce qu’elles ont d’art & d’adresse à s’habiller à leur avantage, & plusieurs Seigneurs avoient inventé des habits de Masques tous nouveaux. Mr l’Ambassadeur pour donner plus d’éclat à sa feste avoit fait faire exprés un habit de Masque des plus riches & des mieux entendus. Il estoit habillé en grand Sultan. Son habit meriteroit une description particuliere. Tous ses Gentilshommes & ses principaux Officiers estoient aussi masquez fort richement, & des François qui lui sont attachez s’estoient aussi habillez à la Turque, pour lui faire un cortege digne de luy. Tous les invitez arriverent depuis sept heures jusqu’à huit. À chaque Compagnie de Dames qui arrivoit, il alloit les recevoir en masque sur l’escalier, escorté de vingt-cinq ou trente autres masques qui marchoient à double rang au devant de luy le long de l’enfilade de huit pieces de plain pied, qui se terminoit à un superbe Salon des plus ornez & des mieux éclairez, où devoit se donner le Bal. À huit heures précises l’assemblée estant toute formée, on commança le bal. La plus part des jeunes personnes estoient habillées à l’Espagnole. Ce Bal fut des plus agréables depuis huit heures jusqu’à dix & demie, chacun avoit osté son masque & dans cet estat on passa à un autre Corps de logis par une Galerie découverte qui separe la cour d’avec le jardin. De grands Pots de feu estoient distribuez dans des distances proportionnées, & faisoient une nouvelle espece d’illumination. On trouva ce grand corps de logis presque aussi magnifiquement ornée que celuy d’où l’on sortoit, une table de cinquante couverts y estoit destinée aux Dames. Elle estoit en forme de fer à cheval. Chacune y prit sa place, quelques personnes de consideration se mirent dans le vuide du dedans, & y firent l’office de Gentilshommes Servans. Un certain nombre de jeunes Seigneurs aima mieux se tenir autour de la table pour donner les soucoupes aux Dames que d’aller prendre leur place aux autres tables qui estoient destinées à tous les Seigneurs qui estoient du Soupé. Ce grand & magnifique repas meriteroit une description particuliere par la quantité, par la delicatesse, & par l’arrangement des mets les plus exquis. L’entremets & le dessert y furent sur tout regardez avec surprise & admiration, les Vins & les Liqueurs y estoient d’un choix proportionné. Jamais repas ne fut plus magnifique, plus délicat & mieux entendu & ne fut servi avec moins d’embaras & de confusion. On sortit de table à minuit & demie pour retourner au premier corps de logis. Quelques Masques de distinction qui avoient demandé des billets y attendoient l’assemblée dans le Salon destiné au Bal. Tout ce qu’il y avoit de gens de consideration à Paris, voulut estre témoin de cette Feste, la foule des gens de nom & de rang, de l’un & de l’autre sexe, estoit si fort grossie à la porte, que Mr l’Ambassadeur, qui pour éviter la cohuë, n’avoit voulû donner qu’un Bal particulier, fut obligé de le rendre public, & de faire ouvrir ses portes à tous les Masques. Les huit pieces de son grand appartement se trouverent remplies en moins d’une demie heure. Il y avoit tant de Violons & de Hautbois pour le grand Bal qu’il ne fut pas malaisé d’en distribuer dans les autres pieces du plain pied. Ainsi dans un moment au lieu d’un Bal, il y en eut huit differens, qui continuërent jusqu’à cinq heures du matin. On y entroit à toute heure & personne n’en sortoit & lorsque les Violons eurent cessé, les Masques du premier rang se mirent à danser aux chansons. On y servit des rafraîchissemens à tous ceux qui en voulurent. Sur les six heures du matin tout le monde s’en alla content, & Mr l’Ambassadeur eut une preuve nouvelle du cas qu’on fait de luy en France par la retenuë & par le respect de cette multitude innombrable de Masques, qui en toutes choses en userent chez luy, comme on a accoutumé d’en user chez le Roy.

[Bals donnés pour le Carnaval]* §

Mercure galant, février 1703 [tome 2], p. 266-269.

Mr l’Ambassadeur de Venise s’est aussi distingué dans le Bal qu’il a donné, & l’on assure qu’il estoit des plus magnifiques, mais il ne me reste ny assez de place ny assez de temps pour vous faire part de tout ce que j’ay à vous apprendre. Mr l’Envoyé de Gennes a esté du nombre des Ministres étrangers qui ont donné des Bals. Mr le Baron de Breteuil en a donné à tous ces Ministres. Cela n’est pas surprenant puisqu’il ne se passe point de semaine sans qu’il leur fasse voir sa magnificence, & qu’il tient assemblée exprés pour eux toutes les semaines une fois. Je ne parle point des autres Bals qui se sont donnez ; je vous diray seulement que depuis plusieurs années on n’a point vû de Carnaval à Paris où l’on se soit plus diverti. On ne doit point estre surpris que la guerre ne fasse pas diminuer les plaisirs, quelque violente qu’elle soit, on est assuré qu’elle ne peut estre que glorieuse à la France, & qu’elle n’enfantera que des victoires sous le regne d’un Monarque, qui toutes les fois qu’il a voulu faire la Paix, l’a imposée aux conditions qu’il luy a plu de la donner, & qui auroit toûjours continué de vaincre, s’il n’avoit arresté le cours de ses Victoires, pour le repos de l’Europe.

[Autre fête chez l’ambassadeur d’Espagne]* §

Mercure galant, février 1703 [tome 2], p. 269-276.

Quelque spatieux que soit l’Hostel de Mr l’Ambassadeur d’Espagne, cet Hôtel n’ayant pû contenir tous ceux que ce Ministre s’estoit proposé d’avoir à la premiere Feste qu’il donna pour l’heureux retour du Roy son Maître à Madrid, il en donna le Dimanche gras une seconde pour ceux qui n’avoient pas esté de la premiere. Celle ci ne differoit de l’autre que par les dispositions des tables, & par la difference qu’il y a d’un Dîné à un Soupé, & d’un Bal de jour à un Bal de nuit. Son Excellence invita donc à dîner des Princesses, des Duchesses, des Maréchales de France & des personnes les plus qualifiées de l’un & de l’autre sexe, & elle eut une vraye attention à y faire trouver toutes les filles de condition, qui ont la reputation d’estre les plus belles de Paris. Toutes les tables y furent servies en même temps. Tout ce qu’on peut trouver de plus rares mets y fut prodigué, quelques nombreux que fussent les plats & les hors d’œuvre à chaque service, on n’y remarqua pas plus de confusion qu’à un repas ordinaire. On ne peut estre mieux servi aussi que l’est cet Ambassadeur, & on trouve dans tout ce qui l’environne cette noblesse, cet ordre & cette delicatesse qui le suivent naturellement. Vous avez pû remarquer dans toutes les relations que je vous ay données des magnifiques repas que donne si souvent ce Ministre, que les desserts sont toûjours d’un arrangement nouveau, & d’une beauté nouvelle, & que le bon goust & la magnificence ne peuvent aller plus loin. Le dessert de la grande table où estoient les Dames estoit si délicat & si curieux à voir que ceux qui n’estoient pas de cette table, se leverent pour l’admirer. On demeura à table pendant plus de deux heures, & l’on n’en sortit que pour aller prendre dans d’autres Chambres, du Caffé, du Thé & du Chocolat. On entendit un concert fort melodieux de voix & d’instrumens. Les Dames du premier rang, par consideration pour Mr l’Ambassadeur, & par complaisance pour toute l’Assemblée, ne jugerent pas indignes d’elles de mêler leurs voix à celles qu’on écoutoit avec tant de plaisir dans ce concert : on y chanta, & on y joüa le premier Acte de l’Opera d’Atis, aprés quoy on commença un Bal qui dura jusqu’à dix heures du soir. Les Danseuses y estoient choisies & leur bon air n’y brilloit pas moins que leur beauté, les Danseurs y estoient aussi fort assortis. L’Assemblée y estoit assez nombreuse sans qu’il y eust aucune cohuë, on peut dire que jamais Bal n’a esté plus agréable & plus gracieux. La premiere idée de Mr l’Ambassadeur avoit esté de donner encore cette Feste, de nuit ; mais il aima mieux la donner de jour, d’autant que tout Paris s’y attendoit, & que tout le monde se preparoit à y aller. Son Excellence n’eust pas demandé mieux que de recevoir chez luy tous les François qui témoignent tant d’empressement à l’honorer & à luy plaire, mais de peur que dans la cohuë prodigieuse qu’il auroit vuë chez luy quelque personne de marque n’y eust esté avec trop d’embarras, il aima mieux se priver & de la satisfaction qu’il en auroit pû attendre, & de celles que d’autres en attendoient. Le succés du premier Bal avoit esté si grand qu’il n’estoit pas de la prudence d’en hazarder un second, où il n’eut pas esté possible d’y recevoir tout le monde sans de trop grands inconveniens. Ainsi tout finit ce jour là chez luy à dix heures du soir. Les Espagnols de distinction qui sont ici ont vû ces deux Festes avec admiration, & sur tout Mr le Marquis de los Balbasés dont je vous parlay le mois passé. Il est d’un esprit, d’un goust, & d’une magnificence à pouvoir en juger mieux que d’autres.

[Journal du Carnaval de Marly] §

Mercure galant, février 1703 [tome 2], p. 277-289.

Je vous envoye un Journal de ce qui s’est passé à Marly pendant le Carnaval, où vous verrez que le Roy sçait bien masquer, mais qu’il ne sçait point se déguiser.

Sa Majesté alla à Marly le Mercredy 14. de Fevrier pour y sejourner jusqu’au premier Samedy de Carême 24. du même mois. Les Musiciens de Sa Majesté chanterent le soir pour Monseigneur, le Prologue, & le premier Acte de l’Opera d’Alceste, Madame la Duchesse de Bourgogne y assista.

Le lendemain qui estoit le Jeudy gras, le Roy courut le matin un Cerf dans le Parc de Marly. Monseigneur, Monsieur le Duc de Bourgogne & Monsieur le Duc de Berry s’y trouverent Madame y courut, ainsi que le Roy, dans une Caléche découverte. Le soir à sept heures & demie il y eut Bal dans le grand Sallon, qu’on peut dire avec justice, estre le lieu de toutes les maisons Royales, le plus commode & le plus beau, pour une semblable Feste. Les Seigneurs dansans furent Monseigneur le Duc de Berry, Monsieur le Duc d’Orleans, Monsieur le Comte de Toulouse Mr le Comte de Brionne, Mr le Prince de Monaco, Mr le Duc de Villeroy Mr le Duc de Luxembourg. Messieurs les Marquis de la Chatres, de Grignan, de Brancas, & Mr le Chevalier de Sully. Les Dames dansantes furent Madame la Duchesse de Bourgogne, Mademoiselle d’Elbeuf, Madame la Princesse de Monaco, Mademoiselle d’Armagnac, Madame la Duchesse de Villeroy, Madame la Marquise de Brancas, Mademoiselle de Meleun, Mesdemes les Comtesses d’Ayen, de Solre, de Chaumont, Madame la Marquise de la Vrillere. Le Bal fut serieux & sans mascarades. Les Dames y furent fort parées, mais sans robes, selon l’usage de Marly. Madame la Duchesse de Bourgogne se distingua fort, & par son ait & par sa danse.

Le Vendredi le Roy courut à onze heures du matin un Daim dans le Parc de Marly, & Madame fut de cette Chasse. Monseigneur courut un Loup dans la Forest de Saint Germain. Messeigneurs les Ducs de Bourgogne & de Berry ne sortirent point. Le soir l’on chanta pour Monseigneur le second & le troisiéme Acte de l’Opera d’Alceste. Madame la Duchesse de Bourgogne y assista.

Le Samedi le Roi courut le matin le Cerf dans le même Parc de Marly, & Madame l’accompagna dans un autre Caléche. Monseigneur & Messeigneurs les Ducs de Bourgogne & de Berry n’y allerent point. Il y eut Bal à sept heures & de mie du soir dans le Sallon. Il se passa de la même maniere que le Jeudy, & finit de même à dix heures. On soupa à l’heure ordinaire. Mademoiselle de Charollois, fille de Monsieur le Duc, parut au Bal pour la premiere fois, & dansa avec une grace, & une justesse surprenante. Elle soupa aussi avec S.M. Les Dames parurent avec d’autres habits que ceux qu’elles avoient porté au premier Bal.

Le Dimanche il y eut le matin Conseil de Ministres. Le Roy se promena l’apresdinée dans les jardins. Le Balne commença qu’aprés le souper S.M. y resta jusqu’à minuit & demi ; il ne finit neanmoins qu’à deux heures & demie. Il fut, ainsi que les deux premiers, serieux & sans mascarades. On y dansa comme aux premiers toutes les vieilles Danses & celles d’Angleterre. Mademoiselle de Charollois y brilla fort, & toutes les Dames y furent magnifiquement vêtuës.

Le Lundi il n’y eut point le matin de Conseil ny de Chasse. Le Roy se promena le matin & l’apresdinée dans les Jardins. Le Bal commença à sept heures & demie, & finit à dix pour le souper. Il ne differa en rien des precedents.

Le Mardi gras le Roy courut le matin le Cerf dans le Parc de Marly. Monseigneur & Madame l’y accompagnerent. Sa Majesté fut de retour à midi & un quart, & se promena aprés son dîner dans les Jardins. Le souper fut servi à neuf heures & demie, & la Mascarade commença à onze heures dans le Sallon. Le Roy deffendit expressement qu’on y laissast entrer personne, de quelque consideration qu’elle fut, sans estre masquée, à l’exception des Garçons du Chasteau, ce qui fut ponctuellement executé, même aprés que le Roi se fut retiré pour se coucher. Le Roy y entra avec une Robe de chambre de gaze qu’il mit par dessus son habit ordinaire, & un masque. Cet exemple fut suivi, & generalement tous ceux qui se trouverent à Marly, masquerent. Capitaine & Officiers des Gardes du Corps, grands & petits Officiers de la Chambre & de la Garderobe, Officiers de la Garde Françoise & Suisse : en un mot tous ceux qui voulurent voir cette Feste. Il y eut plusieurs bandes de masques en habits uniformes. Monseigneur & Mr le Marquis d’Antin figurérent habillez en vieux Seigneurs du temps passé, avec des pourpoints, des hauts de chausses larges & des rubans aux costez, Perruques grises, manteaux, rabats, & aisles de moulin sur les souliers. Monseigneur le Duc de Bourgogne, Monsieur le Duc d’Orleans, & Monsieur le Comte de Toulouse, entrerent chacun à la teste de leur Troupe ; & Madame la Duchesse de Bourgogne conduisit la sienne de bonne grace. Les habits de cette Troupe étoient simples & sans aucune dorure, ils estoient de velours bleu avec une ceinture, & avec une petite cale, avec une plume sur la teste portée de costé. Outre ces Troupes uniformes, il y eut plusieurs masques singuliers de l’un & de l’autre sexe. Les spectateurs eurent un plaisir infini de revoir danser des Dames qui ont trop tost renoncé à la danse. Madame la Duchesse de Bourgogne se distingua fort, & Mademoiselle de Charollois surprit tout le monde. Nos vieilles danses les plus vives, & celles d’Angleterre furent souvent recommencées. Le Roy se retira avant une heure, mais le Bal ne finit qu’après quatre heures.

Le Mercredi il y eut le matin Conseil de Ministres. Monseigneur alla passer une partie de la journée à Meudon. Le Roy se promena l’apresdînée. L’on chanta le soir pour Monseigneur les deux derniers Actes d’Alceste.

[De l’Amitié] §

Mercure galant, février 1703 [tome 2], p. 380-382.

Il paroist depuis peu un livre nouveau dont le titre est, De l’Amitié. Il seroit bien difficile de trouver une matiere qui meritast mieux d’exercer une plume delicate, puisqu’il n’y a rien qui puisse contribuer davantage à la felicité de la vie, que l’acquisition d’un vray Ami, quand on est assez heureux pour le trouver. Mr de Sacy, à qui nous devons ce beau Traité, l’a divisé en trois Livres. Il parle dans le premier de la nature de l’Amitié, des qualitez necessaires aux Amis, des précautions à prendre dans le choix que l’on en fait. Le second comprend les devoirs de l’Amitié, leurs justes bornes, leur subordination aux devoirs naturels, & le dernier regarde non-seulement les ruptures, les moyens de les prevenir, & la conduite que l’on doit tenir quand on ne sçauroit les éviter, mais les obligations dont les Amis vivans sont chargez envers les Amis qui sont morts. Tout cela est traité avec beaucoup d’art & de methode & d’une maniere digne de Mr de Sacy, dont le merite vous est si connu. Tout le monde sçait combien il s’est acquis de reputation dans le Conseil depuis un fort grand nombre d’années. C’est luy qui nous a donné l’excellente Traduction des Lettres de Pline. Il est de l’Academie Françoise, & pouvoit beaucoup mieux qu’un autre écrire sur l’Amitié, puisqu’il a fait voir en plusieurs occasions qu’il est un parfait Ami. Ce livre se vend chez la Veuve du sieur Barbin, au Palais, sur le Perron de la sainte Chapelle.

[Traduction des Livres de Saint Augustin contre les Philosophes Academiciens] §

Mercure galant, février 1703 [tome 2], p. 382-384.

Mr de Villefort continuë à travailler à la traduction de divers ouvrages de Saint Augustin, & l’estime que le public a faite de celle qu’il a donnée du Livre de la Doctrine Chrestienne, & de quelques autres, que debite le Sieur Coignard, ruë Saint Jacques à la Bible d’or, vous doit estre une assurance qu’il n’a pas moins réüssi dans les Livres du même Saint Augustin, contre les Philosophes Academiciens, qu’il vient de faire imprimer. Il y a joint le Traité de la Grace & de la Liberté. La belle Preface que vous trouverez à la teste de ce Volume vous fera connoistre qu’il a bien approfondi l’estat où estoit Saint Augustin, lorsqu’il a entrepris d’écrire sur cette matiere. Son stile est aisé & naturel, & en même temps tres-pur & digne d’un homme qui connoist bien nostre Langue. C’est à la Fleur de lis d’or, ruë Saint Jacques, qu’on trouve ce livre, chez le sieur Elie Josset.

[Traduction des Fables d’Esope] §

Mercure galant, février 1703 [tome 2], p. 384-386.

Les Fables d’Esope sont si connuës & si estimées qu’il n’y a rien à dire à leur avantage. On en a souhaité une Traduction plus exacte & plus correcte que celles qui ont paru jusqu’à present, & le sieur Michel Brunet, Libraire au Palais, vient de la donner en deux Volumes, & afin que l’on comprenne plus aisément le sujet de chaque Fable, il en a fait graver la Figure pour rendre la chose plus sensible. L’Auteur y a ajoûté le Sens Moral pour en faciliter l’intelligence de ce que ces Fables doivent faire entendre. Il a étendu fort au long ces Moralitez, on les a diversifiées en plusieurs manieres differentes, afin que chacun en puisse trouver quelques-unes qui luy conviennent selon son estat & la portée de son genie. Les Discours Moraux qui contiennent l’explication des Fables tant d’Esope que de Philelphe, sont suivis chacun de quatre Vers qui renferment le sens principal qu’on leur peut donner. Ces Quatrains fort aisez à retenir, peuvent faire une impression utile dans l’esprit des jeunes personnes qui les voudront apprendre par cœur. On trouvera aussi dans ces mêmes Volumes, quelques Fables de Gabrias, Poëte Grec, qui avoit mis en Vers celles d’Esope, avec la traduction du combat des Rats & des Grenoüilles, à quoy l’on a joint quelques Fables poëtiques Egyptiennes qui renferment les secrets de la Nature, de la Religion, & de la Morale, sous des paroles ambiguës, & sous des exemples tirez de l’Histoire ou de la Fable.

[La Tirannie des Fées, détruite] §

Mercure galant, février 1703 [tome 2], p. 386-389.

On trouve chez la veuve Chevillon sur le Quay des Augustins, à l’Image de S. Jean de Dieu, un livre nouveau intitulé la Tyrannie des Fées détruite, par Madame la Comtesse d’Auneuïil le rang qu’elle tient dans le monde par sa naissance, & par le nom qu’elle porte, les agréemens de sa personne & l’étenduë de son esprit, la rendent une des plus accomplies personnes de ce temps, & font desirer son commerce à ceux qui en cherchent de doux & d’agreables.

Ce Livre est une fiction ingenieuse écrite dans le goût qui regne si fort depuis quelque tems parmy les Dames, quoique ce dessein toutefois ne réponde pas à celuy des autres contes des Fées ; puisque dans cet ouvrage l’on y détruit le pouvoir tyrannique de ces Déesses imaginaires. L’Epître à Madame la Duchesse de Bourgogne est en vers, & a esté receüe avec de grands agréemens de cette Princesse. Ce Livre est écrit avec toute la delicatesse & toute la finesse dont ces sortes d’ouvrages sont susceptibles. Les passions y sont peintes avec beaucoup d’art, & les effets qu’elles produisent y sont décrits tres-ingenieusement : on y trouve d’excellens portraits tirez d’aprés la pure nature, de belles & touchantes descriptions : on y parle enfin de l’amour, cette passion tyrannique, dans des termes si propres & si naturels qu’il y a lieu de croire que l’on ne parle point des effets bizarres de cette passion sans en avoir souvent inspiré de pareils. Les ouvrages que cette Comtesse donne tous les jours au public font connoitre que lorsqu’elle voudra essayer sa plume sur des sujets plus serieux, il n’y a pas à douter qu’elle ne le fasse avec beaucoup de succés, & qu’elle ne puisse un jour voir placer son nom parmi ceux des Scudery, des Houlieres, des Schurman, des Cornaro, & autres personnes illustres de ce sexe.

[Relation de la prise de Neubourg, sur le Danube] §

Mercure galant, février 1703 [tome 2], p. 402-423.

Pendant que l’on preparoit toutes choses pour le faire reüssir, Mr l’Electeur de Baviere preparoit de son costé tout ce qui luy estoit necessaire pour la prise de Neubourg sur le Danube, Capitale du Duché du même nom, appartenant à l’Electeur Palatin. Mr l’Electeur de Baviere auroit pû s’en emparer à la fin de la derniere Campagne pour se rendre par là le Danube entierement libre, & pour fermer aussi par là l’entrée de la Baviere. Elle n’a cependant pas voulu prendre cette résolution, pour faire mieux connoistre la sincerité de ses intentions pour la conservation de la Paix, & pour cet effet elle a bien voulu se contenter des simples assurances qui lui ont esté données tant de la part de Madame l’Electrice Doüairiere qui fait sa résidence audit Neubourg que de la Regence du Pays, qu’on ne feroit aucune innovation, & que tout resteroit dans l’état. Mais ayant vû avec douleur que malgré ces assurances, & au mépris des égards que Son Altesse Electorale a fait voir pour ce Duché & pour la Ville de Neubourg, on n’y a pas seulement introduit une forte garnison, qui a d’abord commencé à s’y fortifier, mais qu’en même temps on se preparoit aussi d’executer par le moyen de ce passage, le dessein qu’on avoit concerté il y a longtemps d’envahir les Etats de Son Altesse Electorale, elle a cherché tous les moyens qui pouvoient empêcher d’en venir à des extremitez & luy donner lieu de pourvoir à sa seureté par les voies de douceur ; mais voyant que tout ce qu’elle a fait amiablement representer à ce sujet n’avoit rien produit, & connoissant l’importance du danger éminent dont ses Etats estoient menacez, s’est vuë enfin contrainte de s’assurer de ce Poste par la force de ses armes, & pour cet effet elle chargea Mr le Maréchal Comte d’Arco de tous les preparatifs necessaires pour cette expedition, ce qui fut executé avec tant de soin & de diligence, qu’au bout de huit jours les Troupes, l’Artillerie, les munitions de guerre, & les autres provisions se trouverent au jour nommé aux environs de Neubourg. Les Troupes destinées pour l’attaque cantonnerent à l’entrée de la Ville, tandis que le General Major Wollsframstorff, avec un corps de Cavalerie, & quelque Infanterie se posta de l’autre costé du Danube, pour empêcher le secours d’un gros détachement de l’Armée du Prince de Bade, que conduisoit Mr le Maréchal Comte de Styrum, & sous luy Mr le Comte de Gronsfeld, Mr le Duc de Wirtemberg, & Mr le Marquis d’Anspach. Son Altesse Electorale arriva à Ingolstat le 29. de Janvier d’où elle dépecha le lendemain Mr le Comte de Rechberg Gentilhomme de sa Chambre à Madame l’Electrice Palatine Doüairiere, pour luy representer les sujets que S. Altesse Electorale avoit de se plaindre d’une demarche si contraire à ses promesses, luy offrant encor de ne rien entreprendre contre Neubourg, si elle en vouloit faire sortir la garnison & ruiner le pont. Son Altesse Electorale la prioit en mesme temps en cas qu’elle fust obligée malgré elle, d’en venir à la derniere extremité pour la seureté de ses Etats, qu’elle voulust bien ne point exposer sa personne aux desordres & aux incommoditez du Siege, & qu’elle choisiroit la retraite qui luy conviendroit le mieux, où Son Altesse Electorale auroit soin de la faire accompagner avec toutes les commoditez & tous les respects dûs à sa personne. Le 31. Janvier Son Altesse Electorale se rendit au village de Feldkirchen, à la portée du canon de Neubourg, où Mr le Comte de Rechberg lui apporta la réponse qu’on lui avoit faite, sçavoir que les Troupes estoient arrivées à Neubourg, sans que Madame l’Electrice en eust eu connoissance, qu’elles y estoient entrées sans son consentement, & que le Commandant n’estant pas à ses ordres, elle estoit bien fâchée de ne pouvoir faire ce que l’Electeur demandoit, & ce qu’elle desiroit elle-même. Son Altesse Electorale voyant que les negociations seroient inutiles, ordonna dans l’instant l’attaque du Fauxbourg, que les ennemis avoient environné de retranchemens, & qu’ils deffendoient avec presque toute la garnison. Dix-huit cens hommes furent détachez pour s’en emparer l’épée à la main, la saison ne permettant pas de remuer la terre, ny d’user des précautions dont on se sert en pareil cas. Mr le Comte de Tattembach General de Bataille, marcha avec six cens Fusiliers ou Grenadiers à la droite de l’angle du Retranchement de la Porte de Feldkirchen. Mr le Comte Emanuel d’Arco, Colonel du Regiment du Prince Electoral, avec un pareil nombre, eut ordre d’attaquer par la gauche, & Mr le Comte de Sanfré, Lieutenant general les soutenoit avec le reste du détachement, pendant que les autres Troupes estoient rangées en ordre de Bataille au village de Feldkirchen. L’action commença à sept heures du soir. La clarté de la Lune & la neige favorisoient les ennemis, qui pouvoient découvrir jusqu’au moindres mouvemens. On marcha en Bataille à découvert jusqu’au pied du retranchement. Les ennemis firent une salve generale, mais la marche audacieuse des Troupes de Son Altesse Electorale les ébranla tellement qu’ils plierent presque tout aussi-tost. Mr le Maréchal Comte d’Arco estant à cheval poussa à la teste des Troupes pour les animer, on franchit le fossé ; mais l’escarpe du retranchement estoit si glissant, qu’on avoit toutes les peines du monde à y monter. Cette difficulté favorisa la fuite des ennemis, qui eurent le temps de se sauver dans la Ville. Mr le Comte de Tattembach les poussa jusques à la porte du Danube, où il prit poste dans les maisons les plus voisines. Mr le Comte Emanuel d’Arco s’étant jetté sur la gauche, trouva un retranchement dans le Fauxbourg que les ennemis deffendoient encore. Mais ayant fait percer les maisons, il les envelopa de tous costez, & les chargea si vivement qu’ils furent contraints de l’abandonner. Cependant Mr le Comte de Sanfré s’empara du reste du Fauxbourg, & se posta de maniere à se pouvoir porter par tout où la necessité le requereroit. Son Altesse Electorale qui s’estoit avancée pour voir l’attaque, arriva dans le Fauxbourg aussitost que ses Troupes, & sans perdre un moment alla avec Mr le Maréchal Comte d’Arco reconnoistre les lieux les plus propres pour les batteries, on lui fit rapport que le plus foible de la Place estoit l’endroit où la muraille de la Ville se joint au Chasteau ; mais par consideration pour Madame l’Electrice, il ne voulut pas exposer son Palais au danger des coups, & aux décharges de l’Artillerie, & il ordonna que l’attaque se fist à la Porte de Feldkirchen, où l’on travailla à faire deux bateries. Il en ordonna aussi une troisiéme au bord du Danube qui pouvoit battre le pont & ruiner les retranchemens que les Ennemis avoient dans une petite Isle que ce pont traverse. La Garnison faisoit feu de tous costez, & tâchoit de retarder le travail des batteries que les Assiegeans faisoient avec toute la diligence possible. Son Altesse Electorale voulant encor témoigner que c’étoit à regret qu’on la contraignoit d’en venir à ces extremitez, écrivit pour la seconde fois à Madame l’Electrice Doüairiere, & lui manda que si les Troupes vouloient se retirer de la Ville & détruire le pont, qu’il feroit de son costé retirer les siennes, elle ordonna en mesme-temps à Mr le Comte de Tattembach d’avertir le Colonel d’Isselbach Commandant de la Garnison, que s’il n’acceptoit des conditions si avantageuses, il devoit s’attendre à tous les malheurs d’une place prise d’assaut. La réponse de Madame l’Electrice fut à peu prés en mêmes termes que la premiere, & le Commandant écrivit, qu’il ne voyoit pas qu’il fut encor temps de capituler ; on l’avoit flatté d’un puissant secours, & il attendoit d’un moment à l’autre de le voir paroistre. Le second jour à sept heures du matin, les batteries tirerent avec succés ; cependant Son Altesse Electorale jugea à propos de les faire avancer encore plus prés, ce qui fut executé d’abord à la faveur du feu continuel qu’on faisoit. À l’attaque de la gauche, où estoit Mr le Comte Emanuel d’Arco, on poussa les deux batteries à la portée du pistolet, l’une de la porte, & l’autre d’une tour qui la flanquoit, & à la droite le Comte de Tattenbach en fit dresser une à vingt pas des palissades qui fermoient les avenuës du pont. Mr le Maréchal Comte d’Arco, pour avoir l’œil à tout, se logea à dix pas des batteries. Mr le Comte de Sanfré sous ses ordres, agissoit de tous costez, & Mr Pol Ajudant General, chargé de tout le détail de l’attaque, s’en acquitta avec tout le courage & toute l’activité possible. Enfin le lendemain toutes les batteries ayant fait l’effet qu’on en pouvoit attendre, les breches se trouverent dans un état à faire juger que l’apresdînée on pourroit donner l’assaut. Mais comme Son Altesse Electorale alloit donner ses ordres pour cela, les Ennemis firent battre la chamade, & lui envoyerent par un Trompette une Lettre de Madame l’Electrice, & une autre du Commandant pour le Comte de Tattembach, on lui demandoit par ces Lettres les mêmes conditions qu’il avoit offertes, & Mr d’Isselbach s’y soumettoit enfin, disoit-il, par respect pour les instances de cette Princesse ; mais Son Altesse Electorale en accordant tres-obligeamment tout ce qui pouvoit regarder Madame l’Electrice, fit signifier au Commandant, qu’ayant laissé venir les choses à une extremité si grande, elle ne le recevroit qu’à discretion, & que d’abord que le Trompette seroit rentré dans la Ville, on continuëroit l’attaque ; toutes les batteries recommencerent aussi-tost. La Tour qui deffendoit la porte estant preste de tomber en ruine, l’épouvente fut si grande parmi les Assiegez, qu’ils se soûmirent à tout ce que desiroit Son Altesse Electorale, deux Majors sortirent pour ôtage. On livra d’abord le pont & la porte de la Ville, où les Troupes de Son Altesse Electorale se posterent, & Sadite Altesse Electorale alla visiter les ouvrages du pont ; & ayant donné ses ordres à Mr le Maréchal Comte d’Arco pour avoir soin du reste, monta en carosse avec l’Envoyé de France & celui de Savoye, qui avoient l’honneur de l’accompagner, & s’en retourna à Ingolstadt. Mr le Maréchal Comte d’Arco pour marquer aux Officiers la generosité du Prince auquel ils s’estoient rendus, les renvoya tous avec armes & bagage, à la reserve de quatre ou cinq qu’il a fait arrester, jusqu’à ce qu’on ait rendu quelques Officiers des Troupes de Son Altesse Electorale qu’on retient en prison depuis quatre mois, sans aucun droit ; & avant que l’on eust commencé la moindre hostilité. La garnison composée du Regiment Palatin de Mr d’Isselbach qui y estoit entré fort de neuf cens hommes, & d’un détachement de sept cens hommes des Troupes du Duc de Wirtemberg, a esté conduite à Landshut. On a perdu en ce Siege du costé de S.A.E. Mr de Polens Capitaine de Grenadiers, mort de sa blessure, un Lieutenant de Grenadiers, un Lieutenant d’Artillerie, un Ingenieur, & 60. soldats, dont plusieurs ne sont que blessez. Mr de Ramoski, Major du Regiment de Mr le Prince Electoral qui commandoit la fausse attaque, a esté blessé dangereusement par un soldat qui ne le reconnut point. Le 5. de Fevrier, Son Altesse Electorale, sur les nouvelles qu’elle avoit receuës que les Troupes destinées pour le secours de Neubourg, marchoient pour se joindre à celles de Franconie, dans le dessein d’attaquer la Ville de Wembding appartenant à Son Altesse Electorale, & de faire ensuite une invasion dans le Haut Palatinat, partit pour aller coucher à Donawert, & y observer les mouvemens de Mr le Comte de Styrum. Toutes les Troupes de S.A.E. tinrent la mesme route, avec une gayeté & une diligence extraordinaire ; mais S.A.E. ayant apris à Donawert que les Imperiaux s’étoient éloignez par une contremarche, elle en repartit, & ordonna à Mr le Maréchal Comte d’Arco de distribuer les Troupes dans des quartiers, & de les poster, de maniere qu’elles fussent en état de se rassembler aisément pour tomber sur les premiers qui feroient la moindre démarche contre ses Etats. Cette expedition dans la plus rude saison de l’année, a esté conduite & executée avec toute la prudence & toute la valeur possible ; & par cette prise faite si à propos, on a déconcerté les projets dangereux formez contre Son Altesse Electorale ; & la Baviere, doit ce coup paré à la sage prévoyance & au courage de son Prince, qui soûtient si dignement les droits Souverains & la liberté de l’Empire.

Il est important à son Altesse Electorale de Baviere que cette Relation qui a déja esté renduë publique se répande par toute la terre, non seulement pour la gloire de ses armes, mais aussi parce qu’elle peut luy servir de manifeste : en effet on ne la peut lire sans admirer ce Prince. On y remarque sa bonté & ses honnestetez pour Madame l’Electrice Doüairiere Palatine, & les égards qu’il a pour la tranquillité publique, & pour le repos de l’Empire, en s’offrant de ne point prendre Neubourg pourveu qu’on le mette en état de ne luy point nuire ; cette moderation doit estre doublement admirée pendant qu’on le menace d’entrer par plusieurs endroits dans ses Etats, & que l’on arme puissamment pour joindre les effets aux menaces. Je vous marqueray à la fin de ma Lettre ce que cet Electeur a fait depuis la prise de Neubourg qui luy estoit d’une extrême importance à cause du pont que cette place a sur le Danube.